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T-8069-82
Carling Breweries Limited (appelante) c.
Molson Companies Limited —Les Compagnies Molson Limitée et Registraire des marques de commerce (intimés)
Division de première instance, juge Strayer — Ottawa, 21, 22 mars et 13 avril 1984.
Marques de commerce Appel est interjeté de l'enregistre- ment du mot «Canadian» comme marque de commerce dési- gnant une marque particulière de bière Même si l'art. IO de la Loi n'a pas été soulevé au cours des procédures d'opposi- tion, le registraire a considéré que ledit art. 10 n'empêchait pas l'enregistrement Même si un tribunal devrait s'abstenir de se prononcer sur les questions de droit qui reposent sur des faits non allégués, l'art. 10 est un motif d'appel accessoire puisque le registraire a conclu à juste titre que l'opposante ne s'est pas acquittée de l'obligation d'établir l'existence d'une «pratique commerciale ordinaire et authentique» par laquelle le mot «Canadian» est reconnu comme désignant le lieu d'ori- gine de la bière avant 1959 Suivant l'art. 12(1)b), le mot «Canadian», prima fade, n'est pas enregistrable parce qu'il décrit le lieu d'origine de la bière L'art. 12(2) prévoit une exception lorsque le requérant a employé la marque d'une manière telle qu'elle est devenue distinctive du produit à la date de la production de la demande d'enregistrement L'affirmation du juge dans l'arrêt E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Limited voulant que la date du dépôt de l'oppo- sition soit la date pertinente constitue une opinion incidente Il faut faire une distinction entre cet arrêt et l'espèce parce que l'opposition y est fondée sur l'art. 37(2)d) (le caractère distinc- tif) et non sur l'art. 37(2)b) (la possibilité d'enregistrer) Il incombait à la requérante/intimée de prouver que le mot «Canadian» est devenu distinctif de sa bière Le registraire a commis une erreur en affirmant qu'il appartenait à l'opposante de prouver que la marque n'était pas visée par l'art. 12a) Même si le registraire a conclu que la requérante a prouvé le caractère distinctif de la marque, son erreur au sujet du fardeau de la preuve peut avoir influencé sa décision La requérante ne s'est pas acquittée de l'obligation de prouver le caractère distinctif Appel accueilli Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 10, 12(1)b),(2), 29, 36(1), 37(2)b),d),(3)a).
L'intimée a présenté une demande d'enregistrement du mot «Canadian» comme marque de commerce pour l'une de ses marques de bière. L'appelante s'est opposée à la demande d'enregistrement pour le motif que le mot «Canadian» ne distinguait pas les marchandises de la requérante et, en particu- lier, que cette dernière n'avait pas satisfait aux exigences du paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce en ce qui concerne la nécessité de prouver le caractère distinctif. Bien que la déclaration d'opposition ne faisait nullement mention de l'article 10 de la Loi, le registraire a statué que ledit article 10 ne s'appliquait pas pour empêcher l'enregistrement et que le caractère distinctif du mot «Canadian» avait été démontré de manière suffisante. L'appelante allègue que le registraire a commis une erreur en ne concluant pas que le mot «Canadian»
était devenu reconnu comme désignant le lieu d'origine des marchandises et violait, par conséquent, l'article 10; qu'il a omis de reconnaître une valeur probante suffisante à la preuve de l'emploi par un autre brasseur d'une clause de garantie comportant l'usage du mot «Canadian», et qu'il a commis une erreur en concluant que la preuve soumise par l'intimée était suffisante pour démontrer le caractère distinctif.
Arrêt: l'appel est accueilli. La question de l'application de l'article 10 n'a pas été débattue devant le registraire qui a néanmoins examiné cette question dans sa décision. Il peut arriver qu'un tribunal de première instance invoque des princi- pes de droit qu'on ne lui a pas fait valoir; il devrait toutefois appliquer ces principes aux faits tels qu'ils ont été allégués et établis. Lorsque les allégations essentielles n'ont pas été soule- vées, le tribunal devrait s'abstenir de se prononcer sur les questions de droit qui reposent sur ces faits, tout comme devrait le faire la juridiction d'appel dans un appel ultérieur. La question de l'application de l'article 10 a peut-être été soumise à tort au registraire ou à la Cour. De toute façon, le registraire a eu raison de conclure que l'opposante n'a pas démontré d'une manière suffisante que l'article 10 empêchait l'enregistrement de la marque de commerce de la requérante. L'opposante ne s'est pas acquittée de l'obligation de prouver l'existence d'une «pratique commerciale ordinaire et authentique» par laquelle le mot «Canadian» est devenu reconnu comme désignant le lieu d'origine de la bière en 1959 et avant cette année.
Le mot «Canadian» décrit clairement le lieu d'origine d'une bière fabriquée au Canada. Cette marque n'est pas, prima facie, enregistrable suivant l'alinéa 12(1)b), à moins qu'on puisse y appliquer le paragraphe 12(2) parce que l'intimée l'aurait employée d'une manière telle qu'elle serait devenue distinctive de son produit à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant. Bien que le juge ait fait remarquer dans l'arrêt E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Limited que l'époque pertinente pour les fins d'une opposition fondée sur l'alinéa 37(2)d) portant que «la marque de commerce n'est pas distinctive» est la date du dépôt de l'opposition, il semble qu'il s'agissait d'une opinion incidente. De plus, cette opinion se rapportait à l'alinéa 37(2)d) et non à l'alinéa 37(2)b) qui porte que «la marque de commerce n'est pas enregistrable».
Le registraire a conclu que le fardeau de la preuve quant au caractère distinctif incombait à l'opposante. La décision du registraire de faire annoncer, comme le prévoit le paragraphe 36(1), la demande d'enregistrement n'équivalait pas à conclure que la marque de commerce était enregistrable; elle signifiait simplement qu'il n'était pas convaincu que la marque n'était pas enregistrable. Il est alors possible d'avoir recours à l'alinéa 37(2)b) comme motif d'opposition en soutenant que la marque n'est pas enregistrable puisqu'elle n'est pas visée par l'exception contenue au paragraphe 12(2). Il incombe à la requérante/inti- mée de prouver que la marque «Canadian» est devenue distinc tive de la marque particulière de bière à la date de la produc tion de la demande d'enregistrement comme le prévoit le paragraphe 12(2). Bien que le registraire ait conclu que la requérante avait établi le caractère distinctif de la marque, ses conclusions ont pu être influencées par son opinion sur la question de savoir qui avait le fardeau de la preuve. La charge de la requérante était lourde, en particulier parce que le mot «Canadian» est un adjectif dont le rôle consiste principalement à décrire tout citoyen de ce pays ou tout produit ayant son lieu
d'origine au Canada. La requérante ne s'est pas acquittée de l'obligation de démontrer que le mot «Canadian» est devenu si distinctif de son produit qu'il a acquis une signification secon- daire que le public ne confondrait pas avec son sens premier.
La preuve constituée par un sondage indiquant que, dans la plupart des cas, lorsque les buveurs de bière demandaient une «Canadian» dans les bars, on leur servait une «Canadian» de Molson n'était pas satisfaisante parce que les personnes choisies pour l'échantillonnage étaient «des professionnels habitués à répondre à des indications incomplètes et qui représentent donc la mauvaise partie de la population». La preuve que le mot «Canadian» est employé pour établir une distinction entre les bières de fabrication nationale et les bières importées amoindrit le mérite de la prétention voulant que dans le domaine de la bière, le mot «Canadian» ait acquis une signification secondaire, généralement reconnue, servant à identifier une marque de bière vendue par Molson.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Limited, [1976] 2 C.F. 3; 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Crush International Ltd. v. Canada Dry Ltd. (1979), 59 C.P.R. (2d) 82 (Com. d'opp. M. C.); Leco Industries Ltd. v. W. R. Grace & Co. (1980), 62 C.P.R. (2d) 102 (Com. d'opp. M. C.); American Cigarette Co. S.A. (Canada) Ltd. v. Macdonald Tobacco Inc. (1978), 39 C.P.R. (2d) 116 (reg.); The Canadian Shredded Wheat Co., Ld. v. Kellogg Co. of Canada Ld. et al. (1938), 55 R.P.C. 125 (P.C.); J.H. Munro Limited v. Neaman Fur Company Limited, [1946] R.C.É. 1; 5 Fox Pat. C. 194; Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Uphol stering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1" inst.); Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1.
AVOCATS:
Donald F. Sim, c.r. et Toni Poison Ashton pour l'appelante.
John S. Macera et Andrew K. Jarzyna pour les intimés.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour l'appelante. Macera & Jarzyna, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Les faits
Le 10 décembre 1971, l'intimée a déposé devant le registraire des marques de commerce une demande d'enregistrement comme marque de com-
merce du mot «Canadian». Elle a allégué, et il semble que son allégation n'a pas été réfutée, qu'elle utilise cette marque depuis novembre 1959 pour désigner l'une des marques de bière qu'elle produit et vend. La demande a été annoncée en temps opportun dans le Trade Marks Journal pour le 25 décembre 1974. L'intimée a déposé une déclaration d'opposition le 13 février 1975. Cette déclaration portait que le mot «Canadian» ne dis- tinguait pas les marchandises de la requérante et, en particulier, que cette dernière n'avait pas satis- fait aux exigences du paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10] en ce qui concerne la nécessité de démontrer le caractère distinctif de la marque.
Le président de la commission des oppositions en matière de marques de commerce a rendu la déci- sion au nom du registraire le 12 août 1982. Cette décision est maintenant publiée dans 70 C.P.R. (2d) 154. Bien que la déclaration d'opposition ne contenait aucune mention précise de l'article 10 de la Loi sur les marques de commerce, le président de la commission a considéré que l'application de cet article ainsi que celle du paragraphe 12(2), qui était mentionné dans la déclaration d'opposition, pouvait constituer l'un des points en cause. Il a statué que l'article 10 ne s'appliquait pas pour empêcher l'enregistrement de la marque de com merce, et il a en outre conclu que la requérante avait démontré de manière suffisante le caractère distinctif du mot «Canadian» utilisé en liaison avec ses marchandises, ou que ce caractère n'avait pas été contesté d'une manière suffisante, de sorte que son enregistrement était justifié par le paragraphe 12(2) ou d'autres circonstances.
L'appelante a interjeté appel de la décision rendue par le président de la commission au nom du registraire (ci-après appelé simplement «le registraire») pour les motifs suivants:
(i) le registraire a commis une erreur en ne concluant pas que le mot «Canadian» était devenu reconnu au Canada comme désignant les marchandises et violait, par conséquent, l'article 10 de la Loi sur les marques de commerce;
(ii) le registraire a commis une erreur en refu- sant de reconnaître une valeur probante suffi-
sante à la preuve de l'emploi par un autre brasseur au Canada d'une clause de garantie comportant l'usage du mot «Canadian» sur des emballages, et
(iii) le registraire a commis une erreur en con- cluant que la preuve soumise par Molson était suffisante pour démontrer le caractère distinctif.
Les conclusions
(1) L'article 10—Cet article prévoit:
10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandi- ses ou services, nul ne doit l'adopter comme marque de com merce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l'employer d'une manière sus ceptible d'induire en erreur, et nul ne doit ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les confondre.
À mon avis, cet article n'a pas été soulevé de la manière appropriée au cours des procédures d'op- position. On ne s'attend pas à ce que soient invo- quées dans ces procédures les règles techniques des plaidoiries, mais l'alinéa 37(3)a) de la Loi exige que la déclaration d'opposition indique des motifs de l'opposition, avec détails suffisants pour per- mettre au requérant d'y répondre». L'équité exige avant tout que chaque partie soit adéquatement informée des arguments qu'elle doit réfuter. Il sera peut-être nécessaire de prouver d'autres faits pour démontrer que la marque en question est ou n'est pas visée par les interdictions prévues à l'article 10. Ces faits peuvent bien être différents de ceux qui sont essentiels à l'application du paragraphe 12(2): par exemple, les dates décisives auxquelles la marque est devenue connue du public peuvent être différentes dans les deux cas.
Il apparaît que la question de l'application de l'article 10 n'a pas été débattue devant le regis- traire. Celui-ci a cependant examiné cette question dans sa décision. C'est probablement pour cette raison que l'appelante a mentionné précisément cette même question dans son avis d'appel. Il est douteux que la Cour doive examiner cette question dans les circonstances. Il peut arriver qu'un tribu nal de première instance invoque des principes de droit qu'aucune des parties n'a fait valoir; il devrait toutefois appliquer ces principes aux faits tels qu'ils ont été allégués et établis. Lorsque les
allégations essentielles n'ont pas été soulevées, le tribunal devrait s'abstenir de se prononcer sur les questions de droit qui reposent sur ces faits, tout comme devrait le faire la juridiction d'appel dans un appel ultérieur. Par conséquent, l'application de l'article 10 ne constituait au mieux qu'une ques tion accessoire et a peut-être été soumise à tort au registraire ou à cette Cour.
De toute façon, comme l'a conclu le registraire, je suis d'avis que l'opposante n'a pas démontré d'une manière suffisante que l'article 10 empêchait l'enregistrement de la marque de commerce de la requérante. Il faut d'abord remarquer que la date pertinente pour déterminer la «pratique commer- ciale ordinaire et authentique» de la marque aux fins de l'article 10 serait la date à laquelle la requérante a commencé à l'employer pour la pre- mière fois, c'est-à-dire au mois de novembre 1959. (Voir Crush International Ltd. v. Canada Dry Ltd. (1979), 59 C.P.R. (2d) 82, la page 88 (Com. d'opp. M. C.); Leco Industries Ltd. v. W. R. Grace & Co. (1980), 62 C.P.R. (2d) 102, la page 109 (Com. d'opp. M. C.).) À mon avis, il appartenait à l'opposante de prouver que l'article 10 s'appliquait à la marque de la requérante. L'article 10 fournit un moyen de contester une marque de commerce par ailleurs enregistrable, et pour démontrer que cet article s'applique, il est nécessaire de prouver l'existence d'une «pratique commerciale ordinaire et authentique» par laquelle la marque devient reconnue «comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ... de marchandises ou services». En l'espèce, le litige portait principalement sur le «lieu d'origine». Je suis d'accord avec le registraire que, dans la preuve à l'appui de son opposition, l'opposante n'a pas démontré de manière suffisante un tel emploi de la marque «Canadian» en 1959 et avant cette année, et que cette marque était manifestement reconnue au Canada comme désignant le lieu d'origine de la bière ou d'une bière en particulier. Les nouveaux éléments de preuve déposés par l'ap- pelante dans le présent appel ne l'ont pas établi non plus: en fait, dans la mesure je peux me prononcer, aucun de ces éléments ne se rapporte à l'année 1959 ou aux années antérieures et la plu- part d'entre eux portent plutôt sur la fin des années soixante, les années soixante-dix et quatre-vingt.
(2) L'alinéa 12(1)b) et le paragraphe 12(2)— Ces dispositions prévoient:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable si elle ne constitue pas
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire, soit une description fausse et trompeuse, en langue anglaise ou française, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui y sont employées, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;
(2) Une marque de commerce qui n'est pas enregistrable en raison de l'alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant.
Il est constant que la marque «Canadian» décrit maintenant clairement le lieu d'origine d'une bière fabriquée au Canada. Par conséquent, cette marque, prima facie, n'est pas enregistrable, à moins qu'on puisse y appliquer le paragraphe 12(2) parce que l'intimée l'aurait employée d'une manière telle qu'elle serait devenue distinctive de son produit à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant, c'est-à- dire le 10 décembre 1971.
Selon moi, cela constituait le principal point en litige au cours des procédures d'opposition et cela constitue la question centrale du présent appel. Il faudrait considérer que l'opposition repose essen- tiellement sur le motif prévu à l'alinéa 37(2)b), c'est-à-dire que «la marque de commerce n'est pas enregistrable». Comme je l'ai fait remarquer, cette marque ne peut a priori être enregistrée en raison de l'alinéa 12(1)b), à moins qu'on puisse démon- trer qu'elle était devenue distinctive «à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant». Par conséquent, l'époque pertinente en l'espèce pour l'application de l'alinéa 37(2)b) est la date de la production de la demanded'enre- gistrement. Je sais que dans l'arrêt E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Limited, [1976] 2 C.F. 3 (C.A.), à la page 7; 25 C.P.R. (2d) 126, la page 130, le juge Thurlow (alors juge puîné) a déclaré au nom de la Cour d'appel que l'époque pertinente pour les fins d'une opposition fondée sur l'alinéa 37(2)d) portant que «la marque de commerce n'est pas distinctive» est la date du dépôt de l'opposition. Il semble qu'il s'agissait cependant d'une opinion
incidente puisqu'il a ajouté que, dans ce cas, peu importait la date choisie. En outre, étant donné que cette opinion se rapportait à l'alinéa 37(2)d) et non à l'alinéa 37(2)b), je ne crois pas qu'elle soit déterminante en l'espèce. Lorsque la possibilité d'enregistrer une marque dépend du critère prévu au paragraphe 12(2) voulant que la marque soit «distinctive à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant», je ne vois pas comment son caractère distinctif à la date de la production d'une déclaration d'opposition pourrait être déterminant s'il existait, en fait, une différence dans son caractère distinctif à ces deux dates.
Il est peut-être important de souligner que le point principal en litige dans le présent appel est le paragraphe 12(2) car, comme l'a soutenu avec vigueur l'avocat de l'intimée, le registraire avait déjà conclu, en vertu du paragraphe 12(2), à l'exis- tence d'un caractère distinctif à la date de la demande d'enregistrement et une telle conclusion ne pouvait faire l'objet des procédures d'opposition ni du présent appel. Il a en outre prétendu que le seul autre fondement légal sur lequel l'opposition pouvait reposer était l'alinéa 37(2)d). Il m'a invité à tirer certaines conclusions, à partir de ces élé- ments, quant au fardeau de la preuve et aux faits pertinents (il a soutenu que, compte tenu de l'arrêt Andres précité, la date pertinente de l'existence du caractère distinctif était celle de la production de l'opposition). Il semble que dans sa décision, le registraire soit arrivé aux conclusions qu'on a fait valoir devant moi, savoir que le fardeau de la preuve quant au caractère distinctif incombait à l'opposante/appelante et que la date pertinente pour la vérification du caractère distinctif était celle de la production de l'opposition. Après avoir examiné la Loi, je suis convaincu que ce n'est pas le cas. Lorsqu'une demande d'enregistrement est déposée conformément à l'article 29, le registraire doit l'examiner et rendre ensuite une décision sui- vant le paragraphe 36(1). En vertu de ce paragra- phe, il est placé devant l'alternative suivante: refu- ser la demande s'il est convaincu que la marque n'est pas enregistrable, ou s'il n'est pas convaincu qu'elle n'est pas enregistrable, faire annoncer la demande. La décision de faire annoncer une demande n'équivaut pas à conclure qu'une marque de commerce est enregistrable; elle signifie simple- ment que le registraire n'est pas convaincu que la
marque West pas enregistrable. Par conséquent, le fait que la marque de commerce soit annoncée n'indique pas une décision affirmative quant à son caractère enregistrable par rapport au paragraphe 12(2). Il est alors possible d'avoir recours à l'alinéa 37(2)b) comme motif d'opposition à la demande en invoquant que la marque n'est pas enregistrable puisqu'elle n'est pas visée par l'exception contenue au paragraphe 12(2). Ce paragraphe crée une exception à la règle générale énoncée à l'alinéa 12(1)b) voulant, comme c'est le cas en l'espèce, qu'une marque qui constitue une description du lieu d'origine du produit, prima facie, ne soit pas enregistrable. Comme c'est le cas chaque fois qu'une partie souhaite tirer avantage d'une excep tion prévue dans la loi, il appartient à cette partie de démontrer qu'elle est visée par cette exception. Il incombe donc en l'espèce à la requérante/inti- mée de prouver que la marque «Canadian» était devenue distinctive de la marque particulière de bière qui porte ce nom à la date de la production de la demande d'enregistrement, savoir le 10 décembre 1971. (Voir en général American Ciga rette Co. S.A. (Canada) Ltd. v. Macdonald Tobacco Inc. (1978), 39 C.P.R. (2d) 116, aux pages 119 et 120 (reg.); Goldsmith, Trade Marks and Industrial Designs, 32 C.E.D. (Ont. 3rd), paragraphe 119.) J'ai insisté de façon particulière sur la question du fardeau de la preuve parce que, dans sa décision sur l'espèce, le registraire a déclaré à plusieurs reprises qu'il était d'avis qu'il n'appartenait pas à la partie qui demande l'enre- gistrement de la marque de prouver que celle-ci était visée par le paragraphe 12(2), mais qu'il revenait plutôt à l'opposante de démontrer le con- traire (voir la décision du registraire, 70 C.P.R. (2d) 154, aux pages 164, 168, 176 et 177). Bien que le registraire ait conclu que la requérante avait néanmoins établi de manière satisfaisante le carac- tère distinctif de la marque, ses conclusions ont pu être influencées dans une certaine mesure par son opinion sur la question de savoir qui avait en réalité le fardeau de la preuve.
Non seulement j'estime qu'il appartient plutôt à la requérante d'établir le caractère distinctif au sens du paragraphe 12(2), mais je crois également qu'il s'agissait d'une charge très lourde étant donné la nature de la marque «Canadian». Il existe de nombreux arrêts selon lesquels lorsqu'il faut démontrer qu'un terme habituellement descriptif a
acquis une seconde signification de sorte qu'il décrit un produit particulier, la charge est en vérité très lourde: voir, par exemple, The Canadian Shredded Wheat Co., Ld. v. Kellogg Co. of Canada Ld. et al. (1938), 55 R.P.C. 125, la page 142 (P.C.); J.H. Munro Limited v. Neaman Fur Company Limited, [1946] R.C.É. 1, aux paies 14 et 15; 5 Fox Pat. C. 194, la page 208. A mon avis, c'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit d'un mot tel que «Canadian» qui, d'abord et avant tout, tant au point de vue légal qu'au point de vue réel, est un adjectif décrivant tout citoyen de ce pays et, plus particulièrement pour les fins de l'espèce, toute sorte de produit y ayant son lieu d'origine. Joint au mot «bière», il peut décrire toute bière produite au Canada par n'importe lequel brasseur. Comme je l'ai fait remarquer plus haut, il appar- tient à la requérante de l'enregistrement d'une telle marque de démontrer clairement que le mot est devenu si distinctif de son produit qu'il a acquis une signification secondaire que le public concerné ne confondrait habituellement pas avec son sens premier.
Je ne suis pas convaincu que la requérante/inti- mée se soit acquittée de cette charge. Encore une fois, il ne faut pas oublier qu'il ressort de ce j'ai dit plus haut que la date pertinente pour démontrer que la marque avait acquis un caractère distinctif est le 10 décembre 1971. À mon avis, les seuls éléments de preuve auxquels il faut accorder beau- coup d'importance sont ceux qui ont trait à la perception que le public avait de la marque aux environs de 1971. Les principaux éléments de preuve pertinents étaient les documents déposés avec la demande et comprenant l'affidavit de M. Thomas King de la société International Surveys Limited en ce qui concerne un sondage effectué par sa société en 1971 et 1972 auprès d'un échan- tillon de vendeurs de bière, ainsi que les quelque 59 affidavits de personnes travaillant dans le domaine de la vente de bière, tels que des gérants de bars, des serveurs et des serveuses, etc. Le sondage a été principalement effectué dans quelques agglomérations urbaines et, dans la plu- part des cas, dans des endroits la bière est consommée sur place, par opposition aux endroits la bière est vendue pour être consommée à l'extérieur des lieux de vente. Le sondage a indiqué que, dans la plupart des cas, lorsque les enquêteurs demandaient une «Canadian», on leur servait une
bière de cette marque brassée par Molson. De même, les affidavits provenaient principalement de personnes engagées dans la vente sur les lieux mêmes, et ils portaient en général que lorsque les clients demandaient à ces mêmes personnes une «Canadian», elles leur servaient une bière Molson portant cette marque. Ils indiquaient également qu'un pourcentage élevé de consommateurs de cette marque de bière la demandaient en utilisant le nom «Canadian», ou parfois, l'expression [TRA- DUCTION] «une "Canadian" de Molson». Bien que ces éléments de preuve aient une certaine valeur, je ne les trouve pas convaincants. L'appelante/oppo- sante a déposé, au cours des procédures dont le registraire a été saisi, l'affidavit de Charles S. Mayer, professeur de marketing à l'université York et spécialiste des études de marché. Il a analysé, dans son affidavit, un sondage similaire effectué au nom de la requérante/intimée en 1977 (voir l'affidavit de Rolfe Schliewen, daté du 5 août 1977) et il a fortement critiqué la méthode suivie pour ce sondage qui, semble-t-il, reposait volontai- rement et essentiellement sur les mêmes fonde- ments que celui effectué en 1971-1972. Parmi les points faibles de ce sondage, il a fait remarquer que l'échantillonnage n'était pas représentatif et que les personnes interrogées étaient [TRADUC- TION] «des professionnels habitués à répondre à des indications incomplètes et qui représentent donc la mauvaise partie de la population». Il affir- mait en fait que pour vérifier si un mot descriptif distingue réellement un certain produit, il est nécessaire d'interroger dans un sondage les person- nes qui utilisent ledit produit, et que cela n'avait pas été fait. J'estime qu'il s'agit d'une critique révélatrice des deux sondages, et même si je me trompais en concluant que la date pertinente pour établir le caractère distinctif était le 10 décembre 1971 plutôt que le 13 février 1975, date de la production de l'opposition, je crois que le résultat serait le même. La principale preuve de l'existence du caractère distinctif en 1975 serait probablement le sondage effectué en 1977, mais ce dernier con- tient les mêmes faiblesses que le précédent.
Je devrais également mentionner que l'appe- lante/opposante a amené un bon nombre d'élé- ments de preuve démontrant que l'emploi courant au Canada du mot «Canadian» dans le domaine de la vente de la bière au détail sert à établir une distinction entre les marques de bière de fabrica-
tion nationale et celles de bières importées. Ainsi, comme la preuve l'a révélé, il est fréquent que les régies des alcools des provinces et les restaurants inscrivent les différentes bières sous les rubriques «Canadian» («canadiennes») et «imported» («impor- tées»). Bien que, à mon avis, cela ne prouve pas nécessairement que le mot «Canadian» ait un sens exclusif, établissant une distinction entre les bières de fabrication nationale et les bières importées, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un emploi fré- quent du terme «Canadian» en liaison avec des bières. On peut à tout le moins affirmer qu'il amoindrit le mérite de la prétention de la requé- rante/intimée que, dans le domaine de la bière, le mot «Canadian» a acquis une signification secon- daire, généralement reconnue, servant à identifier une marque de bière vendue par Molson.
Bien que je rejette avec une certaine hésitation les conclusions de fait du registraire à ce sujet, j'estime que, lorsque l'appel porte sur les conclu sions de fait et non sur la justesse de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par le registraire, j'ai le devoir de former ma propre opinion sur les faits: voir Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 (C.F. l e inst.); Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corpora tion, [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1.
Je conclus que la requérante ne s'est pas acquit- tée de l'obligation de démontrer le caractère dis- tinctif de la marque «Canadian» dans le présent contexte et que, par conséquent, cette marque n'est pas enregistrable selon la demande présentée. J'ac- cueillerais donc l'appel avec dépens.
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