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T-364-85
Paul Tonato (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Division de première instance, juge Walsh—Mont- réal, 10 et 17 juin 1985.
Immigration Demande visant à obtenir une ordonnance annulant une ordonnance d'explusion Le requérant est entré au Canada grâce à un permis du Ministre et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention Sa revendication a été rejetée Le requérant n'a pas eu droit à la tenue d'une audition L'art. 45(l) de la Loi sur l'immigration de 1976 ne prévoit la tenue d'une audition que s'il s'agit d'aune enquête au cours de laquelle., une revendication est présentée Les art. 70 et suivants renvoient à l'art. 45 Le requérant a fait l'objet de discrimination parce qu'il n'avait pas le droit de demander le réexamen de sa revendication comme c'est le cas pour les visiteurs ou les immigrants Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration, /19851 1 R.C.S. /77, la Cour a statué qu'une partie de l'art. 71(1) est inopérante parce qu'elle est incompatible avec la tenue d'une audition et contraire à l'art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits et à l'art. 7 de la Charte L'expression ..conformé- ment au par. 45(5).. figurant à l'art. 70(1) et l'expression avisé au par. 45(/)„ utilisée à l'art. 70(2) sont inopérantes parce qu'elles sont discriminatoires envers les personnes qui n'ont pas le droit à la tenue d'une enquête et pour lesquelles aucune enquête n'a été ordonnée Le requérant devra être interrogé par un agent d'immigration supérieur L'exécution de l'or- donnance d'expulsion est suspendue jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 37(4),(5),(6), 45(1),(5), 70(1),(2), 71(1)
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 12, 24 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. /970, Appendice Ili, art. 2e) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. /970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18, 28.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Justice fondamentale Le requérant prétend que son expulsion conformément à l'art. 36(7) de la Loi sur l'immigration de 1976 contrevient aux art. 7 et 12 de la Charte
Le requérant est entré au Canada grâce à un permis du Ministre et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention Le Ministre a rejeté sa revendication Suivant l'art. 70(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, qui renvoie à l'art. 45(5), le requérant n'a pas le droit d'interjeter appel à la Commission d'appel de l'immigration parce qu'il n'a pas pré- senté sa revendication à l'audition Application de l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 La distinction établie entre privilèges et droits est inacceptable en ce qui concerne la Charte Étant donné les conséquences que peut avoir la négation du statut de réfugié au sens de la Convention, la Charte s'applique pour donner aux personnes craignant avec raison d'être persécutées
le droit de bénéficier de la justice fondamentale Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 12.
Droit constitutionnel Charte des droits Recours Pouvoirs de redressement Tribunal compétent Demande présentée en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale afin de faire annuler une ordonnance d'expulsion La déci- sion d'annuler un permis du Ministre est une décision admi nistrative La Division de première instance de la Cour fédérale est un «tribunal compétent» au sens de l'art. 24 de la Charte Application de l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [19851 1 R.C.S. 177 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 24 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18, 28.
Le requérant cherche à obtenir, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, une ordonnance annulant l'ordon- nance d'expulsion prononcée contre lui ou encore, une ordon- nance de prohibition ou une injonction empêchant son expul sion tant qu'il n'aura pas eu droit à la tenue d'une audition. Il soutient que la décision de l'expulser, prise en vertu du paragra- phe 37(6) de la Loi sur l'immigration de 1976, contrevient aux articles 7 et 12 de la Charte ainsi qu'à la règle audi alteram partem. Le requérant est entré au Canada grâce à un permis du Ministre. il a reçu, par la suite, un avis lui indiquant que son permis ne serait pas renouvelé et qu'il devrait quitter le Canada. Le requérant n'a pas été entendu par les autorités de l'immigration mais il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention dans une déclaration faite sous serment. Le Ministre a rejeté sa revendication. On a informé le requérant que, étant donné qu'il n'avait pas présenté sa revendication à une audition, il ne pouvait pas demander à la Commission d'appel de l'immigration de l'examiner. Le paragraphe 45(1) prévoit qu'un agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire sous serment d'une personne qui revendique le statut de réfugié au sens de la Convention au cours d'une enquête. Le paragraphe 70(1) prévoit qu'il est possible de demander à la Commission d'appel de l'immigration de procé- der à un réexamen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention lorsque le Ministre a refusé d'accueillir une telle revendication et en a informé le requérant conformé- ment au paragraphe 45(5). Le paragraphe 71(1) porte que la demande suivra son cours si la Commission estime que le demandeur pourra établir le bien-fondé de la revendication. Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, la Cour suprême du Canada a statué que le paragraphe 71(1) de la Loi est incom patible avec la tenue d'une audition et contraire à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits et à l'article 7 de la Charte. Elle a jugé inopérante toute la partie du paragraphe 71(1) qui suit le texte «La Commission, saisie d'une demande visée au paragraphe 70(2), doit l'examiner sans délai ...w
Jugement: (1) L'expression «conformément au paragraphe 45(5)w figurant au paragraphe 70(1) de la Loi sur l'immigra- tion de 1976 et l'expression «visé au paragraphe 45(1)w que l'on trouve au paragraphe 70(2) sont inopérantes. (2) Le requérant devra être interrogé sous serment par un agent d'immigration supérieur au sujet de sa revendication du statut de réfugié au
sens de la Convention. (3) L'exécution de l'ordonnance d'expul- sion est suspendue jusqu'à ce qu'une décision finale ait été rendue sur la nouvelle revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le requérant.
La décision d'annuler le permis du Ministre est une décision administrative et il n'est pas nécessaire qu'elle soit rendue d'une manière judiciaire ou quasi judiciaire, mais elle doit évidem- ment être équitable: Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Im- migration c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470. Il semble cepen- dant que le récent arrêt Singh (précité) enlève tout effet à la déclaration faite dans Hardayal suivant laquelle l'intention du législateur ne pouvait être d'assujettir l'exercice du pouvoir au droit à une audition équitable. En raison de l'arrêt Singh, on peut aussi remettre en question la conclusion de la Cour dans l'arrêt Vincent c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 27 juin 1983, Cour fédérale, Division d'appel, A-144-83, non encore publié. Les décisions rendues dans Arumugam c. Min. de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 11 Admin. L.R. 228 (C.F. I"« inst.), Milius c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 55 N.R. 389 (C.F. Appel) et Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, [1981] 1 C.F. 211 (C.A.) ont établi que l'existence d'un autre recours dans la Loi, c'est-à-dire l'appel à la Commis sion d'appel de l'immigration, empêche de réclamer un certio- rari au sujet du bien-fondé de la demande. Il n'existe en l'espèce aucun droit d'appel à la Commission. Le paragraphe 45(1) prévoit la procédure dans «une enquête au cours de laquelle» une personne revendique le statut de réfugié au sens de la Convention. La procédure de réexamen et d'appel des articles 70 et suivants renvoie à l'article 45. La Loi ne prévoit pas la tenue d'une audition pour une personne admise au Canada non pas comme visiteur ou comme immigrant mais grâce à un permis du Ministre dont le renouvellement peut être refusé en tout temps par un acte administratif de ce dernier.
L'intimé soutient que, même si le requérant n'a pas eu droit à une audition et qu'il ne possède pas un droit d'appel en vertu de la Loi, la Cour ne peut modifier le droit de manière à lui conférer des droits que la Loi ne lui accorde pas. Dans l'arrêt Singh, le juge Wilson a exprimé certains doutes quant à la distinction entre privilèges et droits qui a restreint la portée de la Déclaration canadienne des droits. Elle a dit que cette analyse était inacceptable en ce qui concerne la Charte. Selon elle, étant donné les conséquences que la négation du statut de réfugiés au sens de la Convention peut avoir pour les appelants s'ils sont effectivement des personnes «craignant avec raison d'être persécutée[s]», la Charte devrait s'appliquer de manière à leur donner le droit de bénéficier des principes de justice fondamentale. Cependant, le paragraphe 24(1) de la Charte ne confère un pouvoir de redressement qu'à «un tribunal compé- tent». Dans l'affaire Singh, la Cour d'appel n'avait pas compé- tence pour examiner les décisions ministérielles prises confor- mément à l'article 45 car il s'agissait de décisions «administratives». L'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne confère des pouvoirs de surveillance à la Cour d'appel fédérale que sur les décisions soumises à un «processus judiciaire ou quasi judiciaire». Le juge Wilson a fait le commentaire suivant: «Si tout avait commencé en l'espèce par des requêtes en certio- rari devant la Division de première instance de la Cour fédérale conformément à l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, les décisions ministérielles rendues en vertu de l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976 pourraient faire l'objet d'un examen.»
La Loi est inéquitable mais la Cour ne peut la modifier. Toutefois, étant donné que la Cour suprême a statué dans l'arrêt Singh qu'une partie du paragraphe 71(1) est inopérante, il est loisible à la Cour fédérale, Division de première instance, de conclure, sur présentation d'une demande fondée sur l'article 18, que certaines expressions figurant aux paragraphes 70(1) et (2) sont inopérantes puisque, par leur renvoi à l'article 45, elles limitent aux seules revendications faites au cours d'une enquête les appels interjetés à la Commission d'appel de l'immigration au sujet d'une décision ministérielle fondée sur une revendica- tion du statut de réfugié au sens de la Convention; elles sont de ce fait discriminatoires envers les personnes pour lesquelles aucune enquête n'a été ordonnée et ne peut être exigée. Une telle discrimination contrevient aux principes dégagés dans l'arrêt Singh. La Cour peut, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, ordonner un tel redressement.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Arumugam c. Min. de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 11 Admin. L.R. 228 (C.F. l'e inst.); Milius c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 55 N.R. 389 (C.F. Appel); Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] I C.F. 211 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal, [1978] I R.C.S. 470; Vincent c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 27 juin 1983, Cour fédérale, Division d'appel, A-144-83, non publié; Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1984] 2 C.F. 68 (C.A.).
AVOCATS:
Melvin Weigel pour le requérant.
Suzanne Marcoux-Paquette pour l'intimé.
PROCUREURS:
Weigel, Duong & Kliger, Westmount (Québec), pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Le requérant cherche à obte- nir une injonction interlocutoire et ce qu'il appelle un jugement déclaratoire contre une décision rendue le 12 septembre 1984 ordonnant son expul-
Sion conformément au paragraphe 37(6) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52]; il prétend que ladite décision contrevient aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et ne respecte pas la règle audi alteram partem. La requête a été rédigée en toute hâte dans l'après- midi du 19 février 1985 parce qu'il a été impossi ble pour le requérant qui était alors détenu aux bureaux de l'Immigration, de communiquer avec son avocat avant le 20 février, et que celui-ci n'a été informé que le 21 février au matin que le requérant serait expulsé le 22 février. Cela expli- que sans doute le libellé ambigu des conclusions du requérant qui demande qu'il soit interdit aux auto- rités du Ministère de l'expulser tant qu'elles n'au- ront pas tenu une audition et qu'il n'aura pu exercer les recours prévus aux articles 45 et 70 de la Loi sur l'immigration de 1976; il requiert aussi que l'ordonnance d'expulsion prononcée le 12 sep- tembre 1984 soit déclarée nulle et inopérante.
L'avocat du requérant a admis qu'un jugement déclaratoire ne peut être rendu sur présentation d'une simple requête; mais ce qu'il cherchait en réalité à obtenir, c'était l'annulation de l'ordon- nance du 12 septembre 1984 ou une conclusion de la nature d'une ordonnance de prohibition ou d'une injonction portant que le requérant ne pour- rait être expulsé tant qu'une audition n'aurait pas été tenue. Dans une décision antérieure du juge Pinard rendue sur consentement des parties, l'in- timé a accepté de suspendre l'expulsion jusqu'au prononcé d'un jugement final sur la présente requête.
L'affaire est loin d'être simple, et j'estime qu'il faut examiner la situation du requérant au fond plutôt que les vices de forme, étant donné d'une part les dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 qui ont été rigoureusement respectées et d'autre part le jugement récent de la Cour suprême du Canada dans Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; même s'il n'est pas directement applicable, cet arrêt indique clairement qu'une personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention a droit à une audition, ce qui lui permet d'être informée de la preuve invoquée
contre elle et d'examiner cette preuve avant qu'une décision finale soit rendue sur sa revendication du statut de réfugié.
Les faits révélés dans les affidavits et les pièces annexées présentés en preuve sont les suivants.
Le requérant est le 28 janvier 1956 à Grand Popo, (Bénin) en Afrique occidentale. Il est citoyen de ce pays et ne prétend pas posséder le statut de résident d'un autre pays. 11 est venu au Canada le 27 juin 1982 en tant que participant à un programme d'échange de jeunes parrainé par une organisation non gouvernementale appelée «Frontier Foundation» et il a travaillé pour cette organisation à titre bénévole dans des communau- tés rurales autochtones situées en Alberta. Il a été admis grâce à un permis du Ministre accordé en vertu de l'article 37 de la Loi. Ce permis a été renouvelé pour la période du 2 septembre 1982 au 2 mars 1983. Le 23 février 1984, c'est-à-dire pres- que un an plus tard, le requérant a reçu un avis du Ministre l'informant que son permis ne serait pas renouvelé et qu'il devrait quitter le Canada avant le 8 mars 1984.
Le 3 octobre 1983, le requérant a déclaré à la Commission d'appel de l'immigration qu'il était domicilié au 8645, boulevard Pie IX, app. 37, à Montréal. Le 7 janvier 1985, il a téléphoné au bureau d'immigration situé sur la rue Jean Talon à Montréal pour indiquer son changement d'adresse, déclarant qu'il habitait désormais au 2673, rue Coleraine, à Montréal. Son dossier a alors été transmis au bureau de la rue Dorchester. Du 3 octobre 1983 au 7 janvier 1985, il n'a pas fourni d'autres changements d'adresse. Le 22 octobre 1984, une lettre que la Commission avait envoyée à la dernière adresse connue du requérant a été retournée parce qu'elle n'avait pas été réclamée, de sorte qu'on a effectué des recherches pour le retrouver. Un mandat d'arrêt a été décerné le 7 novembre 1984. Lorsque le requérant s'est pré- senté au bureau d'immigration le 19 février 1985 en compagnie de Roger Forget, un frère francis- cain, pour demander un permis de travail, on l'a informé à la fois du mandat d'arrêt et de l'ordon- nance d'expulsion. Il a déclaré qu'il habitait au 2673, rue Coleraine à Montréal depuis trois mois, qu'il avait quitté le 8645, boulevard Pie IX depuis plus d'un an et qu'entre-temps, il avait résidé dans
une ferme à St-François-du-Lac. Il a aussi déclaré qu'un de ses frères habitait au Canada depuis le 28 novembre 1949 et il a donné son numéro de télé- phone à l'agent d'immigration. Il a ensuite été arrêté.
Le requérant admet la plupart de ces faits. Il affirme aussi dans son affidavit qu'il craint de retourner au Bénin parce qu'il a peur d'être persé- cuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. N'ayant pu être entendu par les autorités de l'Immigration, il a revendiqué le statut de réfugié dans une déclara- tion faite sous serment le 17 janvier 1983. Le 22 juin 1983, le Ministre a rejeté cette revendication sur l'avis du comité consultatif sur le statut de réfugié. La lettre porte: «Les renseignements que vous avez fournis ne prouvent pas que vous avez raison de craindre d'être persécuté. Vous dites que les gens du Sud de votre pays sont victimes de discrimination, que, par exemple, ils n'ont pas accès à des études supérieures. Pourtant, vous n'avez pas été empêché de poursuivre vos études et rien n'indique, dans votre revendication, que vous avez souffert de discrimination, dont vous parlez en termes généraux. Certaines parties de votre déclaration sont contradictoires et affaiblissent davantage le fondement de votre revendication. Vous dites que le service militaire est obligatoire au Bénin, mais vous déclarez être entré dans l'ar- mée volontairement. Vous affirmez que vous vous êtes enrôlé à vingt-cinq ans, mais, puisque selon vos dires vous êtes entré dans l'armée en 1978, vous auriez été soldat depuis trois ans lorsque vous avez atteint l'âge de 25 ans, ce qui soulève des doutes quant à la vraisemblance de vos assertions.» La lettre porte ensuite: «Comme votre revendica- tion du statut de réfugié n'a pas été présentée à une enquête tenue aux termes de la Loi sur l'immi- gration, vous ne pouvez demander à la Commis sion d'appel de l'immigration de la réexaminer. Toutefois, si vous faites un jour l'objet d'une enquête en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976, vous pourrez présenter une nouvelle revendi- cation du statut de réfugié, conformément au para- graphe 45(1) de cette Loi, mais permettez-moi de vous faire remarquer que le Ministre ne peut discuter des détails précis de votre revendication actuelle.»
C'est pour cette raison que le requérant affirme que, depuis le 8 mars 1984, il attend d'être convo- qué à une enquête de l'immigration au cours de laquelle il pourrait encore une fois revendiquer le statut de réfugié, et que sa revendication pourrait éventuellement être réexaminée par la Commission d'appel de l'immigration suivant l'article 70 de la loi. Il est retourné au bureau de la rue Jean Talon pour avertir les autorités qu'il était toujours au pays.
Il soutient que, le 30 novembre 1984 et le 3 janvier 1985, il s'est rendu aux bureaux du minis- tère des Affaires culturelles et de l'Immigration du Québec pour demander un certificat de sélection du Québec fondé sur ses attaches au Québec et sur sa crainte de retourner au Bénin. Il a un frère qui habite à Montréal et qui est marié avec une Cana- dienne. Il se plaint que la décision du 12 septembre 1984 ordonnant son expulsion a été rendue en son absence et qu'on ne lui a jamais fourni de copie de ladite décision avant qu'elle ne soit remise à son avocat le matin du 21 février 1985; cela contredit l'affidavit de l'agent d'immigration qui affirme que cette décision a été portée à l'attention du requérant à la réunion du 19 février 1985, mais le litige ne porte pas sur ce point. Le requérant soutient qu'il a maintenant été informé par l'agent d'immigration qu'il n'y aura ni révision de sa détention ni aucune enquête de l'immigration sur son cas. Il ignorait jusqu'au moment de son arres- tation qu'on avait ordonné son expulsion du Canada. L'ordonnance d'expulsion a été régulière- ment prononcée suivant le paragraphe 37(6) de la Loi qui prévoit:
37....
(6) Le Ministre peut prononcer l'expulsion des personnes à qui il a ordonné de quitter le Canada et qui ne l'ont pas fait dans le délai imparti.
Cela s'applique aussi à l'annulation du permis. Les paragraphes 37(4) et (5) portent:
37... .
(4) Le Ministre peut, par écrit et à tout moment, proroger la durée de validité d'un permis ou l'annuler.
(5) Le Ministre peut, à l'annulation ou à l'expiration d'un permis, prononcer le renvoi de son titulaire ou ordonner à ce dernier de quitter le Canada dans un délai déterminé.
Il s'agit d'une décision administrative et il n'est pas nécessaire qu'elle soit rendue d'une manière judi-
ciaire ou quasi judiciaire, mais elle doit évidem- ment être équitable. Dans l'arrêt Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470, à la page 477, le juge Spence dit:
La décision du Ministre d'annuler le permis est certainement une ordonnance «de nature administrative» ...
Même si cette décision a été rendue sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration [S.R.C. 1970, chap. I-2] et avant l'adoption de la Charte cana- dienne des droits et libertés, il semble que les commentaires du juge aux pages 478 et 479 du jugement disant qu'on ne doit recourir au permis du Ministre que dans des circonstances exception- nelles et principalement pour des raisons humani- taires afin d'assurer une application souple de la politique d'immigration soient encore valables. Il semble cependant que le récent arrêt Singh enlève tout effet à la déclaration suivante faite aux pages 478 et 479: «je ne peux conclure que l'intention du législateur était d'en assujettir l'exercice [du pou- voir du Ministre] au droit à une audition équita- ble, comme l'a allégué l'intimé». Le juge a ajouté à la page 479 que l'omission du Ministre d'agir équitablement dans l'exercice de son pouvoir admi- nistratif pourrait donner le droit à l'intéressé d'en- tamer des procédures en vertu de l'alinéa l8a) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2c Supp.), chap. 10], mais que cette décision ne peut faire l'objet d'un examen fondé sur l'article 28.
Le paragraphe 45 (1) de la Loi prévoit:
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi- cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
D'autres paragraphes contiennent des dispositions au sujet de l'interrogatoire sous serment qui est transmis au comité consultatif sur le statut de réfugié qui donne son avis au Ministre. Le para- graphe (5) est libellé comme suit:
45....
(5) Le Ministre doit notifier sa décision par écrit, à l'agent d'immigration supérieur qui a procédé à l'interrogatoire sous serment et à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié.
Le paragraphe 70(1) porte:
70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission une demande de réexamen de sa revendication.
et le paragraphe 71(1) prévoit:
71. (1) La Commission, saisie d'une demande visée au para- graphe 70(2), doit l'examiner sans délai. A la suite de cet examen, la demande suivra son cours au cas la Commission estime que le demandeur pourra vraisemblablement en établir le bien-fondé à l'audition; dans le cas contraire, aucune suite n'y est donnée et la Commission doit décider que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
La Cour a décidé dans l'arrêt Singh que le para- graphe 71(1) de la Loi est incompatible avec la tenue d'une audition et, par conséquent, contraire à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] et à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a jugé inopérante toute la partie du paragraphe 71(1) qui suit le texte «La Commission, saisie d'une demande visée au paragraphe 70(2), doit l'examiner sans délai.»
En raison de l'arrêt Harbhajan Singh, on peut aussi désormais remettre en question la conclusion de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Vincent c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, du greffe A-144-83, jugement en date du 27 juin 1983'. Les faits de cette affaire diffèrent de ceux de l'espèce car, jusqu'au moment le Ministre a prononcé l'ordonnance d'expulsion, l'appelante n'avait pas manifesté l'intention de revendiquer le statut de réfugié, alors qu'en l'espèce, une telle indication avait été donnée et examinée par le Ministre sur avis du Comité consultatif sur le statut de réfugié. Le juge Ryan dit à la page 2 du jugement:
En prononçant une ordonnance d'expulsion, le Ministre a accompli un acte administratif. Il n'était pas tenu d'agir de façon judiciaire ou quasi judiciaire. Il devait bien sûr agir équitablement.
Il déclare à la page 5:
Il est vrai que l'ordonnance d'expulsion avait pour effet d'enlever à l'appelante toute possibilité, puisqu'elle n'avait pas de statut, de tomber sous le coup de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976. Si on avait appliqué cet article et si une enquête avait été ordonnée, elle aurait pu revendiquer le statut
1 0n m'a informé que cette affaire fait l'objet d'un appel.
de réfugié comme toute autre personne à qui on applique l'article 27 et qui désire revendiquer un tel statut.
Toutefois, la Loi sur l'immigration de 1976 n'accorde le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Conven tion et de faire examiner cette revendication par le Ministre que lorsqu'il s'agit d'une revendication présentée en cours d'en- quête. Cette restriction fait partie de la législation édictée par le Parlement dans l'exercice de sa compétence législative. Étant donné les circonstances de l'espèce, je ne crois pas que l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits nous oblige à inter- préter et à appliquer le paragraphe 37(6) de la Loi sur l'immi- gration de 1976 de telle manière qu'il faille statuer que le Ministre n'était pas fondé, en vertu de ce paragraphe, à rendre une ordonnance d'expulsion contre l'appelante, ni à interpréter l'article 50 de la Loi comme s'il ne s'appliquait pas à l'exécu- tion de l'ordonnance.
Dans un jugement récent Arumugam c. Min. de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 11 Admin. L.R. 228 (C.F. 1" inst.), quelques jours après le prononcé de la décision dans Singh mais que j'ai rédigé avant que celle-ci ne soit portée à ma connaissance, j'ai rejeté un bref de certiorari annu- lant les décisions par lesquelles l'intimé avait statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention, et l'interrogatoire sous ser- ment tenu dans cette espèce et dans une autre affaire (Balakumar Canagaratnam, T-325-85) entendue en même temps. J'ai aussi rejeté un bref de mandamus enjoignant à l'intimé de réexaminer, conformément à l'article 45 de la Loi, les revendi- cations du statut de réfugié présentées par les requérants qui se sont plaints de la manière dont l'agent a mené l'interrogatoire prévu au paragra- phe 45(1) de la Loi. On a invoqué dans cette décision le jugement du juge Marceau dans l'arrêt Milius c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion (1985), 55 N.R. 389 (C.F. Appel) il a dit à la page 393:
... il me semble que les dispositions de la Loi qui traitent de la revendication du statut de réfugié enlèvent au requérant la possibilité de demander un certiorari lorsqu'il existe des inexac- titudes dans son interrogatoire sous serment; en effet, la Loi fournit un autre recours, en partie conçu pour régler cette situation précise. Un requérant désirant corriger, compléter ou autrement expliquer les réponses qu'il a réellement données ou qu'il semble avoir données pendant l'interrogatoire que lui a antérieurement fait subir l'agent d'immigration supérieur a toutes les chances de le faire dans la déclaration sous serment qu'il doit déposer lorsqu'il demande, sur le fondement de l'article 70 de la Loi, un réexamen de sa revendication par la Commission d'appel de l'immigration.
On a aussi invoqué l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Brempong c. Le ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 211, qui portait sur une demande fondée sur l'article 28 visant à faire examiner et annuler une décision par laquelle le Ministre avait statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le juge- ment rendu par le juge Urie porte à la page 218:
A cet égard, je suis confirmé dans cette opinion par le fait que les articles 70 et 71 de la Loi sur l'immigration de 1976 accordent à celui dont la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée le droit de faire réexaminer sa demande par la Commission d'appel de l'immigration. La requête à la Commission doit être accompagnée d'une déclara- tion sous serment le requérant énonce avec suffisamment de détails les faits, renseignements et preuves sur lesquels il compte s'appuyer. La requête peut ainsi ajouter à la preuve apportée lors de l'interrogatoire devant l'agent d'immigration supérieur. L'appel peut être considéré comme une audition de novo. Cette Cour a déjà statué que ce réexamen devant avoir lieu de manière quasi judiciaire, il ouvre droit à recours en vertu de l'article 28. Les droits du requérant ne peuvent faire l'objet d'une décision définitive tant que ce dernier n'a pas épuisé tous les autres recours qui lui sont ouverts. Le requérant aux présentes reconnaît ce fait puisque, comme je l'ai déjà dit, il a déjà déposé auprès de la Commission d'appel de l'immigra- tion une demande de réexamen, se prévalant de tous les droits qui découlent de cette demande, dont celui de présenter une demande à cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi .sur la Cour fédérale.
Dans l'arrêt Daljit Singh [Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1984] 2 C.F. 68 (C.A.)], le juge Heald a dit à la page 80:
Il peut, bien sûr, y avoir des cas l'inobservation des disposi tions du paragraphe 45(6) pourrait constituer une «erreur tellement fondamentale» qu'il faudrait considérer comme nulle la décision du Ministre. 11 appartient au tribunal saisi de l'affaire de déterminer s'il s'agit d'une erreur d'une telle impor tance dans un cas particulier.
Dans l'affaire Arumugam, j'ai souscrit à la déclaration du juge Marceau dans l'arrêt Milius (précité) portant que, même si la possibilité de demander un réexamen par la Commission d'appel de l'immigration n'exclut pas totalement le droit conféré par la common law de solliciter un certio- rari, ce dernier moyen ne devrait pas être employé lorsqu'il est possible de recourir à une meilleure procédure et que, comme ce fut le cas en l'espèce, une telle procédure a été engagée.
J'ai dit en concluant à la page 244:
La Commission d'appel de l'immigration est l'instance qui a compétence pour décider du bien-fondé de la demande et à cette fin on peut lui présenter une demande de réexamen de la décision du Ministre, comme le prévoit l'art. 70(1) de la Loi. L'art. 2 dudit article 70 prévoit que la demande de réexamen doit comprendre «un résumé suffisamment détaillé des rensei- gnements et des preuves que le demandeur se propose de
fournir à l'audition». La demande de réexamen peut donc inclure de nouveaux éléments de preuve, et une fois rendue la décision de la Commission d'appel de l'immigration, on peut de nouveau interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale sur toute question de droit si la demande est accueillie. La Cour a été informée que, dans chacun des deux cas dont elle est présentement saisie, les requérants ont présenté une demande de réexamen de la revendication du statut de réfugié en vertu de l'art. 70. Il semble que ce ne soit que dans les cas rares et très exceptionnels où, de toute évidence, les dispositions de la loi n'ont pas été appliquées que la Division de première instance doive intervenir au moyen d'un bref de certiorari annulant une décision de l'intimé selon laquelle un requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention ou qu'elle doive délivrer un bref de mandamus ordonnant à l'intimé de statuer à nouveau sur la revendication d'un requérant.
Les requérants tentent de passer outre aux procédures nor- males d'appel et demandent, au moyen du recours prévu à l'art. 18, que la question en litige soit tranchée immédiatement.
Dans cette affaire, le requérant avait le droit d'interjeter appel devant la Commission d'appel de l'immigration, droit qu'il avait déjà exercé, alors qu'en l'espèce, il n'existe aucun droit d'appel de ce genre. L'autorisation d'interjeter appel n'irait pas à l'encontre de la décision récente de la Cour suprême dans l'affaire Harbhajan Singh à condi tion qu'elle soit accordée conformément au para- graphe 71(1). Le problème en l'espèce découle du libellé du paragraphe 45(1) de la Loi (précité) qui traite de la procédure dans «une enquête, au cours de laquelle» une personne revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, et la procédure de réexamen et d'appel des articles 70 et suivants renvoie à l'article 45. La Loi ne semble pas offrir la possibilité d'une audition à une personne admise au Canada non pas comme visiteur ou comme immigrant mais grâce à un permis du Ministre dont le renouvellement peut être refusé en tout temps par un acte administratif de ce dernier. Comme les avocats l'admettent, il semble que la pratique consiste à permettre à une telle personne entrée légalement au Canada en vertu d'un permis du Ministre de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention; sa demande est alors exami née par le comité consultatif sur le statut de réfugié. En l'espèce, cet examen a apparemment été fait sur le fondement d'une déclaration sous serment et, le 22 juin 1983, le Ministre a refusé d'accorder ce statut au requérant dans une déci- sion dont il ne peut être interjeté appel. Même si le permis du Ministre accordant au requérant la possibilité de demeurer au Canada a expiré le 2 mars 1983, ce n'est que le 23 février 1984 qu'on a
pris des mesures pour lui ordonner de quitter le pays avant le 8 mars.
L'intimé soutient que, même s'il est possible que le requérant n'ait jamais eu d'audition ou qu'il ne possède pas un droit d'appel en vertu de la Loi, la Cour ne peut modifier le droit de manière à lui conférer des droits que la Loi ne lui accorde pas. La Loi ne contient aucune disposition qui donne au requérant le choix de recourir à une enquête de l'immigration lorsqu'il entre au pays en vertu d'un permis du Ministre délivré conformément à l'arti- cle 37; en agissant de cette manière, le Ministre ne l'a donc privé d'aucun droit. Aux pages 208 et suivantes de l'arrêt Harbhajan Singh (précité), madame le juge Wilson a exprimé certains doutes quant à la distinction entre privilèges et droits qui a restreint la portée de l'application de la Déclara- tion canadienne des droits. Elle a dit que cette analyse était inacceptable en ce qui concerne la Charte. Elle souligne à la page 210 du jugement:
Par contre, si les appelants avaient été déclarés réfugiés au sens de la Convention suivant la définition du par. 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, ils auraient eu droit aux privilèges de ce statut prévus dans la Loi. Étant donné les conséquences que la négation de ce statut peut avoir pour les appelants si ce sont effectivement des personnes «craignant avec raison d'être persé- cutée[s]», il me semble inconcevable que la Charte ne s'appli- que pas de manière à leur donner le droit de bénéficier des principes de justice fondamentale dans la détermination de leur statut.
Le jugement porte aux pages 221 et 222:
L'arrêt Brempong c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, précité, rédigé par le juge Urie, fait ressortir l'importance de la limitation du pouvoir d'examen judiciaire que possède la cour en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Dans cet arrêt, le juge Urie fait remarquer que l'art. 28 confère à la Cour d'appel fédérale des pouvoirs de surveillance uniquement sur les décisions soumises à un «processus judiciaire ou quasi judiciaire» et que, par conséquent, cette cour n'a pas compé- tence pour examiner ce qu'il a qualifié de décision «administra- tive» rendue par le Ministre sous le régime de l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976. La Commission est un organisme quasi judiciaire et ses décisions peuvent sans aucun doute être soumises à l'examen prévu à l'art. 28. Selon moi, la question soumise à la Cour est de savoir si le pouvoir de redressement plus étendu que lui confère le par. 24(1) de la Charte lui permet d'étendre son examen des violations possibles de la Charte aux décisions ministérielles rendues conformément à l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976. J'estime que non.
Le jugement continue à la page 222:
Le paragraphe 24(1) de la Charte confère des pouvoirs de redressement à «un tribunal compétent». Cette expression pré- suppose, si je comprends bien, l'existence d'une compétence indépendante de la Charte elle-même. Cette Cour a certaine-
ment compétence, en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, pour examiner les décisions de la Commission d'appel de l'immigration dans les cas qui nous intéressent. Si tout avait commencé en l'espèce par des requêtes en certiorari devant la Division de première instance de la Cour fédérale conformé- ment à l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, les décisions ministérielles rendues en vertu de l'art. 45 de la Loi sur l'immigration de 1976 pourraient faire l'objet d'un examen. Mais, à mon avis, les violations de la Charte découlant des décisions ministérielles rendues en vertu de l'art. 45 ne peuvent faire l'objet d'un examen en l'espèce en raison des limites qu'impose à la Cour d'appel fédérale l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Je ne ferai par conséquent aucune observation quant à ces violations ni en ce qui concerne la question de savoir si ou dans quelle mesure l'art. 45 de la Loi sur l'immi- gration de 1976 est inopérant pour cause d'incompatibilité avec la Charte.
En l'espèce, ce sont les décisions ministérielles que le requérant cherche à faire annuler en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Dans l'arrêt Singh, le juge Beetz déclare à la page 229:
Ce dont les appelants sont principalement justifiés de se plaindre, à mon avis, c'est que leurs revendications du statut de réfugié ont été rejetées de manière définitive sans qu'ils aient pu bénéficier d'une audition complète à aucun moment au cours des procédures devant l'un ou l'autre des organismes ou fonctionnaires habilités à statuer sur le fond de leurs revendica- tions. Ils ont en fait été entendus par un seul fonctionnaire qui n'a rien à dire dans cette affaire, savoir un agent d'immigration supérieur. Mais ils n'ont été entendus ni par le comité consulta- tif sur le statut de réfugié qui pouvait conseiller le Ministre, ni par le Ministre qui jouissait d'un pouvoir décisionnel et qui a rejeté leur revendication, ni par la Commission d'appel de l'immigration qui n'a pas laissé leur demande suivre son cours et qui a décidé, en dernière analyse, qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
Je ne veux pas laisser entendre que les principes de justice fondamentale exigent la tenue d'audition dans tous les cas.
À la page 231, le juge souscrit à la prétention des appelants:
[TRADUCTION] Les appelants soutiennent que même si la «justice fondamentale» n'exige pas la tenue d'une audition dans chaque cas, lorsque la vie ou la liberté peut dépendre de conclusions de fait et de la crédibilité, ce qui peut être le cas dans les présentes espèces, la possibilité de soumettre des observations écrites, même assortie de la possibilité de répon- dre par écrit aux allégations de fait et de droit défavorables, est insuffisante.
Il ne fait aucun doute que la Loi sur l'immigration de 1976 est inéquitable en n'accordant aucun recours par voie d'appel à un requérant qui reven- dique le statut de réfugié au sens de la Convention à un autre moment que pendant l'enquête, alors qu'il se trouve légalement au pays grâce à un
permis du Ministre délivré en vertu de l'article 37 de la Loi. Le requérant pourrait atteindre son objectif si on remplaçait le paragraphe 45(1) de la Loi par une disposition portant que toute personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention doit être interrogée sous serment par un agent d'immigration supérieur au sujet de sa revendication. Cela constituerait toutefois une modification de la Loi que la Cour ne peut ordonner.
On pourrait arriver à un résultat semblable si on modifiait le paragraphe 70(1) de la Loi en omet- tant les mots «conformément au paragraphe 45(5)» et en omettant de même au paragraphe (2) les mots «visé au paragraphe 45(1)». II semble égale- ment que cette question relève du législateur et non de la Cour.
La Cour suprême a néanmoins déclaré dans l'arrêt Singh qu'une partie du paragraphe 71(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 est inopérante parce qu'elle est incompatible avec les principes de la justice fondamentale énoncés à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (trois juges: madame le juge Wilson, le juge en chef Dickson et le juge Lamer), ou parce qu'elle contre- vient à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (trois juges: les juges Beetz, Estey et McIntyre) en ce sens que ladite partie du paragra- phe 71(1) qui permet de décider de façon discré- tionnaire si l'appel d'un requérant devrait suivre son cours devant la Commission d'appel de l'immi- gration est incompatible avec une audition équita- ble suivant les principes de la justice fondamen- tale. Il semble donc que, sur présentation d'une demande fondée sur l'article 18, la Cour puisse conclure que l'expression «conformément au para- graphe 45(5)» figurant au paragraphe (1) de l'arti- cle 70 et l'expression «visé au paragraphe 45(1)» utilisée au paragraphe (2) dudit article devraient aussi être inopérantes puisque, par leur renvoi à l'article 45, elles limitent aux seules revendications faites au cours d'une enquête les appels interjetés devant la Commission d'appel de l'immigration au sujet d'une décision ministérielle fondée sur une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention; elles sont, de ce fait, discriminatoires envers les personnes, comme le requérant, pour lesquelles aucune enquête n'a été ordonnée et ne peut être exigée. Une telle discrimination contre-
vient manifestement aux principes dégagés par la Cour suprême dans l'arrêt Singh. En tant que membre d'une Cour pouvant connaître des présen- tes procédures fondées sur l'article 18, j'estime que conformément au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés je peux ordonner le redressement approprié.
Je rends donc l'ordonnance suivante:
1. L'expression «conformément au paragraphe 45(5)» figurant au paragraphe (1) de l'article 70 de la Loi sur l'immigration de 1976 et l'expression «visé au paragraphe 45(1)» que l'on trouve au paragraphe (2) dudit article 70 sont inopérantes.
2. Le requérant a le droit d'être interrogé sous serment par un agent d'immigration supérieur au sujet de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention comme toute personne qui a présenté sa demande au cours d'une enquête con- formément au paragraphe 45(1) de la Loi, et les paragraphes (2), (3), (4), (5) et (6) de l'article 45 doivent dès lors s'appliquer à cet interrogatoire.
3. L'exécution de l'ordonnance d'expulsion rendue le 12 septembre 1984 contre le requérant est suspendue jusqu'à ce qu'une décision finale ait été rendue sur sa nouvelle revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée comme il est prévu plus haut et que tous les appels aient été épuisés. Il est interdit aux autorités du Ministère de procéder à l'expulsion avant la déci- sion finale.
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