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T-1996-82
Crown Tire Service Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Strayer — Edmonton, 26 octobre; Ottawa, 2 novembre 1983.
Impôt sur le revenu Calcul de l'impôt Déductions Appel contre des nouvelles cotisations pour les années 1975 à 1977, qui refusent des déductions réclamées en vertu de l'art. 125.1(1) de la Loi La demanderesse rechapait d'une part des pneus appartenant à ses clients et, d'autre part, les siens propres qu'ensuite elle vendait ou louait Aucune preuve établissant dans quelle proportion son commerce consistait à rechaper des pneus de clients par opposition aux siens propres L'art. 125.1(1)a) autorise la déduction d'une partie des bénéfices «de fabrication et de transformation au Canada» L'art. 125.1(3)a) exige que ces bénéfices soient applicables «à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location» Suivant l'art. 125.1(3)b)(x), ce type de «fabrication» ou de «transformation» n'ouvre pas droit à une déduction si moins de 10 p. 100 des recettes brutes sont des bénéfices provenant de cette source La défenderesse fait valoir que le rechapage de pneus pour des clients est de la «fabrication» ou de la «transformation» de services et non pas «d'articles destinés à la vente ou à la location» La demanderesse allègue que l'art. 125.1(3)a) s'applique au rechapage de pneus pour ses clients parce qu'il s'agit de la vente de bandes de roulement, et ce, même lorsque celles-ci sont fixées à des pneus appartenant aux clients Appel rejeté Le rechapage de pneus pour des clients n'a rien à voir avec la fabrication ou la transformation «d'articles destinés à la vente ou à la location» Les contrats afférents à ces pneus sont des contrats de fourniture d'ouvrage et de matériaux et non pas des contrats de vente de marchan- dises Les clients conservent la propriété des pneus tout au cours du processus de rechapage Le contrat en matière de rechapage est un contrat de réparation Le caoutchouc fixé à la carcasse appartient par accession au propriétaire du pneu D'après la preuve, on ne vendait pas de bandes de roule- ment non fixées à une carcasse de pneu Dans l'affaire His Majesty The King v. Boultbee Limited, 119381 R.C.É. 187, la Cour a conclu qu'aux fins de l'assujettissement à la taxe de vente et à la taxe d'accise, le rechapage de pneus pour des clients est un contrat de réparation La demanderesse ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombe de prouver le caractère erroné des nouvelles cotisations en démontrant quelle partie de son revenu provenait du rechapage de ses propres pneus en vue de leur vente ou location et en prouvant que cette partie dépasse 10 p. 100 de ses recettes brutes Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 125.1(1)a),,(3)a),b)(x) i (adopté , par S.C. 1973-74, ,chap. 29, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Sterling Engine Works v. Red Deer Lumber Co. (1920), 51 D.L.R. 509 (C.A. Man.); Scott Maritimes
Pulp Ltd. v. B. F. Goodrich Canada Ltd. et al. (1977), 72 D.L.R. (3d) 680 (C.S.N.-É.); His Majesty The King v. Boultbee Limited, [1938] R.C.É. 187.
DÉCISION CITÉE:
Johnston v. Minister of National Revenue, [ 1948] R.C.S. 486.
AVOCATS:
H. George McKenzie pour la demanderesse. William Mah pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Bell, Felesky, Iverach, Flynn, Struck & McKenzie, Edmonton, pour la demanderesse. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Cet appel attaque de nou- velles cotisations d'impôt pour les années d'imposi- tion se terminant le 28 février 1975 et le 31 décembre 1975, 1976 et 1977. En établissant ces nouvelles cotisations, le sous-ministre du Revenu national a refusé des déductions réclamées par la société demanderesse en vertu du paragraphe 125.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1; S.C. 1973-74, chap. 29, art. 1)].
L'alinéa 125.1(1)a) autorise dans certaines cir- constances une société à déduire de l'impôt qu'elle aurait normalement à payer une partie de ses bénéfices «de fabrication et de transformation au Canada». Aux termes de l'alinéa 125.1(3)a), les «bénéfices de fabrication et de transformation au Canada» doivent s'appliquer «à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location» (c'est moi qui souligne). Toutefois, suivant le sous-alinéa 125.1(3)b)(x), le fait qu'une société se livre à ce type de «fabrica- tion» ou de «transformation» ne lui donne pas droit à une déduction si moins de 10 p. 100 de ses recettes brutes consistent en des bénéfices prove- nant de cette source. Il s'agit de ce qu'on appelle, par souci de commodité, la règle de minimis.
La demanderesse avait produit un avis d'opposi- tion, mais les nouvelles cotisations ayant été con- firmées, elle en a appelé devant la Commission de
révision de l'impôt qui, dans un jugement en date du 23 novembre 1981, a rejeté l'appel. La deman- deresse a alors porté les nouvelles cotisations en appel devant cette Cour.
La société demanderesse a succédé à Crown Tire Retreaders Ltd. (ci-après appelée, par souci de simplicité, «Crown Tire») qui était celle qui payait les impôts pendant les années d'imposition en question. A l'époque qui nous intéresse, Crown Tire exploitait une entreprise de rechapage de pneus. Elle employait à cet effet trois procédés différents, chacun exigeant un différent degré de fabrication et de transformation dans les locaux de l'entreprise. Une bonne partie du commerce con- sistait à recevoir des pneus usés apportés par des clients qui en demandaient le rechapage. On enle- vait alors la bande de roulement usée, la rempla- çant par une neuve en appliquant sur la carcasse une bande ou des bandes de caoutchouc. Crown Tire obtenait ces bandes soit en transformant elle- même du caoutchouc brut, soit en les achetant à un fournisseur. L'adhérence de la bande de roule- ment à la carcasse étant alors assurée par l'emploi de chaleur et de pression, le processus du recha- page était terminé. Dans certains cas, Crown Tire appliquait ces procédés à des carcasses qui lui appartenaient, vendant ou louant à différents clients les pneus rechapés qui en résultaient. Ni devant la Commission de révision de l'impôt ni en cette Cour, Crown Tire n'a-t-elle produit des preu- ves établissant dans quelle proportion son com merce consistait à rechaper pour des clients les pneus fournis par ces derniers et dans quelle pro portion elle rechapait des carcasses lui appartenant en vue de la vente ou de la location des pneus rechapés.
La défenderesse ne conteste pas devant moi que la demanderesse exploitait une entreprise «de fabrication et de transformation au Canada». Elle ne nie pas non plus, en ce qui concerne le recha- page et la vente ou location de carcasses apparte- nant à Crown Tire, que cela constitue «la fabrica tion ou ... la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location» au sens de l'alinéa 125.1(3)a). Elle soutient toutefois que la partie du commerce qui consiste à rechaper pour des clients, moyennant paiement, des carcasses fournies par ceux-ci, n'a rien à voir avec la fabrica tion ou la transformation «d'articles destinés à la
vente ou à la location». La défenderesse fait valoir que dans ce cas il s'agit plutôt de la «fabrication» ou de la «transformation» de services. Elle prétend en outre qu'il ne faut pas toucher à la nouvelle cotisation, et ce en raison de l'impossibilité se trouve la demanderesse de s'acquitter de l'obliga- tion qui lui incombe de prouver son droit à la déduction en montrant dans quelle proportion son commerce est consacré au rechapage de ses pro- pres pneus en vue de leur vente ou location, afin qu'elle puisse réclamer la déduction à l'égard des bénéfices ainsi réalisés et afin de démontrer que ceux-ci dépasseraient la limite de 10 p. 100 qu'im- pose la règle de minimis. La demanderesse pour sa part soutient que l'ensemble de son commerce de rechapage constitue «la fabrication ou ... la trans formation ... d'articles destinés à la vente ou à la location» et qu'elle a donc droit à la déduction à l'égard de la totalité du revenu tiré de ce com merce. Plus particulièrement, elle allègue que l'ali- néa 125.1(3)a) s'applique à la partie dudit com merce qui consiste à rechaper les pneus fournis par les clients parce qu'il s'agit de la vente de bandes de roulement, même lorsque celles-ci sont fixées à des pneus appartenant aux clients.
La question essentielle porte donc sur la nature de la partie du commerce de la demanderesse qui consistait à rechaper les pneus des clients. La demanderesse soutient à cet égard qu'elle fabri- quait ou transformait des bandes de roulement destinées à la vente. La défenderesse réplique que, tout au plus, la demanderesse se livrait à la fabri cation ou à la transformation d'un service. En particulier, elle fait valoir que les matériaux, à savoir les bandes de caoutchouc, employés dans le rechapage devenaient la propriété du client non pas en vertu d'un contrat de vente, mais en vertu d'un contrat pour la fourniture d'ouvrage et de matériaux par Crown Tire, la propriété des maté- riaux passant au client par accession au moment de leur adjonction à la carcasse appartenant au client.
Je suis arrivé à la conclusion que la fabrication ou la transformation auxquelles se livrait la demanderesse pendant la période en question, dans la mesure elles avaient pour objet le rechapage de pneus appartenant à des clients, ne se rappor- taient pas à la production «d'articles destinés à la vente ou à la location». Selon moi, les contrats
afférents à ces pneus étaient des contrats de four- niture d'ouvrage et de matériaux et non pas des contrats de vente de marchandises. Bien qu'on m'ait invité à faire certaines déductions à partir des documents, notamment les bulletins de com- mande, les factures et les garanties, constatant le contrat, abstraction faite de ce qui est dit plus loin, je ne les ai pas trouvés d'une très grande utilité dans la détermination de la nature de ce contrat.
Dans Benjamin's Sale of Goods (Londres, 1974), on dit relativement à la distinction entre un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux:
[TRADUCTION] Lorsqu'un bien, meuble ou immeuble, de l'em- ployeur doit faire l'objet de travaux comportant l'utilisation ou l'adjonction de matériaux appartenant à la personne engagée à cet effet, il s'agira normalement d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, la propriété de ceux-ci passant alors à l'employeur par accession et non pas en vertu d'un contrat de vente.'
Voilà, selon moi, le principe général qui régit ce genre de situations. Il va toutefois sans dire que chaque cas est un cas d'espèce et que l'application du principe variera en conséquence.
J'estime que le principe général énoncé dans Benjamin s'applique à la situation en l'espèce. Quant aux pneus appartenant aux clients, il me semble que pendant tout le processus du rechapage ces derniers en conservent la propriété. Dans un bulletin de commande admis comme pièce P-1, le client demande à Crown Tire Service de rechaper un certain pneu [TRADUCTION] «si cela en vaut la peine». D'après les témoignages rendus en cette Cour par les membres de la direction de la société, il faut entendre par que si, après un examen plus minutieux, Crown Tire décidait qu'il était inutile de procéder au rechapage, elle en aviserait le client en lui demandant s'il voulait que le pneu lui soit rendu ou qu'il soit jeté. Dans le cas contraire, on rendait le pneu au même client qui l'avait fourni. J'en conclus que, du début jusqu'à la fin, la car- casse était considérée comme la propriété du client et que Crown Tire faisait bénéficier cette carcasse de son ouvrage et de ses matériaux. Il s'agissait donc en somme d'un contrat de réparation. Une fois le caoutchouc adjoint à la carcasse, il apparte- nait par accession au propriétaire de celle-ci. Le caoutchouc ainsi employé ne pouvait par consé-
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quent faire l'objet d'un contrat de vente parce que, dès l'adjonction, il se fondait avec le bien du client.
À mon avis, les précédents les plus importants appuient cette interprétation. Dans l'arrêt Sterling Engine Works v. Red Deer Lumber Co. (1920), 51 D.L.R. 509 (C.A. Man.), la Cour d'appel du Manitoba a conclu que la propriété de deux plaques d'acier que la demanderesse avait, au cours des travaux de réparation du foyer, attachées à la locomotive de la défenderesse passait à celle-ci non pas par vente mais par accession. En tirant cette conclusion, le juge Dennistoun a fait remar- quer d'abord que rien ne prouvait que la demande- resse se livrait à titre de vendeur ou de négociant au commerce des plaques d'acier et ensuite qu'elle s'en est simplement servie dans la réparation de la locomotive. De même, en la présente espèce, il ressort de la preuve que la société demanderesse ne vendait de «bandes de roulement» à personne sans qu'elles soient attachées à une carcasse de pneu. Cela vient renforcer le point de vue selon lequel la fourniture de bandes de roulement dans le proces- sus du rechapage n'était pas considérée comme un contrat de vente.
L'arrêt Sterling Engine Works a été suivi par la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Scott Maritimes Pulp Ltd. v. B. F. Goodrich Canada Ltd. et al. (1977), 72 D.L.R. (3d) 680, on a conclu qu'un contrat pour le remplacement d'un enduit de caoutchouc sur un cylindre presseur est un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux et non pas un contrat de vente visant l'enduit de caoutchouc. La décision His Majesty The King v. Boultbee Limited, [1938] R.C.E. 187, de la Cour de l'Échi- quier du Canada est peut-être encore plus perti- nente. aussi il s'agissait d'une entreprise de rechapage de pneus, la question étant de savoir si les pneus rechapés étaient des [TRADUCTION] «marchandises produites ou fabriquées» par la défenderesse et, partant, assujettis à la taxe de vente et à la taxe d'accise. Dans cette affaire, la Cour avait également à examiner la nature des opérations de rechapage lorsque les pneus étaient fournis par le client. Selon la Cour, dans un cas pareil on est en présence d'un contrat de répara- tion et non pas d'une vente. Il s'agissait donc d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux qui échappait aux taxes de vente et d'accise.
Selon moi, l'élément le plus important militant en faveur d'une conclusion que les contrats passés par Crown Tire pour le rechapage des pneus des clients étaient des contrats de fourniture d'ouvrage et de matériaux est que la carcasse de pneu qui faisait l'objet des travaux ne cessait pas d'apparte- nir au client. Cela suffit, à mon avis, pour distin- guer la présente espèce d'un bon nombre de déci- sions le client n'avait jamais auparavant été propriétaire d'aucune partie du produit final.
Bien que ces distinctions puissent paraître quel- que peu subtiles et étrangères au droit fiscal, il faut supposer que le Parlement en parlant «d'arti- cles destinés à la vente ou à la location» a voulu, par une référence au droit général en matière de vente ou de louage, donner à cette expression une plus grande précision dans des cas particuliers.
La demanderesse ne s'est pas acquittée de son obligation de prouver le caractère erroné des nou- velles cotisations pour les années d'imposition en question. Comme le dit la défenderesse dans ses conclusions, lorsqu'il a établi les nouvelles cotisa- tions, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis que le rechapage de pneus appartenant aux clients ne constitue ni une vente ni une location d'articles fabriqués ou transformés au Canada par la demanderesse. Il a supposé en outre (probable- ment parce que l'entreprise consistait en partie à vendre ou à louer des pneus rechapés lui apparte- nant) que moins de 10 p. 100 des recettes brutes de la demanderesse provenaient de la vente ou de la location d'articles qu'elle avait fabriqués et trans formés au Canada. J'ai conclu que le rechapage des pneus des clients ne constitue pas une fabrica tion ou une transformation d'articles destinés à la vente ou à la location. Il s'ensuit qu'au moins une partie importante du revenu tiré par la demande- resse de son entreprise au cours de la période en question serait inadmissible à la déduction d'impôt prévue à l'article 125.1. Mais la demanderesse n'a pas pu démontrer quelle portion de son revenu provenait du rechapage de ses propres pneus en vue de leur vente ou location et ouvrait donc droit à la déduction. Elle n'a pas pu non plus, le Minis- tre ayant conclu à l'inapplicabilité de la déduction, établir si cette portion dépassait la limite de 10 p. 100 des recettes brutes imposée par le sous-alinéa 125.1(3)b)(x) comme condition d'admissibilité à la déduction d'impôt. Dans des cas pareils, il incombe
au demandeur de prouver que les conclusions et les cotisations du Ministre sont erronées. Voir l'arrêt Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486. La demanderesse ne s'est pas acquit- tée de cette obligation.
ORDONNANCE
Il est ordonné par les présentes que l'appel soit rejeté avec dépens.
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