Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-190-85
Brink's Canada Limited (requérante) c.
Conseil canadien des relations du travail et Gene ral Teamsters Local Union 979 (intimés)
Division de première instance, juge Strayer—Win- nipeg, 5 février; Ottawa, 25 février 1985.
Compétence Cour fédérale Division de première ins tance Demande tendant à interdire au Conseil d'examiner la demande d'accréditation Le syndicat, accrédité en vertu d'une loi provinciale, demande à être accrédité, en vertu de la loi fédérale, à titre d'agent négociateur d'un groupe d'em- ployés de la requérante L'art. 122 du Code prévoit que les décisions du Conseil ne peuvent être révisées, sauf par la Cour d'appel fédérale conformément à l'art. 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale L'art. 28(1)a) ne s'applique pas parce qu'au- cune «décision, n'a encore été prise Demande rejetée L'art. 122 interdit à la Division de première instance d'exami- ner la question de compétence suivante: l'entreprise de la requérante est-elle une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale? Le législateur n'a attribué à la Division de première instance aucun rôle dans l'«exécution» du Code Examen de l'incidence de l'arrêt Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul l'Anglais Inc. et autre, /1983J 1 R.C.S. 147 Le résultat est absurde parce qu'aucun contrôle judiciaire n'est possible devant la Cour fédérale alors que les cours supérieures des provinces peuvent simultanément être saisies de demandes Évolution du droit relatif au contrôle judiciaire pour la protection du système fédéral Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 122 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18, 28 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) /S.R.C. 1970, Appendice II, 5/ (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1), art. 91, 92, 101 Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Compé- tence du Conseil canadien des relations du travail S'agit-il d'une entreprise, d'une affaire ou d'un ouvrage de compétence fédérale? La Division de première instance de la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître d'une question constitutionnelle L'arrêt Paul l'Anglais n'établit pas le principe selon lequel le contrôle judiciaire sur les procédures du Conseil doit être possible lorsqu'il s'agit du partage des pouvoirs Compétence enchâssée des cours supérieures des provinces qui est à l'abri de la législation fédérale et provin- ciale La Cour fédérale doit appliquer la Constitution pour assurer l'exécution des lois du Canada L'aptitude de la Cour à s'acquitter de son obligation est limitée par le Code canadien du travail Nous arrivons à un résultat absurde en disant que la garantie fondamentale d'un contrôle judiciaire dans la Constitution est possible devant les cours prévues à l'art. 96 D'après la jurisprudence, une législature ne peut, par une loi refusant un moyen de contester la validité de celle-ci, faire comme si cette loi était valide Interprétation
restrictive de la Loi constitutionnelle de 1867, art. 101 Sens de l'expression «nonobstant toute disposition de la présente loi» Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 122 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43) Loi constitu- tionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) IS.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 96, 101.
Relations du travail Compétence du Conseil canadien des relations du travail Le syndicat intimé demande à être accrédité en vertu de la loi fédérale La requérante fait valoir que le Conseil ne peut se donner compétence en con- cluant â tort que l'entreprise de la requérante constitue une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale En vertu de l'art. 122, la Division de première instance de la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître de la demande Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 122 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43).
Il est demandé un bref de prohibition interdisant au Conseil d'examiner davantage une demande d'accréditation, et un juge- ment déclarant que le Conseil n'a pas observé les principes de justice naturelle et qu'il ne peut se donner compétence en concluant à tort que l'entreprise de la requérante constitue une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale. Le syndicat a saisi le Conseil d'une requête en accréditation, en vertu de la loi fédérale, en qualité d'agent négociateur d'un groupe d'employés de la requérante. Celle-ci a contesté la compétence du Conseil, alléguant que son entreprise ne relève pas de la compétence fédérale sous le régime du Code canadien du travail. Les intimés prétendent que, compte tenu de l'article 122 du Code, la Division de première instance n'a pas compé- tence pour réviser les décisions du Conseil. L'article 122 prévoit que les décisions du Conseil ne peuvent être révisées par un tribunal si ce n'est par la Cour d'appel fédérale conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. L'alinéa 28(1)a) ne s'applique pas parce qu'aucune «décision» au sens de l'article 28 n'a encore été prise. Il y a à déterminer si l'article 122 empêche la Division de première instance d'examiner la question de compétence suivante: l'entreprise de la requérante est-elle une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compé- tence fédérale?
Jugement: la demande doit être rejetée.
Dans l'arrêt Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147, la Cour suprême du Canada a jugé que, malgré l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 122 du Code, les cours supérieures des provinces ont la compétence inhérente de déter- miner si l'application d'une loi fédérale est telle qu'il y aurait empiétement sur la compétence provinciale.
Le rôle de la Cour fédérale dépend de la façon dont le Parlement attribue, en vertu de l'article 101 de la Loi constitu- tionnelle de 1867, certaines responsabilités «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». La Cour fédérale ne saurait procéder à de telles instructions à moins que le législa- teur ne lui ait confié ce rôle dans une situation particulière qui concerne l'«exécution des lois du Canada». En vertu de l'article 122, la Division de première instance de la Cour fédérale se trouve exclue, et le rôle de la Cour d'appel fédérale est limité. Ne jouant aucun rôle dans l'»exécution» du Code, la Division de
première instance ne saurait déterminer si, dans la présente situation, le Code peut constitutionnellement s'appliquer à l'en- treprise de la requérante.
Le résultat est absurde. Certes, aucun contrôle judiciaire n'est possible devant la Cour fédérale; mais les cours supérieu- res des provinces peuvent exercer un contrôle judiciaire sur la base de l'applicabilité constitutionnelle du Code à l'entreprise de la requérante. Les cours supérieures de plusieurs provinces peuvent simultanément être saisies de demandes lorsque les activités du Conseil se rapportent à un employeur qui exploite une entreprise interprovinciale. La garantie d'un contrôle judi- ciaire pour la protection du système fédéral a été reconnue dans les arrêts B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Co., [1962] R.C.S. 642 et Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576, il a été dit qu'une législature ne pouvait, au moyen d'une loi refusant un moyen de contester la validité de celle-ci, faire comme si cette loi était valide. Bien que ce principe implique la nécessité d'un contrôle judiciaire, il n'exige pas qu'un contrôle ait lieu devant une cour particulière à un moment donné. Les articles 91 et 101 permet- taient de réglementer le moment, la procédure et le lieu du contrôle judiciaire pourvu qu'un contrôle judiciaire soit en fin de compte possible dans des affaires constitutionnelles, mais telle n'est pas la façon dont la loi a évolué.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul l'Anglais Inc. et autre, [ 1983] 1 R.C.S. 147.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Co., [1962] R.C.S. 642; Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; Reference as to the Legislative Competence of the Parliament of Canada to Enact Bill No. 9 of the Fourth Session, Eighteenth Parliament of Canada, Entitled .An Act to Amend the Supreme Court Act, [1940] R.S.C. 49.
DÉCISIONS CITÉES:
Paul l'Anglais Inc. c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.); C.J.M.S. Radio Montréal (Québec) Ltée c. Le Conseil canadien des rela tions du travail, [1979] I C.F. 501 (Irc inst.); Re Crosbie Offshore Services Ltd. et Conseil canadien des relations du travail (1983), 3 D.L.R. (4th) 694 (C.F. 1'° inst.); Président de la Chambre des communes c. Conseil cana- dien des relations du travail et autres, ordonnance en date du 29 mai 1984, Cour fédérale, Division de première instance, T-751-84, encore inédite; Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Attorney -General for Ontario and Others v. Attorney -General for Canada and Others and Attorney -General for Quebec, [1947] A.C. 127 (P.C.).
AVOCATS:
Sydney Green, c.r. pour la requérante.
Dianne Pothier et Francine Lamy pour l'in- timé, le Conseil canadien des relations du travail.
David Shrom pour l'intimé General Team sters Local Union 979.
PROCUREURS:
Sydney Green, c.r., Winnipeg, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé, le Conseil canadien des relations du travail.
Simkin, Gallagher, Winnipeg, pour l'intimé General Teamsters Local Union 979.
Ce gui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le 5 février 1985, j'ai rejeté la présente demande pour défaut de compétence, et j'ai promis de donner les présents motifs plus tard.
Il appert que le syndicat intimé, qui, pendant quelque trente-deux années, a été accrédité, sous le régime de la loi du Manitoba, à titre d'agent négociateur d'un groupe d'employés de la requé- rante, a, à l'automne 1984, saisi le Conseil cana- dien des relations du travail d'une requête en accréditation, en vertu de la loi fédérale, en qualité d'agent négociateur d'un groupe un peu plus nom- breux d'employés de la requérante. Il y a eu échange d'une abondante correspondance. La requérante a contesté la compétence du Conseil fédéral, alléguant que son entreprise ne relève pas de la compétence fédérale sous le régime du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1], et s'est opposée à l'inclusion de certains employés et à la procédure suivie par le Conseil. Celui-ci attend présentement le résultat d'un scrutin de représen- tation, après quoi, il va probablement rendre une décision quant à l'accréditation.
Entretemps, la présente demande a été intro- duite pour obtenir un bref de prohibition interdi- sant au Conseil d'examiner davantage la demande d'accréditation, et pour obtenir un jugement décla- rant que ledit Conseil n'a pas observé les principes de justice naturelle et qu'il ne peut intervenir en
concluant à tort que l'entreprise de la requérante constitue une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale.
Les intimés s'appuient principalement sur l'arti- cle 122 du Code canadien du travail [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43] qui est ainsi rédigé:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure le paragraphe (1) le permet, aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des dispositions de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribunal soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil a outrepassé ou perdu sa juridiction.
Ils prétendent que la Division de première instance n'a pas compétence pour réviser les décisions ou procédures prises ou engagées jusqu'à ce jour par le Conseil. Les parties reconnaissent que, à ce stade, la requérante ne pouvait s'adresser à la Cour d'appel fédérale pour obtenir un redresse- ment sous le régime de l'alinéa 28(1)a) [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]—le seul recours qui lui soit ouvert en vertu de la clause privative, l'article 122 du Code canadien du travail—parce qu'aucune «décision» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale n'avait encore été prise: voir p. ex. Paul L'Anglais Inc. c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.).
J'ai statué en premier lieu que, en général, l'article 122 a pour effet d'interdire tout contrôle judiciaire devant la Division de première instance. Cette Cour a interprété cet article dans ce sens dans plusieurs affaires telles que C.J.M.S. Radio Montréal (Québec) Liée c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1979] 1 C.F. 501 (1"° inst.); Re Crosbie Offshore Services Ltd. et Con- seil canadien des relations du travail (1983), 3 D.L.R. (4th) 694 (C.F. 1" inst.) et Président de la Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail et autres, ordonnance en date
du 29 mai 1984, Division de première instance de la Cour fédérale, T-751-84, encore inédite. Cela veut dire que je ne peux examiner une plainte fondée sur un déni de justice naturelle, ni même une question de compétence qui ne s'appuie pas sur des motifs d'ordre constitutionnel.
J'ai toutefois examiné avec soin la question de savoir si l'article 122 interdit à la Division de première instance de statuer sur la question de compétence suivante: le Code canadien du travail peut-il, du point de vue constitutionnel, s'appliquer à l'entreprise de la requérante? Cela revient à déterminer si celle-ci est une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale selon les critères constitutionnels reconnus. J'es- time qu'il est nécessaire d'examiner ce point étant donné l'arrêt de la Cour suprême du Canada Con- seil canadien des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147. Dans cette affaire il s'agissait d'une situation semblable, la Cour suprême a statué que, malgré la clause privative (article 122 du Code canadien du travail), la Cour supérieure du Québec pouvait, par un bref d'évocation, examiner la question de savoir si l'entreprise en question de l'employeur relevait de la compétence fédérale. S'appuyant sur des décisions telles que Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, le juge Chouinard a, au nom de la Cour, décidé que, malgré l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale qui a pour effet d'attri- buer une compétence exclusive à la Division de première instance de la Cour fédérale pour ce qui est des formes de contrôle exercées sur les tribu- naux fédéraux et nonobstant l'article 122 du Code canadien du travail, qui a également pour effet d'écarter l'examen par la Cour d'appel fédérale à ce stade, les cours supérieures des provinces ont la compétence inhérente de déterminer si l'applica- tion d'une loi fédérale est telle qu'il y aurait empié- tement sur la compétence provinciale. J'ai examiné cette affaire pour déterminer si on pouvait en dégager un principe fondamental selon lequel le contrôle judiciaire sur les procédures du Conseil doit toujours être possible lorsqu'il s'agit du par- tage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces, ce qui m'obligerait à ne pas tenir compte de l'arti- cle 122 du Code.
Je ne peux dégager ce principe de la décision. On parle plutôt d'une compétence enchâssée des cours supérieures des provinces qui apparemment est à l'abri de la législation provinciale (voir Cre- vier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220) ou fédérale.
Comme il a été souligné dans les arrêts Paul L'Anglais et B.C. Law Society, le rôle de la Cour fédérale dépend de la façon dont le Parlement attribue, en vertu de l'article 101 de la Loi consti- tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [R.S.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], certaines responsabilités «pour assu- rer la meilleure exécution des lois du Canada».
Il est évident, je pense, que, dans le cadre de cette «exécution», il incombe à cette cour comme à toute cour, y compris les cours des provinces non prévues à l'article 96, de tenir compte des exigen- ces de la Constitution dans l'interprétation et dans l'application des lois. Cela a toujours été évident, compte tenu des textes constitutionnels de base tels que la Colonial Laws Validity Act, 1865, 28 & 29 Vict., chap. 63, art. 2 (R.-U.), et l'idée se trouve maintenant fermement enchâssée dans la Constitu tion canadienne, à l'article 52 de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), qui porte:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Pour assurer l'«exécution» des lois du Canada, la Cour fédérale doit certainement appliquer la Cons titution en tant que «loi suprême du Canada», tout comme elle doit dans de nombreux cas tenir compte de la loi des provinces. Il faut alors tran- cher la question de savoir si une loi du Canada peut être constitutionnellement applicable ou s'il est possible de lui donner effet en raison d'un conflit avec la «loi suprême du Canada».
Néanmoins, la Cour fédérale ne saurait procé- der à de telles instructions à moins que le législa- teur ne lui ait confié ce rôle dans une situation particulière qui concerne l'«exécution des lois du Canada». En vertu de l'article 122 du Code cana- dien du travail, il est clair que la Division de première instance se trouve exclue et que le rôle de
la Cour d'appel fédérale est considérablement limité, dans les situations prévues par cet article. Ne jouant aucun rôle dans l'«exécution» du Code canadien du travail dans le présent contexte, la Division de première instance ne saurait détermi- ner si, dans la situation visée par la présente demande, le Code peut constitutionnellement s'ap- pliquer à l'entreprise de la requérante à l'instance.
Le résultat de ma décision est quelque peu absurde parce que, à ce stade, aucun contrôle judiciaire n'est possible devant la Cour fédérale, mais les cours supérieures des provinces peuvent, en principe, exercer un contrôle judiciaire sur la base de l'applicabilité constitutionnelle du Code canadien du travail à l'entreprise de la requérante. Cela signifie que, dans de nombreux cas de ce genre, les cours supérieures de plusieurs provinces peuvent simultanément être saisies de demandes lorsque les activités du Conseil se rapportent à un employeur qui exploite une entreprise interprovin- ciale. Les ordonnances de chaque cour supérieure n'ont d'effet que dans sa propre province. La déci- sion de chacune d'elles peut faire l'objet d'un appel devant la cour d'appel de la province concernée, et toutes les décisions de cette cour peuvent faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada. À un stade ultérieur, plusieurs des mêmes questions peuvent être déférées à la Cour d'appel fédérale dont la décision peut être portée en pour- voi devant cette même Cour suprême du Canada.
Avec égards, il me semble que nous soyons arrivés à ce résultat en disant que la garantie fondamentale d'un contrôle judiciaire dans la Constitution est telle que ce contrôle est possible devant les cours prévues à l'article 96. Mais la Cour suprême du Canada a reconnu la garantie fondamentale d'un contrôle judiciaire pour la pro tection du système fédéral dans des décisions telles que B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Co., [1962] R.C.S. 642 et Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan, [ 1977] 2 R.C.S. 576, il a été dit qu'une législature ne pouvait, au moyen d'une loi refusant un moyen de contester la validité de celle-ci, faire comme si cette loi était valide. Bien que ce principe implique la nécessité d'un contrôle judiciaire, il n'exige pas logiquement qu'un tel contrôle ait lieu devant une cour particulière ou à un moment donné. Ce prin- cipe, appliqué à la présente situation, signifie pro-
bablement que, une fois que le Conseil a pris une décision, les exigences constitutionnelles fonda- mentales seraient respectées par la possibilité d'un contrôle judiciaire, à l'égard d'une question de compétence devant la Cour d'appel fédérale (dont les arrêts peuvent bien entendu faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada). La nécessité d'un contrôle judiciaire qui est possible devant les cours supérieures pour des questions de compétence, malgré les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, découle plutôt d'une interpréta- tion restrictive de l'article 101 de la Loi constitu- tionnelle de 1867. Cet article prévoit toutefois:
101. Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Parlement du Canada pourra, de temps à autre, prévoir la constitution, le maintien et l'organisation d'une cour générale d'appel pour le Canada, ainsi que l'établissement d'autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada. [C'est moi qui souligne.]
Dans Reference as to the Legislative Competence of the Parliament of Canada to Enact Bill No. 9 of the Fourth Session, Eighteenth Parliament of Canada, Entitled `An Act to Amend the Supreme Court Act", [1940] R.C.S. 49, aux pages 63 et 64, feu le juge en chef Duff a analysé l'expression «nonobstant toute disposition de la présente loi» en traitant du pouvoir du Parlement, sous le régime de l'article 101, d'abolir les appels devant le Comité judiciaire du Conseil privé. (Il est intéres- sant de souligner que l'article 101 est la disposition permettant de créer tant la Cour suprême du Canada que la Cour fédérale du Canada: en fait, la Cour de l'Échiquier du Canada, qui est devenue la Cour fédérale, a été créée par la même Loi que la Cour suprême en 1875). A l'égard du pouvoir conféré par l'article 101, le juge en chef a fait remarquer que:
[TRADUCTION] (a) Puisque ce pouvoir législatif peut être exercé au Canada «nonobstant toute disposition de la présente loi», on ne peut supposer une restriction de pouvoir en raison d'une quelconque disposition prévue à l'article 92. En admet- tant même que l'article 92 donne quelque pouvoir aux législatu- res en ce qui concerne les appels au Conseil privé, ce ne peut être au détriment du pouvoir que le Parlement tient de l'article 101. Les droits accordés par les termes de cet article, interprété et appliqué avec l'intention première d'investir le Parlement d'une autorité lui permettant de mettre en ouvre des objectifs politiques élevés en ce qui concerne le gouvernement du Domi nion en matière judiciaire (article 3 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique), doivent être retenus et exercés comme une autorité pleine et entière à ce titre, avec tous les pouvoirs accessoires nécessaires au Parlement pour lui permettre d'at- teindre pleinement et complètement ses objectifs.
Lord Jowitt, L.C. a, au nom du Comité judiciaire du Conseil privé, cité avec approbation ce passage dans Attorney -General for Ontario and Others v. Attorney -General for Canada and Others and Attorney -General for Quebec, [1947] A.C. 127, à la page 152.
On peut également noter que l'article 91, sous le régime duquel l'article 122 du Code canadien du travail a probablement été adopté, comprend dans son début le membre de phrase «nonobstant toute disposition de la présente loi» avant d'énumérer les rubriques relatives à la compétence du Parlement.
La création des cours supérieures des provinces et leur compétence découlent de l'article 92, rubri- que 14 de la Loi constitutionnelle de 1867. On aurait alors pu penser que les articles 91 et 101 permettaient dans une certaine mesure de régle- menter le moment, la procédure et le lieu du contrôle judiciaire, pourvu qu'un tel contrôle soit en fin de compte possible dans des affaires consti- tutionnelles, ou, autrement dit, qu'un contrôle judiciaire par la Cour d'appel fédérale à un stade avancé des procédures, sous réserve d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada, aurait pu suffire en l'espèce.
Toutefois, telle n'est pas la façon dont la loi a évolué, et la Cour se trouve devant la présente situation elle doit rejeter la demande pour laisser à la requérante, si tel est son désir, le soin d'obtenir un redressement à ce stade devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba ou la Cour suprême de l'Ontario (l'accréditation projetée se rapporte, prétend-t-on, à une entreprise exploitée dans les deux provinces).
La demande est donc rejetée. Dans les circons- tances, je n'adjuge aucun dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.