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A-1081-84
Caporal R. J. Lutes, matricule 26404
(requérant)
c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (intimé)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Urie—Cal- gary, 18 avril; Ottawa, 13 juin 1985.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen GRC Demande d'annulation de la décision du Commissaire qui a maintenu la décision d'une Commission de révision recom- mandant son renvoi et qui a ordonné un nouvel examen de l'affaire par une Commission de licenciement et de rétrograda- tion Le requérant, peu après avoir été accusé de vol à l'étalage, a reçu signification d'un Avis d'intention de recom- mander son licenciement Le seul motif de licenciement cité est l'incompétence du requérant fondée sur le fait qu'il aurait été impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada Requérant acquitté La Commission de licenciement et de rétrogradation a recom- mandé son maintien dans la Gendarmerie La Commission de révision a recommandé le licenciement Le Commissaire a ordonné un nouvel examen de l'affaire par une Commission de licenciement et de rétrogradation dont la composition serait différente de la précédente L'appel interjeté devant le Commissaire reposant sur le dossier, sa décision est entachée par toute erreur de droit commise par la Commission de licenciement et de rétrogradation: Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [19851 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.) Du fait de l'acquittement, l'allégation d'incompétence et le pouvoir du Commissaire d'ordonner le licenciement ont perdu leur fondement Rien ne justifiait d'ordonner la constitution d'une nouvelle Commission de licenciement et de rétrogradation Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel), qui suggère que le pouvoir du Commissaire de licencier pour incompétence impli- que le droit d'examiner si la conduite faisant l'objet de la plainte est suffisamment grave pour constituer une infraction criminelle, doit être distinguée de l'espèce sur le fondement des modifications qui ont été apportées au libellé de l'ordre per manent du Commissaire Le Commissaire doit décider si une infraction dont un membre a été déclaré coupable est d'une gravité telle que l'exécution de ses fonctions en serait considé- rablement affectée Le «NOTA» ajouté à l'ordre permanent, qui permet le licenciement même s'il y a eu acquittement, n'a aucune valeur juridique Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 5, 7(1), 13(2), 21(1),(2)
Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., chap. 1391, art. 29(2), 30, 31, 67, 68, 74 Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 294b) (mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 93, art. 25) Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1.
Compétence Cour fédérale Division d'appel Le Commissaire de la GRC a ordonné un nouvel examen d'une décision ordonnant le licenciement Un membre de la Gen- darmerie a été accusé d'avoir commis une infraction criminelle
Acquittement Le licenciement pour incompétence est fondé sur la participation du requérant à la perpétration d'une infraction criminelle De nombreux jugements portent que le
mot «décision» de l'art. 28 ne devrait pas être interprété de manière à en faire un moyen dilatoire L'examen fondé sur l'art. 28 de la décision du Commissaire n'entraîne aucun retard Le refus de la Cour de se reconnaître compétente entraînerait un bien plus long retard à décider de la compé- tence du membre L'application du critère énoncé dans l'arrêt Danmor Shoe Co. conduit à la conclusion que la décision du Commissaire s'inscrit dans l'exercice des pouvoirs conférés par une loi du Parlement Le Commissaire est lié par l'ordre permanent qu'il a promulgué Les procédures qui y sont énoncées ont été conçues de façon à respecter les règles de justice naturelle et d'équité en matière de procédure et ne constituent pas un trompe-l'oeil Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 28 Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 13(2), 21(2).
Peu de temps après avoir été accusé de vol à l'étalage, le requérant, qui est caporal à la GRC, a reçu signification d'un «Avis d'intention de recommander le licenciement» pour motif d'incompétence. Le requérant a été acquitté de l'accusation qui avait été portée contre lui au criminel. La Commission de licenciement et de rétrogradation a décidé que le requérant n'avait pas été impliqué dans la perpétration d'une infraction et ordonné son maintien dans la Gendarmerie. La Commission de révision, toutefois, a accueilli l'appel qui avait été interjeté de cette décision et a recommandé le licenciement du requérant. Le caporal a alors interjeté appel devant le Commissaire, qui a accueilli l'appel mais ordonné un nouvel examen de la preuve par une Commission de licenciement et de rétrogradation dont la formation serait différente de la précédente.
Le Bulletin d'administration AM-53 énonce les procédures relatives à la recommandation de licenciement. Depuis une révision datant de juin 1983, ce bulletin affirme suivre autant que possible les dispositions de la Loi et constituer un ordre permanent du Commissaire bien que sa présentation ne soit pas la présentation habituelle et qu'il soit rédigé conformément au paragraphe 21(2) de la Loi. Le paragraphe 3.a.2. du Bulletin prévoit qu'on peut recommander qu'un membre soit licencié pour motif d'inaptitude si ce membre est impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada, infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions du membre en vertu de la Loi. Un «NOTA» porte qu'on peut recommander le licenciement d'un membre, qu'il ait été accusé ou non du délit criminel constituant le motif de son inaptitude, ou jugé, acquitté ou condamné ou non par le tribunal à l'égard de ce délit.
Le caporal, par sa demande fondée sur l'article 28, cherche à faire annuler la décision du Commissaire d'ordonner un nouvel examen.
Arrêt (le juge Pratte dissident): la demande devrait être accueillie.
Le juge Urie: Les procédures auxquelles peuvent recourir tant le membre dont le renvoi a été recommandé que son commandant divisionnaire montrent que c'est le Commissaire qui doit finalement accepter ou rejeter les recommandations faites par les tribunaux qui lui sont inférieurs. Il est l'unique personne autorisée par le paragraphe 13(2) de la Loi à congé- dier ou à renvoyer un membre avant la fin de son mandat. Dans une certaine mesure, l'apparence d'un processus conforme aux
règles de justice naturelle ou à l'équité procédurale (comme l'expose le Bulletin AM-53) est une façade. Si c'est le cas, et si le Commissaire agit sans tenir compte des erreurs de droit commises par les tribunaux inférieurs, sa décision ne peut être maintenue.
Dans l'arrêt Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.), il a été décidé que, l'appel interjeté devant le Commis- saire reposant sur le dossier, sa décision serait entachée par toute erreur de droit privant le requérant de l'exercice de tout droit protégé par la Charte ou par la Déclaration canadienne des droits ou prévu par la common law en ce qui concerne un des aspects de l'audition de la Commission de licenciement et de rétrogradation. La décision du Commissaire ne peut être maintenue parce qu'elle est entachée de l'erreur de droit fonda- mentale commise par la Commission de licenciement et de rétrogradation, erreur dont il sera discuté plus loin.
Dans l'arrêt Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel), le juge Le Dain a déclaré que les dispositions du Bulletin d'administration AM-53 ne constituent pas des ordres permanents. Cette situation semble avoir été corrigée par la révision du Bulletin AM-53 faite le 7 juin 1983. Puisque le Bulletin AM-53 semble se rapporter à la discipline, à l'efficacité ou au bon gouvernement de la Gendarmerie, il semble procéder d'un exercice valide du pouvoir accordé au Commissaire d'édicter des règles, appelées ordres permanents, visant la «discipline ... l'administration et le bon gouvernement de la Gendarmerie», que prévoit le paragraphe 21(2) de la Loi.
L'Avis d'intention de recommander le licenciement portait que la recommandation de licenciement pour motif d'incompé- tence était fondée sur la participation à la perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada. Ayant été acquitté, le requérant a été déclaré ne pas avoir été impliqué dans la perpétration d'une infraction à la loi applicable du Parlement du Canada. L'espèce peut être distinguée de l'affaire Laroche, le membre a admis avoir été impliqué dans la perpétration d'une infraction. En l'espèce, comme le membre a été déclaré non coupable par le seul tribunal compétent pour le faire, l'incompétence alléguée était sans fondement et le Com- missaire n'était plus habilité à renvoyer le requérant pour ce motif. Il aurait dû, par conséquent, ordonner le maintien en place du requérant. Rien dans la preuve ne le justifiait d'ordon- ner la constitution d'une nouvelle Commission de licenciement et de rétrogradation.
Cette conclusion soulève deux difficultés. Premièrement, dans l'affaire Laroche, le juge Le Dain a décidé que le droit du Commissaire de licencier quelqu'un pour motif d'incompétence comprenait nécessairement le droit d'examiner si la conduite ayant fait l'objet de la plainte était suffisamment grave pour constituer une infraction criminelle. Les modifications appor- tées au libellé du paragraphe 3.a.2. du Bulletin AM-53 depuis l'arrêt Laroche montrent toutefois nettement qu'il ne ressortit pas au Commissaire de déterminer si une infraction a été commise ou non. Il est habilité à examiner si une infraction dont un membre a été déclaré coupable est une infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions du membre. Il ne peut être dit qu'une infraction prévue par une loi fédérale a été commise que lorsque la cour compétente conclut qu'elle l'a été.
La deuxième difficulté vient du «NOTA» ajouté au paragraphe 3.a.2. Il est plus logique d'interpréter le NOTA comme étant une explication, une interprétation ou une indication en ce qui concerne la portée de la directive que de le considérer comme faisant partie de la directive. Il n'a aucune valeur juridique. Que le Commissaire n'ait pas intégré le NOTA au paragraphe 3.a.2. indique qu'il n'avait pas l'intention qu'il fasse partie de ce paragraphe. En vertu du paragraphe 29(2) et des articles 30 et 31 du Règlement, lorsqu'un membre a été suspendu parce qu'il a été soupçonné ou accusé d'avoir violé une loi du Parlement du Canada, l'acquittement de ce membre le disculpe et le réintègre au rang qu'il occupait à la date de la suspension. Toutefois, lorsque les procédures plus graves qui entraînent le licencie- ment ont été commencées sur le fondement d'une accusation avant l'instruction de cette accusation, les procédures de licen- ciement non seulement se poursuivent après l'acquittement, mais, si le NOTA s'applique, il ne doit pas être tenu compte de cet acquittement pour les fins de déterminer si la recommanda- tion de licenciement doit être acceptée. Cette conséquence est non seulement anormale mais injuste parce que la carrière, le gagne-pain et la réputation du membre en cause sont en jeu.
Le juge Heald: Cette Cour est compétente pour examiner la décision attaquée conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Un des principes directeurs des jugements de cette Cour se rapportant au sens exact qui doit être donné au terme «décision» à l'article 28 est que le mot «décision» ne devrait pas être interprété de manière à en faire au besoin un instrument dilatoire. La conclusion selon laquelle la décision du Commissaire peut faire l'objet d'un examen fondé sur l'article 28 ne peut de quelque façon que ce soit être interprétée comme faisant de l'article 28 un moyen dilatoire. Au contraire, le refus de cette Cour de se reconnaître compétente en vertu de l'article 28 entraînerait un bien plus long retard que la solution opposée. Le principe relatif à l'instrument dilatoire ne peut être décisif relativement à la question qui doit être tranchée en l'espèce. Une distinction doit être faite entre la «myriade» d'ordonnances interlocutoires mentionnées dans la jurisprudence et la décision contestée en l'espèce—c'est-à-dire une décision qui peut avoir pour effet de dissiper l'incertitude qui se prolonge depuis si longtemps. La décision en question est une décision au sujet de laquelle le requérant a droit de savoir à quoi s'en tenir sans autre délai.
L'article 28 vise une décision d'un «office, une commission ou un autre tribunal fédéral», énumération qui, en vertu de l'article 2, désigne toute personne exerçant des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada. À la suite de la révision du 7 juin 1983, le Bulletin d'administration AM-53 est devenu un ordre permanent. Dans l'arrêt In re La Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.), il a été décidé qu'une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28 doit être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement. Le paragraphe 21(2) de la Loi sur la GRC habilitait le Commissaire à promulguer le Bulletin AM-53 en qualité d'ordre permanent. La procédure suivie en l'espèce est permise par le Bulletin AM-53. Le paragraphe 14.k.2.1. dispose que si un appel est interjeté d'une décision d'une Commission de révision devant le Commissaire, ce dernier peut accueillir l'appel et ordonner une nouvelle révision du dossier par une Commission de licenciement et de rétrogradation, ce qui fut
fait en l'espèce. Cette décision du Commissaire s'inscrit dans l'exercice des pouvoirs conférés par une loi du Parlement, c'est-à-dire la Loi sur la GRC. Le critère appliqué dans l'arrêt Danmor est respecté et la Cour est compétente pour examiner la demande.
En ce qui a trait à l'argument voulant que les ordres perma nents ne lient pas le Commissaire, dans l'arrêt Danmor, il a été décidé qu'une fois qu'un tribunal a exercé les pouvoirs qui lui ont été conférés de façon expresse par une loi en rendant une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir. Le Commissaire, en promulguant le Bulletin AM-53 en qualité d'ordre permanent, avait manifestement l'intention de se lier en imposant un code complet de procédures à suivre pour recommander les licenciements et les rétrogradations. Ce code est destiné à se conformer aux règles de justice naturelle et d'équité en matière de procédure. La conclusion voulant que l'ordre permanent n'ait pas lié le Commissaire ferait des procé- dures qui y sont énoncées rien d'autre qu'un trompe-l'oeil. La décision satisfait aux critères énoncés dans l'arrêt Danmor, de sorte que la présente Cour est investie de la compétence prévue par l'article 28.
Même si le requérant n'a pas soulevé le fondement de la décision du juge Urie exactement de la même manière que l'a fait le juge, les faits sur lesquels se fondent cette décision ont été soumis à la Cour à l'audition de l'appel. La plupart des questions discutées par le juge Urie ont été entièrement débat- tues à l'audition de l'appel. Tous les précédents invoqués par le juge Urie ont fait l'objet d'une discussion à l'audience.
Le juge Pratte (dissident): La demande devrait être rejetée au motif qu'elle attaque une décision que la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner en vertu de l'article 28.
La décision du Commissaire peut être distinguée des déci- sions ayant trait au licenciement de membres de la Gendarme- rie, décisions qui ont été jugées susceptibles d'être examinées conformément à l'article 28. Il s'agit d'une décision refusant de suivre la recommandation de licenciement et ordonnant qu'il soit procédé à un nouvel examen par une Commission de licenciement et de rétrogradation d'une formation différente de la précédente. Dans l'arrêt Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.), il a été déclaré que la Cour d'appel fédérale n'a compétence, en vertu de l'article 28, que pour examiner les ordonnances finales. Que cette décision ait été prise conformément à un ordre permanent ou non, il ne s'agit pas en l'espèce d'une décision finale dont «découlent des droits ou obligations juridiques.» Le pouvoir dont le paragraphe 21(2) investit le Commissaire est un pouvoir de prescrire des règles applicables aux membres de la Gendarmerie autres que le Commissaire. On ne peut s'ordonner à soi-même de faire quelque chose. Il s'ensuit que les ordres permanents ne lient pas le Commissaire. De plus, le Commissaire ne peut, par ses ordres permanents, se dépouiller de la responsabilité dont le charge le paragraphe 13(2) de la Loi de renvoyer ou congédier des membres de la Gendarmerie autres que des officiers. Les ordres permanents ne liant pas le Commissaire, ils ne peuvent permet- tre de réviser une décision qui, en l'absence des ordres perma nents, ne serait pas susceptible d'être examinée.
L'argument du requérant voulant que le Commissaire n'ait pas tenu compte de certaines dispositions de ses ordres perma nents est rejeté puisque le Commissaire n'est pas lié par ses propres ordres permanents.
La conclusion du juge Urie semble fondée sur l'opinion suivant laquelle d'une part, le pouvoir de renvoi du Commis- saire est limité par les termes des ordres permanents et d'autre part, ce pouvoir est limité par le libellé de l'avis donné au requérant. Comme il a été dit, les ordres permanents ne peu- vent limiter les pouvoirs que la loi accorde au Commissaire. Aucune importance ne doit être attachée à l'insuffisance de l'avis donné au requérant. Comme le requérant n'a pas encore été licencié de la Gendarmerie et comme, conformément à la décision contestée, la procédure qui pourrait mener à son licenciement doit être entiêrement reprise, on ne peut dire que le requérant n'a pas été suffisamment averti.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.); AGIP S.p.A. c. La Commission de contrôle de l'énergie atomique, [1979] 1 C.F. 223 (C.A.); Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.); National Indian Brotherhood c. Juneau (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); In re La Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel).
DÉCISIONS CITÉES:
McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.); Ked- ward c. La Reine, [1976] 1 C.F. 57 (C.A.); Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.).
AVOCATS:
Barrie Chivers pour le requérant. Brian Saunders pour l'intimé.
PROCUREURS:
Wright, Chivers & Company, Edmonton, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): J'ai lu les motifs de jugement rédigés par mon collègue le juge Urie. Je ne saurais souscrire à ses motifs. À mon avis, cette demande présentée en vertu de l'article 28 devrait être rejetée.
Mon collègue le juge Urie précise la nature de la décision contre laquelle cette demande fondée sur l'article 28 est dirigée, rapporte les circonstances dans lesquelles cette décision a été rendue et indi- que les diverses dispositions de la Loi sur la Gen- darmerie royale du Canada', du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada 2 et les ordres per manents du Commissaire sous le régime desquels elle a été rendue. Je n'ai pas besoin de répéter ici ce qui a déjà été dit.
Immédiatement avant l'audition de la présente demande, l'intimé a présenté une requête pour faire annuler la demande au motif qu'elle atta- quait une décision que la Cour n'avait pas le pouvoir d'examiner en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]. Nous avons rejeté cette requête et entendu la demande présentée en vertu de l'article 28. Je suis maintenant d'avis que nous avons alors commis une erreur. Nous aurions accueillir la requête en annulation de l'intimé. Quoi qu'il en soit, nous devrions maintenant, à mon avis, rejeter la demande fondée sur l'article 28 au motif qu'elle attaque une décision que la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les décisions du Commissaire de la GRC se rapportant au licenciement de membres de la Gen- darmerie que cette Cour a estimé qu'elle pouvait examiner en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale étaient des décisions qui licenciaient les membres de la Gendarmerie'. La décision atta- quée en l'espèce est de nature différente. Il s'agit, en termes simples, d'une décision par laquelle le Commissaire, premièrement, a refusé de suivre la recommandation que lui a faite la Commission de révision et selon laquelle le requérant devrait être licencié de la Gendarmerie pour le motif d'incom- pétence et, deuxièmement, a ordonné que l'affaire soit renvoyée à une Commission de licenciement et de rétrogradation d'une formation différente de la précédente. En d'autres termes, avant de décider
' S.R.C. 1970, chap. R-9.
2 C.R.C., chap. 1391.
3 McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.); Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.); Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel); Willette c. Com- missaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.).
de renvoyer ou non le requérant, le Commissaire a jugé nécessaire d'obtenir des avis et des renseigne- ments plus nombreux.
Il est bien établi maintenant que les décisions rendues par des tribunaux fédéraux ne sont pas toutes susceptibles d'examen sous l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La jurisprudence à ce sujet a été bien résumée par mon collègue le juge Heald dans l'arrêt Anheuser-Busch, Inc. c. Car- ling O'Keefe Breweries of Canada Limited 4 lors- qu'il écrit:
D'après cette jurisprudence, la Cour d'appel fédérale a compé- tence pour examiner, en vertu de l'article 28, seulement les ordonnances ou décisions finales, finales en ce sens que la décision ou ordonnance en question est celle que le tribunal a le pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou obligations juridiques.
Si la décision contestée avait été rendue avant la date à laquelle le Bulletin d'administration AM-53 est devenu un ordre permanent, il n'y aurait à mon avis, aucun doute que la décision ne serait pas susceptible d'appel en vertu de l'article 28. Il s'agirait manifestement d'une décision purement administrative dont ne découlerait aucun «droit ou obligation juridique». Le fait que le Bulletin ait été un ordre permanent à l'époque de la décision contestée annule-t-il cette conclusion? Je ne le crois pas. Que cette décision ait été prise confor- mément à un ordre permanent ou non, il ne s'agit pas en l'espèce d'une décision finale dont «décou- lent des droits ou obligations juridiques.» Cela est évident lorsque l'on examine la nature et l'effet juridique d'un ordre permanent.
Le pouvoir de prendre des ordres permanents est conféré au Commissaire par le paragraphe 21(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada:
21....
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le bon gouvernement de la Gendarmerie.
Selon moi, le pouvoir dont le paragraphe 21(2) investit le Commissaire est le pouvoir de prescrire des règles applicables aux membres de la Gendar- merie autres que le Commissaire. Ce paragraphe n'a jamais envisagé, selon mon interprétation, que
' [1983] 2 C.F. 71, à la p. 75; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.), à la p. 140,
le Commissaire puisse prendre des règles qui s'ap- pliquent à lui-même. On ne peut tout simplement pas s'ordonner à soi-même de faire quelque chose. Il s'ensuit que les ordres permanents, peu importe ce qu'ils disent, ne lient pas le Commissaire qui, me semble-t-il, a aussi bien le pouvoir de contreve- nir à ses propres ordres que de les établir. De plus, le Commissaire ne peut certainement pas, par ses ordres permanents, modifier la Loi. Selon le para- graphe 13(2) de la Loi, un membre de la Gendar- merie autre qu'un officier «peut être congédié ou renvoyé par le Commissaire en tout temps avant l'expiration de la durée de son engagement». Ainsi le Commissaire est investi d'un pouvoir et chargé d'une responsabilité. Il ne peut, par ses ordres permanents, se défaire de ce pouvoir ni se dépouil- ler de cette responsabilité; quels que soient les termes des ordres permanents, le Commissaire reste la personne habilitée à congédier ou renvoyer les membres de la Gendarmerie autres que les officiers et il continue à avoir le devoir d'exercer ce pouvoir d'une manière juste et éclairée. Par consé- quent, en dépit de tout ordre permanent contraire, le Commissaire a toujours le droit, s'il est saisi d'une recommandation de renvoi d'un membre de la Gendarmerie, de prendre la décision qu'il consi- dère appropriée; plus particulièrement, il a tou- jours le droit, s'il le juge nécessaire ou utile, de demander des avis et des renseignements plus nombreux.
À mon avis, par conséquent, les ordres perma nents ne lient pas le Commissaire. Pour cette raison, ils ne peuvent permettre à cette Cour de réviser une décision du Commissaire qui, en l'ab- sence des ordres permanents, ne serait manifeste- ment pas susceptible d'être examinée.
Par conséquent; je rejetterais la demande pré- sentée en vertu de l'article 28 au motif que la décision contestée ne peut faire l'objet de l'examen prévu à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Je dois ajouter que même si la décision contestée était susceptible d'examen, je rejetterais quand même la requête. En fait, le seul motif de contesta- tion soulevé par l'avocat du requérant à l'audition était que la décision du Commissaire était erronée en ce qu'il n'a pas tenu compte, en la rendant, de certaines dispositions des ordres permanents. Je rejetterais cet argument pour le motif que j'ai déjà
donné, c'est-à-dire que le Commissaire n'est pas lié par ses propres ordres permanents.
Mon collègue le juge Urie propose de trancher l'espèce en se fondant sur un argument qui n'a pas été soulevé à l'audience. À son avis, la décision du Commissaire devrait être annulée parce que, depuis l'acquittement du requérant par le tribunal criminel compétent, le Commissaire ne peut plus le renvoyer ou le congédier pour la raison mentionnée dans l'«Avis d'intention de recommander le licen- ciement« et dans le paragraphe 3.a.2. du Bulletin AM-53. Même si je souscrivais (ce qui n'est pas le cas) à l'interprétation donnée par mon collègue du paragraphe 3.a.2. du Bulletin, je serais encore incapable de partager sa conclusion. Cette conclu sion me semble fondée sur deux opinions possibles: premièrement, que le pouvoir de renvoi du Com- missaire est limité par les termes des ordres per manents et, deuxièmement, que ces pouvoirs sont en l'espèce, limités par le libellé de l'avis donné au requérant.
Je répète qu'à mon avis les ordres permanents ne peuvent limiter les pouvoirs que la loi accorde au Commissaire. Quant à l'insuffisance alléguée de l'avis donné au requérant, je ne peux y attacher aucune importance. Même si le texte de l'avis donné au requérant devait être interprété de la manière que propose mon collègue le juge Urie, le fait demeure que, à la connaissance du requérant, le Commissaire lui a certainement donné une interprétation différente. Comme le requérant n'a pas encore été licencié de la Gendarmerie et comme, conformément à la décision contestée, la procédure qui pourrait mener à son licenciement doit être entièrement reprise, je ne peux compren- dre comment on peut maintenant dire que le requérant n'en a pas été suffisamment averti.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'occasion de lire les motifs de jugement de mes collègues le juge Pratte et le juge Urie. Dès le départ, je dois dire que je suis d'accord avec les motifs de jugement rédigés par le juge Urie et avec la solution qu'il propose.
Je ne saurais par contre souscrire aux motifs du juge Pratte ou avec sa conclusion selon laquelle la
demande fondée sur l'article 28 devrait être reje- tée. Les présents motifs visent à exprimer claire- ment le fondement sur lequel repose ma conclu sion.
Comme l'a fait remarquer le juge Pratte, la Cour, après avoir entendu la plaidoirie de l'intimé relative à une requête préliminaire en annulation de la demande en l'espèce fondée sur l'article 28, a unanimement rejeté la requête. Cette décision s'ac- corde avec la, jurisprudence de la Cour. Dans l'arrêt AGIP S.p.A. c. La Commission de contrôle de l'énergie atomique, [1979] 1 C.F. 223 (C.A.), la Cour a décidé qu'une demande faite en vertu de l'article 28 ne doit pas être annulée au stade préliminaire en se fondant sur une requête en annulation à moins qu'il soit conclu qu'on ne peut soutenir à bon droit, sur le fondement du dossier soumis à la Cour ou des documents pressentis, que la décision contestée relève de l'article 28. Pour ce motif, je ne saurais être d'accord avec l'opinion exprimée par mon collègue le juge Pratte selon laquelle la Cour a commis une erreur en refusant d'accueillir la requête en annulation de l'intimé. En outre, après avoir entendu tous les détails de l'appel, je suis d'opinion que la présente Cour est compétente pour examiner la décision contestée en l'espèce en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
En l'espèce, le Commandant de la division de la Gendarmerie royale du Canada dont faisait partie le requérant a procédé contre ce dernier par voie d'«Avis d'intention de recommander le licencie- ment». Le requérant a demandé le réexamen de cette recommandation. Une Commission de licen- ciement et de rétrogradation a donc été réunie par l'inspecteur J. D. Maxwell. Après l'audition, la Commission de licenciement et de rétrogradation a ordonné le maintien du requérant dans la GRC au rang qu'il occupait alors. Le Commandant divi- sionnaire du requérant a interjeté appel de la décision auprès d'une Commission de révision. Cette dernière a accueilli l'appel et a recommandé au Commissaire le licenciement du requérant pour incompétence. Le requérant a interjeté appel de cette décision auprès du Commissaire intimé. Le Commissaire, en décidant de cet appel a refusé de suivre la recommandation de licenciement que lui a fait la Commission de révision et a ordonné que
la question soit réexaminée par une Commission du licenciement et de rétrogradation ayant une formation différente de la précédente.
En examinant cette question, mon collègue le juge Pratte a cité un extrait du jugement que j'ai rendu dans Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71, la page 75; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.), à la page 140. Outre l'extrait cité par M. le juge Pratte, j'ai également dit à la page 76 C.F.; à la page 140 du recueil N.R., après avoir examiné la jurisprudence de cette Cour:
Il découle d'une lecture attentive de la jurisprudence sur l'arti- cle 28 que dans ces décisions, l'accent a été mis sur les conséquences peu souhaitables qui pourraient s'ensuivre si la Cour devait accueillir les demandes fondées sur l'article 28 relativement aux innombrables questions interlocutoires soule- vées au cours d'une procédure.
À l'appui de cette opinion, je mentionnais un passage des motifs de jugement du juge en chef Jackett dans l'arrêt National Indian Brotherhood c. Juneau (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.), à la page 78, il a dit, en ce qui concerne ces innombrables ordonnances interlocutoires:
Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à cette Cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision de ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les mains de parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa compétence un moyen dilatoire et frustratoire incompatible avec l'esprit de l'art. 28(5).
Par conséquent, il me semble qu'un des principes directeurs des nombreux jugements de cette Cour se rapportant au sens exact qui doit être donné au terme «décision» à l'article 28 est que le mot «décision» ne devrait pas être interprété de manière à en faire au besoin un instrument dilatoire, compte tenu surtout de l'exigence du paragraphe (5) de l'article 28 selon laquelle les demandes fondées sur cet article doivent «être entendues et jugées sans délai et d'une manière sommaire.»
Compte tenu de ce principe et si on l'applique aux circonstances de l'espèce, il semble clair que la conclusion selon laquelle la décision du Commis- saire attaquée en l'espèce peut faire l'objet d'un examen fondé sur l'article 28 ne peut de quelque façon que ce soit être interprétée comme faisant de l'article 28 un moyen dilatoire. Si la décision du Commissaire ne peut faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28, il faudrait alors maintenir la
décision de renvoyer la question à une nouvelle Commission de licenciement et de rétrogradation. Les procédures disciplinaires antérieures contre le requérant ont commencé le 27 avril 1983 avec l'Avis d'intention de recommander le licenciement et elles ont atteint leur point culminant le 25 juin 1984 avec la décision du Commissaire dont on demande l'examen en l'espèce—soit sur une période de 14 mois. Pendant tout ce temps, la carrière policière du requérant de même que sa vie familiale et personnelle ont été un objet de suspi cion. Maintenant, si l'on maintient la décision du Commissaire, le requérant continuera d'être dans cette situation peu enviable et fâcheuse pendant peut-être encore 14 mois ou plus. Cela signifie que la période au cours de laquelle il risque encore d'être renvoyé et il sera soupçonné s'étendra jusqu'à la toute fin de 1986. En d'autres termes, pendant plus de trois ans, sa compétence comme membre de la GRC aura été gravement mise en question. Par conséquent, je suis d'avis que dans les circonstances de l'espèce, le refus de cette Cour de se reconnaître compétente en vertu de l'article 28 entraînerait un bien plus long retard que la solution opposée.
Je m'empresse de souligner toutefois que le prin- cipe relatif à «l'instrument dilatoire» dont j'ai parlé ci-dessus ne peut, même si la Cour en a tenu compte de manière importante dans ses arrêts antérieurs sur la question, être de quelque façon considéré comme décisif relativement à la question qui doit être tranchée en l'espèce. Je dis ceci parce que je vois une nette distinction entre la «myriade» d'ordonnances interlocutoires mentionnées dans la jurisprudence de la Cour (par exemple les déci- sions portant sur l'admissibilité de la preuve au cours d'une procédure ou les décisions accordant ou refusant des ajournements en cours d'instan- ce—pour ne mentionner que deux exemples mar- quants) et la décision contestée en l'espèce— c'est-à-dire une décision qui peut avoir pour effet de dissiper l'incertitude qui se prolonge depuis si longtemps. À mon avis, mise à part toute autre considération, la décision en question est une déci- sion au sujet de laquelle le requérant a le droit de savoir à quoi s'en tenir sans autre délai. Toutefois, nonobstant les motifs convaincants qui puissent inciter la Cour à se reconnaître compétente en vertu de l'article 28 dans un cas de cette espèce, il est nécessaire de déterminer si une interprétation
exacte des articles pertinents de la Loi sur la Cour fédérale justifierait la Cour de se reconnaître com- pétente en l'espèce. L'article 28 vise un «office, une commission ou un autre tribunal fédéral». L'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit l'expres- sion «office, commission ou autre tribunal fédéral». Voici le libellé de la partie de cette définition qui nous concerne:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga- nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi ...
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, le paragra- phe 21(2), de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9 habilite le Com- missaire intimé à «édicter des règles, appelées «ordres permanents», visant ... la discipline ... l'administration et le bon gouvernement de la Gen- darmerie.» Il semble manifeste que le Bulletin AM-53 n'était pas, avant le 7 juin 1983, un ordre permanent pris conformément au paragraphe 21(2). Il semble également clair que, conformé- ment à la révision du Bulletin AM-53 du 7 juin 1983, celui-ci est devenu un ordre permanent. Je dis cela étant donné le paragraphe i.e. de la révision de 1983 dont voici le libellé:
1.e. Le présent bulletin constitue un ordre permanent du Commissaire, même si sa présentation ne correspond pas à celle d'un O.P.C. et qu'il soit rédigé conformément à l'article 21(2) de la Loi sur la G.R.C. Aucun change- ment, modification, ou révision ne pourra être apporté au présent bulletin ou à ses annexes sans l'autorisation formelle du Commissaire.
Je souscris au raisonnement du juge Urie lorsqu'il dit la page 351]: «Puisque ni le paragraphe 21(2) de la Loi, ni le Règlement n'imposent au Commissaire de donner une forme particulière aux ordres permanents et puisque le Bulletin AM-53 semble se rapporter à la discipline, l'efficacité ou le bon gouvernement de la Gendarmerie, il semble procéder d'un exercice valide du pouvoir accordé au Commissaire par le paragraphe 21(2).» Par conséquent, je pense que les observations de la Cour dans l'arrêt In re La Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [ 1974] 1 C.F. 22 (C.A.), à la page 28 s'appliquent en l'espèce. Le juge en chef Jackett a dit:
Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1) doit donc être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une
loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs» expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégo- rie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compé- tence ou des pouvoirs» conférés par la loi relève aussi manifeste- ment de l'article 28(1).
Si l'on applique le critère énoncé dans l'arrêt Danmor, peut-on dire que la «décision» du Com- missaire en l'espèce est une décision qu'il a été expressément autorisé à prendre? Je conclus que la réponse à cette question est affirmative. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, le paragraphe 21(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada habilite le Commissaire à promulguer le Bulletin AM-53 en qualité d'ordre permanent. La procédure suivie en l'espèce est permise et pres- crite par le Bulletin AM-53. Le paragraphe 14 de ce Bulletin expose en détail la procédure applica ble aux appels interjetés auprès du Commissaire d'une décision d'une Commission de révision. L'alinéa k. du paragraphe 14 s'applique aux cir- constances de l'espèce. En voici le texte:
14....
k. Si l'appel est engagé par le cdt div., l'arrêt du Commis- saire concernant l'appel doit prendre l'une ou l'autre des formes suivantes:
1. rejet de l'appel et maintien de la décision et des recommandations, ou
2. admission de l'appel et:
1. ordre d'une nouvelle révision du dossier par une Commission de licenciement et de rétrogradation;
2. ordre de licenciement du membre, ou
3. rétrogradation du membre si le cdt div. en appelle d'une recommandation voulant que le membre demeure au service de la G.R.C. à son grade ou niveau actuel.
L'alinéa m. du paragraphe 14 est également perti
nent. En voici le texte:
14....
m. Si le Commissaire ordonne une nouvelle révision, le sous-commissaire ou le D.O.P., selon le cas, doit réunir une Commission de licenciement et de rétrogradation qui effectuera l'étude du cas tout comme s'il s'agissait d'une première révision.
En l'espèce, le Commissaire, conformément aux dispositions du paragraphe 14.k.2.1. a accueilli l'appel et ordonné une nouvelle révision du dossier par une Commission de licenciement et de rétro- gradation d'une composition différente de la précé- dente. Par conséquent je pense qu'il est clair que
cette décision du Commissaire s'inscrit dans l'exer- cice des pouvoirs conférés par une loi du Parle- ment, c'est-à-dire la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Sur cette base, le critère appli- qué dans l'arrêt Danmor est nettement respecté et la Cour est compétente pour examiner cette demande présentée en vertu de l'article 28.
Mon collègue le juge Pratte est également d'avis que les ordres permanents contestés en l'espèce ne lient pas le Commissaire. Je ne saurais souscrire à cette opinion. Le juge en chef Jackett dans l'arrêt Danmor, précité, a dit également, à la page 28 du recueil, qu'une décision prise dans le prétendu exercice de pouvoirs conférés expressément par une loi «a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa "compé- tence ou ses pouvoirs" en rendant une "décision", la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir. moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou implicites de défaire ce qu'il a fait, ce qui est une compétence supplémentaire)»
À mon avis, le Commissaire en promulguant le Bulletin AM-53 en qualité d'ordre permanent avait manifestement l'intention de se lier en impo- sant un code complet de procédures à suivre pour recommander les licenciements et les rétrograda- tions. Ce code est de toute évidence destiné à se conformer aux règles de justice naturelle et d'équité en matière de procédure. La conclusion voulant que l'ordre permanent AM-53 ne lie pas le Commissaire dans les circonstances présentes ferait des procédures qui y sont énoncées rien d'autre qu'une imposture et une illusion, c'est-à- dire un trompe-l'oeil. Je suis convaincu que cela n'est pas ce que voulait le Commissaire. Je suis également convaincu qu'il entendait, grâce à cette procédure, recourir aux moyens d'enquête de la Commission de licenciement et de rétrogradation de même qu'aux moyens d'examen de la Commis sion de révision pour l'aider à s'acquitter de la responsabilité dont l'investit le paragraphe 13(2) de la Loi en ce qui concerne le licenciement des membres de la Gendarmerie autres que des offi- ciers. Par conséquent, à mon avis, la «décision» prise par lui dans cette affaire, conformément au paragraphe 14.k.2.1. de l'ordre permanent AM-53, satisfait aux critères énoncés dans l'arrêt Danmor précité, de sorte que la présente Cour est investie de la compétence prévue par l'article 28.
La seule autre question au sujet de laquelle j'aimerais faire des commentaires se rapporte à l'opinion du juge Pratte selon laquelle le fonde- ment de la décision du juge Urie n'a pas été soulevé à l'audition de l'appel. Il est vrai que l'avocat du requérant n'a pas soulevé cette ques tion exactement de la même manière que mon collègue le juge Urie dans ses motifs de jugement. Toutefois, le requérant a dit au paragraphe 1 de son argumentation qu'il avait été accusé de vol à l'étalage et qu'il avait été déclaré non coupable de cette accusation par un juge de la Cour provinciale de l'Alberta à l'issue de son procès. De son côté, l'intimé a accepté dans son argumentation la déclaration du requérant [TRADUCTION] «comme étant substantiellement exacte.» Par conséquent, les faits sur lesquels se fonde le raisonnement suivi par le juge Urie dans sa décision ont été soumis à la Cour à l'audition de l'appel. De même, au paragraphe 20 de son mémoire, l'avocat du requé- rant a invoqué qu' [TRADUCTION] «aucune preuve n'a été apportée à l'audition de la Commission de licenciement et de rétrogradation qui aurait pu raisonnablement justifier l'officier qui la présidait à conclure que le requérant avait été impliqué dans la perpétration d'une infraction le rendant incom- pétent, et que la décision de cet officier était juste en fait et en droit.» Étant donné que la transcrip tion des procédures devant la Cour provinciale de même que de la décision ont été produites devant la Commission de licenciement et de rétrograda- tion, l'argument mentionné au paragraphe 20, pré- cité, a une portée suffisante pour inclure le raison- nement sur lequel se fonde la décision du juge Urie. Il est vrai que l'avocat du requérant n'a pas élaboré cet argument d'une façon à comprendre tout ce raisonnement. Toutefois, il est également vrai que la plupart des questions abordées par M. le juge Urie ont été entièrement discutées à l'audi- tion de l'appel. Par exemple, l'effet et le sens du «NOTA» du paragraphe 3.a.2. du Bulletin AM-53, que le juge Urie a examiné en détail, ont été soulevés par les membres de la Cour à l'audition et il y a eu discussion à ce sujet avec l'avocat de l'intimé. De plus, tous les précédents invoqués par mon collègue le juge Urie ont fait l'objet d'une discussion à l'audience. Bref, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle on a fait état de faits nou- veaux ou d'une nouvelle jurisprudence entre l'audi- tion de l'appel et le prononcé du jugement. Ce n'est pas, à mon avis, une situation qui exige que la Cour demande une argumentation plus poussée.
Pour les motifs qui précèdent et pour ceux con- tenus dans les motifs du jugement du juge Urie, je déciderais de cette demande de la façon qu'il suggère.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Cette demande présentée en vertu de l'article 28 est la dernière d'une série d'affaires non reliées 5 entendues par cette Cour durant les sept ou huit dernières années ayant trait au licenciement, habituellement pour incompé- tence, de membres de la Gendarmerie royale du Canada («GRC») par le Commissaire de la GRC, l'intimé en l'espèce.
Dans la présente demande, le caporal Lutes, qui est membre de la GRC depuis plus de 16 ans, cherche à faire annuler la partie de la décision de l'intimé qui maintient la décision d'une Commis sion de révision qui recommandait son renvoi aux motifs d'incompétence et, également, la décision de l'intimé d'ordonner un nouvel examen de l'af- faire par une Commission de licenciement et de rétrogradation dont la composition sera différente de la précédente.
Voici les faits, brièvement exposés. Le 9 mars 1983, le requérant a été accusé de vol à l'étalage. Le 27 avril 1983, le Commandant de la division «K» de la GRC, dont relevait le requérant, a fait signifier à ce dernier un «Avis d'intention de recommander son licenciement» en date du 26 avril 1983. Le 15 juin 1983, à l'issue d'un procès, le juge McLean de la Cour provinciale de l'Alberta a déclaré le requérant non coupable de l'infraction dont il était accusé et il l'a acquitté. Comme le permettent les ordres permanents de la GRC, le requérant a demandé un nouvel examen des recommandations visant son licenciement à la suite de quoi une Commission de licenciement et de rétrogradation a été réunie par l'inspecteur J. D. Maxwell le 1 e novembre 1983.
Voir: McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.); Kedward c. La Reine, [1976] 1 C.F. 57 (C.A.); Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.); Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel); Willette c. Com- missaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.).
Le 3 janvier 1984, cette Commission a décidé que le requérant n'était pas impliqué dans la per- pétration d'une infraction puisqu'il n'avait pas l'in- tention nécessaire et, par conséquent, elle a ordonné son maintien dans la GRC à son grade actuel.
Le 21 janvier 1984, le Commandant division- naire a interjeté appel de la décision de la Com mission de licenciement et de rétrogradation auprès d'une Commission de révision. Le 14 mars 1984, cette dernière Commission a accueilli l'appel
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] ... après avoir soigneusement examiné cette affaire, la Commission de révision accueille l'appel du Com mandant de la division «K» aux motifs que la Commission de licenciement et de rétrogradation a commis une erreur de droit en ayant recours à un critère qui rejetait la preuve documen- taire de Blais pour y préférer le témoignage fait sous serment par le caporal Lutes. De plus, nous sommes d'avis que la Commission de licenciement et de rétrogradation s'est trompée en n'examinant pas correctement tous les faits, c'est-à-dire les déclarations de Jansen, Fraser et Kercher, qui non seulement corroborent les affirmations de Blais, mais apportent une preuve supplémentaire qui conteste la version de l'affaire donnée par le caporal Lutes.
Le requérant, comme il en avait le droit, a interjeté appel de cette décision auprès de l'intimé, qui le 25 juin 1984 a statué, en fait, que la Commission de révision pouvait accueillir l'appel du Commandant divisionnaire relativement au cri- tère qui rejetait la preuve documentaire pour y préférer le témoignage de vive voix du requérant seulement si la Commission de licenciement et de rétrogradation avait adopté un critère de crédibi- lité qui constituait une erreur de droit. Il n'a pas trouvé qu'une telle erreur avait été commise et l'appel a été accueilli pour ce motif. Toutefois, il a poursuivi en statuant que le dossier justifiait la Commission de révision de conclure que la Com mission de licenciement et de rétrogradation s'était trompée en fondant sa décision [TRADUCTION] «sans tenir compte de la preuve qui lui était sou- mise». Le Commissaire a ensuite décidé que bien que la Commission de révision avait la compétence nécessaire pour recommander qu'un membre soit licencié lorsque [TRADUCTION] «la question fonda- mentale en litige a sa source dans le témoignage des témoins, dans l'appréciation de leur crédibilité et de la preuve, etc., ...u, il devait y avoir un nouvel examen de la preuve par une autre Com mission de licenciement et de rétrogradation. Par conséquent il a ordonné un nouvel examen de
l'affaire par une Commission de licenciement et de rétrogradation dont la formation serait différente de la précédente.
C'est cette décision que vise la demande présen- tée en vertu de l'article 28 qui nous est soumise.
Le requérant conteste la décision pour plusieurs motifs, mais, avant de les aborder, il y a lieu de trancher une question préliminaire.
Pour comprendre les divers problèmes soulevés, y compris la question préliminaire, il faut com- mencer par analyser l'économie de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, («la Loi») S.R.C. 1970, chap. R-9 et ses modifications, son Règle- ment d'application et le Bulletin d'administration AM-53, qualifié d'ordre permanent du Commis- saire établi conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur la GRC.
En vertu de l'article 5 de la Loi, le Commissaire, qui est nommé par le Gouverneur en conseil, est investi, sous la direction du Solliciteur général, «de l'autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de toutes les matières s'y rattachant.» Le paragraphe 7(1) prévoit que le Commissaire «doit nommer les membres de la Gendarmerie autres que les offi- ciers, pour des fonctions permanentes ou temporai- res.» Voici le libellé du paragraphe 13(2):
13....
(2) Sauf s'il est nommé pour une fonction temporaire, chaque membre autre qu'un officier doit, lors de sa nomination, signer un acte d'engagement pour une période n'excédant pas cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé far le Commissaire en tout temps avant l'expiration de la durée de son engagement. [C'est moi qui souligne.]
Le paragraphe 21(1) de la Loi confère au Gou- verneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements:
21. (1) ... sur l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le bon gouvernement de la Gen- darmerie et, en général, sur la réalisation des objets de la présente loi et la mise à exécution de ses dispositions.
Le pouvoir accordé par le paragraphe 21(2) est important en ce qui concerne les points contestés de la décision en l'espèce.
21.. ..
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le bon gouvernement de la Gendarmerie.
Le Gouverneur en conseil a adopté le Règlement intitulé Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., chap. 1391 («le Règlement»), dont les articles 67, 68 et 74 se rapportent au licenciement d'un membre de la Gendarmerie pour des motifs d'incompétence:
67. Un membre, sauf un officier, peut être licencié de la Gendarmerie pour n'importe laquelle des raisons suivantes:
a) inaptitude;
b) incompétence; e) décès;
d) désertion;
e) révocation;
f) ordonnance du Ministre pour répondre aux nécessités du service;
g) permutation;
h) âge maximal;
i) fin de la période de service maximale;
j) démission; ou
k) retraite volontaire.
68. Tout membre doit être informé immédiatement de toute recommandation faite en vue de son licenciement de la Gendarmerie.
74. Le Commissaire peut recommander le renvoi d'un officier et peut renvoyer un membre autre qu'un officier qui n'a pas la compétence requise pour servir dans la Gendarmerie.
Le paragraphe 29(2) et les articles 30 et 31 sont également pertinents à la détermination des ques tions soulevées dans la présente demande. En voici le texte:
29... .
(2) Le Commissaire ou tout commandant peut suspendre de ses fonctions tout membre autre qu'un officier soupçonné ou accusé de ne pas avoir observé une loi du Parlement du Canada, ou d'avoir commis une infraction ressortissant au service.
30. Tout membre suspendu doit, au moment de sa suspen sion, être informé par écrit des motifs de sa suspension.
31. Au terme d'une enquête ou d'un procès, le membre qui est disculpé ou trouvé non coupable doit être réintégré dans la Gendarmerie, cette réintégration devant remonter à la date de sa suspension et lui être signifiée par écrit.
Le 30 juillet 1979, le Commissaire a publié un bulletin, appelé le Bulletin d'administration AM-53. Bien qu'il ait été révisé à plus d'une occasion depuis sa publication, c'est la version du 7 juin 1983 qui s'applique en l'espèce. Ce Bulletin expose les motifs pour lesquels le licenciement d'un membre de la Gendarmerie peut être recommandé pour motif d'incompétence et les procédures appli-
cables. Le motif d'incompétence invoqué en l'es- pèce est celui qui est exposé au paragraphe 3.a.2. du Bulletin, dont voici le libellé:
3. Motifs d'inaptitude
a. On peut recommander qu'un membre soit licencié en vertu du règlement 74 ou qu'il soit rétrogradé pour l'une ou plusieurs des trois raisons suivantes appelées motifs d'inap- titude, soit:
2. Deuxième motif (Voir les exemples 2, 4 et 5 à l'Annexe «B»). Le membre est impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada ou l'Assemblée législative d'une province, infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considé- rablement la bonne exécution des fonctions du membre en vertu de la loi.
NOTA: On peut recommander le licenciement ou la rétrogradation d'un membre qu'il ait été accusé ou non du délit criminel constituant le motif de son inaptitude ou qu'il ait été jugé, acquitté ou condamné par le tribunal à l'égard de ce délit.
Il faut prêter attention au renvoi aux «exemples 2, 4 et et au «NOTA» de ce paragraphe qui fera l'objet d'observations plus loin dans les présents motifs. Il convient également de souligner les ins tructions tirées des paragraphes l.a. et 1.e.:
1. Généralités
a. Le présent bulletin explique les procédures sur le licencie- ment et la rétrogradation, procédures qui entreront en vigueur le 15 septembre 1979. Les directives et les modali- tés données ci-après suivent celles contenues dans les modi fications proposées à la Loi sur la G.R.C. Elles s'appli- quent à tous les membres, y compris les officiers.
e. Le présent bulletin constitue un ordre permanent du Com- missaire, même si sa présentation ne correspond pas à celle d'un O.P.C. et qu'il soit rédigé conformément à l'article 21(2) de la Loi sur la G.R.C..
En résumé, la procédure établie par le Bulletin AM-53 est la suivante. Il faut signifier au membre dont on veut recommander le licenciement un avis d'intention exposant le motif et les détails de cette recommandation, de même que la notification de son droit de demander, dans les 14 jours suivant la réception de l'avis, la révision de son affaire par une Commission de licenciement et de rétrograda- tion. Il a le droit de consulter la documentation sur laquelle se fonde la recommandation ainsi que ses dossiers de service, de discipline et du personnel. La Commission de licenciement et de rétrograda- tion doit tenir une audience à laquelle le membre
concerné a le droit d'être présent et d'être repré- senté par un membre de la Gendarmerie et il peut produire des preuves et faire des représenta- tions. Le paragraphe 12.q. du Bulletin prévoit que la Commission doit décider si chaque motif d'inap- titude invoqué «est fondé sur une prépondérance juste et raisonnable d'arguments dignes de foi». La décision de la Commission doit comprendre ses conclusions de faits, les motifs de la décision et sa recommandation de licenciement ou de rétrograda- tion du membre. Si le motif d'inaptitude n'a pu être prouvé, la Commission ordonnera que le membre demeure dans la Gendarmerie. En l'es- pèce, la Commission de licenciement et de rétro- gradation a décidé que le motif d'inaptitude n'a pu être prouvé et a ordonné que le caporal Lutes demeure dans la Gendarmerie.
Le paragraphe 13 du Bulletin permet à un membre qui n'est pas satisfait de la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation d'interjeter appel auprès d'une Commission de révision, et ce pour toute raison. La disposition b de cet article permet au Commandant division- naire du membre concerné d'interjeter appel de la décision pour une des raisons suivantes:
1. la Commission n'a pas respecté un principe d'impartialité et de loyauté;
2. la Commission a dépassé les limites de ses pouvoirs juridic- tionnels ou a refusé de les exercer;
3. la Commission a commis une erreur juridique lorsqu'elle a rendu sa décision, ou
4. la Commission a fondé sa décision sur une constatation des faits erronée ou sans tenir compte des documents qui lui ont été transmis.
La Commission de révision examine l'appel en se fondant sur un dossier écrit comprenant la documentation mentionnée au paragraphe 13.g. Elle est habilitée soit à rejeter l'appel, soit à l'accueillir pour l'un des motifs exposés au para- graphe 13.h.2. ou au paragraphe 13.i., selon qu'il s'agit d'un appel interjeté respectivement par un membre ou par le Commandant divisionnaire. En l'espèce, la Commission de révision a accueilli l'appel du Commandant divisionnaire et a recom- mandé que le caporal Lutes soit licencié.
Le caporal Lutes, le requérant en l'espèce, a interjeté appel auprès du Commissaire comme il en avait le droit en vertu du paragraphe 14.a. du Bulletin. Ce dernier est tenu d'étudier l'appel en se fondant sur le dossier écrit soumis à la Commis-
Sion de révision et sur les exposés écrits du membre et les répliques écrites du Commandant division- naire. Le Commissaire doit disposer de l'appel soit en le rejetant et en maintenant les recommanda- tions contestées, soit en l'accueillant et en ordon- nant une nouvelle révision du dossier par une Commission de licenciement et de rétrogradation (comme c'est le cas en l'espèce), ou encore en ordonnant que le membre demeure au service de la GRC ou soit rétrogradé.
Le paragraphe 14.m. est la seule autre disposi tion pertinente au présent appel et il prévoit que si le Commissaire ordonne une nouvelle révision de l'affaire, celle-ci devrait être effectuée «tout comme s'il s'agissait d'une première révision. [C'est moi qui souligne.]» Ainsi, il semblerait que toutes les procédures d'appel qui précèdent puis- sent encore être invoquées après la décision de la nouvelle Commission de licenciement et de rétrogradation.
Cet examen plutôt long des procédures auxquel- les peuvent recourir tant le membre dont le renvoi a été recommandé que son Commandant division- naire lorsque la recommandation n'a pas été main- tenue, était nécessaire non seulement pour com- prendre les mécanismes de protection offerts à un membre lorsque son gagne-pain est menacé par le spectre du renvoi, mais également pour montrer que, en dernière analyse, c'est le Commissaire qui doit finalement accepter ou rejeter les recomman- dations faites par l'un des trois tribunaux qui lui sont inférieurs. Il est l'unique personne autorisée par le paragraphe 13 (2) de la Loi à congédier ou à renvoyer un membre avant la fin de son mandat. Ainsi, dans une certaine mesure, l'apparence d'un processus conforme aux règles de justice naturelle ou d'un recours à l'équité procédurale comme l'ex- pose le Bulletin AM-53 (si l'on présume qu'il a l'effet des ordres permanents) est une façade. Si c'est le cas, et si le Commissaire en prenant la décision qui finalement, selon la Loi, n'appartient qu'à lui seul, procède sans tenir compte des erreurs de droit commises par l'un des trois tribunaux inférieurs—le Commandant divisionnaire, la Com mission de licenciement et de rétrogradation ou la Commission de révision—sa décision ne peut être maintenue. A mon avis, elle ne peut être mainte- nue en l'espèce pour les motifs que j'exposerai avec plus de détails ci-dessous.
Toutefois, avant d'aborder cette question, il est utile, je pense, de citer un extrait des motifs unani- mes d'un jugement de cette Cour, rédigés par le juge Stone, dans l'arrêt Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (CA.), à la page 428 C.F.; à la page 170 N.R., dont voici le libellé:
Le Commissaire n'a pas lui-même présidé l'audition tenue devant la Commission. Comme ce fut le cas devant la Commis sion de révision, l'appel dont il a été saisi reposait sur le dossier produit par la commission de licenciement et de rétrogradation. Il n'a pas tenu une audition de novo. Il a cependant pu conclure que [TRADUCTION] «ces procédures ont été conduites de la manière appropriée tout au long de l'enquête et à tous les niveaux de l'action administrative interne». Si, par conséquent, la commission de licenciement et de rétrogradation a commis une erreur de droit en privant le requérant de l'exercice d'un droit enchâssé dans la Charte, dans la Déclaration canadienne des droits ou prévu par la common law en ce qui concerne un des aspects de l'audition, il est évident que la décision du Commissaire est entachée par cette erreur et qu'elle est suscep tible d'examen et d'annulation par cette Cour.
Si l'on adopte ce raisonnement, la décision du Commissaire en l'espèce ne peut être maintenue, selon moi, parce qu'elle est entachée d'une erreur de droit fondamentale commise par la Commission de licenciement et de rétrogradation comme je le montrerai dans l'analyse qui suit de la preuve et des dispositions législatives applicables.
On se souviendra que le paragraphe 21(2) de la Loi, précité, investit le Commissaire du pouvoir d'«édicter des règles, appelées «ordres permanents»,
visant . la discipline ... l'administration et le bon gouvernement de la Gendarmerie.» Dans l'ar- rêt Re Laroche et Beirsdorfer, précité, le juge Le Dain, à la page 162 du recueil, s'est dit d'avis que les dispositions du Bulletin d'administration AM-53 ne peuvent être considérées comme des ordres permanents censés être établis conformé- ment au paragraphe 21(2) de la Loi. Voici ce qu'a dit le juge à cet égard:
Je ne crois pas nécessaire toutefois d'examiner sur cette base la nature et les effets des dispositions du Bulletin d'administra- tion AM-53 parce qu'à mon avis, elles ne peuvent être considé- rées comme des ordres permanents établis conformément au paragraphe 21(2) de la Loi. L'expression «ordre permanent» n'est pas employée à l'égard des dispositions du Bulletin comme elle l'a été à celui des dispositions d'appel au Commissaire dont la Cour avait été saisie dans McCleery et Danch. Le Bulletin n'a pas pour but de prescrire des ordres permanents au sens du paragraphe 21(2). Au contraire, son but est d'établir des règles applicables à la recommandation d'un licenciement ou d'une rétrogradation, qui soient conformes aux modifications propo sées à la Loi et qui ne sont pas encore adoptées. Le Bulletin dit,
en introduction: «Le présent bulletin explique les procédures sur le licenciement et la rétrogradation, procédures qui entreront en vigueur le 15 sept. 1979. Les directives et les modalités données ci-après suivent celles contenues dans les modifications propo sées à la Loi sur la G.R.C..» Le Bulletin annule certaines dispositions du Manuel d'administration en matière de licencie- ment et de rétrogradation, mais ces dispositions ne constituent pas des ordres permanents. Ce sont plutôt des directives ou des explications concernant la procédure et dont l'annulation n'exi- gerait pas l'exercice du pouvoir conféré par le paragraphe 21(2). N'oublions pas que, selon la décision de la majorité dans Martineau (N° 1), l'adoption de directives ou de lignes de conduite administratives du type de celles que l'on trouve dans le Bulletin d'administration AM-53 n'exige pas l'exercice d'un pouvoir conféré par la loi. Je conclus donc qu'on ne peut s'appuyer sur les dispositions du Bulletin pour déterminer si la décision du Commissaire était une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. [C'est moi qui souligne.]
Cette situation, toutefois, semble avoir été corri- gée par la révision du Bulletin AM-53 faite le 7 juin 1983. Comme on le verra, le paragraphe l.a. renvoie encore au fait que les «directives et les modalités données ci-après suivent celles contenues dans les modifications proposées à la Loi sur la G.R.C.» Le paragraphe 1.e. dispose que le Bulletin constitue un ordre permanent et «qu'il [est] rédigé conformément à l'article 21(2) de la Loi sur la G.R.C.» Ainsi, ce passage semble combler la lacune notée par le juge Le Dain. Puisque ni le paragraphe 21(2) de la Loi, ni le Règlement n'im- posent au Commissaire de donner une forme parti- culière aux ordres permanents et puisque le Bulle tin AM-53 semble se rapporter à la discipline, l'efficacité ou le bon gouvernement de la Gendar- merie, il semble procéder d'un exercice valide du pouvoir accordé au Commissaire par le paragraphe 21(2). Les «NOTA» suivant divers paragraphes du Bulletin AM-53 peuvent ne pas être empreints de cette validité, comme j'en parlerai ultérieurement.
Passons tout d'abord au document qui a mis en marche les procédures de renvoi, c'est-à-dire l'Avis d'intention de recommander le licenciement qu'a donné le Commandant divisionnaire du requérant
le 26 avril 1983, et qui a été signifié au requérant
le 27 avril 1983. En raison de son importance, je le
cite au complet.
[TRADUCTION]
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
AVIS D'INTENTION DE RECOMMANDER LE LICENCIEMENT
Caporal R.J. LUTES, matricule 26404, veuillez prendre note que j'ai l'intention de recommander votre renvoi de la Gendarmerie royale du Canada conformément à l'article 74 du
Règlement de la G.R.C. pour le motif d'incompétence suivant, savoir:
Vous avez été impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi du Parlement du Canada, infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution de vos fonctions en vertu de la Loi sur la G.R.C. et, par conséquent, vous êtes devenu inhabile à continuer d'être membre de la Gendarmerie.
Les détails à l'appui de ce motif d'incompétence sont les suivants:
Le 5 MARS 1983, vers 14 heures, M. Eugene Ernest BLAIS, inspecteur pour la Invicta Security, a pu observer vos actes au moment vous vous trouviez au magasin à rayons Woolco, Centre St-Albert, à St-Albert (Alberta). À ce moment, il a remarqué que vous poussiez un chariot contenant un sac fourre-tout. Il vous a vu prendre des accessoires électriques dans une rangée, aller dans d'autres rangées plus loin et alors mettre la marchandise dans votre sac. Il vous a vu agir de la sorte à quatre reprises puis quitter le magasin à rayons Woolco sans payer les appareils contenus dans votre sac. Vos actes à cette occasion constituent un vol au sens donné à ce mot dans le Code criminel.
Vous trouverez ci-joint une copie du rapport d'enquête interne à ce sujet, ainsi qu'une copie des déclarations et de tout autre document pertinent, servant à appuyer ce motif d'incompé- tence.
VEUILLEZ PRENDRE NOTE que, dans les quatorze jours qui suivent la signification de cet avis, vous pouvez demander par écrit auprès du Commandant divisionnaire la révision de votre cas par une Commission de licenciement et de rétrogradation dans la langue officielle de votre choix.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que vous et/ou votre représen- tant pouvez assister à l'audition de la Commission de licencie- ment et de rétrogradation et y faire des présentations orales ou écrites.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que vous, ou votre représen- tant avec votre consentement écrit, pouvez, dans le délai de quatorze jours qui suit la signification de cet avis, consulter les renseignements contenus dans vos dossiers du personnel aux- quels vous avez droit d'accès, et que vous, ou votre représen- tant, pouvez demander le dépôt auprès de la Commission de tout autre renseignement auquel vous avez droit d'accès. Des copies des renseignements demandés vous seront transmises à vous et à la Commission.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que si vous avez l'intention de présenter des témoins, vous devrez fournir la liste de ces témoins et un résumé du témoignage qu'ils se proposent de rendre. Nous demanderons aux témoins membres de la G.R.C. de se présenter; cependant, il vous appartiendra de convoquer les témoins civils. (Les témoins civils ont droit aux indemnités et aux dépenses prévues par le règlement 35).
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que si vous ne demandez pas la révision de votre cas dans les quatorze jours qui suivent, la recommandation sera transmise au Commissaire pour qu'une décision soit rendue.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que si vous ne voulez pas d'audition et que vous ne voulez pas être licencié pour incompé- tence, vous pouvez donner votre démission; cependant cette
décision est entièrement vôtre et vous n'êtes pas et vous ne serez
d'aucune façon obligé de la remettre. Si vous en faites la
demande, on vous avisera de vos avantages en vertu de la Loi
sur la pension de retraite de la G.R.C.
DATÉ À EDMONTON CE 26` JOUR D'AVRIL 1983.
«D. A. WHYTE»
D. A. WHYTE, Com. adj.
Commandant de la Division «K»
Dans sa forme, le document semble respecter le Règlement et le Bulletin AM-53. Le motif d'inap- titude suit exactement le libellé du motif 2 du paragraphe 3.a.2., précité. Pour les fins de l'espèce, les mots les plus importants sont «impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi du Parle- ment du Canada ...» En l'espèce, l'infraction dont le requérant a été accusé, selon une copie de la dénonciation qui apparaît au dossier, est le vol de [TRADUCTION] «marchandises appartenant à F.W. Woolworth Ltd., dont la valeur ne dépasse pas deux cents dollars, en violation des dispositions du Code criminel.» L'article du Code [Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34] en vertu duquel a été portée une accusation, selon le télex adressé par le S/E.M. M. Coulombe au Commandant de la Divi sion «K» en date du 17 mars 1983, est le paragra- phe 294b) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 25]. L'inculpé a plaidé non coupable à cette infraction et après avoir été jugé, comme nous l'avons mentionné précédemment, il a été acquitté par le juge McLean de la Cour provinciale de l'Alberta le 15 juin 1983. Le requérant, par consé- quent, a été déclaré ne pas avoir été «impliqué dans la perpétration d'une infraction» à la loi applicable du Parlement du Canada, c'est-à-dire le Code criminel. Et c'est-là le seul motif sur lequel l'«Avis d'intention de recommander le licenciement» se fonde. Si l'on en doute, il n'y a qu'à lire la dernière phrase de la partie de l'Avis qui expose les détails à l'appui du motif d'inaptitude invoqué et qui se lit ainsi:
Vos actes à cette occasion constituent un vol au sens donné à ce mot dans le Code criminel. [C'est moi qui souligne.]
Il a été décidé par la seule cour compétente pour tirer une telle conclusion, en l'absence d'un appel couronné de succès de la décision de cette Cour, que l'infraction décrite n'a pas été commise. Rien dans le dossier ne montre qu'il y a eu un appel qui ait été accueilli ou non. Le verdict d'acquittement, par conséquent, est final. Le fondement sur lequel reposait la recommandation de licenciement s'est
écroulé. À cet égard, les faits de l'espèce diffèrent de ceux qui étaient en cause dans l'affaire Laro- che, un membre de la Gendarmerie a admis avoir été impliqué dans la perpétration de l'infrac- tion consistant à consommer de la marijuana con- trairement aux dispositions de la Loi sur les stupé- fiants [S.R.C. 1970, chap. N-1], bien qu'il n'ait jamais été accusé ni reconnu coupable de cette infraction. Cela étant, et comme le Commissaire est autorisé à renvoyer pour motif d'incompétence, ce dernier avait le droit d'examiner si la conduite du membre était suffisamment répréhensible pour nuire au bon accomplissement de ses devoirs. En l'espèce, comme le membre a été déclaré non coupable par le seul tribunal compétent pour le faire, l'incompétence alléguée était sans fondement et le Commissaire n'était plus habilité à renvoyer le requérant pour ce motif. Il aurait dû, par consé- quent, ordonner le maintien en place du requérant. Rien dans la preuve admise ne le justifiait d'ordon- ner la constitution d'une nouvelle Commission de licenciement et de rétrogradation.
Je me rends compte que cette conclusion soulève deux difficultés.
Premièrement, dans l'affaire Laroche, le juge Le Dain a ajouté ceci à la page 168 du recueil, précité:
En deuxième lieu, le requérant soutient que seul un juge est constitutionnellement habilité à décider si une infraction crimi- nelle a été commise. À mon avis, cet argument, appliqué à la nature du litige dont l'intimé a été saisi, est dénué de fonde- ment. Le Commissaire est habilité à licencier quelqu'un pour incompétence. Pour prendre cette décision, il a le droit d'exami- ner si la conduite qui fait l'objet de la plainte est suffisamment grave pour constituer une infraction criminelle. Il ne décide pas de la responsabilité pénale et n'applique pas de sanction pénale. Il examine la conduite et en établit la gravité relative du point de vue de l'incompétence. Ce pouvoir découle nécessairement de celui de renvoyer quelqu'un pour incompétence.
En établissant une distinction entre l'espèce et la situation existant lorsque le juge Le Dain s'est prononcé, il faut examiner le texte du paragraphe 3.a.2. tel qu'il était rédigé à l'époque de l'arrêt Laroche et celui qui était en vigueur lorsque le Commissaire a tranché la présente affaire: (pré- cité, page 347)
Le membre est manifestement impliqué dans la perpétration d'une infraction criminelle dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions du membre en vertu de la loi.
NOTA: On peut recommander le licenciement ou la rétrograda- tion d'un membre qu'il ait été accusé ou non du délit criminel constituant le motif de son inaptitude ou qu'il ait été jugé, acquitté ou condamné par le tribunal à l'égard de ce délit.
Remarquons que l'adverbe «manifestement» qui précédait l'adjectif «impliqué» dans la version de 1979 a disparu. Ce qui est encore plus important, à la suite du mot «infraction» qui figure dans cette version, la révision de 1983 a ajouté les mots «à une loi édictée par le Parlement du Canada ou l'Assemblée législative d'une province». Ces deux modifications montrent nettement, à mon avis, qu'il ne ressortit pas au Commissaire de détermi- ner si une infraction a été commise ou non. Il est habilité à l'heure actuelle non pas à «examiner si la conduite qui fait l'objet de la plainte est suffisam- ment grave pour constituer une infraction crimi- nelle», mais à examiner si une infraction dont un membre a été déclaré coupable est une infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions du membre. Il ne peut être dit qu'une infraction prévue par une loi fédérale, comme le Code crimi- nel, a été commise que lorsque la Cour compétente conclut qu'elle l'a été. Sans les mots «loi édictée par le Parlement du Canada ...» il semble clair, comme le juge Le Dain l'a décidé, qu'il apparte- nait au Commissaire de décider si les actes incri- minés étaient suffisamment graves pour constituer une infraction criminelle. L'adjonction de ces mots me montre clairement que l'infraction alléguée doit être prouvée comme l'exige la loi pertinente. Si la preuve ne convainc pas le tribunal compétent, il y a acquittement de l'accusé, ce qui signifie qu'il n'y a pas «[d']infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada». Le fondement même du renvoi pour incompétence s'écroule donc.
La deuxième difficulté rencontrée qui fait obsta cle à la conclusion que j'ai mentionnée précédem- ment, vient du «NOTA» ajouté au paragraphe 3.a.2. du Bulletin AM-53, précité. Pour plus de clarté je le répète:
NOTA: On peut recommander le licenciement ou la rétrograda- tion d'un membre qu'il ait été accusé ou non du délit criminel constituant le motif de son inaptitude ou qu'il ait été jugé, acquitté ou condamné par le tribunal à l'égard de ce délit.
Comme on peut le voir, il ressort de la note qu'il est possible de recommander le licenciement d'un membre même s'il a été, entre autres, acquitté de l'infraction à la source de la procédure visant son renvoi. La première question qui se pose est donc de déterminer si le «NOTA» fait partie de l'ordre permanent auquel il fait suite? Je crois qu'il est juste de dire qu'habituellement lorsqu'une note de cette nature se trouve dans un document, le lecteur la considère comme lui expliquant ou l'aidant à interpréter le texte qui la précède. Comme je l'ai souligné précédemment, toutefois, le paragraphe 1.e. ne limite pas la portée du Bulletin en qualité d'ordre permanent à la seule partie de celui-ci dont la nature se rapporte au fond par opposition à la partie qui semble être explicative, interprétative ou indicative. Ce paragraphe dit: «Le présent bulletin constitue un ordre permanent du Commissaire ...» Cependant, le paragraphe l.a. mentionne les «directives et les modalités» données dans le Bulle tin. Bien que l'on puisse soutenir que le NOTA qui suit le paragraphe 3.a.2. fait partie de la directive, il est plus logique à mon avis de l'interpréter comme étant une explication, une interprétation ou une indication en ce qui concerne la portée de la directive. Selon moi, cette note ne devrait donc pas être interprétée comme faisant partie de la direc tive. Si elle devait en être une partie, le Commis- saire pourrait très facilement l'avoir fait telle. Qu'il ne l'ait pas fait indique qu'il n'avait pas l'intention que la note fasse partie du paragraphe 3.a.2. En outre, je puis difficilement admettre que les conséquences découlant d'une conclusion de droit (c'est-à-dire qu'un prévenu n'est pas coupa- ble d'une infraction dont il était accusé) puissent être changées par décret du Commissaire sous forme d'une note à un ordre permanent, si l'on garde à l'esprit que, en l'espèce, le seul motif énoncé pour recommander le licenciement était l'incompétence alléguée de la personne concernée parce qu'elle avait été impliquée dans la perpétra- tion d'une infraction au Code criminel—infraction dont elle a été déclarée non coupable.
Bref, pour tous les motifs énoncés ci-dessus, je suis d'avis que la note ne fait pas partie du para- graphe 3.a.2. et, par conséquent, qu'elle n'a aucune valeur juridique. La directive qu'elle contient selon laquelle on peut recommander le licenciement d'un membre bien qu'il ait été acquitté d'une infraction
dont il était accusé, ne peut ainsi avoir d'effet sur l'interprétation du paragraphe 3.a.2. auquel elle est annexée.
Si je fais erreur sur ce point, alors une situation anormale résulte des paragraphes 29(2), 30 et 31 du Règlement de la GRC que j'ai cités au long à la page 346 du présent jugement. Ces articles se rapportent à la suspension d'un membre lorsqu'il est accusé d'avoir contrevenu à une loi du Parle- ment du Canada.
En l'espèce, en raison de l'accusation criminelle dont fait état l'avis de suspension en date du 8 mars 1983, le caporal Lutes a été suspendu de la Gendarmerie. Dans la mesure le dossier m'a permis de le vérifier, il n'a pas été réintégré après son acquittement comme l'exige l'article 31 du Règlement. Qu'il l'ait été ou non, le Règlement semble reconnaître qu'un acquittement d'une accu sation criminelle disculpe l'accusé et, comme il se doit, réintègre le membre au rang qu'il occupait avant que l'accusation ne soit portée, présumément sous réserve de toute autre mesure disciplinaire interne par la Gendarmerie, le cas échéant, qui peut être appropriée dans les circonstances. Toute- fois, lorsque des procédures beaucoup plus graves qui entraînent le licenciement ont été commencées sur le fondement d'une accusation avant l'instruc- tion de cette accusation, comme en l'espèce, les procédures de licenciement non seulement se pour- suivent après l'acquittement, mais il ne doit pas être tenu compte de cet acquittement, si le NOTA s'applique, pour les fins de déterminer si la recom- mandation de licenciement doit être acceptée. C'est ce qui résulterait du NOTA suivant le para- graphe 3.a.2. si l'on estimait qu'il fait partie de ce paragraphe. À mon avis, cette conséquence est non seulement anormale mais injuste parce que la car- rière du membre en cause, son gagne-pain et sa réputation sont en jeu. Pour cette seule raison, je m'opposerais à l'interprétation selon laquelle la note ferait partie du paragraphe qui la précède, à moins qu'aucune autre interprétation ne soit possi ble. Pour les motifs que j'ai donnés, je pense qu'elle n'a pas à être interprétée de cette façon.
Par conséquent il faut, selon moi, répondre en l'espèce par la négative à la question préliminaire de déterminer si le Commissaire doit ou non accepter la recommandation de licenciement pour le motif exposé dans l'Avis d'intention, c'est-à-dire,
la question de savoir si le membre «est impliqué dans la perpétration d'une infraction édictée par le Parlement du Canada». Cela étant, plutôt que de rendre l'ordonnance contestée, le Commissaire aurait conclure que le motif d'inaptitude allé- gué dans l'Avis d'intention n'avait pas été prouvé et trancher la question en conséquence.
Par conséquent, il est inutile d'examiner les autres questions soulevées dans la requête. J'ac- cueillerais la demande, j'annulerais la décision du Commissaire en date du 25 juin 1984 et je lui renverrais la question pour qu'il la tranche en tenant compte du fait que le motif d'incompétence sur lequel l'Avis d'intention de recommander le licenciement se fonde n'a pas été établi.
Depuis la rédaction de mes motifs de jugement, j'ai eu l'occasion de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge Heald, et comme je considère qu'ils complètent et développent les miens, j'y souscris entièrement.
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