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A-1273-82
Nintendo of America, Inc. (appelante) (demande- resse)
c.
Coinex Video Games Inc., Joanne Hellewell, Shir- ley Hoult, Donald F. Guy, David Carnie, Charles Cochrane, Gordon Goldman, Screengames Manu facturing Corporation, Harold Friedrich Schnei- dergruber, Kurt Reichenberger, Metro Fun Fair Inc., Gordon Lee, Linda Richmond, Videoboard Industries of Canada Inc., Melvin Bernstein, Ian Dunn, M & J International, 498440 Ontario Ltd., Seok-Hee Ryu, Eun-T Yang, James Toi Hing, M.J.Z. Electronics Ltd., Zalman Shlyonsky, Joseph Levitan, Michael Raichelson, Canadian Amusement Sales and Distributing Ltd., Raymond Alexander Haladay, Jack Syme, Video Playworld, Ralph Goldman, Steven Sandler, All Seasons Amusement Centre Limited, Joseph Rizk, Nick Garito, Vince Evans, Svetlana Fischbein, Mike Fischbein, Dan Rice, Frank Renna, Vito Renna, Matteo Figura, Robin Wayne Kidd, Joseph Chor- Ming Lau, 493481 Ontario Ltd., Ava Gelbart, Peg's Pinball Parlour Inc., Margaret Elizabeth McKinley (intimés) (défendeurs)
Cour d'appel, juges Heald et Urie, juge suppléant Cowan—Toronto, 16 décembre; Ottawa, 30 décembre 1982.
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Ordonnance de type Anton Piller Violation de droits d'auteur sur des jeux vidéo Ordonnance demandée contre les fabricants et les distribu- teurs Affidavit contenant des preuves que les défendeurs agissent de manière évasive et qu'il est possible que des pièces seront détruites Établissement d'un solide commencement de preuve Les trois critères énoncés dans l'affaire Anton Piller pour délivrer une telle ordonnance ont été remplis Appel accueilli et ordonnance accordée sous réserve des condi tions visant à assurer la protection des droits des défendeurs.
Droits d'auteur Violation Pratique Jeux vidéo Appel d'une décision refusant la délivrance d'une ordonnance de type Anton Piller Affidavit indiquant qu'il est probable que des pièces seront détruites Appel accueilli.
La Division de première instance a rejeté la requête ex parte de la demanderesse visant à obtenir une injonction provisoire ordonnant aux défendeurs de mettre fin à la violation des droits d'auteur de la demanderesse sur les jeux audio-vidéo «Donkey Kong» et «Donkey Kong Junior». La Cour a en outre rejeté la demande d'une ordonnance dite «Anton Piller». L'appel vise le refus d'accorder ce dernier redressement. Tout comme la requête présentée à la Division de première instance, l'appel a été entendu ex parte et à huis clos en raison de la nature
hautement convaincante de certains renseignements contenus dans les affidavits et les pièces soumises à l'appui de la demande. Ces documents indiquaient que, même si les jeux vidéo de la demanderesse étaient très populaires, leur succès commercial a été limité par des contrefaçons à grande échelle. Bien qu'il y ait 47 défendeurs dans l'action, l'ordonnance de type Anton Piller demandée ne concernait que 28 de ces défendeurs, qui étaient présumés avoir participé à la fabrica tion, à la vente et à la distribution non autorisées de ces jeux. La demanderesse affirme que les défendeurs agissent de façon évasive et mystérieuse et que les compagnies défenderesses sont de simples expédients qui peuvent disparaître sans laisser de trace. Il était probable que des preuves puissent être dissimulées ou qu'elles soient détruites. La Cour a été saisie d'une preuve très convaincante sous la forme de l'affidavit d'un détective privé dans lequel il rapportait les conversations qu'il avait eues avec certains des défendeurs, en se faisant passer pour un acheteur éventuel. Un des défendeurs a avoué au détective qu'il avait vendu environ 600 jeux «Donkey Kong» et il a ajouté que «Des copies sont des copies et, si vous en avez, ils vont les saisir s'ils les recherchent.» Il a informé le détective que les jeux illicites étaient placés dans des lieux peu voyants parce que les salles spécialisées étaient inspectées trop souvent. Un autre défendeur aurait affirmé ce qui suit au détective: «Si vous voulez acheter à quelqu'un d'autre que Nintendo, c'est illégal, mais c'est un problème qui touche uniquement les fabricants, comme moi, mais pas vous, l'exploitant.»
Arrêt: il y a lieu de délivrer une ordonnance de type Anton Piller. La demanderesse a répondu aux trois conditions énumé- rées par le lord juge Ormrod dans Anton Piller KG v. Manu facturing Processes Ltd. and Others, [1976] 1 Ch. 55 (C.A.): (1) elle a établi un commencement de preuve extrêmement solide; (2) elle a démontré que le préjudice réel ou possible sera extrêmement grave; (3) il y a une preuve manifeste que les défendeurs ont en leur possession des documents ou des objets pouvant servir de pièces à conviction et qu'il y a une possibilité réelle qu'ils soient détruits avant que puisse être soumise une demande inter partes.
Comme le redressement accordé est de nature exceptionnelle, l'ordonnance sera assortie de plusieurs conditions, dont notam- ment: que la demanderesse devra fournir un cautionnement de 75 000 $ au titre de l'engagement pris au sujet de dommages- intérêts, que le droit d'entrée n'est accordé qu'à quatre person- nes et que seuls les documents liés directement aux jeux vidéo en cause peuvent être saisis.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd. and Others, [1976] 1 Ch. 55 (C.A.); Yousif y. Salama et al., [1980] 3 All ER 405 (C.A.).
AVOCATS:
J. Edgar Sexton, c.r. et M. Field -Marsham pour l'appelante (demanderesse).
Aucun avocat n'a comparu pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l'appelante (demanderesse).
Aucun procureur n'a comparu pour les inti- més (défendeurs).
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté d'une déci- sion rendue par la Division de première instance le 9 décembre 1982. La requête a été entendue ex parte et à huis clos en Division de première ins tance. Elle visait à obtenir une ordonnance provi- soire enjoignant à tous les défendeurs en l'espèce, sociétés ou particuliers, de mettre fin à la violation des droits d'auteur de la demanderesse sur des jeux audio-vidéo, activés par des pièces de monnaie, que la demanderesse distribue sous les noms de «Donkey Kong» et «Donkey Kong Junior»'. Était également demandée une ordonnance dite «Anton Piller» 2 dans le but notamment de préserver tous documents, jeux, appareils, plans, dessins, circuits et pièces ayant un rapport avec la violation des droits d'auteur de la demanderesse sur les jeux audio-vidéo susmentionnés 3 . L'ordonnance de la Division de première instance, en date du 9 décem- bre 1982, a rejeté la demande ex parte, sans préjudice du droit de la demanderesse de déposer et signifier un avis de requête pour le redressement demandé dans la demande présentée ex parte. L'appel vise cette ordonnance et se limite au refus de la Division de première instance d'accorder une ordonnance de type Anton Piller. Nous avons entendu l'appel le 16 décembre 1982, ex parte et à huis clos en raison de la nature hautement con- vaincante des renseignements contenus dans les affidavits de Monoru Arakawa, Harry Lake et Michael Pobjoy ainsi que des pièces qui y étaient annexées. L'ensemble de ces documents nous a
' Cette injonction demandée à la Division de première ins tance est décrite aux paragraphes 2 et 3 de l'avis de requête (D.A., aux pp. 2 et 3).
2 L'expression «ordonnance Anton Piller» est utilisée pour décrire une ordonnance du type de celle qui a été délivrée par la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd. and Others, [1976] 1 Ch. 55 (C.A.).
3 L'ordonnance Anton Piller demandée en Division de pre- mière instance devait être également dirigée contre les 28 défendeurs nommés devant cette Cour.
amenés à décider que l'appel ne devrait pas être rendu public au moment il serait entendu et que l'on avait suffisamment justifié une demande d'au- dience ex parte de l'appel. Après avoir entendu le long exposé de l'avocat de la demanderesse, au sujet de l'opportunité d'accorder à cette dernière une ordonnance de type Anton Piller, la Cour a déclaré à l'avocat qu'elle était disposée à accorder cette ordonnance à la condition d'y inclure certai- nes garanties afin de protéger les droits des défen- deurs comme ceux de la demanderesse. L'ordon- nance fut délivrée le 17 décembre 1982. Je souhaite aujourd'hui exposer les raisons qui m'ont amené à conclure que l'ordonnance délivrée par la Cour était appropriée et nécessaire et qu'elle ser- vait les intérêts de la justice. Puisqu'une ordon- nance de ce type ne doit être prononcée que dans les cas les plus exceptionnels, il est indispensable, à mon avis, de résumer les faits tels qu'ils ont été établis par les affidavits précités. La demanderesse est une société dûment constituée selon la législa- tion de l'État de Washington (États-Unis) et elle est une filiale exclusive de Nintendo Co., Ltd., une société dûment constituée au Japon (Nintendo). La demanderesse importe des jeux audio-vidéo fabriqués par Nintendo et fabrique également des jeux vidéo aux États-Unis. En 1981, un employé de Nintendo a mis au point, dans le cadre de son travail, un nouveau jeu audio-vidéo s'appelant «Donkey Kong». Le 27 juillet 1981, Nintendo a cédé à la demanderesse tous ses droits, titres et intérêts dans les droits d'auteur sur le jeu «Donkey Kong», pour l'ensemble du monde occidental. La demanderesse prétend donc être le propriétaire d'un droit exclusif d'importer, de fabriquer, d'as- sembler, de distribuer et de vendre les jeux «Donkey Kong» en Amérique du Nord. La deman- deresse a enregistré son droit d'auteur sur le jeu «Donkey Kong» au Canada le 12 mai 1982 (no de dossier 224128). Avant le mois de février 1982, le même employé de Nintendo a mis au point le jeu «Donkey Kong Junior». Le 24 août 1982, Nintendo a cédé à la demanderesse tous ses droits, titres et intérêts dans les droits d'auteur relatifs à ce jeu, pour l'ensemble du monde occidental. Comme dans le cas de «Donkey Kong», la demanderesse affirme être le propriétaire d'un droit exclusif d'importer, de fabriquer, d'assembler, de distribuer et de vendre des jeux «Donkey Kong Junior» en Amérique du Nord. La demanderesse a enregistré son droit d'auteur sur le jeu «Donkey Kong Junior»
au Canada le 16 novembre 1982 (no de dossier 229821).
La demanderesse a commencé à exporter les jeux «Donkey Kong» à ses distributeurs canadiens en août 1981 et a continué de le faire jusqu'aux environs du mois d'août 1982. Pour ce qui con- cerne les jeux «Donkey Kong Junior», la demande- resse a commencé leur exportation à ses distribu- teurs canadiens en août 1982 et a continué de le faire jusqu'à maintenant. Il convient dès mainte- nant d'expliquer le mode de fonctionnement de ces deux jeux. Avant qu'une pièce de monnaie soit placée dans la machine, les jeux fonctionnent selon un mode [TRADUCTION] «attente» jouant conti- nuellement et automatiquement des séquences répétitives affichant le nom «Donkey Kong» ou «Donkey Kong Junior», selon le cas. Le mode «attente» affiche également l'avis de droit d'auteur de la demanderesse, un exemple du jeu sous forme de série d'images accompagnées d'effets musicaux et phoniques, les scores obtenus auparavant et les règles du jeu. Quand on dépose une pièce de monnaie dans la machine et qu'on appuie sur le bouton qui active le jeu, celui-ci passe au mode [TRADUCTION] «jeu». Dans le mode «jeu», la silhouette (sous réserve de certains contrôles dont dispose le joueur) et d'autres objets et obstacles se déplacent sur l'écran selon une séquence prédéter- minée suivant les informations emmagasinées dans les circuits électroniques, de manière à réagir aux mouvements de la silhouette contrôlée par le joueur, d'une façon préétablie et en fonction égale- ment des données emmagasinées dans les circuits électroniques. Les documents dont nous disposons indiquent que les deux jeux connaissent un grand succès auprès des amateurs de jeux audio-vidéo. Toutefois, leur succès commercial au Canada a été limité par des contrefaçons à grande échelle. Le président de la demanderesse, Monoru Arakawa, a déclaré dans sa déposition qu'il pense que le nombre de contrefaçons du jeu «Donkey Kong» est neuf fois supérieur au nombre de jeux authenti- ques dans la région métropolitaine de Toronto. Les affidavits précités établissent que les fabricants de jeux vidéo les vendent aux distributeurs qui, à leur tour, vendent ces jeux à des exploitants. Ces der- niers les installent dans des salles de jeux électroni- ques ou dans d'autres lieux publics. Leurs bénéfi- ces proviennent principalement de l'utilisation de ces jeux par le public.
La demanderesse a classé les défendeurs en l'espèce en trois catégories distinctes, selon leurs rôles:
a) fabricants et distributeurs;
b) distributeurs et
c) exploitants.
Il y a 47 défendeurs en l'espèce. Toutefois, l'ordon- nance de type Anton Piller demandée dans le présent appel et accordée par la Cour ne concerne que 28 de ces défendeurs. Il s'agit de ceux qui, soutient-on, ont participé à la fabrication, à la vente et à la distribution de contrefaçons des deux jeux vidéo en cause. La demanderesse n'a pas sollicité d'ordonnance de type Anton Piller contre les 19 défendeurs qui sont uniquement des exploi- tants de ces jeux vidéo, et nous ne les avons donc pas inclus dans cette ordonnance.
Les affidavits produits contiennent des preuves détaillées en ce qui concerne la violation du droit d'auteur par les défendeurs, qu'il s'agisse de socié- tés ou de particuliers, visés dans l'ordonnance en question. Dans leurs affidavits, les déposants décri- vent de quelle manière survient la violation des droits d'auteur. La partie des jeux dans laquelle les instructions sont emmagasinées est la partie qui produit les images vidéo distinctives et les sons qui accompagnent ces images. Cette partie est compo sée de minuscules mémoires numériques. Elles sont incluses dans le tableau de jeu que la demande- resse ne vend que comme partie d'un jeu audio- vidéo complètement intégré. Elle ne vend pas ce tableau de jeu séparément. On soutient que de nombreux distributeurs désignés comme défen- deurs en l'espèce et nommés dans l'ordonnance vendent des tableaux de jeu «Donkey Kong» et «Donkey Kong Junior» séparément et indépendam- ment de tous coffrets. On dit également qu'un fabricant ou distributeur de contrefaçons de ces jeux peut retirer un tableau de jeu d'un coffret et en installer un nouveau en quelques minutes. Cette opération est devenue possible grâce à la mise au point d'un adapteur universel spécial qui permet de placer dans un coffret muni de cet adapteur tout plateau de jeu approprié. On prétend également que ces adapteurs sont fabriqués par un des défen- deurs visés par l'ordonnance et distribués par deux autres défendeurs également visés par cette ordon- nance. En conséquence, si l'on en croit l'affidavit de Lake, un contrefacteur peut créer un jeu audio-
vidéo entièrement nouveau en remplaçant simple- ment le plateau de jeu et en installant alors une plaque d'identification différente, l'ensemble du processus ne prenant que vingt minutes environ.
Dans son exposé des faits et du droit, la deman- deresse résume le fondement de sa requête, aux paragraphes 23 et 24:
[TRADUCTION] 23. De nombreux fabricants et distributeurs, désignés comme défendeurs dans cette action, exploitent leur entreprise sur la base de paiements au comptant. Les représen- tants de ces défendeurs se sont montrés extrêmement évasifs et mystérieux.
Les compagnies elles-mêmes sont souvent de simples expédients et, en cas de besoin, elles peuvent sans difficultés, déménager leurs machines ou pièces, ou s'en défaire, et disparaître sans laisser de trace. Il arrive souvent que plus tard les mêmes défendeurs émergent de nouveau sous un nom commercial différent et reprennent le même type d'activités de contrefaçon. Les agissements des fabricants et distributeurs désignés comme défendeurs dans cette action démontrent leur mépris insolent des droits de la demanderesse. Bon nombre d'entre eux sont parfaitement conscients du fait que leurs activités contrevien- nent aux droits d'auteur de la demanderesse. Cela n'a aucune- ment empêché les défendeurs de poursuivre leurs activités de contrefaçon. Il y a un risque sérieux que ces entreprises, et les divers individus qui leur sont associés, dissimulent des preuves, ou s'en débarrassent.
Affidavit de Monoru Arakawa, paragraphe 43
Dossier d'appel, aux pp. 20 et 21
24. La demanderesse subit un préjudice irréparable pour les raisons suivantes. Ses rapports avec ses distributeurs sont gra- vement compromis; son réseau de distribution au Canada est maintenant en danger; sa réputation auprès des distributeurs et exploitants, comme fabricante de jeux électroniques de qualité et hautement commercialisables est en passe d'être détruite; en outre, il est porté atteinte à l'ensemble de l'industrie canadienne de fabrication de jeux vidéo et, de ce fait, à la possibilité pour la demanderesse d'exploiter son entreprise au Canada.
Affidavit de Monoru Arakawa, paragraphes 37, 38 et 39
Dossier d'appel, aux pp. 18 et 19
Après avoir soigneusement étudié tous les docu ments, je conclus que l'appelante [demanderesse] a établi un solide commencement de preuve. À titre d'exemple, je citerai quelques extraits seulement des conversations que le déposant Lake, un détec- tive privé, a déclaré sous serment avoir eues avec certains des défendeurs.
a) Conversation avec le défendeur Bernstein (affi- davit de Lake, par. 31) D.A., aux pp. 93 et 94:
[TRADUCTION] 31. Le 2 décembre 1982, je suis allé de nouveau à Videoboard et y ai rencontré ce jour-là M. Bernstein. Il a offert de me vendre un jeu vidéo Donkey Kong Junior qui, à
son avis, était supérieur au produit vendu par Coinex. Le jeu de M. Bernstein comportait deux auvents alors que les jeux Coinex n'en avait qu'un. En fait, l'article vendu par Videoboard per- mettait une formule à deux jeux, c'est-à-dire que deux jeux différents pouvaient être insérés dans le même coffret. M. Bernstein a poursuivi en expliquant que la modicité de ses prix résultait du fait qu'il était propriétaire de 38 % de Screenga- mes, en association avec Kurt Reichenberger et qu'en consé- quence, il pouvait recevoir les articles de Screengames au prix de gros. Quand je lui ai posé une question concernant un concurrent, M & J International, M. Bernstein m'a appris que Videoboard fournissait à M & J International tous les plateaux de jeu vendus par cette compagnie. À un moment de la conversation, M. Bernstein a déclaré que si les distributeurs couraient le risque de saisie des contrefaçons par les autorités, les exploitants n'avaient rien à craindre sur ce plan. Il a ajouté que de telles saisies ne pouvaient survenir que si les fabricants de produits authentiques avaient enregistré leur droit d'auteur au Canada et il a soutenu que, puisqu'un très petit nombre d'entre eux seulement avaient achevé les procédures d'enregis- trement dans ce pays, les risques de saisie étaient infimes même si les copies étaient découvertes. Il a ajouté que même si la saisie était ordonnée, seule la mémoire numérique du jeu serait saisie et non le plateau de jeu ou le coffret.
b) Conversation avec Eun-T Yang défendeur (affi- davit de Lake, par. 32 36) D.A., aux pp. 94à 96:
[TRADUCTION] 32. Le 22 septembre 1982, me faisant passer pour un acheteur éventuel, je me suis rendu à M & J Interna tional («M & J») au 1230, avenue Sheppard ouest, pièce 15, à Downsview (Ontario). C'est que j'ai rencontré M. Eun T. Yang, connu également sous le nom de «Peter». M. Yang m'a expliqué que le jeu le plus en vogue parmi les articles que M & J International vendait à cette époque s'appelait Crazy Kong 2. M. Yang m'a appris que, pendant le seul mois d'août 1982, sa compagnie avait vendu environ 500 jeux Crazy Kong 2. Il m'a également montré et a offert de me vendre un certain nombre de coffrets d'apparence distinctive, conçus pour recevoir divers jeux vidéo. Certains de ces coffrets étaient essentiellement de couleur blanche et portaient le mot «Yujin» écrit en rouge sur le côté de la partie supérieure de chacun d'eux. Selon M. Yang, ces coffrets étaient fabriqués en Orient et étaient vendus par sa compagnie au prix de 1 500 $ chacun. D'autres coffrets étaient essentiellement de couleur noire et portaient une plaque d'iden- tification indiquant «Donkey Kong». Le périmètre de l'écran et le panneau de contrôle étaient décorés d'illustrations de navires spatiaux futuristes et portaient l'inscription «E.M.I. Internatio nal» sur le devant du coffret. M. Yang m'a indiqué que pour installer un nouveau jeu, l'acheteur n'avait qu'à remplacer le plateau de circuit imprimé et la plaque d'identification décri- vant le plateau, pour un prix total de 700 $. Il a souligné que l'on demandait 25 $ de frais d'installation pour placer un plateau de jeu dans le coffret «Yujin».
33. M. Yang a expliqué que Crazy Kong 2 est pratiquement identique, du point de vue du fonctionnement et de l'apparence, au jeu DONKEY KONG original, la seule distinction majeure entre les deux jeux étant la plus grande rapidité du jeu Crazy Kong 2. II a offert de me vendre deux jeux DONKEY KONG d'occasion pour environ 2 000 $.
34. M. Yang a poursuivi en m'expliquant que M & J Interna tional était le fournisseur principal des plateaux de jeux Donkey
Kong et Crazy Kong 2 pour la MJZ Electronics Ltd. («MJZ»). Toujours selon lui, ces plateaux étaient vendus à MJZ au prix de 650 $ ou 700 $ selon la quantité.
35. Le 28 octobre 1982, je me suis rendu de nouveau à M & J et y ai vu M. Yang installant trois plateaux de circuits impri- més Donkey Kong Jr. dans des coffrets. M. Yang m'a informé que, pendant le mois d'octobre seulement, il avait vendu 60 jeux Crazy Kong à un seul client et que M & J avait vendu au total 600 jeux de ce type. Il a offert de me vendre des jeux Donkey Kong Jr. au prix de 2 300 $ au comptant, indiquant qu'il ne me donnerait pas de reçu si je devais en acheter et qu'il n'ajouterait pas la taxe au prix de vente. Il prévoyait que M & J vendrait encore plus de jeux Donkey Kong Jr. que de jeux Crazy Kong. M. Yang m'a informé alors que M & J plaçait ses jeux licites dans des salles de jeux et les jeux illicites en des lieux plus petits et moins voyants parce que les salles spécialisées étaient inspec- tées trop souvent.
36. Je suis revenu à M & J le 1»' décembre 1982, et j'y ai vu un jeu Donkey Kong Junior avec lequel j'ai joué. Ce jeu était identique au jeu original, sous tous ses aspects, à l'exception du fait que les scènes suivant la première scène étaient présentées selon un ordre différent et que le mode «attente» au lieu d'indiquer les trois initiales des personnes qui avaient réussi les scores les plus élevés sur ce jeu, affichait 12 lettres. La partie audio du jeu était identique à celle du jeu original. J'ai parlé de nouveau avec M. Yang qui m'a dit que M & J avait vendu environ 600 jeux Donkey Kong et 147 jeux Donkey Kong Junior. Il m'a indiqué également que si certains jeux avaient été saisis à Niagara, à Hamilton et à Montréal, aucun ne l'avait été à Toronto. Il m'a dit que cette absence de saisie à Toronto s'expliquait par le fait que personne n'avait recherché de jeux illicites dans cette ville. M. Yang a ajouté ceci: «Des copies sont des copies et, si vous en avez, ils vont les saisir s'ils les recherchent.»
c) Conversation avec le défendeur Michael Rai- chelson (affidavit de Lake, par. 40 et 41) D.A., aux pp. 97 et 98:
[TRADUCTION] 40. Le 28 octobre 1982, je suis revenu à MJZ et y ai parlé de nouveau avec M. Raichelson. Il m'a montré un auvent qui n'était relié à aucun jeu et qui affichait les mots «Donkey Kong Junior», comportant en outre des dessins des mêmes silhouettes d'homme et de gorille que dans le jeu original DONKEY KONG. Il m'a dit que MJZ avait conçu cet auvent et en faisait faire des copies par quelqu'un d'autre. M. Raichelson m'a appris que deux de ses plus grands succès de vente à ce moment étaient Crazy Kong et Donkey Kong Jr. Quand je lui ai demandé pourquoi New Way's (le distributeur de la demanderesse) vendait à des prix deux fois plus élevés que les siens, il m'a répondu à peu près ceci: «ils ont la franchise Nintendo, mais voyez leurs prix. Si vous voulez acheter à quelqu'un d'autre que Nintendo, c'est illégal, mais c'est un problème qui touche uniquement les fabricants, comme moi, mais pas vous, l'exploitant.»
M. Raichelson m'a cité le prix de 550 $ pour un plateau de jeu Crazy Kong et de 680 $ pour un des jeux Donkey Kong Jr. Il m'a également offert de me vendre un coffret universel, pou- vant servir à l'un ou l'autre de ces plateaux de jeux, au prix de 1 700 $. Pendant notre conversation, je lui ai demandé au moins deux fois si je pouvais avoir des difficultés avec une copie
et il m'a répondu avec assurance que seul le fabricant pouvait avoir des problèmes sur ce point. M. Raichelson m'a indiqué que MJZ vendait des jeux à Canadian Amusement Sales and Distributing mais que cette dernière fabriquait également ses propres jeux et était en outre un exploitant. Alors que je me trouvais à MJZ, j'ai remarqué une commande provenant de Canadian Amusement Sales and Distributing qui incluait la mention de l'achat d'un jeu Crazy Kong.
41. Le 25 novembre 1982, je me suis rendu de nouveau à MJZ et j'ai demandé à M. Raichelson quelles étaient les modalités de paiement des jeux et plateaux de jeux Crazy Kong et Donkey Kong Jr. Il a offert de me vendre un plateau de jeu Crazy Kong pour 450 $ et un plateau de jeu Donkey Kong Jr. pour 500 $, livrables 5 jours plus tard. Quand je lui ai demandé s'il y avait quelque danger à exploiter des contrefaçons, il m'a répondu que ce problème ne concernait que le fabricant, comme lui, mais pas l'exploitant.
Dans l'affaire Anton Piller (précitée), le lord juge Ormrod a énoncé les trois conditions préalables requises pour délivrer une ordonnance du type de celle que la Cour a prononcée en l'espèce. A la page 62 du recueil, il dit ceci:
[TRADUCTION] Tout d'abord, il faut un commencement de preuve très solide. Deuxièmement, le préjudice réel ou possible doit être très grave pour le requérant. Troisièmement, il faut la preuve manifeste que les défendeurs ont en leur possession des documents ou des objets pouvant servir de pièces à conviction et qu'il est réellement possible que les défendeurs détruisent ces pièces avant que puisse être introduite une demande inter partes.
À mon avis, le cas de la demanderesse répondait à ces trois conditions. Pour ce qui concerne le pre mier critère, j'ai dit plus tôt qu'à mon avis, la demanderesse avait présenté un commencement de preuve extrêmement solide. Je dis cela parce que les documents soumis contiennent l'admission par plusieurs fabricants défendeurs que des plateaux de jeux de la demanderesse ont été copiés et installés dans des coffrets qui permettaient de les utiliser. Certains distributeurs des défendeurs ont reconnu avoir importé des contrefaçons de jeux de la demanderesse, à des fins de vente ou de location, et ont en outre reconnu les avoir vendues, louées et distribuées. En second lieu, j'estime que la deman- deresse a établi que le préjudice en résultant, préjudice réel ou possible, sera extrêmement grave. L'entreprise de la demanderesse au Canada con- siste à fabriquer des jeux audio-vidéo et à les vendre à des distributeurs reconnus. Les docu ments qui nous ont été soumis montrent que le marché est actuellement inondé de contrefaçons moins coûteuses de ces jeux, et que cette situation, si elle persistait, mettrait probablement en danger
l'ensemble de l'entreprise de la demanderesse dans ce pays. En troisième lieu, il y a, à mon avis, la preuve manifeste que les défendeurs ont en leur possession des copies illicites de jeux vidéo de la demanderesse et qu'ils ont offert de les vendre au détective travaillant pour le compte de la deman- deresse. Je suis en outre convaincu qu'il a été démontré qu'il existe une possibilité réelle que les copies contrefaites de plateaux de jeu soient enle- vées ou disparaissent, puisque, comme je le disais plus haut, ces plateaux peuvent être retirés des coffrets et disparaître en quelques minutes. En conséquence, il y a, à mon avis, une possibilité réelle de destruction de copies contrefaites avant que puisse être soumise une demande inter partes.
Il convient également de souligner que, si je suis convaincu, compte tenu des affidavits déposés en l'espèce, que les critères assez stricts de l'affaire Anton Piller (précitée) sont satisfaits, il semble que, dans une décision ultérieure, la Cour d'appel de l'Angleterre ait adopté des critères moins stricts. Je fais allusion à l'affaire Yousif y. Salama et al.' Dans ce cas, le demandeur avait acheté des marchandises que les défendeurs devaient reven- dre, aux termes d'un accord dans lequel les défen- deurs avaient convenu de verser une commission au demandeur pour les marchandises ainsi four- nies. Conformément à cet accord, un certain nombre d'opérations avaient eu lieu, sur plusieurs années, mais le demandeur n'avait pas reçu la commission convenue. Le demandeur s'est alors rendu dans les bureaux des défendeurs et il y a vu des livres de comptes indiquant le montant des commissions qui lui étaient dues. Le demandeur présenta alors un bref en vue de réclamer le mon- tant et, craignant que les défendeurs détruisent les deux dossiers contenant les comptes et un registre était consigné le détail des opérations, il demanda une ordonnance du type Anton Piller l'autorisant à pénétrer dans les locaux des défen- deurs pour essayer de retrouver les dossiers et le registre en cause afin de les prendre et de les confier à la garde de son procureur. L'ordonnance lui fut accordée. Le jugement du lord juge Bright- man dit notamment la page 408]:
[TRADUCTION] À mon avis, l'ordonnance demandée en l'espèce est justifiée si, et seulement si, il existe un commencement de preuve tendant à démontrer que des documents essentiels sont
4 [1980] 3 All ER 405 (C.A.).
en danger. Si des documents essentiels sont ainsi en danger, j'estime alors que cette cour doit autoriser le demandeur à prendre les mesures nécessaires pour les préserver.
Il nous faut donc répondre à deux questions. Premièrement, les documents recherchés sont-ils indispensables pour le deman- deur, dans l'action qu'il va intenter? Dans l'affirmative, ces documents sont-ils en danger? Pourraient-ils être intentionnel- lement détruits?
Il est difficile de se faire une opinion assurée sur le fond de la demande puisque inévitablement la preuve est unilatérale. Les défendeurs n'ont pas eu l'occasion d'y répondre. Toutefois, j'estime que, compte tenu de la preuve soumise par le deman- deur, nous avons de bonnes raisons de dire que les documents en question sont indispensables au demandeur, dans l'action intentée. Je pense également qu'en fin de compte, il y a des preuves suffisantes pour justifier cette cour de conclure que les documents sont en danger. En conséquence, je serais pour ma part en faveur de l'octroi de l'ordonnance appropriée.
À mon avis, si j'applique aux circonstances qui nous occupent les critères énoncés dans cette affaire, nous disposons d'un solide commencement de preuve indiquant que des documents, des machines et du matériel indispensables à la demanderesse, dans l'action intentée, sont en danger et qu'en conséquence, la Cour peut autori- ser la demanderesse à prendre les précautions nécessaires pour les protéger. Dans l'affaire Yousif (précitée), lord Denning, Maître des rôles, a égale- ment conclu qu'il convenait de délivrer une ordon- nance Anton Piller. Il dit à la page 406:
[TRADUCTION] Mais en l'espèce, la preuve (si elle est acceptée) indique que le défendeur n'est pas digne de foi. Le demandeur craint légitimement que les documents soient détruits ... On peut réellement craindre que, si le demandeur attend jusqu'à l'audition de la demande, le défendeur soit en mesure de détruire les documents avant la date de l'audience. C'est ce type de danger que l'ordonnance Anton Piller a pour but de prévenir.
... il me semble en outre que l'octroi de l'ordonnance ne peut en aucune manière nuire aux défendeurs. Il s'agit de prêter assistance à la justice pour ce qui concerne le demandeur. Au lieu d'être obligé de faire des conjectures ou d'essayer d'obtenir des preuves ailleurs, tout devrait être dans ce dossier. Cela ne peut pas nuire au défendeur. S'il est honnête, il produira de toute façon les documents. S'il est malhonnête, ce n'est qu'une raison supplémentaire de délivrer l'ordonnance demandée ...
Lord Denning parle en termes de crainte légitime ou de crainte réelle que le défendeur détruise des documents essentiels avant la date de l'audience. En l'espèce, le président de la société demande- resse, M. Arakawa, a spécifiquement indiqué qu'il avait des raisons de penser et de craindre que les fabricants et distributeurs défendeurs [TRADUC- TION] «dissimuleront probablement des documents ou se débarrasseront de preuves». (Paragraphe 43,
D.A., page 20.) En conséquence, je conclus que la preuve dont nous disposons répond manifestement aux critères définis par lord Denning, Maître des rôles, et par le lord juge Brightman dans l'affaire Yousif.
Par ces motifs, je conclus que la Cour doit délivrer une ordonnance de type Anton Piller en l'espèce présente.
Toutefois, comme le redressement accordé est de nature exceptionnelle, la demanderesse doit, dans l'exécution de l'ordonnance, [TRADUCTION] «agir avec beaucoup de circonspection» 5 . De plus, les intérêts des défendeurs doivent être préservés et protégés au même titre que ceux de la demande- resse. Étant donné ce principe, l'ordonnance pré- voit notamment:
a) que la présente ordonnance, ainsi que des copies de tous les documents soumis à son appui, doivent être signifiées immédiatement et en toute diligence;
b) que la demanderesse doit s'engager à exécu- ter toute ordonnance de la Cour en ce qui concerne les dommages-intérêts et accepter en outre de fournir un cautionnement ide 75 000 $ au titre de cet engagement;
c) que les documents et objets saisis seront transmis par le procureur de la demanderesse aux shérifs de la juridiction des défendeurs res- pectifs et pourront être utilisés uniquement aux fins des procédures civiles intentées contre les défendeurs ou d'autres personnes à l'égard des droits d'auteur de la demanderesse sur les deux jeux audio-vidéo mentionnés;
d) que quatre personnes au plus pourront péné- trer dans les locaux des défendeurs pour procé- der à la saisie au nom de la demanderesse;
e) que le droit d'entrée et de saisie se limite aux documents et «jeux, appareils, plans, dessins, circuits et pièces» liés directement aux jeux «Donkey Kong» et «Donkey Kong Jr.» de la demanderesse. Chacun de ces jeux est décrit spécifiquement et avec précision dans ladite ordonnance; et
f) que les défendeurs peuvent demander à la Cour (i) de modifier ou d'annuler l'ordonnance,
5 Selon les termes employés par lord Denning dans l'arrêt Anton Piller (précité), à la p. 61.
ou (ii) d'augmenter le montant du cautionne- ment sous délai d'avis de 24 heures au procureur de la demanderesse.
À mon avis, ces garanties protègent entièrement les droits et intérêts des défendeurs et permettent en même temps à la demanderesse de poursuivre son action en contrefaçon de droit d'auteur contre les défendeurs.
LE JUGE URIE: Je souscris.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je souscris.
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