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T-2644-84
Jim Pattison Industries Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
et
T-2724-84
Mediacom Industries Inc. et Mediacom Inc. (demanderesses)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé—Van- couver, 9 et 11 janvier 1985.
Droit constitutionnel Charte des droits Fouilles, per- quisitions ou saisies En 1976, la défenderesse, se fondant sur l'art. 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coali tions, a saisi des documents appartenant aux demanderesses et en a gardé des copies La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. que, depuis le 17 avril 1982, les art. 10(1) et (3) de la Loi sont inopérants parce qu'ils sont incompatibles avec l'art. 8 de la Charte L'utili- sation actuelle des renseignements contenus dans lesdits docu ments ne contrevient pas aux droits des demanderesses garan- tis par la common law ni à ceux garantis par l'art. 8 de la Charte Le droit de la Couronne de retenir et d'utiliser des copies des documents lui a été légalement conféré en 1976 et n'a pas été révoqué par l'abrogation subséquente de la disposi tion habilitante La Charte n'a pas d'effet rétroactif La Charte ne contient aucune disposition au sujet de la «réten- tion» et de «l'utilisation» de biens Le critère applicable consiste à déterminer si on peut raisonnablement s'attendre à ce que les documents saisis régulièrement et dont on a légale- ment tiré des copies ne soient pas utilisés pour atteindre l'objectif pour lequel ils ont été saisis L'exclusion par la Cour d'éléments de preuve légalement obtenus et devant être déposés devant un autre tribunal serait susceptible de déconsi- dérer l'administration de la justice Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3), 11(2) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
Coalitions En 1976, des documents appartenant aux demanderesses ont été saisis et des copies en ont été tirées sur le fondement des art. 10(1) et 11(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions La décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. a rendu inopérant l'art. 10(1) de la Loi à compter du 17 avril 1982 parce qu'il est incompatible avec l'art. 8 de la Charte La Charte n'a pas d'effet rétroactif Le droit de la Couronne d'utiliser des copies lui a été légalement conféré en 1976 et n'a pas été révoqué par l'abrogation subséquente de la disposition habilitante L'utilisation actuelle des renseignements ne contrevient pas aux droits des demanderesses garantis par la
common law ni à ceux garantis par l'art. 8 La Charte ne contient aucune disposition au sujet de la rétention et de l'utilisation de biens Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3), 11(2) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
Preuve Copies tirées de documents saisis en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions La Cour fédé- rale a compétence pour rendre le jugement déclaratoire demandé Un jugement déclaratoire portant que la Cou- ronne n'est pas habilitée à utiliser les documents équivaudrait à rendre une ordonnance interdisant à la Couronne de présen- ter dans des poursuites pénales des éléments de preuve légale- ment obtenus L'exclusion d'éléments de preuve légalement obtenus et devant être déposés devant un autre tribunal serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 475.
Il s'agit en l'espèce de l'audition d'un mémoire spécial pré- senté en vertu de la Règle 475. En 1976, la défenderesse, se fondant sur le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, a saisi des documents appartenant aux demanderesses et en a tiré des copies. La Charte des droits est entrée en vigueur en 1982. L'article 8 de la Charte garantissait le «droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives». En 1984, la Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. que les paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions étaient incompatibles avec l'article 8 de la Charte et, par conséquent, inopérants. Ces deux paragraphes sont donc nuls depuis le 17 avril 1982. Il s'agit de déterminer si le fait d'utiliser ou de retenir aujourd'hui les renseignements contenus dans les documents contrevient aux droits des demanderesses garantis par la common law et à leurs nouveaux droits garantis par l'article 8 de la Charte. Les demanderesses soutiennent qu'il n'est possible d'empiéter sur les droits garantis par la common law que s'il existe une disposition législative valide et précise à cet effet. Elles prétendent également que le droit d'utilisation et de disposition est indépendant du droit de propriété des documents, et que leur droit est protégé expressé- ment par la Charte et qu'on ne peut y déroger implicitement ni même expressément, sauf lorsqu'on est en présence de garanties inexistantes en l'espèce.
Jugement: les actions devraient être rejetées.
Le juge Dickson (tel était alors son titre) a statué dans l'arrêt Southam que «La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable.» Il s'agit donc de déterminer si on peut raisonna- blement s'attendre à ce que les documents saisis régulièrement et dont on a légalement tiré des copies à ce moment-là ne soient pas utilisés afin d'atteindre le véritable objectif pour lequel leur saisie a été effectuée. La Cour fédérale a compétence pour rendre le jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses. Néanmoins, les tribunaux hésitent à rendre un jugement décla- ratoire qui aura des répercussions directes sur le déroulement d'une action pénale dont un autre tribunal a été saisi. Un jugement déclaratoire portant que l'utilisation des renseigne- ments contenus dans les copies des documents obtenus des demanderesses était illégale aurait le même effet que de décider de la recevabilité de documents dans un futur procès devant un
autre tribunal. Le droit de la Couronne de retenir et d'utiliser des copies des documents lui a été légalement conféré en 1976 et n'a pas été révoqué par l'abrogation subséquente de la disposition législative habilitante. L'exclusion par cette Cour d'éléments de preuve légalement obtenus devant être déposés devant un autre tribunal serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
Les demanderesses contestent la attention» et .l'utilisation» de leurs biens au sujet desquelles la Charte ne contient aucune disposition. Les droits de propriété comme tels ne sont pas protégés par la Charte. Il faut établir une distinction entre la .rétention» et «l'utilisation» d'une part et la «saisie» d'autre part.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 84 DTC 6467; 14 C.C.C. 97; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; Blackwoods Beverages Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159; 47 C.P.C. 294 (C.A. Man.); Samuel Varco Ltd. c. La Reine et autre (1978), 87 D.L.R. (3d) 522 (C.F. 1'» inst.); Lyons c. R., [1985] 2 W.W.R. 1 (C.S.C.); St. Catharines v. H.E.P. Com'n., [1930] 1 D.L.R. 409 (C.J.C.P.) confirmant [1928] 1 D.L.R. 598 (C.S. Ont.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Colet c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 2; Olmstead v. United States of America, 277 U.S. 438, 72 L ed 944 (9th Cir. 1928); Reg. v. Lushington (1894), 1 Q.B. 420.
DECISIONS CITÉES:
Procureur général du Canada c. Stuart, [1983] 1 C.F. 651 (C.A.); R. v. Longtin (1983), 5 C.C.C. (3d) 12 (C.A. Ont.); Thyssen Canada Limited c. La Reine, [1984] 2 C.F. 27; 84 DTC 6049 (1" inst.); In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152 (1R inst.); Montreal Lithographing Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1984] 2 C.F. 22; 8 C.R.R. 299 (1'° inst.); Axler c. La Reine, jugement en date du 31 mai 1984, Division de première instance de la Cour fédérale,- T-2631-81, non publié; Re Becker and The Queen in right of Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d) 539 (C.A. Alb.); Re Williams and Attorney -General for Canada et al. (1983), 45 O.R. (2d) 291 (C. Div.); Pac. Finance Co. v. Ireland, [1931] 2 W.W.R. 593 (C.A. Alb.); Re Attorney -General of Nova Scotia and Pye (1983), 7 C.C.C. 3d 116 (C.A. N.-E.); Entick v. Car- rington (1765), 19 Howell's State Trials 1029; Katz v. United States, 389 U.S. 347, 19 L ed 2d 576, 88 S. Ct. 507 (9th Cir. 1967).
AVOCATS:
J. Giles, c.r. et Robert Armstrong, c.r. pour les demanderesses.
M. Humphries et S. D. Frankel pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancou- ver, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DUB$: L'audition du mémoire spécial présenté en vertu de la Règle 475 de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] a été fixée au 9 janvier 1985 à Vancou- ver et a eu lieu comme prévu. Les parties se sont entendues sur les faits pertinents. Pour plus de concision, on peut les résumer comme suit:
Pendant l'été 1976, la défenderesse, se fondant sur le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions', a saisi des documents des demanderesses, en a tiré des copies qu'elle a gardées et a retourné les originaux aux demande- resses; voici le texte dudit paragraphe:
10. (1) Sous réserve du paragraphe (3), dans une enquête tenue en vertu de la présente loi, le directeur ou tout représen- tant qu'il a autorisé peut pénétrer dans tout local le direc- teur croit qu'il peut exister des preuves se rapportant à l'objet de l'enquête, examiner toutes choses qui s'y trouvent et copier ou emporter pour en faire un plus ample examen ou pour en tirer des copies tout livre, document, archive ou autre pièce qui, de l'avis du directeur ou de son représentant autorisé, selon le cas, est susceptible de fournir une telle preuve.
La Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] est entrée en vigueur le 17 avril 1982. Le 17 septembre 1984, la Cour suprême du Canada a rendu public l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. 2 dans lequel elle a statué que ledit paragraphe 10(1) et le paragraphe 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions sont incompatibles avec l'article 8 de la Charte et, par conséquent, inopérants. L'article 8 de la Charte porte:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
' S.R.C. 1970, chap. C-23.
2 [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 84 DTC 6467; 14 C.C.C. 97; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355.
Il est admis que les deux paragraphes de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions sont donc nuls depuis le 17 avril 1982. La question soumise à la Cour et sur laquelle je dois me prononcer au cours de l'examen du présent mémoire spécial est la suivante:
La défenderesse a-t-elle le droit de retenir ou d'utiliser de quelque manière que ce soit, sans le consentement des deman- deresses, les documents, copies de documents ou renseigne- ments obtenus des demanderesses en vertu de l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions tel qu'il est allégué aux présentes?
Il est désormais bien établi que la Charte n'a pas d'effet rétroactif', mais les demanderesses préten- dent essentiellement que même si la saisie de documents était valide lorsqu'elle a été effectuée en 1976, le fait d'utiliser ou de retenir aujourd'hui les renseignements contenus dans lesdits docu ments contrevient aux droits des demanderesses garantis par la common law et à leurs nouveaux droits garantis par l'article 8 de la Charte et clairement définis par la Cour suprême dans l'ar- rêt Southam.
Les demanderesses soutiennent d'abord qu'il n'est possible d'empiéter sur les droits garantis par la common law que s'il existe une disposition législative valide et précise à cet effet. À l'appui de cette proposition, elles invoquent principalement l'arrêt Colet c. La Reine 4 . Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a statué que les citoyens canadiens possèdent le droit depuis longtemps reconnu d'être maîtres de leur propre maison et que le mandat dont les policiers étaient munis dans cette affaire ne leur accordait pas le droit d'entrer et de perquisitionner dans la demeure du deman- deur. Le juge Ritchie a dit à la page 10:
... une disposition de la loi qui autorise les policiers à pénétrer sur la propriété d'autrui sans invitation ni permission constitue un empiétement sur les droits que la common law reconnaît au propriétaire. En cas d'ambiguïté, cette disposition doit recevoir une interprétation stricte qui favorise les droits que la common law reconnaît au propriétaire.
Le vieux proverbe selon lequel «le charbonnier est maître chez lui» tient encore aujourd'hui. En l'espèce toutefois, il n'existe aucune ambiguïté
3 Voir: Procureur général du Canada c. Stuart, [1983] I C.F. 651 (C.A.); R. v. Longtin (1983), 5 C.C.C. (3d) 12 (C.A. Ont.); Thyssen Canada Limited c. La Reine, [1984] 2 C.F. 27; 84 DTC 6049 (lr* inst.); In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152 (1r* inst.).
4 [1981] 1 R.C.S. 2.
quant au droit de perquisition et de saisie de la défenderesse en 1976. Seul son droit de se servir et de disposer des documents en 1985 pourrait être contesté. Les demanderesses prétendent que ce droit d'utilisation et de disposition est indépendant du droit de propriété des documents dont on a tiré des copies. Les demanderesses soutiennent que leur droit est protégé expressément par la Charte et qu'on ne peut y déroger implicitement ou même expressément, sauf lorsqu'on est en présence de garanties inexistantes en l'espèce.
Les demanderesses ont examiné attentivement les premières décisions classiques rendues aux États-Unis au sujet des libertés civiles et, plus particulièrement, cet extrait cité dans Olmstead v. United States of America 5 le juge Brandeis a repris dans son opinion dissidente son renvoi au jugement de lord Camden dans Entick v. Carring- ton 6 [aux pages 474 et 475 U.S.]:
[TRADucTIONI Les principes énoncés dans cette opinion modi- fient l'essence même de la notion de liberté et de sécurité garanties par la constitution ... ils s'appliquent à tous les empiètements du gouvernement et de ses employés sur l'inviola- bilité du domicile d'une personne et de son intimité ... mais c'est l'empiétement sur son droit irrévocable à la sécurité de sa personne, à la liberté et à la propriété privée, lorsqu'il n'a pas perdu ce droit à la suite de sa condamnation pour une quelcon- que infraction d'ordre public, ... cependant, le fait d'arracher de force à une personne un témoignage ou un document personnel pour établir la preuve d'un acte criminel ou pour confisquer ses biens est visé par ce jugement.
Le juge Dickson, tel était alors son titre, a réexa- miné ces droits fondamentaux enchâssés dans la common law dans l'arrêt Southam il a cité l'arrêt Katz v. United States' et analysé le concept du juge Stewart sur le droit à la vie privée décrit comme le [TRADUCTION] «droit de ne pas être importuné par autrui». Le juge Dickson a toutefois ajouté la page 159 R.C.S.]:
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable.
En l'espèce, étant entendu que la saisie elle- même était légale au moment elle a été faite, peut-on raisonnablement s'attendre à ce que les documents saisis régulièrement et dont on a légale- ment tiré des copies à ce moment-là, ne soient pas
5 277 U.S. 438, 72 L ed 944 (9th Cir. 1928).
6 (1765), 19 Howell's State Trials 1029.
' 389 U.S. 347, 19 L ed 2d 576, 88 S. Ct. 507 (9th Cir.
1967).
utilisés afin d'atteindre le véritable objectif pour lequel leur saisie a été effectuée? La réponse à cette question permettra de statuer sur le mémoire spécial en cause.
Dans une décision récente, Blackwoods Bevera ges Ltd. v. R.', la Cour d'appel du Manitoba a annulé à la majorité une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine ayant statué que les documents saisis en vertu des dispositions des paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions étaient irrecevables en preuve lors d'une enquête préliminaire à venir pour le motif que ces paragraphes étaient inopérants en raison de la décision rendue dans Southam. Les docu ments en question avaient fait l'objet d'une perqui- sition et d'une saisie entre le 25 juin 1977 et le 11 décembre 1981. L'extrait suivant tiré du jugement du juge O'Sullivan la page 2] reflète clairement l'opinion majoritaire de la Cour:
[TRADUCTION] La saisie de documents en l'espèce était, à mon avis, parfaitement légale. Les paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (S.R.C. 1970, chap. C-23) ne sont devenus inconstitutionnels qu'avec l'entrée en vigueur de la Charte. La saisie a été effectuée avant cette date. La Charte a rendu illégale la détention continue des documents saisis, mais je ne vois pas comment cela pourrait avoir un effet sur les copies, notes ou précis faits alors que la saisie et la détention étaient légales.
Les trois juges ont estimé qu'ils avaient compé- tence pour connaître de la demande. À cet égard, le juge en chef Monnin a dit que, en matière pénale, la cour provinciale est le tribunal ayant compétence pour connaître de questions de preuve [TRADUCTION] «du commencement du procès jus- qu'à sa conclusion».
Les demanderesses en l'espèce soutiennent évi- demment que la question à trancher dans le cas présent n'est pas la recevabilité de la preuve, mais plutôt le pouvoir de la défenderesse d'utiliser les renseignements et les faits rapportés dans des documents admissibles, ce qui constitue une intru sion dans la vie privée et relève ainsi de la compé- tence exclusive de la Cour fédérale.
Je conviens que cette Cour a compétence pour rendre le jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses. Néanmoins, les tribunaux hésitent à rendre un jugement déclaratoire qui aura des répercussions directes sur le déroulement d'une
8 [1985] 2 W.W.R. 159; 47 C.P.C. 294 (C.A. Man.).
action pénale dont un autre tribunal a été saisi. Il est admis en l'espèce que, à la suite d'une enquête préliminaire, les demanderesses ont été citées à procès devant la Cour suprême de l'Ontario, procès devant commencer le 11 février 1985. Des copies des documents saisis ont été déposées à l'enquête préliminaire et le procureur de la Cou- ronne les a alors mises à la disposition du juge présidant le procès, des avocats et du sténographe de la Cour.
Dans l'affaire Samuel Varco Ltd. c. La Reine et autre', le juge Cattanach, autrefois membre de la Cour et maintenant à la retraite, a refusé d'accor- der un jugement déclaratoire qui, à son avis, équi- vaudrait à usurper les fonctions du juge saisi des poursuites criminelles. Dans sa décision, le juge a passé en revue la jurisprudence portant sur le pouvoir discrétionnaire de rendre des jugements déclaratoires. Les mots descriptifs le plus souvent utilisés dans ces précédents sont les suivants: «avec le sens des responsabilités approprié», «principes judiciaires sers et reconnus», «avec retenue», «avec prudence», «avec discernement», «avec une répu- gnance marquée à empiéter sur la compétence des autres tribunaux». Encore une fois, je comprends qu'il ne m'est pas demandé de me prononcer sur la recevabilité de documents dans un futur procès devant un autre tribunal, mais il est évident que le jugement déclaratoire que la Cour pourrait rendre en répondant par la négative à la question soumise dans le mémoire spécial aurait le même effet.
Il ne faut pas non plus oublier que les éléments de preuve qui seront vraisemblablement déposés au procès tenu au criminel ne sont pas constitués par les documents originaux. Ces derniers ont été retournés aux demanderesses. On a fait des micro films des originaux comme le permet le paragra- phe 11(2) de la Loi, dont voici le texte:
11... .
(2) Le directeur peut faire faire des copies (y compris des copies au moyen d'un procédé de reproduction photographique) de tous livres, documents, registres ou autres pièces mentionnés au paragraphe (1), lesquelles copies, sur preuve orale ou par affidavit qu'elles sont des copies conformes, seront, dans toutes procédures intentées en vertu de la présente loi, admissibles en preuve et auront la même force probante que les originaux. Lorsqu'une telle preuve est présentée par affidavit, il n'est pas nécessaire d'établir la signature ou le titre officiel du déposant si ce renseignement est indiqué dans l'affidavit, ou d'établir la signature ou le titre officiel de la personne devant qui cet affidavit a été dressé sous serment.
9 (1978), 87 D.L.R. (3d) 522 (C.F. ln inst.).
Ce paragraphe était légal et en vigueur au moment de la saisie, et il n'a pas été invalidé par l'arrêt Southam. Dans une autre décision très récente, Lyons c. R. 1 °, les juges de la Cour suprême du Canada ont statué à la majorité que les interceptions de communications faites à l'aide d'appareils électroniques sont admissibles en preuve si elles ont été «faites légalement» à l'épo- que en cause.
J'accepte la prétention de la défenderesse por- tant que l'arrêt Southam rendant inopérants les paragraphes 10(1) et 10(3) a le même effet qu'un jugement statuant que ces dispositions ont été abrogées au moment de l'entrée en vigueur de la Charte et que, en common law, l'abrogation d'une loi n'a aucun effet sur les opérations terminées. Ce qui est fait est fait. Dans l'arrêt St. Catharines v. H.E.P. Com'n. ", le Conseil privé devait se pronon- cer sur l'effet d'une abrogation sur des actes effec- tués antérieurement à celle-ci. La Commission ontarienne de l'énergie hydroélectrique avait conclu une entente sur le fondement de disposi tions législatives qui ont été abrogées par la suite. Le Conseil privé a statué que les dispositions abro- gées demeuraient la norme de référence permet- tant de déterminer les droits et obligations créées en vertu de celles-ci.
On peut conclure, par conséquent, que le droit de la Couronne de retenir et d'utiliser des copies des documents lui a été légalement conféré en 1976 et n'a pas été révoqué par l'abrogation subsé- quente de la disposition législative habilitante.
En outre, si je devais rendre un jugement décla- ratoire statuant que la défenderesse n'est pas habi- litée par la loi à utiliser les documents en question, cela équivaudrait à rendre une ordonnance interdi- sant à la Couronne de présenter dans des poursui- tes pénales des éléments de preuve légalement obtenus, ce qui est contraire aux principes de droit depuis longtemps reconnus. Dans l'affaire Reg. v. Lushington 1 z, la Division du Banc de la Reine d'Angleterre devait se prononcer dans une affaire criminelle d'extradition, sur la production, par l'acheteur, d'un bien apparemment volé. Le juge Wright a dit à la page 423:
10 [ 19 8 5] 2 W.W.R. 1 (C.S.C.).
H [1930] 1 D.L.R. 409 (C.J.C.P.) confirmant [1928] 1
D.L.R. 598 (CS. Ont.).
12 (1894), 1 Q.B. 420.
[TRADUCTION] Je considère que, dans ce pays, il est incon testable que les agents de police ont le pouvoir, et même l'obligation, de garder les objets qui peuvent, en cour, constituer la preuve d'une infraction et qui sont tombés en la possession des agents de police sans que ces derniers aient commis de faute.
À mon avis, l'exclusion par cette Cour d'élé- ments de preuve légalement obtenus devant être déposés devant un autre tribunal serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Encore une fois, les demanderesses font valoir qu'elles contestent non pas la saisie des documents, mais leur «rétention» et leur «utilisation». Toute- fois, la Charte ne contient aucune disposition au sujet de la rétention et de l'utilisation de biens. En fait, les droits de propriété comme tels ne sont pas protégés par la Charte 13 . L'article 8 de la Charte ne contient aucune expression qui protégerait le droit d'un citoyen canadien contre la «rétention» ou «l'utilisation» abusives. Le vrai sens du mot «saisie» est l'entrée en possession de force 14 . La «rétention» est quelque chose d'autre. Il en est de même de «l'utilisation». Cette distinction est claire dans le Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] du Canada: par exemple, une chose peut être «saisie» en vertu de l'article 445 et «retenue» en vertu de l'article 446.
Par ces motifs, je réponds par l'affirmative à la question soumise dans ce mémoire spécial. Par conséquent, les deux actions, entendues en même temps, sont rejetées avec dépens.
13 Voir: Montreal Lithographing Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1984] 2 F.C. 22; 8 C.R.R. 299 (lre inst.); Axler c. La Reine, jugement en date du 31 mai 1984, Division de première instance de la Cour fédérale, T-2631-81, non publié; Re Becker and The Queen in right of Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d) 539 (C.A. Alb.); Re Williams and Attorney - General for Canada et al. (1983), 45 O.R. (2d) 291 (C. Div.).
14 Voir: Pac. Finance Co. v. Ireland, [1931] 2 W.W.R. 593 (C.A. Alb.); Re Attorney -General of Nova Scotia and Pye (1983), 7 C.C.C. 3d 116 (C.A. N.-E.).
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