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T-1890-83
B. Anne Cameron et Nancy Colbert and Asso ciates (demanderesses)
c.
Ciné St-Henri Inc., Nielsen-Ferns International Limited, Société Radio-Canada, Office national du film, Institut québécois du cinéma, Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne et Famous Players Ltd. (défendeurs)
Division de première instance, juge Walsh—Mont- réal, 24 octobre; Ottawa, 3 novembre 1983.
Droit d'auteur Pratique Il s'agit de savoir si u,) film tiré d'une œuvre rédigée en vue d'une série télévisée constitue, malgré l'existence prétendue d'une cession du droit d'auteur, une violation de ce droit de l'écrivain Comme elle a été seulement évoquée au cours du débat et dépend d'un examen approfondi de l'entente, la question de la compétence doit être tranchée plus tard La mandataire de la demanderesse B. Anne Cameron est radiée des procédures puisqu'elle n'a aucun intérêt dans le droit d'auteur en tant que tel Recevabilité des affidavits Dans l'examen d'une requête en radiation, les allégations de la déclaration doivent être tenues pour avérées sauf si des éléments de preuve de l'affidavit démontrent la fausseté d'une allégation essentielle Quels sont les détails qui peuvent être demandés dans une action en violation du droit d'auteur sur une œuvre littéraire? Les plaidoiries et les détails s'y rapportant doivent être aussi concis que possible D'autres requêtes pour obtenir des détails sont accueillies et assorties de directives quant à leur étendue Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 12(4) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 341, 419(2).
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Receva- bilité des affidavits L'affidavit prête à controverse, mais il contient des éléments de preuve sur lesquels s'appuie la requête Sur une requête en radiation, la Cour doit tenir toutes les allégations de la déclaration pour avérées La présomption ne résiste pas si des éléments de preuve à l'appui de l'affidavit démontrent qu'une allégation essentielle n'est pas vraie ou est trompeuse.
Compétence Division de première instance S'agit-il d'une action qui repose sur la violation d'un droit d'auteur ou d'une action en dommages-intérêts fondée sur une violation de contrat? Les procédures ne devraient pas être radiées pour défaut de compétence lorsque ce moyen n'a été qu'évoqué au cours du débat Si on interprète strictement la compétence de la Cour, la codemanderesse est radiée des procédures puisqu'elle est une partie qui n'a pas la qualité pour agir.
Il s'agit de diverses requêtes présentées dans une action visant à déterminer si un film tiré d'une œuvre rédigée en vue d'une série télévisée et qui porte sur le même sujet constitue, malgré l'existence de ce qu'on peut qualifier d'entente de cession d'un droit d'auteur, une violation de ce droit de l'écrivain.
Jugement: les requêtes entraînent les ordonnances suivantes. Une requête visant à déclarer irrecevable un affidavit produit à l'appui d'une requête au motif qu'il prête à controverse doit être rejetée parce que l'affidavit contient des éléments de preuve sur lesquels s'appuie la requête. Une requête visant à faire déclarer un autre affidavit irrecevable parce qu'il apporte une preuve sur une requête en radiation, contrairement à la Règle 419(2), est également rejetée parce que la Cour est déjà saisie du paragra- phe litigieux du document produit dans l'affidavit et parce que ce paragraphe est pertinent aux fins de trancher la question de la compétence de la Cour, question qui doit être déterminée le plus tôt possible. De plus, l'affidavit contredit clairement une allégation essentielle de la déclaration. Bien qu'il existe une présomption bien reconnue selon laquelle, sur une requête en radiation, il faut tenir pour avérées les allégations de la déclara- tion, cette présomption peut être réfutée lorsqu'il y a des éléments de preuve dans l'affidavit qui démontrent qu'une des allégations essentielles n'est pas vraie.
Même s'il se peut que la Cour n'ait pas compétence, les procédures ne devraient pas être radiées pour défaut de compé- tence parce que la question dépend d'un examen soigneux de l'entente, qui sera fait ultérieurement, et surtout parce que les défendeurs n'ont pas spécifiquement demandé la radiation mais l'ont seulement évoquée au cours du débat. La requête en radiation des procédures de la mandataire de la demanderesse Cameron est accueillie puisque cette première n'a aucun intérêt dans le droit d'auteur en tant que tel.
La requête pour détails est accueillie en partie. Elle soulève de sérieuses questions concernant les détails pouvant ou devant être ordonnés dans une action en violation du droit d'auteur sur une œuvre artistique ou littéraire. La jurisprudence sur ce point n'est pas abondante et est même contradictoire. La jurispru dence en matière de brevets indiquant qu'il ne suffit pas de dire simplement qu'il y a eu violation n'est pas d'un grand secours, car il est possible d'être plus précis en matière de contrefaçon alléguée de brevets. Dans le cas d'une œuvre littéraire, la violation peut toucher des centaines de passages et ce serait imposer un fardeau intolérable à un demandeur que d'exiger qu'il les énumère en détail dans une liste et qu'il se limite à cette liste. La demanderesse doit être tenue de donner des détails assez nombreux pour établir prima facie une cause d'action, mais ces détails peuvent être accompagnés de la mention «sans limiter la généralité de ce qui précède». Les plaidoiries et les détails s'y rapportant devraient être aussi concis que possible.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Sweet v. Maugham (1840), 11 Sim. 51; 59 E.R. 793 (H.C.Ch.); Starr and Crowe-Swords v. Northern Cons truction Co. Ltd. et al. (1956), 16 Fox Pat. C. 42 (C.S.C.-B.).
AVOCATS:
J. M. Banfill, c.r. et S. N. Dans pour les demanderesses.
D. W. Seal, c.r. et L. E. Seidman pour Ciné St-Henri Inc., défenderesse.
S. E. Barry pour la Société Radio-Canada et l'Office national du film, défendeurs.
M. H. Cooper pour l'Institut québécois du cinéma, la Société de développement de l'in- dustrie cinématographique canadienne et Famous Players Ltd., défendeurs.
PROCUREURS:
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour les demanderesses.
Seal & Associés, Montréal, pour Ciné St-Henri Inc., défenderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la Société Radio-Canada et l'Office national du film, défendeurs.
Engle, Schwartz, Toronto, pour l'Institut qué- bécois du cinéma, la Société de développe- ment de l'industrie cinématographique cana- dienne et Famous Players Ltd., défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Les diverses requêtes en l'es- pèce ont été présentées et débattues simultané- ment, les défendeurs étant représentés par trois procureurs différents, l'un occupant pour Ciné St-Henri Inc., l'autre pour les défendeurs Société Radio-Canada et Office national du film, et le troisième pour l'Institut québécois du cinéma, la Société de développement de l'industrie cinémato- graphique canadienne et Famous Players Ltd. Les défenses n'étant pas identiques, les requêtes ont soulevé des questions différentes mais elles se recoupent, dans une certaine mesure. C'est pour- quoi une ordonnance rendue sur la requête d'un groupe de défendeurs peut être utile aussi à d'au- tres défendeurs, notamment en ce qui concerne la compétence de la Cour et les détails. Une ordon- nance distincte doit être rendue à l'égard de chaque requête, compte tenu des diverses questions soulevées par certains des défendeurs, mais il n'est pas souhaitable qu'il y ait double emploi. Les présents motifs traiteront donc, en général, de toutes les questions soulevées, et serviront de base aux différentes ordonnances.
La requête sur laquelle a eu lieu le débat le plus complet dans l'intérêt de tous les défendeurs était celle introduite au nom de Ciné St-Henri Inc. à laquelle la défenderesse Nielsen-Ferns Interna-
tional Limited avait cédé les droits qu'elle tient de son entente conclue le 20 février 1979 avec la demanderesse B. Anne Cameron. Cette requête tend à la radiation de certains paragraphes de la déclaration modifiée des demanderesses pour absence de cause raisonnable d'action et, subsidiai- rement, à l'obtention de détails sur plusieurs para- graphes de cette déclaration, énumérés dans l'or- donnance qui sera rendue. De plus, elle cherche à faire radier Nancy Colbert and Associates comme codemanderesse dans l'action et, au cours du débat, cette requête a soulevé la question de la compétence de cette Cour sur l'objet de l'action elle-même, bien que n'ait été introduite aucune requête en permission de déposer un acte de com- parution conditionnelle à cette fin.
Dans l'affidavit de Marie Josée Raymond, déposé le 13 septembre 1983 à l'appui de la requête, le paragraphe 7 indique que, dans le contrat mentionné au paragraphe 10 de la déclara- tion modifiée, l'alinéa 23a) prévoit que:
[TRADUCTION] ... les parties concluent cet accord en tant qu'employeur et employé et ... tous les droits afférents aux produits et fruits des services de l'auteur nés au cours de l'emploi de ce dernier chez le producteur sont, en vertu des présentes, la propriété exclusive du producteur, celui-ci en étant l'auteur et étant titulaire du droit d'auteur s'y rapportant, ainsi que de tous les renouvellements et de toutes les prolongations appropriés.
Une des requêtes ayant fait l'objet du débat était celle par laquelle les demanderesses sollici- taient une ordonnance déclarant que cet affidavit est irrecevable en tout ou en partie et ne devrait pas être examiné par la Cour à l'audition de la requête de Ciné St-Henri Inc. C'est une requête assez extraordinaire puisqu'elle revient à dire que la Cour ne doit pas examiner l'affidavit exigé à l'appui de la requête en radiation et de la demande de détails. L'avocat de Ciné St-Henri Inc. a donc soumis, à l'ouverture de l'audition, un autre affida vit de Marie Josée Raymond, qui se borne à annexer la totalité de l'entente du 20 février 1979 dont un extrait avait été cité dans l'affidavit anté- rieur, afin de souligner que, puisque l'original se trouve en la possession des demanderesses et est mentionné dans la déclaration, la production ne saurait les prendre au dépourvu. Il est vrai que certains paragraphes de l'affidavit du 13 septem- bre 1983 prêtent à controverse, notamment ses paragraphes 4, 5 et 6, mais il contient effective- ment l'extrait (précité) de l'entente à son paragra-
phe 7, sur lequel s'appuie ladite requête en radia tion de la défenderesse; il est donc recevable et la requête des demanderesses pour qu'il n'en soit pas tenu compte dans l'examen de la requête de la défenderesse, doit être rejetée avec dépens.
Il y a une grande incertitude quant à la receva- bilité du second affidavit de Marie Josée Ray- mond, produit à l'audition et annexant la totalité de l'entente conclue entre Nielsen-Ferns Interna tional Limited (le producteur) et la demanderesse B. Anne Cameron (l'auteur) car la Règle 419(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] prévoit qu'«Aucune preuve n'est admissible sur une demande aux termes de l'alinéa (1)a)», qui est l'alinéa sur lequel se fonde ladite requête de la défenderesse pour demander la radiation de cer- tains paragraphes de la déclaration des demande- resses pour absence de cause raisonnable d'action.
Ladite défenderesse Ciné St-Henri Inc. a cher- ché à modifier sa requête pour surmonter cette difficulté en sollicitant, en vertu de la Règle 341, un jugement que l'on peut demander «à tout stade d'une procédure» sur la base du document déposé en Cour (c'est-à-dire l'entente), mais je ne pense pas que cette Règle soit appropriée compte tenu des faits de cette action, ni qu'elle puisse être utilisée comme un moyen indirect de déposer un document qu'il ne pourrait autrement être possible de déposer à l'audition de cette requête. Cette demande verbale de modification est donc rejetée. Toutefois, j'ai autorisé la production de l'entente tout entière qui sera, à l'évidence, nécessaire à toute décision sur l'action, parce que, en tout état de cause, la Cour est saisie du paragraphe litigieux y figurant et sur lequel s'appuie la requête en radiation; il est en outre clairement dans l'intérêt de toutes les parties de déterminer le plus tôt possible si, en fait, cette Cour a compétence. Cela est d'autant plus vrai si on considère l'affirmation très surprenante et manifestement erronée qui figure au paragraphe 16 de la déclaration modi- fiée, selon laquelle [TRADUCTION] «L'entente du 20 février 1979 dit expressément que le droit d'au- teur sur l'oeuvre que créera la demanderesse B. Anne Cameron lui restera». Cette affirmation con- tredit directement l'alinéa 23a) (précité) de l'entente.
Je suis parfaitement conscient de la jurispru dence constante selon laquelle, dans l'examen d'une requête en radiation, la Cour doit tenir toutes les allégations de la déclaration pour avé- rées, et, partant de là, décider si ladite déclaration révèle une cause d'action. Toutefois, lorsque la Cour est saisie d'éléments de preuve contenus dans l'affidavit déposé à l'appui qui démontrent qu'une allégation essentielle, et, de fait, une allégation sur laquelle repose la compétence de la Cour, n'est pas vraie ou est au moins erronée et trompeuse, il serait déraisonnable de s'attendre à ce que la Cour ferme ses yeux et rende jugement en tenant l'allé- gation pour avérée.
Il faut donc examiner la question de la compé- tence. À moins que l'action ne repose sur une violation de droit d'auteur, il s'agit simplement d'une action ordinaire en dommages-intérêts fondée sur une violation de contrat et relevant de la compétence des tribunaux d'une province.
L'avocat des demanderesses soutient avec vigueur (invoquant maintenant la totalité de l'en- tente dont il a contesté la production) que l'entente incorpore les conditions de l'Independent Produ cers Agreement (accord des producteurs indépen- dants) qui en fait partie. Il s'agit d'un accord entre Canadian Association of Motion Picture Produ cers, l'Association canadienne de cinéma-télévi- sion, l'Office national du film et l'Association des artistes canadiens de la télévision et de la radio, portant sur les auteurs indépendants de films, de programmes de télévision et autres productions. L'accord est long et compliqué, traitant de paie- ments, de droits des parties, de paiements pour les rediffusions, etc. Il est périodiquement révisé. L'accord en vigueur du 1er avril 1978 au 31 mars 1980 était annexé au contrat du 20 février 1979. Bien que remplacé depuis par un autre accord valable pour la période allant du ler avril 1980 au 31 mars 1983, comme l'indique le paragraphe 15 de la déclaration modifiée, la Cour n'est pas saisie de cette dernière version qui ne toucherait, en tout état de cause, que le quantum de l'action et ne saurait être utilisée pour interpréter le contrat signé le 20 février 1979 qui est visé par les présen- tes procédures. Selon l'avocat des demanderesses, la clause A5 de l'Independent Producers Agree ment en vigueur à l'époque dit:
[TRADUCTION] Il est convenu que tous les droits négociés sous le régime de cet accord ou dans tout contrat individuel entre un
auteur et un producteur prennent ordinairement la forme d'une licence accordée par le premier au second et autorisant l'emploi d'un droit précis, quel qu'il soit, à une fin particulière et pour une durée déterminée.
Toujours selon l'avocat des demanderesses, l'arti- cle A702a) et b) dit:
[TRADUCTION] A702 Tous les contrats conclus avec l'auteur doivent préciser ou inclure:
a) la propriété des droits fondamentaux dans l'ceuvre;
b) une définition des droits achetés;
Les demanderesses font valoir qu'il n'a été trans- féré au producteur qu'une licence autorisant l'em- ploi particulier de l'oeuvre originale de l'auteur pour la série de télévision en 5 épisodes, qu'il n'a jamais été prévu qu'un film serait tiré de l'oeuvre de la demanderesse B. Anne Cameron, et qu'en conséquence elle n'a jamais cédé de droit d'auteur au producteur pour l'utilisation de son oeuvre à des fins autres que celles prévues dans l'entente.
Notons toutefois que, à propos de productions de télévision, la clause C105 porte ce qui suit:
[TRADUCTION] C105 Le producteur peut résilier un contrat à la fin de chaque série prévue à la clause C103 ou à la clause C104, auquel cas tout droit que l'auteur détient dans l'eeuvre lui revient.
À l'évidence, l'Independent Producers Agree ment n'interdit pas à un auteur de transférer un droit à son employeur, le producteur, comme cela s'est fait certainement en l'espèce, mais il y est effectivement prévu l'octroi d'un permis d'utilisa- tion à des fins précises dont la réalisation entraîne le retour du droit d'auteur à son titulaire.
Rien dans tout cela n'irait à l'encontre du para- graphe (4) de l'article 12 de la Loi sur le droit d'auteur':
12... .
(4) Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une manière générale, ou avec des restrictions territoriales, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la conces sion n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé.
Sans entrer dans les autres détails des conditions de l'entente du 20 février 1979, on peut dire qu'elle semble toutefois envisager la possibilité d'utiliser l'oeuvre pour un film cinématographique et, dans
' S.R.C. 1970, chap. C-30.
cette éventualité, les conditions de paiement s'y rapportant; il se pourrait donc que, à toutes fins pratiques, l'entente ait cédé au producteur la tota- lité du droit d'auteur. Mais, à ce stade des procé- dures, la Cour n'a pas à trancher cette question.
En conclusion sur ce volet de l'argument, je conclus que, même s'il se peut que la demande- resse B. Anne Cameron n'ait eu aucun droit d'au- teur sur l'oeuvre au moment de l'introduction des procédures, et que donc la Cour n'ait pas compé- tence, les procédures ne devraient pas être radiées pour défaut de compétence par suite de cette requête, puisque cela n'a pas été spécifiquement demandé, mais seulement évoqué au cours du débat. J'estime toutefois que la question devrait être soulevée prochainement, avant les interroga- toires préalables et autres procédures, peut-être au moyen d'une décision préliminaire sur un point de droit ou d'un exposé des faits, de sorte que la compétence de cette Cour puisse être déterminée avant l'examen du fond de l'affaire.
En ce qui concerne toutefois la codemanderesse Nancy Colbert and Associates, je ne vois pas comment on pourrait conclure à la compétence de cette Cour à l'égard de cette société. Elle est mandataire de la demanderesse B. Anne Cameron qui l'a dûment autorisée à recevoir tout paiement en vertu de l'entente du 20 février 1979. Bien entendu, elle s'intéresse, à ce titre, à l'issue finan- cière des présentes procédures et il serait normal de la mettre en cause. En revanche, elle n'a aucun intérêt dans le droit d'auteur en tant que tel. L'avocat des demanderesses a fait valoir que, dans un sens, on pourrait dire que la demanderesse B. Anne Cameron lui a cédé ses droits (si toutefois elle avait un droit d'auteur à céder selon l'entente du 20 février 1979), mais il faut repousser cet argument puisque aucune cession écrite n'a été faite conformément au paragraphe 12(4) (précité) de la Loi sur le droit d'auteur.
La jurisprudence récente a strictement inter- prété la compétence de cette Cour, et une partie qui, autrement, n'aurait pas qualité pour agir devant cette Cour ne saurait l'acquérir par voie de demande reconventionnelle, par procédure de mise en cause ni autrement, ni, comme en l'espèce, par constitution de partie, à titre de codemanderesse, à l'action intentée par la demanderesse B. Anne Cameron et née de ses droits d'auteur allégués sur
lesquels la Cour aurait compétence. Il se peut que les sommes qui lui seraient adjugées à la suite de ces procédures soient alors partagées avec Nancy Colbert and Associates en vertu de quelque mandat intervenu entre elle et cette société, mais cela ne concerne pas la Cour. Donc, cette société sera radiée des procédures en tant que codemande- resse, et l'intitulé de la cause sera modifié en conséquence.
Pour ce qui est de la requête introduite par la défenderesse Ciné St-Henri Inc., la radiation de certains paragraphes de la déclaration modifiée des demanderesses, notamment des paragraphes 17, 19, 21, 22a),b),c),d),e),f),g) et h), n'est pas accordée, mais la demande subsidiaire d'une ordonnance prescrivant certains détails est réglée de la façon suivante:
1. L'adresse complète de la demanderesse B. Anne Cameron à Nanaimo n'est pas nécessaire à la défenderesse pour plaider et peut être facile- ment obtenue lors d'un interrogatoire préalable. Il n'est donc ordonné aucune réponse.
2. Ces détails ne sont pas pertinents, Nancy Colbert and Associates ayant été radiée à titre de codemanderesse.
3. [Alinéas] 12a),b),c),d) et e). Même s'il appert que ces dates sont connues de ladite défen- deresse, la demanderesse devrait les donner si elle les a consignées dans un dossier.
4. Les accords se passent de commentaires et j'ai déjà dit que l'accord subséquent ne serait pertinent qu'à l'égard des dommages-intérêts. Il n'est ordonné aucun détail.
[Alinéas] 6a) et 8b). Les droits dus à la deman- deresse B. Anne Cameron sont probablement ceux dus en vertu de l'entente et de 1'Independent Pro ducers Agreement que la défenderesse connaît; mais si la demanderesse réclame plus que cela, à titre de «droits», il convient de donner des détails supplémentaires.
[Alinéa] 7a). La défenderesse est consciente de la publicité faite. Aucun détail n'est nécessaire.
[Alinéa] 9a). Bien que Nancy Colbert and Asso ciates ne soit pas autorisée à se constituer deman-
deresse devant cette Cour, la défenderesse est, par avis dûment reçu, tenue de payer à cette société les sommes dues à B. Anne Cameron. Il y aurait donc lieu de donner ces détails.
[Alinéas] 8c), 9c) et d). Quant aux détails sur les allégations faites aux alinéas 22c) et d) portant sur des dommages-intérêts punitifs et des domma- ges-intérêts pour atteinte à la réputation, ces ques tions seront tranchées par la Cour après audition de l'affaire au fond ou il y aura une référence quant aux dommages-intérêts; aucun détail n'est nécessaire à la défense.
Il reste les paragraphes 5, 6b), 7b), 8a), 8d), 9b) et 9e) qui soulèvent de sérieuses questions concer- nant les détails pouvant ou devant être ordonnés dans une action en violation du droit d'auteur sur une œuvre artistique ou littéraire. La jurispru dence sur ce point n'est pas abondante et peut même être contradictoire.
La demanderesse invoque l'ancienne affaire bri- tannique Sweet v. Maugham 2 il a été jugé qu'il suffit pour le demandeur d'alléguer sans autre précision que l'oeuvre du défendeur contient des passages qui ont été copiés dans celle du deman- deur pour que la Cour compare les deux. Par contre, la défenderesse cite l'affaire Starr and Crowe-Swords v. Northern Construction Co. Ltd. et al. 3 , le juge Macfarlane, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a décidé qu'il faut donner les détails des allégations faites dans les plaidoiries, qui déterminent les litiges, de manière à parer à toute surprise à l'instruction. Dans cette affaire, la question était limitée à un plan adopté par les défendeurs qui était une imitation trom- peuse du plan mentionné dans la déclaration.
Dans The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, deuxième édition, Fox dit ceci à la page 448:
[TRADUCTION] Il semblerait que le défendeur ait droit à des détails indiquant les parties de l'ceuvre du demandeur que, selon ce dernier, le défendeur aurait copiées; ceci est particuliè- rement vrai lorsque le demandeur n'a qu'un droit d'auteur
partiel sur son œuvre ..
et il poursuit en ces termes:
[TRADUCTION] En revanche, on trouve des précédents portant que le défendeur n'est pas en droit de recevoir des détails sur les
2 (1840), 11 Sim. 51; 59 E.R. 793 (H.C.Ch.).
3 (1956), 16 Fox Pat. C. 42 (C.S.C.-B.).
parties de son oeuvre qui, selon l'allégation, reproduisent l'oeu- vre du demandeur; il suffit de plaider que l'oeuvre du défendeur reproduit l'oeuvre du demandeur ou une partie substantielle de celle-ci.
La jurisprudence en matière de brevets indi- quant qu'il ne suffit pas de dire qu'il y a eu violation et qu'il faut donner des détails sur la violation alléguée, n'est pas d'un grand secours, car il est possible d'être plus précis en matière de contrefaçon alléguée de brevets.
Dans une action en violation du droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, la violation peut toucher des centaines de passages, de phrases ou d'intri- gues et, au stade des plaidoiries, ce serait un fardeau intolérable pour un demandeur de les énu- mérer en détail dans une liste et de se limiter à cette liste. Ceci est d'autant plus vrai en l'espèce tant l'ceuvre sur laquelle le droit d'auteur de la demanderesse B. Anne Cameron subsiste que les versions cinématographiques incriminées découlent d'une source commune, le roman de feue Gabrielle Roy The Tin Flute/Bonheur d'occasion. Par ail- leurs, il semble que la demanderesse n'a même pas le scénario du film, qu'elle a appris la violation à la suite de certaines affirmations faites par l'avocat de la défenderesse dans sa correspondance et peut- être même seulement en voyant le film.
La Cour statuant sur le fond de l'affaire devra en définitive faire les comparaisons. Par contre, on peut dire que les paragraphes 17, 19b), 20b), 21a), 21d), 22c) et 22f) sont trop généraux et vagues pour établir une cause précise d'action à laquelle la défenderesse peut répondre.
Il me semble que, dans une affaire telle que l'espèce présente, la demanderesse devrait être tenue de donner des détails sur plusieurs phrases, passages ou situations dont elle est l'auteur origi nal et que la défenderesse aurait plagiés ou copiés dans la version cinématographique. Ces détails devraient être assez nombreux pour établir prima facie une cause d'action, mais peuvent être accom- pagnés de la mention [TRADUCTION] «sans limiter la généralité de ce qui précède» ni interdire à la demanderesse d'introduire à l'instruction d'autres exemples. Il ne faut pas confondre une requête en détails avec un interrogatoire préalable. Les plai- doiries et les détails s'y rapportant devraient être aussi concis que possible et, au stade initial des procédures, on ne devrait pas encombrer le dossier
de la Cour de centaines de pages de détails qui constituent en réalité la preuve à présenter à l'ins- truction et qui peuvent se rapporter plus à la gravité du plagiat allégué et donc au montant des dommages-intérêts qui pourra faire l'objet d'une référence, qu'à la nécessité pour la demanderesse d'établir qu'il y a eu violation.
L'ordonnance concernant la requête de la défen- deresse Ciné St-Henri Inc. sera rendue conformé- ment à ces constatations.
La troisième requête présentée par l'Institut québécois du cinéma, la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne et Famous Players Ltd., défendeurs, tend simplement à l'obtention de détails sur les paragraphes 17, 18, 19 et 20 de la déclaration modifiée. Il est allégué dans les paragraphes 17, 18 et 19 qu'ils ont produit un long métrage introduisant une partie ou la totalité de l'oeuvre originale créée par la demande- resse pour les séries télévisées, qu'ils ont financé et participé à la réalisation de ce film et l'ont pré- senté au public à l'insu de la demanderesse et sans son consentement. Le paragraphe 20 allègue que, par l'entremise de leurs mandataires, ils ont dif- fusé des messages publicitaires désignant comme auteur une autre personne que la demanderesse.
L'avocat desdits défendeurs reconnaît qu'ils ont financé la production mais nie qu'ils y ont parti- cipé. En réponse, l'avocat de la demanderesse fait valoir que les accords sont assez parlants et que lesdits défendeurs connaissent bien le degré de leur participation et ne peuvent donc pas dire qu'ils ont été pris au dépourvu. Toutefois, plaider une con clusion découlant d'un contrat est différent de plaider des faits pertinents. Un démenti général dans une plaidoirie, sans autres détails, est inac- ceptable. Lesdits défendeurs doivent donc avoir des détails sur leur participation à la production, sur l'assistance donnée autrement que par finance- ment, publication du film et diffusion de messages publicitaires attribuant la qualité d'auteur à une personne autre que la demanderesse. Celle-ci devrait indiquer les faits sur lesquels elle s'appuie en faisant ces allégations dans la mesure ils ont été portés à sa connaissance et non à la seule connaissance desdits défendeurs.
La quatrième requête est introduite par la Société Radio-Canada et l'Office national du film du Canada, défendeurs, et tend à l'obtention de détails semblables à ceux demandés par Ciné St-Henri Inc. dans la requête sur laquelle j'ai déjà statué. L'avocat fait savoir que lesdits défendeurs ont déjà reçu quelques détails et limitent mainte- nant leur requête aux paragraphes 17, 20 et 22b) de la déclaration modifiée. Le paragraphe 17 demande des détails précis sur le plagiat allégué et j'ai déjà réglé la question à propos de la requête de Ciné St-Henri; sur la même base, des détails limi tés devraient être fournis aux défendeurs. Il en est de même pour les détails demandés au sujet du paragraphe 20—pour l'alinéa 20c) de ladite requête des défendeurs. Pour ce qui est des alinéas 20a) et b), lesdits défendeurs savent bien quelle publicité, si publicité il y a, attribue la qualité d'auteur à une personne autre que B. Anne Came- ron, et connaissent le nom des mandataires qui l'ont diffusée.
La demanderesse devrait donner suffisamment d'exemples dont elle a pris connaissance pour éta- blir qu'il y a eu une telle publicité sans être pour autant limitée par la suite aux exemples fournis. Toutefois, les défendeurs connaissent bien les man- dataires, s'il en est, qui ont propagé cette publicité, et la demanderesse n'a pas à donner de détails sur ce point. Pour ce qui est de l'alinéa 22b), la requête expose qu'il se rapporte à l'alinéa d) de la déclaration modifiée portant sur des dommages- intérêts punitifs, et j'ai déjà fait savoir qu'il s'agis- sait d'une question que la Cour déterminerait après instruction et non au stade de l'examen d'une requête en détails. Au cours du débat, l'avo- cat desdits défendeurs a estimé que c'était l'alinéa 22d) de sa requête qu'il avait à l'esprit. S'il en est ainsi, cet alinéa se rapporte à l'alinéa 22f) de la déclaration modifiée et tend encore à l'obtention de détails précis sur la partie de l'aeuvre de la demanderesse qui aurait été utilisée à tort, et dont la demanderesse cherche à faire interdire l'utilisa- tion. J'ai déjà tranché la question pour la requête de Ciné St-Henri, et il est inutile d'y revenir.
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