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T-8489-82
Jean Senecal (demandeur) c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh—Mont- réal, 27 octobre; Ottawa, 4 novembre 1983.
Transports Contrôle judiciaire Des billets de banque trouvés à l'aéroport de Dorval n'ont pas été réclamés par leur propriétaire L'administrateur régional, agissant conformé- ment au Règlement applicable, a réparti l'argent entre la personne qui l'a trouvé et des organismes de charité Défini- tion de l'expression «institution de charité» en vertu de l'art. 3 du Règlement Peut-on dire que le Règlement est ultra vires parce qu'il accorde un pouvoir discrétionnaire trop grand à l'administrateur régional? S'il n'est pas ultra-vires, rien dans le Règlement n'indique que les alinéas de l'art. 3 doivent être appliqués en ordre consécutif Le Code civil de la province de Québec ne prévoit pas, en l'absence de lois spécia- les à cet effet, de manière de disposer de façon définitive des
objets trouvés Loi sur le ministère des Transports, S.R.C. 1970, chap. T-15 Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 110(8)c) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 43(4); 1977-78, chap. 1, art. 101 (Item 22)), 149.1(1) (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 60(1)) Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, chap. 97, art. 4(e) Code civil du Bas Canada, art. 593, 2268 Règlement sur la disposition des biens personnels trouvés dans les aéro- ports, C.R.C., chap. 1563, art. 2, 3.
Biens personnels Disposition des biens personnels perdus ou abandonnés dans un aéroport Le Règlement autorise l'administrateur régional à donner ces biens à une institution de charité Un employé d'Air Canada a trouvé par terre une somme de 10 000 $ US Il a remis l'argent à la police Il a refusé la récompense de 1 500 $ offerte par l'administrateur régional Le demandeur allègue que le Règlement n'est pas assez précis et qu'il accorde un pouvoir discrétionnaire trop grand à l'administrateur régional Les textes et la jurispru dence invoqués par le demandeur s'appliquent aux règlements auxquels le public doit se conformer Les donataires de biens abandonnés dans les aéroports n'ont pas une telle obliga tion Il n'est pas possible de désigner les organismes de charité qui doivent bénéficier des biens Le montant de la récompense finale offerte n'était pas assez peu élevé pour justifier l'intervention du tribunal dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire administratif Examen des dispositions du Code civil du Québec sur la question de la propriété des biens perdus Règlement sur la disposition des biens personnels trouvés dans les aéroports, C.R.C., chap. 1563, art. 3 Code civil du Bas Canada, art. 593, 2268.
Organismes de charité Le Règlement établi en vertu de la Loi sur le ministère des Transports accorde à l'administrateur régional le pouvoir de disposer des biens personnels perdus ou abandonnés en les donnant à des institutions de charité Définition de l'expression «institution de charité» Organi sation ayant pour objectif d'étendre la culture et la formation musicales des jeunes Canadiens Bien qu'elle vende des billets pour ses spectacles de musique, elle est une organisa tion sans but lucratif L'avancement des arts est un objectif
charitable Le large pouvoir discrétionnaire accordé à l'ad- ministrateur régional quant au choix des institutions de cha- rité ne rend pas le Règlement invalide Règlement sur la disposition des biens personnels trouvés dans les aéroports, C.R.C., chap. 1563, art. 3.
Après avoir trouvé par terre une liasse de billets de banque totalisant 10 000 $ US à l'aéroport de Dorval, le demandeur a apporté l'argent à la GRC. L'agent qui a reçu le demandeur lui a déclaré que l'argent lui serait retourné s'il n'était pas réclamé dans un délai de trois mois. Procédant conformément au Règle- ment sur la disposition des biens personnels trouvés dans les aéroports, l'administrateur régional a décidé de remettre la plus grande partie de l'argent à des institutions de charité après avoir tout d'abord offert une récompense de 1 500 $ au demandeur.
Le demandeur réclame la totalité du montant au motif que le Règlement, et en particulier l'article 3, n'est pas assez précis, accorde un pouvoir discrétionnaire trop grand à l'administra- teur régional et, par conséquent, est ultra vires. Se pose la question de savoir si les organismes de charité en cause étaient des institutions de charité au sens de l'article 3. Le demandeur soutient aussi que les alinéas de l'article 3 devraient être appliqués en ordre consécutif. Il allègue finalement que, en l'absence d'un règlement précis, il a droit à la totalité de l'argent trouvé en vertu du Code civil de la province de Québec.
Jugement: l'action devrait être rejetée. Le Règlement est assez précis; le pouvoir discrétionnaire qu'il confère n'est pas trop vaste et son exercice ne justifie pas l'intervention de la Cour. Les organismes de charité sont tous des «institutions de charité» au sens de l'article 3 du Règlement, cette expression étant synonyme des termes «oeuvre de charité» et «fondation de charité» utilisés dans la Loi de l'impôt sur le revenu. La formulation de l'article 3 ne justifie pas l'interprétation étroite faite par le demandeur selon laquelle les alinéas doivent être appliqués en ordre consécutif. Finalement, le Code civil de la province de Québec n'est d'aucune utilité pour le demandeur étant donné que l'article 2268 ne s'applique pas et que l'article 593 prévoit simplement que, dans la plupart des cas, des lois spéciales s'appliqueront; dans les autres circonstances, il n'est pas possible de disposer des biens trouvés de manière définitive.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Peter Birtwistle Trust v. Minister of National Revenue, [1938-39] C.T.C. 356 (C. de l'É.), confirmé par [1938-39] C.T.C. 371 (P.C.); Commissioners for Special Purposes of the Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531 (H.L.); City of Verdun v. Sun Oil Company Ltd., [1952] 1 R.C.S. 222; Le ministre du Revenu national et autre c. Creative Shoes Ltd., et autres, [1972] C.F. 993 (C.A.); Compagnie Miron Ltée c. Sa Majesté la Reine, [1979] C.A. 36 (Qué.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
AVOCATS:
Pierre Gaston pour le demandeur. Stephen Barry pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Pierre Gaston & Associés, Lachine (Québec), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les faits de l'espèce ne sont pas contestés; toutefois, il semble que certains points soulevés n'ont jamais été tranchés en droit. Le demandeur, surveillant du chargement pour Air Canada, et son épouse quittaient un restaurant de l'aéroport international de Dorval lorsqu'il a trouvé par terre une liasse de billets de banque. Il a demandé à quelques voyageurs qui se trouvaient près de l'endroit si cet argent leur appartenait; comme personne ne le revendiquait, il l'a apporté au bureau de la Gendarmerie royale du Canada de l'aéroport et l'a remis à l'agent qui s'y trouvait. L'argent fut compté et on constata qu'il s'agissait de 100 billets de 100 $ chacun, soit un total de 10 000 $ en devises américaines. L'agent est pré- sumé avoir déclaré au demandeur que si l'argent n'était pas réclamé dans un délai de trois mois, il lui serait retourné et il lui a remis, à titre de reçu non officiel, un morceau de papier sur lequel il a inscrit la date à laquelle l'argent a été trouvé c'est-à-dire le 28 juillet 1981, et une autre date, le 28 octobre 1981. Après l'expiration du délai de trois mois, le demandeur a réclamé l'argent qui lui a été refusé, et il a intenté la présente action. C'est à tort que l'agent lui avait dit que l'argent lui serait remis après un délai de trois mois, mais cette question ne fait pas l'objet du présent litige.
La défenderesse a invoqué le chapitre 1563 de la Codification des règlements du Canada, adopté conformément aux dispositions de la Loi sur le ministère des Transports [S.R.C. 1970, chap. T-15] et intitulé Règlement concernant la disposi tion des biens personnels trouvés dans les aéro- ports. Voici l'article 3 de ce Règlement:
3. Les biens personnels abandonnés ou perdus à l'aéroport restent, sauf réclamation par leur propriétaire, à l'aéroport à la garde du directeur pour une période d'au moins 30 jours et ils sont ensuite remis à l'administrateur régional qui peut en disposer comme suit, à sa discrétion:
a) il les remet à celui qui les a trouvés, s'il ne s'agit pas d'un employé du ministère;
b) il les vend par vente privée ou par vente aux enchères;
c) il les cède, par donation ou autrement à une institution canadienne de charité; ou
d) il les détruit, s'il s'agit de la seule façon adéquate d'en disposer.
André Dumas, qui est administrateur de Trans ports Canada pour la région du Québec depuis 1976, a déclaré sous serment qu'il avait procédé à la distribution de l'argent conformément à cette directive. Le 3 août 1981, date de son dépôt par le directeur des services financiers et administratifs de l'aéroport dans le compte du receveur général du Canada, la somme de 10 000 $ US valait 12 330 $ canadiens. Le 15 septembre, il a décidé d'émettre les chèques suivants:
Jean Senecal, en récompense pour son sens civique 1 500 $
Centraide 2 000 $
Fonds de développement de l'hôpital Ste-Justine 3 000 $
Fondation du Québec des maladies du coeur 1 915 $
Société canadienne du Cancer 1 915 $
Leucan 2 000 $
TOTAL 12 330 $
Le demandeur a ,refusé l'offre qui lui a été faite de sorte que les chèques ont été retenus, sauf celui fait à l'ordre de Leucan que cette dernière avait déjà reçu. Bien que le paragraphe 15 de la défense indique que quatre chèques ont ensuite été établis en avril 1982, deux de 1 000 $ chacun et un troi- sième de 500 $ pour la Société canadienne du Cancer et un autre de 400 $ pour les Jeunesses musicales, M. Dumas a déclaré sous serment que les deux premiers chèques de 1 000 $ chacun n'avaient jamais été envoyés. La Société cana- dienne du Cancer a reçu le chèque de 500 $, les Jeunesses musicales, celui de' 400 $ et Leucan Inc. a produit un reçu au montant de 1 776 $. Le témoin a expliqué que Leucan Inc. est un orga- nisme de charité qui organise des concerts pour le bénéfice de l'hôpital Ste-Justine. Il rappelle que la somme de 2 000 $ avait été accordée pour l'achat de billets pour un dîner visant à recueillir des fonds pour les oeuvres de charité de Leucan, la différence entre le montant du reçu, 1 776 $, et le montant donné, 2 000 $, représentant le coût relativement peu élevé du dîner. Il croit que quelques employés de Transports Canada ont utilisé les billets. L'en- semble du montant n'avait pas encore été distribué parce qu'il avait été décidé d'attendre l'issue de l'instruction et, le 3 mai 1982, un chèque de
2 000 $ a été émis à l'ordre du demandeur Jean Senecal, mais ce dernier l'a refusé. Cette offre est renouvelée en l'espèce.
Bien que la défenderesse ait à sa disposition des représentants des divers organismes auxquels l'ar- gent a été proposé, pour qu'ils témoignent sur la nature des activités de ces organismes, la Cour n'a pas considéré que cela était nécessaire, vu que Centraide est une organisation de bienfaisance centralisée à Montréal, distribuant les fonds recueillis pendant ses campagnes annuelles aux différentes institutions de charité qu'elle patronne, et que les objectifs de la Fondation du Québec des maladies du coeur, la Société canadienne du Cancer ainsi que le travail de l'hôpital Ste-Justine, célèbre hôpital francophone pour enfants, à Mont- réal, sont bien connus. M. Dumas est venu témoi- gner que le travail de Leucan consistait à collecter des fonds pour l'hôpital Ste-Justine.
Jean-Claude Picard, directeur général des Jeu- nesses musicales du Canada, a déposé une copie de la charte de cette organisation qui indique que ses objectifs sont, notamment, d'étendre la culture et la formation musicales des jeunes Canadiens, d'ai- der les artistes canadiens à poursuivre leur carrière musicale, d'aider les jeunes musiciens canadiens à développer leur culture artistique, d'améliorer et de répandre les oeuvres de compositeurs canadiens, et de solliciter et de recevoir à ces fins les contribu tions et les fonds versés par le public ou par des sources privées. Cette organisation existe depuis 1951 et ses activités sont bien connues à Montréal et ailleurs. Bien qu'elle vende des billets pour ses spectacles de musique, elle est une organisation sans but lucratif et reconnue comme telle en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] .
Voici la définition d'«organisme de charité» con- tenue à l'alinéa 110(8)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu [mod. par S.C. 1976-77 chap. 4, art. 43(4); 1977-78, chap. 1, art. 101 (Item 22)]:
110. (8)c) .. .
(i) une œuvre de charité ou une fondation de charité, au sens du paragraphe 149.1(1), qui réside au Canada et qui est créée ou établie au Canada, ou
(ii) une annexe, section, paroisse, congrégation ou autre division d'un des organismes visés au sous-alinéa (i), qui reçoit des dons en son nom propre,
qui a déposé auprès du Ministre, dans la forme prescrite, une demande d'enregistrement, qui a été enregistrée, enregistre- ment qui n'a pas été annulé en vertu des dispositions du paragraphe 168(2).
On trouve les termes «institution de charité» plutôt que les termes «oeuvre de charité» ou «fondation de charité» à l'alinéa 3c) du Règlement 1563 (pré- cité). Le paragraphe 149.1(1) de la Loi [ajouté par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 60(1)] contient les définitions suivantes:
149.1 (1) ...
a) «fondation de charité» désigne une corporation ou une fiducie constituée et administrée exclusivement à des fins charitables, dont aucun revenu n'est payable à un proprié- taire, membre, actionnaire, fiduciaire ou auteur de la fiducie ou de la corporation ou ne peut par ailleurs être disponible pour servir au profit personnel de ceux-ci, et qui n'est pas une oeuvre de charité;
b) «oeuvre de charité» désigne une oeuvre, constituée ou non en corporation, dont toutes les ressources sont consacrées à des activités de bienfaisance menées par l'oeuvre elle-même et dont aucun revenu n'est payable à un propriétaire, membre, actionnaire, fiduciaire ou auteur de la fiducie ou de la corporation ou ne peut par ailleurs être disponible pour servir au profit personnel de ceux-ci;
c) «fins charitables» comprend le versement de fonds à des donataires reconnus;
d) «organisme de charité» désigne une oeuvre de charité ou une fondation de charité;
Le Black's Law Dictionary définit «institution de charité» comme étant [TRADUCTION] «Une ins titution dont les fonds proviennent en tout ou en partie du public ou des sociétés de bienfaisance. Une institution visant à aider une certaine catégo- rie de personnes soit en leur faisant la charité, soit en leur prodiguant un enseignement ou des soins. Une institution administrant une société de bien- faisance publique ou privée; une institution de bienfaisance. Une institution sans but lucratif au service du bien-être du public.» Il donne la défini- tion suivante d'«oeuvre de charité»: [TRADUCTION] «Une oeuvre qui ne possède pas de capital-actions et dont la charte ne contient pas de dispositions concernant les dividendes et les profits, mais qui reçoit ses fonds principalement de sociétés de bien- faisance publiques et privées et les garde en fiducie pour les utiliser selon les fins et objets exposés dans sa charte. Une oeuvre administrée non pas dans le but de faire des profits mais pour aider au bien- être des autres.»
L'arrêt Peter Birtwistle Trust v. Minister of National Revenue' traitait de l'alinéa 4e) de l'an- cienne Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, chap. 97, qui utilisait les termes «institutions religieuses, de charité, agricoles et d'enseignement, et de toutes chambres de com merce». Le juge Maclean déclare à la page 360 du jugement de première instance:
[TRADUCTION] Une institution de charité est, à mon avis, une organisation créée pour promouvoir un certain objectif public, de caractère charitable, et fonctionnant comme telle, et je ne crois pas que l'on puisse affirmer que le fiduciaire canadien ou le fiduciaire de Colne, la ville de Colne ou le fonds en fiducie lui-même sont visés par cette définition. Une institution de charité est, selon moi, nettement distinguable d'une société de bienfaisance ou d'une fiducie de bienfaisance.
Dans l'appel de cette décision interjeté devant le Conseil privé, publié dans le même recueil à la page 371, le Comité judiciaire a approuvé cette distinction et y a même ajouté des détails. Dans le sommaire précédant l'arrêt, on mentionne la déci- sion fréquemment citée Commissioners for Spe cial Purposes of the Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531 [H.L.], dans laquelle lord Mac- naghten a déclaré que [TRADUCTION] «société de bienfaisance» dans son sens juridique se divise en quatre catégories principales: [TRADUCTION] «les fiducies de secours aux pauvres, les fiducies pour l'avancement de l'instruction, les fiducies pour l'avancement de la religion et les fiducies pour d'autres fins profitables pour la communauté qui n'entrent pas dans l'une des catégories précéden- tes». Le sommaire dit que [TRADUCTION] «L'effet du présent jugement est de restreindre la définition qui précède aux fins de l'interprétation des termes «de charité» liés au terme «institutions» à l'alinéa 4e).»
Le Canadian Encyclopedic Digest (Ontario), titre 24-20, 29, dit que [TRADUCTION] «L'avan- cement des arts est un objectif charitable qui profite au public en général, et il en est ainsi d'une donation pour encourager la formation de chan- teurs.» Dans le Canadian Encyclopedic Digest (Western), titre 24-11, 10, on trouve l'énoncé suivant: [TRADUCTION] «Une institution de charité est une organisation créée pour encourager un projet public de caractère charitable et fonction- nant comme telle.»
Il ne fait aucun doute que de nombreuses caté- gories d'organisations sans but lucratif rendant des
' [1938-39] C.T.C. 356 [C. de l'É.].
services pour le bien-être du public, mais qui ne sont pas à strictement parler des sociétés de bien- faisance, peuvent facilement être enregistrées en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu pour que les donations qu'elles reçoivent soient exonérées de l'impôt. Ces organisations peu- vent être sportives ou culturelles. Feraient partie de ces dernières, les orchestres, les compagnies de ballet, les troupes de théâtre et les organisations musicales comme Les Jeunesses musicales. Ce ne sont pas des institutions de charité au sens étroit de cette expression. En revanche, il serait difficile de conclure que l'hôpital Ste-Justine, la Fondation des maladies du cœur ou la Société canadienne du Cancer ne sont pas des institutions de charité, et rien n'indique qu'il fallait accorder à l'expression «institution de charité» une signification étroite et restrictive ou qu'il fallait l'interpréter de façon différente des expressions «oeuvre de charité» ou «fondation de charité» employées dans la Loi de l'impôt sur le revenu. En outre, même si on con- cluait que les 400 $ donnés aux Jeunesses musica les leur ont été accordés à tort, ou que, jusqu'à concurrence de la différence entre 2 000 $ et 1 776 $, le montant accordé à Leucan Inc. lui a été donné à tort puisque le donateur en a retiré quel- ques bénéfices sous la forme de billets pour un dîner, utilisés par des membres du ministère des Transports, cela ne signifierait pas que le deman- deur lui-même a droit de réclamer ces sommes. J'ajouterais que M. Dumas s'est montré un témoin impartial et sérieux, et que la manière dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire n'était pas iné- quitable et qu'elle ne violait pas les règles de justice naturelle.
L'argument principal du demandeur consiste à dire que le chapitre 1563, et en particulier l'article 3 concernant la disposition des biens personnels laissés dans les aéroports, n'est pas assez précis, accorde un pouvoir discrétionnaire trop grand à l'administrateur régional et, par conséquent, est ultra vires. Le demandeur a invoqué à l'appui de cette allégation un bon nombre de textes de doc trine en français. Il est dit à la page 127 du manuel de Pépin et Ouellette, Principes de contentieux administratif, qu'un règlement doit être complet en lui-même et suffisamment explicite pour per- mettre à un administré de se rendre compte s'il s'y est conformé. Si ses droits et obligations dépen- dent, en totalité ou en partie, du bon vouloir et du
jugement de l'autorité à qui le règlement reconnaît une discrétion, l'administré est dans l'inconnu jus- qu'à l'intervention de cette autorité. On mentionne à la page 128 le jugement du juge Fauteux dans l'arrêt de la Cour suprême City of Verdun v. Sun Oil Company Ltd. 2 il a déclaré:
[TRADUCTION] Il suffit de lire l'article 76 pour conclure qu'en l'adoptant, la ville avait, en fait, laissé d'une façon finale à la discrétion exclusive des membres du conseil de la ville alors en fonction ce que la législature provinciale l'a autorisée, en vertu de l'article 426, à régir effectivement par règlement. Ainsi, l'article 76 transforme de fait un pouvoir de réglementer par législation en un simple pouvoir administratif et discrétionnaire d'annuler par résolution un droit qui, illimité à défaut de quelque règlement, serait nécessairement, dans un règlement valide, réglementé. Ce n'est pas ce qu'autorise l'article 426.
Il a été jugé dans cet arrêt que le pouvoir de faire des règlements de zonage touchant des droits de propriété ne peut être transformé en un pouvoir administratif discrétionnaire de caractère indivi- duel. Le demandeur a également invoqué le manuel de Patrice Garant, Droit administratif, il est dit à la page 285:
Le règlement est un acte normatif «dans la mesure il a pour rôle de créer des normes légales de comportement et non simplement de prendre des décisions individuelles».
Il est fait mention à la page 286 de ce manuel d'une décision de la Cour d'appel fédérale dans Le ministre du Revenu national et autre c. Creative Shoes, et autres;, dans laquelle la Cour a déclaré, aux pages 1000 et 1001:
En outre, le mot employé n'est pas «établit» ou «décide», mais «prescrit», et il me semble que l'emploi de ce mot, qui, dans le contexte d'un tel article, sous-entend la formulation d'une règle à suivre, indique que ce pouvoir ne consiste pas seulement à trancher des cas particuliers à mesure qu'ils se présentent, mais qu'il peut être exercé pour formuler des règles de portée générale, que le sous-ministre et les fonctionnaires de son ministère doivent appliquer ...
Le demandeur a aussi invoqué le manuel de Pigeon Rédaction et interprétation des lois, deuxième édition, l'ancien juge de la Cour suprême déclare à la page 33:
De plus, il ne faut pas oublier que celui qui a un pouvoir de réglementation ne peut pas le transformer en discrétion administrative.
Le demandeur a finalement invoqué la décision de la Cour d'appel du Québec dans Compagnie Miron
2 [1952] 1 R.C.S. 222.
3 [1972] C.F. 993.
Ltée c. Sa Majesté la Reine 4 , il est dit à la page 38:
En règle générale, les dispositions réglementaires doivent édicter des prescriptions de façon certaine et définie, de sorte que ceux qui doivent y obéir connaissent leurs devoirs.
et plus loin, à la page 39:
Mais encore faut-il, en matière de droit public, que l'autorité législative—surtout si elle est déléguée—légifère véritablement de sorte que les Tribunaux appliquent aux citoyens éclairés ou du moins instruits des normes établies par un pouvoir qui n'est pas le pouvoir judiciaire.
Même s'il est facile de souscrire à toutes les déclarations qui précèdent, il semble qu'elles s'ap- pliquent plus particulièrement aux règlements aux- quels le public doit se conformer et dont il doit, par conséquent, bien connaître les dispositions, alors qu'en l'espèce, les donataires éventuels de biens abandonnés dans les aéroports ne sont pas obligés de se conformer à des règlements; seul l'adminis- trateur régional est tenu de les interpréter et de s'y conformer. Le Règlement me semble précis et je ne vois pas comment il pourrait être plus détaillé. Il ne serait certainement pas possible d'y désigner des institutions de charité particulières auxquelles les biens pourraient être donnés étant donné que le Règlement s'applique dans tout le Canada et qu'il ne fait aucun doute qu'un administrateur régional distribuerait les biens aux institutions de charité de la région dans laquelle ils ont été trouvés. Bien que cela laisse à l'administrateur un large pouvoir dis- crétionnaire quant au choix des institutions de charité auxquelles il va distribuer les biens et quant au montant qui sera remis à celui qui les a trouvés, à condition que ce dernier ne soit pas un employé du Ministère ce qui est le cas en l'espèce, il faut toujours qu'un certain pouvoir discrétion- naire soit exercé dans la distribution de fonds de charité. Même une organisation comme Centraide doit, par l'intermédiaire de ses administrateurs, décider comment les fonds reçus seront répartis entre les organisations membres. À mon avis, la délégation d'un pouvoir discrétionnaire à l'admi- nistrateur régional par l'article 3 ne rend pas le règlement invalide. Si l'administrateur avait agi de façon injuste, la Cour, appliquant les principes établis dans l'arrêt Nicholson 5 , interviendrait. Par exemple, on pourrait peut-être considérer que l'ad-
[1979] C.A. 36.
5 [1979] 1 R.C.S. 311.
ministrateur aurait agi injustement s'il n'avait pas accordé de récompense au demandeur. Toutefois, lorsqu'il s'agit de déterminer si la récompense devrait représenter 10 %, 20 %, 25 % ou 50 % du montant trouvé, l'administrateur ne trouve de directives sur cette question ni dans le Règlement ni dans la jurisprudence; l'offre de 2 000 $ sur les 12 330 $ à distribuer ne me semble pas être une somme si infime qu'elle justifierait l'intervention de la Cour dans l'exercice valide par l'administra- teur de son pouvoir administratif discrétionnaire.
Cette conclusion suffirait pour trancher la ques tion, mais il convient peut-être d'examiner briève- ment d'autres allégations soumises par le deman- deur. Ce dernier prétend que si le Règlement était écarté en raison de son manque de précision, il aurait alors droit à la totalité de l'argent trouvé. Dans un tel cas, en l'absence d'un règlement précis valide, il faudrait trancher la question en appli- quant la loi de la province de Québec, comme si l'argent avait été trouvé dans la rue ou en n'im- porte lequel autre lieu public de cette province. C'est l'article 593 du Code civil de la province de Québec qui s'appliquerait alors. En voici le texte:
Art. 593. Les choses trouvées sur terre, sur la voie publique ou ailleurs, même sur la propriété d'autrui ou qui se trouvent autrement sans propriétaire connu, sont, dans beaucoup de cas, sujettes à des lois spéciales quant aux avis publics à donner, au droit du propriétaire de les réclamer, à l'indemnité de celui qui les a trouvées, à la vente, et à l'appropriation du prix.
À défaut de telles dispositions, le propriétaire qui ne les a pas volontairement abandonnées, peut les réclamer en la manière ordinaire, sauf une indemnité, s'il y a lieu, à celui qui les a trouvées et conservées; si elles ne sont pas réclamées, elles appartiennent à ce dernier par droit d'occupation.
Les rivières non-navigables sont, pour les fins du présent article, considérées comme lieu terrestre.
Cet article se passe de commentaires; toutefois, les auteurs précisent que le droit de propriété reste au propriétaire du bien, qui peut le réclamer en tout temps à condition que son droit de le faire ne soit pas prescrit et sous réserve du versement d'une indemnité à la personne qui l'a trouvé et l'a con- servé. Aucune règle ne prescrit le mode de calcul de l'indemnité. Les auteurs font observer que le bien n'appartient pas à l'État ni au propriétaire de l'endroit il a été trouvé, mais qu'il continue d'appartenir à son propriétaire. Si ce dernier ne le réclame pas, celui qui l'a trouvé a seulement un droit d'occupation et non un droit de propriété. De plus, l'article 2268 du Code civil de la province de
Québec, fixant une prescription de trois ans, ne peut être invoqué car il s'applique seulement à un détenteur de bonne foi, ce qui n'est pas le cas de celui qui a trouvé le bien car il sait obligatoirement que l'objet trouvé appartient à quelqu'un d'autre.
L'article 593 prévoit simplement que, dans la plupart des cas, il existera des lois spéciales quant à la façon de disposer du bien; dans les autres circonstances, il n'est pas possible d'en disposer de manière définitive.
Le demandeur a présenté un dernier argument qui, à mon avis, a également peu de valeur. Il a prétendu que les divers alinéas a), b), c) et d) de l'article 3 du Règlement devraient être appliqués en ordre consécutif, c'est-à-dire qu'en premier lieu, le bien trouvé devrait être retourné à celui qui l'a trouvé et que c'est seulement dans le cas celui-ci est inconnu parce qu'il n'a pas laissé son nom, ou qu'il ne désire pas le bien, que l'adminis- trateur régional peut invoquer les autres alinéas. Cet article du Règlement est probablement utilisé plus souvent relativement à des biens tels que valises, porte-documents ou colis. L'article 2 du Règlement contient une définition assez large de «biens personnels» pour comprendre l'argent trouvé et cela n'est pas contesté en l'espèce. Il est évident que les alinéas b) et d) n'étaient pas applicables et l'administrateur régional a donc proposé de dispo- ser de l'argent en appliquant les alinéas a) et c).
Il est important de remarquer que dans le texte anglais de l'article 3, on utilise les termes «by one or more of the following methods» alors que le texte français ne contient pas de traduction des termes «one or more». Cela signifie selon le deman- deur, que dans le cas, par exemple, d'une valise qui pourrait contenir de vieux vêtements, il faudrait d'abord l'offrir à celui qui l'a trouvée; si celui-ci désirait accepter la valise mais non son contenu, celui-ci pourrait, en application des alinéas b) ou d), être vendu par vente privée ou par vente aux enchères, ou encore être détruit. Il prétend aussi que les alinéas b), c) et d) ne peuvent être utilisés que si celui qui a trouvé le bien le refuse.
J'estime que la formulation de cet article ne justifie pas une interprétation aussi étroite; en fait, si les alinéas a), b), c) et d) avaient été destinés à être appliqués en ordre consécutif, les derniers
alinéas ne constituant que des solutions de rechange en cas d'inapplication des premiers, le Règlement l'aurait indiqué de façon plus claire, alors qu'au contraire, l'emploi dans le texte anglais des termes «by one or more» permet la répartition faite entre celui qui a trouvé l'argent et les institu tions de charité.
Pour tous ces motifs, l'action du demandeur est rejetée, sous réserve du versement à ce dernier de la somme de 2 000 $ canadiens offerte dans la défense.
Étant donné que la défenderesse admet que les points soulevés dans cette action n'avaient pas été tranchés auparavant par les tribunaux et qu'une décision judiciaire pourra servir de guide dans les affaires ultérieures, l'action est rejetée sans dépens.
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