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T-1403-83
Robert George Wilson (requérant)
c.
Ministre de la Justice (intimé)
Division de première instance, juge suppléant Nitikman-Winnipeg, 21 juin et 7 novembre 1983.
Couronne - Prérogative royale de clémence - Le ministre de la Justice a rejeté la demande de nouveau procès fondée sur l'art. 617 du Code - Cette demande diffère-t-elle de la prérogative royale puisqu'elle se fonde sur une disposition législative et par conséquent est-elle assujettie au contrôle judiciaire? - La prérogative royale a toujours relevé du pouvoir discrétionnaire du souverain - La clémence n'est pas l'objet de droits légaux - La décision du Ministre constitue l'exercice d'une prérogative royale et n'est pas assujettie au contrôle judiciaire - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 617, 686 - Code criminel, S.C. 1953-54, chap. 51, art. 596 - Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, S.R.C. 1970, Appendice II, 35, art. VII, XII - Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, chap. J-2, art. 2, 4a), 5a),c) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 28 - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 1Id) - Criminal Appeal Act, 1907 (U.K.), 7 Edw. 7, chap. 23.
Contrôle judiciaire - Recours en equity - Jugements déclaratoires - Requérant déclaré coupable à la suite d'un procès criminel - Preuve indiquant qu'on a communiqué avec des jurés à l'extérieur du tribunal - Rejet par le ministre de la Justice d'une demande de nouveau procès fondée sur l'art. 617 du Code - La décision du Ministre constitue l'exercice de la prérogative royale de clémence - La prérogative royale n'est pas l'objet de droits légaux - Décision non assujettie au contrôle judiciaire - Quoi qu'il en soit, la décision était équitable et conforme aux principes énoncés dans l'arrêt Mar- tineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, /1980] 1 R.C.S. 602 - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 576.2, 617, 686 - Code criminel, S.C. 1953-54, chap. 51, art. 596 - Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, S.R.C. 1970, Appendice II, 35, art. VII, XII - Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, chap. J-2, art. 2, 4a), 5a),c) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 28 - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, /Id) - Criminal Appeal Act, /907 (U.K.), 7 Edw. 7, chap. 23.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Celle-ci s'ap- plique-t-elle à la prérogative royale? - Le requérant a été déclaré coupable d'une infraction criminelle - Preuve indi- quant qu'on a communiqué avec des jurés à l'extérieur du tribunal - Possibilité de préjudice - Demande présentée au ministre de la Justice en vertu de l'art. 617 du Code en vue d'obtenir un nouveau procès - Le Ministre a refusé d'entendre
les arguments oraux de l'avocat du requérant Nouveau procès refusé La décision du Ministre constitue l'exercice de la prérogative royale de clémence Rejet de la demande du requérant visant à obtenir un jugement déclaratoire en vertu des art. 7 et 11 de la Charte Non-applicabilité de la Charte à la prérogative royale parce qu'elle ne met en cause aucun droit légal Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 617, 686 Code criminel, S.C. 1953-54, chap. 51, art. 596 Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, S.R.C. 1970, Appendice II, 35, art. VII, XII Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, chap. J-2, art. 2, 4a), 5a),c) Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 28 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 11d) Criminal Appeal Act, 1907 (U.K.), 7 Edw. 7, chap. 23.
Pratique Demande d'un jugement déclarant que le refus du ministre de la Justice de faire droit à une demande de nouveau procès fondée sur l'art. 617 du Code empêchait le requérant d'exercer les droits qui lui sont conférés par la Charte Celui-ci a procédé par voie d'avis de requête introductif d'instance Le redressement demandé ne pouvait être obtenu par un avis introductif d'instance Une déclara- tion produite en vertu de la Règle 400 est la procédure appropriée pour les fins de ce redressement La Cour a statué sur la demande au fond, l'intimé ne s'y étant pas opposé Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 400, 603 Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 617.
Des articles de journaux ont affirmé qu'au cours d'un procès, on avait communiqué avec des membres du jury qui a déclaré le requérant coupable. Il y est dit qu'au cours d'une pause, un agent de la GRC s'est adressé à un juré en l'informant qu'un témoin de la Couronne, bénéficiant d'une immunité pour les fins de son témoignage, serait traduit en justice de sorte que le jury ne devrait pas se préoccuper de cette question. Le procu- reur général de la province a ordonné une enquête à ce sujet, après quoi il a publié un communiqué disant que la police de Winnipeg avait terminé son enquête et soumis un rapport selon lequel les douze jurés ont été interviewés et ont nié avoir été incités par quiconque au cours du procès à déclarer Wilson coupable en raison de ses antécédents ou avoir rencontré un membre de la GRC. L'avocat de Wilson a alors écrit au ministre de la Justice, joignant à sa lettre une demande fondée sur l'article 617 du Code en vue d'obtenir un nouveau procès. Le Ministère a répondu que le Ministre ne devait exercer sa prérogative que dans des circonstances exceptionnelles lors- qu'un déni de justice a manifestement été commis. Dans une lettre subséquente, l'avocat de Wilson a suggéré au ministère de la Justice de rencontrer les journalistes et il a demandé qu'on lui permette de soumettre des observations orales au Ministre. Le ministère de la Justice a répondu qu'il ne servait à rien de rencontrer les journalistes. Le Ministre a subséquemment écrit à l'avocat de Wilson, lui faisant savoir que le présent cas ne justifiait pas son intervention. Il a reconnu qu'il avait été prouvé qu'un ou deux jurés avaient entendu à l'extérieur de la salle d'audience des commentaires défavorables à l'accusé, mais il a conclu que ceux-ci étaient insuffisants pour entraîner l'annulation du procès. Le Ministre s'est référé à l'opinion
exprimée par le juge Martin de la Cour d'appel dans l'affaire R. y. Hertrich, Stewart and Skinner (1982), 67 C.C.C. (2d) 510 (C.A. Ont.), qui a fait remarquer qu'étant rarement isolés de nos jours, les jurés peuvent faire l'objet de communications irrégulières. Le public et les tribunaux ont confiance en la capacité des membres du jury de ne pas se laisser influencer par de telles communications. Wilson a alors demandé à la Division de première instance, par voie d'avis de requête introductif d'instance, un jugement déclarant que le Ministre avait omis de tenir compte de la demande fondée sur l'article 617 du Code, niant de ce fait le droit conféré par la Charte selon lequel il ne peut être porté atteinte au droit à la liberté qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Jugement: la requête doit être rejetée. La demande de redres- sement aurait être introduite par voie de déclaration, la jurisprudence ayant décidé unanimement qu'un jugement déclaratoire ne peut être obtenu par requête introductive d'ins- tance. La question a cependant été tranchée au fond, le Minis- tre ne s'y opposant pas. La question à déterminer dans le cadre de cette requête est de savoir si la décision du Ministre de rejeter une demande visant à obtenir la clémence de la Cou- ronne et de ne pas ordonner un nouveau procès est assujettie au contrôle judiciaire. La Cour ne peut accepter l'argument selon lequel on devait distinguer la demande visant à obtenir la clémence de la Couronne prévue à l'article 617 du Code de la prérogative royale de clémence et qu'à titre de mesure législa- tive le refus d'accorder une telle demande était assujettie au contrôle judiciaire. On peut se référer à la décision du Comité judiciaire du Conseil privé dans l'affaire de Freitas v. Benny and Others, [1976] A.C. 239 (P.C.) lord Diplock fait remarquer que, selon la common law, la prérogative royale a toujours été une question relevant uniquement du pouvoir discrétionnaire du souverain en ajoutant que la clémence «n'est pas l'objet de droits légaux. Elle commence les droits légaux finissent». La Cour a conclu sans hésiter que la préroga- tive de la Couronne en matière de clémence, prévue à l'article 617 du Code était une prérogative royale de clémence. Étant un acte de clémence plutôt qu'un droit légal, cette prérogative n'est pas assujettie au contrôle judiciaire lorsqu'elle n'est pas exercée. Les articles 7 et 11 de la Charte ne s'appliquent pas non plus en l'espèce. La Charte ne s'applique pas à la question de la prérogative royale. Bien que la question soit ainsi réglée, on doit également considérer l'argument selon lequel le Minis- tre n'a pas examiné la demande équitablement. Même si le Ministre a mentionné qu'il s'était référé à l'enquête effectuée par les autorités provinciales du Manitoba, il est manifeste qu'il a procédé à un examen judiciaire complet et indépendant de l'enquête provinciale. Même s'il est vrai que la requête de l'avocat du requérant visant à présenter des observations en personne a été rejetée, il a été prouvé par affidavit que le Ministre n'a jamais eu recours à une audition pour trancher les demandes présentées en vertu de l'article 617. La procédure adoptée relève du pouvoir discrétionnaire du Ministre et n'est pas injuste. La décision du Ministre est équitable et conforme aux principes de justice fondamentale énoncés par le juge Dickson dans l'affaire Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S 602.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
de Freitas v. Benny and Others, [1976] A.C.'239 (P.C.);
Re Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Pro ceedings, [1933] R.C.S. 269; 59 C.C.C. 301; R. v. Belton (1982), 19 Man.R.(2d) 132 (C.A.); Re Balderstone et al. and The Queen (1982), 2 C.C.C. (3d) 37 (B.R. Man.), confirmé par (1983), 23 Man.R.(2d) 125 (C.A.); Marti- neau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui, [ 1980] 1 R.C.S. 602.
DÉCISIONS CITÉES:
In re Nicholson, [1975] C.F. 478 (l" inst.); In re Mac- Donald, [1975] C.F. 543 (1" inst.); La compagnie Roth- mans de Pall Mall Canada Limitée et autre c. Le minis- tre du Revenu national, et autres (N° 2), [1976] 2 C.F. 512; [ 1976] CTC 347 (C.A.); McNamara c. Caros et autre, [1978] 1 C.F. 451 (1" inst.); Rex v. Justices of Bodmin, [1947] I K.B. 321; Mercier c. Sa Majesté La Reine, [1975] C.A. 51; Frisco v. The Queen (1971), 14 C.R. 194 (Div. d'appel, B.R. Qc); Regina v. Howell, [1955] O.W.N. 883 (C.A.); Rex v. Imperial Tobacco Company of Canada Limited et al (N° 4), [1942] 1 W.W.R. 363 (Div. d'appel, C.S. Alb.); Regina v. Masuda (1953), 9 W.W.R. 375 (C.A.C.-B.); Regina v. Caldough et al (1961), 36 W.W.R. 426 (C.S.C.-B.); R. v. Hertrich, Stewart and Skinner (1982), 67 C.C.C. (2d) 510 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Sidney Green, c.r., pour le requérant. Harry Glinter pour l'intimé.
PROCUREURS:
Sidney Green, c.r., Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT NITIKMAN: Par un avis de requête introductif d'instance, le requérant demande:
[TRADUCTION] a) Un jugement déclarant que l'intimé a omis de prendre en considération la demande soumise par le requérant en date du 12 février 1982 dans la mesure ledit intimé n'a pas tenu compte du fait que son enquête a confirmé qu'au cours du procès, un membre de la Gendarme- rie royale du Canada s'est adressé à l'un des jurés et que par la suite de cette rencontre, le jury a eu l'impression que le témoin principal de la Couronne qui a déposé contre M. Wilson serait traduit en justice.
b) Un jugement déclarant que l'intimé a omis de prendre en considération la demande soumise par le requérant en date du 12 février 1982 dans la mesure l'intimé en question s'est fondé sur une enquête tenue au mois de février 1982 sous la direction de M. Roland Penner, procureur général du
Manitoba, étant donné que cette prétendue enquête était manifestement contre-productive pour ce qui concerne la question de déterminer si le requérant avait subi un procès équitable et que le procureur général a prétendu, au terme de celle-ci, clore la question par une conférence de presse alors qu'il savait que le ministre de la Justice était saisi d'une demande.
c) Un jugement déclarant que faute par l'intimé d'examiner la question en faisant bénéficier le requérant de la protection des règles de la justice naturelle, celui-ci est privé des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et en particulier de son droit à la liberté et du droit à ce qu'il n'y soit porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
En vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10],
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
La Règle 603 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] est ainsi rédigée:
Règle 603. Les procédures prévues par l'article 18 de la Loi en vue d'obtenir l'un quelconque des redressements qui y sont mentionnés, à l'exception d'une procédure contre le procureur général du Canada ou d'une procédure faite dans le but d'obte- nir un jugement déclaratoire, peuvent être engagées soit
a) sous forme d'action en vertu de la Règle 400; ou
b) par demande faite à la Cour en vertu des Règles 319 et suivantes.
et la Règle 319(1) est ainsi conçue:
Règle 319. (1) Lorsqu'il est permis de faire une demande à la Cour, à un juge ou un protonotaire, la demande doit être faite par voie de requête.
Au début de l'audience, j'ai indiqué aux avocats qu'à mon avis, la demande de redressement pré- sentée par le requérant devrait être introduite par voie de déclaration conformément à la Règle 400 et non par un avis de requête introductif d'ins- tance; à cet effet, j'ai cité les arrêts In re Nichol- son, [1975] C.F. 478 (l ie inst.); In re MacDonald, [1975] C.F. 543 (l re inst.); La compagnie Roth- mans de Pall Mall Canada Limitée et autre c. Le ministre du Revenu national, et autres (Ne 2), [1976] 2 C.F. 512; [1976] CTC 347 (C.A.); et McNamara c. Caros et autre, [1978] 1 C.F. 451
(1" inst.), toutes ces causes ayant décidé qu'un jugement déclaratoire ne peut être demandé que par une action et non par une requête introductive d'instance. En outre, l'intimé est le ministre de la Justice dans la présente action.
Cependant, après avoir entendu les arguments et comme l'avocat de l'intimé n'a pas vraiment for- mulé d'objection, laissant entendre que les faits n'étaient pas contestés, j'ai autorisé la poursuite de l'action et j'ai convenu d'examiner les questions litigieuses au fond.
Avant d'examiner les faits, je citerai l'article 576.2 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34, mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 49] (le Code) qui s'intitule «Divulgation des délibérations d'un jury» et qui est ainsi rédigé:
576.2 Est coupable d'une infraction punissable sur déclara- tion sommaire de culpabilité, tout membre d'un jury qui, sauf aux fins
a) d'une enquête portant sur une infraction prévue par le paragraphe 127(2) dont la commission est alléguée relative- ment à un juré, ou
b) de rendre témoignage dans des procédures engagées en
matière criminelle relativement à une telle infraction, divulgue quelque renseignement relatif aux délibérations du jury, alors que celui-ci ne se trouvait pas dans la salle d'au- dience, qui n'a pas été par la suite divulgué en plein tribunal.
Voici les faits qui apparaissent dans les nom- breux affidavits produits en l'espèce.
Le 30 janvier 1982, le Winnipeg Free Press a publié un reportage sous la signature de l'un de ses journalistes, Michael Ward, disant que certains membres du jury qui a conclu à la culpabilité du requérant l'ont informé d'avances et de suggestions qui leur avaient été faites au cours du procès concernant l'accusé Wilson et qu'on les avait inci- tés à le déclarer coupable; le reportage ajoute qu'un membre de la GRC qui a témoigné au procès s'était adressé, au cours de ce procès, à l'un des jurés et que ceux-ci avaient discuté de ces faits au cours de leurs délibérations. Le Globe and Mail de Toronto a également publié un reportage sous la signature de l'un de ses journalistes qui a rap porté des faits semblables à ceux qui ont été publiés dans le Winnipeg Free Press. Je n'en dirai pas davantage du compte rendu des conversations dont les détails apparaissent dans la documenta tion envoyée au ministre de la Justice à l'appui de la demande d'un nouveau procès présentée en
vertu de l'article 617 du Code. À la suite de ces publications, les services de l'avocat agissant dans la présente demande ont été retenus pour représen- ter le requérant. Il n'est intervenu à ce titre ni au cours du procès, ni devant la Cour d'appel, ni dans la demande d'autorisation d'interjeter appel pré- sentée à la Cour suprême du Canada, demande qui a été rejetée.
À la suite des articles parus dans les journaux, le procureur général du Manitoba, M. Roland Penner, a ordonné la tenue d'une enquête concer- nant lesdits articles et le 15 février 1982, on a publié un communiqué intitulé [TRADUCTION] «Objet: Jurés dans le procès de Robert Wilson». Voici une partie de ce communiqué:
[TRADUCTION] Le procureur général Roland Penner a annoncé aujourd'hui qu'il a reçu et examiné le rapport d'en- quête de la police de la ville de Winnipeg, rapport qu'il avait demandé à la suite d'un article paru dans le Winnipeg Free Press du 30 janvier 1982, qui faisait état d'irrégularités mettant en cause certains membres du jury dans le procès de Bob Wilson.
Le communiqué précise certaines des irrégularités mentionnées dans le rapport du Winnipeg Free Press et il ajoute que le rapport mentionne que l'enquête de police a comporté des entrevues avec les douze jurés au cours desquelles ceux-ci ont tous nié avoir rencontré au cours du procès des person- nes qui les auraient incités à condamner Wilson en raison de ses antécédents, les douze jurés ayant expressément et vigoureusement nié cette alléga- tion.
Le rapport portait en outre sur les prétendues conversations entre un ou des membres du jury et un ou des membres de la GRC et chacun des douze jurés a expressément nié l'existence de ces conversations. Le communiqué donne d'autres ren- seignements et ajoute que les douze jurés ont affirmé que Wilson a été déclaré coupable en bonne et due forme à la lumière de la preuve et qu'ils ont tranché le cas équitablement, en toute impartialité. Les deux derniers paragraphes du communiqué sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] M. Penner a de nouveau souligné qu'un membre d'un jury commet une infraction lorsqu'il divulgue quelque renseignement relatif aux délibérations du jury, alors que celui-ci ne se trouvait pas dans la salle d'audience, qui n'a pas été par la suite divulgué en plein tribunal. Cependant, tel qu'il l'avait décidé lorsque l'enquête a été demandée, M. Penner a fait savoir qu'aucune accusation criminelle ne serait portée contre les jurés ni contre M. Ward en raison de leurs actions dans cette affaire.
M. Penner a déclaré que même s'il est heureux du résultat de l'enquête qui a disculpé les jurés et les membres de la police de toute irrégularité, il est très contrarié par cet article de M. Ward qui a mis en doute l'intégrité de l'administration de la justice dans cette province. °J'ai l'intention d'écrire au Conseil de presse à ce sujet», a-t-il dit.
Le 12 février 1982, Sidney Green, c.r., a écrit ce qui suit au ministère de la Justice, à l'attention du ministre de la Justice:
[TRADUCTION] Monsieur le Ministre,
Objet: Sa Majesté la Reine contre Robert George Wilson— Cour d'appel du Manitoba (N° du greffe: 358/80)
Je vous fais parvenir une demande fondée sur l'article 617 du Code criminel du Canada.
Le soussigné représente Robert George Wilson, au nom de qui la demande est présentée.
À l'appui de cette demande, le soussigné aimerait pouvoir fournir des documents, notamment des éléments de preuve ou des sources auxquels le ministère de la Justice pourrait avoir accès.
Le soussigné aimerait également pouvoir faire des observations au Ministre en la matière.
Je vous saurais gré de me faire connaître vos préférences ou vos exigences quant à chacune de ces questions.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués.
[Pièce «A»]
Le 15 février 1982, M. Green a écrit au procu- reur général du Manitoba, joignant à sa lettre, à titre d'information, une copie de la demande qu'il faisait parvenir le jour même au ministre de la Justice et il a ajouté:
[TRADUCTION] J'aimerais pouvoir discuter avec vous de l'en- quête qui a été faite sous les auspices de votre Ministère concernant les allégations relatives aux divulgations aux jurés.
Je vous saurais gré de me faire savoir quand nous pourrions en discuter.
Veuillez agréer, Monsieur le procureur général, l'expression de mes sentiments distingués.
[Pièce «B»]
La demande jointe à la lettre adressée au minis- tre de la Justice fournit les détails de la déclaration de culpabilité du requérant et de la peine qui lui a été imposée. Elle est présentée au ministre de la Justice en vertu de l'article 617 du Code en vue d'obtenir la clémence de la Couronne et elle enjoint respectueusement audit Ministre d'ordon- ner par écrit un nouveau procès. La demande se
fonde sur les déclarations diffusées et publiées dans les journaux et elle ajoute ce qui suit:
[TRADUCTION] SACHEZ qu'à l'appui de la présente demande, ledit Robert George Wilson désire produire des documents, des éléments de preuve et des sources auxquels le ministre de la Justice a accès et faire des observations au Ministre.
D'autres documents ont fait suite à cette demande et le 26 février 1982, M. Green a de nouveau écrit au ministère de la Justice, à l'atten- tion du Ministre, lui disant ce qui suit:
[TRADUCTION] Monsieur le Ministre,
Objet: Sa Majesté la Reine contre Robert George Wilson— Cour d'appel du Manitoba (N° du greffe: 358/80)
Je vous ai fait parvenir une lettre recommandée en date du 12 février 1982 concernant l'affaire susmentionnée. Je vous saurais gré d'y donner suite.
Le 25 février 1982, le Winnipeg Free Press a publié un article disant que votre Ministère attendait un certain nombre de documents. On ne m'a donné aucun avis en ce sens et je vous serais reconnaissant de répondre à ma lettre afin que la pré- sente affaire puisse se régler rapidement.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués.
[Pièce «D»]
Voici le contenu d'une lettre en date du 3 mars 1982, signée par Jacques A. Demers, conseiller spécial du ministre de la Justice et adressée à M. Green:
[TRADUCTION] Monsieur,
Monsieur Jean Chrétien, ministre de la Justice, m'a demandé d'accuser réception de votre lettre du 12 février 1982 et d'y répondre; dans cette lettre, vous demandez au ministre de la Justice d'exercer, en faveur de Robert George Wilson, la prérogative qui lui est conférée par l'article 617 du Code criminel.
Vous comprendrez que le Ministre ne peut exercer un tel pouvoir discrétionnaire que dans des cas rares et irrésistibles lorsqu'une erreur judiciaire a manifestement été commise.
Comme vous le savez, la Cour d'appel du Manitoba a refusé d'annuler la déclaration de culpabilité de Wilson et la permis sion d'interjeter appel devant la Cour suprême a été refusée.
Depuis lors, M. Wilson a fait parvenir à notre Ministère une correspondance volumineuse et variée dans laquelle il a soulevé de nombreux griefs concernant les poursuites intentées contre lui et certains éléments de preuve qui ont été soumis au jury. Dans plusieurs de ces lettres, M. Wilson a demandé un nouveau procès.
Toute cette correspondance a été examinée en détail, mais jusqu'à maintenant, rien n'a été soulevé qui n'aurait pu l'être au cours du procès et en fait, la plupart des questions ont été soulevées devant le tribunal. Comme vous le savez, M. Wilson a choisi de ne présenter aucune preuve pour son propre compte.
La demande que vous avez présentée au nom de M. Wilson se fonde sur le fait que le jury ou certains membres du jury avaient subi une influence néfaste qui a eu ou a pu avoir des effets sur leurs délibérations.
Vous pouvez fournir tous les éléments qui, selon vous, appuie- ront le mieux la demande. Ces éléments peuvent prendre la forme que vous jugerez appropriée, mais je vous demanderais de présenter vos arguments et vos observations par écrit afin qu'ils puissent être examinés le plus soigneusement et le plus attentivement possible.
Vous remerciant de votre collaboration dans la présente affaire, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
[Pièce «E» ]
Il y a eu par la suite d'autres échanges de correspondance et, le 12 mars 1982, M. Green a écrit ce qui suit au bureau du ministre de la Justice et du procureur général du Canada:
[TRADUCTION] Messieurs,
Objet: Sa Majesté la Reine contre Robert George Wilson
Cour d'appel du Manitoba (N° du greffe: 358/80)
Comme suite aux lettres que je vous ai fait parvenir, je vous soumets un mémoire à l'appui de la demande d'un nouveau procès fondée sur l'article 617 du Code criminel du Canada, demande que je vous ai envoyée le 12 février 1982.
Vous remarquerez que le mémoire indique que je n'ai pas questionné en détail MM. Mike Ward et Brian Gory au sujet des reportages ils ont divulgué certains éléments des délibé- rations du jury. J'ai cependant parlé aux deux journalistes qui ont confirmé l'un et l'autre que les reportages sont exacts et se fondent sur des interviews indépendantes avec les personnes dont le nom apparaît dans ces reportages.
J'ai également dit aux deux journalistes que j'informais le ministre de la Justice que ses représentants auraient accès aux renseignements et que les journalistes en question seraient disposés à collaborer avec lesdits représentants en leur commu- niquant ces informations. Les deux journalistes se sont dit d'accord.
Je soumets donc respectueusement qu'en vertu de son droit d'enquêter en la matière, tel que prévu à l'article 617 du Code criminel, le ministre de la Justice devrait se servir des éléments de preuve et des documents justificatifs auxquels il a accès par l'entremise de ces journalistes.
J'aimerais grandement pouvoir être présent à l'entrevue entre votre Ministère et les journalistes mais bien sûr, je n'insiste pas outre mesure et je serais très heureux de savoir que les repré- sentants de votre Ministère rencontreront les journalistes.
À la suite de l'enquête suggérée en l'espèce, j'aimerais avoir la possibilité de faire des observations orales au Ministre en la matière.
Je fais parvenir des copies de la présente lettre aux deux journalistes concernés afin qu'ils puissent savoir que j'informe
le Ministre qu'ils seraient disposés à lui donner accès aux renseignements.
Espérant vous lire sous peu, je vous prie d'agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments distingués.
[Pièce «G»]
Le mémoire joint à cette lettre contient un exposé des faits dans lequel on trouve notamment le reportage intégral à la une du Winnipeg Free Press du 30 janvier 1982 sous la signature de Mike Ward, dont voici un extrait:
[TRADUCTION] À plusieurs reprises au cours du procès, le juge de la Cour du banc de la Reine qui a présidé le procès, M. Benjamin Hewak, a donné des directives au jury au sujet de leur conduite à l'extérieur du tribunal.
Voici ce qu'il leur a dit à la fin de la première journée: «À la fin de chaque journée d'audience, vous pourrez regagner votre domicile et aller n'importe pendant l'heure du déjeuner.
Je veux cependant vous avertir que vous devrez vous abstenir de discuter avec qui que ce soit des faits de la présente affaire, de la preuve que vous avez entendue ou de tout ce qui se rapporte au procès.
Si quelqu'un s'adresse à vous pour discuter de l'affaire, refusez de lui parler et si cette personne insiste, veuillez m'en avertir.
Je vous dis cependant qu'il serait préférable de ne pas discuter de la preuve entre vous avant de l'avoir entendue au complet, afin que vous n'arriviez pas à une conclusion sans avoir examiné l'ensemble de cette preuve.»
Le jury a passé une bonne partie du procès dans la salle du jury alors que les avocats de la défense et de la poursuite examinaient la jurisprudence.
Le reportage signé par Brian Gory a été publié dans le Globe and Mail de Toronto du 1e" février 1982.
Voici ce que M. Green a écrit dans son argu mentation à l'appui de la demande enjoignant au Ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'accorder au requérant un nouveau procès.
[TRADUCTION] Robert George Wilson apprend que la preuve que pourraient fournir au ministre de la Justice MM. Mike Ward et Brian Gory indique deux cas on a porté atteinte à l'intégrité des délibérations du jury au cours de son procès:
(1) Au cours du procès, des tiers ont incité des membres du jury à jeter le discrédit sur M. Wilson, et même s'il n'a jamais fait partie de la preuve au cours du procès, ce discrédit a été pris en considération par le jury lorsque celui-ci a délibéré sur la culpabilité de M. Wilson.
(2) Un juré a dit aux membres du jury qu'un témoin de la poursuite et qu'un agent de police ont discuté avec lui au cours d'une pause et lui ont dit que le témoin principal de la poursuite sur lequel la Couronne se fondait en grande partie
pour condamner Robert George Wilson et à qui on avait promis qu'il ne ferait l'objet d'aucune poursuite pour obtenir son témoignage, serait traduit en justice et que le jury n'aurait donc pas à se préoccuper de cet aspect du problème.
Nous disons respectueusement au ministre de la Justice que ces faits indiquent qu'il y a eu une atteinte grave à l'intégrité du jury et que par conséquent, suivant un principe élémentaire du droit pénal, Robert George Wilson n'a pas subi un procès équitable ni bénéficié de la protection qu'un tel procès lui aurait accordée.
L'atteinte à l'intégrité est si grave qu'elle justifie la tenue d'un nouveau procès, quelles que soient les circonstances de l'affaire. Nous ajoutons respectueusement que dans le cas présent, la violation de l'intégrité du jury a porté sérieusement atteinte au droit de l'accusé de subir un procès équitable ...
L'argumentation contient d'autres motifs, dont le suivant:
[TRADUCTION] Si le juge de première instance, la Cour d'appel ou la Cour suprême du Canada avait disposé des renseignements auxquels le ministre de la Justice a eu accès, la jurisprudence actuelle aurait fortement incité la Cour à annuler la déclaration de culpabilité et à accorder un nouveau procès.
En outre, l'argumentation mentionne de nombreux arrêts de jurisprudence, notamment Rex v. Justi ces of Bodmin, [1947] 1 K.B. 321; Mercier c. Sa Majesté La Reine, [1975] C.A., 51; Frisco v. The Queen (1971), 14 C.R. 194 [Div. d'appel, B.R. Qc]; Regina v. Howell, [1955] O.W.N. 883 [C.A.]; Rex v. Imperial Tobacco Company of Canada Limited et al (No. 4), [1942] 1 W.W.R. 363 [Div. d'appel, C.S. Alb.]; Regina v. Masuda (1953), 9 W.W.R. 375 [C.A.C.-B.]; et Regina v. Caldough et al (1961), 36 W.W.R. 426 [C.S.C.-B.].
Voici une partie de l'argumentation portant sur l'enquête faite par le procureur général du Manitoba:
[TRADUCTION] La démarche entreprise par le procureur général du Manitoba mérite certains commentaires. Celui-ci a créé une certaine confusion quant à la nature du processus qu'il a mis en marche.
La poursuite contre M. Wilson a été engagée non pas sous les auspices du procureur général du Manitoba mais plutôt sous celles du ministre de la Justice. Si la conduite du procès était attaquée ou mise en question, il appartiendrait certainement au ministre de la Justice d'examiner la question.
Rien n'indique que le ministre de la Justice ait demandé l'aide du procureur général du Manitoba. Au cours d'une conférence de presse, celui-ci a néanmoins annoncé à chacun des jurés qu'ils avaient commis une infraction criminelle. Il a en outre indiqué que le journaliste concerné avait commis une
infraction criminelle et averti les autres journalistes de ne pas faire comme lui.
Après cette annonce, le procureur général a procédé à une enquête. Je le répète une fois de plus, le but de cette enquête n'a pas été établi de façon certaine.
S'il s'agissait d'une enquête portant sur le caractère intègre du procès, alors le procureur général n'était manifestement pas justifié d'agir de la sorte, puisque le procès ne relevait pas de la compétence de la province du Manitoba. En outre, le procureur général demanderait aux jurés de commettre la même infrac tion qu'il leur avait reprochée au cours de sa première confé- rence de presse du lundi.
Si d'autre part, on procédait à une enquête sur les jurés afin de savoir s'ils avaient commis une infraction criminelle, alors il est évident qu'il n'y a eu aucun effort véritable pour déterminer si les comptes rendus des journaux étaient exacts ou non en ce qui concerne les délibérations du jury.
Le procureur général du Manitoba n'a jamais demandé à M. Ward de conférer avec ses fonctionnaires et de lui transmettre les renseignements qui ont servi de fondement aux allégations faites dans les comptes rendus des journaux.
Mike Ward a reçu la visite de deux policiers qui l'ont inculpé et lui ont servi une mise en garde. M. Gory n'a jamais été contacté par un représentant du procureur général. Le Winni- peg Free Press a manifesté publiquement le désir de mettre ses documents à la disposition du procureur général mais celui-ci a choisi de ne pas se prévaloir de cette offre.
Le ministre de la Justice peut être certain que MM. Ward et Gory sont disposés, consentants et prêts à lui fournir les élé- ments de preuve et, dans certains cas, les documents explicatifs concernant les deux articles de journaux mentionnés.
Le 27 avril 1982, M. Demers a écrit à M. Green, accusant réception des lettres des 9 et 12 mars 1982 de ce dernier et lui disant que son mémoire avait été examiné en détail. Après avoir fait mention de la conférence de presse tenue par le procureur général du Manitoba et joint une photocopie du texte du communiqué publié en même temps par ce dernier, il a poursuivi sa lettre en disant:
[TRADUCTION] Vous avez également fait mention d'éléments de preuve et de documents explicatifs qui pourraient être fournis par MM. Mike Ward et Brian Gory relativement à la présente affaire. Vous pouvez être assuré que les documents publiés dans le Winnipeg Free Press et le Globe and Mail sous la signature de ces journalistes ont eux aussi été soigneusement examinés. Si l'un ou l'autre de ces journalistes possède des renseignements ou des documents autres que les comptes rendus que vous avez reproduits dans votre mémoire et si vous croyez que ces renseignements et documents appuient la demande que vous avez présentée au nom de Robert Wilson, je vous prie de me les faire parvenir dans les plus brefs délais.
Si vous désirez présenter des arguments ou des observations additionnels, je vous saurais gré de le faire par écrit. Cela nous permettra d'étudier attentivement et d'examiner en détail tous les aspects de la présente demande pour justifier l'exercice de cette prérogative très particulière.
Vous remerciant de votre collaboration dans la présente affaire, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus distingués.
[Pièce «d»]
Il y a eu d'autres communications et le 4 juin 1982, M. Demers a écrit à M. Green, accusant réception de sa lettre du 3 mai 1982 et déclarant notamment qu'il lui semblait inutile de rencontrer les journalistes Ward et Gory pour discuter de cette affaire; il a poursuivi en disant:
[TRADUCTION] Si vous avez une connaissance précise de faits, de renseignements ou de documents en leur possession, autres que les allégations qu'ils ont présentées dans leurs articles et qui, à votre avis, appuieront la demande que vous avez présen- tée au nom de M. Wilson, n'hésitez pas à me dire de quoi il s'agit exactement et de quelle façon ces faits, renseignements ou documents éclairciront davantage les circonstances révélées par ces articles et examinées au cours de l'enquête demandée par M. Roland Penner.
Autrement, nous connaissons bien leurs allégations et nous les examinerons en tout état de cause.
J'ai pris note de vos remarques concernant l'efficacité de l'enquête tenue par le procureur général du Manitoba, mais à moins que vous n'indiquiez que vous connaissez d'autres élé- ments de preuve pertinents qui étaieraient la présente demande, les documents seront préparés pour qu'ils soient analysés et examinés par le Ministre.
[Pièce «L»]
Le 9 juin 1982, M. Green a écrit au bureau du ministre de la Justice, à l'attention du ministre de la Justice et de Jacques A. Demers, conseiller spécial, disant notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] 1. Je peux confirmer que M. Michael Ward a enregistré des conversations avec des jurés, lesquelles corrobo- rent les allégations contenues dans la demande de M. Wilson et mentionnées aux paragraphes 1 et 2, à la page 3 de la demande soumise au Ministre.
2. M. Gory a personnellement interviewé le président du jury et cette interview confirme en partie les mêmes allégations.
3. M. Penner n'a pas demandé à M. Ward ou à M. Gory de lui transmettre les renseignements qu'ils avaient obtenus et il a reconnu publiquement que la faiblesse de son enquête était due à l'absence de tels renseignements.
4. Les deux journalistes sont disposés à fournir à qui de droit, c'est-à-dire à votre Ministre, les renseignements qui n'apparais- sent pas dans l'enquête de M. Penner.
[Pièce «M»]
Le 5 juillet 1982, M. Demers a écrit ce qui suit à M. Green:
[TRADUCTION] Je vous remercie pour votre lettre du 9 juin 1982.
En ce qui concerne M. Gory, a-t-il quelque chose qui ajouterait aux allégations qu'il a avancées dans ses articles? Dans l'affir- mative, je vous prierais de nous en fournir des copies pour que
nous puissions les examiner. Quant à M. Ward, je vous prierais de nous fournir une transcription des conversations enregistrées auxquelles vous faites allusion.
La correspondance que nous échangeons commence à traîner en longueur et je vous demanderais par conséquent de fournir tout ce qui, selon vous, étaiera la demande que vous avez présentée au nom de M. Wilson. Il est inutile de demander à un représen- tant du bureau régional de Winnipeg de recevoir les renseigne- ments de MM. Ward ou Gory lorsqu'en fait, ces renseigne- ments doivent être étudiés ici même et préparés pour que le Ministre lui-même en prenne connaissance.
[Pièce «N.]
Toutes ces pièces ont été identifiées de cette façon dans l'affidavit de Clara Ruth Green de la province du Manitoba, secrétaire privée, assermen- tée le 16 juillet 1982.
Le 28 janvier 1983, M. Green a soumis un argument additionnel à l'appui de la demande qu'il avait présentée en vertu de l'article 617 du Code.
Spencer Ronald Fainstein, avocat résidant à Winnipeg (Manitoba), a déposé, pour le compte de l'intimé, un affidavit au sujet duquel il a été assermenté en date du 8 juin 1983 et dans lequel il a notamment déclaré:
[TRADUCTION] 1. Je suis membre du barreau du Manitoba et je suis employé du ministère de la Justice du Canada à Ottawa, à titre d'avocat. Depuis six ans, je fais partie de la Division du droit criminel et j'ai notamment participé à l'analyse et à la préparation des demandes fondées sur l'article 617 du Code criminel et soumises à l'examen et à la décision du ministre de la Justice.
2. Notre Ministère a reçu soixante et onze demandes au cours des années financières 1980-81 et 1981-82.
3. Au cours de la période je me suis occupé de ces questions, les ministres de la Justice ont toujours eu pour politique d'exiger et de permettre que toutes les observations faites par ou au nom de la personne faisant l'objet d'une telle demande soient présentées par écrit. Je ne connais pas d'exemple un ministre de la Justice a eu recours à une audience au cours de l'examen d'une telle demande.
Un certain nombre de lettres sont jointes à l'affidavit et cotées; parmi celles-ci, on trouve des originaux des lettres déjà mentionnées et dont on a parlé comme étant des pièces jointes à l'affidavit de Clara Ruth Green. Les lettres mentionnées dans l'affidavit de Fainstein sont les pièces «A» à «T». Je citerai certaines d'entre elles et comme dans le cas de l'affidavit de Green, je m'y référerai en indiquant simplement la lettre sous laquelle elles sont cotées au lieu de parler de [TRADUC- TION] «pièces jointes à l'affidavit de Fainstein».
Voici le contenu de la copie d'une lettre en date du 10 septembre 1982 de Douglas J. A. Ruther- ford, sous-procureur général adjoint, à M. Green:
[TRADUCTION] Monsieur,
Je vous remercie pour votre lettre du 3 septembre 1982. Je ne me rappelle vraiment pas que M. Dangerfield ait dit que la somme de 65 000 $ a été trouvée dans la maison de Wilson, et s'il l'a dit, cela ne m'a pas frappé. J'ai essayé de m'en tenir au dossier lorsque j'ai examiné les faits en l'espèce.
J'ai quitté Winnipeg le 18 août 1982 sans qu'on m'ait assuré que des bandes enregistrées seraient disponibles. Comme je vous l'ai indiqué, M. Brian Gory a confirmé qu'il ne disposait pas de notes, de bandes enregistrées ou d'autres documents concernant son article et M. Ward a finalement nié avoir de telles choses en sa possession, ajoutant que même s'il les avait, il ne coopérerait pas et ne les communiquerait pas.
Cependant, à la lumière d'une discussion que j'ai eue avec Knox Foster, c.r., qui a comparu devant la Cour fédérale à titre de représentant des deux journalistes, j'avais bon espoir que le Winnipeg Free Press pourrait aider le Ministre en lui donnant accès aux bandes enregistrées. Bien que je dise ceci, personne n'a admis, directement ou indirectement, savoir se trouve- raient pareilles bandes. Quoi qu'il en soit, lorsque je suis revenu à Ottawa, une requête écrite a été présentée en bonne et due forme à l'éditeur du Winnipeg Free Press en vue d'obtenir les bandes enregistrées ou tout autre document servant de fonde- ment à l'article de Ward. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de réponse mais je m'attends à en recevoir une sous peu.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
[Pièce «Nu]
Voici le contenu d'une lettre de M. Green adres- sée au bureau du ministre de la Justice et du procureur général du Canada en date du 1" novembre 1982:
[TRADUCTION] Monsieur,
Objet: ROBERT GEORGE WILSON—Demande fondée sur l'arti-
cle 617 du Code criminel
Je crois comprendre que vous avez maintenant reçu du Winni- peg Free Press l'enregistrement des conversations entre Mike Ward et les membres du jury qui a délibéré au cours du procès Wilson.
J'apprends en outre que les conversations confirment les rensei- gnements contenus dans le reportage de Mike Ward, renseigne- ments qui ont également été corroborés par M. Gory au cours d'une entrevue qu'il vous a accordée.
À mon avis, il ne fait aucun doute que si le juge de première instance, la Cour d'appel ou la Cour suprême du Canada avait eu accès à ces renseignements, le procès aurait été déclaré nul.
Au Manitoba, au cours des deux dernières semaines, un jury d'assises a été dissous et le procès a été déclaré nul en raison de conversations mondaines entre un membre du jury et certains témoins de la Couronne. Le procureur de la Couronne et l'avocat de l'accusé ont demandé au juge Peter Morse de déclarer le procès nul, ce qu'il a fait.
Un député a été déclaré coupable d'une infraction frappée d'une peine d'emprisonnement minimale de sept ans. Il semble qu'il n'ait pas eu droit au genre de procès qu'une société exige pour protéger chacun de ses citoyens. La Couronne ne subirait absolument aucun préjudice si M. Wilson bénéficiait d'un tel procès. J'ai aussi la nette impression que si un tel procès avait lieu, M. Wilson témoignerait. La société ne subirait aucun préjudice si M. Wilson bénéficiait d'un nouveau procès tandis que nous serions tous perdants si un tel procès n'avait pas lieu.
Je prétends respectueusement qu'à la lumière des informations dont nous disposons maintenant, l'administration de la justice au Canada serait marquée d'une tache indélébile si on laissait M. Wilson purger sa peine.
Je dis respectueusement qu'il s'agit d'un cas je devrais, tout au moins, pouvoir soumettre des observations orales au Minis- tre de façon à ce que celui-ci ne fonde pas sa décision sur une question qui est demeurée obscure en raison d'un manque de communication.
[Pièce GOu]
Voici le contenu de la copie d'une lettre de M. Rutherford à M. Green en date du 17 novembre 1982:
[TRADUCTION]
Objet: Robert George Wilson—Demande fondée sur l'article 617 du Code criminel
Monsieur,
J'accuse réception de votre lettre du Zef novembre 1982 et je vous en remercie.
Je continue d'accorder une très grande importance à la pour- suite des enquêtes faites au nom du Ministre en ce qui concerne la présente demande, et j'espère être en mesure de la soumettre à l'attention du Ministre dans les plus brefs délais.
Votre demande visant à présenter des observations orales au Ministre lui sera également soumise. Je vous remercie de votre collaboration soutenue dans la présente affaire.
[Pièce «P»]
Voici le contenu de la copie d'une autre lettre de M. Rutherford à M. Green en date du 12 janvier 1983 et portant la mention [TRADUCTION] «Confidentiel»:
[TRADUCTION]
Objet: Robert George Wilson—Demande fondée sur l'article 617 du Code criminel
Monsieur,
Faisant suite à la lettre que je vous ai adressée en date du 10 septembre 1982, j'ai continué d'insister pour obtenir des docu ments du Winnipeg Free Press et, le 20 octobre 1982, j'ai enfin reçu ce qui est censé être des extraits des conversations entre le journaliste Mike Ward et les jurés C.L. Forscutt et Tony McWha. J'ai continué de tenter d'obtenir d'autres documents du Winnipeg Free Press et, le 15 novembre 1982, j'ai reçu ce qui est censé être des extraits des conversations entre le journa- liste Ward et les jurés Wightman, Pommer et Morash.
Par la suite, l'avocat du journal m'a assuré qu'il avait fourni tous les renseignements pertinents en la possession de son client.
Comme je vous l'ai déjà dit, M. Gory, qui a signé le compte rendu du Globe and Mail, m'a fait savoir qu'il n'avait pas de notes ni d'autres documents concernant l'article.
Après avoir reçu lesdits documents, j'ai fait en sorte que chacun des jurés soit questionné au sujet des déclarations qui lui étaient attribuées et au sujet des allégations générales relatives aux influences extérieures qui ont pu avoir un effet sur le jury au cours du procès de Wilson.
Je pense qu'étant donné les circonstances particulières et la nature de ces enquêtes, il serait dans l'intérêt de la justice que vous ayez accès aux documents obtenus pour le compte du Ministre afin que vous puissiez présenter les observations que vous jugez appropriées à la lumière des renseignements actuels. Vous devriez savoir que le Winnipeg Free Press a fourni les documents relatifs aux conversations entre Ward et les cinq jurés à la condition que notre Ministère fasse l'impossible pour que ces documents demeurent confidentiels. En outre, malgré les précautions qui ont été prises, les renseignements dévoilent, jusqu'à un certain point, les délibérations confidentielles du jury qui, selon le droit applicable et pour les fins du bon fonctionnement des tribunaux canadiens, doivent être exami nées et protégées avec le plus grand soin afin d'éviter qu'elles soient rendues publiques sans raison valable. Par conséquent, même si, à mon avis, il est nécessaire dans le présent cas que vous preniez connaissance des renseignements qui sont mainte- nant disponibles, je vous demanderais de n'y avoir recours que pour présenter des arguments concernant la présente demande.
Je joins aux présentes les documents suivants:
1) des copies d'extraits de conversations entre le journaliste Mike Ward et les jurés Forscutt, McWha, Wightman, Pommer et Morash;
2) des transcriptions des enregistrements des entrevues qu'a eues l'inspecteur A. Lagasse de la GRC avec les douze jurés, pour le compte du ministre de la Justice;
3) une copie du rapport subséquent de l'inspecteur Lagasse en date du 7 janvier 1983, portant sur des commentaires précis de certains jurés.
Si j'ai bonne mémoire, vous avez en votre possession une copie du rapport d'enquête préparé par la police de la ville de Winnipeg, y compris les déclarations écrites obtenues des douze jurés le printemps dernier.
J'aimerais connaître les observations que vous désirez présenter, à la lumière de l'ensemble de la preuve, au sujet des mesures qui, selon vous, devraient être prises en vertu de l'article 617 du Code criminel.
[Pièce «Q»)
Voici le contenu d'une lettre de M. Green adres- sée au bureau du ministre de la Justice et du procureur général du Canada en date du 28 jan- vier 1983:
[TRADUCTION) Monsieur,
Objet: ROBERT GEORGE WILSON—Demande fondée sur l'arti- cle 617 du Code criminel
En réponse à votre lettre du 12 janvier 1983, je joins à la présente un argument additionnel à l'appui de la demande présentée par Robert George Wilson.
J'espère que vous trouverez cet argument pertinent.
[Pièce «Rn]
Une autre lettre de M. Green, en date 28 janvier 1983, adressée au bureau du ministre de la Justice et du procureur général du Canada, à l'attention du ministre de la Justice et de M. Douglas J. A. Rutherford, c.r., est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Monsieur,
Objet: ROBERT GEORGE wILSON—Demande fondée sur l'arti- cle 617 du Code criminel
Faisant suite à la lettre que je vous ai fait parvenir ce même jour, je vous informe que j'ai parlé à M. Bob Wilson et lui ai dit que M. Vern Pommer a nié le connaître.
M. Wilson prétend que M. Pommer et lui ont travaillé ensem ble dans le même secteur pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. Il affirme que même s'il n'a pas reconnu immédiatement M. Pommer comme étant un collègue de tra vail, il est maintenant convaincu qu'il s'agit de la même per- sonne avec qui il a travaillé à ladite compagnie il y a quelques années.
Il ajoute que M. Pommer et lui se sont connus et que celui-ci ne pourrait prétendre qu'il ne l'a jamais rencontré.
Je présume qu'on pourrait facilement vérifier auprès de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada s'ils ont déjà travaillé ensemble.
J'espère que vous prendrez en considération ce renseignement additionnel.
[Pièce «S.]
Voici le contenu de la lettre portant l'en-tête du ministre de la Justice et du procureur général du Canada, que M. Mark MacGuigan, ministre de la Justice, a adressée, en date du 19 avril 1983, M. Green:
[TRADUCTION] Monsieur,
J'ai eu l'occasion d'examiner la demande que vous avez soumise le 12 février 1982 pour le compte de Robert George Wilson en vertu de l'article 617 du Code criminel.
Outre les arguments de fond que vous avez présentés par écrit, j'ai eu l'occasion d'examiner les renseignements tirés de l'en- quête tenue au mois de février 1982 sous la direction de M. Roland Penner, procureur général du Manitoba, ainsi que les renseignements recueillis au cours des enquêtes faites à ma demande au cours des derniers mois.
Même s'il ressort de la preuve qu'un ou deux membres du jury ont été exposés, à l'extérieur de la salle d'audience, à des commentaires qui étaient défavorables à l'accusé, ces faits ne sont pas, à mon avis, suffisants pour entraîner l'annulation du procès et des verdicts. Comme l'a déclaré le juge d'appel Martin dans l'affaire R. v. Hertrich, Stewart and Skinner (1982), 67 C.C.C. (2d) 510:
«De nos jours, les jurés sont rarement isolés, même dans les cas les plus graves, à moins de circonstances spéciales justi- fiant l'isolation. Cette mesure constitue, bien sûr, un fardeau pour les jurés, particulièrement au cours des longs procès. La liberté plus grande dont les jurés bénéficient maintenant les expose cependant au genre de communications qui sont survenues en l'espèce. Le public et les tribunaux ont néan- moins suffisamment confiance en l'intégrité des jurés et en leur capacité de ne pas se laisser influencer par la communi cation de renseignements préjudiciables, de sorte qu'une telle communication irrégulière n'entraîne pas nécessairement l'annulation du procès.»
Après avoir soigneusement examiné l'ensemble des circons- tances, je suis convaincu que dans le présent cas, les jurés ont fait preuve d'intégrité, comme on le leur demande, et qu'ils ont rendu leur verdict en tenant compte de la preuve qui leur a été soumise. Il ne s'agit pas d'un cas qui exige que j'intervienne en vertu des dispositions de l'article 617.
J'aimerais vous remercier pour vos arguments étoffés et pour votre collaboration aux enquêtes faites dans le cadre de la présente demande, ce qui m'a permis de bien examiner les circonstances du présent cas.
[Pièce «T»]
Je me propose d'examiner tout d'abord ce que j'estime être la question la plus importante dans la présente requête, soit de savoir si la Cour peut réviser la décision par laquelle le ministre de la Justice (le Ministre) a rejeté la demande du requé- rant visant à obtenir la clémence de la Couronne et la sollicitation adressée audit Ministre, le priant d'ordonner par écrit un nouveau procès en faveur du requérant.
L'article 617 du Code prévoit ce qui suit:
617. Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d'accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la Partie XXI, le ministre de la Justice peut
a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d'une personne condamnée à la déten- tion préventive, une nouvelle audition devant toute cour qu'il juge appropriée si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audi tion, selon le cas, devraient être prescrits;
b) à toute époque, renvoyer la cause devant la cour d'appel pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas; ou
c) à toute époque, renvoyer devant la cour d'appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l'assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.
Mise à part la mention de «sentence de détention préventive» imposées en vertu de la Partie XXI,
l'article 617 se compare à l'ancien article 596 [des S.C. 1953-54, chap. 51]. Voir Martin's Criminal Code 1955, la page 911, l'auteur écrit ce qui suit au sujet de l'article 596:
[TRADUCTION] 11 s'agit de l'ancien par. 1022(2) reformulé sans modification substantielle. Il correspond aux al. 19a) et b) de la Loi anglaise de 1907.. .
L'article 686 du Code intitulé «Prérogative royale» est ainsi rédigé:
686. Rien dans la présente loi ne limite ni n'atteint, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté.
Les Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, qui ont pris effet le l er octobre 1947, S.R.C. 1970 [Appendice II, 35], prévoient notamment:
«GEORGE R.»
CANADA
George VI, par la grâce de Dieu, roi de Grande-Bretagne, d'Irlande et des territoires britanniques au-delà des mers, défenseur de la foi.
[SCEAU]
A tous ceux qui les présentes verront,
SALUT:
Considérant que, par certaines lettres patentes sous le Grand Sceau, datées, à Westminster, du vingt-troisième jour de mars 1931. feu Sa Majesté le roi George V a constitué, ordonné et déclaré qu'il devrait y avoir un gouverneur général et comman dant en chef dans et sur le Canada, et que la personne remplissant ladite charge de gouverneur général et comman dant en chef devrait être nommée, à l'occasion, par une com mission sous les seing et sceau royaux;
Considérant qu'à Saint-James, le vingt-troisième jour de mars 1931, feu Sa Majesté le roi George V a fait remettre sous les seing et sceau royaux certaines instructions au gouverneur général et commandant en chef;
Et considérant qu'il Nous plaît de révoquer lesdites lettres patentes et instructions et de les remplacer par d'autres dispositions;
A ces causes, Nous révoquons et terminons, par les présentes, lesdites lettres patentes et tout ce qu'elles renferment, ainsi que toutes leurs modifications, et lesdites instructions, mais sans préjudice des actes validement accomplis sous leur régime:
Et Nous déclarons...
Les articles VII et XII sont ainsi rédigés:
vu. Et considérant que, par les Actes de l'Amérique du Nord britannique, de 1867 à 1946, il est prévu, entre autres choses, qu'il Nous sera loisible, si Nous le jugeons à propos, d'autoriser Notre gouverneur général à nommer une ou plu- sieurs personnes, conjointement ou séparément, pour agir comme son ou ses suppléants dans quelque partie ou toutes parties du Canada, et exercer, en cette qualité, durant le plaisir
de Notre gouverneur général, les pouvoirs, attributions et fonc- tions de Notre gouverneur général que celui-ci jugera néces- saire ou opportun d'assigner à ce ou ces suppléants, sous réserve de toutes restrictions ou instructions formulées ou communi quées, au besoin, par Nous: A ces causes, Nous autorisons par les présentes Notre gouverneur général, sous réserve des restric tions et instructions susmentionnées, à nommer une ou plu- sieurs personnes, conjointement ou séparément, pour agir comme son ou ses suppléants, dans quelque partie ou toutes parties du Canada et exercer en cette qualité, durant son plaisir, les pouvoirs, attributions et fonctions de Notre gouver- neur général que celui-ci jugera nécessaire ou opportun d'assi- gner à ce ou ces suppléants. Toutefois, la nomination de ce ou ces suppléants ne doit pas porter atteinte à l'exercice de l'un quelconque de ces pouvoirs, attributions ou fonctions par Notre gouverneur général en personne.
XII. Et Nous autorisons en outre Notre gouverneur général, selon qu'il le jugera opportun, en Notre nom et pour Nous, lorsqu'un crime ou une infraction aux lois du Canada a été commise pour laquelle le délinquant peut subir un procès en vertu desdites lois, à gracier tout complice, à l'égard de ce crime ou de cette infraction, qui fournira des renseignements pouvant amener la condamnation du délinquant principal, ou de l'un quelconque de ces délinquants, s'il y en a plusieurs; et de plus à accorder à tout délinquant déclaré coupable de tel crime ou infraction devant n'importe quel tribunal, ou devant n'im- porte quel juge, juge de paix ou magistrat administrant les lois du Canada, un pardon, soit libre, soit sujet à des conditions licites, ou un sursis à l'exécution de la sentence de ce délin- quant, pendant la période que Notre gouverneur général pourra juger pertinente, et à faire remise de toute amende, peine ou confiscation qui peut Nous devenir due et payable. Et Nous mandons et ordonnons que Notre gouverneur général n'accorde aucune grâce ni aucun sursis à un tel délinquant sans avoir préalablement obtenu, dans les cas de peine de mort, l'avis de Notre Conseil privé pour le Canada et, dans d'autres cas, l'avis d'au moins un de ses ministres.
Dans la Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, chap. J-2, l'article 2, et les alinéas 4a), 5a) et 5c) prévoient ce qui suit:
2. (1) Est établi un ministère du gouvernement du Canada, appelé ministère de la Justice, auquel préside le ministre de la Justice du Canada nommé par commission sous le grand sceau.
(2) Le ministre de la Justice est d'office procureur général de Sa Majesté au Canada; il occupe sa charge à titre amovible et a la gestion et la direction du ministère de la Justice.
4. Le ministre de la Justice
a) est le conseiller juridique officiel du gouverneur général et le jurisconsulte du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada;
5. Les attributions du procureur général du Canada sont les suivantes:
a) il est revêtu des attributions et chargé des fonctions qui sont attachées à la charge de procureur général d'Angleterre par la loi ou par l'usage, en tant qu'elles sont applicables au Canada, ainsi que des attributions et fonctions qui, par les lois des diverses provinces, relevaient de la charge de procu- reur général de chaque province jusqu'à l'époque de l'entrée en vigueur de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, en tant que ces lois, en vertu des dispositions de ladite loi, sont administrées et appliquées par le gouvernement du Canada;
c) il est chargé d'établir et d'autoriser toutes les pièces émises sous le grand sceau;
Dans la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, l'article 28, intitulé «Définitions», contient les définitions suivantes:
28. .. .
«gouverneur», «gouverneur du Canada» ou »gouverneur général» désigne le gouverneur général du Canada à l'époque considé- rée, ou tout autre chef exécutif ou administrateur alors chargé d'exercer le gouvernement du Canada pour le compte et au nom du souverain, quel que soit le titre sous lequel il est désigné;
»gouverneur en conseil» ou »gouverneur général en conseil» désigne le gouverneur général du Canada ou la personne exerçant alors le gouvernement du Canada, agissant sur et avec l'avis du Conseil privé de la Reine pour le Canada, ou sur et avec l'avis et du consentement dudit Conseil ou de concert avec ce dernier;
«Sa Majesté», «la Reine», «le Roi» ou »la Couronne» désigne le souverain du Royaume-Uni, du Canada et de Ses autres royaumes et territoires, et chef du Commonwealth;
L'avocat du requérant a fait valoir que la demande visant à obtenir la clémence de la Cou- ronne prévue à l'article 617 différait de la préroga- tive royale du droit de grâce puisqu'elle se fondait sur une disposition législative et qu'elle était par conséquent assujettie au contrôle judiciaire. Je ne suis pas prêt à souscrire à la distinction établie par l'avocat.
Dans «An Act to establish a Court of Criminal Appeal and to amend the Law relating to Appeals in Criminal Cases» [Criminal Appeal Act, 1907 (U.K.), 7 Edw. 7, chap. 23], loi qui a été adoptée le 28 août 1907 et publiée dans The Law Reports, The Public General Statutes passed in the seventh year of the reign of Mis Majesty King Edward the Seventh, à la page 99, le droit de grâce est prévu à l'article 19 sous la rubrique [TRADUCTION] «Dis- positions additionnelles» et il prévoit ce qui suit:
[TRADUCTION] 19. La présente loi ne modifie en rien le droit de grâce, mais le secrétaire d'État peut en tout temps, s'il le juge à propos, lorsqu'il est saisi d'une pétition visant à obtenir la grâce de Sa Majesté, et lorsqu'il s'agit de la condamnation d'une personne à la suite d'une mise en accusation ou d'une peine (autre qu'une peine de mort) imposée à une personne ainsi condamnée,—
a) référer le tout à la Cour d'appel en matière criminelle qui entendra et tranchera la cause comme s'il s'agissait d'un appel interjeté par une personne déclarée coupable; ou,
b) s'il désire s'adresser à la Cour d'appel en matière criminelle concernant un point en litige aux fins de tran- cher la pétition, soumettre ce point en litige à ladite Cour pour obtenir son avis, et celle-ci doit examiner ce point et faire connaître son avis au secrétaire d'État.
Dans l'ouvrage intitulé The Constitutional His tory of England écrit par F. W. Maitland en 1913, l'auteur déclare ce qui suit à la page 480, au paragraphe 3, sous la rubrique [TRADUCTION] «Gouvernement et justice»:
[TRADUCTION] ... sur le plan juridique, la Couronne possède un pouvoir considérable en matière de poursuite criminelle. (i) Elle peut pardonner un crime avant ou après une condamna- tion. Le secrétaire d'État (ministre de l'Intérieur) exerce ce pouvoir au nom du roi.
L'auteur ajoute ce qui suit sur la même page [également au sous-paragraphe 3(i)]:
[TRADUCTION] Le pouvoir légal d'accorder un pardon est en fait très étendu. Le contrôle de ce pouvoir n'est pas prévu par la loi mais le secrétaire du roi peut devoir rendre compte devant la Chambre des communes de l'exercice de ce pouvoir.
Dans l'ouvrage intitulé Halsbury's Laws of England, 4e édition [Vol. 8: Constitutional Law], voici une partie de ce qui est écrit au paragraphe 949 sur le pardon et le sursis:
[TRADUCTION] La Couronne possède le droit exclusif d'accor- der des pardons, un privilège qu'aucune autre personne ne peut exercer par octroi ou par prescription. Ce droit est habituelle- ment délégué aux gouverneurs et aux gouverneurs généraux des colonies, même si, ce faisant, le souverain ne se dessaisit pas entièrement de cette prérogative ... [Références omises.]
Voici une partie de ce qui est écrit au paragraphe 824 du volume 6 [Commonwealth and Dependen cies] de la même édition, en ce qui concerne l'autorité constitutionnelle des gouverneurs géné- raux:
[TRADUCTION] L'autorité du représentant de la Couronne s'étend, même sans délégation expresse, mais sous réserve de son mandat et de toutes autres dispositions législatives ou constitutionnelles, à l'exercice de la prérogative royale dans la mesure elle s'applique aux affaires internes du membre, État ou province, conformément au système constitutionnel du par-
tage des pouvoirs législatifs et exécutifs au sein du membre en question. Au Canada, le gouverneur général exerce toutes les prérogatives internes ou externes de la Couronne ... [Référen- ces omises.]
Il apparaît donc clairement que le gouverneur général peut exercer le droit de grâce de Sa Majesté en raison des Lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada, et l'effet est le même que si cette prérogative était exercée par Sa Majesté. Dans l'affaire de Freitas v. Benny and Others, [1976] A.C. 239 (P.C.), le sommaire est ainsi rédigé la page 240]:
[TRADUCTION] Le 21 août 1972, l'appelant a été déclaré coupable de meurtre par la Cour suprême de Trinidad et Tobago et il a été condamné à la peine capitale. Le 17 avril 1973, la Cour d'appel a rejeté l'appel de sa condamnation et une pétition visant à obtenir une autorisation spéciale d'interje- ter appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé a été rejetée le 12 décembre 1973. Le 20 décembre 1973, l'appelant s'est adressé à la Haute Cour pour obtenir notamment un jugement déclarant que l'application de la peine capitale viole- rait à son égard les droits de la personne reconnus par l'alinéa la) et protégés par l'alinéa 2b) du Décret de 1962 (Constitu- tion) de Trinidad et Tobago. Le 15 février 1974, la Haute Cour a rejeté sa demande, décision qui a été confirmée par la Cour d'appel le 30 avril 1974.
À la suite de l'appel interjeté par l'appelant devant le Comité judiciaire, il a été décidé ce qui suit:—
Arrêt: l'appel est rejeté pour le motif (1) que l'application, qui relève de l'exécutif, d'une peine capitale prononcée par une cour de justice était autorisée par une loi qui était en vigueur au moment de l'adoption de la Constitution et l'article 3 de la Constitution empêchait par conséquent l'appelant de prétendre qu'un tel acte annulait, réduisait ou violait l'un quelconque de ses droits ou libertés reconnus et établis par l'article 1 ou spécifiés à l'article 2 (ci-après, pp. 224F-H, 246c).
(2) Que l'appelant n'avait aucun droit légal d'exiger qu'on lui divulgue les documents fournis au comité consultatif et au Ministre, documents à partir desquels ce dernier a donné son avis au gouverneur général quant à l'exercice du droit de grâce, car l'exercice de la prérogative royale était une fonction unique- ment discrétionnaire (ci-après, p. 2480-F) et non quasi judiciaire.
Jugement de la Cour d'appel de Trinidad et Tobago con firmé. [Renvoi omis.]
Voici ,ce qu'a déclaré lord Diplock, au nom du Comité judiciaire du Conseil privé, à la page 247:
[TRADUCTION] À moins qu'elle n'ait été modifiée par la Constitution, la nature juridique de l'exercice du droit de grâce à Trinidad et Tobago demeure identique à ce qu'elle était en Angleterre sous le régime de la common law. Selon la common law, le droit de grâce a toujours été une question relevant uniquement du pouvoir discrétionnaire du souverain qui, con- formément à une convention constitutionelle, exerce ce pouvoir en Angleterre sur l'avis du ministre de l'Intérieur à qui Sa Majesté a délégué son pouvoir discrétionnaire. La clémence
n'est pas l'objet de droits légaux. Elle commence les droits légaux finissent. Une personne condamnée n'a même pas le droit légal de soumettre son cas au ministre de l'Intérieur en ce qui concerne l'exercice du droit de grâce. En donnant son avis au souverain, le ministre de l'Intérieur accomplit un acte qui est souvent cité comme le parfait exemple d'un acte purement discrétionnaire par contraste avec l'exercice d'une fonction quasi judiciaire. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Re Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings (C.S.C., 29 mars 1933), [[19331 R.C.S. 269]; 59 C.C.C. 301, le sommaire [du C.C.C.] est rédigé en partie comme suit la page 301 du C.C.C.]:
[TRADUCTION] En exerçant la prérogative royale du droit de grâce, le gouverneur général peut libérer un détenu avant la fin de sa peine sans son consentement.
Le juge en chef Duff a prononcé le jugement de la Cour qui commence ainsi la page 302 du C.C.C.]:
[TRADUCTION] Nous devons donner notre avis en réponse à certaines questions qui nous sont adressées par Son Excellence le gouverneur général en conseil.
Quatre questions ont été adressées à la Cour. Au sujet des questions en général, le juge en chef Duff a déclaré ce qui suit à la page 302 [C.C.C.]:
[TRADUCTION] Généralement parlant, ces questions portent sur l'effet de l'élargissement, par un acte de clémence dans le cadre de l'exercice de la prérogative royale, d'un détenu qui purge une peine à la suite d'une infraction criminelle.
Je me propose d'examiner uniquement la question 1 au sujet de laquelle le juge en chef a déclaré ce qui suit à la page 303 [C.C.C.]:
[TRADUCTION] Nous devons considérer la question I comme étant celle de savoir si l'acte de clémence qui consiste à libérer un détenu avant la fin de sa peine peut être valide et exécutoire en droit sans son consentement. La réponse à la question ainsi posée est affirmative.
Le juge en chef ajoute aux pages 304 et 305 [C.C.C.]:
[TRADUCTION] La nature de la prérogative est, à notre avis, bien expliquée par Dicey on Law of the Constitution, édition, p. 420:—
«Considérée du point de vue historique, et dans les faits, la "prérogative" semble n'être rien d'autre que le résidu d'un pouvoir discrétionnaire ou arbitraire qui, en tout temps, appar- tient légalement à la Couronne. À l'origine, le roi représentait vraiment ce que son nom indique toujours, c'est-à-dire "le souverain" ou s'il n'était pas à proprement parler le "souve- rain" au sens les juristes utilisent ce terme, il était de loin l'élément le plus important du pouvoir souverain.»
En vertu des directives adressées à son Excellence, celui-ci doit, avant d'accorder la grâce ou un sursis à un criminel, tenir
compte tout d'abord, dans les affaires comportant la peine capitale, de l'avis du Conseil privé et dans les autres cas, de l'avis d'au moins un de ses ministres; de nos jours, ces avis sont, bien sûr, donnés sous réserve de l'obligation du Conseil ou des ministres de rendre compte à la Chambre des communes. Une phrase des motifs du jugement que le juge Holmes prononçait au nom de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Biddle, Warden v. Perovich (1927), 274 U.S. 480, la p. 486, s'applique également à l'exercice du droit de grâce au Canada. Au dire de cet éminent juge, «le pardon fait partie du système constitutionnel. En accordant un pardon, l'autorité suprême décide qu'il est dans l'intérêt public d'infliger une peine moin- dre que celle qui résulte du jugement.»
Nous croyons qu'il serait contraire à cette conception de la nature de la prérogative en question de considérer un pardon inconditionnel comme étant, du point de vue du droit, dans la même catégorie qu'un acte de bienfaisance émanant d'un particulier.
Il faut remarquer que dans certains passages de son jugement, lorsqu'il est question de la préroga- tive, le juge en chef Duff parle de prérogative royale. Le gouverneur général en conseil a adressé le renvoi à la Cour suprême en vertu d'une disposi tion législative et je n'hésite aucunement à affir- mer que le droit de grâce de la Couronne prévu à l'article 617 du Code constitue une prérogative royale et qu'il s'agit en fait d'une demande visant à bénéficier de la prérogative royale du droit de grâce; comme l'a déclaré lord Diplock dans l'af- faire de Freitas, précitée: «La clémence n'est pas l'objet de droits légaux. Elle commence les droits légaux finissent», et selon les termes du juge en chef Duff dans l'affaire Re Royal Prerogative, il s'agit d'«un acte de bienfaisance».
N'étant pas un droit légal mais un acte de clémence, cette prérogative ne peut être légale- ment mise en question par le requérant. En vertu de l'article 617, le Ministre agit à titre de conseil- ler du gouverneur général. S'il conclut que la demande visant à obtenir un nouveau procès est recevable, il en informe le gouverneur général qui rendra alors une ordonnance à cet effet à titre de gouverneur général en conseil et il s'agira d'une ordonnance du Conseil privé prévoyant un nouveau procès. Mais la décision appartient en premier lieu au Ministre et son rejet de la demande visant à obtenir la clémence de la Couronne ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.
Le requérant a en outre soutenu qu'il avait droit à un redressement en vertu de l'article 7 et de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] (la Charte) qui sont ainsi rédigés:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
11. Tout inculpé a le droit:
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupa- ble, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
Je suis convaincu que la Charte et les articles cités ne s'appliquent pas en l'espèce. Comme je l'ai déjà fait remarquer, il n'y a pas de droit légal en cause. La Charte ne s'applique pas à la question de la prérogative royale. De nombreuses causes de jurisprudence ont déjà examiné l'effet de l'article 7 et de l'alinéa 11d) de la Charte et il serait inutile de répéter ce qui a déjà été dit dans ces arrêts et je me propose donc de n'en examiner que deux: R. y. Belton (1982), 19 Man.R.(2d) 132 (C.A.) et Re Balderstone et al. and The Queen (1982), 2 C.C.C. (3d) 37 (B.R. Man.).
Dans l'affaire Belton, le juge d'appel Monnin (maintenant juge en chef du Manitoba) a déclaré ce qui suit à la page 137:
[TRADUCTION] Plusieurs tribunaux ont examiné l'applicabi- lité de la Constitution canadienne de 1982 depuis son entrée en vigueur. Celle-ci doit être interprétée libéralement mais il faut se rappeler qu'elle n'a pas fait table rase et que le législateur connaissait manifestement les principes de droit fondamentaux qui étaient appliqués dans ce pays bien avant l'adoption de la Charte.
Dans l'affaire Balderstone, le juge Scollin s'ex- prime ainsi aux pages 46 et 47:
[TRADUCTION] La Charte ne fait pas abstraction du passé et elle tient compte de la réalité. Dans l'affaire Re Potma and The Queen (1982), 67 C.C.C. (2d) 19, aux pp. 27 et 28, 136 D.L.R. (3d) 69, la p. 77, 37 O.R. (2d) 189, aux pp. 200 et 201, voici ce que le juge Eberle a déclaré:
J'ai dit auparavant que la Charte n'a pas fait table rase. Notre pays possède un système juridique élaboré et bien établi, qui comprend un grand nombre de présomptions en faveur d'un accusé. Nous disposons d'un ensemble de princi- pes et de concepts juridiques, relatifs aux règles de fond et de procédure, ainsi qu'un système judiciaire chargé d'appliquer cet ensemble de règles aux affaires quotidiennes. Il est impensable que les dispositions de la Charte qui sont en cause visent à anéantir d'un seul coup de plume, même s'il s'agit d'une plume royale, l'ensemble des lois et du système judiciaire de notre pays.
C'est la richesse de cette longue tradition juridique qui confère une grande valeur aux garanties elles-mêmes et nous assure que la Charte ne deviendra pas un instrument dont s'approprierait une oligarchie judiciaire pour gouverner ... mais les restric tions imposées par les législatures élues ou par les règles de fond et de procédure établies de notre common law ne sauraient allègrement être considérées comme étant incompatibles avec l'art. 1 ou comme non conformes aux principes de la justice fondamentale. [C'est moi qui souligne.]
Le 12 septembre 1983, la Cour d'appel du Manitoba a rejeté l'appel de la décision du juge Scollin dans l'affaire Balderstone [Balderstone v. R. et al. (1983), 23 Man.R.(2d) 125 (C.A.)]. Il s'ensuit par conséquent que l'argument du requé- rant fondé sur la Charte ne modifie pas ma déci- sion antérieure. La décision du Ministre ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.
Bien que la question soit ainsi réglée, je me propose d'examiner également l'argument du requérant selon lequel le Ministre n'a pas examiné la demande équitablement. Le premier point por- tait que le Ministre a été indûment influencé par les renseignements tirés de l'enquête tenue sous la direction du procureur général du Manitoba et que lorsque celui-ci a ordonné la tenue de l'enquête, il n'avait pas compétence pour vérifier le caractère intègre du procès et son résultat. [TRADUCTION] «Si d'autre part, on procédait à une enquête sur les jurés afin de savoir s'ils avaient commis une infrac tion criminelle, alors il est évident qu'il n'y a eu aucun effort véritable pour déterminer si les comp- tes rendus des journaux étaient exacts ou non en ce qui concerne les délibérations du jury.»
Bien que le Ministre ait mentionné qu'il avait eu l'occasion d'examiner les renseignements décou- lant de l'enquête tenue par le procureur général du Manitoba, il faut remarquer que dans sa lettre rejetant la demande d'un nouveau procès, il a indiqué que les renseignements obtenus du procu- reur général s'ajoutaient aux très nombreuses observations faites par écrit par l'avocat du requé- rant ainsi qu'aux renseignements que le Ministre avait recueillis au cours des enquêtes faites à sa demande [TRADUCTION] «au cours des derniers mois». Une partie de ces renseignements apparaît dans les différents documents cités dans les pré- sents motifs et ils indiquent que le Ministre a procédé à un examen judiciaire complet et indé- pendant de l'enquête faite par le procureur général
du Manitoba et je suis incapable de souscrire à cet argument du requérant.
Il ressort en outre de la correspondance que dans l'une des requêtes qu'il a présentées, l'avocat du requérant demandait d'avoir la possibilité de faire des observations en personne au Ministre, ce qui lui a été refusé. On remarquera que d'après l'affidavit de Spencer Ronald Fainstein, précité, le ministère de la Justice a reçu soixante et onze demandes fondées sur l'article 617 du Code au cours des exercices financiers 1980-81 et 1981-82 et qu'il ne connaît pas d'exemple un ministre de la Justice a procédé à une audience en vue de trancher une telle demande. La décision d'autori- ser ou non une audience était à la discrétion du Ministre et son refus n'est certainement pas, à mon avis, un acte injuste.
En examinant l'ensemble des documents dont je suis saisi, je ne peux faire autrement que conclure que le Ministre a agi équitablement en décidant de rejeter la demande. Les deux derniers paragraphes de sa lettre sont ainsi rédigés:
Après avoir soigneusement examiné l'ensemble des circons- tances, je suis convaincu que dans le présent cas, les jurés ont fait preuve d'intégrité, comme on le leur demande, et qu'ils ont rendu leur verdict en tenant compte de la preuve qui leur a été soumise. Il ne s'agit pas d'un cas qui exige que j'intervienne en vertu des dispositions de l'article 617.
J'aimerais vous remercier pour vos arguments étoffés et pour votre collaboration aux enquêtes faites dans le cadre de la présente demande, ce qui m'a permis de bien examiner les circonstances du présent cas.
Ils confirment ma conclusion selon laquelle la décision du Ministre était équitable et en tous points conforme aux principes de justice fonda- mentale et d'équité énoncés par le juge Dickson dans l'affaire Martineau c. Le Comité de disci pline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602 lorsqu'il a déclaré, aux pages 630 et 631:
7. A mon avis, il est erroné de considérer la justice naturelle et l'équité comme des normes distinctes et séparées et de chercher à définir le contenu procédural de chacune. Dans Nicholson, le juge en chef a parlé d'une «notion d'équité, moins exigeante que la protection procédurale de la justice naturelle traditionnelle». L'équité ne comporte le respect que de certains principes de justice naturelle. Le professeur de Smith (3' éd. 1973, p. 208) a lucidement exprimé le concept d'une obligation d'agir équitablement:
[TRADUCTION] Cela signifie en général l'obligation de res- pecter les principes élémentaires de justice naturelle à une fin
limitée, dans l'exercice de fonctions qui, à l'analyse, ne sont pas judiciaires mais administratives.
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas, comme l'a reconnu le lord juge Tucker dans Russell v. Duke of Norfolk ([1949] 1 All E.R. 109), à la p. 118.
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon- dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.
La demande du requérant est rejetée avec dépens.
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