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T-2095-80
Gull Bay Development Corporation (demande- resse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Walsh— Ottawa, 7 et 19 décembre 1983.
Impôt sur le revenu Exemptions Appel de la cotisation d'impôt sur le revenu de 1975 La demanderesse a été constituée pour promouvoir le bien-être économique et social des membres de la réserve et pour appuyer les organismes charitables qui participent au développement économique et social Les administrateurs ne sont pas rémunérés et ne participent pas aux profits La demanderesse a mis sur pied une exploitation forestière commerciale pour fournir de l'em- ploi et assurer la formation aux Indiens, entretenir les édifices publics et financer des activités éducatives L'art. 149(1)1) de la Loi exonère de l'impôt les associations mises sur pied et exploitées exclusivement à des fins non lucratives La défen- deresse prétend que la demanderesse a été constituée pour exploiter une activité commerciale La demanderesse pré- tend que la société a été créée pour faire face aux problèmes sociaux et de bien-être dans la réserve Appel accueilli La décision dépend des faits de chaque espèce Les lettres patentes ne font pas mention de l'exploitation forestière La demanderesse elle-même emploie les profits de l'exploitation forestière pour promouvoir des objectifs sociaux Les admi- nistrateurs de la société n'en retirent pas d'avantages person- nels La société n'a pas été créée pour exploiter une activité commerciale Il était plus efficace d'atteindre les objectifs sociaux par la constitution d'une société que par l'intermé- diaire du conseil de bande Les activités sociales et de bienfaisance sont les véritables objets de la société Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 149(1)d), e)f),g),l) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 103(3)).
Indiens Exemption de l'impôt sur le revenu Appel de la cotisation La demanderesse a été constituée pour pro- mouvoir le bien-être social et économique dans la réserve L'exploitation forestière commerciale mise sur pied fournit de l'emploi et des revenus pour améliorer la situation sociale et
économique La demanderesse est-elle une association dont l'unique objet est d'exercer une activité non lucrative et de ce fait, est-elle exonérée de l'impôt sur le revenu comme le prévoit l'art. 149(1)1) de la Loi de l'impôt sur le revenu? Appel accueilli La solution du litige dépend des faits de chaque espèce Les activités sociales et de bienfaisance sont les véritables objets de la société Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 149(1)(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 103(3)).
La demanderesse fait appel de la cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année 1975. Parmi les objets prévus dans ses lettres patentes, la société demanderesse doit promouvoir le bien-être social et économique des membres de la réserve indienne de Gull Bay et aider les organismes charitables qui participent à leur développement_ économique et social. Ses
lettres patentes prévoient que la société doit être exploitée sans but lucratif pour ses membres et que tous ses profits doivent sérvir à promouvoir ses objets. Les administrateurs n'ont pas été rémunérés et n'ont tiré aucun profit en raison du poste qu'ils occupent. La demanderesse a mis sur pied une exploitation forestière commerciale qui fournissait de l'emploi, assurait une formation aux étudiants indiens, permettait d'entretenir les édifices publics, finançait les programmes établis pour fournir le nécessaire aux membres de la réserve dans le besoin et accordait des fonds pour des voyages éducatifs et pour d'autres activités d'assistance. L'alinéa 149(1)1) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit qu'aucun impôt n'est payable par une per- sonne qui est «un cercle, une société ou une association dont l'unique objet est d'assurer le bien-être social, les améliorations locales, d'occuper les loisirs ou de fournir des divertissements, ou d'exercer toute autre activité non lucrative». La demande- resse fait valoir que le premier objet de la mise sur pied de la société était d'apporter une solution aux problèmes dans la réserve et de créer des activités permettant de réunir des fonds à ces fins.
Jugement: l'appel est accueilli. Dans une très large mesure, la solution du litige dépend des faits de chaque espèce. En vertu de sa charte, la société est exploitée «exclusivement» aux fins prévues à l'alinéa 149(1)l), même si elle peut réunir des fonds à cette fin par l'exploitation commerciale de son entreprise fores- tière. Les membres (administrateurs) n'ont pas retiré d'avanta- ges personnels de la société. Dans St. Catharines Flying Trai ning School Limited v. Minister of National Revenue, la Cour a conclu que les mots «objets non rémunérateurs» ne signifient pas que la poursuite de ces objets ne peut jamais entraîner de profits mais que les buts doivent être poursuivis sans intention de réaliser des profits. Elle a ajouté que dans son sens ordinaire, le terme «association» est assez large pour comprendre une compagnie constituée. Cette interprétation s'applique aux termes de l'alinéa 149(1)1). La Cour suprême du Canada a conclu dans l'arrêt récent Commissaire régional à l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Liée que pour décider si une activité a comme objet prépondérant la réalisation de profits, il faut examiner et apprécier l'ensemble des facteurs pertinents qui s'y rapportent. Dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Bégin, l'intimé n'était pas assujetti à l'impôt puis- qu'il n'avait aucun droit de réclamer les profits de la société. La défenderesse veut faire une distinction avec cette affaire puis- qu'en l'espèce, la demanderesse a effectivement reçu les profits de l'exploitation forestière. La demanderesse admet que si une société retire des profits d'une exploitation commerciale, elle ne peut se soustraire à l'impôt en les versant en entier à une œuvre de charité; en l'espèce cependant, la société ne fait pas simple- ment que remettre ses profits à d'autres mais elle poursuit elle-même activement les objets à caractère social pour lesquels elle a été constituée. L'alinéa 149(1)g) qui vise les «Corpora- tion[s] sans but lucratif» ne s'applique pas puisqu'il exige en outre que la corporation n'ait exploité aucune entreprise. La mobilisation de fonds n'était pas l'objet principal de la société et sa charte ne mentionne aucunement l'exploitation forestière. L'alinéa 149(1)n exige que l'association ait pour unique objet (exclusively) une activité non lucrative. Suivant l'arrêt British Launderers' Research Association v. Central Middlesex Assessment Committee and Hendon Rating Authority, le terme «exclusivement» doit avoir tout son effet. Les opérations forestières de la demanderesse étaient considérables et fournis- saient des revenus importants, mais les lettres patentes ne
mentionnent aucune exploitation commerciale. La société n'a pas été constituée pour exploiter une activité commerciale, mais sa constitution avait probablement pour motif de fournir de l'emploi et une formation aux chômeurs indiens par l'exploita- tion d'une activité commerciale susceptible à la fois de fournir ces emplois et de rassembler des fonds pour les activités chari- tables. II était plus commode de poursuivre cette activité par l'intermédiaire d'une société que de permettre au conseil de bande d'essayer de le faire. Si le conseil de bande lui-même avait dirigé l'exploitation forestière, il est peu probable qu'on eût tenté d'imposer les profits de l'entreprise. La politique du ministère des Affaires indiennes est d'encourager les bandes indiennes à devenir autosuffisantes et à améliorer le niveau de vie et les conditions sociales dans les réserves. Les activités sociales et les activités de bienfaisance de la demanderesse ne sont pas un prétexte pour éviter de payer l'impôt sur une entreprise commerciale mais sont les objets véritables de la société.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
St. Catharines Flying Training School Limited v. Minis ter of National Revenue, [1955] R.C.S. 738; 55 DTC 1145; infirmant (1953), 53 DTC 1232 (C. de l'É.); Commissaire régional à l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, [1983] 1 R.C.S. 57; British Launderers' Research Association v. Central Middlesex Assessment Committee and Hendon Rating Authority, [1949] 1 All E.R. 21 (C.A. Angl.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hutterian Brethren Church of Wilson c. La Reine, [1980] 1 C.F. 757; (1979), 79 DTC 5474 (C.A.); Wood - ward's Pension Society v. Minister of National Revenue (1959), 59 DTC 1253 (C. de l'É.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Minister of National Revenue v. Bégin, [1962] R.C.É. 159; 62 DTC 1099; Forest Lawn Cemetery Company v. Minister of National Revenue (1952), 52 DTC 84 (Com- mission d'appel de l'impôt sur le revenu); Peter Birt- wistle Trust v. Minister of National Revenue (1938), 1 DTC 419 (C. de l'E.); The King v. The Assessors of the Town of Sunny Brae, [ 1952] 2 R.C.S. 76.
DÉCISION MENTIONNÉE:
Lumbers v. The Minister of National Revenue, [1943] R.C.E. 202.
AVOCATS:
Micha J. Menczer pour la demanderesse.
W. Lefebvre, c.r. et B. Hobby pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Mattar, Menczer, Savage & Falsetto, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse en l'espèce est une société sans capital-actions constituée le 28 février 1974 par lettres patentes de la province de l'Ontario; elle a son siège social dans la réserve indienne de Gull Bay (n° 55), à Gull Bay (Onta- rio), une réserve d'environ 16 milles carrés sur la rive ouest du lac Nipigon, à environ 120 milles au nord de Thunder Bay. Les lettres patentes pré- voient parmi les objets de la société les objets suivants:
[TRADUCTION] Promouvoir le bien-être économique et social des autochtones qui sont membres de la réserve indienne de Gull Bay (n° 55) et appuyer les entreprises, fédérations, orga- nismes et sociétés bénévoles et charitables qui participent au développement économique ou social des autochtones qui sont membres de la réserve indienne de Gull Bay (n° 55).
Ces objets prévoient en outre que la société peut embaucher des employés, avoir des bureaux et faire des dépenses raisonnables relativement à ses objets, que la société doit être exploitée sans but lucratif pour ses membres et que tous les profits et autres revenus de la société doivent servir à pro- mouvoir ses objets. Il est en outre prévu que les administrateurs exercent leurs fonctions sans rémunération et aucun administrateur n'a droit à quelque avantage en raison du poste qu'il occupe, mais il a droit d'être remboursé des dépenses raisonnables qu'il a faites dans l'exécution de ses fonctions. À la dissolution de la société, tous ses biens doivent être distribués ou transmis à des organismes autochtones constitués en Ontario.
La demanderesse fait valoir que depuis sa créa- tion, elle s'est consacrée au développement écono- mique et social de la réserve indienne de Gull Bay et de ses membres et à l'amélioration des condi tions sociales et économiques des membres de la bande qui y vivent; ses activités comprennent la mise sur pied d'une exploitation forestière com- merciale rentable qui fournit de l'emploi aux mem- bres de la réserve, la formation d'étudiants indiens de la réserve qui travaillent comme bûcherons ou comme gestionnaires dans les bureaux, l'exécution de travaux d'entretien aux édifices et aux installa tions récréatives et administratives dans la réserve, l'aide financière aux programmes créés dans la réserve pour fournir de la nourriture, des vête- ments et des objets de première nécessité aux
membres de la réserve de Gull Bay qui sont dans le besoin, le financement des frais de voyage des enfants d'âge scolaire dans la réserve pour leur permettre de faire les voyages éducatifs que l'école estime profitable de faire à l'occasion, d'autres activités d'assistance dans la réserve qui sont utiles au bien-être social et économique des membres de la réserve; par conséquent, la demanderesse fait valoir qu'elle est un organisme sans but lucratif au sens de la définition de l'alinéa 149(1)1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970 - 71 - 72, chap. 63 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 103(3))].
La Cour a rejeté au procès l'argument fondé sur l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu que les membres et les administrateurs de la demanderesse sont les membres du conseil de bande qui a la haute main sur la demanderesse et que le conseil de bande exerce dans la réserve les fonctions d'un gouvernement municipal, de sorte que la demanderesse serait un organisme munici pal. Au cours du débat, la demanderesse a invoqué en outre l'alinéa 149(1)f) de la Loi qui dispose:
149. (1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente Partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période cette personne était
J) une oeuvre de charité constituée ou non en corporation, dont toutes les ressources étaient consacrées à des activités de bienfaisance exercées par l'oeuvre elle-même, et dont aucun revenu n'était payable à un propriétaire, membre ou action- naire de cette oeuvre, ou ne pouvait par ailleurs être disponi- ble pour servir au profit personnel de ceux-ci;
L'alinéa 149(1)1) dispose:
149. (1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente Partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période cette personne était
1) un cercle, une société ou une association dont l'unique objet est d'assurer le bien-être social, les améliorations loca les, d'occuper les loisirs ou de fournir des divertissements, ou d'exercer toute autre activité non lucrative, et dont aucun revenu n'était payable à un propriétaire, un membre ou un actionnaire, ou ne pouvait par ailleurs être disponible pour servir au profit personnel de ceux-ci, à condition que le propriétaire, le membre ou actionnaire soit un cercle, une société ou une association dont le but premier et la f l onction sont de promouvoir l'athlétisme amateur au Canada;
Le 14 juin 1977, la demanderesse a été cotisée aux fins de l'impôt sur le revenu des sociétés pour l'année 1975 pour une somme de 3 272,40 $. Un
avis d'opposition a été produit, mais un avis de confirmation a été délivré. La présente action constitue un appel à l'encontre de la cotisation.
La défenderesse fait valoir que, dans son année d'imposition 1975, la demanderesse a exploité à des fins lucratives une entreprise forestière et en a retiré un profit de 23 538 $ au moins; elle prétend que la demanderesse n'était pas exonérée de l'im- pôt puisqu'elle n'était pas un organisme sans but lucratif au sens de l'alinéa 149(1)1) de la Loi ni une corporation municipale au sens de l'alinéa 149(1)d) de la Loi et que la demanderesse n'est pas un organisme décrit au paragraphe 149(1) de la Loi.
Bien que la question en litige soit clairement définie, la jurisprudence volumineuse que les par ties ont citée indique que c'est une question contro- versée qui dépend dans une large mesure des faits de chaque espèce; il était donc nécessaire d'établir de nombreux faits en preuve. Au début de l'audi- tion, l'avocat de la demanderesse a indiqué que des arguments qui se fondent sur l'alinéa 149(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu pourraient être invoqués, bien qu'ils n'aient pas été invoqués de façon précise, et l'avocat de la défenderesse ne s'y est pas opposé.
Le chef Tim Esquega a témoigné qu'il a vécu toute sa vie dans la réserve et qu'il a sept enfants. Il y a 323 personnes en tout dans la réserve. Depuis 1962, il a travaillé comme gardien au service du ministère des Affaires indiennes et a été chef de la bande de 1972 1978; il a été réélu en 1980; ce titre, il est membre du conseil de bande qui administre les sommes fournies par le minis- tère des Affaires indiennes. Avant la création de la Gull Bay Development Corporation, la réserve ne pouvait offrir comme seul travail que la pêche commerciale, le piégeage, qui est très maigre, et le travail saisonnier de sapeur-pompier. En 1972, le nombre de membres de la réserve était en baisse, et l'alcoolisme, le vandalisme et le viol étaient prédominants. Le magasin Hudson Bay a fermé ses portes et les enseignants sont partis. Quelques membres de la bande travaillaient à l'extérieur de la réserve dans des exploitations forestières. La collectivité s'était fait une mauvaise réputation de sorte que le gouvernement reprenait ses fonds et les administrait lui-même. En tant que chef en 1972, il a voulu créer de l'emploi dans la réserve. Il
a obtenu des conseils utiles de John Belair, un enseignant à l'Université Lakehead, qui travaillait à contrat avec d'autres bandes et les conseillait sur le débroussaillement et sur d'autres opérations forestières. La société a été créée comme un moyen de fournir de l'emploi.
Quand la Cour lui a demandé pourquoi la bande elle-même ne pouvait pas diriger l'exploitation forestière, il a dit que ce n'était pas possible en raison des nombreux problèmes sociaux. Les fonds gouvernementaux mettaient du temps à venir. Les règlements de la société prévoyaient neuf adminis- trateurs parmi lesquels le chef de bande et les trois conseillers de la réserve indienne de Gull Bay étaient d'office administrateurs.
Le chef Esquega a témoigné que les autres administrateurs étaient choisis parmi les membres honorables de la bande. Ils ont retenu les services d'un avocat de Thunder Bay pour les aider. La société avait environ 25 employés; elle a mis sur pied une exploitation forestière et a entrepris des travaux communautaires, nettoyer les lieux, couper du bois pour les personnes âgées, enlever les véhicules abandonnés, relocaliser un dépotoir qui dégageait des odeurs les jours de vent, faire des patinoires, améliorer la clôture qui entoure le cimetière et peindre les vieux bâtiments. Des jeunes femmes ont été embauchées pour aider les plus vieilles qui ne peuvent faire leur lessive. Cer- tains membres ont visité l'exploitation forestière pour voir comment ce travail est accompli. Une génératrice a été installée pour pallier aux fré- quentes pannes d'électricité et on achetait parfois du combustible pour les membres de la réserve qui n'avaient pas les moyens de s'en procurer. Un programme de prévention de l'alcoolisme a été créé et un responsable de programme a été embau- ché. Même après la création de la société, les fonds gouvernementaux mettaient toujours du temps à venir. Le gouvernement destinait des fonds à la bande, mais par une collaboration étroite, la société et le conseil de bande ont pu amasser des fonds et améliorer le mode de vie de la collectivité. Lorsque la société a avancé des sommes au conseil de bande pour des dépenses nécessaires pour les- quelles les fonds gouvernementaux ne lui étaient pas encore parvenus, le conseil a remboursé la plupart des avances faites et inversement, lorsque la société a reçu des avances du conseil de bande, il
les a remboursées. Environ 15 membres de la bande ont travaillé à l'exploitation forestière alors que les autres travaillaient à d'autres activités sociales de la société. Malheureusement, les pre- mières déclarations vérifiées pour l'année 1975 ne distinguaient pas clairement les opérations de l'ex- ploitation forestière des affaires de la bande. Une déclaration revisée en date du 31 mars 1976 a modifié les chiffres de 1975, et le ministère public a indiqué qu'il acceptait ces chiffres pour servir de base à la cotisation, mais même cela ne donne pas le détail bien que les déclarations subséquentes pour les années 1977 1981 indiquent séparément les chiffres relatifs à l'exploitation forestière. En réponse à la Cour qui demandait pourquoi les chiffres du revenu net indiquent une baisse drama- tique, partant d'un profit important en 1978 une perte réelle en 1979 et 1981 et à un faible revenu net en 1980, le chef a expliqué qu'il avait perdu les élections en 1978 et non seulement lui mais tous les administrateurs de la société avaient été rem- placés. Il en est résulté des opérations désastreuses pour la société et lorsqu'il a été réélu, la société devait environ 90 000 $ qu'elle a remboursés depuis. Il a déclaré que le ministère des Affaires indiennes avait très peu contribué à la plupart des programmes sociaux que la société a établis. Par exemple, en 1975, une plage a été aménagée près du lac pour permettre la natation et le parc a été doté de tables de pique-nique. Les administrateurs n'ont jamais reçu de salaire à ce titre, mais un administrateur qui travaillait comme contremaître à l'exploitation forestière a été rémunéré pour son travail et un autre l'a été pour tenir les livres de la société. Actuellement, la société a environ 72 employés, environ 49 l'exploitation forestière et 22 autres qui accomplissent d'autres travaux rémunérés par la bande.
Il a témoigné que la société a son siège social dans un édifice qui appartient à la bande et qu'elle paie une part du loyer et du chauffage. Le contrat de coupe de bois avec Northern Wood Preservers négocié par M. Belair et le conseil est un contrat type accordé à tous les exploitants forestiers.
John Belair, un professeur de science forestière à l'Université Lakehead, a une vaste expérience des opérations forestières, du transport du bois et de la gestion forestière puisqu'il a été 24 ans au
service de Boise Cascade à Kenora et à Fort Frances. En 1972, le ministère des Affaires indien- nes lui a demandé d'évaluer le travail accompli dans la réserve par les membres de la bande, dont certains travaillent à l'éclaircie des forêts. Il en a parlé avec le chef et a rencontré Esquega qui lui a dit qu'il se présenterait comme chef. Il a laissé entendre qu'en employant les ressources locales, la bande pouvait fournir de l'emploi à ses membres. Lorsqu'il est allé dans la réserve, il a constaté les méfaits de l'alcoolisme, la présence de rebuts, des voitures abandonnées ici et là, des bâtiments déla- brés, et un dépotoir qui était une horreur et d'où les papiers volaient au vent. On jouait au baseball dans la réserve mais il n'y avait pas un véritable terrain de baseball ni d'installations récréatives. Par la suite, il a collaboré avec le chef Esquega et le conseil pour demander la charte de la société qui devait être la clé pour obtenir les améliorations sociales souhaitées. Il estime qu'il y avait en 1975 environ 12 15 employés qui travaillaient directe- ment à l'exploitation forestière alors que les autres travaillaient pour la collectivité. Tous les jeudis pendant plus d'un an, il quittait l'université pour se rendre à la réserve et allait en forêt avec les bûcherons sans expérience qui avaient besoin de formation. Il apportait des films sur la coupe du bois, sur des expéditions ainsi que des dessins animés pour les enfants et donnait une représenta- tion le jeudi soir. La seule rémunération qu'il a reçue de la société couvrait ses dépenses. Le minis- tère des Affaires indiennes l'a payé pour faire une étude de faisabilité.
À sa connaissance, on a coupé du bois de chauf- fage pour les résidents âgés et on a fait des travaux sur les maisons et les écoles. Les vieilles automobi les sont disparues et un nouveau dépotoir a été aménagé. À l'origine, l'administrateur de la bande, qui avait la formation voulue, et la secrétaire de la bande qui l'assistait constituaient le personnel du bureau.
Plusieurs assemblées communautaires ont eu lieu avant la création de la société. Bien que le projet ait été accueilli avec enthousiasme, les trap- peurs et les guides qui travaillent dans les saisons de chasse et de pêche se sont montrés inquiets des dommages que l'exploitation de la forêt pouvait causer à l'environnement et à la faune. La chasse à l'orignal constituait une source de nourriture
importante pour la bande. Il a conclu que la coupe ne devait pas être faite de la manière convention- nelle sur de vastes étendues coupées à blanc mais qu'on devait plutôt employer la méthode dite de motif à damier, soit le déboisement d'étendues d'environ six acres adjacentes à des étendues de même dimension laissées intactes. Les droits de coupe de la région concernée appartiennent à Northern Wood Preservers (Saskatchewan) Limi ted, avec laquelle a été conclu un contrat qui permet à la demanderesse de faire la coupe et de vendre le bois à Northern Wood Preservers pour un prix établi au contrat. La région en question est peuplée en grande partie de pins gris que Northern Wood Preservers voulait d'une seule pièce pour en faire des poteaux téléphoniques. Great Lakes Paper Company, qui avait fourni un permis à la société, avait à l'époque un surplus d'inventaire de pin gris et Domtar, le seul autre exploitant dans la région, aurait accepté d'acheter du bois, mais le voulait en longueurs de huit pieds, et l'usine il fallait le transporter était éloignée. Il a témoigné que la délimitation des superficies de coupe est une tâche très ardue et que cette méthode exige plus de chemins. Dans une exploitation purement commer- ciale, on rase complètement tout un secteur, ce qui est plus rentable mais qui détruit la faune. Il a finalement augmenté de 6 acres à 10 acres la superficie des secteurs de coupe pour permettre de déplacer l'équipement plus facilement, mais envi- ron 50 % du bois a été épargné pour ne pas détruire la faune. Cette méthode a satisfait tout le monde, y compris les titulaires de permis de coupe. Il a témoigné qu'en raison de ses liens d'amitié avec M. Headley, le vice-président de Northern Wood Preservers (Saskatchewan) Limited, il a obtenu de cette société un contrat très avantageux. L'acheteur voulait d'abord que le bois soit livré à son usine, mais il a persuadé l'acheteur, puisqu'il avait l'équipement requis, de construire les che- mins et d'en déduire les coûts du prix initial. Il a également obtenu que Northern Wood Preservers transporte elle-même le bois moyennant une somme symbolique. En outre, il a pu convaincre l'acheteur de fournir les débusqueuses nécessaires et d'aider à former les opérateurs à la conduite et à l'entretien de ces machines. Une fois par semaine, un camion de service venait au chantier pour dispenser aux bûcherons qui conduisaient ces machines la formation pour les entretenir. Il a en outre persuadé Northern Wood Preservers d'écor-
cer le bois; si elle ne l'avait pas fait, il aurait fallu payer d'autres personnes pour le faire. Par consé- quent, la demanderesse fait valoir que le contrat avec Northern Wood Preservers était presque un contrat de charité, puisqu'elle n'aurait pu faire de tels profits et pratiquer une exploitation de manière à préserver l'environnement si Northern Wood Preservers n'avait pas été sympathique à l'aeuvre de la demanderesse dans la collectivité et ne lui avait pas accordé un contrat très généreux.
Concernant l'argument fondé sur l'alinéa 149(1)l) de la Loi, la demanderesse fait valoir que le but principal de la création de la société était de résoudre les problèmes qui se posaient sur la réserve et de créer des activités pour rassembler les fonds nécessaires à cette fin. La situation des membres (c.-à-d. les administrateurs) ne leur permet pas de toucher de bénéfices de la société. On a cité l'affaire St. Catharines Flying Training School Limited v. Minister of National Revenue' dans laquelle une disposition de la charte de l'ap- pelante lui interdisait de déclarer des dividendes bien que l'appelante ait été constituée en vertu de la Partie I de la Loi des Compagnies, 1934, du Canada [S.C. 1934, chap. 33] pour dispenser les notions élémentaires d'entraînement au vol de con cert avec le Plan d'entraînement aérien du Com monwealth britannique. La compagnie a réalisé des profits et le Ministre a fait valoir que puisque sa charte en faisait une compagnie commerciale et qu'elle n'était pas créée pour des objets non rému- nérateurs, ses profits étaient imposables. Le prési- dent Thorson a cependant conclu que le caractère non rémunérateur des objets ne signifie pas que la poursuite de ces objets ne peut jamais entraîner de profits mais simplement que les buts doivent être poursuivis sans intention de réaliser des profits. L'appelante ne pouvait conserver ou distribuer ses profits et elle n'exploitait pas une école sur une base commerciale en vue de réaliser des profits même s'il y a eu des profits. Lorsqu'il a examiné l'argument de l'alinéa 4h) (qui est devenu l'alinéa 149(1)l) bien qu'il soit rédigé différemment), le président Thorson a dit à la page 1235:
[TRADUCTION] L'avocat de l'intimé a fait valoir que l'alinéa 4h) ne s'applique aucunement à l'appelante parce qu'elle n'est pas un cercle ou une société et que le terme association exclut une compagnie constituée en vertu de la Partie I de la Loi des Compagnies, 1934, ce qu'est l'appelante. Cet argument n'est
' (1953), 53 DTC 1232 (C. de l'É.).
pas acceptable. Dans son sens ordinaire, le terme «association» est assez large pour comprendre une compagnie constituée.
Bien que l'article de la Loi sur lequel s'est appuyé le président ait employé les mots «objets non rému- nérateurs» alors que l'alinéa 149(1)1) actuel emploie les mots «ou d'exercer toute autre activité non lucrative», ses remarques à la page 1236 peu- vent être applicables. Il a dit:
[TRADUCTION] À mon avis, les objets en question doivent être des objets qui sont poursuivis sans intention de réaliser un profit, c'est-à-dire des objets autres que celui de faire un profit. Puisque c'est le sens de ce terme, je suis convaincu que l'appelante a été constituée et exploitée uniquement pour des objets non lucratifs. Elle avait pour objet de diriger une école qui dispense les notions élémentaires d'entraînement au vol à des futurs pilotes en vertu du Plan d'entraînement aérien du Commonwealth britannique. C'est pour cet objet qu'elle a été créée et exploitée et elle n'avait pas d'autre objet. Elle n'avait pas pour objet de réaliser des profits et elle a exercé ses activités sans aucune intention de réaliser des profits. Le témoi- gnage de M. Seymour en ce sens est explicite. Ce témoignage s'appuie en outre sur le fait que l'appelante ne pouvait pas conserver ses profits ou les distribuer à ses actionnaires ou à ses membres. Comment peut-on valablement dire qu'elle exerçait le commerce de diriger son école dans le but de réaliser des profits lorsqu'il lui était impossible de conserver ou de distri- buer les profits que pouvait lui rapporter la poursuite de ses objets? Poser cette question c'est donner la réponse.
Cette décision a été infirmée en partie en appel 2 on a conclu que, comme d'autres compagnies constituées en vertu de la Partie I de la Loi des Compagnies, 1934, un des objets de l'intimée était de réaliser des profits et que l'interdiction de déclarer des dividendes était limitée à une certaine période à l'expiration de laquelle les profits pou- vaient finalement être distribués. Cependant, les profits réalisés dans un deuxième contrat qui pré- voyait qu'ils ne seraient pas distribués mais conser- vés dans un compte de réserve jusqu'à l'expiration du contrat et qu'ils seraient par la suite versés à un aéro-club approuvé par le Ministre ou remis à la Couronne, n'étaient pas imposables. La situation de la demanderesse en l'espèce est beaucoup plus claire puisque, par sa charte, elle est un organisme sans but lucratif.
La demanderesse s'appuie en outre sur la déci- sion de la Commission d'appel de l'impôt dans
2 [1955] R.C.S. 738; 55 DTC 1145.
l'affaire Forest Lawn Cemetery Company v. Minister of National Revenue' dans laquelle l'ap- pelante indiquait un profit sur la vente de lopins, même si selon la loi provinciale en vertu de laquelle elle était constituée, ce profit ne pouvait être distribué aux actionnaires. La Commission a conclu qu'il s'agissait d'un organisme sans but lucratif qui visait uniquement des améliorations locales et que, par conséquent, elle n'était pas assujettie à l'impôt. En vertu de la Cemetery Com panies Act [R.S.B.C. 1924, chap. 39], des dividen- des n'avaient jamais été et ne pouvaient pas être déclarés.
Dans l'arrêt récent de la Cour suprême Com- missaire régional à l'évaluation et autre c. Caisse populaire de Hearst Ltée, rendu le 8 février 1983, maintenant publié à [1983] 1 R.C.S. 57, il ne s'agissait pas d'une affaire d'impôt sur le revenu mais de la question de savoir si, en vertu de The Assessment Act de l'Ontario [R.S.O. 1970, chap. 32], l'intimée, une caisse populaire, devait être assujettie à l'impôt à l'égard du bien-fonds qu'elle occupait et utilisait à des fins reliées à ses activités. Le juge McIntyre a dit, à la page 11 [page 64, Recueil des arrêts de la Cour suprême] de son jugement:
Le critère de l'objet prépondérant est fondé sur une détermi- nation du but d'une activité. Si l'objet prépondérant est la réalisation de profits, l'activité peut alors être considérée comme une entreprise. Si, par contre, l'objet prépondérant est différent et que la réalisation de profits s'y greffe accessoire- ment, il ne s'agit plus alors d'une entreprise.
Il a dit aux pages 20 et 21 [page 70, Recueil des arrêts de la Cour suprême]:
Bon nombre d'organismes de bienfaisance qui oeuvrent au sein de la collectivité et qui ont recours de temps à autre à des activités qu'on qualifierait de commerciales afin de réunir des fonds pour pouvoir remplir leurs objets, risqueraient, par l'ap- plication de pareil critère, d'être considérés comme des entre- prises. Attacher une importance primordiale à l'aspect commer cial d'une opération litigieuse ne constitue pas, à mon avis, un guide sûr ni utile. J'estime que le critère de l'activité commer- ciale est trop imprécis pour qu'il puisse être appliqué avec uniformité. Je suis d'accord que, pour décider si une activité peut être qualifiée d'entreprise au sens de l'al. 7(1)b) de The Assessment Act, il faut examiner et apprécier l'ensemble des facteurs pertinents qui s'y rapportent. Cependant, il faut les examiner et les apprécier pour déterminer non pas si, dans un sens général, l'opération est de nature commerciale ou revêt des aspects commerciaux, mais si elle a comme objet prépondérant la réalisation de profits. Si c'est le cas, il s'agit d'une entreprise; dans le cas contraire, ce n'en est pas une.
' (1952), 52 DTC 84 (Commission d'appel de l'impôt sur le revenu).
Le juge Dumoulin est allé beaucoup plus loin en ce sens dans l'affaire Minister of National Revenue v. Bégin 4 dans laquelle des citoyens en vue d'une ville du Québec ont mis sur pied une société pour vendre de la bière dans la collectivité et distribuer tous les profits à des fins d'oeuvres sociales, de charité, d'éducation et d'amélioration locale. L'en- tente précisait que les associés ne pouvaient retirer, ou conserver les sommes à distribuer et qu'en cas de dissolution de la société, tous les éléments d'ac- tif devaient être distribués à des fins charitables semblables. Le juge a conclu que l'association n'était pas assujettie à l'impôt puisque ni l'intimé ni ses associés n'ont reçu aucune partie des profits de la vente de bière; ils n'avaient aucun droit de réclamer les profits de la société.
La défenderesse veut faire une distinction avec cette affaire puisqu'en l'espèce, la demanderesse a effectivement reçu les profits de l'exploitation forestière. La demanderesse admet que si une société retire des profits d'une exploitation com- merciale, elle ne peut se soustraire à l'impôt en les versant en entier à des oeuvres de charité. Il y a des limites aux dons de charité que peut faire une société commerciale. En l'espèce cependant, la société ne fait pas simplement que remettre ses profits à d'autres mais elle poursuit elle-même activement les objets à caractère social pour les- quels elle a été constituée. De fait, ses employés consacrent probablement plus de 50 % de leur temps à ces activités.
Manifestement, bien qu'elle soit constituée à des fins charitables et que sa charte comporte une disposition portant qu'aucune part de ses revenus ne doit être versée pour le profit personnel de ses membres, la demanderesse ne pourrait pas néan- moins se prévaloir de l'exemption prévue à l'alinéa 149(1)g) puisque cet alinéa exige en outre que la société n'ait exploité aucune entreprise. Pour cette raison, la demanderesse n'invoque pas l'alinéa 149(1)g) mais plutôt l'alinéa 149(1)f) qui vise une «Oeuvre de charité» et non une «Corporation sans but lucratif» visée à l'alinéa 149(1)g). Dans l'af- faire St. Catharines Flying Training School, pré- citée, le président Thorson a conclu que le terme «association» est suffisamment large pour englober une compagnie constituée. Sous la rubrique «Orga- nisations sans but lucratif», l'alinéa 149(1)1) inclut
4 [1962] R.C.É. 159; 62 DTC 1099.
une «association» dont l'unique objet est d'assurer le bien-être social, les améliorations locales, d'oc- cuper les loisirs ou de fournir des divertissements, ou d'exercer toute autre activité non lucrative.
Dans l'affaire Peter Birtwistle Trust v. Minister of National Revenues, on a conclu qu'une institu tion charitable est un organisme créé pour pro- mouvoir un objet public de nature charitable et qui agit en ce sens; qu'une institution charitable se distingue clairement d'une oeuvre de bienfaisance ou d'une oeuvre de charité.
Dans l'affaire The King v. The Assessors of the Town of Sunny Brae 6 , les profits d'une buanderie qu'exploitait une communauté religieuse 'qui se consacrait à l'éducation des jeunes filles difficiles et des orphelins ont été déclarés imposables en dépit de la dissidence de trois juges. Cependant, le commentaire du juge Cartwright [tel était alors son titre], en dissidence, à la page 85 parait conve- nir particulièrement en l'espèce. Il a dit:
[TRADUCTION] Dans l'intention du législateur exprimée dans la Loi et dans les faits que révèlent les documents produits, l'exploitation de la buanderie, si importante soit-elle, est sim- plement accessoire aux fins charitables de l'appelante et à leur maintien. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une institution qui exploite un commerce et qui accessoirement accomplit divers travaux charitables ou qui verse ses profits à d'autres personnes qui les emploient à des fins charitables, mais plutôt d'une œuvre ou d'une institution dont toutes les fins principales sont purement charitables, qui se consacre activement à des œuvres de bienfaisance et qui, pour obtenir une partie des sommes requises pour poursuivre ses oeuvres de bienfaisance, exerce accessoirement un commerce en vertu des pouvoirs que la loi lui accorde.
Cette affaire concernait l'imposition municipale plutôt que l'impôt sur le revenu.
La défenderesse cite elle aussi une jurisprudence volumineuse. L'affaire Hutterian Brethren Church of Wilson c. La Reine', concernait les profits de l'exploitation d'une ferme par le contribuable. On a conclu que le contribuable exploitait une entre- prise agricole dans un but de profit, ce qui n'est pas une activité religieuse ou une activité de bien- faisance. Dans le jugement qu'il a rendu au nom de la Cour d'appel, le juge Pratte a dit à la page 5475 [page 759, Recueil des arrêts de la Cour fédérale]:
5 (1938), 1 DTC 419 (C. de l'É.).
6 [1952] 2 R.C.S. 76.
7 [1980] 1 C.F. 757; (1979), 79 DTC 5474 (C.A.).
La preuve démontre également que l'exploitation d'une entre- prise agricole à but lucratif fut l'activité principale de l'appe- lante durant les années en question et que la plus grande partie de ses actifs fut utilisée pour l'achat de terres et de matériel agricole. Il me paraît donc évident que l'appelante ne pouvait bénéficier de l'article 149(1)f) puisqu'elle ne consacrait pas toutes ses ressources à des activités de bienfaisance exercées par elle-même. Une entreprise agricole n'est ni une activité reli- gieuse ni une activité de bienfaisance; c'est une activité commerciale.
et plus loin:
Qui plus est, une activité commerciale telle une entreprise agricole à but lucratif ne devient pas une activité de bienfai- sance au sens de l'article 149 du seul fait qu'elle est exploitée par une œuvre de charité ayant l'intention d'utiliser les revenus provenant de cette entreprise à des fins de bienfaisance.
Cependant, il faut peut-être distinguer cette affaire puisque la Cour a souligné la page 759] qu'un des principaux objets pour lesquels l'appe- lante a été constituée était, selon ses statuts, [TRA- DUCTION] ade pratiquer l'agriculture, l'élevage et la meunerie sous toutes leurs formes», et qu'elle a conclu que c'était sa principale activité.
La même remarque s'applique à l'affaire Wood - ward's Pension Society v. Minister of National Revenue 8 dans laquelle la seule activité de l'appe- lante, un organisme sans but lucratif, consistait à acquérir des actions des compagnies exploitées par Woodward, de les vendre aux employés et de verser régulièrement les surplus aux fiduciaires désignés d'un régime de retraite pour alimenter la caisse de retraite. Le président Thorson a accepté l'argument que les dispositions d'exemption de la loi de l'impôt doivent être appliquées strictement conformément à la décision Lumbers v. The Minister of National Revenue 9 . Il a dit à la page 1260:
[TRADUCTION] L'article présuppose qu'un cercle, une société ou une association qu'il exempte de l'impôt doivent avoir uniquement un objet .non lucratif», c'est-à-dire un objet autre que celui de réaliser des profits. Cette condition essentielle ne se retrouve pas en l'espèce.
et plus loin à la même page:
[TRADUCTION] La mobilisation de fonds était son objet princi pal et à cette fin, savoir la mobilisation de fonds, elle s'appli- quait à faire le commerce des actions des diverses sociétés Woodward qu'elle achetait et vendait et ce commerce devait lui procurer des fonds pour lui permettre de fournir l'aide pécu- niaire nécessaire; l'activité véritable de l'appelante avait donc
8 (1959), 59 DTC 1253 (C. de l'É.).
9 [1943] R.C.É. 202.
un but lucratif. Son activité n'était manifestement pas «non lucrative» au sens de l'expression «tout autre objet non rémunérateur».
De toute évidence, les faits sont différents en l'es- pèce puisque la mobilisation de fonds n'est pas l'objet principal de la société, et sa charte ne mentionne aucunement l'exploitation forestière.
La défenderesse souligne que l'alinéa 149(1)l) exige que le cercle, la société ou l'association aient pour unique objet d'assurer le bien-être social, les améliorations locales, d'occuper les loisirs ou de fournir des divertissements, ou d'exercer toute autre activité non lucrative. Elle cite l'arrêt British Launderers' Research Association v. Central Middlesex Assessment Committee and Hendon Rating Authority 10 dans lequel lord Denning a dit à la page 23:
[TRADUCTION] Selon les termes de la loi et la jurisprudence, une chose est claire. Le terme «exclusivement» doit avoir tout son effet. Il ne suffit pas que la société soit constituée «surtout», «essentiellement» ou «principalement» à des fins scientifiques, littéraires ou artistiques. Elle doit être constituée «exclusive- ment» à ces fins.
Dans l'arrêt Hutterian Brethren Church (précité), le juge Ryan a dit à la page 5478 (page 766, Recueil des arrêts de la Cour fédérale):
Je suis toutefois convaincu que la seule conclusion à tirer de la preuve devant nous est que les fins commerciales de la société n'étaient pas entièrement subordonnées à une fin religieuse. La société avait un objet commercial aussi bien que religieux— exploiter un établissement agricole à caractère commercial— qu'elle poursuivait sur une grande échelle et de façon rentable. Les motifs des personnes qui s'adonnaient à l'agriculture pou- vaient fort bien être religieux. Mais l'entreprise agricole elle- même était exploitée par la société comme une entreprise commerciale. Aucun de ses membres n'avait, il est vrai, le droit de participer directement aux bénéfices. Ceux-ci restaient tou- tefois à la disposition de la société pour la poursuite de ses objectifs religieux et commerciaux. L'on ne peut donc vraiment dire que toutes les ressources de la société concernée étaient consacrées à des activités de bienfaisance exercées par elle- même, même si l'on admet que ses objectifs religieux étaient, aux fins de la loi, des activités de bienfaisance.
Il est évident qu'en l'espèce, les opérations forestiè- res de la demanderesse étaient considérables et fournissaient des revenus importants dont une bonne partie est encore disponible, de sorte que ces remarques pourraient s'y appliquer; mais comme je l'ai déjà souligné, l'exploitation agricole était un des objets énoncés aux statuts de l'Église, alors qu'en l'espèce, la charte ne mentionne aucune
10 [1949] 1 All E.R. 21 (C.A. Angl.).
exploitation commerciale. À mon avis, il s'agit d'une distinction importante.
Au cours du débat, il y a eu une discussion générale sur la manière suivant laquelle le Minis- tère traite les activités telle la vente de cartes de Noël et de calendriers par l'UNICEF ou la vente de pommes, de bonbons, de gâteaux de Noël et d'arbres de Noël par des organismes comme les cercles Rotary et Kiwanis pour rassembler des fonds pour leurs activités de bienfaisance, et on a admis d'emblée qu'il serait peu probable qu'on réclame un impôt sur les bénéfices tirés de ces activités, bien qu'elles soient souvent très profita- bles et qu'elles fassent souvent concurrence aux commerces qui s'adonnent à ces mêmes activités.
La véritable question en l'espèce paraît être que la société n'a pas été constituée, comme l'indique sa charte, pour exploiter une activité commerciale bien qu'il soit manifeste que la société a été consti- tuée parce qu'il était souhaitable de fournir de l'emploi et une formation aux chômeurs indiens de la réserve par l'exploitation d'une activité commer- ciale susceptible non seulement de fournir ces emplois mais de rassembler des fonds pour les activités sociales et de bienfaisance nécessaires dans la réserve. Cependant, il était plus commode de poursuivre cette activité par l'intermédiaire d'une société que de permettre au conseil de bande d'essayer de le faire. Les élections modifient à l'occasion la composition du conseil de bande et différentes factions dans la bande ont des buts différents et, bien que la société elle-même n'ait pas été à l'abri de la politique, comme le montre ce qui s'est produit lorsque le chef Esquega a, pen dant une courte période, été remplacé par un autre chef avec son équipe, il était néanmoins plus prati- que de former une société qui négocie avec la compagnie pour laquelle le bois était coupé. Si le conseil de bande lui-même avait dirigé l'exploita- tion forestière, il est peu probable qu'on eût tenté d'imposer les profits de l'entreprise. La politique du ministère des Affaires indiennes est manifeste- ment d'encourager les bandes indiennes à devenir autosuffisantes et à améliorer le niveau de vie et les conditions sociales dans la réserve; la preuve en l'espèce établit clairement des progrès marqués dans l'amélioration des conditions de vie dans la réserve par les travaux accomplis par les employés de la société avec les sommes qui proviennent des
opérations forestières; on a en outre fourni des emplois rémunérateurs aux membres de la réserve qui seraient sans cela à la charge du bien-être social.
Je ne crois pas que, parce qu'une société a été constituée à ces fins, cela doive modifier l'assujet- tissement à l'impôt sur le revenu.
Les activités sociales et les activités de bienfai- sance de la demanderesse ne sont pas un prétexte pour éviter de payer l'impôt sur une entreprise commerciale mais sont les objets véritables de la société.
Bien que la jurisprudence dans ce domaine diffi- cile ait fourni des solutions variées selon les faits applicables dans chaque cas, je conclus qu'en l'es- pèce, que ce soit l'alinéa 149(1)f) ou l'alinéa 149(1)1) qui s'applique, l'appel de la demanderesse doit être accueilli. L'objet visé à l'alinéa 149(1)1) est «l'unique» objet de la société conformément à sa charte, même si elle se procure les fonds à cette fin par l'exploitation commerciale des ressources forestières.
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