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A-1624-83
Best Cleaners and Contractors Ltd. (appelante)
c.
La Reine du chef du Canada (intimée)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et Huges- sen—Ottawa, 14, 15 et 27 mars 1985.
Preuve Le greffier du Conseil privé a déposé, conformé- ment à l'art. 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, un certificat par lequel il s'opposait à la divulgation de renseigne- ments devant la Cour pour le motif qu'ils constituaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada La teneur des renseignements avait déjà été révélée à l'interrogatoire au préalable L'art. 36.3 protège de la contrainte de divulguer les renseignements et non de leur admission en preuve s'ils sont obtenus autrement Le fait de préserver la confidentialité uniquement vis-à-vis de la Cour sous-entendrait l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un certificat en vue de faire obstruction à la justice et ce, sans aucun motif légitime apparent Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.3 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 41 (abrogé, idem, art. 3).
Couronne Contrats Appels d'offres Appel d'offres au sujet d'un contrat d'une durée de deux ans qui pourrait être prolongé d'une durée additionnelle de deux ans Après l'ouverture des soumissions, un fonctionnaire a téléphoné à l'un des soumissionnaires afin de lui proposer un contrat de quatre ans La recommandation d'accorder un contrat pour une période de quatre années n'a pas été suivie mais le soumissionnaire contacté a obtenu un contrat d'une durée de deux années La question qui se pose est de savoir si le contrat constituait un simulacre, s'il s'agissait d'un contrat de deux ans au plan de la forme mais de quatre ans quant au fond Le juge de première instance a commis une erreur en accueillant la requête en non-lieu étant donné l'existence d'éléments de preuve tendant à établir que le contrat de deux ans n'était que de la frime L'intérêt de la justice commande la tenue d'un nouveau procès Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 339.
L'appelante a présenté, sans succès, une soumission en vue d'obtenir un contrat pour l'exploitation et l'entretien de l'aéro- port de Frobisher Bay. Il s'agissait d'un contrat d'une durée de deux ans qui pourrait être prolongé pour une période addition- nelle de deux ans au prix indiqué dans la soumission. Après réception des offres, un fonctionnaire du ministère des Trans ports a communiqué avec Tower Arctic Limited, l'autre sou- missionnaire, afin de lui proposer un contrat d'une durée de quatre ans, que Tower a accepté. Le Ministère a recommandé au Conseil du Trésor qu'un contrat de quatre ans soit conclu mais sa recommandation n'a pas été acceptée et un contrat de deux ans seulement avec Tower a été autorisé même si l'offre de l'appelante pour les deux premières années était plus basse. Les documents de soumission prévoyaient toutefois que ni la soumission la plus basse ni aucune des soumissions ne seraient nécessairement acceptées.
La veille du début de l'instruction de l'action en dommages- intérêts intentée contre la Couronne, le greffier du Conseil privé a déposé, conformément au paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, un certificat dans lequel il s'opposait à la divulgation de certains renseignements déjà révélés à l'interrogatoire au préalable pour le motif qu'ils constituaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Par suite de quoi, le juge de première instance a exclu tous ces renseignements qu'on prétendait confidentiels et a, par conséquent, rejeté l'action sur une requête en «non-lieu».
Appel est formé contre cette décision.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Mahoney (avec l'appui du juge Hugessen): Dans l'arrêt Ron Engineering, la Cour suprême du Canada a défini la relation entre le propriétaire et un soumissionnaire dans le cadre d'un contrat d'entreprise. Deux contrats sont en cause: le contrat A qui prend naissance dès la présentation de la soumis- sion et le contrat B qui constitue le contrat d'entreprise. En l'espèce, c'est le contrat A qui nous intéresse, contrat en vertu duquel l'intimée avait l'obligation de n'accorder un contrat qu'en conformité avec les modalités de l'appel d'offres. La stipulation suivant laquelle le Ministère n'acceptera pas néces- sairement ni la plus basse ni aucune des soumissions ne vient pas changer cet état de chose. La question qui se pose est celle de savoir si le contrat était un simulacre, s'il s'agissait d'un contrat de deux ans au plan de la forme mais de quatre ans quant au fond.
Afin de répondre à la question de savoir si le juge de première instance pouvait à juste titre accorder un non-lieu, il faut d'abord examiner les éléments de preuve et la recevabilité des renseignements exclus par le juge de première instance par suite du dépôt du certificat. Il est clair que la teneur des renseignements avait déjà été révélée à l'interrogatoire au préalable et ce, sans qu'aucune objection ne soit formulée. L'article 36.3 protège de la contrainte de divulguer ces rensei- gnements et non de leur admission en preuve s'ils sont obtenus autrement que par une ordonnance du tribunal. En l'espèce, tous ceux qui possèdent un intérêt légitime dans ces renseigne- ments les ont en mains sauf la Cour. Le fait de préserver la confidentialité de ces renseignements uniquement vis-à-vis de la Cour dans un tel cas sous-entend l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un certificat en vue de faire obstruction à l'administration de la justice et ce, sans aucun motif légitime apparent. Le certificat ne fait pas obstacle à la recevabilité en preuve des documents et des renseignements en cause.
Il y avait donc des éléments de preuve tendant à établir que le contrat de deux ans conclu avec Tower n'était que de la frime. Le juge de première instance a fait erreur en concluant que les plaidoiries écrites empêchaient d'avancer un tel argu ment. Il s'ensuit qu'il a fait erreur en accueillant la requête en non-lieu. Comme le lui permet la pratique suivie dans la jurisprudence, la Cour estime que l'intérêt de la justice com- mande en l'espèce la tenue d'un nouveau procès.
Le juge Pratte (dissident): Il faut établir une distinction avec l'arrêt Ron Engineering parce que dans cette affaire, la Cour suprême devait examiner des droits et obligations clairement stipulés dans les documents de soumission alors que, en l'es- pèce, les conditions interdisant à la Couronne d'entamer des négociations avec les soumissionnaires et de modifier les condi tions du contrat envisagé ne sont qu'implicites. Elles découlent
de l'obligation de traiter équitablement et également tous les soumissionnaires.
On n'a pas allégué qu'il s'agissait d'une transaction simulée ni présenté d'éléments de preuve à cet effet. Il n'y a pas eu de négociations «illégales», mais seulement une demande présentée à Tower en vue de savoir si elle accepterait un contrat de quatre ans et la réponse affirmative de cette dernière.
En ce qui concerne la décision du juge de première instance d'exclure les renseignements sur la foi du certificat, la Cour estime que, de toute façon, cette preuve ne pouvait aider l'appelante. Une recommandation qui n'est pas suivie n'est pas pertinente. Les documents qui précèdent une décision juste et conforme à la loi ne sont pas, non plus, pertinents. Une fois prise la décision de conclure un contrat de deux ans, on ne peut imaginer en quoi la prétendue irrégularité pourrait causer préjudice aux intérêts de l'appelante.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] I R.C.S. 1 I 1; 119 D.L.R. (3d) 267; McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 352 (C.A.); Hayhurst v. /nnisfiil Motors Ltd., [1935] I W.W.R. 385 (C.A. Alb.).
DECISIONS CITÉES:
Active Construction Ltd. v. Routledge Gravel Ltd. (1959), 27 W.W.R. 287 (C.A.C.-B.); McKenzie et al. v. Bergin et al., [1937] O.W.N. 200 (C.A.).
AVOCATS:
Michael A. Kelen pour l'appelante. M. F. Ciavaglia pour l'intimée.
PROCUREURS:
Michael A. Kelen, Ottawa, pour l'appelante. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est interjeté en l'espèce d'un jugement de la Division de pre- mière instance [jugement en date du 25 octobre 1983, T-4417-81, non publié] ayant rejeté avec dépens l'action en dommages-intérêts intentée par l'appelante contre Sa Majesté.
Au début de mai 1981, le ministère des Trans ports a publié un appel d'offres portant sur un contrat d'exploitation et d'entretien de l'aéroport de Frobisher Bay dans les Territoires du Nord- Ouest. Cet appel d'offres renvoyait aux documents
de soumission qui précisaient, entre autres choses, que le contrat envisagé était d'une durée de deux ans, mais que les soumissionnaires devaient indi- quer dans leur offre, en plus de leur prix pour cette période de deux ans, leur prix pour une période supplémentaire de deux années. En fait, conformé- ment aux documents de soumission, le contrat de deux ans envisagé était susceptible d'être prolongé pendant une période supplémentaire de deux années sans autre appel d'offres si, quatre mois avant la fin de la période initiale de deux ans, les parties convenaient de le prolonger aux conditions mentionnées par l'entrepreneur dans sa soumis- sion. Les documents de soumission stipulaient éga- lement que Sa Majesté n'était pas tenue d'accepter aucune soumission.
Le Ministère n'a reçu que deux soumissions. L'une de l'appelante et l'autre de Tower Arctic Limited (Tower). L'offre de l'appelante pour la période initiale de deux ans se chiffrait à 948 000 $, approximativement 4 500 $ de moins que celle de Tower's (952 538 $); par contre son prix pour la période de prolongation (1 241 890 $) dépassait celui de Tower's (1 180 000 $) de plus de 60 000 $.
Après l'ouverture des soumissions, un fonction- naire du ministère des Transports a téléphoné au président de Tower et lui a demandé si sa compa- gnie accepterait de conclure un contrat de quatre ans aux conditions mentionnées dans la soumis- sion. Ce dernier a accepté et a par la suite con firmé par écrit sa décision dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Concernant le projet susmentionné, il nous fait plaisir par les présentes de vous confirmer que nous sommes disposés à conclure un contrat d'une durée de quatre années, commençant le ler octobre 1981 pour se terminer le 30 septem- bre 1985, et nous vous confirmons également que le prix indiqué dans notre soumission restera inchangé.
Nous comprenons que l'attribution d'un tel contrat est sujette à l'approbation du Conseil du Trésor.
Le Ministère a ensuite recommandé au Conseil du Trésor d'accorder le contrat à Tower pour une période de quatre années. L'appelante a eu vent de cette recommandation et son avocat a écrit au Ministère qui, à son avis, n'avait aucunement le droit de négocier avec l'un des soumissionnaires une modification aux modalités du contrat envi- sagé. Voici certains passages de la réponse qu'on lui fit parvenir:
[TRADUCTION] Les documents de soumission concernant ce travail prévoyaient que les soumissionnaires devaient soumettre des prix fermes relativement à l'exécution du travail précisé pour la période déterminée de deux ans et pour la prolongation facultative de deux années, la décision de se prévaloir des deux années facultatives supplémentaires devant faire l'objet d'une entente mutuelle entre les parties.
Il est clairement ressorti de l'examen des soumissions présen- tées que l'offre de Tower Arctic Limited était avantageuse sur le plan financier si la compagnie acceptait de se prévaloir de la période facultative au moment de l'attribution du contrat, ce dernier étant alors conclu pour la période de quatre années dans son ensemble. Le refus de la compagnie d'accepter de se prévaloir sur le champ de la période de prolongation ferait en sorte que l'offre de Best Cleaners and Contractors Limited serait la plus avantageuse sur le plan financier.
Tower Arctic Limited nous a confirmé qu'elle acceptait de voir prolonger à quatre années la durée du contrat ...
Il apparaît très clairement qu'il ne s'est tenu aucune négocia- tion quant au prix ou à la durée de cette offre et le Ministère ne voit aucune irrégularité dans le fait d'avoir recommandé l'ac- ceptation de cette offre au motif qu'elle était la plus basse.
La recommandation d'accorder le contrat pour une période de quatre années n'a pas été suivie. Après avoir reçu un avis juridique, le Conseil du Trésor a approuvé l'attribution du contrat à Tower pour une période de deux ans comme le pré- voyaient les documents de soumission. Au même moment, au dire du président de l'appelante, le Conseil du Trésor a approuvé la prolongation éven- tuelle de ce contrat pour la période supplémentaire de deux années.
L'appelante a intenté son action contre Sa Majesté avant l'attribution du contrat, à un moment elle avait des motifs de croire que Tower se verrait accorder le contrat pour une période de quatre années. La déclaration fut par la suite modifiée pour tenir compte de la décision du Conseil du Trésor. La plus récente version de la déclaration allègue essentiellement les faits que je viens tout juste de relater; qu'il suffise d'en citer les trois derniers paragraphes:
[TRADUCTION] 9. Après le début de la présente action, le Conseil du Trésor a été informé par son conseiller juridique que la recommandation du ministère des Transports d'accorder le contrat à Tower pour une période de quatre ans était illégale. En conséquence, la défenderesse a accordé le contrat à Tower Arctic Limited pour une période de deux ans.
10. La décision d'accorder le contrat à Tower Arctic Limited pour une période de deux ans a été prise de mauvaise foi en ce que les agents de la défenderesse ont choisi la soumission de Tower Arctic Limited non pas en tenant compte des mérites relatifs des soumissions ou des aptitudes relatives de la deman- deresse et de Tower Arctic Limited à exécuter le travail prévu
au contrat, mais plutôt au terme de négociations «illégales» avec Tower Arctic Limited relativement au prix de la période de prolongation de deux ans.
11. La demanderesse réclame donc de la défenderesse:
a) des dommages-intérêts;
b) un jugement déclaratoire portant que le contrat a été accordé à Tower Arctic Limited sur la foi de facteurs inappropriés;
c) les dépens de la présente action; et,
d) tout autre redressement que cette Cour jugera approprié.
L'action a été instruite à Frobisher Bay à la fin de septembre 1983, environ un an après que l'avo- cat de l'appelante eut interrogé au préalable un représentant de la Couronne et obtenu de ce der- nier des documents et des renseignements se rap- portant à la décision du Conseil du Trésor et à la recommandation formulée par le ministre des Transports, M. Jean-Luc Pépin. À la veille du procès, le greffier du Conseil privé a déposé au greffe de la Cour à Ottawa, conformément à l'arti- cle 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)], un certificat dans lequel:
a) il attestait qu'«une soumission en date du 21 juillet 1981 présentée par Jean-Luc Pépin aux ministres du Conseil du Trésor de même qu'un résumé du Conseil du Trésor daté du 14 septembre 1981 et préparé par les fonctionnaires de ce ministère pour fins d'examen par les ministres du Conseil du Trésor,» étaient des documents renfermant «des renseignements constituant des rensei- gnements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada»; et
b) il s'est opposé à la divulgation de ces «docu- ments et des renseignements qu'ils renfer- ment.»
À la suite du dépôt de ce certificat, le juge de première instance a empêché l'avocat de l'appe- lante d'introduire en preuve des renseignements et documents qui lui avaient été fournis volontaire- ment durant l'interrogatoire au préalable. Il a néanmoins établi les faits que j'ai résumés; il a également fait la preuve que l'aptitude de l'appe- lante à exécuter le contrat n'avait jamais été mise en doute. Dès que l'avocat de l'appelante eut clos sa preuve, l'avocat de Sa Majesté a choisi de ne pas produire de preuve et a présenté une requête
en «non-lieu». Le juge de première instance a accueilli cette requête et rejeté l'action avec dépens.
En premier lieu, l'avocat de l'appelante a allégué qu'eu égard à la preuve produite au procès, le juge de première instance aurait rejeter la requête en «non-lieu» et prononcer jugement en faveur de l'appelante. En second lieu et de façon subsidiaire, il a soutenu qu'à tout événement, la tenue d'un nouveau procès devrait être ordonnée puisque le juge de première instance avait, à la suite de la production du certificat du greffier du Conseil privé, erronément exclu des éléments de preuve qui auraient être pris en considération. L'avocat soulève donc deux questions: l'appelante a-t-elle fait la preuve de ses prétentions au procès et, si elle ne l'a pas fait, a-t-elle été empêchée de le faire par l'exclusion d'éléments de preuve qui auraient être reçus?
Avant de répondre à ces questions, il est néces- saire de déterminer quel est le fondement juridique de l'action de l'appelante. Cette action, au dire de l'avocat de l'appelante, se fonde sur le jugement de la Cour suprême du Canada dans R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construc tion (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267. Il a déclaré que la Cour suprême avait décidé dans cette affaire que dès qu'une offre a été reçue à la suite d'un appel d'offres par un propriétaire, il se forme alors entre le propriétaire et le soumissionnaire un contrat unilatéral en vertu duquel le propriétaire a l'obligation de n'accorder d'autre contrat que celui décrit dans les documents de soumission et d'accorder ce contrat sur la foi seulement des renseignements contenus dans les soumissions sans mener de négociations avec un entrepreneur ou un autre. Il s'agit là, à mon avis, d'une interprétation erronée de la décision de la Cour suprême. Cette décision a été rendue dans un cas un entrepreneur avait présenté, à l'occasion d'un appel d'offres, une soumission à laquelle il avait joint, comme l'exigeait la propriétaire, un dépôt de 150 000 $. La condition de l'appel d'of- fres qui exigeait le dépôt précisait également les circonstances dans lesquelles l'entrepreneur pou- vait le récupérer. Après s'être aperçu qu'il avait, par erreur, indiqué dans sa soumission un prix beaucoup trop bas, l'entrepreneur a retiré son offre et pris action contre le propriétaire afin de récupé-
rer son dépôt. Eu égard à la condition de l'appel d'offres, les circonstances n'étaient pas telles qu'el- les autorisaient l'entrepreneur à récupérer son dépôt. La Cour d'appel d'Ontario s'est néanmoins prononcée en faveur de ce dernier au motif que, comme il avait fait erreur en fixant le montant de sa soumission, celle-ci ne pouvait être acceptée pour former un contrat valide; comme aucun con- trat n'avait été conclu entre les parties, rien n'em- pêchait la remise du dépôt. La Cour suprême a infirmé ce jugement. Elle a conclu que le droit de l'entrepreneur de récupérer le dépôt découlait d'un contrat unilatéral ayant pris naissance automati- quement au moment de la présentation de la sou- mission. Ce contrat unilatéral, qui précisait ex- pressément les circonstances dans lesquelles l'en- trepreneur avait droit de récupérer son dépôt, se distinguait du contrat d'entreprise pour lequel les soumissions avaient été demandées et pouvaient donc prendre naissance même si l'entrepreneur avait commis une erreur empêchant la formation de ce contrat d'entreprise.
Dans l'affaire Ron Engineering, la Cour suprême devait examiner des droits et obligations clairement stipulés dans les documents de soumis- sion. En l'espèce, la situation est différente. Les documents de soumission ne renfermaient aucune disposition interdisant expressément à la Couronne d'entamer des négociations avec les soumissionnai- res et de modifier les conditions du contrat envi- sagé. Si ces gestes étaient néanmoins interdits à la Couronne, cette interdiction ne pouvait provenir que de quelques conditions implicites du contrat unilatéral résultant de la présentation de la sou- mission. Ces conditions implicites n'ont pas fait l'objet de la décision de la Cour suprême. Je suis néanmoins d'avis qu'elles existent bel et bien. Tou- tefois, je ne les décrirais pas de la même façon que l'avocat de l'appelante. Selon moi, elles ne font qu'imposer au propriétaire qui présente un appel d'offres l'obligation de traiter équitablement tous les soumissionnaires et de n'accorder à aucun d'en- tre eux un avantage indu sur les autres.
Suivant le premier argument présenté au nom de l'appelante, le juge de première instance aurait dû, à la lumière de la preuve portée à sa connais- sance, rendre jugement en faveur de cette dernière. Cet argument ne m'apparaît aucunement fondé. À mon avis, rien dans la preuve n'aurait pu justifier
un jugement en faveur de l'appelante. Comme on l'allègue dans la déclaration et comme la preuve l'a démontré, le contrat avait été accordé pour une période de deux ans. On n'a pas allégué qu'il s'agissait d'une transaction simulée ni présenté d'éléments de preuve à cet effet. À cet égard, le fait que l'offre de Tower portant sur un contrat de quatre années n'ait pas été refusée de façon expresse par la Couronne n'a aucune importance puisque cette offre a été implicitement rejetée lorsque la Couronne a conclu un contrat de deux ans. Au surplus, contrairement aux prétentions de l'avocat de l'appelante, le paragraphe 10 de la déclaration ne renferme pas d'allégation de simu- lacre. On y allègue tout simplement que la décision d'accorder le contrat de deux ans à Tower reposait sur un facteur inapproprié et qu'elle a été prise sur la foi de quelque chose qui a transpiré des négocia- tions «illégales» avec Tower. Cette allégation perd tout son sens lorsqu'on s'aperçoit, à la lumière de la preuve, que ces négociations illégales n'étaient rien de plus qu'une demande présentée à Tower (en vue de savoir si elle accepterait un contrat de quatre ans) et la réponse affirmative de cette dernière.
Subsidiairement, l'appelante a prétendu qu'à tout événement, le jugement attaqué doit être écarté au motif que le juge de première instance a fait erreur en excluant les éléments de preuve se rapportant aux documents mentionnés dans le cer- tificat produit par le greffier du Conseil privé. Je rejetterais également cet argument.
Je suis prêt à supposer, pour les fins de la discussion, que la décision du juge de première instance d'exclure, sur la foi du certificat, la preuve documentaire et autre était erronée. À mon avis, cette preuve ne pouvait aider l'appelante. Elle se rapportait aux deux documents mentionnés dans le certificat. Je ne vois pas en quoi la recommanda- tion du ministre des Transports aurait pu être pertinente puisqu'il est établi qu'elle n'a pas été suivie. Pour ce qui est du document préparé par les fonctionnaires du Conseil du Trésor, selon moi, il est également dénué de pertinence car ce qui compte, c'est la décision qu'a effectivement prise le Conseil du Trésor et qui, il est bien établi, a été d'approuver l'attribution d'un contrat de deux ans à Tower.
À mon avis, le présent appel ne peut être accueilli et ce, pour un motif qui peut se résumer en peu de mots. La seule irrégularité présumément commise par l'intimée fut d'obtenir de Tower, à l'insu de l'appelante, une offre portant sur un contrat de quatre ans. Toutefois, l'intimée n'a pas accepté cette offre, mais a plutôt choisi de con- clure un contrat de deux ans. Une fois cette déci- sion prise, on ne peut imaginer en quoi la préten- due irrégularité pourrait causer préjudice aux intérêts de l'appelante.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHÔNEY: Appel est interjeté en l'es- pèce d'une décision de la Division de première instance ayant rejeté avec dépens l'action de l'ap- pelante sur une requête en «non-lieu» entendue sous réserve que l'intimée ne présente pas de preuve. L'appelante avait présenté, sans succès, une soumission en vue d'obtenir un contrat intitulé «Exploitation et entretien de l'aéroport de Frobi- sher Bay, Frobisher Bay, Territoires du Nord- Ouest». Certains documents avaient été produits par l'intimée lors de l'interrogatoire au préalable de son représentant désigné et on avait répondu à certaines questions à leur sujet, le tout sans qu'au- cune objection ne soit formulée ou prise en réserve. L'instruction a débuté à Frobisher Bay à 10 h le 28 septembre 1983. Le 27 septembre, à 17 h, le greffier du Conseil privé a déposé au greffe de la Cour à Ottawa, conformément au paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, un certificat concernant les renseignements divulgués à l'interrogatoire au préalable. A la suite de ce geste, le savant juge de première instance a refusé d'admettre en preuve certains documents ainsi que les questions et réponses de l'interrogatoire au préalable les concernant.
L'appelante soutient que le savant juge de pre- mière instance a fait erreur en rejetant son action et qu'à la lumière de la preuve, la requête en non-lieu aurait être rejetée et jugement aurait être prononcé en sa faveur. Subsidiairement, elle prétend qu'il a fait erreur lorsqu'il a écarté, en s'appuyant sur le certificat, l'ensemble ou, subsi-
diairement, une partie de la preuve qu'elle a sou- mise. En dernier lieu, elle soutient qu'il a fait erreur dans l'évaluation des dommages-intérêts.
Les passages pertinents des documents de sou- mission prévoyaient:
2.2 DURÉE DU CONTRAT
Le contrat concernant l'exploitation et l'entretien de l'aé- roport de Frobisher Bay, Frobisher Bay, T.N.-O., sera d'une durée de deux (2) ans commençant à 00:01 heure le 1°' août 1981.
Toutefois, le Ministère se réserve le droit de prolonger le contrat d'une durée additionnelle de deux (2) années sous réserve des conditions suivantes:
1) Que l'entente de prolongation soit convenue mutuelle- ment et dûment exécutée entre les deux parties, quatre (4) mois avant la date d'expiration originale du contrat.
2) Que les termes et conditions du contrat original demeu- rent inchangés.
(1) PROLONGATION DU CONTRAT
Le contrat pour l'exploitation et l'entretien de l'aéroport de Frobisher Bay, Territoires du Nord-Ouest, sera d'une durée de deux (2) années commençant le 1" août 1981. Cependant, le Ministère se réserve le droit de prolonger le contrat pour une durée additionnelle de deux (2) années.
Une telle prolongation se fera seulement après entente mutuelle entre l'Entrepreneur et le Ministère, conformé- ment aux conditions stipulées à l'article 2.2 du devis ci-joint. Dans l'éventualité d'une prolongation, les soumis- sionnaires doivent insérer leurs prix de soumission pour les deux (2) années supplémentaires aux pages 5A à 5F.
Advenant que le Ministère et l'Entrepreneur en viennent à une entente relativement à la prolongation du contrat pour les années 1983-84 et 1984-85, les prix indiqués aux pages 5A à 5F serviront à établir la modification officielle au contrat et seulement ces prix serviront.
De plus, tous les autres termes et conditions du contrat original demeureront inchangés et en vigueur pendant la durée de toute prolongation au contrat, s'il en est.
Était également stipulé que:
Le ministère n'acceptera pas nécessairement ni la plus basse ni aucune des soumissions.
Deux soumissionnaires présentèrent des offres, l'appelante et Tower Arctic Limited, l'entrepre- neur titulaire du contrat, désignée ci-après «Tower». Voici quelles étaient leurs offres:
Appelante Tower
Durée du contrat 948 600$ 952 538$
Période de prolongation 1 241 890$ 1 180 000$
Total 2 190 490$ 2 132 538$
Après réception des offres, le ministre des Trans ports a, au terme de négociations avec Tower, obtenu l'engagement suivant, signé par le président de Tower:
[TRADUCTION] ... il nous fait plaisir par les présentes de vous confirmer que nous sommes disposés à conclure un contrat d'une durée de quatre années, commençant le I" octobre 1981 pour se terminer le 30 septembre 1985, et nous vous confirmons également que le prix indiqué dans notre soumission restera inchangé.
Nous comprenons que l'attribution d'un tel contrat est sujette à l'approbation du Conseil du Trésor.
Le Ministre a recommandé au Conseil du Trésor qu'un contrat de quatre ans soit conclu avec Tower. Dans les faits, le Conseil du Trésor n'a autorisé qu'un contrat de deux ans avec Tower. L'engagement pris par Tower relativement à la période de prolongation n'a jamais été retiré. Le Ministre a reconnu que si Tower n'avait pas accepté de signer pour l'ensemble des quatre années au prix prévu dans sa soumission, c'est l'offre de l'appelante qui se serait avérée [TRADUC- TION] «la plus avantageuse sur le plan financier». L'aptitude de l'appelante à exécuter le contrat semble n'avoir jamais été mise en doute, conclu sion à laquelle est arrivé le juge de première instance. Il semble qu'à la date du procès, le contrat initial de deux ans n'avait pas pris fin et qu'aucun appel d'offres concernant un contrat éventuel n'avait été publié. L'avocat de l'appelante a déclaré, durant sa plaidoirie devant cette Cour, que dans les faits, Tower exécute présentement les services faisant l'objet du marché. Les seuls élé- ments de preuve concernant ce qui permet à Tower d'exécuter ainsi le travail sont ressortis lors du contre-interrogatoire du président de l'appelante par l'avocat de l'intimée et le savant juge de première instance.
[TRADUCTION] PAR M. CIAVAGLIA:
Q. ... que vous a dit Transport à l'égard de la décision du Conseil du Trésor?
LA COUR: Pourriez-vous répondre à cette question?
LE TÉMOIN: Oui.
LA COUR: Que vous a-t-on dit?
LE TÉMOIN: On m'a dit que le Conseil du Trésor n'avait pas accepté la recommandation de ne pas accorder le contrat à Tower Arctic pour quatre années. Toutefois, dans leur sagesse, ils ont décidé d'autoriser un contrat de deux ans et mis de côté des fonds pour les deux années suivantes en tenant compte des prix mentionnés par Tower pour la période subséquente de deux ans et autorisé le ministère des Transports à négocier une
prolongation supplémentaire grâce aux fonds alors disponibles, au moment opportun et si cela s'avérait avantageux.
LA COUR: On vous a dit que le Conseil du Trésor avait informé Transport qu'il n'accorderait pas le contrat ...
LE TÉMOIN: Pour quatre années.
LA COUR: ... au titulaire actuel pour une période de quatre années.
LE TÉMOIN: Pour quatre années.
LA COUR: Mais qu'au lieu de cela ..
LE TÉMOIN: On a dit, «Nous accorderons—nous donnerons le contrat au titulaire pour deux ans.»
LA COUR: Oui.
LE TÉMOIN: ... et ensuite ils ont immédiatement mis de côté des fonds équivalents au montant prévu dans l'offre de Tower pour les troisième et quatrième années ...
LA COUR: Oui.
LE TÉMOIN: ... et autorisé Transport à soit—dans leur sagesse, négocier alors la confirmation de l'option et conclure un second contrat de deux ans, soit, si cela ne se concrétisait pas, ordonner à Transport de présenter un nouvel appel d'offres.
On a ensuite montré au témoin un document, apparemment produit par l'intimée à l'interroga- toire au préalable, et d'où, comme l'indique la transcription, ce dernier tirait ses renseignements. Les avocats étaient prêts à faire coter cette pièce sur le champ, mais le juge a refusé étant donné l'engagement de l'intimée d'assigner un témoin qui serait en mesure de l'identifier adéquatement. Comme la requête en non-lieu a été accueillie, ce témoin n'a jamais été assigné et le document n'est pas au dossier.
Le savant juge de première instance n'a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité. Il ne s'est pas prononcé de façon expresse sur le poids à accorder à l'élément de preuve susmentionné.
Dans sa seconde déclaration amendée, l'appe- lante a plaidé:
9. Après le début de la présente action, le Conseil du Trésor a été informé par son conseiller juridique que la recommandation du ministère des Transports d'accorder le contrat à Tower pour une période de quatre ans était illégale. En conséquence, la défenderesse a accordé le contrat à Tower Arctic Limited pour une période de deux ans.
10. La décision d'accorder le contrat à Tower Arctic Limited pour une période de deux ans a été prise de mauvaise foi en ce que les agents de la défenderesse ont choisi la soumission de Tower Arctic Limited non pas en tenant compte des mérites relatifs des soumission ou des aptitudes relatives de la deman- deresse et de Tower Arctic Limited à exécuter le travail prévu
au contrat, mais plutôt au terme de négociations «illégales» avec Tower Arctic Limited relativement au prix de la période de prolongation de deux ans.
Après avoir cité le paragraphe 9 susmentionné mais non le paragraphe 10, le savant juge de première instance a déclaré:
En réponse à cet argument, la défenderesse a allégué au paragraphe 8:
[TRADUCTION] 8. En réponse au paragraphe 9 de la seconde déclaration amendée, elle déclare que Transports Canada et le Conseil du Trésor ont été avisés du fait que le contrat devait être accordé uniquement pour la période initiale de deux ans afin de respecter les conditions des documents de la soumission et du cahier des charges.
Cet allégué de la demanderesse auquel a acquiescé la défen- deresse empêche désormais l'une et l'autre des parties de soutenir autre chose. Il s'ensuit que le Conseil du Trésor n'a jamais agi sur la foi de quelque recommandation contraire à ces conditions. Si le comité composé de Lanthier, Imbeault et St. Pierre a manqué à quelque obligation envers la demanderesse en demandant à Tower si elle s'engagerait à s'en tenir aux chiffres avancés dans sa soumission pour la troisième et la quatrième année, il s'est agi d'un facteur qui n'a causé aucun préjudice à la demanderesse puisque le Conseil du Trésor a refusé d'en tenir compte et n'a accordé le contrat à Tower que pour deux ans.
Respectueusement, le juge de première instance a examiné la prétention de l'appelante suivant laquelle un contrat de deux ans fut accordé en faisant totalement abstraction de son contexte: l'allégation de mauvaise foi. Il s'agit d'une allégation dont il n'a tout simplement pas traité.
Dans R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267, la Cour suprême du Canada a examiné la relation entre le propriétaire et un soumissionnaire dans le cadre d'un contrat d'entreprise. Je ne vois aucune distinction découlant de l'objet du contrat en litige en l'espèce. Le juge Estey, parlant pour la Cour, a fait état, aux pages 121 et 122 R.C.S.; 274 D.L.R., du «contrat A (celui qui prend naissance dès la présentation de la soumission)» et du «contrat B (le contrat d'entreprise dont la formule fait partie des pièces de l'appel d'offres)». En l'espèce, tout comme dans cette décision, c'est le contrat A qui nous intéresse. En vertu du contrat A, l'intimée avait l'obligation de n'accorder un contrat qu'en conformité des modalités de l'appel d'offres. La stipulation suivant laquelle le Ministère n'accep- tera pas nécessairement ni la plus basse ni aucune des soumissions ne vient pas changer cet état de
chose. L'intimée pouvait n'accorder aucun contrat du tout ou encore accorder le contrat B à Tower, mais elle avait une obligation contractuelle envers l'appelante, soit celle de ne pas accorder autre chose à Tower que le contrat B.
La preuve établit clairement que le ministre des Transports a, sur l'avis de ses fonctionnaires, recommandé au Conseil du Trésor que l'intimée contrevienne au contrat A en accordant à Tower un contrat de quatre ans. Les plaidoiries écrites ont établi que, dans les faits, un contrat de deux ans avait été conclu. La question qui se pose est celle de savoir si le contrat de deux ans a été conclu de bonne foi, c'est-à-dire: s'agissait-il d'un simulacre, s'agissait-il d'un contrat de deux ans au plan de la forme mais de quatre ans quant au fond.
L'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, modifié par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4, Annexe Ill, porte:
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas un ministre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confi- dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (I), «un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada» s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom- mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi cations ou de discussions entre ministres de la Couronne sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
f) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
Les exceptions prévues au paragraphe 36.3(4) ne s'appliquent pas. Le Conseil du Trésor est un comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada: Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F.-10, paragraphe 3(1). Les documents précisés sont les documents décrits à l'alinéa 36.3(2)a).
Voici le texte complet du certificat:
[TRADUCTION] Je, soussigné, Gordon Francis Osbaldeston, fonctionnaire, résidant dans la cité de Nepean, dans la Munici- palité régionale d'Ottawa-Carleton, dans la province d'Ontario, certifie et déclare:
1. Je suis le greffier du Conseil privé pour le Canada et le secrétaire du Cabinet.
2. J'ai personnellement examiné et étudié avec soin une soumis- sion en date du 21 juillet 1981 présentée par Jean-Luc Pépin aux Ministres du Conseil du Trésor de même qu'un résumé du Conseil du Trésor daté du 14 septembre 1981 et préparé par les fonctionnaires de ce ministère pour fins d'examen par les ministres du Conseil du Trésor, aux fins de déterminer si ces documents renferment des renseignements constituant des ren- seignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
3. Je certifie à cette honorable Cour, conformément au para- graphe 36.3(1) et à l'alinéa 36.3(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada S.R.C. 1970, chap. E-10, modifié par 1980-81-82 (Can.) chap. l 11, que les documents mentionnés et décrits au paragraphe 2 ci-dessus, renferment des renseignements consti- tuant des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada et je m'oppose à la divulgation de ces documents et des renseignements qu'ils renferment.
Il n'est pas clair, à la lumière du dossier, si la soumission et le résumé avaient effectivement été produits à l'interrogatoire au préalable, mais leur teneur avait certainement été révélée et cela, sans qu'aucune objection ne soit formulée. Voici d'au- tres documents qui ont effectivement été produits:
(a) une note de service, en date du 30 juin 1981, envoyée au bureau principal par le bureau régio- nal du Ministère et renfermant, au dire de l'avo- cat de l'intimée, certains [TRADUCTION] «passa- ges repris textuellement de la soumission du Conseil du Trésor»;
(b) une note de service en date du 8 juillet 1981 envoyée par un fonctionnaire au Ministre pour lui faire part de la teneur de la note de service (a);
(c) le troisième paragraphe d'une lettre datée du 30 juillet 1981 envoyée par le Ministère à l'avocat de l'appelante, l'informant de la teneur de la soumission du Ministre au Conseil du Trésor; et
(d) une lettre datée du 30 septembre 1981 expé- diée par le sous-secrétaire du Conseil du Trésor présumément au Ministre ou au Ministère pour lui communiquer la décision du Conseil du Trésor.
Le savant juge de première instance a également refusé d'admettre en preuve certains passages de l'interrogatoire au préalable portant sur ces docu ments et sur les renseignements qu'ils renferment.
Le document (d) est le document qui devait être présenté par le témoin que l'intimée s'est engagée à assigner. Les renseignements qu'ils renfermaient auraient pu faire l'objet d'un certificat en règle se rapportant à la décision en vertu de l'alinéa 36.3(2)c). Aucune objection n'a toutefois été for- mulée à l'encontre de la divulgation de la décision du Conseil du Trésor et, en conséquence, pour ce seul motif, le document (d) était recevable. Le fait que ce document n'a pas été admis en preuve est peut-être davantage imputable à la confusion qu'à une intention de l'exclure.
Pour ce qui est des documents (a) et (b), j'éprouve énormément de difficulté à admettre qu'on puisse dire que des documents antérieurs à la soumission renferment «des passages repris tex- tuellement de la soumission du Conseil du Trésor». En fait, ce serait plutôt le contraire. La question qui se pose est celle de savoir si les renseignements contenus dans les notes préparées par les fonction- naires dans l'intention que leur contenu soit à la base d'une présentation du Ministre, que les notes en question soient adressées au Ministre ou d'un fonctionnaire à un autre, devraient être qualifiés de «renseignement[s] contenu[s] dans une note destinée à soumettre des propositions ou recom- mandations au Conseil». A mon avis, une telle qualification s'impose. Cependant, à moins que le but du document ressorte à sa face même, il sera difficile de l'établir. Il y a sûrement une pléiade de notes de service qui circulent au sein de la Fonc- tion publique à des fins autres que la présentation de propositions ou recommandations au Conseil et dont la divulgation n'est pas interdite par l'article 36.3.
Il ne fait aucun doute que le document (c) renferme [TRADUCTION] «des renseignements con- tenus dans la présentation au Conseil du Trésor». Le dossier d'appel renferme une copie intouchée de la lettre.
Pour ce qui est des renseignements des deux documents précisés dans le certificat et des docu ments (a), (b), et (c), la question consiste mainte- nant à déterminer si, dans les circonstances, le certificat empêche effectivement la Cour de les admettre en preuve. Nous n'examinons pas en l'espèce des renseignements qui auraient été divul- gués ou obtenus de façon irrégulière ou illégale. Il s'agit plutôt de renseignements dont on aurait pu, et peut-être même dû, préserver la confidentialité, ce qui n'a toutefois pas été le cas entre les parties à la présente action. Les renseignements contenus au document (c) constituaient un aveu, fait en toute connaissance de cause, au procureur de l'appelante par un fonctionnaire compétent du Ministère, le 30 septembre 1981, après que l'action eut été inten- tée. Les documents (a) et (b) ont certainement été divulgués à l'enquête au préalable tenue dans le cadre de l'action.
Je ne connais aucun précédent portant sur l'arti- cle 36.3 et on ne nous en a cité aucun. A l'excep- tion d'une seule décision, les jugements traitant de l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10 (abrogé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 3)] maintenant abrogé de même que la jurisprudence britannique me sont apparus singulièrement peu utiles, si ce n'est par la façon dont ils expliquent comment la non-divulgation, qu'elle se fonde sur la Loi ou sur la common law, peut servir l'intérêt public. L'arti- cle 36.3 et les articles connexes offrent un cadre législatif nouveau et exhaustif.
L'exception susmentionnée est la décision dans l'arrêt McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 352, cette Cour s'est vue demander de restreindre l'accès du public à des documents dont on aurait pu invoquer le caractère confidentiel, ce qui n'a toutefois pas été fait, en vertu du paragraphe 41(1). Ces documents avaient été produits au greffe de la Cour sous la classification «Très secret» pour faire partie du dossier de la Cour dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28. La Cour a déclaré à la page 356:
... il s'agit alors, me semble-t-il, d'un cas rare la Cour a la possibilité de décider de son propre chef que de tels documents ne doivent pas être produits pour des motifs d'intérêt public, en particulier lorsque les documents en cause ont déjà été commu- niqués à la partie adverse, comme c'est le cas en l'espèce.
La demande en vue de restreindre l'accès du public fut rejetée. Le principe n'est pas entièrement dénué de pertinence dans les présentes circons- tances.
L'article 36.3 repose sur le principe suivant lequel le Conseil privé de sa Majesté pour le Canada sera suffisamment avisé pour ne pas divul- guer les renseignements qu'il juge confidentiels et suivant lequel ce n'est que devant «le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements» qu'il est nécessaire d'invoquer le droit à la confi- dentialité prévu par la Loi. Une lecture objective de cet article révèle qu'il protège de la contrainte de divulguer ces renseignements et non de leur admission en preuve si ils sont obtenus autrement que par l'exercice, par le tribunal, de son pouvoir de contraindre à leur production.
C'est faire preuve de beaucoup d'irréalisme que de prétendre que le dépôt d'un certificat a pour effet d'effacer la production de renseignements déjà légalement divulgués à la partie adverse dans une procédure judiciaire. Tous ceux qui possèdent un intérêt légitime dans ces renseignements les ont en mains sauf la Cour. Le fait de préserver la confidentialité de ces renseignements uniquement vis-à-vis de la Cour, dans un tel cas, sous-entend l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un certificat en vue de faire obstruction à l'adminis- tration de la justice et ce, sans aucun motif légi- time apparent. Le Parlement n'a pas exprimé une telle intention et la lui prêter est tout simplement choquant.
À mon avis, le certificat produit dans le cadre de la présente action ne fait pas obstacle à la receva- bilité en preuve des documents (a), (b), (c) ou (d) ni à la recevabilité de documents précisés dans le certificat si ils ont dans les faits été produits à l'interrogatoire au préalable, ni à la recevabilité de l'interrogatoire au préalable traitant de ces docu ments recevables.
L'élément de la preuve suivant lequel le Conseil du Trésor a approuvé le financement pour les troisième et quatrième années et a autorisé le ministère des Transports à négocier, à sa discré- tion, un contrat ferme pour les troisième et qua- trième années sur la base de l'engagement non encore exécuté pris par Tower, doit être soupesé à
la lumière de la recommandation qu'a effective- ment faite le ministre des Transports au Conseil du Trésor et de l'absence de tout motif apparent justifiant l'attribution d'un contrat de deux ans au soumissionnaire ayant présenté l'offre la plus élevée. L'intimée avait le droit d'agir arbitraire- ment, mais, si elle l'a fait, elle a dérogé aux normes publiées dans ses directives. Je suis d'avis qu'il y avait des éléments de preuve tendant à établir que le contrat de deux ans conclu avec Tower n'était que de la frime. Le savant juge de première instance a fait erreur en concluant que les plaidoiries écrites empêchaient d'avancer un tel argument. Il s'ensuit, à mon avis, que le savant juge de première instance a fait erreur en accueil- lant la requête en non-lieu.
Une requête en non-lieu dans un procès civil sans jury m'apparaît une procédure assez inhabi- tuelle. Il existe néanmoins des précédents bien que je n'en ai trouvé aucun dans les rapports judiciai- res des dernières années. La seule mention concer- nant le non-lieu dans les Règles de la Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] se trouve à l'article 339 des Règles et cette disposition n'est d'aucun secours en l'espèce. De même, les deux arrêts cités durant les plaidoiries devant le juge de première instance ne sont pas particulièrement pertinents. Dans Active Construction Ltd. v. Routledge Gravel Ltd. (1959), 27 W.W.R. 287, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique traitait du droit d'un défendeur de présenter sa preuve après le rejet de sa requête en non-lieu dans un cas on ne lui avait pas imposé la condition de s'abstenir de présenter sa preuve par la suite. Dans McKenzie et al. v. Bergin et al., [1937] O.W.N. 200 (C.A.), le non-lieu avait été accordé dans le cadre d'un procès devant jury.
La Cour d'appel de l'Alberta, dans Hayhurst v. Innisfail Motors Ltd., [1935] 1 W.W.R. 385, a examiné une requête en non-lieu dans le cadre d'un procès civil sans jury. Tous les défendeurs ont demandé et obtenu un non-lieu. En définitive, la Cour d'appel a jugé que la décision d'accorder le non-lieu était fondée à l'égard de tous les défen- deurs sauf un. La Cour, unanime sur cette ques tion, a adopté ce qui lui est apparu être la pratique en Ontario, comme l'a souligné le juge en chef à la page 391:
[TRADUCTION] ... à l'avenir, lorsqu'un défendeur sollicite le rejet de la demande, une fois la preuve du demandeur close, il
le fait au risque de se voir priver du droit de présenter quelque élément de preuve que ce soit en sa faveur, car si le juge du procès accueille sa demande et que la Cour d'appel en vient à la conclusion que ce dernier était dans l'erreur, elle se sentirait libre de statuer définitivement sur le cas à la lumière de la preuve déjà produite et elle agira ainsi à moins qu'elle ne juge, dans l'exercice de sa discrétion, qu'il y va de l'intérêt de la justice de procéder autrement.
On a ordonné la tenue d'un nouveau procès dans le cas de l'un des défendeurs.
Je suis d'avis que l'intérêt de la justice com- mande en l'espèce la tenue d'un nouveau procès.
Ce n'est que pure spéculation que de se deman- der si la requête en non-lieu aurait été présentée ou accueillie si le savant juge de première instance avait bien évalué l'effet du certificat. Ses erreurs sur ce point étaient probablement imputables, dans une large mesure, au fait que ce document a été produit au tout dernier moment. Il ressort claire- ment du dossier que Frobisher Bay ne disposait pas d'une bibliothèque adéquate, que l'avocat de l'appelante a été pris par surprise et que la situa tion, principalement sur le plan géographique, a fait en sorte qu'il était pratiquement impossible d'ajourner afin de permettre aux intéressés d'exa- miner à fond l'effet du certificat.
Je suis d'avis d'acueillir l'appel et, les dépens de l'appel de même que ceux accordés en première instance seront taxés et payables sur le champ entre procureur et client. Les autres dépens devant la Division de première instance devraient être laissés à la discrétion du juge qui présidera le nouveau procès. Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire d'examiner l'appel interjeté à l'encontre de l'évaluation des dommages-intérêts.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris aux présents motifs.
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