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A-985-82
La Reine (appelante)
c.
The Consumers' Gas Company Ltd. (intimée)
Cour d'appel, juges Urie et Stone, juge suppléant Lalande—Toronto, 15 novembre; Ottawa, 15
décembre 1983.
Pratique Plaidoiries Disposition législative invoquée comme moyen de défense Objection préliminaire à l'appel fondée sur le motif que la plaidoirie n'a pas soulevé un point qui a été plaidé par l'appelante en première instance après la clôture de la preuve La défense ne soulève que la question de savoir si l'intimée peut inclure les revenus bruts (rembour- sements) dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital pour calculer la déduction pour amortissement L'argument en première instance soulève la question de savoir si les recettes étaient incluses à titre de revenus L'arrêt Kingsdale Securities Co. Limited c. Le ministre du Revenu national, [1974] 2 C.F. 760 (C.A.) a conclu que la Cour devait être parfaitement convaincue que toutes les preuves requises permettant au défendeur de réfuter le nouveau moyen du demandeur avaient été présentées L'intimée allègue qu'elle aurait cité des témoins différents et aurait contre-interrogé les témoins experts de l'appelante d'une manière différente si elle avait connu les points qui ont été soulevés dans l'argumenta- tion en première instance On n'a pas satisfait au critère de l'arrêt Kingsdale L'intimée a également présenté un nouvel argument pour la première fois en appel À l'instruction, l'appelante soutient que les remboursements devaient être amortis au cours de la durée d'amortissement des biens En appel, l'appelante s'est fondée sur l'art. 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour inclure les remboursements L'arrêt La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.) a jugé qu'une disposition législative précise invo- quée devait être plaidée de même que les faits qui indiquent pourquoi cette disposition est applicable La nature des remboursements ne pouvait valablement être examinée ni en première instance ni en appel parce qu'elle n'a pas été présen- tée comme elle aurait l'être Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 9(1), 12(1)a).
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déduction pour amortissement Appel est interjeté du jugement de première instance qui a accueilli les appels de l'intimée contre les nouvelles cotisations d'impôt établies pour les années 1971 à 1974 L'intimée reçoit des remboursements des coûts de réinstallation des pipelines à la demande de ses clients L'intimée ajoutait le coût brut des déplacements dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie et réclamait la déduction pour amortissement sur le montant brut L'intimée n'inclut pas les remboursements dans le calcul de son revenu Le juge de première instance a conclu que l'intimée avait le droit d'inclure le coût des déplacements dans la fraction non amortie du coût en capital des biens de la catégorie 2 et que les remboursements n'avaient pas été inclus dans le revenu mais dans le capital L'arrêt La Reine c. Canadien Pacifique Limitée, [1978] 2 C.F. 439 (C.A.) a conclu
que le coût réel pour un contribuable est égal au montant versé par celui-ci Le juge de première instance a commis une erreur en examinant la nature des remboursements parce qu'elle n'a pas été présentée comme elle aurait l'être à l'instruction Il est impossible de faire une distinction entre l'espèce et l'affaire Canadien Pacifique L'intimée avait le droit d'ajouter à la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la catégorie 2, le coût des déplacements, peu importe le montant des remboursements qu'elle a reçus Appel rejeté.
Appel est interjeté du jugement de première instance qui a accueilli les appels de l'intimée contre les cotisations d'impôt établies pour les années 1971 1974 inclusivement. Périodique- ment, l'intimée déplace des pipelines servant à distribuer le gaz, à la demande de ses clients qui remboursent intégralement ou en partie les coûts de réinstallation. Après l'arrêt La Reine c. Canadien Pacifique Limitée, [1978] 2 C.F. 439 (C.A.) qui a conclu que le coût réel pour un contribuable était égal au montant versé par celui-ci, l'intimée (1) a ajouté le coût brut des déplacements dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie et réclamé la déduction pour amortissement sur le montant brut et (2) n'a pas inclus les remboursements dans le calcul de son revenu. Les avis de nouvelles cotisations ont révisé le revenu de l'intimée en se fondant seulement sur ce que les dépenses engagées pour les déplacements ne pouvaient être ajoutées à la fraction non amortie du coût en capital pour les fins du calcul de la déduction pour amortissement. Appels ont été interjetés contre ces nouvelles cotisations. La défense allègue que «tant les montants payés que les remboursements qu'a reçus la demande- resse ... doivent être comptabilisés dans le compte de revenu». L'appelante soutient que cela signifie que le ministre du Revenu national considérait les remboursements comme des revenus à inclure dans le calcul du revenu imposable du contri- buable pour les années pendant lesquelles ils ont été faits. L'intimée a interprété la plaidoirie comme indiquant que le Ministre considérait les remboursements comme un revenu et qu'en conséquence les dépenses engagées pour le déplacement pouvaient être comptabilisées comme des dépenses déductibles. Toutefois, à cause de l'arrêt Canadien Pacifique, les dépenses devaient être ajoutées à la fraction non amortie du coût en capital. Les remboursements devaient donc être comptabilisés dans le compte de capital. Il a été allégué que la défense n'indiquait pas que le Ministre ajouterait les dépenses au coût en capital, mais que les remboursements devaient être compta- bilisés dans le compte de revenu. Le juge de première instance a conclu que l'intimée avait le droit d'inclure le coût brut des déplacements dans la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la catégorie 2 et de ne pas inclure les rembourse- ments dans le calcul de son revenu. L'appelante allègue que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les remboursements ne constituaient pas des revenus et que la question de savoir si les remboursements constituaient des revenus n'avait pas été décidée dans l'affaire Canadien Pacifi- que. Subsidiairement, l'appelante soutient que l'affaire Cana- dien Pacifique ne s'appliquait pas. L'intimée soutient que la Cour ne devrait pas prendre en considération le principal argument de l'appelante selon lequel l'intimée est obligée d'in- clure les remboursements dans le calcul de son revenu parce qu'il n'a pas été plaidé ni soutenu devant la Division de première instance et ne constituait pas le fondement des nouvel-
les cotisations. De plus, en appel l'appelante a modifié la position qu'elle avait adoptée en première instance selon laquelle les remboursements devraient être amortis sur la durée d'amortissement des biens. En appel, elle s'est fondée sur l'alinéa 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour inclure les remboursements dans le revenu de l'année pendant laquelle ils avaient été reçus. L'intimée soutient que les remboursements ne constituent pas des bénéfices provenant du »revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition» au sens du paragraphe 9(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Enfin, l'appelante soutient que la question qui se pose dans le présent appel est de savoir s'il faut tenir compte des remboursements dans le calcul du revenu de l'intimée aux fins d'impôt. L'intimée allègue que la question est de savoir si les remboursements peuvent à juste titre servir à réduire la fraction non amortie de son coût en capital des biens de la catégorie 2.
Arrêt: l'appel est rejeté. La lecture raisonnable de la défense ne permet pas de prévoir qu'au cas les principes de l'arrêt Canadien Pacifique seraient appliqués, la position de l'intimée serait de comptabiliser les recettes provenant des rembourse- ments dans le compte de revenu et les dépenses dans le compte de capital. Cela étant et compte tenu du fait que l'intimée s'est opposée en première instance à la présentation de cet argument qui n'avait pas été plaidé, le juge de première instance n'aurait pas permettre qu'il soit présenté et n'aurait pas se prononcer sur la nature des remboursements. Si le Ministre avait eu l'intention de soulever la question concernant le traite- ment des remboursements aux fins d'impôt, il aurait le faire en des termes clairs et indubitables afin de permettre à l'inti- mée de savoir à quels arguments elle devait répondre. Relative- ment à la question soulevée en appel, dans l'arrêt La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.), il a été jugé que lorsque l'on entend se fonder sur une disposition législative, celle-ci doit être plaidée ainsi que les faits expli- quant pourquoi cette disposition est applicable. Ce n'est pas ce qui ressort de la défense modifiée. La plaidoirie n'étaye pas suffisamment l'argument présenté pour la première fois après la clôture de la preuve. Dans l'arrêt Kingsdale Securities Co. Limited c. Le ministre du Revenu national, [1974] 2 C.F. 760 (C.A.), l'argument subsidiaire a été soulevé au cours du débat lors de l'instruction après la clôture de la preuve des deux parties. Il a été jugé que la Cour doit être parfaitement convaincue que toutes les preuves requises permettant au défen- deur de réfuter le nouveau moyen du demandeur ont été présentées. En l'espèce, l'avocat de l'intimée a déclaré que s'il avait compris, d'après les plaidoiries, que la défense soulevée à la fin de l'audience allait être présentée, il aurait cité des témoins experts en comptabilité pour appuyer la position de sa cliente et aurait contre-interrogé le témoin expert de l'appelante d'une manière différente. On n'a pas satisfait à l'exigence de l'arrêt Kingsdale. L'argumentation de l'appelante présentée en première instance et en appel en ce qui a trait à la nature des remboursements reçus n'aurait pas être examinée puisqu'elle n'avait pas été présentée comme elle aurait l'être à l'instruc- tion. Il est impossible de faire une distinction entre l'espèce et l'affaire Canadien Pacifique. L'intimée avait le droit d'ajouter à la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la catégorie 2, ses dépenses engagées pour déplacer ou pour modifier les pipelines à la demande de tiers, peu importe le montant des remboursements reçus de ceux-ci.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
La Reine c. Canadien Pacifique Limitée, [1978] 2 C.F. 439 (C.A.); Sa Majesté la Reine c. Littler père, [1978] CTC 235 (C.F. Appel); La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159; 61 D.L.R. (3d) 304 (C.A.); Kingsdale Securities Co. Limited c. Le ministre du Revenu national, [1974] 2 C.F. 760; [1975] CTC 10 (C.A.).
AVOCATS:
Gaston Jorré et B. Moon pour l'appelante. M. S. Bistrisky pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Aird & Berlis, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Appel est interjeté du jugement de la Division de première instance (maintenant publié à [1983] 1 C.F. 314) qui a accueilli les appels de l'intimée contre les cotisations d'impôt établies par le ministre du Revenu national pour les années d'imposition 1971, 1972, 1973 et 1974 de l'intimée.
Dans le cadre de son entreprise, l'intimée doit parfois, à la demande de ses clients, déplacer certaines parties de ses pipelines servant à distri- buer le gaz naturel. Ces clients remboursent inté- gralement ou en partie à l'intimée les coûts de réinstallation. Selon l'appelante, le présent appel porte sur la question de savoir si les rembourse- ments doivent ou non être inclus dans le revenu de l'intimée pour fins d'impôt sur le revenu. Par ailleurs, l'intimée déclare que la seule question qui se pose est de savoir si les remboursements visés peuvent ou non servir à réduire la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la catégorie 2. Plus loin dans les motifs on fera ressortir ce qui constitue la véritable question en litige.
I
Les faits pertinents
L'intimée est une société chargée d'un service public dont le siège social est à Toronto (Ontario).
Elle s'occupe de la distribution de gaz naturel à plus de 725 000 clients, pour usage résidentiel, commercial et industriel en Ontario, de même que de la production de gaz naturel, provenant princi- palement de puits dans le lac Érié, et de la vente et de la location d'appareils à gaz. Ses activités d'en- treprise, y compris ses prix, ses pratiques et ses méthodes comptables, sont soumises à l'approba- tion de la Commission de l'énergie de l'Ontario. Au cours des années en question, elle a tiré la majeure partie de ses revenus (environ 95 %) de son entreprise de distribution de gaz. Le gaz vient en grande partie d'une canalisation principale qui alimente une station de distribution située à l'exté- rieur de sa région d'exploitation. L'intimée distri- bue le gaz à partir de sa station de distribution par des conduites principales en acier qui générale- ment suivent sous terre le tracé des rues et des routes. Les clients individuels reçoivent le gaz par des tuyaux reliés aux conduites principales.
Diverses personnes et divers organismes, comme les ministères du gouvernement, les municipalités, les services publics, les compagnies de téléphone et d'autres compagnies privées, exigent à l'occasion le déplacement de certaines parties du réseau de pipelines pour entreprendre leurs propres travaux de construction. Habituellement ces déplacements sont demandés à cause de travaux de construction qui ne pourraient être réalisés autrement, mais ils peuvent également être effectués pour des raisons de sécurité. Les parties qui demandent ces déplace- ments peuvent être ou non des clients de l'intimée.
Chaque fois qu'elle le peut, l'intimée tente de recouvrer le coût total des déplacements de la partie qui les a demandés. Toutefois, le montant qu'elle peut recouvrer peut être limité par les dispositions de la Loi sur les travaux d'aménage- ment des voies publiques, R.S.O. 1970, chap. 388 ou de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2. Dans tous les cas, l'intimée calcule soigneusement tous les éléments du coût relatif aux déplacements et facture les parties pour la totalité de ces coûts ou pour une partie de ceux-ci, comme le permet la loi.
Lorsque les travaux de déplacement sont termi- nés, l'ancienne conduite est habituellement aban- donnée et laissée sous terre, bien que certaines pièces d'équipement de surface, notamment des
parties des postes régulateurs de tension, soient parfois récupérées. Dans ce cas, la valeur du maté riel récupéré est vraisemblablement créditée.
Le nombre annuel moyen de déplacements est d'environ 225 pour les années d'imposition en cause.
Avant la décision de la Cour dans l'affaire La Reine c. Canadien Pacifique Limitée', l'intimée traitait les remboursements reçus des parties pour lesquelles elle effectuait les déplacements de la même manière essentiellement que dans ses états financiers, c'est-à-dire qu'elle déduisait du coût brut du déplacement des conduites le montant des remboursements et ajoutait le montant net seule- ment à la fraction non amortie du coût en capital pour la catégorie (catégorie 2). Essentiellement, elle calculait la déduction pour amortissement sur le coût net seulement. Incidemment, aux fins d'établissement des prix, il s'agit de l'une des méthodes autorisées par la Commission de l'éner- gie de l'Ontario pour traiter les remboursements. Après l'affaire Canadien Pacifique, l'intimée a adopté la position selon laquelle, pour les fins d'imposition, (a) elle avait le droit d'ajouter le coût brut des déplacements dans le calcul de la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie et de réclamer la déduction pour amortissement sur le montant brut et (b) elle n'était pas obligée d'inclure les remboursements dans le calcul de son revenu pour les fins d'imposition.
II
Erreurs alléguées
L'objection principale de l'appelante au juge- ment dont appel est interjeté est que le savant juge de première instance a commis une erreur en concluant que l'intimée avait le droit d'inclure le coût brut des déplacements dans la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la catégorie 2 et qu'elle avait le droit de ne pas inclure les remboursements dans le calcul de son revenu en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63]. L'avocat de l'appe- lante allègue en particulier que le juge de première instance a commis une erreur, puisque la question de savoir si les remboursements constituaient des revenus avait été décidée dans l'affaire Canadien
' [1978] 2 C.F. 439 (C.A.).
Pacifique et qu'il a jugé que, en l'espèce, les remboursements ne constituaient pas des revenus. Subsidiairement, il dit en fait que l'affaire Cana- dien Pacifique ne s'applique pas aux faits en l'espèce.
III
Objections préliminaires
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat de l'intimée a soutenu que le principal argument avancé par l'appelante dans son exposé des faits et du droit ne devrait pas être pris en considération par la présente Cour, car il soumet un point qui n'a pas été plaidé ni soutenu devant la Division de première instance et qui ne constituait pas le fon- dement des nouvelles cotisations à l'encontre des- quelles l'intimée a intenté une action. L'argumen- tation principale à laquelle l'intimée fait allusion, telle qu'elle est exprimée dans l'exposé de l'appe- lante est la suivante:
[TRADUCTION] 38. Le sous-procureur général du Canada sou- tient que, si l'on présume que l'affaire Canadien Pacifique s'applique, Consumers', pour des fins d'imposition:
a) a le droit d'ajouter le coût brut des déplacements dans le calcul de la fraction non amortie de son coût en capital de la catégorie 2 et de prendre la déduction pour amor- tissement sur le coût total du déplacement
MAIS
b) elle est obligée d'inclure les remboursements dans le calcul de ses bénéfices et, par conséquent, dans son revenu, pour les fins d'imposition.
Afin d'évaluer cet argument, il faut se reporter d'abord à l'affaire Canadien Pacifique et analyser ensuite les plaidoiries à la lumière de la ratio decidendi de cette affaire et des allégations de l'intimée concernant ce qui a été plaidé ou non.
La décision de la présente Cour dans l'affaire Canadien Pacifique découle d'un appel d'un juge- ment de la Division de première instance et le sommaire établit d'une manière précise les faits relatifs à la partie du jugement qui traite de l'allocation à l'égard du coût en capital.
(2) L'allocation à l'égard du coût en capital: L'intimée, agissant à la requête de tierces parties, a effectué des dépenses de capital, ou des dépenses qui sont réputées l'être, après entente que la tierce partie paierait à l'intimée un montant ne dépassant pas les dépenses. L'intimée a calculé l'allocation à l'égard du coût en capital qui lui revenait pour ces biens, en ne tenant pas compte des montants reçus des tierces parties pour déterminer leur coût en capital. L'appelante fait valoir que du
coût en capital de ces biens doit être soustrait un montant égal aux sommes reçues des tierces parties. L'appelante a divisé les huit opérations à l'étude en deux catégories: (1) les cas l'intimée a effectué elle-même les dépenses pour son propre compte et (2) les cas l'intimée a effectué la dépense pour le compte d'une tierce partie qui l'a remboursée par la suite. Les cas relevant de la seconde catégorie ont été examinés séparément.
Relativement à la première catégorie de cas (qui sont semblables aux déplacements effectués par l'intimée parce que les dépenses ont été faites par l'intimée après entente que la tierce partie lui payerait un montant ne dépassant pas les dépen- ses) le juge Pratte au nom de la Cour a dit à la page 445 du Recueil:
L'appelante soutient que pour ces transactions «le coût en capital pour le contribuable, de biens susceptibles de déprécia- tion» au sens de l'article 20(5)e), correspond au coût net supporté par le contribuable et que la dépense visée à l'article 84w(3) se rapporte à ce que le contribuable «a réellement dépensé après déduction». Par conséquent, dans les cinq opéra- tions considérées, «le coût en capital pour» l'intimée, ou la dépense qu'elle a supportée correspond, selon l'appelante, au montant des débours engagés par l'intimée moins la contribu tion de la tierce partie.
A mon avis, le savant premier juge a eu raison de rejeter cette prétention qui me semble aller à l'encontre de la décision de la Chambre des Lords dans Birmingham Corp. c. Barnes ([1935] A.C. 292) suivant laquelle «le coût réel pour» un contribuable de biens susceptibles de dépréciation est égal au montant versé par le contribuable. Lord Atkin a déclaré dans cette affaire la page 298):
[TRADUCTION] Il me semble que ce qu'un homme paie pour la construction ou l'achat d'un ouvrage est ce qu'il lui coûte; et cela, qu'on lui ait donné les fonds nécessaires à la cons truction ou à l'achat ou qu'on l'ait assuré de lui remettre ceux-ci après qu'il aura réglé les travaux ou encore, qu'une fois le travail exécuté, on lui ait promis ou donné les fonds pour le dédommager de ses débours.
L'intimée, en se fondant sur ce raisonnement, a modifié sa manière de traiter les remboursements dans le calcul de sa fraction non amortie du coût en capital. Dans son argument principal, l'avocat de l'appelante soutient que, bien que le raisonne- ment dans l'affaire Canadien Pacifique puisse autoriser l'intimée à ajouter le coût brut des dépla- cements à la fraction non amortie du coût en capital de la catégorie 2 et à calculer la déduction pour amortissement sur l'ensemble du coût du déplacement, l'affaire n'a ni examiné ni tranché la question de savoir si ces sommes constituaient des revenus qui devaient être inclus dans le revenu de l'intimée pour les fins d'imposition.
Selon moi, le savant juge de première instance a décidé à juste titre qu'il était lié par le principe énoncé dans l'affaire Canadien Pacifique en ce qui concernait l'addition des remboursements à la fraction non amortie du coût en capital. Toutefois, il est allé plus loin et, après avoir passé en revue beaucoup de jurisprudence, il a conclu que les contributions dans l'affaire Canadien Pacifique n'avaient pas été incluses dans le revenu mais dans le capital 2 et, par conséquent, a déclaré':
Je conclus que la demanderesse en l'espèce était fondée à considérer que les contributions reçues pour le déplacement de ses pipelines, déplacement fait non pas dans son intérêt, mais dans l'intérêt des auteurs des contributions, peuvent être por- tées au compte de capital d'apport sans passer par le revenu.
L'avocat de l'intimée a soutenu que l'argument de l'appelante concernant la manière de comptabi- liser les remboursements (ci-dessus) aux fins de l'impôt, ne devrait pas être examiné pour deux raisons:
(1) parce que l'appelante n'a ni plaidé ni évoqué ce point en première instance et, par conséquent, ne peut en débattre devant la présente Cour, et
(2) de toute façon, même si l'arrêt Canadien Pacifique de la présente Cour n'a pas traité de la question de savoir si les remboursements devaient ou non être inclus dans le revenu ou faire partie de l'avoir des actionnaires, les rem- boursements ne constituent pas, d'après les faits en l'espèce, des bénéfices provenant du «revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition ...» au sens du paragraphe 9(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu'', comme le soutient l'avocat de l'appe- lante. Si l'argument de l'intimée relatif au point (1) est accueilli, il ne sera évidemment pas nécessaire de traiter du deuxième argument, toutefois il faut arriver à la même conclusion si le savant juge de première instance a eu raison de conclure que l'arrêt Canadien Pacifique a décidé que ces remboursements faisaient partie
2 Dossier d'appel, p. 458 (p. 20 des motifs du jugement) [maintenant publié à la p. 332 C.F.].
' Dossier d'appel, p. 462 (p. 25 des motifs du jugement) [maintenant publié à la p. 336 C.F.].
4 9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.
du capital et qu'on ne peut faire de distinction entre les faits en l'espèce et ceux de l'affaire Canadien Pacifique.
L'avocat de l'appelante s'est fondé sur les para- graphes 11, 12, 15 et 16 de la défense modifiée pour soutenir que les remboursements font partie du revenu de l'intimée pour les fins du calcul de son revenu imposable. Voici le texte de ces paragraphes:
[TRADUCTION] 11. Il dit que tant les montants payés que les remboursements qu'a reçus la demanderesse en vertu des enten tes avec des tiers et dans chaque cas découlant de la même entente doivent être comptabilisés dans le compte de revenu.
12. Il dit que, si les montants déboursés par la demanderesse en vertu de ces ententes avec des tiers étaient comptabilisés dans le compte de capital, ce qu'il désavoue,
a) ce qu'il en a coûté à la demanderesse pour le déplacement de chacun desdits pipelines construits en vertu d'une entente avec un tiers est la somme engagée par elle en vertu de l'entente moins le montant du remboursement reçu du tiers; ou bien
b) dans chaque cas, il s'agit de la vente d'un pipeline, dont le produit est égal au montant remboursé à la demanderesse en vertu de l'entente avec le tiers.
15. Il soutient en outre que, tant les montants payés que les remboursements qu'a reçus la demanderesse en vertu des enten tes avec des tiers et dans chaque cas découlant de la même entente, doivent être comptabilisés dans le compte de revenu et que, par conséquent, ces montants sont à juste titre déductibles et ces remboursements reçus sont à juste titre inclus dans le calcul du revenu de la demanderesse pour chaque année d'imposition.
16. Subsidiairement, si les montants déboursés par la demande- resse en vertu d'ententes avec des tiers sont comptabilisés dans le compte de capital, ce qu'il désavoue, il soutient que
a) ce qu'il en a coûté à la demanderesse pour le déplacement de chacun desdits pipelines construits en vertu d'une entente avec un tiers est la somme engagée par elle en vertu de l'entente moins le montant du remboursement reçu du tiers; ou bien
b) dans chaque cas, il s'agit de la vente d'un pipeline, dont le produit est égal au montant remboursé à la demanderesse en vertu de l'entente avec le tiers, de sorte que bien que la somme engagée par la demanderesse en vertu de l'entente puisse être à juste titre ajoutée à la fraction non amortie du coût en capital des pipelines, cette fraction non amortie du coût en capital est réduite du produit de la vente.
De plus, l'avocat dit que le paragraphe 5 de l'exposé conjoint partiel des faits appuie sa prétention:
[TRADUCTION] 5. Il est en outre convenu que si cette honorable Cour rend jugement entièrement en faveur de la demanderesse (c'est-à-dire que la demanderesse a le droit d'inclure les mon- tants visés au paragraphe 2a) dans ses coûts en capital de la
catégorie 2 et que ces montants n'entraînent pas d'autres effets de compensation sur le revenu imposable), alors (en comparai- son avec les nouvelles cotisations) (i) les montants indiqués au tableau 3 ci-dessous devraient être ajoutés à la fraction non amortie du coût en capital («FNACC») de la demanderesse à la fin de chaque année d'imposition (avant toute déduction pour amortissement) et (ii) le montant indiqué au tableau 3 devrait être ajouté à la déduction pour amortissement («DPA») de la demanderesse pour chaque année.
Comme on s'appuie surtout sur les paragraphes 11 et 15, il faut d'abord remarquer que dans les deux cas, il est indiqué que «tant les montants payés que les remboursements qu'a reçus la demanderesse ... doivent être comptabilisés dans le compte de revenu». (C'est moi qui souligne.) Selon l'argumentation de l'avocat de l'appelante, cela doit signifier, pour celui qui rédige une répli- que ou dans le cadre de la préparation de l'au- dience, que le ministre du Revenu national consi- dérait les remboursements comme des revenus à inclure dans le calcul du revenu imposable du contribuable pour les années pendant lesquelles ils ont été faits.
Par ailleurs, l'avocat de l'intimé dit que, selon lui, vu l'emploi de l'expression «tant ... que» («both») à l'égard des dépenses et des recettes à comptabiliser dans «le compte de revenu», ces phrases signifiaient que le Ministre considérait les remboursements comme un revenu de l'intimée et qu'en conséquence les dépenses engagées pour le déplacement pouvaient être comptabilisées comme des dépenses déductibles pour l'année en cause, ce qui serait financièrement avantageux pour l'inti- mée. Toutefois, à cause de l'arrêt Canadien Paci- fique, l'avocat de l'intimée savait pour les motifs donnés dans cette affaire que les dépenses devaient être ajoutées à la fraction non amortie du coût en capital des biens de la catégorie 2. Il en découle que les remboursements doivent, à son avis, égale- ment être comptabilisés dans le compte de capital. Il ajoute que le plaidoyer contenu dans la défense telle que rédigée n'indiquait pas que le Ministre soutiendrait maintenant que, si les dépenses pou- vaient être ajoutées au coût en capital, les rem- boursements seraient comptabilisés dans le compte de revenu. Il s'agissait, à son avis, de positions incompatibles.
J'accepte cet argument. Selon moi, la lecture raisonnable des paragraphes susmentionnés de la défense modifiée ne permet pas de prévoir qu'au
cas la Cour déciderait d'appliquer les principes de l'arrêt Canadien Pacifique (nonobstant la con- testation dans la défense de la pertinence de cet arrêt) la position de l'intimée serait de comptabili- ser les recettes provenant des remboursements dans le compte de revenu et les dépenses dans le compte de capital. Cela étant et compte tenu en outre du fait que l'avocat de l'intimée a fait savoir à la Cour qu'il s'était opposé fermement en pre- mière instance à la présentation de cet argument qui n'avait pas été plaidé, je suis d'avis que le juge de première instance n'aurait pas permettre qu'il soit présenté et n'aurait pas se prononcer sur le traitement comptable à accorder aux rem- boursements aux fins d'imposition, savoir leur comptabilisation dans le compte de capital d'apport.
Il semble que dans les avis de nouvelles cotisa- tions pour les années d'imposition en cause, dont l'intimée avait interjeté appel, l'appelante avait révisé le revenu de l'intimée pour chaque année en cause en se fondant notamment sur le fait que les dépenses engagées pour les déplacements ne pou- vaient être ajoutées à la fraction non amortie du coût en capital pour les fins du calcul de la déduc- tion pour amortissement. Ce fait vient appuyer mon interprétation de la manière dont la question aurait être tranchée. L'intimée a interjeté appel à la Division de première instance contre ces nou- velles cotisations en soutenant, pour les années d'imposition 1971, 1972 et 1973, qu'elle avait le droit, en vertu de l'arrêt Canadien Pacifique, de réclamer des déductions pour amortissement sur le montant supplémentaire comprenant les rembour- sements reçus pour les déplacements de pipelines au cours de ces années, ayant modifié ses déclara- tions après que cette décision eut été rendue. Dans le cas de l'année d'imposition 1974, elle a adopté la position selon laquelle les dépenses brutes engagées pour les déplacements, indépendamment des divers remboursements reçus au cours de cette année, ont été à juste titre incluses dans la fraction non amortie de son coût en capital des biens de la catégorie 2. Elle s'est appuyée sur la décision rendue dans l'affaire Canadien Pacifique. Comme cela a été plaidé, il me semble que si le Ministre avait eu l'intention de soulever la question concer- nant le traitement des remboursements aux fins d'impôt, supposer que l'intimée ait eu raison de se fonder sur l'arrêt Canadien Pacifique), il aurait
le faire en des termes clairs et indubitables afin de permettre à l'intimée de savoir à quels argu ments elle devait répondre et de présenter les éléments de preuve nécessaires à cette fin. Comme je l'ai dit précédemment, je suis d'avis que l'appe- lante ne l'a pas fait.
De plus, la situation est rendue encore plus difficile par le fait que l'appelante a modifié la position qu'elle avait adoptée en première instance pour prendre celle que son avocat a soutenue au cours du présent appel. Dans ses motifs, le savant juge de première instance a décrit de la manière suivante la thèse soutenue par l'appelante à l'au- dience 5 la page 3321:
La défenderesse prétend que la position de la demanderesse sur le plan fiscal n'est pas conforme à la réalité économique ou comptable, et soutient maintenant que, de préférence, la totalité du coût de déplacement devrait être incluse dans le compte de capital pour fins de déduction pour amortissement, et ne sug- gère pas que la contribution entière soit portée dans le revenu de l'année de sa réception, pourvu que cela se fasse de manière qu'elle soit amortie dans l'année en cours et les années ultérieu- res à un taux égal à la somme réclamée par la demanderesse comme déduction pour amortissement relativement aux coûts du déplacement. Le résultat final sera le même.
À l'audition de l'appel, l'avocat de l'appelante a admis qu'il ne pouvait pas, sur le fondement de la Loi, maintenir sa position selon laquelle les rem- boursements devraient être amortis au cours de la durée d'amortissement des biens et que, par consé- quent, il se fondait maintenant sur l'alinéa 12(1)a) 6 pour les inclure dans le revenu de l'année pendant laquelle ils avaient été reçus. Dans son argumentation, l'avocat de l'intimée soutient que cette modification constitue la présentation d'une nouvelle défense en appel, ce qui est une raison
Dossier d'appel vol. 1, p. 458 (p. 19 des motifs du jugement).
6 12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, les sommes appropriées suivantes:
a) toute somme reçue au cours de l'année par le contribuable dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise
(i) au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre raison, peut être considérée comme n'ayant pas été gagnée durant cette année ou une année antérieure, ou
(ii) qui, en vertu d'un arrangement ou d'une entente, est remboursable en totalité ou en partie lors du renvoi ou de la revente au contribuable d'articles dans lesquels ou au moyen desquels des marchandises ont été livrées à un client;
supplémentaire pour refuser de tenir compte de l'argument de l'appelante à l'égard de ce volet de l'affaire.
IV
La jurisprudence
Comme on peut le constater d'après ce qui précède, l'opposition de l'intimée comporte deux aspects. D'abord, elle soutient que les plaidoiries n'énonçaient pas la position adoptée par l'appe- lante dans son argumentation à l'audience, après la clôture de la preuve. Ensuite, que l'appelante a présenté un nouveau moyen pour la première fois en appel.
Indépendamment des règles de la Cour relatives aux plaidoiries et de la nécessité de plaider certai- nes défenses, il va sans dire que l'un des buts de la défense est d'énoncer tous les moyens de défense qui, s'ils n'étaient pas mentionnés, pourraient pren- dre la partie adverse par surprise. À plus forte raison lorsque, comme en l'espèce, on doit se fonder sur une disposition législative précise, cel- le-ci doit être plaidée ainsi que les faits expliquant pourquoi cette disposition est applicable. Le juge en chef Jackett dans l'affaire Sa Majesté la Reine c. Littler père' a expliqué le principe de la manière suivante:
À mon avis, lorsqu'une cause d'action est fondée sur une disposition statutaire, il faut évidemment établir les circons- tances rendant cette disposition applicable (de préférence avec des renvois directs à la disposition) pour permettre à la partie adverse de déterminer le parti à prendre à cet égard, d'orienter l'interrogatoire préalable en conséquence et de préparer le procès en tenant compte de cet élément. Dans le présent litige, la décision du Ministre relative à l'opposition renvoie à l'article 137, mais, en se conformant à l'article 99 dans la préparation de sa défense devant la Division de première instance, non seulement l'intimée n'a-t-elle pas cité cet article bien qu'elle en ait cité d'autres, mais elle n'a pas allégué des circonstances établissant «des opérations ... [qui] ... ont pour résultat qu'une personne confère un avantage ...» Si cette allégation avait été faite, la preuve aurait pu porter sur d'autres faits que ceux qui ont fait l'objet des débats à l'audience. A mon avis, ce n'est pas une simple question de «procédure» mais de justice élémentaire que de s'abstenir, en l'absence de circonstances très spéciales, de tirer de la preuve produite relativement à certaines questions des conclusions pour constater des faits dont il n'a pas été question au cours de l'audition.
7 [1978] CTC 235 (C.F. Appel), à la p. 240.
Dans l'affaire La Reine c. Transworld Shipping Ltd. 8 , un contrat en vue d'une charte-partie exi- geait l'autorisation du Conseil du Trésor mais celle-ci n'avait pas été obtenue. Ces faits n'avaient pas été plaidés et n'avaient pas fait l'objet en tant que tels, d'un interrogatoire préalable ou d'élé- ments de preuve à l'instruction. Le juge en chef Jackett au nom de la Cour a considéré qu'il incom- bait à l'appelante de plaider un tel moyen de défense, ainsi que les faits sur lesquels il était fondé, dans sa défense. Il a alors fait la remarque suivante:
À mon avis, la justice exige que tout moyen de défense, fondé sur les dispositions spéciales d'une loi, soit plaidé, particulière- ment s'il est fondé sur des faits précis, pour que la partie adverse puisse prendre connaissance de ces faits et se préparer à produire des preuves s'y rapportant.
Le principe s'applique, même si en l'espèce il n'y a pas d'exigence législative particulière, ce qui donne un moyen de défense à l'appelante. La nouvelle défense était fondée sur l'allégation que les remboursements en question devaient être con- sidérés comme relevant des dispositions de l'alinéa 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Ainsi, cette allégation aurait être plaidée de même que les faits qui indiquaient pourquoi cette disposition était applicable. Ce n'est pas ce que je peux constater dans la défense modifiée. Par con- séquent, je suis d'avis que la plaidoirie n'étaye pas suffisamment _ l'argument présenté pour la pre- mière fois après la clôture de la preuve et au cours de l'argument final, à la fin de l'instruction.
Pour ce qui est de l'argument qui a été présenté pour la première fois en appel, selon lequel les remboursements constituaient un revenu de l'inti- mée pour l'année d'imposition pendant laquelle ils avaient été reçus, la jurisprudence indique claire- ment dans quelles circonstances de nouveaux argu ments peuvent être accueillis en appel. Certains de ces arrêts ont été étudiés dans le jugement de la présente Cour Kingsdale Securities Co. Limited c. Le ministre du Revenu national 9 et, en particulier, dans le passage suivant tiré de mes motifs du jugement auxquels le juge Ryan a souscrit:
8 [1976] 1 C.F. 159, à la p. 170; 61 D.L.R. (3d) 304 (C.A.), à la p. 314.
9 [1974] 2 C.F. 760, aux pp. 772 et 773; [1975] CTC 10 (C.A.), aux pp. 18 et 19.
Deuxièmement, l'avis d'appel modifié, visant les nouvelles cotisations, fondait l'appel sur le contrat de commandite en vertu duquel chacun des commanditaires était l'une des fidu- cies, chacune étant décrite comme [TRADUCTION] «une fiducie créée par acte de fiducie, en date du 2 décembre 1963 par l'intermédiaire de ses fiduciaires actuels ...». On n'a pas plaidé, même subsidiairement, qu'il s'agissait de fiducies déclaratoires et non pas de fiducies constituées par les parents d'Oklahoma conformément aux actes de fiducie. Ce n'est qu'au cours des débats en première instance que l'appelante a adopté ce raison- nement. A mon avis, l'appelante ayant intenté l'action en se fondant sur la validité de certains documents, on ne devrait pas l'autoriser à demander soit au juge de première instance soit à cette cour d'examiner l'affaire sur une base totalement différente.
Dans l'arrêt The Owners of the Ship Tasmania c. Smith (1890) 15 A.C. 223 à la p. 225, lord Herschell, examinant un point que le demandeur avait soulevé pour la première fois devant la cour d'appel, eut à déclarer:
[TRADUCTION] Mes Seigneurs, je pense qu'on devrait exami ner d'une manière très minutieuse un point comme celui-ci, qui n'a pas été soulevé en première instance et est présenté pour la première fois en cour d'appel. Le déroulement d'un procès en première instance est commandé par les points qui y sont soulevés et les questions posées aux témoins s'y rapportent. Et il est évident qu'on ne se soucie pas d'élucider les faits qui ne concernent pas ces points. (C'est moi qui souligne.)
Il me paraît que, dans ces circonstances, une cour d'appel ne devrait statuer en faveur d'un appelant sur un motif qui est soulevé pour la première fois que si elle est indubitablement convaincue d'une part qu'on lui a soumis tous les faits relatifs à la nouvelle prétention, aussi complètement qu'on l'aurait fait si la controverse était survenue en première instance; et d'autre part que les témoins dont la conduite est mise en cause n'auraient pu offrir d'explication satisfaisante s'ils avaient eu l'occasion de s'expliquer quand ils étaient à la barre des témoins*. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'affaire Lamb c. Kincaid (1907) 38 R.C.S. 516 à la page 539, le juge Duff, alors juge puîné, s'est référé, en l'approuvant, à l'arrêt Tasmania (précité) et déclarait:
[TRADUCTION] Si on avait affirmé en première instance que les demandeurs devraient suivre la procédure que l'on sug- gère maintenant, on ne peut savoir comment ils auraient expliqué le fait qu'ils n'ont pas procédé de cette façon. Plusieurs explications me viennent à l'esprit, mais une telle spéculation est sans intérêt; et je ne pense pas que l'on puisse légitimement, à ce stade, inviter les demandeurs à justifier leurs attitudes révélées par les preuves figurant au dossier. Une cour d'appel, à mon avis, ne devrait pas donner suite à un tel point, soulevé pour la première fois en appel, à moins d'avoir la certitude que la question, eût-elle été soulevée en temps opportun, n'aurait pu être élucidée davantage.
Il y a beaucoup d'autres arrêts dans le même sens, mais contrairement aux affaires dans lesquelles le moyen nouveau a été soulevé pour la première fois en appel, en l'espèce il l'a été au cours des débats devant le savant juge de première instance. Cependant, à ce moment-là les deux parties avaient déjà ter-
* Les italiques sont de moi.
miné leur plaidoyer de sorte que le défendeur, à ce stade, ne pouvait plus produire de preuve pour réfuter l'argument; par conséquent, les mêmes principes devraient s'appliquer. Proba- blement le défendeur avait déjà produit des preuves pertinentes pour répliquer aux arguments invoqués contre lui. On ne devrait pas placer cette cour ni le juge de première instance dans la situation d'avoir à décider si toutes les preuves possibles ont été opposées à chacun des moyens soulevés par l'autre partie, à moins que cette cour ou le juge de première instance soit parfaitement convaincu que toutes les preuves requises permettant au défendeur de réfuter le nouveau moyen du demandeur ont été présentées. Je n'ai pas cette conviction et je ne pense donc pas que cette cour doive prendre en considération la prétention de l'appelante relative à la création probable de fiducies déclaratoires, ou que le savant juge de première ins tance aurait le faire.
Comme on peut le constater, les circonstances dans lesquelles le nouvel argument a été présenté dans cette affaire sont très semblables à ce qui s'est produit en l'espèce.
Par conséquent la question qui se pose est de savoir si des éléments de preuve supplémentaires auraient aidé l'intimée à réfuter le nouvel argu ment? En réponse aux questions de la Cour, l'avo- cat de l'intimée a déclaré que s'il avait compris, d'après les plaidoiries, que la défense soulevée par l'appelante à la fin de l'audience allait être présen- tée, il aurait cité des experts en comptabilité pour appuyer la manière dont sa cliente a traité les remboursements comme un capital d'apport et aurait également contre-interrogé l'expert de l'ap- pelante dans l'espoir d'obtenir de lui la confirma tion que le traitement du remboursement à titre de capital d'apport est une méthode aussi acceptable que de l'inclure dans le revenu de sa cliente. Pour paraphraser ce qui a été dit dans l'affaire Kings- dale, je ne suis pas parfaitement convaincu, compte tenu de ces déclarations, que toutes les preuves requises permettant à l'intimée de réfuter le nouveau moyen de l'appelante en première ins tance ou devant cette Cour, ont été présentées.
Pour tous ces motifs je suis donc d'avis que l'argumentation de l'appelante présentée en pre- mière instance et devant cette Cour en ce qui a trait à la nature des remboursements reçus à l'égard du déplacement des conduites n'aurait pas être examinée ni en première instance ni par la présente Cour puisqu'elle n'avait pas été présentée comme elle aurait l'être à l'instruction de l'affaire.
V
Le fond de l'appel
Je suis respectueusement d'avis qu'il est impossi ble de faire une distinction entre l'espèce et l'af- faire Canadien Pacifique. Il s'ensuit donc que l'intimée, comme l'a décidé le juge de première instance, avait le droit d'ajouter à la fraction non amortie du coût en capital de ses biens de la catégorie 2, ses dépenses engagées pour déplacer ou pour modifier les pipelines à la demande des tierces parties, peu importe le montant des rem- boursements qu'elle a reçus de celles-ci; la nature de ces remboursements n'était pas en cause.
Par conséquent l'appel devrait être rejeté avec dépens.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris à la manière dont M. le juge Urie a tranché le présent appel pour les motifs qu'il a prononcés.
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