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T-1478-85
Joseph Horbas et Imelda Horbas (requérants) c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré- taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
Division de première instance, juge Strayer— Toronto, 3 septembre; Ottawa, 22 octobre 1985.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Immigration Requête en certiorari pour obtenir l'annulation de la déci- sion portant rejet de la demande de visa d'immigrant et en mandamus pour obtenir que soit traitée une demande de résidence permanente Résidence permanente refusée sur le fondement de l'art. 4(3) du Règlement Aucun conflit avec la Charte, la Déclaration des droits ou les règles de la common law en matière d'équité Malgré le retard imputable à l'arriéré des appels pendants devant la Commission d'appel de l'immigration, il n'existe aucun fondement juridique permet- tant à la Cour d'exercer son pouvoir d'appréciation en accor- dant les brefs de prérogative demandés Vu qu'une impor- tante question de fait, savoir le critère appliqué par l'agent d'immigration, n'est pas claire, l'affaire peut être plus facile- ment tranchée par la Commission Règlement sur l'immi- gration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84- 140, art. 1).
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive Art. 4(3) du Règlement sur l'Immigration, qui impose un critère à deux volets lorsqu'une demande de résidence permanente est parrainée par un conjoint, constitue une limite raisonnable qui se justifie au sein d'une société libre et démo- cratique L'art. 4(3) a été adopté pour éviter que l'on puisse contourner les critères de sélection imposés par l'art. 8 en devenant membre de la catégorie de la famille par le mariage Distinction faite d'avec l'arrêt Re Ontario Film & Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80 (C.A.), la loi n'établissait pas de critères L'art. 4(3) prévoit deux critères Règlement sur l'immigra- tion de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84- 140, art. 1), 8 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Liberté d'association Le droit des conjoints de vivre ensemble n'est pas garanti de manière absolu en vertu de la liberté d'association Application de l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, /19841 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2d) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140, art. 1).
Droit constitutionnel Charte des droits,— Vie, liberté et sécurité L'art. 4(3) du Règlement ne nie pas aux couples mariés le droit à la liberté en les empêchant de cohabiter au Canada La liberté ne vise que les questions relatives à la
liberté physique Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Loi constitutionnelle Charte des droits Procédures criminelles et pénales Traitement cruel et inusité Les mots cruel et inusité doivent être lus en corrélation Lors- qu'ils se sont mariés les requérants savaient que l'épouse ne pourrait rejoindre son mari que si elle réussissait à obtenir un visa Possibilité de trancher la question dans un délai raisonnable Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 12 Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78- 172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140, art. I).
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité L'art. 4(3) du Règlement n'établit pas de discrimi nation contre les personnes issues de groupes culturels prati- quant les mariages organisés et, en l'espèce, il n'a pas un effet de discrimination L'art. 4(3) établit un critère à deux volets: le conjoint n'est exclu que s'il s'est marié principalement dans le but d'immigrer et s'il n'a pas l'intention de vivre en perma nence avec son conjoint Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15 Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140, art. I).
Déclaration des droits Droit à une audition impartiale Demande de résidence permanente rejetée en vertu de l'art. 4(3) du Règlement Puisque ce sont les droits d'un conjoint étranger qui sont en cause, l'art. 2e) de la Déclaration des droits ne s'applique pas Un étranger n'a pas le droit d'entrer au Canada ou d'y séjourner: Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376 L'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, [1985] 1 R.C.S. 177 a fait une distinction entre cette affaire et les situations s'applique l'art. 2e) Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e) Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84-140, art. I).
Immigration L'art. 4(3) du Règlement relève du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil d'établir la caté- gorie de personnes dont la demande de droit d'établissement peut être parrainée par des citoyens canadiens en vertu de l'art. 115(1)b) de la Loi Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 115(1)b),c) Règlement sur l'immi- gration de 1978, DORS/78-172, art. 4(3) (mod. par DORS/84- 140, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 C.F. 914 (C.A.); Prata c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.); Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Ontario Film & Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80 (C.A.).
AVOCATS:
K. Zaifman, Barbara Jackman et M.
Schwartz pour les requérants.
Michael W. Duffy pour les intimés.
PROCUREURS:
Tadman Gutkin & Yard, Winnipeg, pour les requérants.
Chiasson, Jackman, Toronto, agents des pro- cureurs des requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: On demande en l'espèce un bref de certiorari en vue de faire annuler la déci- sion par laquelle les fonctionnaires des intimés ont refusé une demande de visa d'immigrant présentée par la requérante Imelda Horbas et parrainée par son mari, le requérant Joseph Horbas, ainsi qu'un bref de mandamus qui ordonnerait aux intimés de traiter ladite demande de résidence permanente au Canada équitablement et en conformité avec la loi.
Le requérant Joseph Horbas est citoyen cana- dien. Au début de 1984, il a fait connaissance avec la requérante Imelda Horbas, une citoyenne des Philippines qui réside dans ce pays, au moyen d'un échange de lettres organisé par des membres de la famille de cette dernière se trouvant au Canada. Il s'est rendu aux Philippines en septembre 1984 et a épousé Imelda Horbas le 19 septembre 1984. Il est revenu au Canada plus tard le même mois. En septembre, Mme Horbas a apparemment présenté, à Manille, une demande de résidence permanente au Canada et, en novembre 1984, M. Horbas a fourni l'engagement requis, à titre de parrain, à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada de Winnipeg. Par lettre datée du 12 décembre 1984, l'ambassade du Canada à Manille a avisé Mme Horbas que sa demande de résidence permanente avait été rejetée pour le motif qu'elle était un conjoint au sens du paragraphe 4(3) du Règlement [Règlement sur l'immigration de 1978,
DORS/78-172 (mod. par DORS/84-140, art. 1)]. Même si l'alinéa 4(1)a) autorise un citoyen cana- dien à parrainer une demande de droit d'établisse- ment présentée par son conjoint, le paragraphe 4(3) dispose:
4....
(3) L'alinéa (1)a) ne s'applique pas au conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie de la famille et non avec l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.
Divers motifs sont avancés dans la lettre pour justifier cette conclusion. Le 9 janvier 1985, M. Horbas a reçu une lettre du Centre d'immigration du Canada de Winnipeg l'informant que la demande de sa femme avait été rejetée. Par la même occasion on lui a remis une copie de la lettre envoyée à sa femme. Le 30 janvier 1985, il a déposé un avis d'appel de cette décision auprès de la Commission d'appel de l'immigration. Des pour- suites ont été entamées devant la présente Cour le 4 juillet 1985.
Les intimés font valoir que, comme le requérant Joseph Horbas est citoyen canadien et qu'il dispose d'un droit d'appel devant la Commission d'appel de l'immigration en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, la présente Cour ne saurait délivrer de bref de prérogative. Ils reconnaissent toutefois qu'il s'agit d'une question relevant du pouvoir d'appréciation de la Cour. Les requérants soutien- nent pour leur part que ce pouvoir d'appréciation doit s'exercer en leur faveur parce que l'arriéré des appels pendants devant la Commission d'appel de l'immigration pourrait retarder l'audition de leur appel d'un an à deux ans à partir de la date du dépôt de l'avis d'appel. Je crois que c'est un fac- teur qui doit être pris en considération. Je pense que s'il y avait une controverse très nette sur un point de droit à partir de laquelle la Cour pourrait trancher le litige, la cause qui nous occupe permet- trait de le faire. J'ai donc examiné les questions de droit que soulève la présente instance afin de voir si, au vu du dossier qui m'a été soumis, il existe un fondement quelconque quant à l'un ou l'autre ou aux deux redressements demandés par les requé- rants. Je suis venu à la conclusion qu'un tel fonde- ment n'existe pas. Comme les requérants ont sou- levé plusieurs questions, je ne m'y arrêterai que brièvement. Ces questions, qui ont été débattues pendant quelque trois jours, portaient sur la pré-
sente demande et sur cinq autres demandes con- cernant les décisions prises en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 relativement aux conjoints parrainés.
Les requérants prétendent que le paragraphe 4(3) du Règlement entre en conflit avec l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] parce qu'il nie aux couples mariés le droit à la «liberté» en les empêchant de cohabiter au Canada. À mon sens, le mot «liberté» de l'article 7 doit s'interpréter dans son contexte et ne vise que les questions relatives à la liberté physique. Je ne crois pas qu'il constitue une garan- tie constitutionnelle du droit de tout Canadien ou de tout résident permanent au Canada de se choi- sir un conjoint n'importe dans le monde et de le faire venir au Canada pour y vivre avec lui. Les avocats des requérants ne m'ont pas cité de déci- sions qui s'imposent à la présente Cour et qui soutiennent sans équivoque une opinion contraire.
On soutient qu'il y a eu, en l'espèce, négation du droit à une audition impartiale garanti par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III]. Il faut d'abord sou- ligner qu'en l'espèce la décision en cause concerne l'admissibilité du conjoint non canadien, 'et non celle du parrain. Par conséquent, seuls les droits de la requérante sont en cause. Voir Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 C.F. 914 (C.A.). Je ne crois pas que sa situation soit visée par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Cet alinéa garantit une «audition impartiale», et cette condition est plus précise et plus exigeante que celle, plus générale, découlant de l'application des «principes de justice fonda- mentale» mentionnés à l'article 7 de la Charte dont le contenu varie en fonction de la nature des droits en cause. Voilà sans doute pourquoi l'expression «audition impartiale», qui est plus exigente, est employée, à l'alinéa 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits, en corrélation avec l'expression. «définition de ses droits et obligations». Il a été décidé qu'un étranger n'a pas le droit d'entrer au Canada ou d'y séjourner: voir, notamment, Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1976] 1 R.C.S. 376, aux pages 380 et 381. Dans l'arrêt récent Singh et autres c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, la page 228, le juge Beetz et les juges Estey et McIntyre qui ont rédigé des motifs concourants, ont fait une distinction entre cette affaire et les situations qui mettent en cause des droits et obli gations régis par l'alinéa 2e). J'estime donc qu'en ce qui concerne la situation de la requérante Imelda Horbas l'alinéa 2e) n'a aucune pertinence.
On prétend également que peu importe si les garanties d'une procédure équitable prévues à l'ar- ticle 7 de la Charte et à l'alinéa 2e) de la Déclara- tion canadienne des droits s'appliquent en l'espèce, il existait, en vertu de la common law, une obliga tion d'agir équitablement qui n'a pas été remplie. Compte tenu de la preuve qui m'a été soumise, cette obligation ne me paraît pas évidente. Il se peut que la Commission d'appel de l'immigration constate que c'était effectivement le cas, mais à mon sens les requérants ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que la procédure n'était pas équitable. Il ressort manifestement des documents qu'ils ont produits que Mme Horbas a passé une entrevue le 7 décembre 1984 au cours de laquelle elle a été interrogée sur des questions qui parais- sent avoir eu une grande incidence sur la décision finale qui a été rendue. Il est révélateur que les requérants n'aient pas produit de preuve directe qu'aurait pu fournir Mme Horbas elle-même quant au contenu de cette entrevue. Il m'est donc impossible de conclure qu'il y a eu en l'espèce absence d'équité.
Les avocats soutiennent également que le para- graphe 4(3) du Règlement contrevient à l'alinéa 2d) de la Charte parce qu'il nie le droit à la «liberté d'association». Selon eux, la liberté d'asso- ciation comprend la liberté pour des conjoints de vivre ensemble. Il faut présumer qu'il s'agit du droit de cohabiter au Canada puisque le paragra- phe 4(3) ne leur interdit nullement de cohabiter à l'étranger. En interprétant ce paragraphe, je suis lié dans une certaine mesure par l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.), à la page 893 C.F.; page 390 D.L.R. le juge Mahoney, avec l'appui des autres membres de la Cour, a cité en l'approuvant un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique l'on a déclaré que:
La liberté de s'associer ne comporte aucune protection constitu- tionnelle des buts de l'association ou des moyens d'atteindre ces buts.
La Cour d'appel fédérale a statué que la négocia- tion collective ne fait pas partie de la liberté d'association garantie par la constitution, qui pro- tège la création de syndicats. Le droit des syndi- cats à la négociation collective est aussi fondamen- tal que le droit des couples mariés de cohabiter. Mais je ne crois pas que l'on puisse conclure dans l'un et l'autre cas que ce corollaire important qui découle naturellement de l'association originale fait partie de cette association au point il serait garanti de manière absolue par la constitution sous la rubrique «liberté d'association».
On prétend que le paragraphe 4(3) du Règle- ment entre en conflit avec l'article 15 de la Charte, soit parce qu'il a généralement un effet de discri mination contre des personnes en raison de leur origine nationale et ethnique, soit, comme en l'es- pèce, en raison de la manière dont il a été appli- qué. On prétend qu'en raison du critère interdisant à quiconque de contracter mariage principalement dans le but d'immigrer, les personnes issues de groupes culturels pratiquant les mariages organisés et de pays l'on considère que la possibilité d'immigrer dans un pays industrialisé est un fac- teur légitime dans le choix du conjoint, sont victi- mes de discrimination. Il faut d'abord souligner qu'il s'agit d'un critère à deux volets. Ainsi, aux termes du paragraphe 4(3), le conjoint n'est exclu que s'il s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admissibilité au Canada et non avec l'intention de vivre en permanence avec son con joint. Aucune preuve significative n'a établi que cet article a eu pour principal effet d'établir une discrimination contre les personnes appartenant à une religion particulière ou d'une origine nationale ou ethnique particulière. Il est fort possible qu'il joue davantage contre les personnes provenant des pays du tiers monde, mais cela peut également s'expliquer par le fait que les pressions qui pous- sent à émigrer de ces pays sont beaucoup plus fortes et que le problème auquel s'attaque le para- graphe 4(3) est plus aigu en ce qui concerne les épouses parrainées provenant de ces pays. Quant à la discrimination qui aurait eu lieu dans le cas particulier qui nous intéresse, la preuve qui m'a été soumise n'est pas concluante. Il apparaît, à la lecture des motifs de la décision exposés dans la
lettre de l'ambassade du Canada à Manille en date du 12 décembre 1984, qu'ils se rapportent au critère énoncé dans ce paragraphe et qu'ils sont légitimes. Je répète que d'autres éléments de preuve susceptibles d'être administrés au cours de l'appel pourraient indiquer qu'il y a eu discrimina tion au sens de l'article 15 de la Charte, mais cela ne ressort pas clairement de la preuve qui m'a été soumise.
Une autre question a été soulevée en ce qui a trait à l'article 15 de la Charte. On a allégué que le paragraphe 4(3) du Règlement ne prévoit aucun critère visant à guider l'agent des visas ou l'agent d'immigration de sorte que ceux-ci sont investis de pouvoirs discrétionnaires absolus, et qu'il n'existe aucun fondement rationnel permettant de distin- guer les conjoints qui ont droit au statut de rési- dent permanent de ceux qui n'y ont pas droit. Je traiterai plus loin de cette question en rapport avec l'article 1 de la Charte.
Selon un autre argument fondé sur la Charte, le paragraphe en cause contrevient à l'article 12 de la Charte parce qu'il impose des traitements cruels et inusités en soumettant les couples mariés à des séparations prolongées ou permanentes. À mon sens, le jugement rendu à la majorité dans l'arrêt Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680 signifie que les mots «cruels et inusités» doivent être lus en corrélation. Je ne saurais dire que toute décision tardive sur des questions comme celles que nous intéressent, ou que toute séparation, doit être considérée comme des traitements «cruels et inusités». Il est possible que surgissent des cas extrêmes le paragraphe 4(3) aurait de telles conséquences. Mais je ne puis dire que c'est le cas en l'espèce. Lorsqu'elles se sont mariées aux Phi- lippines, les parties étaient, semble-t-il, parfaite- ment au courant que le mari aurait à retourner au Canada et que son épouse ne pourrait l'y rejoindre que si elle réussissait à obtenir un visa d'immi- grant. Moins de trois mois après le mariage, on l'a avisée qu'elle ne le pourrait pas. Le mari a inter- jeté appel devant la Commission d'appel d'immi- gration le 30 janvier 1985, un peu plus de quatre mois après le mariage. La question pourrait, sem- ble-t-il, être tranchée dans un délai raisonnable à partir de la date les parties se sont mariées en connaissant le caractère incertain de leur situation.
Même si l'on pouvait dire du paragraphe liti- gieux qu'il empiète sur l'un ou l'autre des droits susmentionnés qui sont garantis par la Charte, je suis convaincu qu'il est justifié en vertu de l'article 1. Arguments à l'appui, l'avocat des intimés a invoqué cet article et a aussi produit une copie d'une enquête menée par la Commission de l'em- ploi et de l'immigration avant l'adoption du para- graphe 4(3) du Règlement. Il est relativement facile de dégager du Règlement lui-même les motifs qui justifient cette disposition réglemen- taire. Normalement, un immigrant qui n'appar- tient pas à la «catégorie de la famille» (c'est le cas des conjoints) doit satisfaire à de nombreux critè- res de sélection énoncés à l'article 8 du Règlement. L'effet de l'article 4, qui autorise un citoyen cana- dien ou un résident permanent à parrainer une personne appartenant à la catégorie de la famille, est de décharger la personne parrainée de l'obliga- tion de satisfaire à la majorité des critères de sélection. Il est donc très avantageux d'être par- rainé à titre de personne appartenant à la catégorie de la famille. Les personnes qui en font partie sont pour la plupart unies par le sang au parrain qui est soit citoyen canadien, soit résident permanent au Canada. Ces liens du sang sont des questions de fait qui ne peuvent être modifiées pour les fins de l'immigration. Toutefois, les conjoints font aussi partie de la catégorie de la famille, et les liens qui les unissent au parrain sont bien sûr des liens d'affinité et non de consanguinité. Par le mariage, les parties peuvent donc créer ces liens pour les fins de l'immigration. Les personnes désireuses de contourner les critères de sélection auxquels doi- vent se soumettre la plupart des immigrants pour- raient alors le faire au moyen d'une forme quel- conque de mariage avec un partenaire canadien consentant. C'est pour faire échec à ce type de ruse que le paragraphe 4(3) a été adopté. Je suis con- vaincu qu'il constitue une limite raisonnable qui se justifie au sein d'une société libre et démocratique. De plus, je n'accepte pas la prétention des requé- rants selon laquelle il ne s'agit pas véritablement d'une limitation prescrite par la loi parce qu'elle n'établit pas de critères. Ils citent l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Re Ontario Film & Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80. Toutefois, ces deux causes peuvent être distinguées l'une de l'au- tre. Dans la cause Ontario Film & Video Appre ciation Society, la loi ne prévoyait aucun critère, et
autorisait simplement la Commission «à censurer tout film». Le paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration de 1978 prévoit que l'agent des visas doit tenir compte de deux critères: il doit se demander premièrement si le conjoint s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada, et deuxièmement si le conjoint par- rainé a l'intention de vivre en permanence avec son conjoint. Contrairement aux lignes directrices exa minées dans la cause Ontario Film, l'agent des visas est tenu de par la loi d'appliquer cette dispo sition réglementaire. L'application de ces critères soulève, il faut le reconnaître, d'épineuses ques tions de fait, d'autant plus qu'elle implique l'ap- préciation de l'intention du conjoint parrainé. Mais il ne faut pas confondre difficultés de preuve et absence de critères législatifs, et les questions d'in- tention sont monnaie courante dans le processus décisionnel administratif ou judiciaire.
On soutient également que le pouvoir de régle- mentation prévu à la Loi sur l'immigration de 1976 n'autorisait pas l'adoption du paragraphe 4(3) du Règlement de sorte que celui-ci ne relevait pas de la compétence du gouverneur en conseil. Je ne partage pas cette opinion. La disposition régle- mentaire en cause est censée avoir été adoptée par le gouverneur en conseil en vertu du pouvoir qui lui est conféré par les alinéas b) et c) du paragraphe 115(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. Il suffit de s'en remettre à l'alinéa b) qui autorise le gouverneur en conseil à établir des règlements
115....
b) établissant les catégories de personnes dont la demande de droit d'établissement pourra être parrainée par des citoyens canadiens et celles dont la demande pourra l'être par des résidents permanents;
Je ne vois pas pourquoi le gouverneur en conseil ne pourrait pas exclure d'une catégorie de personnes susceptibles d'être parrainées, celles qui se sont mariées principalement dans le but d'immigrer et non avec l'intention de vivre en permanence avec leur conjoint.
Le dernier argument porte que même si le para- graphe 4(3) est valide, l'agent l'a appliqué de manière erronée au cas qui nous intéresse. On s'est fondé en particulier sur la lettre envoyée à Mme Horbas le 12 décembre 1984 l'avisant du rejet de sa demande. Voici ce que contient cette lettre parmi les faits invoqués pour justifier la décision:
[TRADUCTION] ... pendant l'entrevue du 7 décembre, vous avez déclaré que votre mari est en bonne santé. Pourtant, dans une lettre que votre mari nous a fait parvenir le 8 octobre 1984, celui-ci nous informe qu'il est «handicapé» et qu'il a besoin de votre «aide». Interrogée sur cette contradiction, vous avez déclaré avoir accepté d'épouser M. Horbas sur la recommanda- tion de vos parents au Canada et que vous vous y rendiez pour vous occuper de M. Horbas. Lorsque l'on vous a demandé ce que vous ressentiez à l'égard de M. Horbas, vous avez dit qu'il était bon et serviable. Je suis d'avis que vos actes, vos senti ments et les raisons qui vous poussent à agir ainsi correspondent davantage à des rapports avec un employeur bienveillant qu'aux besoins d'un mariage durable.
J'estime que cette déclaration est quelque peu ambiguë, et il n'est pas impossible qu'elle découle d'une conception erronée des exigences du para- graphe 4(3). I1 ne faut pas perdre de vue que ce paragraphe ne peut servir de fondement au rejet d'une telle demande que si le conjoint parrainé s'est marié principalement dans le but d'immigrer et s'il n'a pas l'intention de vivre en permanence avec son conjoint. Bien que la partie de la lettre qui précède l'extrait cité paraisse répondre adéqua- tement à la première question, l'interprétation à donner au passage cité n'est pas claire. On peut cependant en conclure que l'agent a cru que les deux requérants en l'espèce vivraient ensemble, mais non en tant que mari et femme. Le paragra- phe exige uniquement que le conjoint parrainé ait l'intention de «vivre en permanence» avec son con joint. J'estime toutefois que c'est le genre de ques tion qui peut être clarifiée dans le cadre d'un appel devant la Commission d'appel de l'immigration. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans la cause Brar précitée, la procédure d'appel permet d'avoir accès à l'ensemble de la preuve, de contre- interroger les témoins de l'intimé, de soumettre des éléments de preuve et de faire des observations. L'espèce soulève d'importantes questions de fait qui débordent le cadre du contrôle judiciaire par le biais d'un bref de prérogative et qui peuvent être plus facilement examinées en appel, même si elles peuvent être mêlées à des questions de droit.
Je rejette donc entièrement la demande. Étant donné que l'inutilité de la présente instance me paraît évidente, les intimés ont droit à leurs dépens s'ils en font la demande.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens en faveur des intimés s'ils en font la demande.
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