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T-1645-81
Lorac Transport Ltd. (demanderesse) c.
Propriétaires et autres intéressés dans la cargai- son provenant du navire Atra, Satkab Co., minis- tère de l'Énergie, République islamique d'Iran (défendeurs)
Division de première instance, juge McNair— Saint John (Nouveau-Brunswick), 12 septembre 1983; Ottawa, 12 avril 1984.
Droit international Immunité de juridiction Vente de marchandises à une société iranienne Impossibilité d'expé- dier les marchandises par suite de l'état de guerre Privilège réclamé par la compagnie de transport sur la cargaison et poursuite en vertu du contrat d'affrètement Requête de la défenderesse en rejet de l'action au motif d'immunité de juridiction en tant qu'organe du gouvernement iranien Déclaration dans les statuts constitutifs de la défenderesse qu'elle a notamment pour objet une activité commerciale Les déclarations solennelles que la défenderesse est un organe gouvernemental ne sont pas concluantes Tendance à ne pas appliquer la doctrine de l'immunité de juridiction aux opéra- tions commerciales des agences gouvernementales étrangères Examen de la jurisprudence démontrant la tendance Critère de l'alter ego Rejet de la requête.
Compétence Cour fédérale Division de première ins tance Interprétation de l'art. 43(3) de la Loi L'article prévoit que la Cour ne peut exercer sa compétence en matière réelle dans le cas des demandes prévues à l'art. 22(2) à moins que l'objet de l'action n'appartienne au même propriétaire qu'au moment la cause d'action a pris naissance Le lien de compétence requis vise l'action et non le mandat L'allé- gation de la déclaration en matière de propriété suffit à satisfaire au critère de compétence Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 22(2), 43(3).
Pratique Signification d'un mandat de saisie-arrêt Les Règles n'exigent pas que la copie de la pièce soit certifiée Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 2, 302, 332(1), 1002(5)6), 1003(2),(6),(8).
Domtar, par contrat intervenu avec la défenderesse, Satkab, a acheté des poteaux en bois traité. Il était stipulé que la loi qui régirait le contrat et son interprétation serait la loi iranienne. Satkab y est définie comme le ministère de l'Énergie iranien. La demanderesse, qui n'était pas partie au contrat, a affrété l'Atra et a conclu un contrat avec Domtar pour le transport des marchandises. La cargaison a été embarquée à Saint-Jean, mais il a fallu la décharger et l'entreposer lorsque la guerre a éclaté entre l'Iran et l'Irak. La demanderesse prétend avoir un privilège sur la cargaison en garantie des sommes qui lui seraient dues en vertu du contrat d'affrètement. Elle a intenté une action et fait saisir-arrêter la cargaison. Elle a obtenu un jugement par défaut de produire une défense. Subséquemment, la défenderesse a obtenu une ordonnance annulant le jugement par défaut et l'autorisant à produire une comparution conditionnelle.
Satkab, par la présente requête, conclut à une ordonnance de rejet de l'action et à la levée de la garantie fournie pour les raisons suivantes: (1) incompétence de la Cour; (2) défaut dans la signification du mandat de saisie de la cargaison; (3) immu- nité de juridiction de la défenderesse en tant qu'organisme du gouvernement iranien.
Jugement: la requête est rejetée avec dépens.
(1) Dans son exception d'incompétence, la défenderesse invo- que le paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale. Ce paragraphe porte que la compétence in rem de la Cour ne peut être exercée relativement à certaines demandes spécifiées au paragraphe 22(2) de la Loi à moins que, au moment l'action est intentée, l'objet de l'action n'ait eu pour propriétaire en equity celui qui en était propriétaire en equity au moment la cause d'action a pris naissance. Alors que la Règle 1003(I) conçoit le mandat de saisie comme une étape accessoire à l'action déjà engagée, la défenderesse ne fait pas cette distinc tion et prétend que la question de la compétence s'attache au mandat lui-même. Mais le texte du paragraphe 43(3) laisse entendre que le lien de compétence requis vise l'action et non le mandat. Quoi qu'il en soit, l'allégation dans la déclaration que Satkab était à toutes les époques pertinentes propriétaire, ou propriétaire en equity, de la cargaison satisfait au critère de compétence.
(2) Pour étayer sa prétention que la signification du mandat était irrégulière, la défenderesse note que la pièce «A» annexée à l'affidavit de signification n'est pas une copie certifiée du mandat. Cependant, il n'y a rien dans les Règles exigeant que la copie de l'acte versée comme pièce au dossier soit une copie certifiée conforme de l'acte original, en l'espèce, le mandat de saisie.
(3) La défenderesse, Satkab, invoque la doctrine de l'immu- nité de juridiction pour dire que les poteaux sont la propriété de l'État iranien. Elle soutient qu'elle est un département du ministère de l'Énergie. Les déclarations solennelles produites par la défenderesse indiquent que Satkab a été constituée en une compagnie fournissant et fabriquant du matériel électrique dont les actions sont détenues par d'autres compagnies d'élec- tricité régionales. Les actions des autres compagnies appartien- nent au gouvernement iranien. Les dirigeants, administrateurs et employés de Satkab sont des fonctionnaires iraniens dont les salaires sont versés à même les fonds publics. Les statuts de la compagnie disent que son objet comprend l'exercice de «toutes activités et opérations commerciales». Le modèle suivi est donc celui d'une société commerciale. Les déclarations solennelles disant que Satkab est un organe gouvernemental doivent rece- voir tout le poids qui leur est dû, mais elles ne sont nullement concluantes et elles doivent être appréciées à la lumière des autres preuves littérales. Un examen de toutes les preuves administrées montrera si Satkab est contrôlée par le gouverne- ment et exerce suffisamment de fonctions gouvernementales pour constituer un organe d'État au sens véritable et non pas une simple fiction.
Une tendance doctrinale se développe qui réprouve l'applica- tion de l'immunité absolue de juridiction aux opérations com- merciales ordinaires effectuées par des gouvernements étran- gers ou leurs agences. On se référera à l'arrêt Flota Maritima de Cuba le juge Ritchie cite un auteur selon lequel l'expan- sion des activités économiques de l'État moderne tend à rendre impraticable la règle qui accorde à l'État agissant comme
commerçant une position privilégiée par rapport aux commer- çants privés. Dans l'arrêt Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne, le juge Laskin, dans une forte dissidence, écrit que la doctrine de l'immunité de juridic- tion absolue est morte. L'arrêt République du Congo doit être distingué de l'espèce puisqu'il se drapait de tout l'apparat de l'autorité souveraine.
La décision ontarienne Ferranti-Packard, il a été jugé que la Thruway Authority de l'État de New York pouvait être poursuivie dans cette province, puisqu'elle n'était ni l'alter ego ni un organe de l'État est aussi digne de mention. La Cour a tenu compte de la fonction distincte de l'Administration, de la nature de son activité commerciale et de son indépendance dans l'établissement et l'exercice, à sa propre initiative, de sa politi- que et de ses responsabilités.
Dans l'arrêt I Congreso, lord Denning, de la Cour d'appel, a approuvé un énoncé du droit, fait il y a environ 100 ans, selon lequel le prince ne peut [TRADUCTION] »se faire commerçant pour son profit; puis, ayant encouru une obligation envers un sujet de droit privé ... rejeter ... son déguisement et, apparais- sant comme un souverain ... réclamer ... tous les attributs de sa nature».
La jurisprudence en est arrivée à un point la doctrine de l'immunité de juridiction absolue ne s'applique plus aux opéra- tions commerciales des gouvernements étrangers ou de leurs agences, à moins que ces opérations ne revêtent clairement un caractère gouvernemental ou souverain. Et pour que l'immunité de juridiction soit reconnue dans les cas un Etat érige une entité juridique distincte pour faire des affaires d'ordre com mercial, il doit être démontré que l'entité juridique, selon le critère décisif de la fonction et du contrôle, et non simplement du statut, est l'aller ego ou l'émanation de l'État lui-même.
Selon le principe général, la défenderesse ne peut profiter de l'immunité de juridiction, car l'espèce dans son ensemble pos- sède toutes les caractéristiques d'une opération commerciale privée et se situe clairement en dehors de la sphère de l'activité gouvernementale.
L'application du critère de l'alter ego conduit au même résultat. Une étude des objets, des pouvoirs et de la structure des actions de la défenderesse mène à la conclusion que quel que soit le rôle gouvernemental qu'elle joue, il est insuffisant pour en faire un simple fonctionnaire de l'État iranien.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Philippine Admiral, [1977] A.C. 373 (P.C.); Trend- tex Trading Corporation v. Central Bank of Nigeria, [1977] 1 Lloyd's Rep. 581; [1977] 1 Q.B. 529 (C.A.); Ferranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al. (1980), 115 DLR (3d) 691 (H.C. Ont.); I Congreso del Partido, [1981] 3 W.L.R. 328 (H.L.); The Charkieh (1873), L.R. 4 A.&E. 59.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Baccus S.R.L. v. Servicio Nacional del Trigo, [1957] I Q.B. 438; [1956] 3 All E.R. 715 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Mellenger v. New Brunswick Development Corpn., [1971] 1 W.L.R. 604; [1971] 2 All ER 593 (C.A.); Flota Maritima Browning de Cuba S.A. v. Republic of Cuba, [1962] R.C.S. 598; 34 DLR (2d) 628; Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997; 22 DLR (3d) 669.
DÉCISIONS CITÉES:
Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (I" inst.); Fowler & Wolfe Manufacturing Co. and the Dominion Radiator Co., Ltd., v. The Gurney Foundry Co., Ltd. (1913), 14 R.C.E. 336; Fredericton Housing Ltd. c. La Reine, [1973] C.F. 681; 40 DLR (3d) 392 (C.A.).
AVOCATS:
Gerald M. Lawson et Christopher M. Correia pour la demanderesse.
Robert Jette et Frederick Welsford pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Lawson & Lawson, Saint John (Nouveau- Brunswick), pour la demanderesse.
Clark, Drummie & Co., Saint John (Nou- veau-Brunswick), pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: La Cour est saisie d'une requête de la défenderesse, Satkab Co., concluant à une ordonnance de rejet de l'action de la deman- deresse et à la levée de la garantie fournie, en raison de l'incompétence de la Cour, d'un défaut dans la signification du mandat de saisie de la cargaison du navire Atra et de l'immunité de juridiction de la défenderesse, Satkab Co., en tant qu'organisme gouvernemental de la République islamique d'Iran. La requête a été instruite à Saint John, au Nouveau-Brunswick, le 12 septembre 1983; la demanderesse l'a contestée. La défende- resse avait dans un premier temps excipé aussi de certaines irrégularités dans la signification de la déclaration, mais ce moyen a été abandonné en raison de l'affidavit produit à l'instruction, qui y remédiait.
Une cargaison de poteaux en bois traité, en provenance du navire Atra, fait l'objet de l'action. Le contrat d'achat des poteaux est daté du 16
octobre 1979. Il est intervenu entre la défende- resse, Satkab Co., et Domtar Inc. Le contrat défi- nit Satkab Co. comme étant le ministère de l'Éner- gie de la République islamique d'Iran. Satkab Co. a signé le contrat en cette capacité. Le prix pour la fourniture et la livraison des poteaux de bois est de 1 603 025 $. Il est stipulé que la loi qui régira le contrat et son interprétation sera la loi iranienne. La livraison devait être faite à l'un ou l'autre de deux ports du Sud iranien indiqués. La dcmandc- resse n'est pas partie au contrat de fourniture et de livraison des poteaux.
La demanderesse a affrété le navire Atra en vertu d'une charte-partie conclue avec son proprié- taire le 21 juillet 1980. Le chargeur, Domtar Inc., par son mandataire, a conclu un contrat d'affrète- ment avec la demanderesse pour le transport de la cargaison de poteaux de bois. Un connaissement a été émis le 16 septembre 1980. La cargaison a été chargée à bord de l'Atra au port de Saint John entre le 19 septembre et le 2 octobre 1980. Le connaissement a été négocié et la défenderesse, Satkab Co., en est devenue le détenteur. Le 22 septembre 1980, la guerre éclatait entre l'Iran et l'Irak. À cause du risque de guerre, la cargaison de poteaux a été déchargée à Saint John et confiée à la garde d'un entrepositaire. Cela s'est produit entre le 26 novembre 1980 et le 21 janvier 1981. La demanderesse prétend avoir un privilège sur la cargaison, en vertu de la clause 12 du connaisse- ment, en garantie des sommes réclamées sur le fondement du contrat d'affrètement et des frais et débours connexes. La somme totale réclamée s'élève à 565 718,64 $, plus l'intérêt.
Le 26 février 1981, la demanderesse intentait une action contre la défenderesse en produisant sa déclaration. La demanderesse a fait saisir la car- gaison par mandat lancé le même jour. La défen- deresse a fourni une sûreté, sous forme d'une garantie de la Banque Toronto-Dominion, de 650 000 $. La demanderesse a alors demandé la levée de la saisie de la cargaison. Par ordonnance ou directive du tribunal, en date du 7 janvier 1982, il y a eu levée de la saisie-arrêt de la cargaison sous condition du paiement des frais de shérif et des débours engagés à son sujet.
Dans l'intervalle, d'autres événements se sont produits. La défenderesse a été condamnée par défaut pour non-production d'une défense le 6 avril
1981, les dommages-intérêts à être évalués ulté- rieurement. La défenderesse a introduit une requête en sursis de l'évaluation. Une ordonnance a été prononcée le 4 mai, sursoyant à l'évaluation pour 20 jours, assortie de conditions quant aux frais. La défenderesse a introduit alors une requête en annulation du jugement par défaut rendu par le juge Addy, concluant à ce qu'elle soit autorisée à produire une comparution conditionnelle. Le juge Walsh a instruit la requête le 22 mai 1981 et ordonnance a été rendue, annulant le jugement par défaut, à la condition que la défenderesse paye à la demanderesse les dépens taxés du jugement par défaut, ceux de l'évaluation des dommages-intérêts et ceux de la requête en annulation. L'ordonnance autorisait la défenderesse à produire une comparu- tion conditionnelle dans les cinq jours du paiement de ces dépens. La comparution conditionnelle n'a pas été produite avant le 6 mai 1983. Voilà quels étaient les faits essentiels de l'affaire au moment de l'introduction de la requête en rejet de l'action.
Le premier moyen concerne la compétence de la Cour. La défenderesse s'appuie ici sur le paragra- phe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10] qui porte que la compé- tence en matière d'action réelle conférée à la Cour ne peut être exercée relativement à certaines demandes spécifiées dans certains alinéas du para- graphe 22(2) de la Loi à moins que, au moment l'action est intentée, l'objet de l'action n'ait eu pour propriétaire en equity celui qui en était pro- priétaire en equity au moment la cause d'action a pris naissance. L'action en l'espèce est une action réelle. L'objet de l'action tombe dans la catégorie de demandes visées à l'alinéa 22(2)i) de la Loi, auxquelles le paragraphe 43(3) se rapporte. Cet alinéa regroupe les demandes nées d'une conven tion relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement. La défende- resse soutient que ces dispositions légales qui s'en- trecroisent exigent que la Cour soit convaincue, avant d'exercer sa compétence réelle en matière de saisie-arrêt, que le bien qu'on veut saisir appartient en equity à celui qui en était le propriétaire en equity au moment de la naissance de la cause d'action.
La Règle 1002 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] distingue les actions in rem des
actions in personam. Le paragraphe 1002(5) pres- crit le mode de signification de la déclaration dans une action in rem.
La Règle 1003 porte sur la procédure de saisie. Le paragraphe 1003 (1) dispose:
Règle 1003. (1) Dans une action in rem, un mandat de saisie de biens peut être décerné à tout moment après le dépôt du statement of claim ou déclaration.
Manifestement, le paragraphe conçoit le mandat de saisie comme une étape ou une procédure acces- soire à l'action déjà engagée. La défenderesse ne fait pas cette distinction et prétend que la question de la compétence s'attache au mandat lui-même. J'estime qu'il faut donner un sens valable aux expressions «au moment l'action est intentée» et «l'objet de l'action» du paragraphe 43(3) de la Loi. Je suis d'avis que le lien de compétence requis vise l'action et non le mandat de saisie exercé sous son égide. D'ailleurs, l'alinéa 5 de la déclaration allègue:
[TRADUCTION] 5. Ledit connaissement a été négocié au moment approprié et Satkab Co. en est le détenteur; il s'agit d'une société ayant son siège social en la ville de Téhéran, en Iran, et, au moment la cause d'action en l'espèce a pris naissance et, à toutes les époques pertinentes depuis, elle a été, et est toujours, propriétaire, ou propriétaire en equity, de ladite cargaison.
Cette allégation suffit à satisfaire un critère de compétence en ce qui concerne le moment l'action est née. Si, à un stade ultérieur du procès, il s'avérait que les faits démontrés n'appuient pas cette allégation, ce serait une autre question et, d'ailleurs, la demanderesse disposerait alors d'un recours. Il est bien établi que la Cour ne mettra pas fin à une instance ni ne déniera à un deman- deur le droit de voir sa cause instruite, à moins qu'il ne soit clair que l'action est frivole ou vexa- toire, ou qu'il n'existe pas de cause raisonnable à l'action de la demanderesse et que la laisser suivre son cours serait un abus de ses voies de droit'.
Par les motifs qui précèdent, je rejette ce moyen. Il s'ensuit que l'objection de la défenderesse, que l'affidavit portant demande de mandat est du 26 janvier 1981, antérieur donc à l'institution de l'ac- tion, échoue aussi.
' Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (l' a inst.), à la p. 259.
La défenderesse attaque l'affidavit portant demande de mandat sur un autre plan. À l'alinéa 6 de l'affidavit, John E. Frawley, président de la demanderesse, affirme:
[TRADUCTION] 6. J'ai toute raison de croire que ladite cargai- son appartient en equity à la même personne qui en était propriétaire en equity au moment la cause d'action en l'espèce a pris naissance.
La défenderesse objecte que le déposant fait cette affirmation sans dire pourquoi il la croit vraie, comme le prescrit le paragraphe 332(1).
Le paragraphe 1003(2) expose ce que doit con- tenir un affidavit portant demande de mandat. L'affidavit en l'espèce doit indiquer a) le nom, l'adresse et la profession ou occupation du requé- rant; b) la nature de la réclamation; c) qu'on n'a pas fait droit à la réclamation; et d) la nature des biens à saisir. Rien n'exige qu'on indique qui est propriétaire en equity du bien à saisir. Certaine- ment, si cela était nécessaire, le paragraphe le dirait. Que les raisons donnant tout lieu de croire ce que dit l'alinéa 6 de l'affidavit portant demande de mandat ne soient pas indiquées dans cet alinéa ne saurait constituer une objection péremptoire, l'alinéa en cause n'ayant rien à voir avec le reste de l'affidavit et pouvant en être détaché. Pour le reste, l'affidavit est suffisant. En conséquence, je dois conclure que l'affidavit portant demande de mandat n'est pas entaché d'un vice à cet égard.
La défenderesse objecte ensuite que la significa tion du mandat était irrégulière, comme le montre l'affidavit de signification du shérif adjoint, M. Frank Crilley. L'une des raisons de l'opposition semble être que la pièce «A», annexée à l'affidavit de signification, n'est pas une copie certifiée du mandat. La défenderesse soutient qu'il y a absence complète de preuve du mode de signification du mandat.
Le paragraphe 1003(6) exige que le mandat soit signifié de la façon prescrite dans le cas d'une déclaration d'une action in rem. C'est un renvoi à l'alinéa 1002(5)b), qui dispose gué la déclaration doit être signifiée, si la cargaison n'est pas à bord d'un navire, en fixant une copie certifiée de celle-ci sur la cargaison et en l'y laissant fixée.
Le premier alinéa de l'affidavit de signification dit que, le 26 février 1981, deux copies certifiées
du mandat produit en la cause à cette même date ont été apposées sur la cargaison [TRADUCTION] «... en provenance du navire `ATRA', à Pugsley C, Saint John, N.-B.».
L'alinéa 2 de l'affidavit affirme que la pièce «A» annexée est une copie conforme de l'original du mandat.
La formule 3 des Règles prescrit la forme que doit prendre un affidavit de signification. Voici le paragraphe 2 de cette formule:
2. Qu'une copie dudit ... est la pièce (A) du présent affidavit.
C'est ce que dit l'affidavit du shérif adjoint Crilley. L'affidavit dit aussi que la copie conforme ainsi signifiée a été authentiquée par la signature d'un protonotaire de la Cour et qu'il porte le sceau de la Cour.
Je ne trouve rien dans les Règles exigeant que la copie de l'acte signifié versée comme pièce au dossier doive être une copie certifiée conforme de l'acte original, en l'espèce, le mandat de saisie. Le moyen est donc rejeté.
La défenderesse oppose en outre que, d'après les documents versés au dossier, aucune copie certifiée du mandat n'a été délivrée par le greffe et que, en conséquence, aucune copie certifiée n'a pu être apposée sur la cargaison comme le prescrivent les Règles. Il y a le certificat du préposé adjoint au greffe, M. V. George, attestant que l'original du mandat a été produit au greffe le 2 mars 1981, soit le greffe local de la Cour à Saint John. Il y a aussi le certificat de l'officier du greffe, Donna C. Brier- ley, attestant que l'original du mandat de saisie a été déposé dans les archives du greffe le 6 avril 1981. De toute évidence, il s'agit du greffe principal de la Cour à Ottawa. À mon avis, la production du mandat au greffe de Saint John le 2 mars 1981 accomplissait effectivement la formalité de la production et aussi court-circuitait l'exigence de production «immédiatement» du paragraphe 1003(8). Les différences de date sont sans impor tance. Une chose est claire—le mandat original de saisie a été produit au greffe de Saint John après sa délivrance le 26 février 1981. Cela n'interdisait en rien l'authentification des copies de significa tion le jour de la délivrance.
À la Règle 2, on trouve les dispositions interpré- tatives. Elle définit comme suit l'expression copie certifiée:
Règle 2. ...
«copie certifiée« d'un document, dans le cas d'un document confié au greffe, désigne une copie du document certifiée par un officier du greffe;
Le terme «confié» peut dénoter différentes nuan ces de sens. Il peut dénoter la fugacité, le provi- soire par opposition à la permanence. La défende- resse semble lui attribuer le sens de «déposé en permanence au dossier» et, de cette prémisse, elle déduit que la copie certifiée du mandat ne pouvait avoir été signifiée. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas prêt à aller aussi loin, étant saisi d'un affidavit de signification qui affirme que des copies certifiées du mandat ont été apposées sur la cargaison. Le fait que deux copies ont été apposées au lieu d'une est sans conséquence. À mon avis, rien de tangible ne vient contredire le fait que des copies certifiées du mandat de saisie ont été régulièrement délivrées et signifiées le 26 février 1981 et que l'original du mandat a, peu après, été déposé au greffe. Le seul vice que je perçoive dans la signification du mandat, c'est la contradiction qui ressort de l'ali- néa premier de l'affidavit de signification qui affirme que l'original du mandat a été déposé au dossier de la cause le 26 février 1981.
La Règle 302 porte sur les objections de forme et les exigences à observer. L'alinéa a) dit qu'au- cune procédure ne sera annulée pour une simple objection de forme.
L'alinéa b) de la Règle dispose que l'inobserva- tion de n'importe laquelle des Règles ou de n'im- porte quelle règle de pratique en vigueur à l'épo- que considérée n'entraînera la nullité d'un acte de procédure que si la Cour déclare qu'il en est ainsi. Il ajoute qu'une telle procédure peut être annulée en tout ou en partie pour irrégularité, ou qu'elle peut être rectifiée, ou autrement traitée, de la manière et aux conditions que la Cour jugera à propos.
L'alinéa c) dit notamment qu'une demande d'annulation d'une procédure pour irrégularité ne doit être reçue que si elle est présentée dans un délai raisonnable.
La Cour est saisie de l'affaire depuis que l'action a été intentée et le mandat de saisie lancé, le 26 février 1981. La comparution conditionnelle n'a été produite que le 6 mai 1983. La défenderesse vient maintenant, deux ans et demi plus tard, opposer que la procédure de saisie était nulle ab initio pour vices incurables dans la signification du mandat.
La Cour, comme celle qui l'a précédée, a tou- jours eu pour pratique de faire justice aux parties et non de mettre fin à des instances pour simples vices de formez.
Je suis d'avis que l'affirmation incorrecte de l'affidavit de signification concernant le dépôt du mandat le 26 février 1981, et les objections qui y sont reliées, quant à sa délivrance et à sa significa tion, ne sont au plus que de simples irrégularités et non des vices incurables. En conséquence, ces moyens d'opposition doivent aussi être rejetés.
Enfin, la défenderesse, Satkab Co., invoque la doctrine de l'immunité de juridiction pour dire que les poteaux en bois saisis sont la propriété de l'État souverain d'Iran. Elle soutient être un département du ministère de l'Énergie et, donc, faire partie intégrante du gouvernement iranien. À l'appui de ceci, la défenderesse dépose les déclarations solen- nelles de M. Hossien Adeli, chargé d'affaires à l'ambassade de la République islamique d'Iran, du docteur Assad Alizadeh Nobarian, membre du Conseil de direction et chef du département des contrats de la défenderesse, et de M. M. H. Fadai Fard, second secrétaire de l'ambassade d'Iran. Les faits établis par ces déclarations solennelles peu- vent être résumés comme suit.
Satkab Co. a été constituée en compagnie four- nissant et fabricant du matériel électrique en vertu de la loi iranienne. Son capital-actions est de 550 actions entièrement libérées. Ce sont d'autres com- pagnies d'électricité régionales qui détiennent les actions. Les actions de ces autres compagnies appartiennent au gouvernement iranien et ne sont pas transférables. On affirme que les membres de la direction et les administrateurs et les employés de Satkab Co. sont des fonctionnaires iraniens
2 Fowler & Wolfe Manufacturing Co. and the Dominion Radiator Co., Ltd., v. The Gurney Foundry Co., Ltd. (1913), 14 R.C.É. 336; Fredericton Housing Ltd. c. La Reine, [1973] C.F. 681; 40 DLR (3d) 392 (C.A.).
dont les salaires sont versés à même les fonds publics. Les statuts de la compagnie créent le poste de directeur général, celui de vérificateur, un con- seil d'administration et prévoient des assemblées ordinaires et extraordinaires des actionnaires. Le modèle suivi est celui d'une société commerciale. L'article 4 définit l'objet pour lequel la compagnie a été constituée comme suit:
[TRADUCTION]* Fournir, en gros ou au détail, préparer, mettre au point et livrer tous genres de marchandises, machineries, instruments et appareils de génération, de transport et de distribution d'électricité, et fournir et distribuer de l'eau à la demande des compagnies régionales d'hydro-électricité, des organismes hydro-électriques ou d'autres institutions gouverne- mentales ou non gouvernementales. Pour fournir ces services, la compagnie est autorisée à exercer toutes activités et opérations commerciales, à investir, à s'associer aux compagnies qui pro- duisent les matériaux nécessaires pour fournir l'eau et l'électri- cité au pays, et à acheter des matières premières pour satisfaire aux exigences de ces dernières. [C'est moi qui souligne.]
L'article 13 énonce l'ordre du jour des affaires courantes lors d'une assemblée générale des actionnaires. La clause b) de cet article se réfère à l'élection du conseil d'administration. La clause e) traite du mode de distribution des profits. La clause h) de l'article 13 stipule ce qui suit:
[TRADUCTION]* Fixer les salaires, les allocations et bonis des membres du conseil d'administration et du directeur général, compte dûment tenu des critères approuvés par le Conseil du salaire et du traitement, et les honoraires du vérificateur.
Le directeur général est le principal dirigeant et représentant juridique de la compagnie; les attri butions qui lui sont conférées sont fort étendues. Il est assez révélateur qu'il soit choisi par le conseil d'administration et ne soit pas un représentant des actionnaires.
L'article 16 stipule:
[TRADUCTION]* Le ministre de l'Énergie, le ministre des Affaires économiques et financières, et un ou plusieurs autres ministres, selon la décision du Conseil des ministres, ou leurs représentants, représentent les actions du gouvernement aux assemblées générales, ordinaires ou extraordinaires, et le minis- tre de l'Énergie et le surintendant du ministère de l'Hydro-élec- tricité présideront aux assemblées générales.
En vertu de l'article 26, la compagnie, par son directeur général, peut ester, en défense ou en demande, et engager des actions pénales ou civiles.
L'article 31 stipule que le profit net, après déduction d'une réserve de 5 %, sera distribué aux actionnaires et pourra, avec l'approbation de l'as-
* N.D.T.: Traduction française de la traduction anglaise du persan fournie au greffe.
semblée générale, être déposé dans un compte de capitalisation.
L'article 68 de la [TRADUCTION] Loi sur les comptes publics vise les opérations commerciales des ministères et institutions gouvernementales. En général, celles-ci s'effectuent selon le principe de la plus haute ou de la plus basse soumission, sauf pour certaines exceptions, qui sont énumérées. Aucune de ces exceptions ne concerne directement les services d'électricité et de communication con- trôlés par l'État.
Dans sa déclaration solennelle, le docteur Noba- rian dit notamment que Satkab Co. a été consti- tuée dans l'unique but d'agir à titre d'organisme national d'achat et de distribution au service des compagnies d'électricité régionales et que c'est l'organe par lequel le gouvernement iranien met en oeuvre sa politique d'extension de son réseau de distribution d'électricité. La déclaration de M. M. H. Adeli le confirme et ajoute que la défenderesse a pour seule raison d'être de servir l'intérêt public iranien. Dans sa déclaration solennelle, M. M. H. Fadai Fard certifie que Satkab Co. est un orga- nisme du gouvernement de la République islami- que d'Iran, étant un département de son ministère de l'Énergie, qu'elle jouit de tous les droits d'une personne morale et que ses dirigeants et employés sont au service du gouvernement de la République islamique d'Iran. De telles attestations doivent recevoir tout le poids qui leur est dû, mais elles ne sont nullement concluantes. Elles doivent être appréciées à la lumière des statuts et autres docu ments connexes contenus dans les diverses pièces jointes à ces déclarations solennelles.
Le critère applicable relève de la sphère de la fonction et du contrôle. Il est nécessaire de consi- dérer toutes les preuves administrées pour voir si la défenderesse est contrôlée par le gouvernement et exerce suffisamment de fonctions gouvernementa- les pour constituer un organe d'État au sens vérita- ble et non pas une simple fiction.
La demanderesse reconnaît que les poteaux appartiennent à la défenderesse Satkab Co., mais nie que la République islamique d'Iran en soit propriétaire. Le litige se trouve ainsi circonscrit.
J'ai examiné soigneusement la jurisprudence citée par les avocats des deux parties. L'avocat de la défenderesse a plus particulièrement invoqué les arrêts Baccus S.R.L. v. Servicio Nacional del Trigo 3 , Mellenger v. New Brunswick Development Corpn. 4 , Flota Maritima Browning de Cuba S.A. v. Republic of Cubas et Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne 6 . L'avocat de la demanderesse a invoqué notamment les arrêts Trendtex Trading Corporation v. Cen tral Bank of Nigeria', Ferranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al. 8 et I Congreso del Partido 9 .
Au cours des ans une tendance doctrinale est apparue qui réprouve l'application de l'immunité absolue de juridiction dans le cas d'opérations commerciales ordinaires effectuées par des gouver- nements étrangers ou leurs agences. Les auteurs et certains juristes se sont montrés favorables à une théorie de l'immunité de juridiction limitée lorsque l'objet du litige est purement commercial.
La question a été exposée dans l'arrêt Baccus S.R.L. v. Servicio Nacional del Trigo. La deman- deresse avait engagé contre la défenderesse une action en dommages-intérêts pour rupture d'un contrat de vente de seigle. La défenderesse avait statut de personne morale selon la loi espagnole et certaines preuves avaient été rapportées qu'il s'agissait d'un département du ministère espagnol de l'Agriculture, nonobstant sa personnalité juridi- que distincte. La Cour a jugé à la majorité qu'un organe étatique étranger ne perdait pas son immu- nité de juridiction simplement parce qu'il s'enga- geait dans certaines activités commerciales par le biais d'une entité juridique distincte. Le lord juge Singleton fut dissident, pour le motif qu'on a tort d'étendre le principe de l'immunité de juridiction à une société ou personne morale constituée par un État souverain, même s'il s'agit d'un organe de l'État, lorsque l'activité en cause est de nature commerciale.
3 [1957] 1 Q.B. 438; [1956] 3 All E.R. 715 (C.A.).
4 [1971] 1 W.L.R. 604; [1971] 2 All ER 593 (C.A.).
5 [1962] R.C.S. 598; 34 DLR (2d) 628.
6 [1971] R.C.S. 997; 22 DLR (3d) 669.
7 [1977] 1 Lloyd's Rep. 581; [1977] 1 Q.B. 529 (C.A.).
3 (1980), 115 DLR (3d) 691 (H.C. Ont.).
9 [1981] 3 W.L.R. 328 (H.L.).
Le lord juge Parker, qui a parlé au nom de la majorité, a formulé cette réserve significative ([1956] 3 All E.R. 715, la page 736):
[TRADUCTION] Je ne pense pas que notre décision fasse intervenir une reconnaissance élargie de l'immunité de juridic- tion, car à cet égard les défendeurs sont un organe de l'État. Il ne s'agit pas d'une compagnie par actions à responsabilité limitée, dans laquelle l'Etat détient la majorité ou la totalité des actions ni d'un organisme qui, pour cette raison ou une autre, est entièrement distinct de l'État. Si c'était le cas, comme me semble-t-il ce l'était dans l'espèce américaine à laquelle le LORD JUGE SINGLETON s'est référé, accorder alors l'immunité de juridiction à un tel organisme constituerait une extension réelle du principe. [C'est moi qui souligne.]
L'arrêt Mellenger v. New Brunswick Develop ment Corpn. a formulé de nouvelles directives pour vérifier l'applicabilité de la doctrine de l'immunité de juridiction à une personne morale constituée pour promouvoir le développement industriel au nom du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Les activités de la société devaient être approuvées par le gouvernement. Il avait été prouvé que la société n'avait jamais exercé d'activités commer- ciales. La société n'avait émis aucun capital- actions. Les demandeurs ont esté en paiement de leur commission pour avoir introduit une entre- prise commerciale au Nouveau-Brunswick. Le gouvernement lui-même était partie au contrat et le Premier ministre du Nouveau-Brunswick avait joué un rôle majeur dans les négociations. La société n'avait conclu aucun contrat. La Cour jugea que la société défenderesse jouissait de l'im- munité de juridiction car elle était l'équivalent d'un organe gouvernemental appliquant une politi- que gouvernementale et était, à toutes fins, l'alter ego, une partie intégrante du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
La théorie de l'immunité limitée gagna en importance avec l'arrêt The Philippine Admiral 10 . Dans cette espèce, le Conseil privé jugea que la doctrine de l'immunité de juridiction absolue ne s'appliquait pas à une action réelle mettant en cause un navire gouvernemental exerçant des acti- vités commerciales ordinaires, pour le motif que la page 403]:
[TRADUCTION] ... la théorie de l'immunité limitée est plus conforme à la justice ...
10 [1977] A.C. 373 (P.C.).
Leurs Seigneuries furent d'avis cependant que la théorie de l'immunité absolue s'appliquait toujours dans le cas des actions personnelles.
Puis vint l'arrêt Trendtex Trading Corporation v. Central Bank of Nigeria. La banque défende- resse avait été constituée banque centrale par une loi nigériane. Elle battait monnaie et agissait à titre de banquier et de conseiller financier auprès du gouvernement du Nigeria, en plus d'agir pour les autres banques. Ses affaires faisaient l'objet d'un contrôle gouvernemental considérable. La banque avait émis une lettre de crédit irrévocable au nom de la demanderesse en paiement de ciment que la demanderesse avait vendu à une compagnie anglaise. Le ciment était destiné à la construction de casernes. Il a été expédié au Nigeria sur la foi d'un contrat d'achat du ministère de la Défense. Le port de déchargement étant congestionné, on a réclamé des surestaries. La banque a refusé d'ho- norer la lettre de crédit et la demanderesse a intenté une action. La demanderesse a fondé sa demande sur l'inexécution de la lettre de crédit, considérée comme un contrat commercial distinct. La banque a plaidé immunité de juridiction en tant qu'organe du gouvernement du Nigeria, nonob- stant son statut d'entité juridique distincte. On arguait que la banque était à ce point subordonnée au gouvernement du Nigeria qu'elle en était une partie intégrante. La Cour d'appel a appliqué le critère de l'arrêt Mellenger, consistant à examiner qu'elles étaient les fonctions de la banque et qui la contrôlait, et a rejeté cet argument. Elle a jugé que la banque, qui avait été créée en tant qu'entité juridique distincte, sans aucune intention claire- ment exprimée de lui conférer un statut gouverne- mental, n'était ni une émanation, ni l'alter ego, ni un organe de la Fédération du Nigeria. Le lord juge Stevenson a fondé sa décison sur cet unique motif. Ses collègues, lord Denning, M.R., et le lord juge Shaw, ont été d'avis que, même si la banque faisait partie du gouvernement du Nigeria, elle ne pouvait échapper à une poursuite relative à une lettre de crédit vu l'aspect commercial ordinaire de l'opération, par opposition aux actes de nature gouvernementale. Lord Denning est même allé plus loin, disant qu'il préférait fonder sa décision sur le motif qu'il n'y avait pas immunité dans le cas d'opérations commerciales, même s'il s'agissait d'un organe gouvernemental.
Plus près de nous, l'espèce présente est diffé- rente de l'affaire Flota Maritima de Cuba, la Cour suprême du Canada a jugé que les navires saisis appartenaient bien à la République de Cuba et devaient donc nécessairement être considérés comme des navires d'État, au sens traditionnel, étant à l'abris de toute saisie en vertu de la doc trine de l'immunité de l'État. La majorité des juges saisis doutait que l'immunité puisse s'appli- quer à la propriété d'un État étranger utilisée uniquement à des fins commerciales. Le juge Rit- chie a cité plusieurs extraits de travaux d'auteurs reconnus en droit international, dont l'Internatio- nal Law d'Oppenheim, 8e éd., 1955, vol. 1, à la page 273, il est dit:
[TRADUCTION] ... la vaste expansion des activités de l'État moderne dans le domaine économique tend à rendre impratica- ble la règle qui accorde à l'État agissant comme commerçant une position privilégiée par rapport aux commerçants privés. La plupart des États, y compris les États-Unis, ont maintenant abandonné ou abandonnent la règle de l'immunité absolue des États en regard de ce qui est habituellement décrit comme des actes relevant du droit privé. La situation à cet égard en Grande-Bretagne doit être considérée comme floue.
Cet arrêt a été suivi de l'arrêt Gouvernement de la République Démocratique du Congo c. Venne, la Cour suprême, à la majorité, a jugé qu'un litige contractuel entre l'architecte et l'Etat congo- lais, au sujet de son pavillon national à l'Expo 67, mettait en cause un Etat souverain étranger, dans l'exercice d'actes publics d'État, et qu'il ne pouvait être assigné devant nos tribunaux. Le juge Laskin [tel était alors son titre], à l'opinion duquel le juge Hall a souscrit, a inscrit une forte dissidence. Le distingué juge concevait l'immunité réclamée du point de vue de la fonction plutôt que de celui du statut, pour conclure que la doctrine de l'immunité de juridiction absolue était morte. On trouve le fondement de sa dissidence dans le passage sui- vant, à la page 1020:
Les raisons pour lesquelles, à mon avis, il est préférable de considérer l'immunité du point de vue de la fonction plutôt que de celui du statut ne tiennent pas simplement au rejet des facteurs sur lesquels elle était auparavant censée reposer. Du point de vue positif, il y a une simple question de justice envers un demandeur; il y a le fait qu'il est raisonnable de reconnaître l'égalité d'accès aux tribunaux internes à tous ceux qui partici- pent à des activités internationales, même si l'une des parties à une affaire est un État étranger ou un organisme de celui-ci; il y a l'ordre juridique international à favoriser en faisant en sorte que certains différends auxquels est partie un État étranger relèvent de la compétence des tribunaux, même s'il s'agit de tribunaux internes; et, évidemment, l'expansion des activités et des services des différents États a brouillé la distinction entre
fonctions ou actes gouvernementaux et non gouvernementaux (ou entre les domaines d'activité dits publics et privés), de sorte qu'il est injuste de décider d'après le statut seulement si l'État sera exempt des conséquences de ses actes.
À mon avis, ces deux arrêts de la Cour suprême du Canada peuvent manifestement être distingués de l'espèce car chacune de ces affaires se drapait de tout l'apparat de l'autorité souveraine.
Ce qui nous amène à l'arrêt innovateur Fer- ranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al. Il s'agissait de savoir dans cette espèce si la doc trine de l'immunité de juridiction s'appliquait à la Thruway Authority de l'État de New York (ci- après l'Administration) et la protégeait de toute action devant la Haute Cour de Justice de l'Onta- rio, Cour divisionnaire, pour les dommages causés aux transformateurs électriques de la demande- resse par suite d'un accident survenu, au cours de leur transport, sur les routes appartenant à l'Admi- nistration. Les théories de l'immunité de juridic- tion absolue et limitée ont été longuement expo sées; la Cour a cependant choisi de disposer de l'affaire en fonction de la doctrine de l'immunité absolue énoncée par lord Denning dans l'arrêt Trendtex Trading, à la page 559:
[TRADUCTION] La doctrine accorde l'immunité à un gouverne- ment étranger ou à ses organismes d'État, ou à quiconque peut être considéré comme un «alter ego ou organe« du gouvernement.
La Cour a alors appliqué le critère du contrôle et de la fonction que prescrivait cet arrêt. Ce qui a soulevé la question décisive de savoir si l'Adminis- tration était complètement contrôlée par l'État de New York en ce sens qu'elle en était l'alter ego ou un organe.
L'Administration était une corporation publique créée par la loi, à qui avait été conférée la respon- sabilité de construire, d'entretenir et d'exploiter un réseau d'autoroutes dans l'État de New York. Sa loi constitutive conférait à l'Administration le pou- voir, notamment, d'acquérir des biens immobiliers, de contracter, de fixer et de percevoir des droits et frais de passage sur l'autoroute et d'émettre des obligations. Elle disait que les officiers et employés des organismes de l'État et de ses agences pou- vaient être employés par l'Administration sans perdre leur statut ou leurs droits de fonctionnaire. La loi prévoyait expressément que l'Administra-
tion devait être considérée comme exerçant une fonction gouvernementale dans l'exercice de son objet et de ses pouvoirs. La Cour jugea que l'Ad- ministration n'était ni l'alter ego ni un organe de l'État de New York et ne pouvait donc être proté- gée par la doctrine de l'immunité de juridiction, compte tenu de sa fonction distincte, de la nature de ses activités commerciales et de son indépen- dance dans l'établissement et l'exercice, à sa propre initiative, de sa politique et de ses responsa- bilités. Autorisation d'en appeler à la Cour d'appel de l'Ontario a été refusée: (1981), 123 D.L.R. (3d) 766.
Dans l'arrêt I Congreso, la Chambre des lords a confirmé la doctrine de l'immunité de juridiction limitée dans le cas des opérations commerciales des États étrangers. L'affaire avait commencé par un contrat commercial de vente de sucre intervenu entre une entreprise commerciale de l'État cubain et une entreprise chilienne. Le sucre a été chargé à bord de deux navires, l'un appartenant à la Répu- blique de Cuba et exploité par une entreprise maritime de l'État cubain, et l'autre frété à l'entre- prise maritime cubaine. Des chartes-parties ont été conclues en vertu desquelles les cargaisons de sucre devaient être expédiées à bord des deux navires à destination du Chili. Un coup d'État renversa le gouvernement chilien. Un nouveau gouvernement, que le gouvernement cubain désapprouvait fort, a pris le pouvoir. Les relations diplomatiques entre le Chili et Cuba ont été rompues. Les deux navires ont été déroutés sur ordre du gouvernement cubain. L'un est finalement retourné à Cuba sa cargaison de sucre a été revendue. L'autre s'est rendu au Viêt-nam du Nord la cargaison de sucre a été déchargée et offerte en cadeau au peuple de ce pays. L'I Congreso del Partido, des- tiné au commerce, était en construction en Angle- terre. L'entreprise maritime de l'État cubain en a d'abord obtenu le titre de propriété, mais la Répu- blique de Cuba en est devenu finalement le pro- priétaire. L'I Congreso a été retrouvé, des actions réelles ont été engagées en conséquence de l'inexé- cution du contrat de sucre par Cuba et le navire a été saisi-arrêté. Cuba, par requête, a demandé l'annulation des brefs et des procédures subséquen- tes dans ces actions, invoquant la doctrine de l'immunité de juridiction. Le tribunal de première instance a fait droit aux conclusions de la requête. Il y a eu appel. La Cour d'appel a rendu des avis
partagés également et, en conséquence, les appels ont été rejetés. Les demandeurs se sont pourvus devant la Chambre des lords. Les pourvois ont été accueillis pour le motif général que la doctrine de l'immunité de juridiction limitée s'appliquait, écar- tant toute immunité absolue dans le cas d'opéra- tions commerciales entre États étrangers ou leurs agences, à moins que ces opérations ne soient du domaine des actes publics tombant clairement dans la sphère de l'activité gouvernementale ou souveraine.
Lord Bridge of Harwich, faisant allusion à la difficulté habituellement rencontrée lorsqu'on ten- tait de circonscrire la doctrine de l'immunité abso- lue dans des limites raisonnables, a exposé en termes maintenant classiques la position anglaise actuelle, à la page 351:
[TRADUCTION] Il me semble qu'on peut tirer de la jurispru dence pertinente deux propositions qui peuvent souvent, comme c'est le cas en l'espèce, offrir un guide utile pour décider si oui ou non l'immunité de juridiction réclamée peut être accordée. D'abord, si un État souverain assume volontairement une obli gation de droit privé pure et simple, il ne peut, lorsqu'on demande qu'il exécute cette obligation, se prévaloir de l'immu- nité de juridiction pour le motif que la raison pour laquelle il a assumé l'obligation revêtait un caractère souverain ou gouver- nemental. Par exemple: l'État A commande des uniformes pour son armée à un fournisseur de l'État B; poursuivi pour le prix devant les tribunaux de l'État B, l'État A ne saurait revendi- quer son immunité pour le motif que le maintien d'une armée est une fonction souveraine. C'est élémentaire. Mais cela con duit logiquement au second principe que, ayant assumé une obligation de droit privé pure et simple, un Etat souverain ne saurait justifier l'inexécution de l'obligation pour le motif que la raison de l'inexécution revêt un caractère souverain ou gouvernemental. Par exemple: l'État A ayant commandé des uniformes pour son armée d'un fournisseur de l'État B, désa- voue le contrat; poursuivi devant les tribunaux de l'État B en dommages-intérêts, l'État A ne saurait se prévaloir de son immunité pour le motif que, depuis l'octroi du contrat, un gouvernement d'une nouvelle couleur politique a pris la décision souveraine, dans le cadre d'une politique de désarmement total, de licencier son armée.
En Cour d'appel, lorsqu'elle a statué sur l'affaire I Congreso, lord Denning, dans son opinion favora ble, a approuvé l'énoncé du droit qu'avait fait, il y a environ 100 ans, sir Robert Phillimore dans l'arrêt The Charkieh (1873), L.R. 4 A.&E. 59, aux pages 99 et 100:
[TRADUCTION] Aucun principe de droit international, aucune jurisprudence, aucun commentaire de juriste dont j'aie connais- sance, n'est allé jusqu'à autoriser un prince souverain à se faire commerçant pour son profit; puis, ayant encouru une obligation envers un sujet de droit privé, à rejeter pour ainsi dire son déguisement et, apparaissant comme un souverain, à réclamer à
son propre profit, et au préjudice du sujet de droit privé, pour la première fois, tous les attributs de sa nature ...
Ainsi le mouvement imprimé au pendule l'a ramené à son point de départ. À mon avis, le principe général que l'on trouve en filigrane dans la jurisprudence moderne se ramène à ceci—la doctrine de l'immunité de juridiction absolue ne s'applique plus aux opérations commerciales des gouvernements étrangers ou de leurs agences ou entités à moins que ces opérations, de par la nature des actes les motivant ou de par leur objet, ne revêtent clairement un caractère gouvernemental ou souverain. Il y a cependant un principe connexe plus étroit applicable à la doctrine de l'immunité de juridiction dans le cas un État érige sous son égide une entité juridique distincte avec pouvoir de faire des affaires d'ordre commercial. Pour que l'immunité de juridiction soit reconnue en l'espèce, l'entité juridique distincte, selon le critère décisif de la fonction et du contrôle, et non simplement du statut, doit être l'alter ego ou l'émanation de l'État lui-même.
À mon sens, la défenderesse ne peut profiter de l'immunité de juridiction selon le principe général que je viens d'exposer. Je suis d'avis que l'espèce, y compris le contrat de vente et la livraison des poteaux, possède toutes les caractéristiques d'une opération commerciale privée et se situe claire- ment en dehors de la sphère de l'activité gouverne- mentale ou souveraine.
Mais il existe un motif subsidiaire auquel l'autre principe s'applique et qui m'amènerait au même résultat. Il faut nécessairement en l'espèce s'attar- der au contrat d'affrètement entre les parties comme étant l'acte qui sert de fondement à l'opé- ration, selon sa nature explicite, plutôt que selon son objet, et non au contrat de vente des poteaux. La défenderesse Satkab Co. a été constituée selon la loi iranienne en tant que compagnie manufactu- rière fournisseur d'électricité pour la génération et la distribution d'électricité et d'eau aux institutions gouvernementales ou non gouvernementales, avec pouvoir de s'occuper en général de marchandises, de machines et d'appareils s'y rapportant et de faire des investissements. Elle détenait le pouvoir général d'exercer toutes sortes d'activités commer- ciales et de faire des opérations commerciales. La défenderesse a été constituée en société ayant
toutes les caractéristiques d'une entreprise com- merciale. Elle avait un capital-actions souscrit. L'État propriétaire des actions se trouvait à tout le moins à l'arrière-plan. Manifestement, la défende- resse agissait de sa propre initiative en matières de politique et de fonction. Quel que soit le rôle gouvernemental que peut avoir joué la défende- resse, il n'était pas suffisamment manifeste et identifiable pour en faire un simple fonctionnaire de l'État iranien. À mon avis, la défenderesse n'est ni l'alter ego ni une émanation du gouvernement iranien en aucun sens véritable. La défense d'im- munité de juridiction échoue pour ce motif aussi.
En conséquence, la requête de la défenderesse est rejetée sur tous ses points, avec les dépens allant à la demanderesse.
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