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A-263-82 A-803-82
Roderick Ross Stevenson (requérant) v.
Commission canadienne des droits de la personne, Air Canada et Rollie E. Cook et Norman J. Foster en leur nom et au nom de tous les membres de l'Association canadienne des pilotes de lignes aériennes (intimés)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Heald et juge suppléant McQuaid—Toronto, 21 juin; Ottawa, 8 septembre 1983.
Déclaration des droits Égalité devant la loi Politique de la compagnie aérienne et du syndicat exigeant des pilotes qu'ils prennent leur retraite à l'âge de 60 ans L'art. 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne viole pas la garantie à l'égalité prévue à l'art. lb) de la Déclaration canadienne des droits en limitant la protection accordée contre la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi aux personnes qui n'ont pas atteint l'âge normal de la retraite Il incombe au requérant de démontrer que la loi discriminatoire contrevient au principe de l'égalité devant la Loi L'art. 14c) a été adopté afin de réaliser un objectif fédéral régulier La distinction établie à l'art. 14c) n'est ni arbitraire ni superflue Il est possible de contrevenir à la Déclaration même s'il n'y a pas de discrimination fondée sur un motif prévu à l'art. 1 La Déclaration n'accorde pas de garantie absolue contre la discrimination fondée sur l'âge La Cour ne peut statuer à l'encontre d'une loi du Parlement Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. lb) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 Federal Aviation Admi nistration Regulations, 14 CFR (U.S.) Convention sur l'aviation civile internationale (ouverte à la signature le 7 décembre 1944), RTC 1944/36, pp. 34 56; 15 RTNU 295; annexe 1 (adoptée le 14 avril 1948).
Droits de la personne Discrimination fondée sur l'âge Politique de la compagnie aérienne et du syndicat exigeant des pilotes qu'ils prennent leur retraite à 60 ans L'art. 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne contrevient pas à la garantie à l'égalité établie à l'art. lb) de la Déclara- tion canadienne des droits en limitant la protection accordée contre la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi aux personnes qui n'ont pas atteint l'âge normal de la retraite L'art. 14c) a été adopté afin de réaliser un objectif fédéral régulier La distinction établie à l'art. 14c) n'est ni arbitraire ni superflue L'exception prévue à l'art. 14c) s'applique- t-elle à l'art. 10 de la Loi et si oui, justifie-t-elle l'attitude du syndicat? Portée des art. 9 et 10 Le droit à la protection contre la discrimination fondée sur l'âge est accordée par la Loi et non par la Déclaration Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3, 7, 9, 10, 11, 12,
13, 14, 15, 16, 17 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice 111, art. lb) Federal Aviation Administra tion Regulations, 14 CFR (U.S.) Convention sur l'aviation civile internationale (ouverte à la signature le 7 décembre 1944), RTC 1944/36, pp. 34 56; 15 RTNU 295; annexe 1 (adoptée le 14 avril 1948).
Aéronautique Politique de la compagnie aérienne et du syndicat exigeant des pilotes qu'ils prennent leur retraite à l'âge de 60 ans Cette politique est acceptable car l'art. 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que le fait de mettre fin à l'emploi en appliquant «la règle de l'âge de la retraite en vigueur» ne constitue pas une pratique discri- minatoire L'art. 14c) ne contrevient pas à la garantie à l'égalité devant la loi établie à l'art. lb) de la Déclaration des droits La distinction établie à l'art. 14c) n'est ni arbitraire ni superflue Âge normal de la retraite dans le secteur de l'aviation Sécurité aérienne Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3, 7, 9, 10, 14 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice 111, art. lb) Federal Aviation Administration Regulations, 14 CFR (U.S.) Convention sur l'aviation civile internationale (ouverte à la signature le 7 décembre 1944), RTC 1944/36, pp.
34 56; 15 RTNU 295; annexe I (adoptée le 14 avril 1948).
Le requérant était employé à Air Canada comme pilote. 11 était également membre de l'Association canadienne des pilotes de lignes aériennes (ACPLA) qui est l'agent négociateur des pilotes de la compagnie. La ligne de conduite et l'usage en cours à Air Canada consistaient à forcer les pilotes à prendre leur retraite à l'âge de 60 ans. L'ACPLA a appuyé cette politique. De fait, cinq mois avant que le requérant n'atteigne l'âge de 60 ans, Air Canada et l'ACPLA ont inclus le régime de retraite de la compagnie dans leur convention collective, y compris, par voie de conséquence, la clause prévoyant la mise à la retraite forcée à 60 ans.
Au moment il a atteint l'âge de 60 ans, le requérant ne souffrait d'aucun problème de santé qui aurait pu diminuer sa capacité à exercer les fonctions de pilote. Malgré cela, Air Canada l'a mis en retraite forcée.
Neuf mois plus tôt, le requérant a déposé deux plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, l'une contre Air Canada, l'autre contre l'ACPLA, alléguant que la compagnie aérienne et l'ACPLA avaient pratiqué une discrimination fondée sur l'âge et avaient du même coup violé les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les deux plaintes ont été rejetées pour le motif que la politique d'Air Canada de mise à la retraite forcée à 60 ans relève de l'exception prévue à l'alinéa 14c) de la Loi, qui prévoit que le fait de mettre fin à un emploi en appliquant «la règle de l'âge de la retraite en vigueur» ne constitue pas un acte discriminatoire.
Le requérant a demandé à la Cour d'appel d'annuler les décisions de la Commission. Il a notamment soutenu que l'alinéa 14c) portait atteinte au droit à l'égalité devant la Loi qui lui est accordé par l'alinéa lb) de la Déclaration des droits.
Arrêt (le juge en chef Thurlow dissident en partie): les demandes doivent être rejetées.
Le juge Heald: La discrimination fondée sur l'âge n'est pas expressément prohibée par la Déclaration des droits. Toutefois, même si une loi fédérale n'établit pas de distinction illicite pour
un des motifs mentionnés expressément à l'article I de la Déclaration, elle viole néanmoins la Déclaration si elle élimine l'un des droits ou l'une des libertés fondamentales mentionnés dans cet article.
L'appelant a soutenu que le critère applicable lorsque l'on veut déterminer s'il y a eu déni d'égalité devant la loi est celui qu'a proposé le juge Mclntyre dans l'arrêt MacKay c. La Reine, savoir: l'inégalité créée par la loi contestée est-elle arbitraire, fantaisiste ou superflue, ou a-t-elle un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe général de l'application universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable? Ce critère diffère toutefois du critère formulé par le juge Ritchie au nom de la majorité dans l'arrêt MacKay. Selon le juge Ritchie, la partie qui vise à rendre une loi inopérante doit démontrer qu'en adoptant la Loi, le Parle- ment ne cherchait pas à atteindre un objectif fédéral régulier. En l'espèce, le requérant ne s'est pas acquitté de cette charge.
Même si l'on appliquait le critère formulé par le juge Mcln- tyre, on ne pourrait pas statuer que l'alinéa 14c) est contraire à la loi. Le requérant a soutenu que l'alinéa 14c) prive arbitraire- ment les employés qui ont atteint «l'âge de la retraite en vigueur» de la protection contre la discrimination fondée sur l'âge. Toutefois, comme l'a dit le juge Pratte dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Bliss, la distinction que crée la loi entre des personnes est pertinente, et par conséquent ne porte pas atteinte au droit à l'égalité devant la loi, «s'il existe un lien logique entre son fondement et les conséquences qui en découlent». Ce lien logique existe bel et bien dans le cas de la distinction établie à l'alinéa 14c). 60 ans est l'âge normal de la retraite pour les pilotes de lignes dans la plupart des compa- gnies aériennes canadiennes ainsi que dans d'autres milieux. D'après l'ACPLA, la mise à la retraite à 60 ans est compatible avec les connaissances médicales actuelles. Cette politique ne tient pas compte des différences qui peuvent exister entre divers individus quant à leurs capacités à l'âge de la retraite, mais la seule autre politique envisageable serait d'autoriser les pilotes à continuer de voler jusqu'à ce qu'ils aient fait la preuve de leur incompétence, ce qui irait à l'encontre de la sécurité aérienne et, par conséquent, de l'intérêt public.
Quant à la plainte dirigée contre l'ACPLA, le requérant a soutenu que lorsque l'acte discriminatoire allégué est défini à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'alinéa 14c) ne doit pas être considéré comme prévoyant une exception à la catégorie des «actes discriminatoires». Il a sou- tenu que si l'article 7 de la Loi et l'alinéa 14c) ont des objets identiques, on ne peut établir le même lien entre l'article 10 et l'alinéa 14c). Ce n'est toutefois pas exact. L'alinéa 10b) traite «des ententes, touchant ... tout autre aspect d'un emploi», et la cessation de l'emploi dont parle l'alinéa I4c) touche clairement un aspect de l'emploi.
On a en outre soutenu qu'en acquiesçant à la politique de mise à la retraite d'Air Canada, l'ACPLA a adopté une politique ou un usage qui privait ou était susceptible de priver le requérant d'un emploi comme pilote, et a donc violé les disposi tions de l'alinéa 10a). Cet argument est lui aussi inacceptable. Dès que le fait de la cessation de l'emploi d'une personne a été établi parce qu'elle a atteint l'âge normal de la retraite, l'alinéa 14c) entre en jeu. Celui-ci prévoit donc une exception à l'article
7 ainsi qu'à toutes les dispositions de l'article 10, et exonère l'employeur et le syndicat de tout blâme pour une violation de cet article 10. Le Parlement ne peut avoir voulu qu'un syndicat soit considéré comme ayant agi de façon irrégulière alors qu'un employeur ayant agi de la même façon ne serait pas blâmé.
Le juge suppléant McQuaid: L'article 9 de la Loi n'a aucune application en l'espèce. Cet article se limite aux relations internes qui existent entre le syndicat et ses membres, et aux politiques ou règlements internes du syndicat.
L'article 10 est lui aussi sans pertinence. Il ne traite pas d'une situation de mise en retraite mais concerne plutôt les procédures initiales d'embauche ainsi que les questions résul- tant de l'embauche. L'expression «tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel», à l'alinéa 10b), se rapporte directement aux mots la précédant immédiatement.
L'article 7 ne confère pas à un citoyen une protection absolue contre tout acte discriminatoire. Certains autres articles de la Loi commencent par déclarer en termes absolus qu'une certaine conduite constitue une pratique discriminatoire, mais qualifient par la suite cette conduite en prévoyant certaines exceptions. De même, l'article 7 énonce un principe, et l'alinéa 14c) définit alors les limites qui circonscrivent la portée de l'article 7. Le caractère absolu des termes de l'article 7, de même que celui des termes employés au début d'autres dispositions, ne permet- tent pas de conclure que les dispositions prévoyant des excep tions sont inopérantes.
Même si l'on peut interpréter l'alinéa 14c) comme créant deux groupes distincts, cela ne le rendrait pas nécessairement inopérant. Une loi établissant une telle distinction sera réputée contraire à la loi si la personne qui en conteste la validité réussit à démontrer qu'en l'adoptant, le Parlement ne poursuivait pas un objectif fédéral régulier. À ce sujet, l'arrêt MacKay suggère de se poser trois questions lorsqu'il s'agit d'une loi discrimina- toire. La distinction qu'établit la loi est-elle raisonnable et pertinente? A-t-elle un fondement rationnel ou est-elle fantai- siste et arbitraire? La dérogation au principe de l'application universelle de la loi est-elle raisonnablement nécessaire pour satisfaire aux conditions particulières dictées par l'objectif social nécessaire et souhaitable recherché? Si on répond par l'affirmative à chacune de ces trois questions, c'est qu'un objectif fédéral régulier est en jeu et que toute distinction établie par la loi n'est pas incompatible avec la Déclaration des droits.
L'alinéa 14c) crée indubitablement deux groupes distincts: pourtant, la distinction créée par l'établissement de l'âge normal de la retraite, dans la mesure elle s'applique au requérant, est raisonnable, pertinente et nécessaire pour attein- dre un objectif social souhaitable. Elle vise à assurer aux travailleurs les plus âgés une retraite digne et ordonnée, com- portant de plus un certain degré de sécurité financière, tout en permettant à ceux qui n'ont pas encore atteint l'âge de la retraite de progresser dans leur secteur professionnel et de contribuer au mieux-être de la société.
Le juge en chef Thurlow (dissident en partie): Le fait que l'âge ne soit pas l'un des motifs de discrimination énumérés à l'article 1 de la Déclaration des droits n'exclut pas l'application de cet article en l'espèce; toutefois, la Déclaration en elle-même n'accorde pas de protection légale contre la discrimination fondée sur l'âge en ce qui concerne l'emploi. Ce droit n'a pris naissance qu'au moment a été promulguée la Loi canadienne
sur les droits de la personne. Avant cette Loi, rien dans la Déclaration n'aurait pu empêcher Air Canada de fixer l'âge de la retraite de ses pilotes. La question est de savoir si les dispositions de la Loi qui portent sur la discrimination fondée sur l'âge créent une situation d'inégalité devant la loi et contre- viennent de ce fait à la Déclaration.
Si elle accorde une protection contre toute discrimination fondée sur l'âge, la loi ne confère, ab initio, qu'un droit restreint. Elle confère ce droit uniquement aux personnes qui ne sont pas visées par les exceptions énoncées à l'article 14; quant aux personnes visées par les exceptions, elles ne jouissent d'aucune protection. L'alinéa 14c) fait partie de la définition de la catégorie de personnes au profit desquelles les interdictions contre la discrimination ont été adoptées.
D'après le jugement rendu à la majorité dans l'arrêt MacKay, lorsqu'on allègue que le droit à l'égalité devant la loi a été nié, il s'agit avant tout de savoir si la loi en cause cherchait à accomplir un objectif fédéral régulier suivant le sens que certains jugements de la Cour suprême ont donné à cette expression. Aucune de ces décisions ne laisse entendre qu'il faille répondre à cette question en tenant compte du caractère arbitraire ou nécessaire d'une loi adoptée en vue d'atteindre un objectif fédéral régulier, bien que ces facteurs puissent avoir quelque incidence.
Mais, que l'on adopte le raisonnement du juge R itchie ou celui du juge McIntyre (aussi dans l'affaire MacKay), la prétention du requérant selon laquelle on a enfreint l'alinéa 1 b) est sans fondement. Indépendamment des critères applicables, le respect qu'un tribunal doit au jugement du Parlement l'oblige à ne pas surimposer son propre jugement à celui du Parlement, niant par le fait même la législation adoptée par ce dernier, à moins qu'il ait devant lui beaucoup plus que le simple argument selon lequel la distinction qui créerait une inégalité est arbitraire ou superflue. En l'espèce, on n'a pas démontré qu'en restreignant la protection accordée contre la discrimina tion fondée sur l'âge en matière d'emploi aux personnes n'ayant pas atteint l'âge normal de la retraite, le Parlement ne poursui- vait pas un objectif fédéral régulier; il n'a pas été démontré non plus que le fondement de la distinction établie par la Loi était arbitraire ou superflue. La Loi n'est pas arbitraire parce qu'elle n'oblige pas un employeur à garder des employés ayant atteint l'âge normal de la retraite ou parce qu'elle déclare ne conférer un droit à des personnes que jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de la retraite mais pas après. Il ne faut pas non plus considérer qu'une disposition comme l'alinéa 14c) est superflue parce que sans elle, un employeur serait obligé de garder un employé jusqu'à ce qu'il puisse démontrer son incompétence, ce qui créerait une situation dangereuse. De plus, lorsque le Parlement crée un nouveau droit afin de réaliser un objectif fédéral régulier, la définition par le Parlement des catégories de per- sonnes à qui ce droit est conféré est essentielle à la poursuite de cet objectif.
Dans son argumentation contre I'ACPLA, le requérant a allégué que le syndicat avait conclu l'accord concernant le régime de pension en contravention à l'article 10. Cette entente a toutefois été conclue après le dépôt de la plainte et par conséquent ne peut être prise en considération pour décider du sort de la présente demande. On a par ailleurs soutenu que l'ACPLA, en contravention à l'article 10, n'a pas agi de
manière à modifier la ligne de conduite et l'usage en cours à Air Canada et a donc limité les chances d'emploi des membres les plus âgés de l'ACPLA.
L'alinéa 14c) ne peut être considéré comme se rapportant de quelque manière à la conduite de l'ACPLA dont faisait men tion la plainte ni à un acte discriminatoire interdit par l'article 10. Le fait que l'interprétation de la Commission a été raison- nable ne justifie pas le maintien de sa décision et la non-inter vention de la Cour; bien que le principe invoqué pour justifier cette interprétation s'applique à l'interprétation de conventions collectives, il ne s'applique pas à l'interprétation des lois. En conséquence, la décision de la Commission concernant l'ACPLA doit être annulée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603; MacKay c. La Reine, [ 1980] 2 R.C.S. 370; 114 D.L.R. (3d) 393; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; 44 D.L.R. (3d) 584; Le procureur général du Canada c. Bliss, [1978] 1 C.F. 208; 77 D.L.R. (3d) 609 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Prata c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration, [1976] 1 R.C.S. 376; 52 D.L.R. (3d) 383; Bliss c. Le procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183; 92 D.L.R. (3d) 417; McLeod et autre c. Egan et autre, [1975] 1 R.C.S. 517; Le procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; 38 D.L.R. (3d) 481; Ridge v. Baldwin and Others, [1964] A.C. 40 (H.L.).
AVOCATS:
I. G. Scott, c.r. et R. Wells pour le requérant. A. Whiteley pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
R. P. Saul pour l'intimée, Air Canada.
A. E. Golden, c.r. pour les intimés, Rollie E. Cook et Norman J. Foster.
PROCUREURS:
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour le requérant.
Commission canadienne des droits de la per- sonne, Division juridique, Ottawa, pour l'inti- mée, la Commission canadienne des droits de la personne.
Air Canada Law Branch, Montréal, pour l'in- timée, Air Canada.
Golden, Levinson, Toronto, pour les intimés, Rollie E. Cook et Norman J. Foster.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus dans la cause A-263-82 par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: II s'agit d'une demande d'examen et d'annulation d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne rendue le 23 mars 1982 et rejetant la plainte du requérant qui soutenait que la ligne de conduite et l'usage en cours chez son employeur, Air Canada, consistant à forcer les pilotes à pren- dre leur retraite dès qu'ils atteignent l'âge de 60 ans, enfreint les articles 7 et 10 de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33]. La Cour a entendu en même temps une autre demande, sous le numéro de greffe A-803-82, en vue d'obtenir l'examen et l'annula- tion d'une décision de la même Commission, publiée le 20 mai 1982, rejetant une autre plainte du requérant selon laquelle son syndicat, l'Associa- tion canadienne des pilotes de lignes 4 aériennes, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour modi fier la ligne de conduite et l'usage en cours à Air Canada consistant à obliger les pilotes à prendre leur retraite à 60 ans et avait donc limité les chances d'emploi ou d'avancement de ces pilotes, en contravention des articles 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les deux plaintes étaient datées du 24 novembre 1980.
Pour obtenir le redressement recherché dans ces deux demandes, le requérant soutient que la Com mission canadienne des droits de la personne a commis une erreur de droit en appliquant les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne d'une manière qui supprime ou enfreint le droit du requérant à l'égalité devant la loi au sens de l'alinéa lb)' de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III]. Puisque l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] n'était pas encore en vigueur, l'avocat du requé- rant n'a pas soutenu dans son argumentation que la Commission avait fait une erreur en ne l'appli- quant pas. Les présents motifs s'appliquent aux deux demandes.
1 1. II est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
Les faits sont simples. Il n'est pas contesté qu'Air Canada applique la ligne de conduite men- tionnée dans les plaintes et que, conformément à celle-ci, le l er septembre 1981, c'est-à-dire neuf mois environ après le dépôt des plaintes, le requé- rant a été mis à la retraite par Air Canada, parce qu'il avait atteint l'âge de 60 ans, après 37 ans de service comme pilote de cette compagnie, bien qu'il fût en bonne santé et pleinement qualifié pour remplir les fonctions de pilote. Son syndicat, l'ACPLA, soutient la politique d'Air Canada qui prévoit la mise à la retraite des pilotes à l'âge de 60 ans et n'a rien fait pour l'amener à changer de politique; cinq mois environ avant la date de mise à la retraite forcée du requérant, le syndicat a en fait conclu un accord avec Air Canada pour inclure ce régime de retraite dans la convention collective. La Commission a estimé que 60 ans était l'âge normal de la retraite des pilotes de lignes aériennes et cette conclusion n'est pas con- testée, si je comprends bien l'argumentation des parties. De toute façon, il s'agissait d'une question de fait soumise à la Commission. Les débats con- cernant la décision sur la plainte dirigée contre Air Canada ont porté exclusivement sur l'article 7 et aucun argument n'était fondé sur l'article 10.
Le requérant s'attaque à la situation d'inégalité devant la loi qu'il estime résulter du fait que les personnes atteignant l'âge normal de la retraite sont obligées de prendre leur retraite en raison de leur âge seulement et sont donc victimes d'un traitement plus sévère que des personnes occupant des postes semblables mais n'ayant pas atteint cet âge.
On peut souligner ici que, bien que l'âge ne soit pas mentionné comme l'un des motifs de discrimi nation énumérés à l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits, cet état de fait n'exclut pas automatiquement l'application de cet article (voir Curr c. La Reine 2 ). Toutefois le requérant, ni en 1960, date de promulgation de la Déclaration, ni avant, ni jusqu'à l'entrée en vigueur des disposi tions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1978, n'avait de protec tion légale contre la discrimination fondée sur l'âge en ce qui concerne son emploi à Air Canada.
2 [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603, le juge Laskin [tel était alors son titre], à la p. 896 R.C.S., p. 611 D.L.R.
Il n'avait rien d'équivalent à un statut d'inamovibi- lité, à vie ou pour une durée déterminée, et rien dans la Déclaration canadienne des droits n'aurait pu empêcher Air Canada de fixer l'âge de la retraite de ses pilotes ni de mettre à la retraite d'office le requérant dès qu'il aurait atteint cet âge. C'est en fait ce qui est apparemment arrivé, le seul élément additionnel étant que la Commission a conclu que l'âge de 60 ans, âge de la retraite fixé par Air Canada, est l'âge normal de la retraite pour des pilotes de lignes aériennes au sens de l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La question en litige est donc de savoir si cette Loi, dans ses dispositions prohibant toute distinction fondée sur l'âge, crée une situa tion d'inégalité devant la loi qui est en conflit, et donc incompatible, avec l'alinéa l b) de la Décla- ration canadienne des droits.
La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit notamment:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
b) le fait de refuser ou de cesser d'employer un individu
(i) qui n'a pas atteint l'âge minimal, ou
(ii) qui a atteint l'âge maximal
prévu pour l'emploi en question par la loi ou par les règle- ments que peut établir le gouverneur en conseil pour l'appli- cation du présent alinéa;
c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l'âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné;
d) le fait que les conditions et modalités d'une caisse ou d'un régime de retraite constitués par l'employeur prévoient la dévolution ou le blocage obligatoires des cotisations à des âges déterminés ou déterminables conformément à l'article 10 de la Loi sur les normes des prestations de pension; ni
e) le fait qu'un individu soit, ailleurs qu'en matière d'emploi, l'objet de distinctions fondées sur l'âge et reconnues comme raisonnables par ordonnance de la Commission des droits de la personne en vertu du paragraphe 22(2).
Il me semble que si cette Loi prévoit pour la première fois la protection contre toute discrimina tion fondée sur l'âge en matière d'emploi, elle confère ce droit uniquement aux personnes qui ne font pas partie des exceptions énumérées à l'article 14. Elle ne confère pas ce droit aux personnes visées par les exceptions. En outre, pour ce qui concerne les personnes visées par le paragraphe 14c), la Loi confère ce droit uniquement aux employés n'ayant pas atteint l'âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné. À mon avis, la Loi, même si elle était contraire aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits, ne pourrait être interprétée comme confé- rant ce droit aux personnes visées par les excep tions, car cela reviendrait à conclure qu'une dispo sition de la Loi est inopérante et, en outre, reviendrait à modifier la Loi et à augmenter la portée des dispositions adoptées par le Parlement. A mon sens, conclure que l'alinéa 14c), qui en substance fait partie de la définition des personnes au profit desquelles les nouvelles interdictions ont été promulguées, contrevient à l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits aurait pour effet de rendre inopérantes les dispositions confé- rant ce droit plutôt que d'étendre le nouveau droit à des personnes auxquelles il n'aurait pas été conféré.
La thèse du requérant consiste à dire: que l'ali- néa 14c) a pour effet d'établir une distinction entre deux catégories d'employés fédéraux, donnant aux plus jeunes employés le bénéfice des droits en matière de discrimination fondée sur l'âge tout en en privant les personnes qui ont atteint «l'âge de la retraite en vigueur»; que le critère à appliquer aux
affaires relatives à l'égalité devant la loi a été défini par le juge McIntyre, dans l'arrêt MacKay c. La Reine 3 , et qu'il dépend de la question de savoir si l'inégalité de traitement est arbitraire, fantaisiste ou superflue ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation au principe général de l'application universelle de la loi, pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaita- ble; que si l'alinéa 14c) est interprété de manière à priver du bénéfice des droits garantis en matière de discrimination fondée sur l'âge ceux qui ont dépassé l'âge normal de la retraite, même lorsque cet âge ne peut pas être lié de façon rationnelle à la capacité de ces personnes de travailler avec sûreté et efficacité, l'inégalité créée par l'alinéa 14c) est arbitraire, fantaisiste et superflue et, en conséquence, que la disposition est inopérante compte tenu de l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits; que la Commission a commis une erreur dans l'interprétation et l'appli- cation de l'alinéa 14c) car elle n'a pas su l'interpré- ter comme autorisant la mise à la retraite obliga- toire à un âge donné dans les seuls cas l'âge choisi est en rapport avec la capacité de travailler. Selon cette interprétation, toujours selon l'argu- mentation du requérant, l'alinéa 14c) n'établirait pas de distinction arbitraire entre des catégories ou des groupes, mais se bornerait à viser un objectif social souhaitable et constituerait une dérogation rationnellement justifiée au principe général de l'application universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières.
Je ne suis pas d'accord avec la thèse du requérant.
Tout d'abord le critère appliqué par le juge Ritchie, qui a rédigé les motifs majoritaires de la Cour dans l'arrêt MacKay, consistait uniquement à déterminer s'il avait été démontré qu'en adoptant la loi attaquée, le Parlement ne cherchait pas à accomplir un objectif fédéral régulier au sens de cette expression dans les arrêts Curr 4 , Pratas, Burnshine 6 et Bliss 7 . À mon avis, aucun de ces
3 [1980] 2 R.C.S. 370; 114 D.L.R. (3d) 393. ° [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603.
5 Prata c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1976] 1 R.C.S. 376; 52 D.L.R. (3d) 383.
6 R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; 44 D.L.R. (3d) 584. Bliss c. Le procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183; 92 D.L.R. (3d) 417.
arrêts n'impose un critère fondé sur le caractère arbitraire ou fantaisiste ou le caractère nécessaire d'une dérogation visant à atteindre un objectif social souhaitable, pour déterminer si la loi adop- tée afin d'accomplir un objectif fédéral régulier est constitutionnelle, quoique ces considérations puis- sent avoir une incidence, bien sûr, sur la résolution du problème. Indépendamment des critères appli- cables, j'estime que le respect que l'on doit au jugement du Parlement qui adopte la législation signifie qu'avant de surimposer son propre juge- ment ou de le substituer à ce que le Parlement a voté, pour en annuler les effets, un tribunal devrait avoir devant lui plus que le simple argument selon lequel la distinction attaquée, en raison de l'inéga- lité qu'elle crée, est arbitraire, fantaisiste ou super- flue ou encore qu'elle n'a pas de fondement ration- nel. Voici ce que disait le juge Laskin (tel était alors son titre) dans l'arrêt Curre:
A supposer que grâce à la disposition «ne s'en voir privé que par l'application régulière de la lois, il est possible de contrôler le fond de la législation fédérale—question qui n'a pas directe- ment été soulevée dans l'affaire Regina c. Drybones—il fau- drait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi (par opposition à une compétence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Ces raisons doivent se rapporter à des normes objectives et faciles à appliquer, qui doivent guider les tribunaux, si on veut que l'application régulière dont il est question à l'alinéa (a) de l'art. 1, permette d'annuler une loi fédérale par ailleurs valide.
et plus loin:
Le Parlement a traité d'une façon précise de certains genres de discrimination; il a employé des termes courants, quoique géné- raux, pour définir les garanties légales de liberté de religion, de parole, de réunion, d'association et de la presse; il a été encore plus précis dans l'énumération qu'il a faite à l'article 2, bien que même cet article soulève des difficultés d'interprétation. C'est avec une extrême prudence que j'aborde les termes très généraux de l'alinéa (a) de l'art. 1, même s'ils sont tempérés par l'expression «ne s'en voir privé que par l'application régu- lière de la loi», dont le sens premier anglais a été éclipsé par les exigences constitutionnelles américaines, lorsqu'on me demande de les appliquer pour annuler des dispositions législatives de fond validement adoptées par un Parlement dans lequel des représentants élus par le peuple jouent un rôle primordial. En l'espèce, pour décider que l'art. 223 enfreint le droit de l'appe- lant de ne se voir privé de la sécurité de sa personne que par l'application régulière de la loi, il faut certainement qu'il y ait
B [1972] R.C.S 889; 26 D.L.R. (3d) 603, aux pp. 899-900 et 902-903 R.C.S., pp. 613-614 et 615-616 D.L.R.
plus qu'une substitution d'un jugement personnel au jugement du Parlement. Rien au dossier, que ce soit une preuve ou une matière extrinsèque recevable, ne peut étayer pareille décision. De plus, je suis d'avis que les tribunaux peuvent reconnaître judiciairement que le Parlement a agi dans un domaine d'une grande importance sociale, soit le coût, en vie[s] humaines et en argent, des accidents de la route dus à la conduite d'un véhicule par une personne en état d'ébriété, lorsqu'il a adopté l'art. 223 et les dispositions connexes du Code criminel. Cette Cour sait que même lorsqu'on lui demande de statuer sur la constitution- nalité d'une loi, elle doit se garder de faire de la sagesse de la loi contestée le critère de sa constitutionnalité. A fortiori, il en est ainsi lorsqu'elle évalue une loi en partant d'une norme statutaire, pareille évaluation pouvant rendre inopérantes des mesures législatives fédérales.
Il y a lieu de se rappeler que l'alinéa 14c) ne s'applique pas seulement au cas du requérant ou à celui des pilotes de lignes aériennes. C'est une disposition d'application générale définissant une des limites apportées à la nouvelle interdiction de toute discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi. Rien dans le dossier qui nous a été soumis ne démontre, à mon avis, ni ne donne des raisons convaincantes de penser qu'en restreignant l'application de l'interdiction à des personnes autres que celles qui ont atteint «l'âge de la retraite en vigueur» dans le secteur professionnel concerné et donc en n'étendant pas cette protection à ceux qui ont atteint cet âge, le Parlement ne poursuivait pas un objectif fédéral régulier. Il n'a pas été démontré non plus que le fondement de cette distinction était irrationnel, en tant que mesure arbitraire, fantaisiste ou même superflue. Avant l'adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un employeur avait le droit de choisir le groupe d'âge dans lequel il sélectionnerait les per- sonnes devant occuper des emplois particuliers. La Loi a largement abrogé ce droit, mais elle n'est pas allée jusqu'à obliger l'employeur à garder des employés ayant atteint l'âge normal de la retraite. Je ne vois en cela rien d'arbitraire ni de fantaisiste. Je n'estime pas non plus qu'il soit arbitraire ou fantaisiste de conférer un nouveau droit à des personnes jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné, mais pas après. La détermination de l'âge de la retraite en vigueur peut présenter des problèmes mais n'est pas la question. On peut souligner également que l'interdiction est d'appli- cation générale et confère à tous les employés les mêmes droits jusqu'à l'âge de la retraite.
De plus, je ne peux conclure qu'une telle disposi tion ne soit pas nécessaire. Sans elle, un employeur serait obligé de garder un employé au-delà de l'âge auquel il reste compétent et jusqu'à ce qu'il puisse démontrer son incompétence. Une telle situation serait souvent dangereuse à la fois pour l'employé et pour d'autres ainsi que pour les biens de l'em- ployeur. Ceci constitue donc, à mon avis, un fonde- ment rationnel pour ce qui est du choix de l'âge normal de la retraite comme limite à l'interdiction faite par la loi, limite que j'estime nécessaire à l'accomplissement de l'objectif social souhaitable visé par l'interdiction de la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi.
De plus, lorsque le Parlement a, en vertu de la Constitution, la compétence législative sur une question et sur l'objectif fédéral régulier qu'il poursuit, il lui appartient à mon avis, lorsqu'il crée un nouveau droit qui jusqu'alors n'était pas garanti par la loi, d'en définir les limites et les catégories de personnes auxquelles il est conféré, et j'estime qu'en outre, la définition du droit et de ces catégo- ries de personnes est un élément de l'objectif fédé- ral régulier ainsi poursuivi et même un élément nécessaire de cet objectif. Sous cet angle, la situa tion en cause est similaire à celle de l'affaire Prata 9 .
En conséquence, que l'on applique le raisonne- ment du juge Maclntyre ou celui du juge Ritchie dans l'arrêt MacKay, l'argumentation du requé- rant reposant sur l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits n'est pas fondée, à mon avis, et la demande concernant la décision sur la plainte dirigée contre Air Canada doit être rejetée.
Un autre point a été soulevé cependant en ce qui concerne la demande de révision de la décision rendue sur la plainte dirigée contre l'ACPLA. Cette décision a été formulée de la manière sui- vante dans une lettre du 20 mai 1982 que le président de la Commission a adressée au requérant:
[TRADUCTION] La Commission canadienne des droits de la personne a examiné votre plainte contre l'Association cana- dienne des pilotes de lignes aériennes dans laquelle vous allé- guiez la discrimination fondée sur l'âge.
La politique de la société Air Canada, avec laquelle l'Asso- ciation est en accord, relève de l'exception prévue à l'alinéa
9 [1976] 1 R.C.S. 376; 52 D.L.R. (3d) 383.
14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En conséquence, la Commission a jugé nécessaire de rejeter votre plainte.
On a dit que la Commission a commis une erreur parce qu'elle a interprété l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne comme prévoyant une exception à l'interdiction faite à l'article 10 comme à celle de l'article 7. Pour plus de commodité, je cite de nouveau les dispositions pertinentes:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l'âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné;
Dans l'exposé de son argumentation, l'avocat du requérant s'est fondé sur l'allégation selon laquelle l'ACPLA, en contravention de l'article 10, avait conclu une «entente touchant un aspect d'un emploi» défavorisant le requérant dans son emploi, pour un motif de distinction illicite. Puisque cette entente a été conclue après le dépôt de la plainte, j'estime qu'elle ne peut pas être prise en considéra- tion pour décider du sort de la présente demande. Toutefois, au cours des débats, l'avocat s'est égale- ment appuyé sur la conduite adoptée par l'ACPLA, telle que décrite dans la plainte, c'est-à-
dire le fait que l'association n'ait pas agi de manière à modifier la ligne de conduite adoptée par Air Canada et ait donc limité les chances d'emploi ou d'avancement des membres les plus âgés du syndicat, en contravention de l'article 10 de la Loi.
La réponse de l'avocat de l'ACPLA à cet argu ment du requérant a été de dire que la mise à la retraite prévue à l'alinéa 14c) est visée par l'ex- pression «tout autre aspect d'un emploi» à l'alinéa 10b), et que cet alinéa 14c) est donc une exception expresse aux actes discriminatoires décrits et inter- dits par l'article 10, et que, même si la Commis sion avait commis une erreur en donnant cette interprétation à la Loi, puisque cette interprétation était raisonnable et pouvait être justifiée par la formulation en cause, la Cour ne devrait pas inter- venir pour imposer sa propre interprétation.
À mon avis, l'alinéa 14c) ne peut être considéré comme se rapportant de quelque manière à la conduite de l'ACPLA dont faisait mention la plainte ni à un acte discriminatoire interdit par l'article 10. J'estime qu'il en découle que la Com mission a commis une erreur de droit en rejetant la plainte en se fondant sur le motif que la politique adoptée par Air Canada et approuvée par l'AC- PLA relevait de l'exception prévue à l'alinéa 14c). En outre, le principe invoqué pour justifier l'inter- prétation de la Commission s'applique à l'interpré- tation de documents comme les conventions collec tives et ne s'applique pas à l'interprétation des lois 10 . En conséquence, j'annulerais la décision et renverrais la question à la Commission, pour nouvel examen et nouvelle décision de la plainte qui soit fondée sur le principe que l'alinéa 14c) ne s'appliquait pas aux questions qu'elle soulevait.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus dans la cause A-803-82 par
LE JUGE EN CHEF THURLOW (dissident): Pour les motifs exposés à l'égard de la demande portant le du greffe A-263-82 (ci-joints), j'annulerais la décision de la Commission canadienne des droits de la personne en date du 20 mai 1982 et je renverrais l'affaire à la Commission pour nouvel examen et décision sur la plainte du requérant, tenant compte de ma conclusion selon laquelle
10 Voir McLeod et autre c. Egan et autre, [1975] 1 R.C.S. 517, le juge en chef Laskin, aux pp. 518-519.
l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux questions soule- vées dans la plainte.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus dans les causes A-263-82 et A-803-82 par
LE JUGE HEALD: Ces deux demandes fondées sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] visent à l'examen et à l'annulation de deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commis sion) datées du 23 mars et du 20 mai 1982.
La décision du 23 mars 1982 rejetait une plainte déposée par le requérant portant que son employeur, l'intimée Air Canada, avait mis fin à son emploi en raison de son âge, en contravention des articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision du 20 mai 1982, rejetait la plainte du requérant dans laquelle il alléguait que l'Association canadienne des pilotes de lignes aériennes (ACPLA), son syndicat, avait enfreint les articles 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisque par ses agissements il avait porté atteinte à ses chances d'emploi en concluant une convention collective avec Air Canada prétendant obliger cette compa- gnie à mettre fin à son emploi pour un motif de distinction illicite. Le requérant a été employé par Air Canada comme pilote pendant environ 37 ans. Il a été forcé de prendre sa retraite le 1" septembre 1981 parce qu'il avait atteint l'âge de 60 ans. Le 3 avril 1981, Air Canada et l'ACPLA avaient signé un «protocole d'accord» incorporant le régime de retraite des pilotes d'Air Canada dans la conven tion collective signée par les parties. Il était prévu dans une clause de ce régime de retraite que l'âge de retraite obligatoire des pilotes était de 60 ans. Selon la preuve non contestée soumise à la Com mission, le requérant avait passé un examen médi- cal complet, un mois environ avant son soixan- tième anniversaire, qui n'avait révélé aucune anomalie physique, ni aucune maladie qui puisse diminuer la capacité du requérant de continuer à exercer les fonctions de pilote à Air Canada après avoir atteint l'âge de 60 ans.
La Commission a rendu sa décision du 23 mars 1982 sous forme de lettre au requérant rédigée par le président de la Commission, M. R. G. L. Fair-
weather. Le dispositif de cette décision dit (dossier d'appel, A-263-82, page 7):
[TRADUCTION] Dans sa décision d'octobre 1981 au sujet de l'affaire Douglas Campbell c. Air Canada, le tribunal des droits de la personne a statué que l'âge obligatoire de la retraite à soixante ans appliqué par Air Canada au personnel de bord relevait de l'exception prévue à l'alinéa 14c) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne.
La Commission estime que le même raisonnement s'applique au cas des pilotes et doit donc rejeter vos deux plaintes".
La décision du 20 mai 1982, également rendue sous forme de lettre du président de la Commis sion, M. Fairweather, au requérant, dit notam- ment ceci:
[TRADUCTION] La politique d'Air Canada, avec l'accord de l'Association, relève de l'exception prévue à l'alinéa 14c) de la Loi canadienne des droits de la personne. La Commission a donc jugé nécessaire de rejeter votre plainte.
Je crois qu'il y a lieu de citer maintenant les articles applicables de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour mieux étudier les ques tions soulevées par ces demandes. Les articles en question disent:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
9. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa- tion d'employés
a) d'empêcher l'adhésion pleine et entière d'un individu,
b) d'expulser ou de suspendre un adhérent, ou
e) d'établir, à l'endroit d'un adhérent, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou,
d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
" Les deux plaintes mentionnées dans la décision sont la plainte du requérant en son nom propre et une autre plainte formée par le requérant au nom de M. G. Church, un collègue pilote.
(2) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) le fait pour l'association d'employés d'empêcher une adhésion ou d'expulser ou de suspendre un adhérent en appliquant la règle de l'âge normal de la retraite en vigueur pour le genre de poste occupé par l'individu concerné.
(3) Pour l'application du présent article et des articles 10 et 46, «association d'employés» s'entend des syndicats ou autres groupements d'employés, y compris leurs sections locales, char- gés notamment de négocier avec l'employeur les conditions de travail de leurs adhérents.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur
ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
b) le fait de refuser ou de cesser d'employer un individu
(i) qui n'a pas atteint l'âge minimal, ou
(ii) qui a atteint l'âge maximal
prévu pour l'emploi en question par la loi ou par les règle- ments que peut établir le gouverneur en conseil pour l'appli- cation du présent alinéa;
c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l'âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné;
d) le fait que les conditions et modalités d'une caisse ou d'un régime de retraite constitués par l'employeur prévoient la dévolution ou le blocage obligatoires des cotisations à des âges déterminés ou déterminables conformément à l'article 10 de la Loi sur les normes des prestations de pension; ni
e) le fait qu'un individu soit, ailleurs qu'en matière d'emploi, l'objet de distinctions fondées sur l'âge et reconnues comme raisonnables par ordonnance de la Commission des droits de la personne en vertu du paragraphe 22(2).
Les deux demandes fondées sur l'article 28 ont été plaidées ensemble et il a été admis par les parties que la question principale dans les deux cas était de déterminer si la Commission avait fait une erreur en appliquant l'alinéa 14c) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne de manière à priver le requérant de son droit à l'égalité devant
la loi ou à porter atteinte à ce droit protégé par l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits 12 .
L'avocat du requérant, dans un premier argu ment, soutient que la discrimination fondée sur l'âge n'est pas expressément prohibée par la Déclaration canadienne des droits mais que toute- fois une loi fédérale qui éliminerait un des droits ou libertés fondamentales mentionnés dans la Déclaration, dont le droit à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi prévu à l'alinéa lb) précité, doit être considérée comme une transgression même si elle n'entraîne pas de discrimination fondée sur la race, l'origine nationale, la couleur, la religion ou le sexe. A l'appui de cet argument, l'avocat a cité un certain nombre de décisions de la Cour suprême du Canada 13 . Si je comprends bien les avocats d'Air Canada et de l'ACPLA, ces derniers ne sont pas en désaccord avec l'argument et, comme il est bien étayé par les arrêts précités de la Cour suprême du Canada, je l'accepte comme exposé correct du droit.
Le deuxième argument de l'avocat du requérant consiste à dire que l'alinéa 14c) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne est une loi du Canada qui enfreint le droit du requérant «à l'éga- lité devant la loi» puisqu'elle crée deux groupes distincts d'employés fédéraux, ceux qui sont proté- gés contre la discrimination fondée sur l'âge, sur les lieux du travail, et un groupe séparé, dont fait partie le requérant, réunissant ceux qui ont atteint «l'âge de la retraite en vigueur» et qui sont arbi- trairement privés de la protection contre la discri mination fondée sur l'âge du fait même de l'exis- tence de l'alinéa 14c). Selon son argument, le Parlement ne peut retirer à la légère ou arbitraire- ment le droit à la protection contre la discrimina tion fondée sur l'âge et l'alinéa 14c) est purement
12 Cet alinéa l b) dit:
1. I1 est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
13 Voir Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889, aux pp. 892 et 896-897; 26 D.L.R. (3d) 603, aux pp. 608 et 611; Le procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349, aux pp. 1362-1363; 38 D.L.R. (3d) 481, à la p. 492; R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693, à la p. 700; 44 D.L.R. (3d) 584, aux pp. 588-589; Bliss c. Le procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183, à la p. 191; 92 D.L.R. (3d) 417, aux pp. 422 et 423.
arbitraire et contrevient donc à l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits. Je ne puis accepter cet argument. La question de «l'égalité devant la loi» a été traitée par la présente Cour dans l'arrêt Le procureur général du Canada c. Bliss 14 . Cet arrêt portait sur la validité de l'article 46 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48] qui avait pour effet de priver la requérante de son droit de demander des prestations d'assurance-chômage dont elle aurait pu bénéficier si elle n'avait pas été enceinte puis- que l'article imposait aux femmes enceintes des conditions différentes de celles imposées aux autres personnes. Mon collègue le juge Pratte, parlant au nom de la Cour, disait ceci à la [page 213 C.F.] page 613 D.L.R. 15 :
La question qu'il faut déterminer en l'espèce n'est donc pas celle de savoir si l'intimée a été victime de discrimination en raison du sexe mais plutôt si elle a été privée du «droit ... à l'égalité devant la loi» consacré par l'article lb) de la Déclara- tion canadienne des droits. Ceci étant dit, je désire ajouter que je ne puis partager l'opinion du juge-arbitre que l'application de l'article 46 l'intimée constituait de la discrimination à son égard en raison du sexe. A supposer que l'on eût fait de la «discrimination contre» l'intimée, ce n'aurait pas été en raison de son sexe. En effet, l'article 46 vise les femmes enceintes, mais non celles qui ne le sont pas, et encore moins les hommes. Si l'article 46 ne traite pas les femmes enceintes en chômage comme d'autres chômeurs, hommes ou femmes, c'est, à mon sens, parce qu'elles sont enceintes et non parce qu'elles sont des femmes.
À la [page 214 C.F.] page 614 D.L.R. du recueil, le juge Pratte dit:
Il va de soi que les droits et devoirs des individus varient selon leur situation. Voilà juste une autre façon de dire que ces droits et obligations devraient être les mêmes dans des situa tions identiques. En gardant cette idée en tête, on peut conce- voir «le droit ... à l'égalité devant la loi» comme le droit d'une personne d'être traitée par la loi de la même façon que d'autres personnes dans la même situation. Cependant, cette définition serait incomplète, puisque l'on ne peut jamais dire que deux personnes sont exactement dans la même situation. Il est toujours possible d'établir des distinctions. la loi crée des distinctions entre les personnes de façon à les traiter différem- ment, ces distinctions peuvent être pertinentes ou non pertinen- tes. Une distinction est pertinente s'il existe un lien logique entre son fondement et les conséquences qui en découlent; une distinction est non pertinente si ce lien logique est inexistant. A la lumière de ces remarques, le droit à l'égalité devant la loi pourrait être défini comme le droit de l'individu d'être traité par la loi comme d'autres que l'on jugerait être dans la même
14 [1978] 1 C.F. 208; 77 D.L.R. (3d) 609 (C.A.).
15 Cet extrait du jugement du juge Pratte a été cité et approuvé par le juge Ritchie qui a prononcé l'arrêt de la Cour suprême du Canada: [1979] 1 R.C.S. 183, aux pp. 190-191; 92 D.L.R. (3d) 417, la p. 422.
situation, si l'on ne s'en tenait qu'à des faits pertinents. Selon cette définition, que l'avocat de l'intimée ne renierait pas, je crois, une personne serait privée de son droit à l'égalité devant la loi si elle subissait un traitement plus sévère que d'autres à cause d'une distinction non pertinente que l'on établirait entre elle et ces autres personnes. Si, toutefois, la différence de traitement était fondée sur une distinction pertinente (ou encore que l'on pourrait concevoir comme susceptible d'être pertinente), on ne violerait pas alors le droit à l'égalité devant la loi.
Je suis d'accord avec cette opinion et je crois qu'elle peut être appliquée, et devrait l'être, dans les circonstances de l'espèce. A mon avis, compte tenu des faits, la distinction imposée par l'alinéa 14c) est une distinction «pertinente» puisque «il existe un lien logique entre son fondement et les conséquences qui en découlent». L'alinéa 14c) fait une distinction entre les personnes qui ont atteint l'âge normal de la retraite et les employés plus jeunes de la même catégorie qui eux n'ont pas atteint cet âge. La catégorie prise en considération en l'espèce est celle des pilotes de lignes aériennes. Le dossier établit que 60 ans est l'âge normal de la retraite appliquée invariablement à Air Canada et dans de nombreuses autres compagnies aériennes canadiennes. C'est l'âge de retraite généralement choisi dans l'industrie aéronautique par les princi- paux transporteurs aériens canadiens et améri- cains. Les Federal Aviation Administration Regu lations des États-Unis [14 CFR] interdisent aux lignes aériennes commerciales l'affectation d'un pilote qui a atteint l'âge de 60 ans au poste de commandant de bord ou de co-pilote. Les normes et recommandations formulées à l'annexe 1 de la convention de Chicago dite Convention sur l'avia- tion civile internationale [Convention ouverte à la signature le 7 décembre 1944, RTC 1944/36, pp. 34 à 56; 15 RTNU 295; annexe 1 adoptée le 14 avril 1948] fixent à 60 ans l'âge de la retraite des commandants de bord ou co-pilotes affectés aux services internationaux aériens réguliers ou aux opérations de transports aériens internationaux non réguliers. En outre, après examen approfondi de la question, l'ACPLA, c'est-à-dire l'association qui représente la majorité des pilotes de lignes aériennes au Canada, a conclu que la mise à la retraite à 60 ans est compatible avec les connais- sances médicales actuelles et constitue une exi- gence nécessaire pour les pilotes de lignes aérien- nes. Il est vrai qu'une telle politique ne tient pas compte des différences qui peuvent exister entre divers individus quant à leurs capacités à l'âge de
la retraite. Il est tout aussi vrai cependant que la seule autre politique envisageable serait d'autoriser les pilotes à continuer de voler jusqu'à ce qu'ils aient fait la preuve de leur incompétence. Une telle politique ne serait pas en accord avec les principes de sécurité aérienne et serait donc contraire à l'intérêt du public. En conséquence, j'estime que la distinction établie par l'application de l'alinéa 14c) aux faits de l'espèce constitue une distinction perti- nente car il existe un lien logique et rationnel entre la disposition prévoyant la retraite obligatoire à 60 ans et les conséquences découlant de cette distinc tion. Sur ce fondement, je ne peux donc conclure que l'alinéa 14c) est une disposition arbitraire et fantaisiste. Je rejetterais donc le deuxième argu ment de l'avocat.
Le troisième argument de l'avocat du requérant repose sur la formulation suivante du critère à appliquer en matière d'égalité devant la loi: l'iné- galité que peut créer la législation touchant une catégorie particulière est-elle arbitraire, fantaisiste ou superflue ou a-t-elle un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe général de l'application universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaita- ble? Ce critère est tiré du jugement du juge McIn- tyre dans l'arrêt MacKay c. La Reine 16 .
Les motifs de jugement prononcés par le juge McIntyre avaient reçu l'appui du juge Dickson mais les motifs majoritaires de la Cour ont été prononcés par le juge Ritchie. Je conviens avec l'avocat du requérant que la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada a établi qu'une législation qui traite d'une catégorie d'individus différemment d'une autre n'enfreint pas les dispo sitions relatives à l'égalité devant la loi de la Déclaration des droits si cette différence de traite- ment est liée à la poursuite d'un «objectif fédéral régulier». Toutefois, je ne suis pas convaincu que l'avocat a raison de dire que: [TRADUCTION] «quoique le juge Ritchie n'adopte pas expressé- ment la définition que donne le juge McIntyre du critère fondé sur «l'objectif fédéral régulier», le raisonnement du juge Ritchie est parallèle à celui du juge McIntyre. Pour cette raison, la définition que donne le juge McIntyre peut être considérée comme la meilleure définition disponible du critère
16 [1980] 2 R.C.S. 370; 114 D.L.R. (3d) 393.
appliqué en matière d'égalité devant la loi.» Je dis cela parce qu'au début de ses motifs, à la page 401, le juge McIntyre déclare: «bien que je sous- crive à la conclusion du juge Ritchie, j'arrive à cette conclusion pour d'autres raisons et je crois devoir exposer l'opinion distincte que j'ai sur les questions que soulève ce pourvoi.» En outre, je pense que la ratio de la majorité dans l'arrêt MacKay, telle qu'exprimée par le juge Ritchie, consiste à dire que pour invoquer avec succès l'alinéa lb) de la Déclaration des droits afin de rendre inopérante une loi fédérale validement adoptée, il faut convaincre la Cour qu'en adoptant la législation incriminée, le Parlement ne cherchait pas à atteindre un objectif fédéral régulier ".
Selon mon appréciation de la preuve soumise en l'espèce, le requérant ne s'est pas acquitté de cette charge. Si j'ai conclu qu'il existe une différence entre le critère formulé par le juge Dickson et le juge McIntyre, d'une part, et celui qui avait été formulé par le juge Ritchie pour la majorité, de l'autre, je tiens à souligner en outre qu'au vu des faits et du dossier en l'espèce, je serais disposé à décider, en me fondant sur l'un ou l'autre critère, que les dispositions de l'alinéa 14c) ont un fonde- ment rationnel et acceptable en tant que déroga- tion nécessaire au principe général de l'application universelle de la loi pour atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable. J'en viens à cette conclusion pour les motifs donnés ci-dessus au sujet du deuxième argument du requérant.
Le dernier argument de l'avocat du requérant se rapporte spécifiquement à la décision de la Com mission en date du 20 mai 1982 par laquelle était rejetée la plainte du requérant contre son syndicat, l'ACPLA. L'argument était que l'alinéa 14c) ne devait pas être considéré comme prévoyant une exception aux interdictions formulées à l'article 10 comme à celles prévues à l'article 7. L'avocat soutient que l'alinéa 14c) s'applique à l'article 7 parce que ce dernier article mentionne le refus d'employer et que l'alinéa 14c) traite de la même question. Toutefois, selon l'avocat, on ne peut éta- blir le même lien entre l'article 10 et l'alinéa 14c). Je ne suis pas d'accord. L'alinéa 10b) traite «d'en- tentes, touchant le recrutement, les mises en rap port, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect
17 Le juge Ritchie aux pp. 393 et 394 R.C.S.
d'un emploi ...» (c'est moi qui souligne). L'alinéa 14c) parle de la cessation d'emploi. A mon avis, une disposition concernant la cessation d'un emploi touche clairement un aspect de l'emploi et, par conséquent, l'article 10 et l'alinéa 14c), au même titre que l'article 7 et l'alinéa 14c), traitent de la même question. Pour ces motifs je rejetterais éga- lement cet argument.
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat du requérant semblait restreindre ses arguments à la non-application de l'alinéa 14c) aux dispositions de l'alinéa b) de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. De même, l'avocat du syndicat, comme il était en droit de le faire, a limité sa réponse à l'alinéa 10b) et à la question de l'application de l'alinéa 14c) à cet alinéa. Toute- fois, à l'audition de l'appel, l'avocat du requérant a étendu son argument pour y inclure l'alinéa 10a). Si je comprends bien cet argument, il soutient qu'en raison de l'acquiescement et de l'accord donnés par l'ACPLA à la politique de mise à la retraite de la compagnie, le syndicat a adopté une attitude revenant à fixer ou à appliquer des lignes de conduite d'une manière susceptible d'annihiler les chances futures d'emploi du requérant comme pilote, en raison de son âge, et a donc violé les dispositions de l'alinéa 10a).
Indépendamment de toute autre considération, j'estime que l'avocat n'a pas eu l'occasion suffi- sante de répondre à cet argument puisqu'il n'a pas été soulevé par le requérant dans son exposé et, si j'avais conclu que cet argument était fondé, je me serais prononcé en faveur d'un report de la déci- sion sur la plainte dirigée contre le syndicat pour que la base ainsi élargie de la plainte soit pleine- ment débattue. Toutefois je rejette l'argument en cause parce que je crois que l'alinéa 14c) dispense un syndicat, comme un employeur, des dispositions de l'article 10 dans la mesure les exigences prévues à l'alinéa 14c) sont remplies, dans un cas donné. J'estime - que compte tenu des faits de l'es- pèce, l'emploi du requérant a cessé parce qu'il a atteint l'âge normal de la retraite pour les pilotes de lignes aériennes. Cela étant, les dispositions des articles 7 et 10 concernant les actes discriminatoi- res ne s'appliquent pas. Toute autre conclusion aurait pour résultat de déclarer l'employeur inno cent et le syndicat coupable à l'égard de la même politique ou ligne de conduite, et je doute qu'un tel
résultat ait jamais été voulu. À mon avis, les paramètres de l'alinéa 14c) ne peuvent être res- treints à l'acte subjectif d'un employeur qui met fin à l'emploi d'un employé. L'alinéa 14c) traite plutôt des circonstances objectives qui y sont décri- tes. En d'autres termes, dès qu'a été établi le fait de la cessation d'emploi à l'âge normal de la retraite, toute mesure liée à cette cessation d'em- ploi, qui pourrait être autrement considérée comme discriminatoire en vertu de la Loi et donc interdite, ne peut plus l'être en raison de la protec tion générale accordée par l'alinéa 14c). Prenant ensemble et en contexte l'article 10 et l'alinéa 14c), je suis convaincu que le Parlement avait la claire intention de couvrir, par la protection accor- dée par l'alinéa 14c), toutes les dispositions de l'article 10 comme celles de l'article 7. Les deux articles commencent par «Constitue un acte discri- minatoire ...» L'alinéa 14c) limite les paramètres normaux et usuels de ces termes ainsi utilisés et déclare ainsi que certains actes qui seraient autre- ment considérés comme discriminatoires sont répu- tés non discriminatoires. C'est l'«acte» qui est réputé non discriminatoire indépendamment de celui qui l'a établi ou appliqué.
Par ces motifs je conclus que la plainte du requérant contre le syndicat n'est pas fondée.
En conséquence, je rejetterais les deux deman- des fondées sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus dans les causes A-263-82 et A-803-82 par
LE JUGE SUPPLÉANT MCQUAID: On demande, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, l'examen et l'annulation de deux déci- sions de la Commission canadienne des droits de la personne, datées respectivement du 23 mars et du 20 mai 1982.
Dans la première, la Commission a rejeté la plainte déposée par Stevenson dans laquelle il affirmait que son employeur, Air Canada, avait mis fin à son emploi en raison de son âge, en contravention des articles 3 et 7 de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne; dans la deuxième, la Commission a rejeté la plainte dépo- sée par Stevenson dans laquelle il déclarait que le syndicat dont il était membre, l'Association cana-
dienne des pilotes de lignes aériennes, avait enfreint les articles 9 et 10 de cette Loi parce qu'il avait nui à ses chances d'emploi en concluant une convention collective avec Air Canada qui, selon lui, obligeait Air Canada à mettre fin à son emploi en se fondant sur un motif de distinction illicite, en l'occurrence son âge.
L'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dit:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
L'article 7:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
Les extraits pertinents de l'article 9:
9. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa- tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
(2) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) le fait pour l'association d'employés d'empêcher une adhésion ou d'expulser ou de suspendre un adhérent en appliquant la règle de l'âge normal de la retraite en vigueur pour le genre de poste occupé par l'individu concerné.
Et enfin l'article 10:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
Bien que cela ne soit pas nécessaire aux fins de la présente décision, je dirai qu'à mon avis, l'article 3 vise simplement à décrire en termes généraux ce qui constitue aux termes de la Loi des motifs de distinction illicite, mais que cet article ne peut constituer le fondement d'une plainte.
Les faits essentiels ne sont pas en litige. Le requérant Stevenson, commandant de bord, était employé à Air Canada, comme pilote; depuis trente-sept ans environ. Il était également membre de l'Association canadienne des pilotes de lignes aériennes (ACPLA), association d'employés ou syndicat représentant la plupart, sinon la totalité, des pilotes commerciaux au Canada et qui, en fait, représentait les pilotes d'Air Canada, dont Steven- son, comme agent négociateur avec cette compa- gnie.
Depuis plusieurs années, avant les dates impor- tantes en l'espèce, Air Canada avait établi un régime de retraite couvrant ses pilotes, dont Ste- venson, et prévoyant notamment la retraite obliga- toire des pilotes à l'âge de 60 ans. Par «protocole d'accord» en date du 3 avril 1981, signé par l'ACPLA, ce régime de retraite avait été incorporé dans la convention collective alors en vigueur. Le résultat évident et inévitable d'une telle mesure a été d'incorporer à la convention collective la clause prévoyant la retraite obligatoire à l'âge de 60 ans.
M. Stevenson a eu 60 ans le 1er septembre 1981 et, à cette date, conformément aux dispositions de la convention collective, Air Canada l'a mis à la retraite obligatoire et, à toutes fins utiles, a mis fin à son emploi comme pilote actif de ses services.
Il convient de noter deux points importants. Air Canada n'allègue pas que la capacité physique de Stevenson de continuer d'exercer ses fonctions de pilote commercial ait été, de quelque manière, un des facteurs qui a donné lieu à sa retraite. En fait, l'ensemble de la preuve du dossier paraît établir de manière concluante qu'il répond toujours aux normes physiques et psychologiques établies par l'industrie à l'égard de personnes exerçant les fonc- tions de commandant de bord responsable des plus gros avions commerciaux de transport de passa- gers. Le deuxième point à signaler, quel que soit son poids, est que le syndicat ACPLA, comme
partie à la convention collective signée avec Air Canada, qui incorpore par renvoi la disposition relative à la retraite obligatoire, appuie la thèse d'Air Canada et a donc été constitué partie inti- mée dans les présentes procédures.
La Commission canadienne des droits de la personne a étudié les deux plaintes déposées par Stevenson, l'une contre Air Canada et l'autre contre l'ACPLA, et les a rejetées l'une et l'autre, aux dates précitées, au motif qu'elles relevaient toutes les deux de l'exception prévue à l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l'âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné;
La thèse fondamentale du requérant, et le seul motif invoqué dans ces demandes, est à la fois simple et frappant: l'alinéa 14c) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne contrevient à l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits, parce que l'alinéa 14c) prive le requérant Stevenson de son droit à l'égalité devant la loi, garanti par l'alinéa 1 b), et en conséquence, l'alinéa 14c) est inopérant, nul et sans effet, et ne peut être invoqué en défense ou en réponse aux plaintes déposées.
La disposition pertinente de la Déclaration des droits, qui reste en vigueur comme une des assises fondamentales du droit législatif canadien et qui n'a pas été touchée par l'adoption ultérieure de la Loi constitutionnelle de 1982, dit:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
On peut faire observer que cet article dans son énumération des motifs illicites de distinction, ne fait aucune mention de l'élément «âge». Ce point n'est toutefois pas en litige puisqu'il a été admis par tous les avocats que la jurisprudence applica ble à la question a établi que l'énumération faite à l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits
n'est ni exclusive ni expressément limitée aux élé- ments de distinction illicite mentionnés, mais doit être interprétée comme incluant également toute discrimination fondée sur d'autres motifs, y com- pris l'âge ' 8 .
Compte tenu des rapports d'employeur et employé qui existaient entre Air Canada et le requérant, la compagnie aurait été en droit, en common law, de licencier Stevenson à tout moment, avec ou sans motif, et celui-ci n'aurait disposé que d'un recours fondé sur la rupture d'un contrat, s'il lui était possible d'en apporter la preuve ' 9 . Sous réserve de cette possibilité pour l'employé de demander des dommages-intérêts par ce recours, il aurait évidemment été loisible à l'employeur de renvoyer son employé en raison, par exemple, de son âge.
Ce principe de common law a été modifié et limité par l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits qui interdit toute distinction illicite contre une personne (y compris un employé) fondée sur un des motifs énumérés, ainsi que tout autre motif que la Cour pourrait juger être de caractère discriminatoire, qui pourrait entraîner une inégalité devant la loi, une différence entre le traitement accordé à un groupe par rapport à celui appliqué à un autre groupe. Il a été statué qu'il ne s'agissait pas d'un droit absolu mais que ce droit était lui-même limité lorsque la différence de trai- tement résultait d'une loi adoptée afin d'atteindre un objectif fédéral régulier 2 °.
Ce que couvre l'expression «objectif fédéral régulier» sera étudié ci-après.
La Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée après la Déclaration des droits et lui est subordonnée; en cas de conflit évident, les dispositions de la Déclaration des droits prévalent. Pour étudier la thèse de Stevenson, dans sa demande, il convient d'examiner cinq articles dis- tincts de la Loi. J'ai déjà traité de son argument relatif à l'article 3 et je n'y reviendrai pas.
'$ Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603.
19 Ridge v. Baldwin and Others, [1964] A.C. 40 (H.L.).
20 MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; 114 D.L.R. (3d) 393.
À première vue, l'article 7 aurait pour but d'in- clure dans les actes prohibés par la Loi le fait de mettre fin à un emploi, c'est-à-dire de retirer quelqu'un des effectifs des personnes employées activement, pour le placer sur la liste des personnes mises à la retraite obligatoire, en raison de leur âge. On ne peut dire toutefois qu'il s'agisse d'une interdiction absolue, car il faut la lire en corréla- tion avec les restrictions apportées à l'article 14 et, en particulier, à l'alinéa c) de cet article. À suppo- ser pour le moment que l'alinéa 14c) soit une disposition ayant plein effet, nonobstant la Décla- ration des droits, l'article 7 confère seulement à l'employé un droit limité et restreint. Si en revan- che l'alinéa 14c) était inopérant, comme le soutient le requérant, l'article 7 serait de ce point de vue absolu.
Selon mon interprétation de l'article 9 de la Loi, j'estime que les arguments avancés par le requé- rant à son égard ne sont pas pertinents. Cet article me paraît se limiter aux relations internes qui existent entre l'association des employés ou le syn- dicat, et ses membres et aux politiques ou règle- ments internes que le syndicat pourrait avoir et qui pourraient aboutir à la discrimination contre un membre pour un des motifs de distinction illicite, avec pour résultat que le membre, dans les cas d'exclusivité syndicale par exemple, me serait pas en mesure de continuer son emploi normal. Je pourrais faire observer en passant que lorsque la question a été directement posée à l'avocat du requérant, il n'a pas été capable de dire à la Cour que l'adhésion de son client à ce syndicat, l'ACPLA, serait de quelque manière touchée par sa mise â la retraite obligatoire ou qu'il cesserait de faire partie de ladite organisation. Même si l'on pouvait soutenir que l'article était pertinent, pour une autre raison, la disposition relative à «l'âge normal de la retraite» au paragraphe (2) (qui sera examiné ci-après dans le cadre de l'étude des incidences de l'alinéa 14c)) pourrait bien consti- tuer un facteur d'exclusion en ce qui concerne l'article 9.
Je ne crois pas non plus que l'article 10 présente un intérêt quelconque pour la thèse soutenue par le requérant. A mon avis, cet article ne traite pas d'une situation de mise à la retraite mais concerne plutôt les procédures initiales d'embauche ainsi que les questions relatives à la formation et autres
modalités résultant de l'embauche. Je considère que l'expression «tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel», à l'alinéa b), se rapporte directement aux mots qui la précèdent immédiate- ment.
L'importante question de fond soumise à la Cour réside dans la thèse du requérant selon laquelle l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est rendu inopérant par les dispositions dérogatoires de la Déclaration des droits en ce qu'il enfreint son droit à l'égalité devant la loi puisque l'alinéa 14c) est, en soi, un acte discriminatoire; selon l'argument du requé- rant, cet alinéa vise à établir une distinction illicite à son égard dans son emploi, car il prive ceux qui ont atteint l'âge de la retraite de leur droit à l'égalité avec ceux qui n'ont pas encore atteint l'âge de la retraite, créant ainsi deux groupes distincts et identifiables, égaux en tous autres points sauf en ce qui concerne l'âge, mais traités différemment pour ce motif particulier.
En bref, le requérant prétend que l'alinéa 14c) le prive arbitrairement de la protection accordée par l'article 7 et que cet alinéa doit donc être déclaré inopérant.
À mon avis, l'argument selon lequel l'article 7 confère à quiconque une protection absolue contre tout acte discriminatoire ne saurait être retenu. Si tel était le cas, une large part de la Partie I de la Loi canadienne sur les droits de la personne serait inopérante. L'article 9 commence par les mots cruciaux: «Constitue un acte discriminatoire», et pourtant le paragraphe (2) de cet article comporte une exception. Les articles 11, 12 et 13 comportent des restrictions du même type. Les articles 15, 16 et 17 excluent expressément certaines activités qui seraient autrement réputées constituer des actes discriminatoires aux termes de la Loi.
En fait, l'article 7 ne fait qu'énoncer un principe sous forme de disposition législative comme le fait par exemple le paragraphe 11(1). L'alinéa 14c) ne fait que définir, également sous forme de disposi tion législative, un des paramètres que le Parle- ment a déclaré devoir être appliqués à l'article 7, comme le font par exemple le paragraphe (2) et les paragraphes suivants de l'article 11. Le paragra- phe 11(1) est formulé en termes tout aussi absolus que ceux de l'article 7, mais il serait téméraire
d'apposer la mention «inopérantes» à ces disposi tions sur le fondement des arguments du requérant.
Si on pouvait effectivement interpréter l'alinéa 14c) comme créant deux groupes distincts, ce fait, de lui-même, ne serait pas nécessairement fatal. Il a été statué dans l'arrêt R. c. Burnshine 21 que ce genre de disposition législative peut bien être valide si elle est adoptée dans le but d'accomplir un objectif fédéral régulier et, en outre, qu'il incombe à celui qui cherche à faire déclarer inopé- rante une telle disposition de convaincre la Cour qu'en adoptant l'article en cause le Parlement ne cherchait pas à accomplir ce genre d'objectif. Il n'est pas nécessaire non plus, pour garantir l'éga- lité devant la loi, de traiter chaque personne d'une manière identique à toutes les autres sauf dans les cas leurs situations respectives sont identiques; lorsque la loi prévoit une distinction dans le traite- ment accordé à divers individus, elle n'enfreint pas automatiquement la Déclaration des droits lors- qu'il peut être établi qu'il existe un lien logique entre le fondement de la distinction et les consé- quences qui en découlent.
L'expression «objectif fédéral régulier» n'appa- raît ni dans la Déclaration des droits ni dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, car il s'agit d'une notion créée par le judiciaire afin d'essayer de définir le critère approprié. Il est décrit, plutôt que précisément défini, dans la juris prudence. Dans MacKay c. La Reine 22 , le juge McIntyre dit à [la page 406 R.C.S.] la page 423 D.L.R.:
Le problème se soulève cependant lorsque l'on tente d'établir un fondement acceptable à la définition de ces catégories distinctes, et la nature de la loi particulière en cause. Dans ce contexte, égalité ne doit pas être synonyme de simple applica tion universelle. Bien des circonstances et conditions différentes touchent des groupes différents ce qui dicte des traitements différents. La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantai- siste ou superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe géné- ral de l'application universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable.
21 [1975] 1 R.C.S. 693; 44 D.L.R. (3d) 584.
22 MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; 114 D.L.R. (3d) 393.
La notion ainsi décrite n'est pas incompatible avec l'approche générale adoptée par le juge en chef Laskin dans ses motifs dissidents, telle qu'elle a été définie [aux pages 375 et 376 R.C.S. et] à la page 398 D.L.R.:
Un traitement spécial et une réglementation spéciale des forces armées à ce titre constituent une classification raisonnable qui, tant que la réglementation ne comporte aucune discrimination non pertinente, est sans doute compatible avec la Déclaration canadienne des droits.
Le juge Ritchie prononçant la décision majori- taire de la Cour, déclare à [la page 400 R.C.S.] la page 418 D.L.R.:
On voit donc, comme je l'ai dit, que la Loi sur la défense nationale vise une catégorie particulière d'individus et, comme elle est adoptée en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier, les dispositions de l'al. lb) de la Déclaration des droits ne requièrent pas qu'elle se conforme aux mêmes exigences que les autres lois fédérales. (Voir Prata c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration ...) 23
L'arrêt MacKay traitait d'une affaire portée en cour martiale en vertu de la Loi sur la défense nationale, mais les principes qui y sont énoncés sont applicables en l'espèce. Dans les cas la législation pourrait à première vue paraître discri- minatoire, il faut d'abord l'examiner dans son propre contexte afin de déterminer la raison de cette distinction apparente entre deux catégories ou groupes identifiables. Cette distinction est-elle raisonnable et pertinente? A-t-elle un fondement rationnel ou au contraire est-elle fantaisiste et arbitraire? La dérogation au principe de l'applica- tion universelle de la loi était-elle raisonnablement nécessaire pour satisfaire aux conditions particu- lières dictées par l'objectif social nécessaire et souhaitable recherché?
S'il est possible de répondre par l'affirmative à ces trois questions, on peut statuer qu'une discri mination apparente découlant de la loi n'est pas incompatible avec la Déclaration des droits, puis- qu'elle relève alors des larges paramètres de la définition d'un objectif fédéral régulier.
L'alinéa 14c) crée indubitablement deux grou- pes distincts, le premier réunissant ceux dont l'em- ploi a pris fin parce que ses membres ont atteint l'âge de la retraite imposée normalement à des employés travaillant à des postes semblables à ceux qu'ils occupent, et l'autre groupe réunissant
23 [L'arrêt Prata est publié à] [1976] 1 R.C.S. 376; 52 D.L.R. (3d) 383.
ceux qui n'ont pas encore atteint cet âge.
Dans le contexte social d'aujourd'hui, la retraite peut être considérée comme un événement normal de la carrière d'un employé. Notre structure sociale le reconnaît puisque, par exemple, l'État, qui est essentiellement la communauté collective de la nation, prévoit que des fonds de retraite ou des pensions seront disponibles non seulement pour ses propres employés mais aussi pour tous les employés qui ont atteint l'âge légal de la retraite, 65 ans. La plupart des employeurs de l'industrie et du commerce ont des régimes de retraite similaires pour leurs employés, indépendamment et en com- plément du régime de retraite prévu par l'État. Parmi ces employeurs du monde commercial, on trouve Air Canada dont le requérant a été si longtemps l'employé. De plus, la propre organisa tion syndicale du requérant dont ce dernier a été et continue d'être un membre actif, et qui parle au nom de pilotes de lignes aériennes, dont le requé- rant, dans ce secteur industriel, a non seulement accepté mais approuvé le programme relatif au régime de retraite et de pension établi par l'em- ployeur, confirmant ainsi l'idée qu'en ce qui con- cerne les pilotes de lignes aériennes, comme groupe distinct, l'âge de 60 ans est l'âge normal de la retraite pour les membres de ce groupe; en corol- laire, ceux qui ont atteint cet âge ont aussi droit à certaines prestations qui ne sont pas à la portée de leurs collègues qui n'ont pas atteint cet âge.
Il n'y a rien de magique dans le choix de l'âge de 60 ans comme âge approprié de la retraite pour un pilote de lignes aériennes. On peut soutenir, comme dans le cas du requérant, qu'il est physi- quement et psychologiquement tout aussi compé- tent aujourd'hui comme pilote qu'il l'était il y a 20 ans. On pourrait également soutenir, dans la même veine, que dans certains cas il pourrait y avoir lieu de demander que l'on mette fin à l'emploi de pilotes qui n'ont pas atteint cet âge, pour diverses raisons physiques ou psychologiques. Cependant, l'employeur avec l'accord de l'association des employés a jugé souhaitable de déterminer «l'âge normal de la retraite» et l'a fixé à 60 ans.
Il incombe à celui qui prétend que la Loi en cause est inopérante parce qu'elle n'a pas pour but d'atteindre un objectif fédéral régulier, de convain-
cre la Cour que toute distinction crée par cette Loi n'est ni raisonnable ni pertinent, qu'elle n'a pas de fondement rationnel, qu'elle est fantaisiste et arbitraire et qu'elle ne constitue pa i s une déroga- tion nécessaire et normale à la nor e de l'univer- salité. À mon avis, il n'a pas réussi à(lle faire.
Bien au contraire, j'estime que la distinction créée par l'établissement de l'âge normal de la retraite, en ce qu'elle s'applique au requérant, est à la fois raisonnable et pertinente et, dans le con- texte social actuel, à la fois nécessaire et raisonna- ble pour atteindre un objectif social souhaitable; elle vise en effet à assurer une retraite digne et ordonnée de la vie active, comportant de plus un certain degré de sécurité financière, pour ceux qui ont consacré l'essentiel de leurs années de travail à l'établissement d'un mode de vie dont nous bénéfi- cions tous, en donnant, de plus, à ceux de l'autre groupe, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas encore atteint cet âge, la possibilité de progresser dans leur propre secteur professionnel et de faire leur propre contribution à l'amélioration de ce mode de vie. On ne peut douter que la poursuite de cette fin est un objectif fédéral régulier. Cela étant, on ne peut soutenir que l'alinéa 14c) est incompatible avec la Déclaration des droits et, en conséquence, j'estime et conclus que l'alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'est pas inopérant, mais bien au contraire pleinement applicable.
Je confirmerais donc les décisions de la Com mission datées respectivement du 23 mars et du 20 mai 1982 et je rejetterais la demande du requérant en l'espèce.
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