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A-1140-82
Roy Orlando Green (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juge Heald, juges suppléants Lalande et McQuaid—Toronto, 15 et 19 août 1983.
Immigration Demande d'examen et d'annulation d'une ordonnance d'expulsion Le requérant aurait travaillé sans y être autorisé et aurait prolongé indûment son séjour L'arbi- tre était-il obligé d'accorder l'ajournement de l'enquête pen dant que le gouverneur en conseil examinait la demande visant à faciliter l'admission du requérant, présentée en vertu de l'art. 115(2) de la Loi sur l'immigration de 1976? L'arrêt Jimi- nez-Perez ne crée pas une telle obligation L'économie de la loi exige que les procédures soient rapides Le Règlement n'accorde un pouvoir d'ajournement que pour permettre la tenue d'une enquête complète et régulière L'enquête ne portait pas sur les considérations d'ordre humanitaire dont parle l'art. 115(2) Les faits inhabituels de l'arrêt Tam sont différents de ceux de l'espèce Paralysie éventuelle des enquêtes Obligation non imposée par des termes exprès de la loi Demande rejetée Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2(1), 27(2)b),e), 45(1), 104, 115(2) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 35(1) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
À la suite de l'arrestation du requérant, une enquête a été tenue afin d'examiner les allégations selon lesquelles ce dernier avait travaillé au Canada sans y être autorisé et y était demeuré après avoir perdu sa qualité de visiteur. Avant la présentation de preuves à l'enquête, l'avocat du requérant a informé l'arbitre qu'il avait transmis à la Commission une lettre qui, selon l'avocat, exposait certaines considérations d'ordre humanitaire concernant le cas du requérant et, conformément au paragra- phe 115(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 (la «Loi»), demandait au gouverneur en conseil d'examiner ces éléments afin de faciliter l'admission du requérant au Canada. L'avocat a demandé à l'arbitre l'ajournement de l'enquête pendant l'exa- men de cette demande; cependant, l'arbitre a refusé d'accorder un ajournement et, après avoir entendu les témoignages et les arguments des parties, a prononcé une ordonnance d'expulsion. Une demande a été présentée à la Cour fédérale sur le fonde- ment de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande est rejetée.
La décision de la Cour d'appel dans l'arrêt Jiminez-Perez et autre c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, et autres n'est pas pertinente pour les faits de l'espèce. Dans l'arrêt Jiminez-Perez, aucune demande fondée sur le paragraphe 115(2) n'a été présentée avant la fin de l'enquête (qui portait sur des allégations contre Jiminez-Perez semblables à celles avancées contre le requérant). A partir de ces faits, la Cour a conclu que, premièrement, une demande en vertu du paragra- phe 115(2) peut être faite indépendamment de l'enquête tenue conformément à la Loi, et que, deuxièmement, lorsqu'une telle
demande est faite, les fonctionnaires du ministère de l'Immigra- tion sont obligés d'accepter cette demande et de la transmettre aux autorités compétentes, et le requérant a droit à une décision sur sa demande. L'arrêt Jiminez-Perez ne signifie pas que lorsqu'il reçoit une demande présentée en vertu du paragraphe 115(2) pendant une enquête, l'arbitre est tenu d'ajourner immédiatement l'enquête jusqu'à ce que le gouverneur en con- seil ait rendu une décision sur la demande.
Au contraire, il ressort de l'économie de la Loi et du Règle- ment que l'arbitre est tenu de poursuivre l'enquête aussi rapide- ment que les circonstances le permettent. En fait, selon les termes du paragraphe 35(1) du Règlement, il n'est habilité à ajourner une enquête qu'«afin de veiller à ce qu'elle soit com- plète et régulière»; les considérations d'ordre humanitaire dont parle le paragraphe 115(2) se situaient hors de la portée de l'enquête en l'espèce.
Le requérant a invoqué un autre arrêt, Tam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration. La décision rendue dans l'arrêt Tam reposait sur des faits inhabituels, différents de ceux dont la Cour est présentement saisie. Tam avait obtenu un ajourne- ment afin de pouvoir présenter une demande (en vertu de l'article 37 de la Loi); en outre, le Ministre s'était engagé à répondre à la demande, mais ne l'avait pas encore fait lorsque l'enquête avait été reprise. En l'espèce toutefois, aucun ajourne- ment n'a été accordé et aucune personne ayant autorité pour agir ne s'est engagée à répondre à Green au sujet de sa demande.
Étant donné les faits de l'espèce, si la Cour statuait que l'arbitre est tenu d'accorder l'ajournement, cela signifierait qu'il suffirait de présenter à l'enquête une demande en vertu du paragraphe 115(2) pour interrompre une enquête tenue confor- mément à la Loi pendant une période assez longue, c'est-à-dire jusqu'à ce que le gouverneur en conseil ait rendu une décision. Cela aurait pour effet de perturber et de paralyser la tenue des enquêtes prévues dans la Loi.
La perspective d'un tel résultat, tout comme l'obligation de procéder rapidement à l'enquête qui ressort de l'économie de la loi, devrait empêcher de conclure que l'arbitre a l'obligation d'ajourner l'enquête dans les circonstances de l'espèce, à moins que le Parlement ait, en utilisant des termes appropriés dans la loi, expressément imposé une telle obligation. Il l'a fait dans une autre partie de la Loi mais non dans les dispositions pertinentes en l'espèce.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Tam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 2 C.F. 31; 46 N.R. 1 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Jiminez-Perez et autre c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, et autres, [1983] 1 C.F. 163; 45 N.R. 149 (C.A.).
AVOCATS:
D. M. Greenbaum, c.r., pour le requérant. M. W. Duffy pour l'intimé.
PROCUREURS:
D. M. Greenbaum, c.r., Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Le principal point soulevé par cette demande présentée en vertu de l'article 28 [de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), chap. 10] concerne, pour l'essentiel, les paramètres de deux décisions récentes de la Cour et leur application, s'il y a lieu, à la situation de fait de l'affaire en instance'. Le requérant a été arrêté en vertu de l'article 104 de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] et, au cours de l'enquête tenue à son sujet, il a été allégué que le requérant n'ayant ni le statut de citoyen canadien ni celui de résident permanent, était entré au Canada en qualité de visiteur et y était demeuré après avoir perdu cette qualité, qu'il y avait en outre travaillé sans y être autorisé et qu'il faisait par conséquent partie des catégories de personnes non admissibles visées aux alinéas 27(2)b) et e) de la Loi sur l'immigration de 1976.
Avant la présentation à l'enquête de preuves sur le fond de la question, l'avocat du requérant a informé l'arbitre que, le même jour, il avait trans- mis à la Commission une lettre exposant certaines considérations d'ordre humanitaire concernant le cas du requérant et demandant au gouverneur en conseil d'examiner ces éléments afin de faciliter l'admission du requérant au Canada 2 . L'avocat s'est appuyé sur les dispositions du paragraphe
Jiminez-Perez et autre c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, et autres, [1983] 1 C.F. 163; 45 N.R. 149 (C.A.), et Tam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 2 C.F. 31; 46 N.R. 1 (C.A.).
2 Étant donné que le paragraphe 2(1) dispose que «admission» désigne «l'autorisation de séjour» ou «le droit d'établissement» et que «droit d'établissement» désigne «l'autorisation d'entrer au Canada pour y établir une résidence permanente», la demande présentée en vertu du paragraphe 115(2) sur ces faits consti- tuait une demande au gouverneur en conseil d'autoriser le requérant à établir sa résidence permanente au Canada.
115(2) de la Loi sur l'immigration de 1976' et l'arrêt Jiminez-Perez, précité, pour demander un ajournement de l'enquête afin que le gouverneur en conseil puisse examiner la demande présentée en vertu du paragraphe 115(2). L'arbitre a rejeté cette demande et, après avoir entendu les témoi- gnages et les arguments des parties, a prononcé une ordonnance d'expulsion contre le requérant.
En ce qui concerne l'arrêt Jiminez-Perez, je conclus qu'il ne s'applique pas en l'espèce. Jimi- nez-Perez a fait l'objet d'une enquête parce que, comme le requérant, il était demeuré au Canada après avoir perdu sa qualité de visiteur et avait occupé un emploi sans permis de travail. Une fois l'enquête terminée, il fut ordonné à Jiminez-Perez, dans un avis d'interdiction de séjour, de quitter le Canada au plus tard le 15 juillet 1980. Contraire- ment à ce qui s'est produit dans l'affaire en ins tance, aucune demande fondée sur le paragraphe 115(2) n'a été présentée pendant l'enquête. La demande visant à permettre à la fiancée de Jimi- nez-Perez de parrainer sa demande de résidence permanente pendant qu'il demeurait au Canada a été rejetée. La Cour, s'exprimant par l'intermé- diaire du juge Le Dain, a conclu comme suit la page 171 C.F.] après avoir examiné les dispositions du paragraphe 115(2), précité, et en particulier la partie de ce paragraphe qui autorise le gouverneur en conseil à faciliter l'admission d'une personne pour des motifs humanitaires:
... un requérant éventuel a droit à une décision administrative sur la base sur laquelle il présente une demande, et il existe donc une obligation corrélative de lui permettre de faire la demande. La demande, y compris la demande de dispense et le parrainage de la demande, doit être examinée et tranchée au moyen d'une décision ...
À mon avis, l'arrêt Jiminez-Perez démontre:
1. qu'une demande en vertu du paragraphe 115(2) adressée au gouverneur en conseil peut être faite indépendamment de l'enquête tenue confor- mément à la Loi sur l'immigration de 1976; et
3 Le paragraphe 115(2) dit:
115....
(2) Lorsqu'il est convaincu qu'une personne devrait être dispensée de tout règlement établi en vertu du paragraphe (1) ou que son admission devrait être facilitée pour des motifs de politique générale ou des considérations d'ordre humanitaire, le gouverneur en conseil peut, par règlement, dispenser cette personne du règlement en question ou autre- ment faciliter son admission.
2. que lorsqu'une demande d'examen spécial est faite en vertu du paragraphe 115(2), les fonction- naires du ministère de l'Immigration ont l'obliga- tion d'accepter la demande et de la transmettre aux autorités compétentes, et que le requérant a droit à une décision sur sa demande. Toutefois cette décision ne dit pas, à mon avis, que l'arbitre qui, pendant une enquête, reçoit une demande présentée en vertu du paragraphe 115(2), est tenu d'ajourner immédiatement l'enquête jusqu'à ce que le gouverneur en conseil ait rendu une décision sur la demande. À mon avis, il ressort clairement de l'économie de la Loi sur l'immigration de 1976 et du Règlement [Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172] que l'arbitre doit procéder à son enquête aussi rapidement que possible dans les circonstances particulières de chaque cas. De même, il ne peut ajourner une enquête qu'«afin de veiller à ce qu'elle soit complète et régulière» (voir le paragraphe 35(1) [du Règlement]). L'arbitre avait à déterminer à l'enquête si le requérant faisait partie des catégories de personnes non admissibles visées aux alinéas 27(2)b) et e) de la Loi sur l'immigration de 1976. Les considérations d'ordre humanitaire pertinentes dans une demande présentée en vertu du paragraphe 115(2) se situent hors de la portée de l'enquête tenue par l'arbitre.
Compte tenu de l'économie de la Loi et du Règlement telle que je l'ai définie ci-dessus, je ne suis pas disposé à obliger l'arbitre à ajourner l'en- quête dans les circonstances, en l'absence dans la loi de termes exprès lui imposant une telle obliga tion. Il convient de noter que lorsque le Parlement veut imposer à un arbitre l'obligation d'ajourner une enquête qu'il préside, il n'a aucune difficulté à trouver les termes appropriés pour le faire. Je fais allusion au paragraphe 45 (1) de la Loi qui prévoit que l'arbitre doit ajourner une enquête lorsque la personne qui y est en cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention. Il faudrait que la loi contienne des termes ayant la même force pour me convaincre que l'arbitre a une obligation simi- laire en ce qui concerne une demande présentée en vertu du paragraphe 115(2).
Toutefois, comme je l'ai fait remarquer plus haut, l'avocat du requérant a également appuyé la
demande dont il a saisi la Cour sur sa décision récente dans l'arrêt Tam. À mon avis, les faits de l'arrêt Tam sont différents de ceux de l'espèce. Dans Tam, l'arbitre avait ajourné l'enquête afin de permettre au requérant de demander au Ministre le permis prévu à l'article 37. En réponse à la demande du requérant, le Ministre s'était engagé à lui écrire dès qu'il aurait reçu un rapport de ses fonctionnaires compétents au sujet du bien-fondé de sa demande. L'enquête a repris avant qu'il ait reçu la réponse promise par le Ministre ou celle d'un représentant du Ministère autorisé par le Ministre à lui en donner une. Le juge en chef Thurlow, à l'avis duquel a souscrit le juge sup pléant Primrose, a jugé qu'il était inéquitable d'un point de vue procédural d'exiger la conclusion de l'enquête alors que le requérant attendait encore la réponse promise par le Ministre 4 . Les faits dans l'arrêt Tam étaient assez inhabituels et, à mon avis, ce sont ces faits inhabituels qui ont servi de fondement à la décision de la Cour. En l'espèce, il n'y a tout d'abord pas eu d'ajournement afin de permettre la présentation d'une demande et, de plus, aucune personne ayant autorité pour agir ne s'est engagée à donner une réponse au requérant au sujet de sa demande. Étant donné les faits de l'espèce, donner raison au requérant signifierait alors qu'il suffirait de présenter à l'enquête une demande en vertu du paragraphe 115(2) pour interrompre pendant une période assez longue les procédures d'une enquête tenue en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976, en attendant la déci- sion du gouverneur en conseil. À mon avis, cela aurait pour effet de perturber et de paralyser la tenue des enquêtes prévues dans la Loi. C'est une autre raison, à mon avis, de conclure, comme je l'ai fait plus haut, qu'il convient de ne pas trancher dans ce sens en l'absence de dispositions législati- ves expresses à cet effet.
Par ces motifs, je rejetterais la demande présen- tée en vertu de l'article 28.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT MCQUAID: Je souscris à ces motifs.
° En ma qualité d'autre membre de la Cour, j'ai souscrit dans mes motifs à leur décision mais pour une raison différente, c'est-à-dire que l'arbitre avait commis à l'égard du requérant un déni de justice naturelle et d'équité procédurale en refusant de donner à son avocat l'occasion de présenter les arguments qu'il souhaitait exposer pendant l'enquête.
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