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A-543-81
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (requérante)
c.
Commission canadienne des droits de la personne et K. S. Bhinder (intimés)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup pléant Kelly-Toronto, 30 septembre 1982; Ottawa, 13 avril 1983.
Droits de la personne - Le règlement exigeant le port du casque de sécurité dans un centre de triage est contraire aux pratiques religieuses d'un employé - Pas de discrimination au sens de l'art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en l'absence d'intention discriminatoire ou de traite- ment défavorable - L'art. 10 de la Loi n'interdit pas la discrimination indirecte - La règle de sécurité est une exi- gence professionnelle normale au sens de l'art. 14a) de la Loi, telle que définie dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202 - Le principe américain selon lequel l'employeur a le devoir, si cela ne lui crée pas de contrainte excessive, de tenir compte des convictions religieuses de l'employé ne s'ap- plique pas à la loi canadienne - Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 2, 3, 7, 10, 14a), 22(2) (abrogé et remplacé par 1977-78, chap. 22, art. 5), 39(1), 41(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 20), (3) - Civil Rights Act of 1964, 42 U.S.C., art. 2000e-2a(2) (éd. 1970); idem, 42 U.S.C. (Supp. II 1972), art. 2000e(j) - Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318, art. 4(1)a),b),g) (mod. par S.O. 1972, chap. 119, art. 5), (6) - Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1980, chap. 340, art. 4(1)g),(6) - Code des droits de la personne, 1981, S.O. 1981, chap. 53, art. 10 - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 81, 82, 84(1)g) - Human Rights Act, S.P.E.I. 1975, chap. 72, art. 2a) - Human Rights Code, R.S.B.C. 1979, chap. 186, art. 3 - Sex Discrimination Act 1975, 1975, chap. 65 (R-U.), art. 1(1)a),6) - Race Relations Act 1976, 1976, chap. 74 (R.-U.), art. 1(1) - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 - Règlement du Canada sur les vêtements et l'équipement protecteurs, C.R.C., chap. 1007, art. 3, 8, 9 - Règlement du Canada sur la protection contre les dangers de l'électricité, C.R.C., chap. 998, art. 2(1), 3, 17, 18.
En 1978, le Canadien National a adopté, en vertu du Code canadien du travail et de ses règlements, une politique en matière de sécurité exigeant que les électriciens d'entretien travaillant au centre de triage de Toronto portent un casque de sécurité. L'intimé, un Sikh qui travaillait à cet endroit depuis 1974, a refusé de s'y conformer parce que sa religion l'obligeait à porter le turban et lui interdisait de porter autre chose sur la tête. Il perdit donc son emploi au CN par suite de son refus de porter le casque de sécurité.
Le tribunal des droits de la personne jugea que le CN avait commis un acte discriminatoire contrairement aux prescriptions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et lui ordonna notamment de réintégrer l'intimé dans ses fonctions
d'électricien d'entretien en le dispensant de l'obligation de porter le casque de sécurité. Le CN demande l'examen et l'annulation de cette décision en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt (le juge Le Dain dissident): la demande est accueillie et la décision et les ordonnances du tribunal sont annulées.
Le juge Heald: L'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise que les actes de discrimination directe et non ceux d'où est absente l'intention discriminatoire. L'article 10 n'a pas une portée assez large pour inclure les conséquences des actes de discrimination indirecte. Compte tenu du libellé différent de la loi équivalente des États-Unis, la notion de discrimination fondée sur les conséquences préjudiciables, éla- borée dans la jurisprudence américaine, ne peut être appliquée au Canada.
De plus, la politique en matière de sécurité satisfait aux critères de bonne foi et de nécessité raisonnable imposés par la Cour suprême du Canada dans le jugement unanime rendu par le juge McIntyre dans l'affaire Commission ontarienne des droits de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, et peut donc être interprétée comme une exigence professionnelle normale qui, à ce titre, bénéficie de la protection de l'alinéa 14a) de la Loi. Le principe américain reconnaissant le devoir de permettre aux employés de s'acquit- ter de leurs obligations religieuses si cela ne cause pas de contrainte excessive ne peut être considéré, en l'absence de termes précis à cet effet dans les dispositions applicables, comme faisant partie de la loi canadienne.
Le juge suppléant Kelly (souscrivant au résultat): Dans l'exercice de ses fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, le tribunal a été appelé à interpréter la loi qui le régit, mais il semble en l'espèce avoir étendu son mandat pour y inclure des domaines qui ne lui ont pas été attribués spécifiquement. Comme le Parlement ne l'a pas dit expressément, on ne peut présumer qu'en cas de conflit entre les droits de la personne et d'autres dispositions législatives ou réglementaires, les droits de la personne doivent prévaloir.
Le juge Le Dain (dissident): Il s'agit moins en l'espèce de déterminer si l'intention de discriminer est un élément essentiel des actes discriminatoires définis aux articles 7 et 10 de la Loi que de rechercher si ces articles visent autant la discrimination indirecte que la discrimination directe. L'article 7 n'englobe pas les cas de discrimination ne comportant ni intention de discri- miner ni traitement défavorable. En revanche, il semble que l'article 10, par les mots «d'une manière susceptible d'annihi- ler», ait une portée suffisamment large pour inclure les inciden ces de la discrimination indirecte. L'alinéa 703a)(2) du Civil Rights Act of 1964 des États-Unis, la disposition légale sur laquelle repose l'application de la notion de conséquence préju- diciable en matière de discrimination dans l'arrêt Griggs de la Cour suprême des États-Unis, contient pratiquement les mêmes termes et son interprétation dans cet arrêt a une valeur con- vaincante en ce qui a trait à l'interprétation de l'article 10.
Selon le droit, le tribunal pouvait considérer que l'obligation de tenir compte de la situation de l'employé est un élément nécessaire pour que s'applique l'exception fondée sur l'exigence professionnelle normale. L'application des divers facteurs dont il faut tenir compte lorsqu'on détermine si la politique est raisonnablement nécessaire ou si, dans les circonstances, l'em- ployeur a l'obligation de s'adapter aux pratiques religieuses de
l'employé, met essentiellement en jeu des questions de fait et dans une certaine mesure des questions de principe en matière de droits de la personne. La Cour ne doit pas modifier les conclusions du tribunal à cet égard puisqu'il ne les a pas .tirées de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des élé- ments portés à sa connaissance.. La Cour ne devrait pas non plus intervenir à la légère dans ce qui constitue essentiellement une question de politique en matière de droits de la personne, portant sur l'application des principes ou critères que les tribu- naux des droits de la personne ont élaborés sous forme d'un courant jurisprudentiel distinct. La conclusion sur la question de la contrainte excessive cadre bien avec l'ensemble de la politique des droits de la personne et elle doit, comme question de droit, étre laissée à l'appréciation d'un tel tribunal chargé de déterminer si, dans un cas particulier, l'employeur a l'obligation de tenir compte de la situation d'un employé.
Compte tenu de la préséance de la Loi sur les droits de la personne, le tribunal avait nécessairement la compétence pour tenir compte de l'application du Code et des règlements en l'espèce, ainsi que des diverses questions touchant la sécurité et les risques afin de déterminer si, à la lumière de toutes les circonstances, l'employeur devait s'adapter aux pratiques reli- gieuses de l'employé.
JURISPRUDENCE
ARRÊT APPLIQUÉ:
Commission ontarienne des droits de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 15.
DISTINCTION FAITE AVEC L'ARRÊT:
Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971) (S.C.); Re Rocca Group Ltd. and Muise (1979), 102 D.L.R. (3d) 529 (C.S.i: P: É.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ontario Human Rights Commission et al. v. Simpsons- Sears Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 423 (C.A.) (confirmant 36 O.R. (2d) 59 (C. div.)); Singh v. Rowntree MacKin tosh Ltd., [1979] I.C.R. 554 (E.A.T. Écosse); Panesar v. Nestlé Co. Ltd., [1980] I.C.R. 144 (C.A. Angl.); Re Attorney -General for Alberta and Gares et al. (1976), 67 D.L.R. (3d) 635 (C.S. 1" inst. Alb.); Gay Alliance Toward Equality c. Vancouver Sun, [ 1979] 2 R.C.S. 435; Dewey v. Reynolds Metal Company, 429 F.2d 324 (6th Cir. 1970) (confirmé, 402 U.S. 689 (1971) (S.C.)); Insu rance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145; 137 D.L.R. (3d) 219; Trans World Airlines, Inc. v. Hardison et al., 432 U.S. 63 (1977) (S.C.); Re Newport and Government of Manitoba (1982), 131 D.L.R. (3d) 564.
AVOCATS:
L. L. Band, c.r. et G. Poppe pour la requérante.
R. G. Juriansz pour la Commission cana- dienne des droits de la personne, intimée. I. Scott, c.r. et Raj Anand pour K. S. Bhin- der, intimé.
I. G. Whitehall, c.r. et J. McCann pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Contentieux, Canadien National, Toronto, pour la requérante.
Contentieux, Commission canadienne des droits de la personne pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée. Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour K. S. Bhinder, intimé.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge Le Dain, mais en toute déférence je ne peux souscrire aux conclusions qu'il propose.
À mon avis, le juge Le Dain a su résumer de façon précise et succincte les faits pertinents à l'examen des questions soulevées par la présente demande et je ne vais y ajouter que dans la mesure nécessaire à la compréhension de mes motifs. Je suis également d'accord avec les renvois qu'il fait aux dispositions pertinentes des lois et règlements applicables en l'espèce ainsi qu'avec sa conclusion suivant laquelle l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33] ne vise que les actes de discrimination directe et non ceux d'où sont absents toute intention discri- minatoire et tout traitement défavorable. Comme le tribunal a jugé que l'appelante n'avait aucune intention discriminatoire lorsqu'elle a appliqué à l'intimé Bhinder sa politique relative au port du casque de sécurité, je suis d'avis qu'il a fait erreur en concluant à une contravention à l'article 7 dans les circonstances de la présente espèce.
Toutefois, je suis en désaccord avec le juge Le Dain lorsqu'il affirme que l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a une portée suffisamment large pour inclure les consé- quences des actes de discrimination indirecte. La décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971) [S.C.], citée par le juge Le Dain, a été abondamment commentée tant dans des articles
que dans des jugements. On a dit qu'il s'agissait d'une décision historique parce qu'elle avait approuvé la définition suivante de la discrimina tion:
[TRADUCTION] La discrimination est un comportement qui a pour effet de désavantager les membres de groupes minoritaires par rapport aux membres de groupes majoritaires. Les justifica tions fondées sur des impératifs d'entreprise sont toutefois admises en défense'.
Dans son analyse, le professeur Blumrosen souli- gne que ce principe d'interprétation libérale «exige une assise» que l'on trouve, en l'occurrence, à l'alinéa 703a)(2) du Titre VII du Civil Rights Act of 1964 [42 U.S.C. art. 2000e-2a(2) (éd. 1970)]. Le professeur ajoute:
[TRADUCTION] Cette disposition interdit à un employeur de «prendre des mesures susceptibles de nuire» (adversely affect) à la situation d'un individu en tant qu'employé en raison de sa race, de sa couleur, de sa religion, de son sexe ou de son origine nationale. L'origine de l'expression »adversely affect» est assez nébuleuse. Elle ne figurait pas dans la première version de la Loi sur l'égalité d'accès à l'emploi de l'État de New York ... et constitue donc techniquement un nouveau point de départ en matière d'interprétation des lois. Elle suggère que les tribunaux doivent s'attacher davantage aux conséquences des actes qu'à l'état d'esprit de leur auteur 2 .
L'alinéa 703a)(2) du Civil Rights Act of 1964 prévoyait que:
[TRADUCTION] 703. a) Constitue un acte illégal le fait pour un employeur—
(2) d'établir à l'endroit de ses employés des restrictions, des différences ou des catégories d'une manière susceptible d'anni- hiler les chances d'emploi ou d'avancement de quiconque ou, d'une façon générale, de nuire à la situation de quiconque en tant qu'employé en raison de sa race, de sa couleur, de sa religion, de son sexe ou de son origine nationale.
L'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne 3 emploie les mots «d'une manière sus-
' Il s'agit d'une citation tirée d'un article d'Alfred W. Blum- rosen, professeur de droit à l'Université Rutgers et conciliateur principal à la Commission d'égalité d'accès à l'emploi des Etats-Unis (1965-67). Michigan Law Review, vol. 71, p. 67.
2 Michigan Law Review, vol. 71, p. 74.
3 L'article 10 se lit comme suit:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la forma tion, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière suscepti ble d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
ceptible d'annihiler» mais non l'expression «d'une façon générale, de nuire». En toute déférence, je suis en désaccord avec l'opinion suivant laquelle l'article 10 peut, même en l'absence de l'expression qui précède, recevoir la même interprétation que l'alinéa 703(a)2) précité si on l'examine dans le contexte global de la Loi. L'article 2 de la Loi canadienne° prévoit que même si tous les individus ont droit à l'égalité des chances d'épanouissement, ce droit n'existe que «... dans la mesure compati ble avec leurs devoirs ... au sein de la société ...» L'article fait aussi état «... des considérations fondées sur ... la religion ...» (C'est moi qui souligne.) En outre, le paragraphe 14a) assujettit l'existence de ce droit de la personne au droit de l'employeur d'imposer des exigences professionnel- les normales liées notamment à la sécurité et à l'efficacité de son entreprise commerciale. J'atta- che de l'importance à l'absence des mots «ou ... de nuire» dans la loi canadienne car, sans eux, l'arrêt Griggs précité perd à mon avis son caractère per- suasif. Si le Parlement avait voulu prévoir à l'article 10 les cas de [TRADUCTION] «conséquen- ces préjudiciables» sans intention, il aurait insé- rer dans cette disposition les mots pour le dires. En
° L'article 2 définit l'objet de la Loi canadienne sur les droits le la personne et dit notamment:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, [au principe suivant lequel]:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considé- rations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs handicaps physiques;
S On trouve un exemple du langage clair et explicite qui, à mon avis, s'impose, eu égard aux autres articles précités de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans la modifica tion apportée en 1982 à l'article 10 du Ontario Human Rights Code [R.S.O. 1980, chap. 340, abrogé et remplacé par le Code des droits de la personne, 1981, S.O. 1981, chap. 53. La disposition modifiée fut examinée par le juge d'appel Lacour- cière dans l'affaire Ontario Human Rights Commission et al. v. Simpsons-Sears Ltd. [(1982), 38 O.R. (2d) 423 (C.A.)].
L'article 10 du Code ontarien modifié prévoit:
10. Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la première partie le fait d'imposer une exigence, notamment de qualité requise, qui n'est pas un motif de discrimination illicite mais qui a pour résultat d'exclure un groupe de
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l'absence de ces mots, je ne puis conclure que le tribunal a eu raison, en se fondant sur l'article 10 précité, de juger que l'appelante avait à première vue commis un acte discriminatoire en l'espèce.
Comme j'ai conclu que le tribunal a appliqué de façon erronée les articles 7 et 10 de la Loi aux faits de l'espèce, il est probablement inutile d'examiner les autres questions soulevées aux présentes car, sauf erreur de ma part, cette conclusion suffit pour annuler la décision du tribunal. Toutefois, comme ces autres questions ont été longuement et fort habilement plaidées devant nous et compte tenu du dispositif que je propose, c'est-à-dire le renvoi de l'affaire devant le tribunal, avec directives, j'estime préférable d'aborder également la seconde ques tion examinée par mon collègue le juge Le Dain.
Cette seconde question consiste à déterminer si le tribunal a fait erreur en concluant que la politi- que de la requérante relativement au port du casque de sécurité n'était pas une exigence profes- sionnelle normale au sens de l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne 6 . Le tribunal avait devant lui une masse imposante de témoignages d'experts qui n'ont pas été réfutés et qui ont établi les points suivants:
a) au centre de triage de Toronto travaillait l'intimé Bhinder en qualité d'électricien, le lieu de travail ainsi que le travail accompli par Bhin- der étaient dangereux;
b) le port du casque de sécurité par les employés du centre de triage de Toronto permet d'éviter les blessures à la tête ou à tout le moins d'en réduire considérablement la gravité;
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personnes défini par un motif de discrimination illicite ou de reconnaître une qualité ou d'accorder une préférence à un groupe de ce genre dont fait partie la personne lésée; sauf:
a) si l'exigence est normale compte tenu des circons- tances;
b) si la présente loi stipule que la pratique d'un acte discriminatoire en raison d'un tel motif n'enfreint pas un droit. [C'est moi qui souligne.]
6 Le paragraphe 14a) prévoit ce qui suit:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restric tions, conditions ou préférences de l'employeur qui démon- tre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
c) il était raisonnable et nécessaire, pour la propre sécurité de Bhinder, qu'il porte un casque de sécurité approuvé par l'A.C.N.; et
d) l'exigence de la requérante relativement au port du casque de sécurité par ses employés du centre de triage de Toronto lorsqu'ils travaillent sur ou sous le train Turbo et les voies de répara- tion, ou près de ces lieux, était fondée sur des réalités pratiques et, sur le plan de la sécurité, était appuyée par les faits et la logique.
S'appuyant sur les témoignages susmentionnés et sur d'autres éléments de preuve, le tribunal a fait les constatations de fait suivantes:
(1) la requérante n'a fait preuve d'aucune ani- mosité envers les Sikhs ou leur religion; elle n'a pas eu l'intention d'insulter M. Bhinder ou d'agir avec malveillance à son égard; la politique de la requérante relative au port du casque de sécurité a été adoptée simplement pour faciliter l'exploitation de son entreprise et la requérante n'avait donc nullement l'intention d'exercer une discrimination à l'égard de M. Bhinder en raison de sa religion (dossier conjoint, vol. XV, p. 1587);
(2) la politique de la requérante n'était pas fondée sur un stéréotype ou un préjugé injustifié (dossier conjoint, vol. XV, p. 1649);
(3) il ne fait aucun doute que M. Bhinder courait un plus grand risque de blessure s'il n'acceptait pas de porter le casque de sécurité et, d'une manière générale, on peut supposer que, si une exemption était accordée à M. Bhin- der et donc vraisemblablement à tous les Sikhs, le taux d'accident chez la requérante et la somme des indemnités qu'elle serait en consé- quence appelée à verser à ses employés augmen- teraient (dossier conjoint, vol. XV, p. 1689); et
(4) d'une façon générale, la politique relative au port du casque de sécurité visait un objectif louable, c'est-à-dire accroître la sécurité des employés et diminuer les obligations de la requé- rante au titre du régime d'indemnisation (dos- sier conjoint, vol. XV, p. 1695).
Je suis d'avis qu'il faut appliquer en l'espèce les critères formulés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de
la personne, et autres c. Municipalité dEto- bicoke 7 afin de déterminer si la politique de la requérante relative au port du casque de sécurité constitue une exigence professionnelle normale au sens de l'alinéa 14a) précité. Il fallait déterminer, dans l'arrêt Etobicoke, si une disposition prévoyant la mise à la retraite obligatoire des pompiers muni- cipaux à l'âge de 60 ans était une exigence profes- sionnelle normale pour un tel poste au sens du paragraphe 4(6) du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318. Prononçant le jugement unanime de la Cour, le juge McIntyre a appliqué un double critère: le premier, qui est subjectif, prévoit que l'exigence «... doit être imposée hon- nêtement, de bonne foi et avec la conviction sin- cère que cette restriction est imposée en vue d'as- surer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'al- ler à l'encontre de ceux du Code». Le second, qui est objectif, prévoit que l'exigence «... doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et éco- nomique du travail sans mettre en danger l'em- ployé, ses compagnons de travail et le public en général».
Pour ce qui est du premier critère, il semble évident à la lecture du résumé des constatations de fait du tribunal que tous les éléments de ce critère subjectif sont réunis en l'espèce. Compte tenu des témoignages non réfutés d'experts que j'ai résumés plus haut, et des constatations de fait du tribunal, je conclus que le critère objectif a également été respecté en grande partie. Le tribunal a jugé que la preuve démontrait que la politique relative au port du casque de sécurité visait la bonne exécution du travail de M. Bhinder et des autres employés du centre de triage de Toronto car ceux qui ne portent pas le casque courent un plus grand risque de blessures, et peuvent ainsi entraîner une hausse des obligations de l'employeur au titre du régime d'in- demnisation. La preuve et les constatations formu- lées aux présentes démontrent manifestement que l'exigence était «raisonnablement nécessaire» pour assurer l'exécution efficace et économique du tra vail, et la sécurité de l'employé visé. Le tribunal n'a pas conclu que le défaut de se conformer à
' [[1982] 1 R.C.S. 202, la p. 208]; 132 D.L.R. (3d) 15, aux pp. 19 et 20.
cette exigence mettrait en danger le grand public ou les autres employés de quelque façon que ce soit. Cependant, je ne pense pas que l'absence d'une telle constatation rende inapplicable aux cir- constances de la présente espèce le critère formulé dans l'arrêt Etobicoke. Lorsqu'on examine le caractère normal de l'exigence de la requérante relative au port du casque de sécurité, il importe selon moi de se rappeler que, d'une part, la législa- tion du travail en vigueur actuellement (les articles 81 et 82 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1) exige des employeurs qu'ils protègent tous leurs employés des dangers et risques qu'il est impossible d'éliminer du lieu de travail et que d'autre part, ces exigences légales et le pouvoir conféré par l'alinéa 84(1)g) du Code, ont amené la promulgation du Règlement du Canada sur les vêtements et l'équipement protec- teurs [C.R.C., chap. 1007] et le Règlement du Canada sur la protection contre les dangers de l'électricité [C.R.C., chap. 998]. Rappelons égale- ment qu'il a été établi en preuve que le ministère du Travail a rejeté la requête de la Commission intimée qui lui demandait d'exercer sa discrétion pour autoriser le port du turban au lieu du casque de sécurité.
À mon avis, le fait que la politique de la requé- rante relative au port du casque de sécurité soit conforme à la politique en vigueur dans l'ensemble de l'industrie et le fait que les organismes gouver- nementaux de réglementation l'aient jugée valide et aient refusé toute dispense, sont autant de preu- ves objectives supplémentaires de son caractère normal.
Pour les motifs précités, je conclus que le tribu nal a fait erreur en ne concluant pas que la politi- que de la requérante relative au port du casque de sécurité était une exigence professionnelle normale qui, à ce titre, bénéficiait de la protection de l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
En concluant au contraire que l'exigence n'était pas normale au sens de l'alinéa 14a), le tribunal a adopté le principe suivant lequel, si cela ne lui causait pas de contrainte excessive, la requérante avait le devoir de prendre les mesures nécessaires pour que Bhinder puisse s'acquitter de ses obliga tions religieuses, en le dispensant du port du casque. Comme l'a souligné mon collègue le juge
Le Dain, ce principe nous vient du droit américain, plus particulièrement d'une modification apportée en 1972 [42 U.S.C., par. 2000e(j) (Supp. II 1972)] au Titre VII du Civil Rights Act of 1964 qui a imposé cette obligation particulière au para- graphe 701j).
En toute déférence, j'estime que le tribunal a fait erreur en voyant dans la loi canadienne une disposition qui manifestement n'y apparaît pas. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans mes motifs, les critères applicables à l'égard de l'alinéa 14a) sont ceux que la Cour suprême du Canada a formulés dans l'arrêt Etobicoke précité. Ces critè- res ne mentionnent aucune obligation pour l'em- ployeur de tenir compte de la situation des employés. Si le Parlement avait voulu imposer une telle obligation supplémentaire, il l'aurait fait dans un langage clair et non équivoque. En l'absence d'un tel langage, la Cour aurait tort, à mon avis, d'usurper les fonctions législatives du Parlement sous le couvert d'une interprétation judiciaire.
Par conséquent, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision et les ordonnances du tribunal devant qui je renver- rais l'affaire pour décision, tenant compte de ma conclusion suivant laquelle l'obligation faite à l'in- timé Bhinder par la requérante de porter le casque de sécurité au centre de triage de Toronto ne constitue pas un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident): On demande en l'espèce, en vertu de l'article 28, l'examen et l'an- nulation d'une décision d'un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33. Dans cette décision, la requérante la Compa- gnie des chemins de fer nationaux du Canada («CN») a été trouvée coupable d'un acte discrimi- natoire envers l'intimé Bhinder pour un motif fondé sur la religion parce qu'elle lui a imposé, comme condition d'emploi, de porter un casque de sécurité alors qu'un des préceptes de la religion Sikh qu'il pratique, l'oblige à porter le turban et lui interdit de porter autre chose sur la tête.
Bhinder est entré en fonctions au CN en avril 1974. Après une période de stage, il a occupé pendant plus de quatre années le poste d'électri- cien d'entretien du train Turbo au centre de triage de Toronto. Il travaillait de 23 heures à 7 heures. Le 30 novembre 1978, le CN annonça qu'à partir du l er décembre 1978, tous les employés travaillant au centre de triage de Toronto devraient porter un casque de sécurité. Bhinder informa son contre- maître qu'il ne pouvait se conformer à cette direc tive à cause de sa religion. Dans une lettre datée du 5 décembre 1978, le contremaître en chef, R. E. Barratt, avisa Bhinder que personne ne serait dis- pensé du port du casque de sécurité et qu'à partir de 23 heures le 6 décembre 1978, il devrait donc porter le casque pour être autorisé à travailler. En conséquence, Bhinder cessa de travailler comme électricien pour le CN après le 5 décembre 1978. Il ne voulait pas accepter d'autre poste que celui d'électricien et tous les postes de ce genre étaient assujettis à l'exigence du port du casque de sécu- rité. Il perdit donc son emploi au CN par suite de son refus de porter le casque de sécurité.
Le 7 décembre 1978, Bhinder adressa à la Com mission canadienne des droits de la personne une plainte fondée sur un acte discriminatoire pour motif de religion. Le 3 octobre 1979, la Commis sion, conformément au paragraphe 39(1) de la Loi, constitua un tribunal des droits de la personne formé de Peter Cumming, Mary Eberts et Joan Wallace. Le tribunal, présidé par le professeur Cumming, tint en décembre 1979 une audience qui dura plusieurs jours. Divers éléments de preuve dont des témoignages d'experts y furent présentés. Des observations écrites furent déposées après l'au- dience et le tribunal rendit sa décision le 22 sep- tembre 1981. Dans des motifs très élaborés comp- tant quelque cent soixante pages, le tribunal a analysé les questions de fait et de droit soulevées en l'espèce et a fait une étude détaillée de la jurisprudence pertinente en matière de droits de la personne. Le tribunal jugea que le CN avait commis un acte discriminatoire contrairement aux prescriptions de la Loi et accorda à Bhinder une indemnité de 14 500 $ pour perte de salaire. En outre, il ordonna au CN de réintégrer Bhinder dans ses fonctions d'électricien d'entretien, si celui-ci en exprimait le désir, et ce, en le dispen- sant de l'obligation de porter le casque de sécurité
et en lui reconnaissant l'ancienneté et le salaire dont il aurait joui s'il était demeuré à son poste après le 5 décembre 1978.
La plainte alléguant la discrimination est fondée sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
L'article 3 définit les motifs de distinction illicite:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
Voici le texte d'une autre disposition pertinente en l'espèce l'alinéa 14a):
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
Dans le cadre de l'examen des questions soule- vées par la présente demande fondée sur l'article 28, nous devrons nous pencher sur quelques autres dispositions législatives, dont certains articles du Code canadien du travail en matière de sécurité au travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, et les règlements suivants établis sous l'autorité dudit Code: le Règlement du Canada sur les vêtements et l'équi- pement protecteurs, C.R.C., chap. 1007 (ci-après «le règlement sur les vêtements protecteurs») et le Règlement du Canada sur la protection contre les dangers de l'électricité, C.R.C., chap. 998 (ci- après «le règlement sur la protection contre les dangers de l'électricité»).
Les articles 81 et 82 du Code, qui imposent respectivement aux employeurs et aux employés des entreprises fédérales certaines obligations en matière de sécurité, prévoient:
81. (1) Quiconque dirige une entreprise fédérale doit le faire de manière à ne pas mettre en danger la sécurité ou la santé de toute personne employée dans le cadre d'une telle entreprise.
(2) Quiconque dirige une entreprise fédérale doit adopter et suivre des méthodes et techniques raisonnables destinées à prévenir ou diminuer le risque de lésion professionnelle dans l'exploitation de cette entreprise.
82. Quiconque est employé dans le cadre d'une entreprise fédérale doit, dans son travail,
a) prendre toutes les précautions raisonnables et nécessaires pour assurer sa propre sécurité et celle de ses collègues; et
b) à tous les moments opportuns, utiliser les dispositifs et porter les vêtements ou les accessoires destinés à sa protec tion et que lui fournit son employeur, ou que la présente Partie l'oblige à utiliser ou à porter.
L'alinéa 84(1)g) du Code qui confère au gouver- neur en conseil le pouvoir d'établir des règlements concernant la sécurité porte:
84. (1) Sous réserve de toute autre loi du Parlement du Canada et des règlements établis sous son régime, le gouver- neur en conseil peut établir des règlements concernant la sécurité et la santé des personnes employées dans le cadre d'une entreprise fédérale, et prévoyant à cette fin des mesures de sécurité relatives au fonctionnement ou à l'utilisation des usines, machines, équipements, véhicules, matériaux, bâti- ments, structures et lieux utilisés ou devant être utilisés relati- vement à une entreprise fédérale. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, il peut établir des règlements:
g) prescrivant les normes applicables aux vêtements et acces- soires protecteurs que doivent porter les employés, régissant leur utilisation et précisant qui doit les fournir;
Les dispositions pertinentes du règlement sur les vêtements protecteurs en sont les articles 3, 8 et 9:
3. Dans le cas
a) il n'est pas raisonnablement possible d'éliminer un danger du travail ou de contenir le danger dans des limites sûres, et od
b) le port ou l'utilisation, par un employé, d'un équipement de protection individuelle empêchera une blessure ou dimi- nuera sensiblement la gravité des blessures,
l'employeur doit s'assurer que chaque employé exposé à un tel danger porte ou utilise cet équipement de la façon prescrite par le présent règlement.
8. (1) Il est interdit à un employé d'entreprendre une tâche ou de pénétrer dans un lieu de travail lorsque, pour ce faire, le présent règlement prescrit le port ou l'utilisation de tout genre d'équipement de protection individuelle, à moins
a) qu'il ne porte ou n'utilise ce genre d'équipement de protection individuelle de la manière prescrite par le présent règlement;
b) qu'il n'ait reçu des directives et une formation relative- ment au fonctionnement et à l'utilisation appropriés et sûrs de cet équipement de protection individuelle conformément aux dispositions de l'article 5; et
e) qu'il n'ait inspecté visuellement cet équipement de protec tion individuelle pour s'assurer autant que possible, que l'équipement le protégera contre les risques professionnels.
(2) L'employé doit prendre soin de tout l'équipement de protection individuelle que lui fournit son employeur, conformé- ment aux directives et à la formation qu'il a reçues en vertu de l'article 5.
(3) L'employé qui est d'avis qu'un équipement de protection individuelle ne le protège plus convenablement contre les ris- ques professionnels doit immédiatement faire rapport au responsable.
9. (1) Dans le cas l'employeur exige qu'un employé porte un casque-protecteur afin de satisfaire aux prescriptions de l'article 3, ce casque doit être conforme aux dispositions de la norme Z94.1-1966 de l'Association canadienne de normalisa tion, modifiée de temps à autre, ou à une norme approuvée par le chef de Division.
(2) Dans le cas l'employeur exige qu'un employé porte un dispositif protecteur de la tête autre qu'un casque-protecteur afin de satisfaire aux prescriptions de l'article 3, ce dispositif protecteur de la tête doit être conforme aux bonnes pratiques de la sécurité au travail ou à une norme approuvée par le chef de Division.
Les dispositions pertinentes du règlement sur la protection contre les dangers de l'électricité sont la définition de l'expression «installation électrique» au paragraphe 2(1) et les articles 3, 17 et 18 de ce règlement:
2. (1)...
«installation électrique» désigne un équipement, un dispositif, un appareillage, une filerie, un conducteur, un ensemble ou une partie d'ensemble qui sont utilisés pour la production, la transformation, la transmission, la distribution, l'emmagasi- nage, la régularisation, le mesurage ou l'utilisation d'énergie électrique dont l'ampacité et la tension présentent un danger pour les employés; (electrical facility)
3. Le présent règlement s'applique
a) à l'emploi relatif à un ouvrage, entreprise ou affaire de compétence fédérale, et
b) à l'emploi par une corporation établie pour remplir une fonction ou une attribution pour le compte du gouvernement du Canada
auxquels s'applique la Loi, sauf l'emploi relatif à l'exploitation souterraine d'une mine.
17. Il est interdit à l'employeur de permettre à un employé de travailler et à un employé de travailler sur une installation électrique
a) ayant une tension d'au plus 250 volts entre deux conduc- teurs ou entre un conducteur et la terre, s'il y a possibilité de prendre un choc électrique dangereux, ou
b) ayant une tension supérieure à 250 volts, mais inférieure à 5,200 volts entre deux conducteurs ou d'au plus 3,000 volts entre le conducteur et la terre,
à moins que ledit employé n'utilise l'équipement et les vête- ments de protection isolés qui sont nécessaire, selon les saines pratiques de protection contre les dangers de l'électricité, ou qu'un agent de sécurité exige qu'il utilise pour se protéger contre les blessures durant l'exécution de son travail.
18. Il est interdit à un employeur de permettre à un employé de travailler ou à un employé de travailler sur une installation électrique lorsque les saines pratiques de protection contre les dangers de l'électricité exigent le port d'un casque protecteur, à moins de porter un casque protecteur conforme aux prescrip tions de la classe B de la norme Z94.1-1966 de l'Association canadienne de normalisation, y compris les modifications qui s'y rattachent.
Le ministère fédéral du Travail (généralement désigné sous le nom de «Travail Canada») doit veiller au respect des règlements et des dispositions du Code en matière de sécurité. En février 1979, la Commission, par l'entremise du directeur pour l'Ontario, Richard Nolan, demanda à Travail Canada d'exercer le pouvoir «discrétionnaire» que lui confère le paragraphe 9(2) du règlement sur les vêtements protecteurs et de déclarer le port du turban conforme au règlement. Thomas Beaton, directeur régional de l'Ontario, refusa. Ce dernier, dans la lettre datée du 14 février 1979 qu'il fit parvenir à Nolan, faisait état du succès de la campagne en faveur du port du casque de sécurité dans les entreprises fédérales, qui avait permis de diminuer la fréquence et la gravité des blessures à la tête. Il soulignait également qu'un employé blessé à la tête pouvait faire naître une situation dangereuse pour ses collègues de travail. Pour ces motifs et pour d'autres raisons, M. Beaton jugea qu'aucune «dispense» ne pouvait être accordée. Dans sa déposition, il affirma que s'il avait le pouvoir discrétionnaire d'approuver une autre forme de protection pour la tête, en vertu du règlement sur les vêtements protecteurs, il ne pen- sait pas l'avoir en vertu du règlement sur la protec tion contre les dangers de l'électricité.
Le tribunal a jugé que le CN n'avait pas l'inten- tion de discriminer en obligeant M. Bhinder à porter le casque de sécurité mais que, dans les faits, cette politique avait eu à son endroit un effet discriminatoire. Même si cette politique visait tous les employés travaillant au centre de triage de Toronto, elle plaçait M. Bhinder dans une situa tion particulière puisque ce dernier ne pouvait s'y conformer sans enfreindre les préceptes de sa reli gion. L'obligation faite à Bhinder de respecter cette exigence a donc créé à son endroit une distinction pour un motif interdit par la Loi. Cette exigence a annihilé les chances d'emploi et d'avan- cement de M. Bhinder pour un motif fondé sur la religion. C'est pour cette raison que le tribunal a jugé que le CN avait refusé de continuer d'em- ployer M. Bhinder pour un motif de distinction illicite au sens de l'article 7 de la Loi et avait fixé ou appliqué des directives susceptibles d'annihiler ses chances d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10.
Après avoir conclu qu'il y avait de prime abord, acte discriminatoire, le tribunal s'est ensuite demandé si le CN avait fait la preuve qu'il s'agis- sait d'un cas d'application de la défense fondée sur l'exigence professionnelle normale aux termes de l'alinéa 14a). Le tribunal a conclu que la politique du CN relativement au port du casque de sécurité n'était pas, dans le cas de M. Bhinder, une exi- gence professionnelle normale. Je vais tenter ci- après de résumer son analyse très complète de la question. M. Bhinder pouvait s'acquitter de façon satisfaisante de son travail en portant un turban. La politique du CN relativement au port du casque de sécurité était une bonne politique car elle permettait de réduire le nombre de blessures à la tête et M. Bhinder courait un plus grand risque de blessures de ce genre s'il portait un turban au lieu d'un casque de sécurité, mais l'accroissement du risque était relativement mineur. En outre, le refus de Bhinder de porter le casque n'entraînait pas de risque de blessures pour les autres employés ou le public en général. Dans ces circonstances, Bhinder devait être autorisé à courir le risque de subir une blessure plutôt que d'être contraint de choisir entre sa religion et son emploi. Le CN avait le devoir, si cela ne lui créait pas de contrainte excessive, de tenir compte des convictions religieu- ses de M. Bhinder en lui permettant de porter le turban au lieu du casque de sécurité. A titre
d'employeur figurant à l'annexe 2, en vertu de la Loi sur les accidents du travail de l'Ontario, R.S.O. 1980, chap. 539, le CN est tenu d'indemni- ser directement ses employés et ferait donc face à un accroissement de ses obligations au titre du régime d'indemnisation si M. Bhinder et d'autres Sikhs étaient autorisés à porter le turban au lieu du casque de sécurité. Cependant, une telle hausse des coûts d'indemnisation ne constituait pas une contrainte excessive puisqu'elle faisait partie des risques inhérents à l'emploi visés par le régime d'indemnisation des travailleurs. D'ailleurs, même si cette hausse des coûts constituait une contrainte excessive, la liberté de religion devrait l'emporter en importance relative.
Au sujet des dispositions du Code canadien du travail en matière de sécurité, des règlements sur les vêtements protecteurs et sur la protection contre les dangers de l'électricité et du pouvoir que détient Travail Canada en vertu de ces dispositions législatives, le tribunal a tiré les conclusions sui- vantes. Il a d'abord jugé que, malgré les pouvoirs conférés à Travail Canada et l'existence des dispo sitions législatives en matière de sécurité au tra vail, il avait compétence pour décider si la politi- que du CN relativement au port du casque de sécurité constituait, de prime abord, un acte discri- minatoire dans le cas de M. Bhinder et, dans l'affirmative, si cette politique était une exigence professionnelle normale. Les dispositions du Code en matière de sécurité au travail de même que les règlements doivent être appliqués dans le respect de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui, en cas de conflit, doit prévaloir. A supposer que le Code et les règlements aient fait du port du casque de sécurité au centre de triage de Toronto une obligation légale, cette exigence n'en aurait pas moins constitué de prime abord un acte discri- minatoire dans le cas de M. Bhinder et n'aurait pas pour autant été considérée comme une exi- gence professionnelle normale à son endroit. En l'espèce, cependant, l'employeur pouvait faire le nécessaire pour s'adapter aux pratiques religieuses de M. Bhinder en lui permettant de porter le turban sans entrer en conflit avec les dispositions du Code et des règlements. Le Code n'exige en effet que des mesures de sécurité raisonnables. Le port du turban comme autre mode de protection était une solution de rechange conforme aux exi- gences du règlement sur les vêtements protecteurs.
Par ailleurs, la preuve n'a pas démontré l'existence d'un danger susceptible d'entraîner l'application du règlement sur la protection contre les dangers de l'électricité.
Le procureur général du Canada s'est joint au CN pour contester la décision du tribunal. La Commission et M. Bhinder, représentés par leurs avocats, appuient sa décision.
Il a été admis au cours des débats, comme l'a constaté le tribunal, que le CN n'avait nullement l'intention d'agir de façon discriminatoire à l'en- droit de M. Bhinder en lui imposant le port du casque et que la religion de ce dernier lui interdi- sait de porter sur la tête autre chose qu'un turban.
Voici, suivant l'ordre dans lequel je me propose de les examiner, les arguments invoqués par les avocats du CN et du procureur général du Canada:
1. Le tribunal a fait une erreur de droit en jugeant que la politique du CN relativement au port du casque de sécurité, même si elle visait tous les employés du centre de triage de Toronto sans aucune intention discriminatoire, n'en cons- tituait pas moins dans le cas de M. Bhinder, un acte discriminatoire à cause des conséquences qu'elle avait pour ce dernier en raison de ses convictions religieuses.
2. Le tribunal a fait une erreur de droit en décidant que le port du casque imposé par le CN n'était pas, dans le cas de M. Bhinder, une exigence professionnelle normale; que le CN avait l'obligation de s'adapter aux pratiques reli- gieuses de M. Bhinder en l'autorisant à porter le turban au lieu du casque; et que le CN pouvait le faire sans imposer de contrainte excessive à son entreprise.
3. Le tribunal a fait une erreur de droit ou a fondé sa décision sur des constatations de fait erronées ne concordant pas avec la preuve en jugeant, d'une part, que le port du turban, comme autre mode de protection, était conforme aux exigences du règlement sur les vêtements protecteurs et, d'autre part, que le règlement sur la protection contre les dangers de l'électricité ne s'appliquait pas; et le tribunal a outrepassé sa compétence ou a fait une erreur de droit en décidant dans un premier temps qu'une mesure de sécurité imposée en conformité d'un devoir ou
d'une obligation créée par le Code et les règle- ments constituait, de prime abord, dans le cas de M. Bhinder, un acte discriminatoire et non une exigence professionnelle normale et en ordon- nant dans un second temps que M. Bhinder soit dispensé de cette exigence alors même que Tra vail Canada lui avait refusé une telle dispense.
De toute évidence, l'application des dispositions du Code et des règlements en matière de sécurité a une incidence directe sur la question de savoir si le tribunal a fait une erreur de droit en jugeant que la politique du CN relativement au port du casque de sécurité constituait, de prime abord, dans le cas de M. Bhinder, un acte discriminatoire et n'était pas une exigence professionnelle normale. Cepen- dant, je trouve préférable de n'étudier leur applica tion et leur incidence sur ces questions qu'après avoir déterminé si le tribunal a fait ou non erreur sur le sens de discrimination aux articles 7 et 10 de la Loi et d'«exigences professionnelles normales» à l'alinéa 14a).
La première question consiste donc à déterminer si les articles 7 et 10 de la Loi visent aussi les conséquences préjudiciables ou la discrimination indirecte, c'est-à-dire les cas un employeur adopte sans intention discriminatoire une exigence ou une condition d'emploi visant tous les employés sans exception, mais qui, dans les faits, nuit, de façon générale, à la situation d'un employé pour un motif de distinction illicite. Le développement de ce nouveau concept de discrimination aux États-Unis et en Grande-Bretagne a été étudié dans les analyses intéressantes qu'en ont faites Blumrosen dans «Strangers in Paradise: Griggs v. Duke Power Co. and the Concept of Employment Discrimination» (1972), 71 Mich. L. Rev. 59; Lustgarten dans «The New Meaning of Discrimi nation», [1978] Public Law 178; et Tarnopolsky dans Discrimination and The Law in Canada, 1982, chap. IV. Les tribunaux des droits de la personne du Canada ont été influencés par le développement de ce concept de conséquences pré- judiciables ou de discrimination indirecte qu'ils ont appliqué dans divers contextes législatifs.
L'adoption du concept de conséquences préjudi- ciables ou de discrimination indirecte découle prin- cipalement de l'arrêt Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971) [S.C.], dans lequel la Cour suprême des États-Unis a jugé que l'imposition de
certains critères et de certaines exigences en matière de scolarité constituait une pratique d'em- bauche illégale aux termes de l'alinéa 703a)(2) du Titre VII du Civil Rights Act of 1964. En effet, même si ces exigences visaient autant les Blancs que les Noirs, sans intention discriminatoire, elles avaient pour effet d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un nombre disproportionné de Noirs en raison des handicaps dont ils souffraient déjà par suite de la discrimination généralisée dont ils faisaient l'objet antérieurement. En outre, ces exigences ne pouvaient être raisonnablement justi fiées par les fonctions à remplir. L'alinéa 703a)(2) interdit les pratiques «susceptible[s] d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de quiconque ou, d'une façon générale, de nuire à la situation de quiconque en tant qu'employé en raison de sa race, de sa couleur, de sa religion, de son sexe ou de son origine nationale». La Cour a décidé que la Loi visait non seulement la discrimination intention- nelle mais aussi les pratiques qui, bien qu'en appa- rence neutres, avaient pour effet d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de certaines personnes pour des raisons tenant directement à leur race et qui ne pouvaient se justifier par des impératifs commerciaux.
Sous l'influence de l'arrêt Griggs, le Royaume- Uni a adopté une législation sur les droits de la personne renfermant cette notion de conséquences préjudiciables en matière de discrimination que les commentateurs et les tribunaux britanniques dési- gnent généralement sous le nom de discrimination «indirecte»: voir à cet égard Lustgarten, op. cit., page 178; Singh v. Rowntree MacKintosh Ltd., [1979] I.C.R. 554 [E.A.T. Écosse], à la page 555; Panesar v. Nestlé Co. Ltd., [1980] I.C.R. 144 [C.A. Angl.], à la page 146. Les alinéas a) et b) du paragraphe 1(1) du Sex Discrimination Act 1975 [1975, chap. 65 (R.-U.)] et du Race Relations Act 1976 [1976, chap. 74 (R.-U.)] établissent la dis tinction entre la discrimination «directe» et la dis crimination «indirecte». Le paragraphe 1(1) de la Loi de 1976 prévoit:
[TRADUCTION] 1. (1) Commet un acte discriminatoire à l'égard d'une autre personne quiconque, dans quelques circons- tances pertinentes aux fins de toute disposition de la présente loi—
a) pour des motifs raciaux traite cette autre personne moins favorablement qu'il ne traite ou traiterait d'autres personnes; ou
b) impose à cette autre personne une exigence ou une condition qu'il applique ou appliquerait également à des personnes n'appartenant pas au même groupe ethnique que cette personne mais—
(i) qui est telle que le nombre de personnes faisant partie du même groupe ethnique que cette personne qui peuvent s'y conformer est considérablement inférieur au nombre de personnes qui n'appartiennent pas à ce groupe ethnique et qui peuvent s'y conformer; et
(ii) qu'il ne peut justifier sans égard à la couleur, la race, la nationalité ou les origines ethniques ou nationa- les de la personne qu'elle vise; et
(iii) qui cause un préjudice à cette autre personne parce qu'elle ne peut s'y conformer.
Le professeur Cumming, en sa qualité de com- missaire enquêteur nommé en vertu du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318 et ses modifications, a appliqué le concept des consé- quences préjudiciables en matière de discrimina tion dans deux décisions qui ont été examinées par les cours et dont fait état le tribunal en l'espèce: Re Complaint of Ishar Singh (le 31 mai 1977) et Re Complaint of Ann J. Colfer (le 12 janvier 1979). Ces plaintes étaient fondées sur les alinéas a), b) et g) du paragraphe 4(1) du Code (modifié par S.O. 1972, chap. 119, art. 5) qui se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 4.—(1) Nul ne doit
a) refuser de proposer ou de recruter une personne en vue d'un emploi;
b) congédier ni refuser d'employer ou de continuer à employer une personne;
g) assujettir un employé à une distinction injuste quant à une condition de travail,
en raison de la race, des croyances, de la couleur, de l'âge, du sexe, de l'état civil, de la nationalité, de l'ascendance ou du lieu d'origine de la personne ou de l'employé.
Dans l'affaire Singh, la plainte était portée par un Sikh qui s'était vu refuser un emploi en raison de ses convictions religieuses, contrairement à l'alinéa 4(1)a), par une agence de service de sécurité qui exigeait que ses employés soient rasés et portent une casquette. Dans l'affaire Colfer, la plainte était portée par une femme qui, pour des raisons fondées sur son sexe, s'était vu refuser un emploi contrairement aux prescriptions des alinéas a) et b) et qui avait fait l'objet de discrimination en contravention de l'alinéa g) parce qu'elle ne pou- vait se conformer à l'exigence de taille et de poids visant les officiers de police. Le professeur Cum ming a jugé que •l'intention de discriminer n'était pas un élément essentiel d'une contravention au
paragraphe 4(1), mais qu'il suffisait que l'exigence imposée à tous sans intention de discriminer ait des conséquences préjudiciables pour un motif de dis tinction illicite. Dans sa décision, le professeur Cumming renvoyait à l'arrêt Griggs v. Duke Power Co. et au passage fréquemment cité de l'arrêt Re Attorney -General for Alberta and Gares et al. (1976), 67 D.L.R. (3d) 635 [C.S. I re inst. Alb.] portant sur les dispositions de l'Indivi- dual's Rights Protection Act de l'Alberta, S.A. 1972, chap. 2, en matière d'égalité de traitement, dans lequel, rejetant l'argument qu'aucune indem- nité n'était due puisqu'il n'y avait pas eu intention de discriminer, le juge D. C. McDonald dit à la page 695: [TRADUCTION] «Ce sont les conséquen- ces discriminatoires qui sont interdites et non pas l'intention discriminatoire.» Cependant, il s'agis- sait clairement d'un cas de traitement défavora- ble n'exigeant pas l'application du concept de con- séquences préjudiciables ou de discrimination indirecte.
Il en est de même de l'arrêt Re Rocca Group Ltd. and Muise (1979), 102 D.L.R. (3d) 529 [C.S. Î.-P.-E.] dans lequel le juge McDonald de la Cour d'appel de l'Île-du-Prince -Edouard rendant juge- ment pour la majorité affirmait la p. 533] que [TRADUCTION] «l'intention n'a aucune pertinence quant à la question de savoir s'il y a eu discrimina tion». Dans cette affaire, il fallait déterminer si la clause d'un bail de location dans un centre com mercial stipulant que les services offerts par un salon de coiffure pour hommes ne pouvaient s'adresser qu'aux hommes était nulle pour cause de discrimination au sens de l'alinéa 2a) du Human Rights Act de l'Île-du-Prince -Edouard, S.P.E.I. 1975, chap. 72, qui prévoit que [TRADUCTION] «Nul ne doit agir de façon discriminatoire ... contre un individu ou une catégorie d'individus relativement à la jouissance de lieux, services et installations auxquels les membres du public ont accès ...» Pour appuyer ses propos, le juge McDo- nald a fait état des arrêts Griggs et Gares, des décisions du professeur Cumming dans les affaires Singh et Colfer et de ce que disait le juge en chef Laskin dans la cause Gay Alliance Toward Equa lity c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435, à la page 446: «L'article 3 du Human Rights Code ne soulève pas la question de l'intention.»
Dans l'affaire Ontario Human Rights Commis sion et al. v. Simpsons-Sears Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 423 (C.A.); 36 O.R. (2d) 59 (C. div.), la Cour divisionnaire et la Cour d'appel de l'Ontario ont refusé d'appliquer le concept des conséquences préjudiciables aux termes de l'alinéa 4(1)g) du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1980, chap. 340, qui était similaire à la disposition invoquée dans l'arrêt Colfer. Dans cette affaire, une adven- tiste du septième jour se plaignait du fait que l'obligation de travailler le samedi constituait une discrimination pour un motif fondé sur ses convic tions religieuses. La Cour d'appel, confirmant de façon unanime le jugement majoritaire de la Cour divisionnaire, jugea que l'intention de discriminer était un élément essentiel d'une infraction à l'ali- néa 4(1)g). Le professeur Edward Ratushny, en sa qualité de commissaire enquêteur, avait jugé, en s'appuyant sur l'arrêt Gares et les décisions du professeur Cumming dans les affaires Singh et Colfer, que l'intention de discriminer n'était pas un élément essentiel. La conclusion de la Cour divisionnaire et de la Cour d'appel sur ce point reposait sur l'opinion suivant laquelle l'expression «en raison de» au paragraphe 4(1) visait les motifs d'un acte particulier, mais était également influen cée, de toute évidence, par l'absence de «clause dérogatoire» permettant à l'employeur d'opposer une exception ou une défense fondée sur un impé- ratif commercial ou un compromis acceptable. On a souligné que la défense d'exigence profession- nelle normale prévue au paragraphe 4(6) du Code ne visait que les cas de discrimination dans l'em- ploi fondés sur l'âge, le sexe ou l'état civil. On a également souligné qu'il n'existait pas de disposi tion législative comparable au paragraphe 701j) du Civil Rights Act of 1964 des Etats-Unis qui fut adopté en 1972 pour obliger les employeurs à s'adapter d'une manière raisonnable aux pratiques religieuses de leurs employés s'ils pouvaient le faire sans imposer de contrainte excessive à leurs entre- prises. Le juge Southey de la Cour divisionnaire et le juge Lacourcière de la Cour d'appel estimaient que les propos du juge D. C. McDonald dans l'arrêt Gares relativement aux dispositions portant sur l'égalité de traitement n'étaient d'aucun secours dans l'interprétation de l'alinéa 4(1)g) du Code. En ce qui concerne l'arrêt Griggs, le juge Southey affirmait en outre que, selon lui, il ne s'appliquait pas parce qu'il visait les conditions de discrimination raciale très particulières aux États-
Unis. Le juge d'appel Lacourcière trouva un argu ment supplémentaire en faveur de sa conclusion suivant laquelle l'intention discriminatoire était un élément essentiel dans la décision du législateur ontarien de prévoir expressément les cas de consé- quences préjudiciables ou de discrimination indi- recte à l'article 10 du Code des droits de la personne, 1981 (S.O. 1981, chap. 53):
10. Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la pre- mière partie le fait d'imposer une exigence, notamment de qualité requise, qui n'est pas un motif de discrimination illicite mais qui a pour résultat d'exclure un groupe de personnes défini par un motif de discrimination illicite ou de reconnaître une qualité ou d'accorder une préférence à un groupe de ce genre dont fait partie la personne lésée; sauf:
a) si l'exigence est normale compte tenu des circonstances;
b) si la présente loi stipule que la pratique d'un acte discriminatoire en raison d'un tel motif n'enfreint pas un droit.
Quant à la question de savoir si les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent un fondement légal suffisant pour justifier l'application de la notion de consé- quences préjudiciables ou de discrimination indi- recte, les avocats ont discuté du libellé des articles 2, 7 et 10 de la Loi. L'article 2 définit comme suit l'objet de la Loi en matière de discrimination:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé- tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considéra- tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs handicaps physiques;
Les avocats du CN et du procureur général du Canada ont soutenu que les mots «des considéra- tions fondées sur», à l'article 2, indiquaient que la Loi visait les mesures prises pour des motifs discri- minatoires. Ils ont souligné également que les mots «pour un motif de distinction illicite» aux articles 7 et 10 de la Loi suggéraient aussi l'idée d'intention. De leur côté, les avocats de la Commission et de M. Bhinder ont prétendu que le mot «indirecte- ment» à l'article 7 et l'expression «d'une manière susceptible d'annihiler» à l'article 10 visaient les
conséquences de l'acte indépendamment de l'inten- tion. Ils ont soutenu en outre que le libellé du paragraphe 41(3) de la Loi qui confère au tribunal le pouvoir d'ordonner le paiement d'une indemnité supplémentaire lorsque l'acte discriminatoire a été commis «de propos délibéré ou avec négligence» montre bien que l'intention de discriminer n'est pas nécessaire pour qu'il y ait un acte discrimina- toire donnant ouverture à un redressement en vertu du paragraphe 41(2).
À mes yeux, il s'agit moins en l'espèce de déter- miner si l'intention de discriminer est un élément essentiel des actes discriminatoires définis aux arti cles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne que de rechercher si ces articles visent autant la discrimination indirecte que la discrimi nation directe. De toute évidence, la Loi vise les conséquences discriminatoires et, dans les cas de traitement défavorable tel l'inégalité de salaires, l'élément objectif de discrimination importe plus que l'intention. Il y a une distinction entre le traitement défavorable, qui peut être ou ne pas être le fruit d'une intention discriminatoire, mais qui généralement le sera, et le traitement qui à première vue semble uniforme, mais qui aura néanmoins une incidence discriminatoire sur un individu particulier pour un motif de distinction illicite.
On pourrait penser que le mot «indirectement» à l'article 7 de la Loi indique que l'on vise autant la discrimination indirecte que directe, mais, à mon avis, il ne fait que qualifier la façon dont sont commis les actes qui y sont décrits («refuser d'em- ployer ou de continuer d'employer un individu» ou «défavoriser un employé») plutôt que la façon dont ils produisent leur effet discriminatoire. Je ne crois pas non plus que les mots «de propos délibéré ou avec négligence» au paragraphe 41(3), qui définis- sent un certain état d'esprit ou degré d'intention, établissent clairement que l'article 7 vise autant la discrimination indirecte que directe. Selon moi, l'article 7 ne vise que la discrimination directe, à savoir la discrimination avec l'intention de discri- miner ou le traitement défavorable infligé avec ou sans intention pour un motif de distinction illicite. Cet article n'englobe donc pas les cas de discrimi nation ne comportant ni intention de discriminer ni traitement défavorable.
En revanche, il semble que l'article 10 ait une portée suffisamment large pour inclure les inciden ces de la discrimination indirecte qui sont couver- tes, à mon avis, par les mots «d'une manière sus ceptible d'annihiler» et plus précisément par l'expression «d'une manière susceptible». Ce sont pratiquement les mêmes termes que dans l'alinéa 703a)(2) du Civil Rights Act of 1964 des États- Unis, la disposition légale sur laquelle repose l'ap- plication de la notion de conséquences préjudicia- bles en matière de discrimination dans l'arrêt Griggs. Il est vrai que les mots «ou, d'une façon générale, de nuire» apparaissaient également dans cette disposition et que les commentateurs leur ont accordé une certaine importance dans l'explication de la décision (voir Blumrosen, op. cit., page 74; Tarnopolsky, op. cit., page 89), mais, à mon avis, ils n'ajoutent rien, aux fins de la présente espèce, à ce qu'expriment déjà les mots «d'une manière sus ceptible d'annihiler». En outre, je note que, malgré la présence des mots «en raison de» à l'alinéa 703a)(2), la Cour a néanmoins conclu que cette disposition autorisait l'application de la notion des conséquences préjudiciables. J'abonde dans le même sens pour ce qui est des mots «pour un motif ... illicite» à l'article 10 qui, relativement aux conséquences, signifient en raison d'un motif de distinction illicite.
Pour ces motifs, abstraction faite de la question de l'application et de l'incidence des dispositions du Code canadien du travail et des règlements en matière de sécurité, je conclus que l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne suffi- sait pour étayer la conclusion suivant laquelle, de prime abord, le CN avait commis un acte discriminatoire.
La seconde question qui se pose est de savoir si le tribunal a fait une erreur de droit en jugeant que la politique du CN relativement au port du casque de sécurité ne constituait pas, dans le cas de Bhinder, une exigence professionnelle normale. Les avocats du CN et le procureur général du Canada se sont principalement appuyés sur l'inter- prétation de cette exception ou défense par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke [[1982] 1 R.C.S. 202];
132 D.L.R. (3d) 15. Dans cette affaire, il fallait déterminer si une disposition prévoyant la mise à la retraite obligatoire des pompiers municipaux à l'âge de 60 ans constituait une exigence profession- nelle normale du poste ou de l'emploi, au sens du paragraphe 4(6) du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318. Le juge McIntyre, qui prononça le jugement unanime de la Cour, dit ceci à la page 208 [Recueil des arrêts de la Cour suprême] :
Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restric tion comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.
Les avocats du CN et le procureur général du Canada ont plaidé qu'à la lumière de cette défini- tion et des constatations du tribunal quant au but visé par le CN en imposant le port du casque de sécurité et aux effets véritables de cette politique, la seule conclusion possible en droit était de décla- rer qu'il s'agissait d'une exigence professionnelle normale au sens de l'alinéa 14a) de la Loi. Le tribunal a conclu que l'exigence relative au port du casque de sécurité n'avait pas été adoptée ni appli- quée à M. Bhinder par le CN avec une intention discriminatoire, mais que la compagnie l'avait imposée à tous ses employés du centre de triage de Toronto en croyant honnêtement améliorer ainsi leur sécurité. Selon eux, cette conclusion satisfai- sait au critère subjectif. Le tribunal a également décidé que l'exigence relative au port du casque de sécurité était une politique valable qui devait amé- liorer la sécurité des employés tout en permettant de réduire les obligations du CN au chapitre du régime d'indemnisation et que, par ailleurs, Bhin- der courait un plus grand risque de blessures, à peine plus élevé cependant, s'il portait le turban au lieu du casque de sécurité. Selon les avocats, cela satisfaisait au critère objectif.
Voici de quelle façon le tribunal a abordé la question de l'exigence professionnelle normale. Il est tout d'abord parti du principe que cette notion devait être appliquée restrictivement puisqu'il
s'agissait d'une exception à ce qui autrement serait considéré comme un acte discriminatoire. Il a ensuite soupesé, d'une part, les risques et les coûts supplémentaires qu'entraînerait le fait d'autoriser M. Bhinder à porter le turban au lieu du casque de sécurité et, d'autre part, les conséquences de l'obli- gation pour ce dernier de choisir entre sa religion et son emploi. Dans son analyse, le tribunal a appliqué le principe selon lequel l'employeur a le devoir de tenir compte des pratiques religieuses d'un employé en le dispensant d'une obligation ou en la remplaçant par une autre s'il peut le faire sans imposer de contrainte excessive à l'exploita- tion de son entreprise. Les avocats du CN et le procureur général du Canada ont soutenu que le tribunal a commis une erreur en introduisant cette notion dans l'exception ou la défense fondée sur l'exigence professionnelle normale parce qu'elle ne s'appuyait sur rien dans la Loi et qu'elle en avait même été exclue par la définition de l'expression «exigences professionnelles normales» par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Etobicoke.
L'obligation de tenir compte de la situation de l'employé de même que le concept de conséquences préjudiciables en matière de discrimination - sont des notions empruntées au droit américain par les tribunaux canadiens des droits de la personne. Ces notions ont été expressément introduites dans la législation américaine en 1972 par une modifica tion apportée au Titre VII du Civil Rights Act of 1964 dont le paragraphe 701j) prévoyait que [TRA- DUCTION] «"religion" désigne tous les aspects des observances et des pratiques religieuses, ainsi que de la croyance, à moins qu'un employeur ne prouve qu'il est incapable de s'adapter d'une manière raisonnable aux observances ou aux pratiques reli- gieuses d'un employé ou d'un employé éventuel sans subir de contrainte excessive quant à la con- duite de ses affaires.» Cette modification fut adop- tée par suite de l'opinion exprimée lors d'une demande de nouvelle audition dans l'affaire Dewey v. Reynolds Metal Company, 429 F.2d 324 [6th Cir. 1970] (confirmée sur partage égal des opi nions en Cour suprême, 402 U.S. 689 (1971)) suivant laquelle une telle obligation n'existait pas aux termes de la loi en vigueur à cette époque.
Cette notion de l'obligation faite à l'employeur de tenir compte de la situation de l'employé fut appliquée par le professeur Cumming dans les
affaires Singh et Colfer. Dans la cause Simpsons- Sears, le professeur Ratushny exprima certaines réserves quant à sa portée véritable et tant la Cour divisionnaire que la Cour d'appel conclurent que cette notion ne trouvait aucun appui dans le Code des droits de la personne de l'Ontario en vigueur à l'époque. Citant l'arrêt Dewey et les modifications apportées en 1972 au Civil Rights Act of 1964, le juge d'appel Lacourcière dit à la page 426: [TRA- DUCTION] «Il me paraît évident que la jurispru dence américaine postérieure à 1972 que semblent avoir suivie divers présidents de commissions d'en- quête constituées en vertu du Code des droits de la personne de l'Ontario n'est d'aucun secours dans l'interprétation du Code antérieur à la modifica tion de 1981 proclamée le 15 juin 1982, qui a introduit le nouvel article (art. 10) .. .» Même si le juge d'appel Lacourcière s'intéressait principale- ment à la question de savoir si l'intention de discriminer était un élément essentiel d'une contra vention à l'alinéa 4(1)g) du Code, je déduis de ses propos qu'il est d'avis que l'obligation de tenir compte de la situation de l'employé existe aujour- d'hui en vertu du nouvel article 10 précité.
En l'espèce, le tribunal, se rangeant à l'argu- ment des avocats de la Commission et de M. Bhinder, a adopté le point de vue que l'obligation de tenir compte de la situation de l'employé est un élément nécessaire pour que s'applique à un cas particulier l'exception fondée sur l'exigence profes- sionnelle normale. La notion de conséquences pré- judiciables ou de discrimination indirecte a pour corollaire que l'exception doit être examinée en fonction de l'employé visé; s'il en était autrement, l'exception pourrait rendre illusoire l'existence de la notion de discrimination indirecte. Afin de déterminer si l'exigence est justifiée vis-à-vis de l'employé, il est donc nécessaire, en soupesant les divers facteurs pertinents, y compris l'effet discri- minatoire, de se demander si l'employeur pouvait, dans ce cas particulier et sans imposer de con- trainte excessive à son entreprise, dispenser l'em- ployé de cette exigence ou la remplacer par une autre. En Grande-Bretagne, les tribunaux du tra vail adoptent une approche identique lorsque, dans les causes de discrimination indirecte intentées en vertu du Sex Discrimination Act 1975 et du Race Relations Act 1976, ils déterminent si l'exigence ou la condition imposée est «justifiée»: voir l'arrêt Singh v. Rowntree MacKintosh Ltd., [1979]
I.C.R. 554 [E.A.T. Écosse]. À mon avis, c'est une approche valable qu'en droit les tribunaux des droits de la personne peuvent adopter en vertu de l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que n'exclut pas la définition donnée à l'expression «exigences professionnelles normales» par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Etobicoke.
L'application et l'évaluation des divers facteurs dont il faut tenir compte lorsqu'on détermine si une exigence ou une condition particulière est raisonnablement nécessaire eu égard à l'employé visé ou encore si, dans les circonstances, l'em- ployeur a l'obligation de s'adapter aux pratiques religieuses de l'employé, mettent essentiellement en jeu des questions de fait et dans une certaine mesure des questions de principe en matière de droits de la personne. Voir à ce sujet l'opinion formulée par le juge Ritchie (parlant alors en son nom et aux noms du juge en chef Laskin et du juge Dickson) dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [[1982] 2 R.C.S. 145]; 137 D.L.R. (3d) 219, aux pages 153 et 154 [Recueil des arrêts de la Cour suprême] quant à la nature de la question de la «cause raisonnable» au sens de l'article 3 du Human Rights Code de la Colombie-Britannique [R.S.B.C. 1979, chap. 186], et l'opinion exprimée par lord Denning, M.R., dans l'affaire Panesar v. Nestlé Co. Ltd., [1980] I.C.R. 144 [C.A. Angl.], à la page 147 quant à la nature de la question de savoir si une exigence ou une condition est «justi- fiée» en vertu du paragraphe 1(1) du Race Rela tions Act 1976. Les pouvoirs d'examen de cette Cour, dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28, ne sont pas aussi étendus que ceux de la Cour divisionnaire dans un appel fondé sur le Code des droits de la personne, 1981 de l'Ontario qui prévoit expressément que la Cour peut exami ner les questions tant de fait que de droit et même substituer son opinion à celle de la commission d'enquête. Les pouvoirs de la Cour fédérale sont également moins étendus que ceux dont disposent les tribunaux américains lorsqu'ils examinent si un employeur peut raisonnablement s'adapter aux pratiques religieuses de son employé sans pour autant imposer de contrainte excessive à son entre- prise. Voir à cet égard l'arrêt Trans World Airli nes, Inc. v. Hardison et al., 432 U.S. 63 (1977) [S.C.]. Quand il s'agit essentiellement d'une ques-
tion de fait, cette Cour doit s'en tenir, conformé- ment à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], à déterminer si le tribunal a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée «tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance». J'estime égale- ment que la Cour ne devrait pas intervenir à la légère dans ce qui constitue essentiellement une question de politique en matière de droits de la personne, portant sur l'application des principes ou critères que les tribunaux des droits de la personne ont élaborés sous forme d'un courant jurispruden- tiel distinct dans un domaine relativement nouveau
du droit.
En l'espèce, la conclusion du tribunal relative- ment à la question de l'exigence professionnelle normale repose sur plusieurs constatations de fait et sur des choix politiques quant à l'importance à accorder aux divers facteurs pertinents. Le tribu nal était à même d'examiner des éléments de preuve portant sur les risques relatifs de blessures à la tête et d'électrocution que comporte le travail de M. Bhinder ainsi que sur les propriétés respecti- ves du casque et du turban au plan de la sécurité. Il n'est pas utile de revoir en détail ces éléments de preuve. S'appuyant sur cette preuve, le tribunal a conclu que le risque que M. Bhinder soit blessé à la tête s'il portait le turban au lieu du casque de sécurité était léger sinon négligeable et que, quant au risque d'électrocution, il n'était pas suffisam- ment élevé pour mériter qu'on en tienne compte. Le tribunal a aussi jugé que ni les autres employés ni le public en général ne courraient de risque. Il m'est impossible de conclure que l'une ou l'autre de ces constatations de fait permette d'appliquer l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale. Selon moi, la seule controverse possible porterait sur la constatation que la preuve n'a pas établi l'existence d'un danger qui rende applicable au travail de M. Bhinder le règlement sur la protec tion contre les dangers de l'électricité qui, dans sa définition d'«installation électrique», inclut l'équi- pement dont «l'ampacité et la tension présentent un danger pour les employés». Thomas Beaton, directeur régional de l'Ontario pour Travail Canada, est parti du principe que le travail de M. Bhinder était assujetti au règlement sur la protec tion contre les dangers de l'électricité et s'est appuyé notamment sur ce motif pour refuser de
dispenser M. Bhinder de l'obligation de porter le casque de sécurité que lui imposait le CN. Dans sa déposition, il a fait allusion à deux cas d'électrocu- tion d'électriciens d'entretien, sans en préciser tou- tefois les circonstances. Il est manifeste à mon avis que les deux électriciens ne travaillaient pas sur le train Turbo. La preuve a démontré que, même si le travail de Bhinder comportait quelque risque d'électrocution, un électricien d'entretien devrait faire preuve de beaucoup d'imprudence pour s'ex- poser aux risques d'électrocution dans ce type par- ticulier de travail. Il a été établi que le turban n'était pas conforme aux normes en matière d'iso- lation du règlement sur la protection contre les dangers de l'électricité et même que le fait de porter un turban humide pourrait comporter un risque d'électrocution. En soupesant la probabilité d'un risque appréciable d'électrocution dans le tra vail de M. Bhinder avec l'incidence que pourrait avoir à cet égard le port d'un casque de sécurité, le tribunal semble avoir attaché une importance toute particulière au fait que les électriciens d'en- tretien travaillant sur le train Turbo n'étaient pas obligés de porter des gants protecteurs ou, en tout état de cause, qu'ils ne le faisaient pas. Il semble que le tribunal faisait allusion à ce qu'il jugeait être le poids de la preuve quant aux dangers d'électrocution lorsqu'il affirma: [TRADUCTION] «Bien que le mis en cause [sic] ait laissé entendre qu'il y avait risque d'électrocution pour les électri- ciens d'entretien du turbotrain, il n'a fourni aucune preuve concrète à cet égard.» Même si je fais quelques réserves quant à la constatation du tribunal sur cette question, il m'est néanmoins impossible de conclure qu'il s'agit d'une erreur visée par l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale.
Voyons maintenant si le tribunal a fait une erreur de droit en jugeant que, si M. Bhinder et d'autres Sikhs étaient autorisés à porter le turban au lieu du casque, la hausse éventuelle des obliga tions du CN au titre du régime d'indemnisation, en tant qu'employeur figurant à l'annexe 2 prévu à la Loi sur les accidents du travail de l'Ontario, ne constituait pas une contrainte excessive et que, même si c'était le cas, le CN était quand même tenu de s'adapter à la situation de l'employé en raison de l'importance relative de la liberté de religion de M. Bhinder. Le raisonnement du tribu nal sur ce point peut se résumer comme suit:
l'accroissement des coûts qu'auraient à assumer les employeurs figurant à l'annexe 1 si on dispensait les Sikhs de porter le casque de sécurité serait très minime puisque le risque est partagé entre un grand nombre d'employeurs. Dans le cas des employeurs figurant à l'annexe 2, qui indemnisent directement les employés, l'augmentation des coûts serait plus importante, mais demeurerait néan- moins très minime étant donné la taille de tels employeurs. Même si l'accroissement des risques n'était pas minime, il ne devrait pas être considéré comme une contrainte excessive puisqu'il s'agit d'un risque inhérent au fait d'employer des indivi- dus en conformité de la Loi canadienne sur les droits de la personne et d'un risque que l'em- ployeur, qu'il figure à l'annexe 1 ou à l'annexe 2, est tenu d'accepter étant donné le caractère univer- sel du régime d'indemnisation des travailleurs. En fait, le tribunal a jugé, si je comprends bien ses motifs, que l'accroissement des obligations au cha- pitre du régime d'indemnisation pour l'employeur qui doit s'adapter aux pratiques religieuses d'un employé ne peut en principe constituer une con- trainte excessive ni un motif justifiant un refus de s'adapter. J'estime que cette conclusion sur la question de la contrainte excessive cadre bien avec l'ensemble de la politique des droits de la personne et qu'elle doit, comme question de droit, être lais- sée à l'appréciation du tribunal des droits de la personne chargé de déterminer si, dans un cas particulier, l'employeur a l'obligation de tenir compte de la situation d'un employé. Ce n'est pas, à mon avis, un point de vue déraisonnable compte tenu des risques inhérents à cette obligation et de la nature du régime d'indemnisation. Compte tenu de sa conclusion suivant laquelle M. Bhinder cour- rait certains risques s'il portait le turban au lieu du casque, le tribunal était sans aucun doute habilité à conclure, quant aux faits, que l'accroissement possible des obligations du CN au chapitre du régime d'indemnisation serait très minime pour un employeur de sa taille et ne constituerait pas une contrainte excessive. Cependant, même si on consi- dère qu'il s'agit d'une question de droit, étant donné la façon dont le tribunal en a traité par la suite, je ne suis pas prêt à admettre, en raison de la nature essentiellement politique du jugement, que cette opinion relativement à l'accroissement des obligations au titre du régime d'indemnisation des travailleurs doit être jugée manifestement erronée en droit.
Il nous reste maintenant à traiter de ce qu'on pourrait appeler la question de compétence. Il s'agit en fait de l'argument suivant lequel le tribu nal n'avait pas compétence pour se prononcer sur l'application des dispositions en matière de sécurité du Code canadien du travail et des règlements sur les vêtements protecteurs et sur la protection contre les dangers de l'électricité, et pour juger que, malgré ces dispositions et le refus du minis- tère fédéral du Travail d'accorder une dispense, la politique du CN relativement au port du casque de sécurité constituait de prime abord, dans le cas de M. Bhinder, un acte discriminatoire et n'était pas une exigence professionnelle normale. Le tribunal est parti du principe que l'interprétation et l'appli- cation de la loi et des règlements fédéraux sont subordonnées aux dispositions de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne. Je souscris à cette opinion qui est conforme à l'intention expri- mée à l'article 2 de la Loi qui stipule que son objet est de «compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants ...» et qui respecte également la préséance qu'il faut accorder à la législation sur les droits de la per- sonne, selon l'opinion exprimée par le juge Lamer, et appuyée par les juges Estey et McIntyre, dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [[1982] 2 R.C.S. 145]; 137 D.L.R. (3d) 219, et par la Cour d'appel du Mani- toba dans l'affaire Re Newport and Government of Manitoba (1982), 131 D.L.R. (3d) 564. Une exi- gence ou condition d'emploi, même si elle est imposée conformément à une loi ou à un règlement fédéral valide, ne doit pas, dans son application, avoir d'effet discriminatoire et ainsi contrevenir à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il s'ensuit donc que le tribunal avait nécessairement compétence pour tenir compte de l'application du Code et des règlements en l'espèce, ainsi que des diverses questions touchant la sécurité et les ris- ques afin de déterminer si, à la lumière de toutes les circonstances, l'employeur devait s'adapter aux pratiques religieuses de M. Bhinder. À supposer même que la politique du CN relativement au port du casque de sécurité ait été imposée par le Code et le règlement sur les vêtements protecteurs, sinon par le règlement sur la protection contre les dan gers de l'électricité, j'estime, comme le tribunal, qu'elle ne constituait pas nécessairement, dans le cas de M. Bhinder, une exigence professionnelle
normale. J'ai déjà expliqué plus haut pourquoi, à mon avis, l'obligation de s'adapter à la situation de l'employé est un élément essentiel de l'application de l'exception fondée sur l'exigence professionnelle normale dans un cas de discrimination indirecte. Le fait que l'exigence ait été imposée conformé- ment à la loi ou au règlement ne modifie en rien mon opinion à ce sujet. En conséquence, la ques tion de savoir si le tribunal a conclu à tort ou à raison que le règlement sur la protection contre les dangers de l'électricité ne s'appliquait pas et que le turban répondait aux exigences du règlement sur les vêtements protecteurs comme moyen de se protéger la tête, ne peut en rien influer, à mon avis, sur la validité de sa décision dans la mesure la preuve vient étayer les constatations essen- tielles exprimées par ses conclusions quant au risque relatif d'électrocution et aux propriétés pro- tectrices du turban par rapport au casque de sécu- rité. Je suis d'avis que ses conclusions sont appuyées par certains éléments de preuve et qu'il était donc permis au tribunal d'en tenir compte pour déterminer si, à la lumière de toutes les circonstances, l'employeur avait l'obligation de s'adapter à la situation de l'employé.
Par ces motifs, je rejetterais la présente demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mes collègues Heald et Le Dain. Je souscris à la conclusion à laquelle est arrivée le juge Heald, mais il y a certaines questions dont il n'a pas traité dans ses motifs et qui, selon moi, méritent de l'être.
Même si le tribunal des droits de la personne ne le dit pas expressément dans sa décision, la cons truction même de son texte montre bien qu'il s'est attaché à étudier l'évolution de la politique des droits de la personne et qu'à cette fin, il a emprunté abondamment à la jurisprudence et aux pratiques de juridictions autres que le Canada (au niveau fédéral) en ne tenant pas compte dans certains cas des différences qui existent entre les textes législatifs canadiens et ceux d'autres pays.
La Loi canadienne sur les droits de la personne définit l'acte discriminatoire et confère à la Com mission, par son paragraphe 22(2) [abrogé et rem- placé par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 5], le pou- voir de formuler des directives 8 qui, dès qu'elles sont validement adoptées lient la Commission et tout tribunal. De plus, ces directives, suivant les prescriptions du paragraphe 22(2), ont force de loi.
Lorsqu'une plainte est déposée, la Commission peut constituer un tribunal chargé de l'examiner; à l'issue de son enquête, le tribunal a le pouvoir a) de rejeter la plainte; b) de la juger fondée; toutefois, il ne peut rendre des ordonnances punitives que s'il a jugé la plainte fondée.
Maintenant que nous avons bien circonscrit les pouvoirs du tribunal, il nous faut rechercher, à mon avis, les principes établis par la Loi en inter- prétant les mots qu'a employés le Parlement pour les formuler et que viennent préciser les directives édictées par la Commission en vertu du pouvoir législatif délégué qui lui a été conféré.
Dans l'exercice de ses fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, le tribunal est, de toute évidence, appelé à interpréter la loi qui le régit, mais il doit alors, conformément aux règles bien établies d'in- terprétation des lois, limiter son examen aux mots qu'ont utilisés le Parlement et la Commission pour exprimer leurs intentions respectives. Il semble en l'espèce que le tribunal, en formulant sa décision, a étendu son mandat pour y inclure des domaines qui ne lui ont pas été attribués spécifiquement.
Je n'ai pas l'intention d'énumérer tous les cas le tribunal a agi ainsi dans sa décision. Toutefois, à
8 Le paragraphe 22(2) se lit comme suit:
22....
(2) Dans un cas ou une série de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser les limites et les modalités de l'application de la présente loi dans des ordonnances qui, jusqu'à ce qu'elles soient abrogées ou modifiées, lient la Commission, les tribu- naux des droits de la personne constitués en vertu du para- graphe 39(1) et les tribunaux d'appel constitués en vertu du paragraphe 42.1(2) lors du règlement des plaintes déposées conformément à la Partie III.
titre d'exemple, j'aimerais souligner le passage il discute du [TRADUCTION] «devoir de tenir compte de la situation des employés», principe dont je n'ai trouvé aucune trace dans la législation pertinente.
Ma seconde observation porte sur un autre prin- cipe qui, sans être formulé expressément dans la décision, y est néanmoins intrinsèque, soit le prin- cipe selon lequel en cas de conflit entre les droits de la personne et d'autres dispositions législatives ou réglementaires, les droits de la personne doivent prévaloir. Il m'est difficile de concevoir que, s'il avait eu l'intention d'accorder une primauté uni- verselle aux droits de la personne, le Parlement aurait pu omettre de le dire expressément.
Je n'ai nullement l'intention de dresser la liste de tous les renvois possibles à la décision du tribu nal, mais je tiens à souligner un cas le principe susmentionné est carrément inapplicable. Même si notre société accorde volontiers une très grande importance à la protection des droits de la per- sonne qui sont définis dans la Loi, elle reconnaît cependant l'existence de droits encore plus fonda- mentaux, le respect de la vie humaine et la sauve- garde de l'intégrité physique des individus. Il ne saurait être question de tolérer qu'un individu puisse en tuer ou en estropier un autre sous le prétexte qu'il exprime ses croyances religieuses. Si je comprends bien les motifs du juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke,
[1982] 1 R.C.S. 202, la page 208 9 , il faut se demander, lorsqu'on examine si une exigence pro- fessionnelle est réelle (normale), si le défaut de s'y conformer peut présenter un risque pour l'em- ployé, pour ses compagnons de travail ou pour le public en général.
9 Pour constituer une exigence professionnelle réelle [nor- male], une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.
Il semble donc que si la sécurité de l'employé, de ses compagnons de travail et du public est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de définition ou de violation de droits de la personne, il ne saurait y avoir alors primauté des droits de la personne.
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