Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-1596-83
Air Canada (requérante) c.
Paul S. Carson, Ramon Sanz, William Nash, Barry James, Arie Tall et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui- gan—Toronto, 28, 29, 30 et 31 janvier; Ottawa, 15 février 1985.
Droits de la personne Discrimination fondée sur l'âge Politique concernant l'âge maximum d'embauchage Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle le tribunal d'appel a statué que la politique d'Air Canada fixant à 27 ans l'âge maximum d'embauchage des pilotes ne découlait pas d'exigences professionnelles normales Le tribunal d'appel a conclu que le double critère, qui a été énoncé dans la décision américaine Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303 (4th Cir. 1981) pour justifier un refus d'embaucher quelqu'un en vertu d'une exception relative aux exigences professionnelles normales, était «semblable, en sub stance++ à celui établi par la C.S.C. dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, /19821 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14 Air Canada a soutenu que le critère énoncé dans Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir. /974) était la norme appliquée dans l'arrêt Etobicoke La C.S.C. n'a pas désapprouvé ni endossé le critère appliqué dans Greyhound Le critère dégagé dans Smallwood constitue une étape prélimi- naire dans la détermination d'une exigence professionnelle normale Même si la preuve révèle qu'il est possible qu'Air Canada n'ait pas satisfait aux deux volets du critère dégagé aux États-Unis, le tribunal d'appel est arrivé au même résul- tat en se fondant entièrement sur le libellé plus général du critère énoncé dans Etobicoke Le tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en appliquant le critère Le tribunal d'appel a commis une erreur en concluant que l'esprit de la Loi empêchait une exigence professionnelle normale fondée sur un motif prescrit de discrimination Cette erreur n'a aucun effet sur la décision de conclure que le problème du "renversement des âges" ne constituait pas une exigence professionnelle nor- male et n'est pas un motif pour annuler la décision Le tribunal d'appel a commis une erreur en rejetant les témoigna- ges des experts médicaux et la preuve fondée sur des statisti- ques, et il se serait trompé quant au fardeau de la preuve imposé à Air Canada Ces erreurs ne constituent pas un motif permettant d'annuler la décision car elles ne touchent pas au fond véritable du litige qui concernait la justification de la politique Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 2a), 3, 7, 10a), 14a), 42.1 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Il s'agit en l'espèce du premier cas soumis aux tribunaux canadiens au sujet de la discrimination fondée sur l'âge d'em- bauchage. La présente demande vise l'annulation de la décision par laquelle le tribunal d'appel a statué que la politique d'Air Canada de ne pas engager de nouveaux pilotes âgés de plus de 27 ans ne découlait pas d'exigences professionnelles normales.
L'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que ne constitue pas un acte discriminatoire une restric tion de l'employeur qui démontre qu'elle est fondée sur des exigences professionnelles normales. Le tribunal d'appel a conclu que le double critère, qui a été énoncé dans la décision américaine Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303 (4th Cir. 1981) pour justifier un refus d'embaucher quelqu'un en vertu d'exigences professionnelles normales, était «sembla- ble, en substance» à celui établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14. Air Canada allègue que le critère énoncé dans Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir. 1974), est la norme appliquée dans l'arrêt Etobicoke. Air Canada devait démontrer que l'âge maximum d'embauchage adopté, c'est-à-dire 27 ans, était une exigence professionnelle normale et non simplement qu'un certain âge maximum d'embauchage aurait constitué une telle exigence. Air Canada allègue que le tribunal d'appel a commis une erreur (1) en établissant un parallèle entre l'arrêt Etobicoke et la décision rendue par un tribunal américain dans Arritt v. Gri- sell, décision qu'il a suivie dans Smallwood; (2) en appliquant sa perception de la Loi canadienne sur les droits de la personne au cours de l'examen de certains éléments de preuve et (3) en exigeant qu'Air Canada prouve que ses préoccupations au sujet de la sécurité, qui étaient sous-jacentes à sa politique, repo- saient sur des faits plutôt que de prouver qu'elles étaient fondées sur un débat médical non résolu.
Arrêt: la demande est rejetée.
Le juge Mahoney (avec l'appui du juge Stone): Suivant l'arrêt Etobicoke, pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction doit être imposée de bonne foi et avec la conviction que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail, et elle doit se rapporter objective- ment à l'emploi en question, en étant raisonnablement néces- saire pour assurer l'exécution sans danger du travail. Dans l'affaire Arritt, le tribunal adopte un double critère: il incombe à l'employeur de démontrer (1) que l'exigence professionnelle normale imposée est raisonnablement nécessaire à la nature même de son entreprise et (2) qu'il a un motif raisonnable, c'est-à-dire fondé sur des faits réels, de croire que toutes les personnes de la catégorie seraient incapables d'exécuter le travail sans danger, ou qu'il serait peu pratique d'examiner individuellement le cas de chaque personne ayant dépassé l'âge limite. Le premier volet du critère dégagé dans l'affaire Arritt est, pour l'essentiel, semblable à l'aspect subjectif du critère énoncé dans l'arrêt Etobicoke, et le deuxième volet du critère appliqué dans Arritt est approprié en l'espèce. Lorsqu'on se demande ce qui est raisonnablement nécessaire pour s'assurer que les pilotes accomplissent leurs fonctions en toute sécurité à mesure qu'ils vieillissent, il semble raisonnable et conséquent avec l'arrêt Etobicoke de vérifier s'il n'est pas possible ou pratique d'examiner le cas de chaque pilote plutôt que d'empê- cher leur embauchage par un refus général de les embaucher. Même si la Cour suprême n'a pas désapprouvé le critère appliqué aux États-Unis dans Greyhound (c'est-à-dire que l'employeur n'a qu'à prouver une augmentation minime des risques), elle ne l'a pas endossé. Air Canada doit prouver, suivant la prépondérance des probabilités, que sa pratique constitue une exigence professionnelle normale. L'arrêt Etobi- coke expose le critère applicable en termes généraux. La
manière dont ce critère peut être appliqué en termes concrets dépendra des circonstances de chaque cas particulier.
Air Canada a soulevé «le problème du renversement des âges» comme motif justifiant l'âge limite d'embauchage. Ce problème concernait le potentiel de conflit dans la cabine lorsqu'un nouveau pilote plus âgé se retrouvait sous le commandement d'un jeune pilote ayant plus d'ancienneté. Le tribunal d'appel a jugé que le problème du «renversement des âges» ne supportait pas l'existence d'une exigence professionnelle normale parce que la preuve que le renversement des âges est un problème considérable n'était pas suffisante et parce que les problèmes qui découlent d'attitudes qui reflètent la partialité fondée sur un motif de discrimination interdit par la Loi ne peuvent se justifier comme des exigences professionnelles normales. Le tribunal d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que l'esprit de la Loi empêchait de conclure que le problème du renversement des âges pouvait constituer une exigence profes- sionnelle normale. La Loi a pour but non seulement d'interdire la discrimination fondée sur des motifs prescrits, mais de permettre cette discrimination lorsqu'elle constitue une exi- gence professionnelle normale. Étant donné que cette erreur de droit n'a eu aucun effet sur la décision du tribunal d'appel qui avait déjà tranché le problème du renversement des âges en se fondant sur des motifs appropriés, elle ne justifie pas l'annula- tion de la décision.
Le tribunal d'appel a commis une erreur de droit en décla- rant que le sophisme dans l'approche des experts médicaux était qu'elle tend à assumer que le fait qu'il y ait un rapport entre l'âge et l'incapacité est non seulement un fondement nécessaire, mais qu'il suffit pour maintenir que l'âge constitue une exi- gence professionnelle normale. Le tribunal d'appel a également commis une erreur en rejetant la preuve fondée sur des statisti- ques, et ce serait le cas aussi quant au fardeau de la preuve imposé à Air Canada. Aucune de ces erreurs ne touchait le fond du litige: la justification de la politique fixant un âge maximum d'embauchage. Elles ont toutes été commises par le tribunal d'appel dans son examen des effets du vieillissement sur les pilotes et des problèmes de sécurité qui en découlent; aucune n'a été commise dans son appréciation du rapport entre la politique en cause et ces préoccupations et dangers. Air Canada n'a pas réussi à établir un rapport vraisemblable entre les effets du vieillissement des pilotes sur la sécurité et sa politique fixant l'âge maximum d'embauchage à 27 ans afin de prouver que cette politique constitue une exigence profession- nelle normale. Le tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en concluant ainsi.
Le juge MacGuigan: La requérante prétend que, dans l'arrêt Etobicoke, la citation par la Cour suprême de la décision américaine Greyhound indique qu'elle approuve le raisonne- ment qui y a été suivi, de sorte que cette décision constitue la meilleure interprétation de l'arrêt Etobicoke. Le juge Mclntyre a cité l'affaire Greyhound avec la décision de la Commission d'enquête du Nouveau-Brunswick dans Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd., la Commission a rendu une décision différente qui contenait des opinions incidentes allant à l'encontre de celles de la décision américaine. Dans l'affaire Greyhound, on parlait «d'une augmentation minime des risques» alors que dans l'affaire Little, il s'agissait du «facteur minimum de risque acceptable». Cette dernière expres sion laisse entendre contrairement à la première qu'il est possi ble de mesurer l'acceptabilité d'un risque. Dans l'affaire Moose
Jaw v. Sask. Human Rights Comm., le juge Matheson a eu raison d'insister pour dire qu'on ne peut assimiler le critère du «risque suffisant» dégagé dans l'arrêt Etobicoke au «risque inacceptable», mais il est erroné de croire que les tribunaux américains souscrivent à la théorie du «risque inacceptable». Il ressort clairement des décisions citées par le juge McIntyre qu'il n'avait pas l'intention en les invoquant d'approuver une manière particulière de mesurer le risque. Néanmoins, le fait qu'il ait lui-même présenté le litige en affirmant qu'il s'agissait de déterminer s'il existait «un risque d'erreur humaine suffi- sant» indique la reconnaissance d'un certain degré de risque qui correspond davantage à la notion de risque «acceptable» qu'à celle de risque «minime».
Le point de vue adopté dans Greyhound n'a pas fait l'unani- mité devant les tribunaux américains. Il a été suivi dans Murnane v. American Airlines, Inc., mais peu après la Cour d'appel des États-Unis a conclu dans Smallwood v. United Air Lines, Inc. qu'une règle sur laquelle une autre compagnie aérienne se fondait pour refuser d'embaucher des pilotes âgés de plus de 35 ans ne constituait pas une exigence profession- nelle normale. La Cour a proposé un double critère. La requé- rante allègue que le tribunal d'appel a commis une erreur en statuant que ce critère était «semblable, en substance» à celui dégagé dans l'arrêt Etobicoke. La même Cour qui s'est pronon- cée dans Greyhound «a refusé d'appliquer cette décision telle quelle» dans Orzel v. City of Wauwatosa Fire Dept., elle a rejeté l'argument de la ville voulant qu'une exigence profession- nelle normale est établie lorsque l'employeur prouve que les faits lui permettent logiquement de croire que l'exigence dimi- nue les risques de dommages. Air Canada soutient que, lors- qu'il existe deux ou trois points de vue logiques reposant sur les faits et découlant de témoignages d'experts, le tribunal n'a d'autre choix que d'accepter celui choisi par l'employeur. Cela ne constitue pas une preuve reposant sur la prépondérance des probabilités comme l'exige l'arrêt Etobicoke. La requérante a soutenu que les normes de preuve s'appliquaient seulement pour démontrer qu'il existait un fondement logique au point de vue choisi et non pour prouver que celui-ci était plus vraisemblable que les autres hypothèses. C'est conforme à l'idée que l'exis- tence d'un risque minime pour la sécurité publique justifie une exigence professionnelle normale. Il ressort de l'analyse de l'arrêt Etobicoke que telle n'est pas sa signification parce qu'une telle interprétation ne s'accorde ni avec les normes de preuve qu'il exige ni avec la nécessité d'un risque suffisant comme justification.
Le critère dégagé dans l'affaire Smallwood poursuit le rai- sonnement adopté dans l'arrêt Etobicoke, mais en demeurant compatible avec celui-ci. Dans Etobicoke, la Cour a établi que les deux facteurs inversement proportionnels que sont le degré de risque et la possibilité de recourir à des solutions de rechange déterminent ce qui constitue une exigence profession- nelle normale, examinée objectivement, et elle a conclu qu'il fallait trouver un équilibre entre ces deux facteurs en tenant compte des circonstances. Le double critère dégagé par les tribunaux américains constitue une étape préliminaire dans la détermination d'une exigence professionnelle normale. Il ressort de la preuve qu'Air Canada pourrait ne pas avoir satisfait aux deux volets de ce critère immédiat, mais après avoir approuvé le critère dégagé aux États-Unis, le tribunal d'appel est arrivé au même résultat en se fondant entièrement sur la formulation plus générale du critère énoncé dans l'arrêt Etobicoke. Le
tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en statuant que le critère légal pour l'exigence professionnelle normale tel qu'ex- posé dans l'arrêt Etobicoke est «d'établir si l'exigence est nécessaire, dans une mesure raisonnable, à l'exécution du tra vail ... le tribunal doit examiner à la fois la nécessité de la règle et la nature raisonnable de celle-ci à la lumière de cette nécessité.»
Le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit. Les erreurs qu'il a pu commettre étaient isolées ou insignifiantes ou encore, résultaient de l'emploi d'expressions mal choisies pour exprimer sa décision. L'intention du tribunal n'était pas d'interpréter la preuve en tenant compte de ses préférences quant à la politique à suivre, mais d'insister sur une interprétation restrictive de l'exception créée par l'exigence professionnelle normale comme le tribunal l'a recommandé dans l'affaire Smallwood v. United Air Lines, Inc.
Les tribunaux doivent faire en sorte que l'existence d'excep- tions beaucoup trop larges ne vienne porter atteinte à l'inten- tion première du Parlement de permettre que les personnes soient jugées au mérite. Il faudrait donc interpréter lesdites exceptions d'une manière restrictive.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14; Moose Jaw v. Sask. Human Rights Comm., [1984] 4 W.W.R. 468 (B.R. Sask.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Arritt v. Grisell, 567 F.2d 1267 (4th Cir. 1977); Small- wood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303 (4th Cir. 1981), certiorari refusé, 102 S. Ct. 2299 (1982); Hodg- son v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir. 1974), certiorari refusé, 95 S. Ct. 805 (1975); Usery v. Tamiami Trail Tours, 531 F.2d 224 (5th Cir. 1976); Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. D/1 (Comm. d'enquête N.-B.); Mur- nane v. American Airlines, Inc., 667 F.2d 98 (D.C. Cir. 1981), certiorari refusé, 102 S. Ct. 1770 (1982); Orzel v. City of Wauwatosa Fire Dept., 697 F.2d 743 (7th Cir. 1983).
AVOCATS:
J. Murray et G. Delisle pour la requérante. G. D. Hunter et D. A. Aylen pour les intimés.
PROCUREURS:
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour la
requérante.
Scott & Aylen, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La requérante Air Canada demande, sur le fondement de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], l'annulation de la décision d'un tribunal d'appel [Paul S. Carson et al. v. Air Canada (1983), 4 C.H.R.R. D/1857] constitué en vertu de l'article 42.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, et ses modifi cations. Le tribunal d'appel est arrivé à la même conclusion que le tribunal et a statué que la politi- que d'Air Canada de ne pas engager de nouveaux pilotes âgés de plus de 27 ans ne découlait pas d'exigences professionnelles normales. Aucune question de justice naturelle ou de compétence n'a été soulevée. Air Canada soutient que le tribunal d'appel a rendu une décision entachée d'une erreur de droit et qu'il s'est fondé sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
La disposition législative applicable se trouve à l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
Il ne s'agit pas de savoir si cette politique entraîne des actes discriminatoires et s'il incombe à Air Canada de démontrer, selon toute probabi- lité, qu'elle repose sur des exigences professionnel- les normales. La bonne foi d'Air Canada en adop- tant cette politique n'est pas non plus en cause. Air Canada a adopté cette politique en grande partie parce qu'elle considère que, en raison des problè- mes de sécurité découlant naturellement du vieil- lissement, ses pilotes doivent cesser leurs activités à l'âge de 60 ans. Cette politique est appliquée dans le cadre d'un régime d'ancienneté, mis en place par la convention collective, qui donne pré- séance, en ce qui concerne tous les aspects de l'emploi, au pilote qui travaille depuis le plus longtemps pour Air Canada. La politique contes- tée n'est pas celle de l'âge de la retraite obligatoire fixé à 60 ans, mais celle de l'âge maximum d'em- bauchage fixé à 27 ans. Air Canada devait démon-
trer que l'âge maximum d'embauchage adopté, c'est-à-dire 27 ans, était une exigence profession- nelle normale et non simplement qu'un certain âge maximum d'embauchage aurait constitué une telle exigence.
J'utilise pour des raisons pratiques l'expression «l'âge maximum d'embauchage de 27 ans». En fait, cette politique est un peu plus souple. Elle permet d'engager des pilotes jusqu'à l'âge de 31 ans dans des cas déterminés.
Le tribunal a siégé 19 jours entre le 18 février 1980 et le 5 octobre 1981. Sa décision rendue le 18 mars 1982 comporte 125 pages. Le tribunal d'ap- pel s'est prononcé sur l'appel à partir du dossier: 35 volumes, 4 864 pages. Les débats devant le tribunal d'appel ont duré cinq jours entre le 8 décembre 1982 et le 17 février 1983. Le tribunal d'appel a rendu une décision de 100 pages le 26 octobre 1983.
Je rejette l'allégation voulant que le tribunal d'appel ait fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. A mon avis, il n'y a lieu d'examiner que trois des erreurs de droit alléguées: première- ment, le parallèle établi par le tribunal d'appel entre la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14, et celle de la Cour d'appel des États-Unis, Quatrième Circuit, dans l'affaire Arritt v. Grisell, 567 F.2d 1267 (1977), et suivie par la même Cour dans l'affaire Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303 (1981), qui concernait également un âge maximum d'embauchage pour les pilotes; deuxiè- mement, l'application par le tribunal d'appel de sa perception de la Loi canadienne sur les droits de la personne au cours de l'examen de certains élé- ments de preuve et, troisièmement, la question de savoir si on a exigé à tort qu'Air Canada prouve que ses préoccupations au sujet de la sécurité, qui étaient sous-jacentes à sa politique, reposaient sur des faits plutôt que de prouver qu'elles étaient fondées sur un débat médical non résolu qu'elle doit envisager avec prudence et dont elle doit craindre la conclusion.
Pour ce qui est du parallèle entre les arrêts Arritt et Etobicoke, cette dernière décision, qui portait sur la retraite obligatoire des pompiers à l'âge de 60 ans, fait autorité au Canada au sujet de la discrimination fondée sur l'âge comme exigence professionnelle normale. Le critère applicable a été fixé à la page 208 R.C.S.; aux pages 19 et s. D.L.R.:
Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restric tion comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.
Après avoir examiné la preuve en l'espèce, les vues du tribunal et des tribunaux d'instance inférieure, et le genre de preuves requises pour établir que la discrimination fondée sur l'âge constitue une exi- gence professionnelle normale, la Cour suprême a ajouté à la page 210 R.C.S.; aux pages 20 et 21 D.L.R.:
Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.
Dans l'affaire Arritt, le tribunal avait été saisi d'une loi d'un État qui fixait de 18 35 ans l'âge d'embauchage pour les recrues de la police. Le tribunal d'appel n'a cité que la partie du passage pertinent figurant dans une autre décision invo- quée. À mon avis, il est utile de reprendre cette citation un peu plus en détail parce que Air Canada prétend que le critère énoncé dans l'affaire Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir. 1974), qui a été invoquée, est la norme appliquée dans l'arrêt Etobicoke. Le tribunal a dit à la page 1271:
[TRADUCTION] La cour de district a adopté le critère appli- qué dans l'affaire Hodgson y Greyhound Lines, 499 F.2d 859 (7 Cir. 1974), c'est-à-dire que l'employeur n'a qu'à démontrer «une augmentation minime des risques, car il lui suffit de montrer que l'abolition de sa politique d'embauchage pourrait mettre en danger la vie d'une personne de plus que ce ne serait
le cas en vertu de la pratique d'embauchage actuelle». Id. à la page 863. Nous croyons cependant que le critère approprié est le double critère dégagé dans l'affaire Usery v. Tamiami Trail Tours, 531 F.2d 224 (5 Cir. 1976), c'est-à-dire qu'il incombe à l'employeur de démontrer (1) que l'exigence professionnelle normale qu'il invoque est raisonnablement nécessaire à la nature même de son entreprise (en l'espèce, le fonctionnement efficace d'un service de police visant à assurer la protection du public) et (2) qu'il a un motif raisonnable, c'est-à-dire fondé sur des faits réels, de croire que toutes ou pratiquement toutes les personnes de la catégorie (dans notre cas, les personnes âgées de plus de 35 ans) seraient incapables d'exécuter efficace- ment et sans danger les tâches de l'emploi en cause, ou qu'il est impossible ou peu pratique d'examiner individuellement le cas de chaque personne ayant dépassé l'âge limite.
Il est sans doute implicite dans le premier volet du critère dégagé dans l'affaire Arritt que «l'exigence professionnelle normale» doit avoir été adoptée de bonne foi, ce qui de toute façon ne fait pas l'objet du présent litige, et étant donné cette caractérisa- tion, il ne m'est pas difficile d'admettre que cet élément est, pour l'essentiel, semblable à l'aspect subjectif du critère énoncé dans l'arrêt Etobicoke. Sans me prononcer sur les éléments qu'il pourrait être nécessaire de prouver dans un autre cas afin de respecter l'aspect objectif du critère dégagé dans l'arrêt Etobicoke, il me semble toutefois que le deuxième volet du critère appliqué dans l'affaire Arritt est très approprié en l'espèce.
Il ne s'agit évidemment pas de déterminer si tous ou pratiquement tous les pilotes âgés de plus de 27 ans ne peuvent accomplir leur tâche. Air Canada ne prétend pas que l'embauchage de pilo- tes âgés de plus de 27 ans crée des risques inutiles. Elle soutient plutôt qu'il sera plus facile d'éviter les risques qui, selon elle, apparaîtront inévitablement au fur et à mesure que les pilotes vieilliront si aucun pilote âgé de plus de 27 ans n'est embauché. Ainsi, lorsqu'on se demande ce qui est raisonnable- ment nécessaire pour s'assurer que les pilotes accomplissent leurs fonctions en toute sécurité à mesure qu'ils vieillissent, il semble tout à fait raisonnable de vérifier s'il n'est pas possible ou pratique d'examiner le cas de chaque pilote plutôt que d'empêcher leur embauchage par un refus général de les embaucher.
L'affaire Tamiami [Usery v. Tamiami Trail Tours, 531 F.2d 224 (5th Cir. 1976)] est mention- née dans l'extrait tiré de l'arrêt Arritt précité. Je le souligne parce que cette décision a été examinée dans un jugement récent de la Cour du Banc de la
Reine de la Saskatchewan Moose Jaw v. Sask. Human Rights Comm., [1984] 4 W.W.R. 468 la page 474], la commission d'enquête avait cité l'affaire Tamiami à l'appui de la proposition suivante:
[TRADUCTION] «Aux yeux de la commission, il ressort de la jurisprudence qu'il incombe encore à l'employeur de montrer que tous les membres de la catégorie restreinte (dans le cas présent, ceux âgés de plus de 62 ans et éventuellement, ceux âgés de plus de 60 ans) possédaient la caractéristique inaccep- table ou que l'incidence de cette dernière dans ce groupe était si grande et si difficile à identifier qu'elle rendait inadmissibles dans les circonstances les risques résultant du fait de continuer à embaucher des membres de cette catégorie.»
J'ai lu et relu avec attention l'affaire Tamiami. On n'y trouve nulle part ces termes ni des termes aussi forts. En particulier, le terme «inacceptable» n'y est pas employé. Le critère adopté est celui de l'affaire Arritt. Par conséquent, je ne veux pas que l'on croie que je ne suis pas d'accord avec la décision de la Cour de la Saskatchewan qui a rejeté, à juste titre selon moi, la déclaration qui précède parce qu'elle n'est pas visée par le critère dégagé dans l'arrêt Etobicoke.
Par contre, Air Canada soutient que le critère énoncé dans l'affaire Greyhound est le même que celui qui a été appliqué dans l'arrêt Etobicoke. Les affaires Tamiami et Greyhound portaient toutes les deux sur l'âge maximum d'embauchage des conducteurs d'autobus. La Cour a dit dans Grey hound la page 863]:
[TRADUCTION] Étant donné de telles préoccupations impérieu- ses quant à la sécurité, il n'est pas nécessaire que Greyhound montre que tous les candidats conducteurs d'autobus âgés de plus de quarante ans, ou une grande partie d'entre eux, ne peuvent remplir leurs fonctions sans risque. Au contraire, dans la mesure l'abolition de la politique d'embauchage de Grey hound peut l'empêcher d'atteindre son objectif quant à la sécurité, on peut affirmer qu'une telle action porte atteinte à la nature même de ses opérations. En d'autres termes, Greyhound doit prouver qu'elle a en réalité une raison logique de croire que la suppression de l'âge maximum d'embauchage augmentera les risques de dommages pour ses passagers. Greyhound n'a cependant qu'à prouver une augmentation minime des risques, car il lui suffit de montrer que l'abolition de sa politique d'embauchage pourrait mettre en danger la vie d'une personne de plus que ce ne serait le cas en vertu de la pratique d'embau- chage actuelle.
En examinant le genre de preuve requise dans des cas comme l'espèce, la Cour suprême du Canada a dit à la page 213 R.C.S. et à la page 23 D.L.R. de l'arrêt Etobicoke:
La question de la suffisance et de la nature de la preuve en la matière a été analysée dans divers arrêts, dont en particulier: Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (1974); Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. 1.
Même si la Cour suprême n'a certainement pas désapprouvé le critère appliqué dans Greyhound, elle ne l'a pas endossé comme le prétend Air Canada.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où, comme le prétend Air Canada, un tribunal d'appel a substi- tué son appréciation à celle d'Air Canada en ce qui concerne la sécurité dans le poste de pilotage. La Cour doit plutôt se prononcer sur une pratique discriminatoire adoptée par Air Canada en raison de son appréciation des risques pour la sécurité à mesure que ses pilotes vieillissent. La loi oblige Air Canada à prouver, suivant la prépondérance des probabilités, que sa pratique constitue une exi- gence professionnelle réelle. L'arrêt Etobicoke expose le critère applicable en termes généraux. La manière dont ce critère peut être énoncé en termes concrets dépendra des circonstances de chaque cas particulier. Il est possible, dans d'autres circons- tances, que l'on pose la question de manière aussi simple que dans Greyhound. En l'espèce, je pensé - qu'on suit fidèlement l'arrêt Etobicoke en deman- dant à Air Canada de prouver qu'il lui serait impossible ou peu pratique d'engager de nouveaux pilotes âgés de plus de 27 ans et d'examiner indivi- duellement le cas de chacun, pour ce qui est de la sécurité, à mesure qu'il vieillit. Après tout, c'est ce qu'elle fait en réalité pour les pilotes qu'elle emploie jusqu'à ce qu'ils aient atteint 60 ans.
L'un des motifs avancés pour que l'âge maxi mum d'embauchage soit fixé à 27 ans a été défini comme «le problème du renversement des âges». Le tribunal d'appel l'a décrit dans les termes suivants à la page 74 [D/1875 C.H.R.R.] de sa décision:
Le problème du renversement des âges a trait au potentiel de conflit dans la cabine dans le cas un nouveau pilote plus âgé devrait, à cause du système d'ancienneté, se retrouver sous le commandement d'un pilote plus jeune. Le plus âgé pourrait mettre en doute l'autorité du plus jeune, causant une rupture dangereuse dans la chaîne de commandements.
À la même page, le tribunal d'appel a fait l'appré- ciation suivante de la preuve quant à ce problème:
Encore une fois, la preuve à l'appui de la possibilité d'un tel problème n'implique que des observations isolées. Elle était tout
au plus, impressionniste. Elle était contrée par une preuve démontrant que le renversement des âges est courant dans l'aviation militaire et n'a apparemment pas créé de problème dans ce domaine.
Le tribunal d'appel s'est montré tout à fait juste en définissant ainsi la preuve. S'il en était resté là, il n'aurait pas été possible d'alléguer qu'il avait commis une erreur de droit. Il a toutefois ajouté:
Dans la mesure le renversement des âges pourrait créer le problème que l'on a décrit, ce problème semblerait découler simplement de l'attitude de l'individu plus âgé, et indique une partialité fondée sur l'âge. Un pilote plus âgé qui mettrait en doute l'autorité d'un plus jeune qui est en position de comman- dement en raison de l'âge, agirait sur la prétention que l'âge donne droit à une position supérieure. Si pareilles attitudes équivalaient à des exigences professionnelles normales, cette clause dérogatoire pourrait donner ouverture à des formes de discrimination des plus répréhensibles, parce que des attitudes fondées sur des préjugés créent en fait des problèmes si la discrimination n'a pas lieu. Les employés en place qui s'objec- tent à travailler avec des membres d'un autre groupe créeront sans doute des problèmes si des membres de cet autre groupe sont embauchés. L'employeur pourrait soutenir qu'il s'agit d'une exigence professionnelle normale et refuser d'embaucher des personnes qui appartiennent à un groupe donné. Ce tribunal est d'avis qu'il serait nettement contraire à l'esprit de la législa- tion de permettre que des problèmes qui découlent d'attitudes qui reflètent la partialité fondée sur un motif de discrimination interdit par la Loi canadienne sur les droits de la personne, puissent se justifier en droit comme étant des exigences profes- sionnelles normales. Pour cette raison, et aussi parce que la preuve à l'effet que le renversement des âges constitue un problème considérable n'est pas suffisante, cet argument n'est pas valable pour soutenir l'existence d'une exigence profession- nelle normale.
En toute déférence, le tribunal d'appel a commis une erreur de droit en concluant que l'esprit de la Loi canadienne sur les droits de la personne empê- chait de conclure que le problème du renversement des âges pouvait constituer une exigence profes- sionnelle normale. La Loi a pour but non seule- ment d'interdire la discrimination fondée sur des motifs prescrits, mais de permettre cette discrimi nation lorsqu'elle constitue une exigence profes- sionnelle normale. Il faut trancher le litige en appliquant la loi aux faits démontrés par la preuve et non en préférant un objectif de la loi à un autre. À mon avis, cette erreur de droit n'a eu aucun effet sur la décision du tribunal d'appel qui avait déjà tranché le problème du renversement des âges en se fondant sur des motifs appropriés. Cette erreur de droit ne constitue donc pas un motif pour annuler la décision en vertu de l'article 28.
À la page 76 [D/1876 C.H.R.R.], le tribunal d'appel a invoqué les témoignages des experts cités par Air Canada.
Dans leurs témoignages, les Dr' St. Pierre et Busby ont appuyé sur le fait que l'incidence d'incapacité augmentait avec l'âge, ce qui justifierait les distinctions fondées sur ce motif. En outre, tous les deux se disaient sceptiques que nous puissions au moyen de la science médicale découvrir, dans une mesure fiable, des conditions débilitantes. Ce qui les conduisait à en conclure que, étant donné que l'incidence d'incapacité aug- mente avec l'âge, le risque qu'une incapacité ne soit pas décou- verte augmente aussi, rendant l'âge un moyen de sélection justifiable pour combattre le risque relatif à la sécurité au cours des opérations aux commandes d'un avion.
Il a dit à la page 79 [D/1876 C.H.R.R.]:
Le sophisme dans l'approche des D' St. Pierre et Busby est qu'elle tend à assumer que le fait qu'il y ait un rapport entre l'âge et l'incapacité n'est non seulement un fondement néces- saire, mais qu'il suffit pour maintenir que l'âge constitue une exigence professionnelle normale. La prémisse fondamentale de la législation sur les droits de la personne est que l'on doit évaluer les mérites d'un individu. Autrement, il serait possible de démontrer l'exigence professionnelle normale en s'appuyant simplement sur les moyennes statistiques des caractéristiques des groupes. Ce qui équivaudrait simplement à une nouvelle forme de stéréotypie qui serait encore plus odieuse, si possible, que les préjugés traditionnels étant donné qu'elle reposerait sur une base apparemment scientifique.
On trouve une déclaration semblable à la page 87. En toute honnêteté pour le tribunal d'appel, il faut souligner qu'il était d'accord avec l'expert des intimés, le Dr Mohler, quant à la preuve du même point. Cela n'est pas considéré comme une erreur dans la présente demande.
Je ne vois pas comment on pourrait conclure, pour une raison ou pour une autre, qu'une incapa- cité reliée à l'âge dont la présence s'est avérée essentielle pour constituer une exigence profession- nelle normale, n'est pas suffisante. Le tribunal d'appel a encore une fois commis une erreur de droit pour la même raison de politique, semble-t-il, que dans le cas du problème du renversement des âges. Comme je l'ai déjà dit, le fait de permettre qu'une préférence pour une politique plutôt qu'une autre influence son examen objectif de la preuve constituait une erreur de droit.
Le tribunal d'appel a également commis une erreur en rejetant la preuve fondée sur des statisti- ques. Une telle preuve est tout à fait admissible et ne doit pas être rejetée sommairement. Elle peut établir qu'il est à tout le moins peu pratique de traiter individuellement avec une catégorie d'em-
ployés et que, dans leur cas, un acte discrimina- toire constitue en réalité une exigence profession- nelle tout à fait justifiée.
Enfin, Air Canada allègue qu'une erreur a été commise quant au fardeau de la preuve qui lui a été imposé. Elle soutient que, pour satisfaire au critère objectif énoncé dans l'arrêt Etobicoke, il lui suffisait de prouver l'existence d'un débat médical sur l'effet du vieillissement sur l'exercice en toute sécurité des fonctions de pilote. Une fois ce fait prouvé, elle avait le droit de présumer, selon elle, que lorsque ce débat prendrait fin, ce serait la position la plus pessimiste qui se révélerait juste et qu'elle avait le droit d'y répondre par sa politique d'embauchage. Toute autre réponse serait impru- dente. L'obliger à aller plus loin dans sa preuve a entraîné une usurpation par le tribunal d'appel de l'obligation et de la responsabilité d'Air Canada quant à l'exploitation sans danger de sa compagnie d'aviation. Les intimés prétendent pour leur part que le critère objectif de l'arrêt Etobicoke exigeait la preuve d'un danger réel et non simplement une crainte raisonnable de danger.
Je crois qu'il est peu judicieux d'essayer de trancher cette question en se fondant sur une situation purement hypothétique. Si cette question était en litige en l'espèce, elle se rapporterait direc- tement à un problème connexe et indirectement seulement au point en litige: la justification de la politique relative à l'âge maximum d'embauchage. A cet égard, c'est la même chose que les erreurs du tribunal d'appel dans sa façon d'aborder les témoi- gnages d'experts et la preuve fondée sur des statis- tiques. Il s'agissait d'erreurs; cela aurait pu être le cas, mais aucune de celles-ci ne touchait le fond du litige. Elles ont toutes été commises par le tribunal d'appel dans son examen des effets du vieillisse- ment sur les pilotes et des problèmes de sécurité qui en découlent; aucune n'a été commise dans son appréciation du rapport entre la politique en cause et ces préoccupations et dangers.
Présumant, sans toutefois décider, que les effets du vieillisement des pilotes pour la sécurité sont aussi néfastes que la preuve l'a laissé entendre, Air Canada a échoué en ne réussissant pas à établir un rapport vraisemblable entre ces dangers et sa poli- tique fixant l'âge maximum d'embauchage à 27 ans afin de prouver que cette politique constitue une exigence professionnelle normale fondée sur
ses préoccupations quant à la sécurité. Le tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en concluant ainsi. Air Canada n'a pas contesté, en l'espèce, la con clusion selon laquelle la politique ne pouvait repo- ser sur des motifs économiques.
Je rejetterais la présente demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Cette demande présen- tée conformément à l'article 28 est le premier cas soumis aux tribunaux canadiens concernant la dis crimination fondée sur l'âge d'embauchage.
Les cinq plaignants (les intimés en l'espèce, de même que la Commission canadienne des droits de la personne) étaient âgés de 32 à 41 ans au moment Air Canada a refusé de les embaucher comme pilotes entre mars et septembre 1978. Ils allèguent que, en refusant de les employer comme pilotes en raison de leur âge, Air Canada a commis un acte discriminatoire en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Air Canada a justifié sa préférence quant à l'âge en indiquant qu'il s'agissait d'une exigence profes- sionnelle normale en vertu de l'alinéa 14a)'.
Les articles pertinents de la Loi sont les suivants:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé- tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, â l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considéra- tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs handicaps physiques;
' Les avocats des deux parties sont d'accord pour dire qu'il ne faudrait pas faire de distinction entre les expressions exigence professionnelle réelle et exigence professionnelle normale. J'uti- lise donc l'une ou l'autre expression qui est employée dans le texte législatif auquel je fais référence.
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
Depuis août 1978, la politique d'embauchage de pilotes suivie par Air Canada est la suivante:
Pour pouvoir être interviewé par le conseil
* Le candidat doit avoir reçu une recommandation à cet effet à la suite de l'entrevue initiale.
* La préférence est donnée aux postulants:
1. Qui possèdent un diplôme de formation en aviation ou qui ont reçu une formation militaire.
2. Qui possèdent un diplôme universitaire.
3. Qui peuvent justifier d'un autre niveau d'instruction (au moins égal à celui exigé pour l'entrée à l'université).
Pour pouvoir être convoqué à une entrevue initiale
* Le candidat doit avoir tenu son dossier à jour depuis la dernière étude de son dossier.
* Le candidat doit travailler présentement comme pilote.
* Le candidat doit avoir une acuité visuelle de 20/20. Il faut noter qu'un candidat dont l'acuité visuelle est de moins de 20/20 peut être considéré s'il est possible de ramener son acuité visuelle à 20/20 à l'aide de verres correcteurs et si les médecins spécialistes du personnel navigant d'Air Canada approuvent la candidature en question, ce qui doit être fait avant l'entrevue initiale.
* Le candidat doit être citoyen canadien ou s'être établi au Canada avec le statut «d'immigrant reçu».
Expérience
Âge: Si le candidat est âgé de plus de 27 ans, il doit posséder une mention de qualification de transport aérien en plus de qualifications spéciales, comme l'expérience dans le domaine militaire ou dans le domaine de l'aviation, être diplômé d'aviation ou détenir un diplôme universitaire, etc.
Si le candidat est âgé de 25 à 27 ans, il doit posséder une mention de qualification de transport aérien ou détenir un brevet de pilote senior commercial canadien et il doit posséder une mention de qualification de vol aux instru ments de classe normale 1.
La préférence est donnée:
1. Aux diplômés d'aviation ou à ceux qui ont reçu une formation militaire.
2. À ceux qui détiennent un diplôme universitaire.
3. À ceux qui peuvent justifier d'un autre niveau d'éduca- tion (au moins égal à celui exigé pour l'entrée à l'université).
Les candidats âgés de 20 à 25 ans doivent être titulaires du brevet de pilote commercial ou d'un brevet plus élevé; ils doivent avoir obtenu la mention de qualification de vol aux instruments de classe normale 1 et doivent avoir effectué un minimum de 700 heures de vol.
La préférence est donnée:
1. Aux diplômés d'aviation ou à ceux qui ont reçu une formation militaire.
2. À ceux qui détiennent un diplôme universitaire.
3. À ceux qui peuvent justifier d'un autre niveau d'éduca- tion (au moins égal à celui exigé pour l'entrée à l'université).
Pour que son dossier soit considéré comme un dossier «actif»
* Le candidat ne doit pas être âgé de plus de 27 ans à moins qu'il ait reçu la mention de qualification de transport aérien, et
* Il ne doit pas avoir dépassé l'âge de 29 ans à moins d'avoir reçu la mention de qualification de transport aérien et d'avoir des qualifications spéciales, comme par exemple un grand nombre d'heures de vol, un diplôme universitaire, un diplôme d'aviation, une formation militaire, etc.
* Son acuité visuelle doit être de 20/20.
Il faut noter que les candidats ayant une acuité visuelle de moins de 20/20 pourront être considérés s'il est possible de ramener cette acuité visuelle à 20/20 à l'aide de verres correcteurs et que la candidature soit approuvée par les médecins spécialistes du personnel navigant d'Air Canada, et cela avant qu'une entrevue initiale ne soit accordée. La norme d'acuité visuelle ne peut pas être moins que 20/50.
* Le candidat doit être citoyen canadien ou s'être établi au Canada avec le statut «d'immigrant reçu».
* Le dossier doit avoir été tenu à jour depuis les deux dernières années.
* Le candidat doit être présentement engagé dans des activités de pilotage.
* Le candidat doit avoir un niveau d'instruction au moins égal à celui exigé pour l'entrée à l'université.
* Le candidat ne doit pas avoir dépassé l'âge de 31 ans, à moins qu'il puisse justifier de qualifications spéciales.
Dans les autres cas, le dossier ne sera pas considéré comme dossier «actif»
La candidature de trois des cinq plaignants a été rejetée en vertu de cette politique. Celle des deux autres a été rejetée en vertu de lignes de conduite substantiellement identiques.
On remarquera qu'Air Canada n'oppose pas de fin de non-recevoir absolue à l'embauchage de pilotes âgés même de plus de 31 ans, mais que l'article 10 de la Loi indique que le fait de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite peut constituer un acte discriminatoire et qu'il suffit qu'elles soient appliquées d'une manière susceptible d'anni- hiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus pour un motif de distinction illicite, et enfin, que l'article 7 n'exige en réalité qu'un traitement différent fondé sur l'âge. La requérante a admis que, d'un point de vue pratique, l'âge de 31 ans constituait un point limite pour l'admission de pilotes à Air Canada et qu'elle préférait embaucher ceux qui étaient âgés de 27 ans ou moins. Par conséquent, on n'a pas contesté devant cette Cour les décisions identiques rendues par le premier tribunal le 18 mars 1982 et par le tribunal d'appel le 26 octobre 1983 et portant qu'il y a eu violation prima facie des articles 7 et 10.
De l'avis des deux parties, la décision qui fait autorité sur la question de la discrimination fondée sur l'âge est l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14, dans lequel la Cour suprême du Canada devait examiner, à la lumière des dispositions du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318, la question de l'âge de la retraite obligatoire des pompiers fixé à 60 ans. La Cour a statué que la preuve impressionniste voulant que la lutte contre les incendies soit une affaire de jeune homme n'a pas déchargé l'employeur du fardeau de prouver que la restriction quant à l'âge était justifiée.
Les principes dégagés au nom de la Cour par le juge McIntyre (aux pages 207 213 R.C.S.; aux pages 19 23 D.L.R.) sont tout à fait pertinents en l'espèce:
La présente instance porte sur des plaintes de discrimination en matière d'emploi fondée sur l'âge. Il est reconnu que la retraite obligatoire à soixante ans constitue un refus d'employer
ou de continuer à employer les plaignants. Même si l'art. 4 du Code interdit formellement la discrimination fondée sur l'âge, un employeur peut, en vertu du par. (6), établir une distinction pour ce motif lorsque l'âge est une exigence professionnelle réelle du poste ou de l'emploi en question. Lorsque l'exigence professionnelle réelle est établie, l'employeur a le droit de mettre les employés à la retraite indépendamment de leurs aptitudes personnelles, à la seule condition qu'ils aient atteint l'âge prescrit. On constate donc immédiatement qu'aux termes du Code, la non-discrimination est la règle générale et la discrimination, lorsqu'elle est permise, est l'exception.
Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence profes- sionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités.
La Cour doit examiner deux questions. En premier lieu, qu'est-ce qu'une exigence professionnelle réelle au sens du par. 4(6) du Code et, en second lieu, l'employeur a-t-il démontré que les dispositions relatives à la retraite obligatoire qui font l'objet de la plainte peuvent être ainsi qualifiées? ... Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.
La réponse à la seconde question dépend en l'espèce, comme dans tous les cas, de l'examen de la preuve et de la nature de l'emploi concerné. Quant à l'élément subjectif de la question, aucune preuve ne démontre que les motifs de l'employeur n'étaient pas honnêtes et sincères au sens qui a été décrit. Nous nous intéresserons donc à l'aspect objectif du critère. Chronolo- giquement, nous vieillissons tous au méme rythme, mais le vieillissement, au sens fonctionnel du terme, se fait à des rythmes très différents et il est difficilement prévisible. Lorsque le souci de la capacité de l'employé est surtout d'ordre économi- que, c'est-à-dire lorsque l'employeur s'intéresse à la producti- vité, et que les conditions de travail ne requièrent aucune qualification particulière susceptible de diminuer sensiblement avec l'âge, ou ne comportent pour les employés ou le public aucun danger exceptionnel qui peut augmenter avec l'âge, il peut être difficile, voire impossible, d'établir que la retraite obligatoire à un âge déterminé, sans égard à la capacité d'une personne en particulier, peut valablement être imposée en vertu du Code. Dans un emploi de ce genre, à mesure que la capacité décline, et que ce déclin devient évident, les employés peuvent être, à juste titre, congédiés ou mis à la retraite.
Devant l'incertitude du vieillissement, deux solutions, à mon avis, s'offrent à l'employeur. Il peut fixer l'âge de la retraite à soixante-cinq ans ou plus, et le cas échéant, il ne peut être accusé de discrimination fondée sur l'âge aux termes du Code. D'autre part, il peut, en ce qui concerne certains types d'em- plois, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité publique comme c'est le cas des pilotes de ligne aérienne, des conduc- teurs de trains et d'autobus, des policiers et des pompiers, estimer que le risque d'erreur humaine imprévisible que com- porte le maintien de tous les employés à leur poste jusqu'à soixante-cinq ans peut justifier l'application à tous les employés d'un âge de retraite fixé arbitrairement. On peut affirmer que l'emploi dont il est question en l'espèce entre dans cette catégo- rie. Même s'il ne fait aucun doute que certaines personnes âgées de moins de soixante ans peuvent devenir inaptes au travail de pompier et que maintes personnes plus âgées sont encore aptes à la tâche, la reconnaissance de cette prémisse n'aide aucunement à résoudre la seconde question. Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.
Il serait imprudent de tenter de formuler une règle fixe concernant la nature et le caractère suffisant de la preuve requise pour justifier la retraite obligatoire avant l'âge de soixante-cinq ans en vertu des dispositions du par. 4(6) du Code. En dernière analyse et toujours sous réserve du droit d'appel prévu à l'art. 14d du Code, le commissaire enquêteur doit être le juge en cette matière. A l'examen de la question d'un âge de retraite obligatoire, il semble nécessaire de présen- ter des éléments de preuve relativement aux tâches à accomplir et au rapport entre le vieillissement et l'exécution sûre et efficace de ces tâches. Un bon nombre de facteurs doivent être considérés et il semble essentiel que la preuve porte sur les aspects détaillés des tâches à accomplir, les conditions régnant sur les lieux de travail et l'effet de ces conditions sur les employés, en particulier sur ceux qui ont atteint ou qui attein- dront bientôt l'âge qu'on veut prescrire pour la retraite. Le phénomène du vieillissement a retenu l'attention des médecins et a fait l'objet de recherches importantes et suivies. Lorsqu'une limitation de la période d'emploi doit, pour être valide, reposer sur la preuve que l'extension de cette période après un certain âge fait naître un danger pour la sécurité publique, il parait nécessaire que l'employeur, pour s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, produise une preuve à ce sujet.
Je ne suis pas du tout certain de ce qu'on peut qualifier de «preuve scientifique». Je ne dis absolument pas qu'une «preuve scientifique» sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que, dans des cas comme celui en l'espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s'appuie sur l'ob- servation et l'étude de la question du vieillissement, même si elle n'est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante que le témoignage de personnes même très expérimentées dans la lutte contre les incendies, portant que le travail de pompier est «une affaire de jeune
homme■. L'examen que j'ai fait de la preuve m'amène à souscrire aux conclusions du commissaire enquêteur. Tout en étant persuadé que la preuve et les opinions entendues ont été soumises honnêtement, c'est avec raison, à mon avis, qu'on a dit qu'elles étaient »impressionnistes» et qu'elles n'étaient pas con- cluantes. La question de la suffisance et de la nature de la preuve en la matière a été analysée dans divers arrêts, dont en particulier: Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F. 2d 859 (1974); Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. 1. [C'est moi qui souligne.]
La requérante prétend que, compte tenu de l'ar- rêt Etobicoke, pour établir une exigence profes- sionnelle normale, elle n'a qu'à fournir une raison logique selon les faits pour laquelle l'abolition de l'âge maximum d'embauchage augmentera les ris- ques de dommages pour ses passagers, même si les possibilités d'une telle augmentation sont minces.
La Cour suprême a bien précisé dans l'arrêt Etobicoke que, une fois que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, l'em- ployeur doit prouver à la fois subjectivement et objectivement l'existence d'une exigence profes- sionnelle normale. Le juge McIntyre a clairement affirmé que la preuve de l'employeur doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondé- rance des probabilités. Cette règle s'applique évi- demment aux éléments objectifs et subjectifs qui doivent être prouvés.
Les parties en l'espèce admettent, tout comme les deux tribunaux l'ont constaté, qu'Air Canada a agi de bonne foi. La contestation a donc été liée au sujet du critère objectif décrit par la Cour comme un critère servant à déterminer s'il y a nécessité raisonnable.
En exposant une méthode objective, la Cour établit une distinction entre les cas l'intérêt que l'employeur porte à la capacité de son employé repose principalement sur ses propres intérêts éco- nomiques, et ceux il repose en grande partie sur la sécurité publique. Dans le premier cas, l'élément principal est la possibilité de recourir à des solu tions de rechange à une politique générale de retraite obligatoire: «à mesure que la capacité décline, et que ce déclin devient évident, les employés peuvent être, à juste titre, congédiés ou mis à la retraite» (voir plus haut). Dans le deuxième cas qui concerne les pilotes de ligne aérienne, les conducteurs de train et d'autobus, les policiers et les pompiers, la question en jeu est le
risque d'erreur humaine existant pour le public étant donné qu'il peut justifier l'application d'un âge de retraite fixé arbitrairement: existe-t-il «un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée» (voir plus haut)? L'avocat de la requérante en l'espèce a naturelle- ment choisi d'appuyer son argumentation sur le motif de justification le plus convaincant qui porte sur la sécurité publique.
Comme il ressort de l'analyse du juge McIntyre, le risque d'erreur humaine pour le public et la possibilité de recourir à des solutions de rechange sont deux éléments inversement proportionnels qui doivent être examinés l'un par rapport à l'autre afin de déterminer l'équilibre adéquat: lorsque le risque pour la sécurité publique est minime, on identifiera facilement les solutions de rechange possibles à l'exigence professionnelle, et lorsque le risque est grand, on examinera plus attentivement les solutions de rechange proposées.
La requérante prétend que la citation par la Cour suprême de la décision américaine Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F.2d 859 (7th Cir. 1974), certiorari refusé, 95 S. Ct. 805 (1975), indique qu'elle approuve le raisonnement qui y a été suivi, de sorte que cette décision constitue en fait la meilleure interprétation de l'arrêt Etobi- coke. Il s'agissait également dans cette affaire d'une politique relative à l'âge maximum d'embau- chage, et la Cour d'appel des É.-U., Septième Circuit, s'est dite d'avis que même l'augmentation éventuelle des risques de dommages était suffi- sante pour justifier une exigence professionnelle normale pour un employeur (aux pages 863 à 865):
[TRADUCTION] ... Greyhound doit prouver qu'elle a en réalité une raison logique de croire que la suppression de l'âge maxi mum d'embauchage augmentera les risques de dommages pour ses passagers. Greyhound n'a cependant qu'à prouver une augmentation minime des risques, car il lui suffit de montrer que l'abolition de sa politique d'embauchage pourrait mettre en danger la vie d'une personne de plus que ce ne serait le cas en vertu de la pratique d'embauchage actuelle.
À notre avis, la position de Greyhound quant à l'augmentation éventuelle des risques de dommages qui découlerait de l'aboli- tion de l'âge maximum d'embauchage est justifiée et repose sur des données factuelles adéquates. Greyhound n'a pas besoin d'atteindre le degré de certitude exigé par le gouvernement et la cour de district car cela lui demanderait d'aller jusqu'à expéri- menter le genre de vie de ses passagers afin de produire une preuve de nature statistique concernant les capacités des candi-
dats nouvellement engagés et âgés de quarante à soixante-cinq ans. Greyhound a largement démontré que sa politique quant à l'âge maximum d'embauchage repose sur un jugement de bonne foi relativement aux besoins de sécurité de ses passagers et autres personnes. Elle a établi que sa politique d'embauchage ne résulte pas d'une croyance arbitraire, dénuée d'objectivité ou de logique. [C'est moi qui souligne.]
Le degré d'approbation que le juge McIntyre veut accorder ne ressort pas clairement des termes qu'il a employés en mentionnant l'affaire Grey hound, mais le fait qu'il cite cette affaire avec la décision de la Commission d'enquête du Nouveau- Brunswick dans Little v. Saint John Shipbuilding and Drydock Co. Ltd. (1980), 1 C.H.R.R. D/1, donne une indication sur son intention. Il s'agis- sait, dans l'affaire Little, de la retraite obligatoire d'un conducteur de ponts roulants à l'âge de 65 ans. Non seulement la Commission a-t-elle rendu une décision contraire à celle de Greyhound (le plaignant a été réinstallé dans son poste sous réserve d'examens médicaux), mais les opinions incidentes sont à l'encontre de celles de la décision américaine. Commentant la situation des conduc- teurs d'autobus examinée dans Greyhound, la Commission a dit (aux pages D/5 à D/7):
[TRADUCTION] Il s'agit manifestement dans ce cas d'être en mesure de déterminer ce qui constitue le facteur minimum de risque acceptable. En décidant d'adopter le principe que l'âge ne doit pas constituer un élément de la politique d'embauchage des employeurs, il est possible que le législateur ait en même temps décidé que la société doit être prête à accepter le risque additionnel qui peut accompagner le fait d'interdire toute dis crimination fondée sur l'âge ...
... si le Code interdit la retraite obligatoire en raison de l'âge chronologique, il sera nécessaire de mettre au point des moyens très complexes permettant de vérifier et de déterminer si une personne a atteint le stade l'âge biologique affecte sa capacité d'exercer les fonctions de son poste. Cela peut signi- fier, dans certains cas, l'acceptation d'un risque beaucoup plus grand pour la sécurité publique que celui qui existait aupara- vant. Il semblerait que, même dans les situations idéales, il soit souvent nécessaire d'accepter en raison des réalités en jeu un rendement inférieur au meilleur rendement possible. Tant que ces risques pour la sécurité publique n'excéderont pas la norme minimale acceptable, l'abolition de l'âge de la retraite obliga- toire ne créera pas, semble-t-il, de problèmes inutiles. [C'est moi qui souligne.]
Il existe toute une différence entre «une aug mentation minime des risques» et «un risque minime acceptable», cette dernière expression lais- sant entendre contrairement à la première qu'il est possible de mesurer l'acceptabilité d'un risque. Le juge Matheson avait raison d'insister pour dire
dans l'affaire Moose Jaw v. Sask. Human Rights Comm., [1984] 4 W.W.R. 468 (B.R. Sask.), qu'on ne peut assimiler le critère du «risque suffisant» dégagé dans l'arrêt Etobicoke au «risque inaccep- table», mais il est erroné de croire que les tribu- naux américains souscrivent à la théorie du «risque inacceptable».
Il ressort donc clairement des décisions citées par le juge McIntyre qu'il n'avait pas l'intention en les invoquant d'approuver une manière particulière de mesurer le risque. Néanmoins, le fait qu'il ait lui-même présenté le litige en affirmant qu'il s'agissait de déterminer s'il existait «un risque d'erreur humaine suffisant», indique la reconnais sance d'un certain degré de risque qui correspond davantage à la notion de risque «acceptable» qu'à celle de risque «minime».
Il vaut la peine de souligner que le point de vue adopté dans Greyhound est loin de faire l'unani- mité devant les tribunaux américains, même s'il a été suivi dans l'arrêt Murnane v. American Airli nes, Inc., 667 F.2d 98 (1981), 100 et 101, certio- rari refusé, 102 S. Ct. 1770 (1982), la Cour d'appel du District de Columbia a confirmé qu'une norme fixée à quarante ans constituait une exi- gence professionnelle normale:
[TRADUCTION] L'appelant prétend que la conclusion de la cour de district indique seulement une augmentation négligea- ble de la sécurité pour les passagers dans des avions de l'Ameri- can et qu'une telle augmentation de la sécurité est insuffisante pour justifier une règle de portée générale quant à l'âge. Il affirme qu'une exigence professionnelle normale ne peut s'ap- puyer sur une augmentation minime de la sécurité lorsqu'on la considère en fonction du fait que bon nombre des candidats éventuels ne pourront poursuivre la carrière qu'ils ont choisie. Nous ne sommes pas d'accord avec ces affirmations.
[2] Nous croyons au contraire qu'il est «raisonnablement nécessaire pour l'exploitation normale» de la compagnie Ameri- can Airlines de maximiser la sécurité. Le transport en toute sécurité des passagers constitue l'essence même de l'exploita- tion de la compagnie American Airlines ... Nous sommes par conséquent d'avis qu'il faut accorder à l'industrie du transport aérien beaucoup de liberté d'action et le pouvoir de déterminer la manière la plus sûre dont elle peut être exploitée ... Cela concorde avec l'opinion de la compagnie American selon laquelle il ne suffit pas que le transport aérien soit «sûr». Il doit, au contraire, être «le plus sûr» possible; c'est le but ultime. À notre avis, les tribunaux n'ont pas la compétence leur permet- tant, dans une affaire les questions de sécurité constituent l'élément décisif, de substituer leur jugement à celui de l'employeur.
La politique obligatoire [TRADUCTION] «de la promotion ou du renvoi» de la compagnie d'avia-
tion pour ses pilotes, jointe à son programme de promotion au grade de capitaine s'échelonnant sur
une période de 10 15 ans, constituait un fait déterminant dans cette affaire, étant donné qu'une personne engagée dans la quarantaine à titre d'of- ficier navigant ne pourrait, par conséquent, agir que brièvement comme capitaine avant sa retraite obligatoire fixée à 60 ans.
Sept jours après la décision rendue dans Mur- nane et sans invoquer celle-ci, la Cour d'appel des É.-U., Quatrième Circuit, a statué dans l'affaire Smallwood v. United Air Lines, Inc., 661 F.2d 303 (1981), 307, certiorari refusé, 102 S. Ct. 2299 (1982), que la règle sur laquelle une autre compa- gnie aérienne se fondait pour refuser d'embaucher des pilotes âgés de plus de 35 ans ne constituait pas une exigence professionnelle normale:
[TRADUCTION] Pour justifier un refus d'embaucher quelqu'un en vertu de l'exception relative aux exigences professionnelles normales prévue dans la Age Discrimination in Employment Act, l'employeur doit satisfaire à un double critère en démontrant:
(1) que l'exigence professionnelle normale qu'il invoque est raisonnablement nécessaire à la nature même de son entre- prise ... et (2) qu'il a un motif raisonnable, c'est-à-dire fondé sur des faits réels, de croire que toutes ou pratiquement toutes les personnes de la catégorie ... seraient incapables d'exécuter efficacement et sans danger les tâches de l'emploi en cause, ou qu'il est impossible ou peu pratique d'examiner individuellement le cas de chaque personne ayant dépassé l'âge limite.
La Cour a ajouté que l'exception relative à l'exi- gence professionnelle normale doit être [TRADUC- TION] «appliquée de manière restrictive» (voir cita tion qui précède, à la page 307).
C'est ce passage que je viens de reprendre que le tribunal d'appel a cité avec le commentaire sui- vant: «À notre avis, ce test est semblable, en susbstance, à celui établi par la Cour suprême du Canada dans Etobicoke». La requérante soutient que ce point de vue constitue une erreur de droit manifeste au dossier.
Avant d'examiner ce point, je voudrais seule- ment souligner que la même Cour d'appel du Septième Circuit qui a rendu la décision dans Greyhound a refusé d'appliquer cette décision telle quelle dans un cas concernant la retraite obliga- toire à 55 ans d'un chef adjoint de pompiers: Orzel v. City of Wauwatosa Fire Dept., 697 F.2d 743 (1983), aux pages 752 et 753:
[TRADUCTION] Citant la décision de cette cour dans l'affaire Hodgson y Greyhound Lines, Inc., ... la ville allègue qu'on aurait exiger simplement qu'elle démontre que sa décision .[repose sur] un jugement de bonne foi relativement aux besoins de sécurité» de ses citoyens et que sa politique au sujet de la retraite obligatoire devrait être maintenue tant que ladite politique «ne résulte pas d'une croyance arbitraire, dénuée d'objectivité et de logique» ... Nous rejetons une interprétation aussi large de la décision rendue dans Greyhound .. .
Nous croyons que l'affaire Greyhound appuie l'opinion vou- lant que, pour faire valoir une défense fondée sur une exigence professionnelle normale, un employeur doit prouver que l'exi- gence contestée portant sur l'âge se rapporte raisonnablement à «l'exploitation même» de son entreprise, et il doit démontrer soit qu'il existe des faits réels permettant de croire que toutes ou pratiquement toutes les personnes ayant dépassé l'âge limite seraient incapables de s'acquitter efficacement des obligations reliées à l'emploi, ou qu'il est impossible ou peu pratique de déterminer la capacité d'occuper un poste en examinant indivi- duellement le cas de chaque personne. Cette double interpréta- tion de la défense fondée sur l'exigence professionnelle normale est compatible avec le critère adopté par le Cinquième Circuit dans l'affaire Usery v. Tamiani Tours, Inc., 531 F. 2d 224, 235-236 (5th Cir. 1976), étaient invoquées les mêmes déci- sions du Cinquième Circuit citées par la cour dans Greyhound; elle est également en accord avec le point de vue adopté par presque toutes les autres cours de circuit qui ont examiné la portée de l'exception relative à l'exigence professionnelle normale.
L'argument d'Air Canada est exactement le même en l'espèce que celui qui a été rejeté par la Cour dans l'affaire Orzel, à savoir qu'une exigence professionnelle normale est établie lorsque l'em- ployeur prouve que les faits lui permettent logique- ment de croire que l'exigence diminue les risques de dommages. En l'instance, l'avocat s'est dit d'avis au cours des débats que, lorsqu'il existe deux ou trois points de vue logiques reposant sur les faits et découlant de témoignages d'experts, le tribunal n'a d'autre choix que d'accepter celui choisi par l'employeur. Quoi qu'il en soit, cela ne constitue pas une preuve reposant sur la prépondé- rance des probabilités, et en fait, la requérante a soutenu que les normes de preuve s'appliquaient seulement pour démontrer qu'il existait un fonde- ment logique au point de vue choisi et non pour prouver que celui-ci était plus vraisemblable que les autres hypothèses. Cela est conforme à l'idée que l'existence d'un risque minime pour la sécurité publique justifie une exigence professionnelle normale.
Je crois qu'il ressort de l'analyse en l'espèce de l'arrêt Etobicoke qu'on ne peut pas l'interpréter
ainsi parce qu'une telle interprétation ne s'accorde- rait ni avec les normes de preuve qu'il exige ni avec la nécessité d'un risque suffisant comme justifica tion.
Dire ce que l'arrêt Etobicoke ne signifie pas ne permet pas d'établir ce qu'il veut dire avec assez de précision pour pouvoir l'appliquer. Comme je l'ai déjà mentionné, le tribunal d'appel a conclu que le double critère énoncé dans l'affaire Smallwood v. United Airlines, Inc. était «semblable, en sub stance». Selon moi, il poursuit le raisonnement adopté dans l'arrêt Etobicoke, mais en demeurant compatible avec celui-ci.
Dans Etobicoke, la Cour a établi que les deux facteurs inversement proportionnels que sont le degré de risque et la possibilité de recourir à des solutions de rechange déterminent ce qui constitue une exigence professionnelle normale, examinée objectivement, et elle conclut qu'il fallait trouver un équilibre entre ces deux facteurs en tenant compte des circonstances. On peut considérer que le double critère dégagé par les tribunaux améri- cains constitue une étape préliminaire dans la détermination d'une exigence professionnelle nor- male.
Suivant le critère dégagé aux États-Unis, le premier volet du fardeau de la preuve incombant à l'employeur consiste à montrer que l'exigence pro- fessionnelle normale qu'il invoque est raisonnable- ment nécessaire à la nature même de son entre- prise; il s'agit de l'opposition entre l'élément de risque et la sécurité, et il est possible d'y satisfaire en prouvant que l'exigence relative à l'âge maxi mum d'embauchage est raisonnablement néces- saire pour assurer la sécurité du public, ce qui de l'avis général constitue la nature même d'une entreprise de transport aérien. Le second volet exige que l'employeur prouve qu'il a des motifs raisonnables de croire que toutes ou pratiquement toutes les personnes faisant partie de la catégorie en cause seraient incapables de remplir efficace- ment et sans danger les fonctions de leur poste, ou qu'il serait impossible ou peu pratique d'examiner chaque cas individuellement pour sauvegarder la sécurité du public; c'est ce qui constitue l'élément «possibilité de recourir à des solutions de rechange», et il est possible d'y satisfaire en prou- vant que, même si dans plus d'un cas les effets du vieillissement n'ont pas compromis la sécurité, cel-
le-ci ne pourrait pas être préservée efficacement par un examen individuel de chaque cas, compte tenu de nos ressources scientifiques actuelles.
Il ressort de la lecture de la preuve déposée qu'Air Canada pourrait bien ne pas avoir satisfait aux deux volets de ce critère immédiat; il semble néanmoins que, après avoir approuvé le critère dégagé aux Etats-Unis, le tribunal d'appel soit arrivé au même résultat en se fondant entièrement sur le libellé plus général du critère dégagé dans l'arrêt Etobicoke. Il serait difficile de trouver à redire à cette description de la responsabilité du tribunal d'appel la page D/1876]:
Le test légal convenable pour l'exigence professionnelle nor- male, tel qu'exposé dans la cause Etobicoke, est d'établir si l'exigence est nécessaire, dans une mesure raisonnable, à l'exé- cution du travail. Ce qui signifie que le tribunal doit examiner à la fois la nécessité de la règle et la nature raisonnable de celle-ci à la lumière de cette nécessité.
Il faut cependant noter que cette extension donnée à la règle établie par l'arrêt Etobicoke pourrait aussi être décrite comme une version plus som- maire de la règle dégagée par les tribunaux améri- cains. De toute façon, la méthode qui y est décrite constitue, à mon avis, une règle de droit applicable au Canada et, par conséquent, je passe maintenant à l'application de cette règle de droit par le tribu nal d'appel à la preuve versée au dossier.
L'élément de preuve le plus probant invoqué à l'appui du principe voulant que l'âge constitue une exigence professionnelle normale pour les pilotes de ligne aérienne est la preuve médicale. Cette preuve qui porte à la fois sur les facteurs physiques et sur les facteurs psychologiques est tirée du témoignage direct de trois médecins et de rapports demandés par le Congrès en 1981, l'un provenant de l'Institute of Medecine of the National Aca demy of Sciences et l'autre, du National Institute on Aging of the National Institutes of Health.
Ces deux rapports scientifiques préparés aux États-Unis portaient sur la question de l'âge de la retraite obligatoire pour les pilotes. Dans son étude, l'Ion a identifié comme suit les deux préoc- cupations d'ordre médical qui ont amené à fixer la règle de l'âge limite de 60 ans: (1) une augmenta tion des risques de mort soudaine ou d'incapacité grave qui compromettraient gravement la sécurité du pilote si elles survenaient alors qu'il se trouve aux commandes de l'avion, et (2) une augmenta-
tion des risques d'une incapacité dont les signes sont moins évidents mais qui pourrait entraîner des erreurs ou le ralentissement de la perception et des fonctions cognitives et psychomotrices du pilote et, par conséquent, l'empêcher d'exercer ses fonctions en toute sécurité. Le Comité a estimé que l'établis- sement des facteurs de risque et un examen plus approfondi des personnes présentant des risques élevés sont les mesures appropriées pour détermi- ner quels sont les pilotes dont l'état de santé représenterait un risque pour la sécurité en raison d'une incapacité grave. En ce qui concerne l'inca- pacité dont les signes sont moins évidents, il a conclu que l'âge aurait peu ou pas d'effets néfastes sur les compétences techniques d'un pilote expérimenté.
Dans son étude, le NIA, qui a tenu compte des avis de l'IOM, a conclu que pour l'instant il fallait conserver l'âge limite de 60 ans pour les pilotes commandants de bord et pour les premiers offi- ciers, mais qu'il fallait mener d'autres études afin de pouvoir en arriver à appliquer la règle avec moins de rigueur.
Tout au plus, la preuve médicale versée au dossier laisse entendre que toute augmentation notable de la détérioration de l'état de santé ne commence pas avant l'âge de 40 ans. Il est possible qu'il existe des arguments défendables pour affir- mer que l'âge constitue une exigence profession- nelle normale pour les pilotes âgés de plus de 40 ans, mais on ne peut fonder ces arguments sur des motifs d'ordre médical pour les pilotes qui ont moins de 40 ans. La requérante devait par consé- quent essayer de défendre sa politique d'admission des pilotes âgés de 27 ans en se fondant sur trois autres motifs: (1) l'expérience des méthodes cou- rantes de fonctionnement utilisées au cours de situations d'apprentissage progressif peut compen- ser les pertes de capacité causées par le vieillisse- ment, mais seulement si cette expérience a été acquise par des méthodes constantes de la même compagnie aérienne; (2) l'embauchage de jeunes pilotes permet à la compagnie aérienne de tenir à long terme des dossiers médicaux au sujet de chaque pilote et de mettre en œuvre un pro gramme de santé qui peut à la fois faciliter l'exé- cution en toute sécurité de la tâche des pilotes et prolonger leur carrière; (3) la pratique générale suivie dans l'industrie de l'aviation, en particulier par les transporteurs de l'IATA.
On admet généralement que la compensation par l'expérience est un avantage découlant du vieillissement, mais la preuve au dossier voulant que les différences dans les méthodes des diverses compagnies aériennes sont telles que le pilote doit avoir acquis son expérience dans la même compa- gnie aérienne est très faible. De plus, il est sans doute vrai que les dossiers médicaux tenus à long terme sont précieux pour attirer l'attention du personnel médical sur les signes de vieillissement; cependant, il n'y a pas de preuve montrant qu'ils sont requis pour les personnes qui n'ont pas atteint l'âge de 40 ans ou, le cas échéant, qu'ils ne pour- raient être obtenus d'un autre employeur. Enfin, alors que la pratique généralement suivie dans l'industrie aérienne favorise sans aucun doute l'embauchage à un âge maximum peu élevé, même le statu quo ne peut, en l'absence d'une autre preuve, justifier l'existence d'une exigence profes- sionnelle normale. En somme, la preuve invoquée par la requérante est tout au plus impressionniste et à mon avis, pratiquement inexistante. J'estime donc que la manière dont le tribunal d'appel a résumé la preuve est totalement justifiée par le dossier la page D/1879 C.H.R.R.]:
En résumé, selon la preuve médicale la prétention à l'effet que l'âge constitue une exigence professionnelle normale pour l'embauche des pilotes à cause du risque d'incapacité qui augmente avec l'âge, a un certain fondement. Néanmoins, le fait que les pilotes continuent à exécuter leurs fonctions de pilotage jusqu'à l'âge de 60 ans indique que le risque est acceptable jusqu'à cet âge, étant donné qu'il est possible de l'éliminer ou le réduire considérablement par la détection médi- cale de la condition débilitante et par le système de renfort de l'équipe de trois pilotes. En outre, de toute façon, exception faite des problèmes cardiovasculaires, la preuve n'indique pas que le risque de ne pas découvrir une incapacité sérieuse soit considérable dans le groupe d'âge qui nous intéresse. Or, le tribunal en conclut que les préoccupations d'ordre médical énumérées ci-dessus ne sont pas suffisantes pour soutenir qu'il est raisonnablement nécessaire qu'Air Canada impose l'âge préférentiel en question en matière d'embauche pour maintenir une marge de sécurité dans ses opérations aériennes. En ce qui concerne les problèmes cardiovasculaires, les deux premières raisons pour conclure qu'Air Canada n'a pas satisfait au test de nécessité raisonnable incitent encore une fois le tribunal à tirer la même conclusion, bien que l'existence d'un risque d'incapa- cité sérieuse ne soit pas mise en doute, le fait demeure que ce risque existe présentement chez les pilotes de plus de 40 ans qui ont été embauchés lorsqu'ils étaient plus jeunes. L'évaluation de la capacité de l'individu, sans égard à l'âge, est une alterna tive qui est à la fois légalement préférable et adéquate.
La conclusion du tribunal d'appel la page D/1883] quant aux facteurs économiques est éga- lement à suivre:
Pour réussir à justifier une exigence professionnelle normale raisonnablement nécessaire fondée sur les coûts économiques, le
tribunal aurait besoin de beaucoup plus de preuve sur les coûts et bénéfices réels en cause qu'il en a présentement devant lui. La preuve en main ne permet nullement d'établir quelle est la période minimale sur laquelle Air Canada pourrait raisonnable- ment s'attendre d'amortir les frais d'embauche d'un nouveau pilote. Compte tenu que c'est l'employeur qui doit démontrer la nécessité de l'exigence professionnelle normale, cette carence est fatale à la prétention d'Air Canada à l'effet que la limite d'âge d'embauche de 27 ans constitue une telle exigence sur la base des prévisions de rendement.
De toute façon, on n'a même pas insisté sur cet aspect de l'affaire devant la Cour.
En résumé, le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale ne peut justifier l'annulation de la décision du tribunal d'appel. Ce dernier n'a pas manqué d'observer les règles de la justice naturelle ni excédé sa compétence; il n'a pas commis une erreur de droit et n'est pas arrivé à une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbi- traire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Les erreurs qu'il a pu commettre étaient isolées ou insignifiantes ou encore, résul- taient de l'emploi d'expressions mal choisies pour exprimer sa décision. C'est sur cette base que j'expliquerais, comme l'a souligné mon collègue le juge Mahoney, l'interprétation que le tribunal d'appel a fait de la preuve relative au renversement des âges ou de la preuve médicale présentée par Air Canada. Si je comprends l'intention du tribu nal d'appel, il ne voulait pas tant interpréter la preuve en tenant compte de ses préférences quant à la politique à suivre qu'insister sur une applica tion restrictive de l'exception créée par l'exigence professionnelle normale comme l'avait recom- mandé le tribunal dans l'affaire Smallwood v. United Air Lines, Inc., précitée.
Comme le prouve l'article 2 de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne, le Parlement a pris une décision fondamentale en donnant préfé- rence aux droits des individus sur les valeurs socia- les concurrentes. Cette préférence n'est pas abso- lue. En fait, elle est restreinte dans le présent contexte par le droit d'un employeur d'établir l'existence d'une exigence professionnelle normale. Cependant, les tribunaux doivent absolument faire en sorte que l'existence d'exceptions beaucoup trop larges ne vienne porter atteinte à l'intention pre- mière du Parlement de permettre que les personnes soient jugées principalement au mérite plutôt qu'en tant que membres d'un groupe. Cela exige une interprétation restrictive desdites exceptions.
Je rejetterais la demande.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.