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A-505-81
384238 Ontario Limited et Maple Leaf Lumber Company Limited (appelantes) (demanderesses)
c.
La Reine du chef du Canada (intimée) (défende- resse)
Cour d'appel, juges Urie et Stone, juge suppléant Lalande—Toronto, 14 novembre; Ottawa, 23 décembre 1983.
Impôt sur le revenu Saisies Appel d'un jugement de la Division de première instance ayant rejeté une action en dom- mages-intérêts fondée sur la saisie et la détention prétendu- ment illégales de biens en vertu de jugements ordonnant, entre autres, le paiement d'arriérés d'impôt Circonstances confu ses entourant la propriété et la transmission de biens Allégations d'appropriation illégitime et d'atteinte à la posses sion Allégation d'appropriation illégitime mal fondée car le Ministère n'a pas employé les biens comme ses propres biens La croyance de bonne foi ne constitue pas un moyen de défense contre la responsabilité en cas d'atteinte à la posses sion résultant de la saisie illégitime de biens meubles Même si elle n'a pas été expressément alléguée comme moyen de défense, la fin de non-recevoir fondée sur la conduite de la compagnie à matricule appelante empêche cette dernière de recouvrer des dommages-intérêts Appel rejeté Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5, art. 178(2) Loi sur le Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-5, art. 24(2) Loi sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970, chap. U-2, art. 104(3) Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1)a), 4(2)— Loi sur la généalogie des animaux, S.R.C. 1970, chap. L-10.
Responsabilité délictuelle Atteinte à la possession Saisie de biens par des shérifs en vertu de brefs d'exécution Jugements accordant un montant au titre d'arriérés d'impôt sur le revenu et de contributions non payées au R.P.C. et à la C.A.C. Circonstances confuses entourant la propriété et la transmission de biens La croyance de bonne foi ne constitue pas un moyen de défense contre la responsabilité en cas d'atteinte à la possession résultant de la saisie illégitime de biens meubles Même si elle n'a pas été expressément alléguée comme moyen de défense, la fin de non-recevoir fondée sur la conduite de l'appelante empêche cette dernière de recouvrer des dommages-intérêts pour atteinte à la possession.
Responsabilité délictuelle Appropriation illégitime Saisie et détention de biens Brefs d'exécution Jugements accordant un montant au titre d'arriérés d'impôt sur le revenu et de contributions non payées au R.P.C. et à la C.A.C. Allégation d'appropriation illégitime mal fondée car le Minis- tère n'a pas employé les biens comme ses propres biens Le trouble de possession de l'appelante n'a été que temporaire.
Couronne Responsabilité délictuelle Responsabilité de la Couronne pour saisie et détention prétendument illégales de biens Saisie de biens par des shérifs en vertu de brefs d'exécution Allégations d'appropriation illégitime et d'at- teinte à la possession Allégation d'appropriation illégitime
mal fondée La croyance de bonne foi ne constitue pas un moyen de défense contre la responsabilité en cas d'atteinte à la possession La fin de non-recevoir fondée sur la conduite de l'appelante empêche celle-ci d'alléguer l'atteinte à la posses sion Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1)a), 4(2).
Fin de non-recevoir Saisie et détention de biens Allégation d'atteinte à la possession Un plaidoyer exprès de fin de non-recevoir n'est pas nécessaire lorsqu'il résulte claire- ment de faits allégués et prouvés La conduite de l'appelante l'empêche de recouvrer des dommages-intérêts pour atteinte à la possession.
Des shérifs ont saisi certains biens appartenant à la compa- gnie à matricule appelante (l'«appelante») à la demande d'un fonctionnaire du ministère du Revenu national et en vertu de jugements rendus contre Kenneth Allen et Ken Allen and Sons Limited, jugements qui ont accordé un montant au titre d'arrié- rés d'impôt sur le revenu et de contributions non payées au Régime de pensions du Canada et à l'assurance-chômage. Les biens avaient été achetés en bonne et due forme par l'épouse de M. Allen qui les avait obtenus illégalement de la compagnie de son époux en se prévalant d'une hypothèque mobilière conclue au moment elle savait que la compagnie était pratiquement en faillite. Le juge de première instance a rejeté l'action en dommages-intérêts fondée sur la saisie et la détention illégales pour le motif que la saisie était attribuable à la faute de l'appelante et non à celle de l'intimée. L'appelante interjette appel de cette décision en alléguant atteinte à la possession et appropriation illégitime.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
Le juge Stone (avec l'appui du juge Urie): L'allégation d'appropriation illégitime est mal fondée car le ministère du Revenu national n'a pas employé les biens comme ses propres biens; le trouble de possession de l'appelante n'a été que temporaire.
Quant à l'allégation d'atteinte à la possession, il n'y a aucun doute que traditionnellement la common law a considéré la saisie illégitime de biens comme une atteinte à la possession. Le fait qu'une personne saisisse des biens en croyant de bonne foi mais à tort, comme en l'espèce, qu'ils appartiennent au débiteur saisi n'est pas un moyen de défense. Même si elle n'a pas été invoquée comme moyen de défense, la doctrine de la fin de non-recevoir fondée sur la conduite de l'appelante s'appliquait puisque les faits allégués et prouvés y donnaient ouverture. Compte tenu de la preuve, la conduite de l'appelante l'empêche de prétendre que l'intimée n'a pas été amenée à croire que les biens appartenaient aux débiteurs saisis, et par conséquent, l'appelante n'est donc pas admise à recouvrer des dommages- intérêts.
Le juge suppléant Lalande: L'intimée ayant opposé avec succès une défense de fin de non-recevoir fondée sur la conduite de la compagnie à matricule appelante, l'appel doit être rejeté.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hollins, et al. v. Fowler, et al., [1874-80] All E.R. Rep. 118 (H.L.); Lancashire & Yorkshire Railway, et al. v. MacNicoll, [1919] 88 L.J.K.B. 601; Marfani & Co. Ltd. v. Midland Bank Ltd., [1968] 1 W.L.R. 956 (C.A.
Angl.); Co/will v. Reeves (1811), 2 Camp. 575; 170 E.R. 1257 (N.P.); Jarmain the Elder v. Hooper, et al. (1843), 6 M & G 827; 134 E.R. 1126 (C.P.); Wilson et al. v. Tumman et al. (1843), 6 M & G 236; 134 E.R. 879 (C.P.); Morris v. Salberg (1889), 22 Q.B.D. 614 (C.A. Angl.); Clissold v. Cratchley et al., [1910] 2 K.B. 244 (C.A. Angl.); Re Vandervell's Trust (No. 2), [1974] 3 All E.R. 205 (C.A.); Lickbarrow et al. v. Mason, et al. (1787), 2 T.R. 63; 100 E.R. 35 (K.B.); Commonwealth Trust, Limited v. Akotey, [1926] A.C. 72 (P.C.); Zwic- ker, et al. v. Feindel (1899), 29 R.C.S. 516; Re Montgo- mery v. E. Diamond, [1925] 4 D.L.R. 736 (C.S.Î.-P.-E.); Minchau v. Busse, [1940] 2 D.L.R. 282 (C.S.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cook v. Lewis, [1951] R.C.S. 830; National Coal Board v. J. E. Evans & Co. (Cardiff) Ld. et al., [1951] 2 K.B. 861; Barnett and Wise v. Wise, [1961] O.R. 97 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Mills v. Brooker, [1919] 1 K.B. 555; Sanderson v. Mars- den & Jones (1922), 10 Ll. L. Rep. 529 (C.A. Angl.); Simpson v. Gowers et al. (1981), 32 O.R. (2d) 385 (C.A.); Park v. Taylor (1852), 1 U.C.C.P. 414; Wilkin- son v. Harvey et al. (1887), 15 O.R. 346 (C.P.); Meadow Farm Ltd. v. Imperial Bank of Canada (1922), 66 D.L.R. 743 (C.S. Alb. Div. d'appel); Walmsley et al. v. Humenick et al., [1954] 2 D.L.R. 232 (C.S.C.-B.); Woodward v. Begbie et al., [1962] O.R. 60 (H.C.); Dahlberg v. Naydiuk (1970), 10 D.L.R. (3d) 319 (C.A. Man.); Larin v. Goshen (1975), 56 D.L.R. (3d) 719 (C.S.N.-E. Div. d'appel); Doyle v. Garden of the Gulf (1980), 24 Nfld. & P.E.I.R. 123 (C.S.Ï.-P.-E.); Bell Canada v. Bannermount Ltd., [1973] 2 O.R. 811 (C.A.); Bell Canada v. Cope (Sarnia) Ltd. (1981), 15 C.C.L.T. 190 (C.A. Ont.), confirmant (1980), 11 C.C.L.T. 170 (H.C.); Fowler v. Lanning, [1959] 1 Q.B. 426; Letang v. Cooper, [1965] 1 Q.B. 232.
AVOCATS:
R. J. Reynolds pour les appelantes (demande-
resses).
M. A. Kelen pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Reynolds, Hunter, Sullivan & Kline, Belle- ville (Ontario), pour les appelantes (demande- resses).
Michael A. Kelen, Ottawa, pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Les questions qui font l'objet du présent appel font suite aux saisies de certains biens appartenant à la compagnie à matricule appelante, saisies qui ont été effectuées au mois de
juin 1980 par les shérifs des comtés de Hastings et de Gray (Ontario), à la demande d'un fonction- naire du ministère du Revenu national. Le Minis- tère en question a eu recours à des brefs d'exécu- tion en vue de recouvrer un montant de plus de 70 000 $ adjugé contre Kenneth Richard Allen et Ken Allen and Sons Limited au titre d'arriérés d'impôt sur le revenu et de contributions non payées au Régime de pensions du Canada et à l'assurance-chômage. Après avoir entendu le procès [[1981] CTC 295], le juge Walsh a rejeté, en date du 22 juin 1981, l'action des appelantes qui réclamaient des dommages-intérêts par suite de la saisie et de la détention prétendument illéga- les de biens.
Kenneth Allen a exploité l'entreprise d'uAllen- dale Farms» à Markdale dans le comté de Gray. Il était un riche éleveur de chevaux pursang qu'il entraînait en attelage et qu'il exhibait également dans des foires et des expositions. Allen s'est en outre lancé dans une entreprise de promotion immobilière qu'il a exploitée par le biais d'une compagnie appelée Ken Allen and Sons Limited, constituée au mois d'avril 1972. Une fois le plan de lotissement approuvé, il a dépensé la somme de 500 000 $ pour y installer des services publics. Il a acheté des maisons préfabriquées en vue de les revendre à des acheteurs de lots faisant partie du plan en question et il a engagé des sommes consi- dérables. C'est après avoir vendu quatorze de ces maisons qu'il s'est aperçu que l'électricité ne pou- vait être branchée sur les lots. Cette affaire a mal tourné. On a obtenu des jugements contre la com- pagnie pour obtenir la restitution des sommes déposées qui n'ont pu être remboursées aux ache- teurs. Ces opérations reliées à l'exploitation agri- cole et à la promotion immobilière sont à l'origine de l'endettement qui a donné lieu aux saisies. Cet endettement a commencé en 1966 et s'est pour- suivi jusqu'en 1972.
Le 21 mars 1977, le 8 avril 1980 et le 23 mai 1980, on a enregistré des certificats devant cette Cour en vue de recouvrer les sommes exigibles. Une fois enregistrés, ces certificats avaient la
même force et le même effet qu'un jugement'. Le juge de première instance a conclu qu'Allen devait certainement être au courant de son arriéré d'im- pôt bien avant l'enregistrement des certificats. Il est manifeste qu'au moment ils ont été saisis, tous les biens appartenaient à l'appelante 384238 Ontario Limited et que l'appelante Maple Leaf Lumber Company Limited n'avait aucun droit légal dans ces biens. Pour fins de commodité, la compagnie à matricule est ci-après appelée «l'appelante».
Les motifs du juge de première instance créent une certaine confusion concernant la propriété et la transmission des biens utilisés par Kenneth Allen pour l'exploitation d'Allendale Farms. Ken Allen and Sons Limited a manifestement pris part à cette exploitation car, au mois de janvier 1974, La Banque Royale du Canada, à titre de créan- cière hypothécaire, a cédé à Ken Allen and Sons Limited tous les droits qu'elle détenait dans les biens immobiliers qui ont servi à l'exploitation d'Allendale Farms à Markdale. Subséquemment, le 4 août 1976, cette compagnie a conclu en faveur d'Emily Allen, épouse de Kenneth Allen, une hypothèque mobilière au montant nominal de 100 000 $ sur les biens que les shérifs ont saisis par la suite. La compagnie faisait alors l'objet de 51 exécutions et Emily Allen a admis qu'au moment l'hypothèque a été conclue, elle était au, courant des jugements qui ont donné lieu à ces exécutions. Kenneth Allen a été contraint d'admettre au procès que sa compagnie était [TRADUCTION] «pratiquement en faillite en 1976», année au cours de laquelle elle a fait l'objet de saisies-exécutions qui totalisaient 237 108,56 $. En temps voulu, Emily Allen s'est prévalue de l'hypothèque mobi- lière, prétendant ainsi être devenue propriétaire des biens. Le juge de première instance n'a pas hésité à conclure, à la lumière de la preuve, que son [TRADUCTION] «droit à la propriété des biens était vicié vu l'absence de contrepartie».
Il a, par ailleurs, conclu avec hésitation à la validité, sur le plan du droit strict, de l'achat des biens par l'appelante qui ne savait pas que son titre de propriété était vicié. Cette opération a été effec-
' Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5, art. 178(2); Loi sur le Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-5, art. 24(2); Loi sur l'assurance-chômage, S.R.C. 1970, chap. U-2, art. 104(3).
tuée par le biais de deux actes distincts, c'est-à- dire une entente écrite conclue entre les deux Allen et des nommés Walker et Norguard qui étaient actionnaires de l'appelante, et un acte de vente. L'entente écrite indiquait que les biens ont été transmis [TRADUCTION] «sous forme de prêt», mais Emily Allen a maintenu au cours du procès que les biens ont été carrément vendus et transmis. Les procureurs qui ont rédigé l'entente ont témoi- gné que le terme «prêt» a été employé à des fins fiscales lorsque les fonds servant à payer les biens ont été retirés de l'appelante. Un acte de vente distinct conclu le ler juin 1978 entre Emily Allen en qualité de vendeur et l'appelante en qualité d'acheteur confirme la prétention de ladite Emily Allen portant qu'elle a effectivement eu l'intention de vendre et de transmettre carrément tous ses droits dans les chevaux et l'équipement qui ont été subséquemment saisis par les shérifs. En contre- partie, on lui a remis un billet à ordre portant sur le prix d'achat des biens. L'entente écrite prévoyait que Kenneth Allen [TRADUCTION] «est habilité à signer les chèques au nom de la compagnie aux fins de gestion quotidienne». Il a également été établi que l'appelante a engagé Kenneth Allen pour gérer son entreprise moyennant un salaire de 300 $ par semaine. Norguard a soutenu qu'Allen n'a jamais reçu de salaire, bien que, par la suite, Emily Allen fût rémunérée pour tenir les livres de l'appelante. Le juge de première instance a conclu qu'Allen a demandé à l'appelante de verser son salaire à son épouse.
Il ressort des cônclusions du juge de première instance qu'Allen a joué un rôle très actif dans l'exploitation d'Allendale Farms après la vente et la transmission des biens à l'appelante en date du ler juin 1978. Premièrement, l'entreprise a conti- nué d'être exploitée sous la raison sociale d'«Allen- dale Farms», qui était très bien connue et identi- fiait Kenneth Allen et sa famille. Le juge de première instance a conclu qu'aucun des chevaux pursang transmis à l'appelante n'a été inscrit en son nom dans le registre requis à cette fin par la Loi sur la généalogie des animaux 2 . En fait, au mois de juin 1980, le nom de Kenneth Allen figurait dans ce registre à titre de propriétaire de quatre des chevaux. Qui plus est, ce n'est qu'au
2 S.R.C. 1970, chap. L-10.
mois de septembre 1980, trois mois après que les saisies eurent été effectuées, qu'Allendale Farms a entrepris d'inscrire ses chevaux pursang dans ce registre. Lorsque, au mois de novembre 1979, l'ap- pelante a vendu un cheval au mois d'avril de cette même année, Kenneth Allen a envoyé à la personne responsable de ce registre une déclaration écrite disant qu'il était le [TRADUCTION] «proprié- taire à la naissance» de ce cheval. Il a déclaré sous serment à cette personne comme l'exige la loi:
[TRADUCTION] Je déclare par la présente que j'étais le proprié- taire de l'animal susmentionné à sa naissance, et que les informations fournies ci-dessus sont conformes à mes livres et registres et qu'elles sont exactes.
Ainsi, comme l'a fait remarquer le juge de pre- mière instance, Kenneth Allen «continuait à indi- quer dans les registres publics qu'il était le proprié- taire des chevaux qui, à l'époque, appartenaient indéniablement» à l'appelante. Le juge a égale- ment considéré que l'omission par l'appelante d'inscrire les chevaux en son nom «peut induire les gens en erreur» et que «le fait qu'elle tolère que Ken Allen en gardât quelques-uns inscrits à son propre nom pouvait jeter la confusion chez les créanciers qui voulaient vérifier le titre de pro- priété par la consultation» des registres tenus sous le régime de la Loi sur la généalogie des animaux.
Le numéro de printemps 1980 du Draft Horse Journal, une revue américaine qu'on dit de grande diffusion au Canada et aux États-Unis, contenait une grande annonce publicitaire d'Allendale Farms Kenneth Allen était une fois de plus décrit comme «propriétaire». Au sujet de cette annonce publicitaire, le juge de première instance a fait remarquer que «les tiers avaient tout lieu de croire qu'il n'y avait eu aucun changement dans l'entreprise qui, pendant de longues années, avait été exploitée par M. Allen, d'autant plus que M. Norguard et Mme Walker lui avaient donné pleins pouvoirs pour la mener comme il l'avait toujours fait».
La personne responsable de la saisie-exécution des biens d'Allen et de sa compagnie était un nommé William O'Neill, employé du ministère du Revenu national. Il ne fait aucun doute que l'inti- mée était responsable des actes délictuels de son employé accomplis, comme en l'espèce, dans
l'exercice de ses fonctions'. Le juge de première instance a conclu que, avant d'enjoindre aux shé- rifs de Hastings et de Gray de saisir les biens, O'Neill a pris de nombreuses mesures pour déter- miner à qui ils appartenaient. Il a passé deux jours à examiner les registres tenus par le Centre cana- dien national de l'enregistrement des animaux à Ottawa afin de savoir à qui appartenaient les chevaux et il a constaté que, même si l'appelante ne figurait à titre de propriétaire inscrit d'aucun de ces chevaux, certains d'entre eux étaient immatri- culés au nom de Kenneth Allen. Il s'est adressé à l'avocat de l'appelante mais celui-ci a refusé de le renseigner en invoquant le «secret professionnel». Le 9 avril 1980, il a communiqué avec Kenneth Allen qui a refusé de lui montrer les registres et qui l'a injurié. Il a parlé au concédant de la ferme sur laquelle Allen exploitait son entreprise d'éle- vage de chevaux à Markdale et on lui a exhibé un contrat de concession signé par Allen en vertu duquel le bien-fonds était concédé à Kenneth Allen et à Ken Allen and Sons Limited mais il n'était pas fait mention de l'appelante. Il s'est renseigné auprès d'un vétérinaire du ministère de l'Agricul- ture concernant les certificats d'examen qu'il a faits sur les chevaux le 14 mai 1980, ces certificats indiquant que Kenneth Allen était «le proprié- taire». Il a fait enquête auprès du concours hippi- que de l'Exposition nationale canadienne à Toronto et il a constaté que certains des chevaux avaient été inscrits au nom de [TRADUCTION] «Ken Allen and Sons—propriétaire», et que le prix en argent gagné par ces chevaux a été payé par chèque à l'ordre de Ken Allen and Sons le 15 septembre 1978.
Ce n'est qu'après avoir entrepris ces démarches et consulté son supérieur qu'O'Neill a décidé de saisir et d'enlever les biens. A la suite de la saisie, on a constaté que l'appelante avait acheté quel- ques-uns des chevaux saisis après le l er juin 1978. Tous les biens saisis ont été restitués aux appelan- tes dans un délai de trois jours, continuant d'être assujettis à une saisie fictive. Au mois d'octobre 1980, la Division de première instance a ordonné que les biens continuent de demeurer en la posses sion de l'appelante qui pouvait les vendre, étant entendu que le produit de la vente serait détenu en fiducie mais que certains frais d'exploitation leur seraient remboursés aux appelantes et que le solde
' Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3(1)a) et 4(2).
serait versé aux shérifs. Le 19 mars 1981, l'intimée a signé une confession de jugement dans la pré- sente instance, ce qui a donné lieu à une mainlevée de la saisie fictive de certains biens effectuée par les shérifs, huit chevaux et quatre poulains ainsi que différentes pièces d'équipement demeurant assujettis à la saisie. Dans son jugement du 22 juin 1981, le juge de première instance a ordonné la mainlevée de la saisie de tous les biens, sauf le solde du billet à ordre consenti à Emily Allen.
Après avoir examiné ces faits, le juge de pre- mière instance a conclu que la saisie des biens était imputable uniquement à l'appelante. Voici ce qu'il a dit la page 308]:
Je ne puis conclure que dans ses instructions aux shérifs, M. O'Neill ait commis de faute. Si par suite de ces instructions, des biens qui n'auraient pas être saisis l'ont été pour couvrir la dette fiscale de Ken Allen ou de Ken Allen and Sons Limited et que par la suite, certains d'entre eux aient être libérés, la faute en incombe entièrement à la compagnie à matricule dont les dirigeants ont permis à M. Allen de poursuivre l'exploitation exactement comme il l'avait fait par le passé, avec tous les signes extérieurs indiquant que lui ou Ken Allen and Sons Limited était toujours propriétaire des chevaux et du matériel de ferme, malgré l'acte de vente signé par Emily Allen au profit de la compagnie.
Plus loin [aux pages 309 et 310], il a conclu que, malgré la vente des biens à l'appelante, Kenneth Allen
... a poursuivi l'entreprise d'élevage de chevaux exactement comme il l'avait fait par le passé, en utilisant indifféremment son propre nom ou les noms commerciaux de Ken Allen and Sons Limited et d'Allendale Farms. Sa principale activité professionnelle n'a donc jamais été interrompue malgré ses difficultés financières. On a du mal à comprendre que l'exploi- tation de la compagnie à matricule ait pu se poursuivre de cette façon avec le consentement de M. Norguard qui est manifeste- ment un entrepreneur réussi et de Mm' Walker qui est un agent immobilier, l'un et l'autre devant à tout le moins posséder des notions élémentaires pour ce qui est du fonctionnement d'une société, de la nécessité des actes écrits, de la distinction entre une compagnie et ses actionnaires considérés individuellement, ainsi que d'autres principes élémentaires de droit. Dans ses dépositions, M. Norguard affirme qu'on peut conclure une bonne affaire avec les gens en difficulté. Il a estimer que Mn' Walker et lui-même ont fait une bonne affaire. L'avocat qui a établi l'accord reconnaît que M. Allen lui avait dit qu'en raison de ses difficultés, la participation à la compagnie à matricule serait au nom de sa femme. Mm° Walker n'a pas posé de questions lorsque M. Allen a demandé que son salaire hebdomadaire de 300 $ fût porté au crédit de sa femme. L'avocat qui s'occupa de la constitution de Maple Leaf Lumber Company était au courant des nombreux brefs d'exécution émis contre M. Allen et, selon ses dépositions, celui-ci se rendait parfaitement compte de ses difficultés financières et planifiait soigneusement en conséquence.
En outre, même s'il a conclu avec hésitation que l'appelante a acquis un droit valable dans les biens en les achetant à Emily Allen le 1 e juin 1978, le juge de première instance est arrivé à des conclu sions de fait importantes en ce qui concerne la connaissance de l'appelante des difficultés finan- cières d'Allen et de sa compagnie et des tentatives de ce dernier visant à éviter de payer ses créan- ciers. Il a dit la page 310] que:
... le comportement subséquent de M. Allen dans la gestion de la compagnie, la demande que son salaire fût porté au crédit de Mme Allen et d'autres informations qui se sont fait jour par la suite, font ressortir que les Allen ont fait en sorte d'éviter de payer certains créanciers, dont la défenderesse ...
La question soumise au juge de première ins tance était de savoir si, dans les circonstances de l'espèce, il y avait eu une «saisie illégitime» des biens permettant à l'appelante de réclamer des dommages-intérêts. Il a conclu que l'intimée n'était pas responsable en disant [aux pages 312 et 313]:
Il ne suffirait pas que les demanderesses établissent qu'elles ont subi un préjudice par suite de la saisie et de la détention de leurs biens, à supposer qu'elles soient en mesure de le faire, car pour pouvoir prétendre aux dommages-intérêts, elles doivent encore prouver une faute de la part de la défenderesse, et elles n'y ont pas réussi.
L'appelante soutient que le juge de première ins tance a commis une erreur de droit et que l'intimée est passible de dommages-intérêts en raison des pertes résultant de la saisie illégitime qu'elle consi- dère comme [TRADUCTION] «ni plus ni moins une atteinte à la possession ou une appropriation illégi- time», même si O'Neill a pu avoir des motifs raisonnables de croire que les biens appartenaient à Kenneth Allen ou à sa compagnie, les débiteurs saisis. De fait, l'avocat a admis qu'O'Neill [TRA- DUCTION] «avait agi raisonnablement et sans négligence ... en se fondant sur la preuve qu'Allen était le propriétaire des biens qui étaient ainsi assujettis aux brefs d'exécution», et que les directi ves d'O'Neill aux shérifs concernant la saisie des biens [TRADUCTION] «se fondaient sur des motifs raisonnables et n'indiquaient aucune négligence de sa part».
J'examinerai en premier lieu la question de l'ap- propriation illégitime. Même s'il est vrai que les shérifs ont enlevé les biens pendant une période de trois jours, le ministère du Revenu national ne les a pas utilisés ou autrement considérés comme ses
propres biens. Après avoir examiné la jurispru dence, je suis convaincu que ce n'est que lorsqu'un défendeur a utilisé ou autrement exploité un bien saisi qu'il y a appropriation illégitime. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Ainsi, dans l'affaire Hollins, et al. v. Fowler, et al. 4 , le défendeur Hollins, un courtier en coton, a conclu une opération avec un nommé Bayley qui prétendait lui vendre une cer- taine quantité de coton en balles. En fait, Bayley, qui était également un courtier, n'était habilité à vendre les biens qu'à un tiers désigné. N'étant pas au courant de cette situation, le défendeur a pris possession des biens et décidé de les vendre à une firme de fileurs de coton, MM. Micholls, Lucas & Co. Il a payé à Bayley le prix des marchandises et il a lui-même été payé par Micholls qui a filé les balles de coton. Fowler, le véritable propriétaire, a intenté une action contre Hollins pour appropria tion illégitime. L'affaire a été soumise à la Cham- bre des lords qui a jugé qu'il y avait effectivement eu appropriation illégitime, lord Chelmsford décla- rant la page 122) que:
[TRADUCTION] ... quiconque, même de bonne foi, prend pos session des biens d'une personne qui en a été dépossédée d'une manière frauduleuse, et en dispose, que ce soit à son profit ou à celui d'une autre personne, est coupable d'appropriation illégitime.
Dans cette affaire-là, contrairement à la présente espèce, le défendeur a employé à des fins commer- ciales les biens dont il avait pris possession, même s'il ignorait le droit du demandeur dans ces biens. On peut trouver un autre exemple dans l'affaire Lancashire & Yorkshire Railway, et al. v. Mac- Nicoll 5 un certain nombre de tonneaux ont été livrés par erreur au défendeur. L'erreur n'a été découverte qu'après que le défendeur eut versé le contenu des tonneaux dans son propre réservoir. En ce qui concerne la question de savoir s'il s'agis- sait d'une appropriation illégitime, le juge Atkin a répondu par l'affirmative en disant la page 605):
[TRADUCTION] Il me semble évident que le fait d'employer les biens d'une manière incompatible avec le droit des véritables propriétaires équivaut à une appropriation illégitime, si on prouve également que, ce faisant, le défendeur a eu l'intention de nier le droit du propriétaire ou de revendiquer un droit qui est incompatible avec celui du propriétaire. La preuve de cette intention est concluante si le défendeur a pris ou employé les biens comme s'il s'agissait des siens. En l'espèce, il ne fait
4 [1874-80] All E.R. Rep. 118 (H.L.).
5 [1919] 88 L.J.K.B. 601.
aucun doute que le défendeur a employé les biens comme s'il s'agissait des siens. Il les a versés ... dans sa propre cuve ou son propre réservoir.
Dans une cause plus récente de 1968, le lord juge Diplock a mis encore plus d'emphase sur ce qui équivaut à une appropriation illégitime du point de vue du droit et sur ses conséquences. Dans l'affaire Marfani & Co. Ltd. v. Midland Bank Ltd. 6 , il s'agissait de savoir si la défenderesse avait commis une appropriation illégitime en prenant et en négociant le chèque de la demanderesse dans le cours ordinaire de son commerce bancaire. Un voleur avait remis le chèque à la défenderesse qui n'avait pas eu connaissance du vol. La défende- resse a accepté et honoré le chèque dans le cours normal de ses affaires et elle a porté la somme au crédit du voleur. Celui-ci a par la suite retiré l'argent et est disparu. Il s'agissait essentiellement de savoir si la défenderesse pouvait se prévaloir d'un moyen de défense prévu par la loi, mais, avant d'examiner cette question, le lord juge Diplock a profité de l'occasion pour analyser la nature du délit d'appropriation illégitime et ses conséquences du point de vue de la common law. Voici ce qu'il a dit (aux pages 970 et 971):
[TRADUCTION] En common law, l'obligation d'une personne envers son voisin qui est propriétaire ou qui a la possession de ses biens est de s'abstenir d'accomplir un acte intentionnel qui constitue une usurpation de son droit à la propriété ou à la possession desdits biens. Sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l'espèce, il est sans importance que l'auteur de l'usurpation n'ait pas eu ou n'ait pu avoir connaissance, en prenant des précautions raisonnables, du droit de son voisin dans les biens. Il s'agit d'une obligation absolue; la personne tenue à cette obligation en subit les risques.
Bien qu'on n'ait cité aucun précédent à l'appui de ce principe, le lord juge Diplock paraît avoir sim- plement voulu confirmer la règle de droit reconnue en Angleterre depuis plusieurs années, règle dont on trouve des exemples dans les décisions susmen- tionnées ainsi que dans les décisions Mills v. Brooker' et Sanderson v. Marsden & Jones s. Au Canada, l'arrêt récent de la Cour d'appel de l'On- tario Simpson v. Gowers et al. 9 contient des exem- ples clairs d'actes qui constituent, du point de vue du droit, une appropriation illégitime. Même si
6 [1968] 1 W.L.R. 956 (C.A. Angl.). ' [1919] 1 K.B. 555.
8 (1922), 10 Ll. L. Rep. 529 (C.A. Angl.).
9 (1981), 32 O.R. (2d) 385 (C.A.).
dans cette affaire le défendeur n'a pas porté atteinte au droit revendiqué par le demandeur dans ses biens, il s'est comporté à leur égard d'une manière incompatible avec le droit du demandeur en jetant certains de ces biens, en en répandant d'autres sur son terrain et en vendant le reste.
À mon avis, l'attitude du ministère du Revenu national à l'égard des biens de l'appelante à la suite de la saisie effectuée au mois de juin 1980 ne constitue pas, dans le présent cas, une appropria tion illégitime. Il est indéniable qu'il y a eu trouble temporaire de la possession de l'appelante, mais je ne crois pas que cela suffise pour que le Ministère soit coupable d'appropriation illégitime. À mon avis, la prétention de l'appelante concernant ce moyen d'appel doit être rejetée.
Examinons maintenant la prétention de l'appe- lante portant que l'intimée s'est rendue coupable d'atteinte à la possession en saisissant illégitime- ment ses biens. Il s'agit d'une question tout à fait distincte. Il n'y a aucun doute que traditionnelle- ment, la common law a considéré la saisie illégi- time de biens comme une atteinte à la possession qui rend son auteur passible de dommages-intérêts. Ainsi, dans l'affaire Colwill v. Reeves 10 , un failli, afin de mettre ses biens à l'abri de ses créanciers, a comploté avec le demandeur en demandant à ce dernier de lui remettre certains articles de son mobilier pour qu'ils soient confondus avec les siens. Le défendeur a saisi un sofa qui avait été remis par le demandeur en le confondant avec les biens du failli. Il a prétendu que, dans ces circons- tances, il ne devrait pas être coupable d'atteinte à la possession, mais la Cour était d'avis contraire, lord Ellenborough disant que [TRADUCTION] «les biens en question demeuraient distincts» et que, comme le défendeur [TRADUCTION] «aurait pu s'apercevoir qu'ils appartenaient au demandeur», il [TRADUCTION] «les a pris à ses risques». Dans la décision Jarmain the Elder v. Hooper, et al.", le défendeur a obtenu un jugement contre un nommé «Joseph Jarmain» et par la suite, un bref de fieri facias. En conséquence, le shérif a saisi les biens du père du débiteur, qui s'appelait également «Joseph Jarmain». Le demandeur a poursuivi le shérif qui a effectué la saisie et le défendeur qui l'a
10 (1811), 2 Camp. 575; 170 E.R. 1257 (N.P.).
11 (1843), 6 M & G 827; 134 E.R. 1126 (C.P.).
obtenue par suite d'une directive donnée par son avocat. En déclarant le défendeur coupable d'at- teinte à la possession, le juge en chef Tindal a dit qu'il [TRADUCTION] «doit répondre» de l'acte de son mandataire, l'avocat, qui a agi [TRADUCTION] «par inadvertance ou ignorance». La même année, le juge en chef Tindal a rendu la décision Wilson et al. v. Tumman et al. 12 . Il s'agissait de savoir si la ratification d'une saisie illégitime par le créan- cier saisissant après la saisie engageait la responsa- bilité du shérif qui a procédé à ladite saisie en vertu d'un bref valide. Même s'il a tranché en faveur du shérif concernant l'argument principal, le juge a ajouté sous forme d'opinion incidente la page 244) [E.R. 883]:
[TRADUCTION] Si le défendeur Tumman avait enjoint au shérif de saisir les biens du présent demandeur, en vertu d'un bref valide, l'obligeant à saisir les biens d'une personne autre que le défendeur dans l'action initiale, cette directive précé- dente aurait sans aucun doute fait de lui un violateur, suivant le principe que toutes les personnes qui permettent la perpétration d'une atteinte à la possession sont elles-mêmes des violateurs, et ce n'est pas uniquement en vertu du bref mais en qualité de préposé du demandeur que le shérif aurait été censé avoir saisi les biens.
La Cour d'appel a appliqué ce principe en Angle- terre dans l'arrêt Morris v. Salberg 13 . Dans cette affaire, le défendeur a obtenu un bref de fieri facias en vue de la saisie-exécution des biens du débiteur saisi. Le procureur du créancier saisissant a endossé le bref en enjoignant par inadvertance au shérif de saisir les biens du père du débiteur. Dans une action pour atteinte à la possession intentée par le père, le débiteur saisi a été tenu responsable. Dans une affaire plus récente Clissold v. Cratchley et al. 14 , les biens du demandeur ont fait l'objet d'une saisie-exécution après le paiement du montant de la dette adjugé et ce, en raison de l'inadvertance des procureurs du défendeur. Le créancier saisissant et son procureur ont été décla- rés coupables d'atteinte à la possession pour le motif que, après le paiement du montant adjugé, le bref était devenu nul et non avenu.
Il y a pénurie de décisions publiées dans ce pays concernant cette question, mais leurs conclusions sont, à mon avis, conformes aux principes énoncés dans les décisions déjà examinées. Je mentionne à
12 (1843), 6 M & G 236; 134 E.R. 879 (C.P.).
13 (1889), 22 Q.B.D. 614 (C.A. Angl.).
14 [1910] 2 K.B. 244 (C.A. Angl.).
titre d'exemples les décisions Park v. Taylor 15 , Wilkinson v. Harvey et al. 16 et Meadow Farm Ltd. v. Imperial Bank of Canada" qu'on nous a égale- ment citées.
L'intimée a soutenu que la règle de droit énon- cée dans les décisions plus anciennes ne s'applique plus dans ce pays. À son avis, la jurisprudence actuelle a établi qu'un défendeur qui ne commet aucune faute dans une affaire de ce genre dispose d'un moyen de défense valable dans une action pour atteinte à la possession. Elle s'est fondée en particulier sur l'arrêt majoritaire de la Cour suprême du Canada Cook v. Lewis'B. Dans cette affaire, l'intimé a été atteint à la figure et blessé par du petit plomb au cours d'une expédition de chasse aux oiseaux. La preuve n'a pas clairement établi si c'est l'appelant ou un autre chasseur qui a causé la blessure, mais il a été prouvé que chacun d'eux a déchargé son arme à feu en même temps à peu près en direction du demandeur en visant un oiseau en vol. Les deux chasseurs ont été poursui- vis conjointement. En confirmant la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui a ordonné un nouveau procès, le juge Cartwright [tel était alors son titre], au nom de la majorité de la Cour, a énoncé le principe suivant la page 839):
[TRADUCTION] À mon sens, les décisions recueillies et com- mentées par le juge Denman, dans Stanley v. Powell (1891), 1 Q.B.D. 86, établissent (sauf une exception dans le cas des accidents de la route qui ne nous concerne pas ici) la règle que quand un demandeur a subi un préjudice du fait d'une force directement employée contre lui par le défendeur, sa cause est établie par la preuve de ce fait et c'est au défendeur qu'il incombe de prouver «que l'acte illicite n'est absolument pas de sa faute». A mon avis, Stanley v. Powell a justement décidé qu'un défendeur a une bonne défense à l'encontre d'une telle action s'il arrive à prouver tant l'absence d'intention que l'ab- sence de négligence de sa part.
Depuis lors, ce principe a été appliqué au Canada dans les cas il y a une atteinte directe à l'intégrité physique d'une personne: Walmsley et al. v. Humenick et al. 19 , Woodward v. Begbie et al. 20 , Dahlberg v. Naydiuk 21 , Larin v. Goshen 22 et
15 (1852), 1 U.C.C.P. 414.
16 (1887), 15 O.R. 346 (C.P.).
17 (1922), 66 D.L.R. 743 (C.S. Alb. Div. d'appel).
18 [1951] R.C.S. 830.
19 [1954] 2 D.L.R. 232 (C.S.C.-B.).
20 [1962] O.R. 60 (H.C.).
21 (1970), 10 D.L.R. (3d) 319 (C.A. Man.).
22 (1975), 56 D.L.R. (3d) 719 (C.S.N.-E. Div. d'appel).
Doyle v. Garden of the Gulf 13 . Ce principe a également été appliqué dans les cas il y a une atteinte directe à la propriété mobilière entraînant des dommages: Bell Canada v. Bannermount Ltd. 24 , Bell Canada v. Cope (Sarnia) Ltd. 25 . Le droit anglais a suivi la même évolution à une différence importante près. C'est le demandeur qui a l'obligation de prouver que l'acte préjudiciable a été soit intentionnel soit négligent: Fowler v. Lanning 26 , Letang v. Cooper 27 .
On ne nous a cité aucun cas le principe énoncé dans l'affaire Cook v. Lewis a été appliqué à la saisie illégale de biens n'ayant entraîné, comme en l'espèce, aucune blessure. Je ne crois pas que la common law de ce pays ait évolué au point une personne qui, dans une procédure d'exécution, saisit les biens d'une autre personne en croyant de bonne foi mais à tort que ces biens appartenaient à son débiteur saisi, puisse se déga- ger de toute responsabilité dans une action pour atteinte à la possession en prouvant que son acte n'a été ni intentionnel ni négligent. La responsabi- lité en cas d'atteinte à la possession résultant de la saisie illégitime de biens meubles se fonde sur une cause d'action distincte de celle qui existe lorsqu'il s'agit d'un acte visant directement une personne ou un bien meuble et entraînant un préjudice. Dans un tel cas, le législateur a considéré un accident inévitable comme un moyen de défense: National Coal Board v. J. E. Evans & Co. (Cardiff) Ld. et al. 28 , pour le motif que l'acte du défendeur n'était «absolument pas de sa faute». Le fait qu'une per- sonne saisisse des biens en croyant de bonne foi mais à tort qu'ils appartenaient au débiteur saisi n'a pas été considéré comme un moyen de défense. Je conclus par conséquent que, en enjoignant aux shérifs des comtés de Hastings et de Gray de saisir les biens, O'Neill a effectué une saisie illégitime et porté atteinte à la possession de ces biens, à moins que l'intimée ne puisse opposer à cela un moyen de défense.
23 (1980), 24 Nfld. & P.E.I.R. 123 (C.S.Ï.-P.-É.).
24 [1973] 2 O.R. 811 (C.A.).
25 (1980), 11 C.C.L.T. 170 (H.C. Ont.); confirmé en appel (1981), 15 C.C.L.T. 190 (C.A.).
26 [1959] 1 Q.B. 426.
27 [1965] 1 Q.B. 232.
28 [1951] 2 K.B. 861.
L'intimée prétend qu'elle dispose dans le présent cas d'un moyen de défense valable, c'est-à-dire une fin de non-recevoir fondée sur la conduite de l'ap- pelante. Celle-ci soutient le contraire mais, quoi qu'il en soit, elle fait valoir que l'intimée ne peut présenter cet argument à ce stade-ci parce qu'il n'a pas été expressément plaidé. L'avocat de l'intimée est d'avis que tous les faits importants servant à étayer cet argument ont été allégués, mais il a demandé l'autorisation de modifier une fois de plus sa défense modifiée si cela s'avérait nécessaire. L'appelante a allégué au paragraphe 4 de sa décla- ration modifiée que la saisie et l'enlèvement des biens effectués [TRADUCTION] «à la demande des fonctionnaires du ministre du Revenu national» étaient «injustifiés» et ont eu lieu [TRADUCTION] «alors que les fonctionnaires du Ministre savaient que les biens appartenaient non pas à Kenneth Richard Allen mais à la compagnie demanderesse» ou que, subsidiairement, on a procédé à la saisie et à l'enlèvement [TRADUCTION] «sans tenir compte de la propriété des biens». L'intimée a nié ces allégations dans sa défense modifiée elle allègue également, au paragraphe 3b), [TRADUCTION] «des motifs raisonnables de croire» que les biens appartenaient aux débiteurs saisis. L'appelante a lié la contestation. Les faits allégués et prouvés par l'intimée dénonçaient la conduite de l'appelante qui a créé à Allendale Farms une situation telle qu'O'Neill a eu des motifs raisonnables de croire que les biens appartenaient aux débiteurs saisis. De toute évidence, le juge de première instance a souscrit à cet argument car, après avoir vu et entendu les témoins et examiné la preuve, il a conclu la page 308] que, pour ce qui est de la saisie des biens, «la faute en incombe entièrement» à l'appelante «dont les dirigeants ont permis à M. Allen de poursuivre l'exploitation exactement comme il l'avait fait par le passé, avec tous les signes extérieurs que lui ou Ken Allen and Sons Limited était toujours propriétaire des chevaux et du matériel de ferme» malgré la cession consentie par Emily Allen à l'appelante.
C'est à partir de ces allégations de fait libellées en termes généraux qu'on a examiné en première instance l'incidence de la conduite de l'appelante sur le moyen de défense fondé sur la croyance raisonnable et qu'on est arrivé à certaines conclu sions en se référant à cette conduite. L'appelante a eu tout le loisir, à ce stade, d'établir que cette conduite n'aurait pas inciter O'Neill à saisir les
biens en question. De toute évidence, le juge de première instance n'était pas de cet avis. Par con- séquent, je ne peux voir comment l'appelante peut se dire surprise par le point de vue, adopté par l'intimée au cours du présent appel, que l'appe- lante ne peut, en raison de sa conduite, recouvrer des dommages-intérêts. En soutenant ce point de vue, l'intimée ne fait rien de plus, me semble-t-il, que de considérer que les faits allégués et prouvés au cours du procès donnent ouverture à une fin de non-recevoir fondée sur la conduite de l'appelante 29 . Il ressort clairement des précédents que l'intimée avait le droit de soutenir ce point de vue. Dans l'arrêt Re Vandervell's Trust (No. 2) 3 °, lord Denning a analysé et appliqué ce principe en disant la page 213):
[TRADUCTION] L'avocat des exécuteurs testamentaires a fait valoir que les arguments soulevés par l'avocat de la compagnie de fiducie n'ont pas été traités dans les plaidoiries. Il a répété à maintes reprises: «Cette façon d'argumenter n'a pas été invo- quée»; «Cette fiducie n'a pas été invoquée». Et ainsi de suite. Plus il argumentait, plus il devenait formaliste. J'ai commencé à penser que nous revenions à la triste époque ... il fallait indiquer les conséquences juridiques dans les plaidoiries; on pouvait perdre une cause en omettant une seule allégation (voir Bullen and Leake Precedents of Pleadings (3' éd., 1868), p. 147). Tout cela est disparu depuis longtemps. Il suffit que le plaideur énonce les faits importants. Il n'est pas tenu d'indiquer les conséquences juridiques. S'il le fait pour fins de commodité, il n'est pas lié ni limité par ce qu'il a déclaré. Il peut exposer, à titre d'argument, les conséquences juridiques qui découlent des faits. Dans le présent cas, les plaidoiries contenaient tous les faits importants. Il est évident que l'avocat de la compagnie de fiducie ne nous a pas présenté la cause de la même façon que devant le juge: cela ne change rien aux faits, seule la façon d'exposer les conséquences juridiques diffère. Il avait donc parfaitement le droit de le faire.
Je ne pense pas que, dans les circonstances, il ait été nécessaire que l'intimée aille plus loin qu'elle ne l'a fait dans ses plaidoiries ni qu'elle précise que la conduite de l'appelante donne lieu à une «fin de non-recevoir», qui empêche le recouvrement de dommages-intérêts. En fait, comme l'a décidé le juge de première instance, cette conduite a incité O'Neill à agir comme il l'a fait. Si un plaidoyer exprès de fin de non-recevoir s'était avéré néces- saire, j'aurais été enclin à y faire droit dans les circonstances 31 .
29 Zwicker, et al. v. Feindel (1899), 29 R.C.S. 516.
30 [1974] 3 All E.R. 205 (C.A.).
3' Barnett and Wise v. Wise, [1961] O.R. 97 (C.A.).
La dernière question est donc de savoir si les faits donnent ouverture à une fin de non-recevoir. Le juge de première instance était convaincu que la saisie des biens a été provoquée par l'attitude de l'appelante. Il estimait que cette conduite qu'il a décrite de façon très pittoresque dans ses motifs de jugement a amené O'Neill à croire que les biens appartenaient aux débiteurs saisis. A mon avis, cette conduite de l'appelante lui interdit de préten- dre le contraire et de recouvrer des dommages- intérêts 32 . Même si l'appelante et O'Neill étaient tous deux innocents, celle-ci doit quand même être tenue responsable du préjudice parce qu'elle a permis à Allen d'exploiter son entreprise comme il l'a fait. Cela est conforme au principe général énoncé par le juge Ashhurst dans la décision Lick- barrow et al. v. Mason, et al. 33 , savoir, que:
[TRADUCTION] ... chaque fois que les actes d'un tiers causent un préjudice à l'une de deux personnes innocentes, celle qui a permis à ce tiers de causer le préjudice doit être tenue responsable.
Ce principe a été approuvé par le Conseil privé dans l'arrêt Commonwealth Trust, Limited v. Akotey 34 et, bien qu'il faille l'appliquer avec prudence 35 , je pense qu'il peut l'être à bon droit dans les circonstances de l'espèce.
L'appelante a laissé entendre qu'O'Neill savait qu'elle avait réclamé la propriété des biens avant qu'on ne procède à la saisie des biens, mais je ne vois rien dans les motifs du juge de première instance qui appuierait clairement cette proposi tion. Comme le présent appel a été entendu à la suite de la demande non contestée des appelantes, étant entendu que lesdits motifs constitueraient à eux seuls le dossier, nous n'avons aucun moyen de savoir si cette proposition peut se fonder sur la preuve présentée au procès. Il est dit dans les motifs du jugement qu'O'Neill a admis au cours du procès que «d'autres personnes ont réclamé la propriété» mais le juge de première instance n'a pas identifié ces «autres personnes» ni précisé la nature de la «réclamation». Vu sa conclusion prin- cipale que c'est la conduite de l'appelante qui a mené à la saisie des biens, le juge de première
32 Re Montgomery v. E. Diamond, [1925] 4 D.L.R. 736
33 (1787), 2 T.R. 63, la p.70; 100 E.R. 35 (K.B.), à la p. 39.
34 [1926] A.C. 72 (P.C.), à la p. 76.
35 Minchau y. Busse, [1940] 2 D.L.R. 282 (C.S.C.), le juge en chef Duff, à la p. 303.
instance paraît avoir été convaincu qu'O'Neill n'a pas agi malgré une réclamation de l'appelante qui l'aurait avisé que c'était elle, et non' les débiteurs saisis, qui était propriétaire des biens qui allaient être saisis.
Je suis par conséquent d'avis de rejeter le pré- sent appel avec dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Il s'agit d'un appel du rejet d'une action en dommages-intérêts intentée par le propriétaire de biens meubles pour atteinte à la possession résultant d'une saisie effec- tuée en vertu d'un bref d'exécution.
L'intimée ayant opposé avec succès une défense de fin de non-recevoir fondée sur la conduite de la compagnie à matricule appelante, j'estime, comme le juge Stone, que l'appel doit être rejeté avec dépens.
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