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T-1179-83
La Reine (demanderesse)
c.
Wally Fries (défendeur)
Division de première instance, juge Collier—Van- couver, 20 juin 1984; Ottawa, 15 novembre 1985.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Revenu ou gain en capital Indemnité de grève Un syndicat a accepté de verser aux membres de l'unité de négociation de la Régie des alcools l'équivalent d'un salaire net pendant qu'ils faisaient grève pour appuyer d'autres syndicalistes Application de l'arrêt Carlill v. Carbolic Smoke Ball Company, [1893/ 1 Q.B. 256 (CA.) Un contrat entre le syndicat et les membres individuels est exécutoire une fois que les employés ont accepté l'offre en se mettant en grève L'argent reçu constitue un revenu parce qu'il se rapporte directement b la période le bénéficiaire a agi, et son calcul est fonction du traitement habituel Rien dans la Loi ne permet d'exempter d'impôt l'indemnité de grève ou les grévistes Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3a), 4(1)a).
Appel est interjeté d'une décision de la Commission de révision de l'impôt ayant donné gain de cause au contribuable. Le syndicat a versé au défendeur l'équivalent de son salaire net au cours de la période il était en grève pour appuyer d'autres syndicalistes en grève. Le défendeur était membre de l'unité de négociation de la Régie des alcools qui a voté pour appuyer la grève de l'Unité de négociation de la Fonction publique. Une lettre, datée avant le déclenchement de la grève, a confirmé que les employés de la Régie des alcools seraient intégralement indemnisés de leur perte de salaire. On a versé au défendeur la somme de 880,80 $ à même le fonds de grève qui provenait des cotisations des syndiqués. L'allocation de grève habituelle s'éle- vait à 10 $ par semaine. Le ministre du Revenu national n'avait jamais frappé d'impôt les allocations de grève reçues par des syndiqués.
La demanderesse a fait valoir que l'arrangement entre le défendeur et son syndicat constituait soit un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise; le paiement reçu en vertu de ce contrat était donc imposable. Subsidiairement, elle a soutenu que la somme reçue constituait «un revenu provenant d'une source» et, par conséquent, était visée par les articles 3 et 4 de la Loi. Quant au premier argument, on s'est appuyé sur la lettre qualifiée d'accord aux termes duquel on s'engageait à verser au défendeur une somme en contrepartie de sa cessation de travail pour appuyer la grève de l'Unité de négociation de la Fonction publique. On a invoqué l'arrêt Carlill v. Carbolic Smoke Ball Company, [1893] 1 Q.B. 256 (C.A.), qui a établi la règle selon laquelle des contrats obligatoires peuvent être créés lorsqu'une offre est faite à une catégorie de personnes, et lorsque des personnes appartenant au groupe visé par l'offre agissent conformément aux conditions de l'offre. Il n'est pas nécessaire de faire connaître l'acceptation avant l'exécution. Selon le défendeur, c'est le groupe qui a décidé de déclencher la grève ou qui a accepté l'offre. Toujours selon le défendeur, comme la direction provinciale et le Liquor Board Employees Agreement Group font partie de la même entité juridique, le Saskatchewan Government Employees' Union (S.G.E.U.)
(Syndicat des employés du gouvernement de la Saskatchewan), et comme, pour ce qui est de la grève, chacun d'eux ne pouvait s'engager par contrat qu'au nom du même mandant, aucun contrat ne pouvait exister. Une personne ne peut contracter avec elle-même.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
Compte tenu de l'arrêt Goldman v. Minister of National Revenue, [1953] 1 R.C.S. 211, pour qu'une somme soit imposa- ble comme revenu pour des services rendus, l'existence d'un contrat exécutoire sur le plan juridique entre le payeur et le bénéficiaire n'est pas nécessaire. Dans Ferris (TE) v MNR, [1977] CTC 2034, la Commission de révision de l'impôt a déclaré que les indemnités de grève de base sont imposables. Toutefois, dans O'Brien (JC) c La Reine, [1985] 1 CTC 285, la Division de première instance de la Cour fédérale a statué que les indemnités de grève n'étaient pas imposables. Dans cette affaire-là, les syndicats ont publié un journal dans le but de trouver des fonds pour appuyer une grève à un journal et pour augmenter le fonds de grève. Les grévistes recevaient un pour- centage de leur salaire qui n'avait aucun rapport avec les heures travaillées. Les syndicats ont exploité le journal à des fins lucratives de leur propre chef, et non en tant que mandataires des syndiqués. Il n'existait aucun contrat relatif au mode de répartition des bénéfices. En l'espèce, il existait une entente formelle prévoyant que les employés de la Régie des alcools recevraient l'équivalent de leur salaire net à titre d'allocation de grève.
Il existait un contrat exécutoire entre le S.G.E.U. et chacun des membres à l'emploi de la Régie des alcools. Dès que le S.G.E.U. eut offert aux employés de la Régie des alcools de leur verser leur salaire net en contre-partie de leur cessation de travail à la Régie et que ceux-ci se furent exécutés, le S.G.E.U. a eu l'obligation de payer cette somme, et chacun des employés pouvait dès lors exiger du S.G.E.U. qu'il exécute son obligation. Les principes de l'affaire Carbolic Smoke Ball s'appliquent. Même si le contrat ne constituait pas un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise, étant donné qu'aucun tra vail véritable n'a été accompli, par leur grève, les employés de la Régie des alcools rendaient service au S.G.E.U. en donnant plus de poids à la grève menée par les membres de l'Unité de négociation de la Fonction publique.
Il se pose la question de savoir s'il doit y avoir exécution d'un travail véritable ou prestation de services nécessitant un certain labeur, qui se rapporte à l'argent reçu. Lorsqu'une personne reçoit des sommes d'argent pour son propre avantage, celles-ci doivent être considérées soit comme un gain de nature capitale soit comme un revenu. Appliquant le concept et l'usage cou- rants du mot «revenu», les sommes reçues doivent être un revenu par opposition à un paiement de nature capitale. Elles ne constituaient ni un don, ni une aubaine, ni un paiement à l'égard d'un bien ou d'un avantage de nature permanente ou semi -permanente. Elles se rapportaient directement et exclusi- vement à la période au cours de laquelle le bénéficiaire défen- deur a agi. Le calcul de la somme était fonction du traitement habituel. Les sommes reçues se rapprochent d'un revenu.
Rien dans la Loi ne permet de conclure que les paiements provenant d'un fonds de grève sont exempts d'impôt et que le défendeur, du fait qu'il était en grève, n'avait pas à payer d'impôt sur les sommes reçues.
La politique ministérielle de ne pas frapper d'impôt les indemnités de grève ordinaires n'a aucune incidence en l'espèce.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Carlill v. Carbolic Smoke Ball Company, [1893] 1 Q.B. 256 (C.A.); Goldman v. Minister of National Revenue, [1953] 1 R.C.S. 211; Curran v. Minister of National Revenue, [1959] R.C.S. 850.
DISTINCTION FAITE AVEC:
O'Brien (JC) c La Reine, [1985] 1 CTC 285 (C.F. 1' inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Ferris (TE) v MNR, [1977] CTC 2034 (C.R.I.); Camp- bell, S.M., v. M.N.R. (1958), 21 Tax A.B.C. 145.
DÉCISION CITÉE:
Herbert v. McQuade, [1902] 2 K.B. 631 (C.A.). AVOCATS:
W. H. G. Heinrich pour la demanderesse. Jennifer L. Garvie pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Balfour, Moss, Milliken, Laschuk & Kyle, Regina, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Appel est interjeté en l'es- pèce, pour le compte du ministre du Revenu natio nal, d'une décision de la Commission de révision de l'impôt ayant donné gain de cause au contribua- ble défendeur, à l'égard d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie par le Ministre pour l'année d'imposition 1979. (Voir [1983] CTC 2124 (C.R.I.).)
Le litige porte sur le versement, par un syndicat, d'une somme de 880,80 $ au défendeur qui travail- lait pour la Saskatchewan Liquor Board (Régie des alcools de la Saskatchewan). Le défendeur a, tout comme ses camarades de travail, fait la grève pour appuyer d'autres syndicalistes en grève. La somme de 880,80 $ équivalait au salaire net habi- tuel du défendeur au cours de la période il était en grève.
En 1979, en Saskatchewan, l'organisation des rapports employeur-employé au sein du gouverne- ment provincial, de ses divers ministères et d'au- tres entités était passablement complexe. Les employés de quarante-sept ministères, offices, commissions ou autres organismes, contrôlés ou dirigés par le gouvernement de la Saskatchewan étaient répartis entre diverses unités de négocia- tion. La Régie des alcools était du nombre. Cette unité de négociation se composait d'environ 500 membres. La Public Service Bargaining Unit (l'Unité de négociation de la Fonction publique), avec à peu près 12 000 membres, constituait la plus grande unité de négociation de l'organisme représentant les employés du gouvernement de la Saskatchewan. La Public Service Commission (Commission de la Fonction publique) était leur employeur.
Tous les employés appartenant aux diverses unités de négociation faisaient partie du Saska- tchewan Government Employees' Union (S.G.E.U.) (Syndicat des employés du gouverne- ment de la Saskatchewan). Ce syndicat avait une direction provinciale formée de vingt-huit mem- bres provenant de vingt divisions du syndicat.
La direction provinciale n'a pas participé au processus de négociation entre les diverses unités de négociation et leur employeur particulier. C'est le comité de négociation de chacune des unités de négociation qui s'est acquitté de cette tâche.
La convention collective entre la Commission de la Fonction publique et l'Unité de négociation de la Fonction publique avait pris fin le 1 er - octobre 1979. Le 17 novembre 1979, cette unité s'est mise en grève légale.
La convention collective liant la Régie des alcools n'est venue à renouvellement qu'en mars 1980.
Il ressort de la preuve que tout contrat, conclu avec l'Unité de négociation de la Fonction publi- que, devenait habituellement un contrat type, ser vant d'exemple à d'autres ententes avec d'autres unités de négociation et d'autres employeurs.
D'après la preuve, les négociations, dans ce que j'appellerai la grève dans la Fonction publique, ne se déroulaient pas de façon satisfaisante du point de vue syndical. On a donc décidé de faire pression
sur l'employeur pour accélérer les négociations et pour essayer d'obtenir de meilleures offres. Des rencontres ont eu lieu entre les représentants de la direction provinciale du S.G.E.U. et ceux de l'unité de négociation de la Régie des alcools de la Saskatchewan. Le défendeur Fries était président de la division «Régie des alcools» du syndicat. Au cours de la première réunion, on a discuté de [TRADUCTION] «... la question de la mise en grève des membres de la division "Régie des alcools" pour intensifier la grève Fonction publique/Emploi gouvernemental». Lors d'une réunion ultérieure avec le Tier 1 Committee, appelé aussi Advisory Committee (comité consultatif) de la direction provinciale, Fries aurait dit qu'il était disposé
[TRADUCTION] ... à tenir un vote auprès des membres de la division «Régie des alcools» le 24 novembre sur la question de l'appui à la grève du Public Service/Government Employment Agreement Croup, sous réserve d'une garantie que les membres seraient indemnisés pour les jours ils ne travailleraient pas et de l'approbation de la direction de la division «Régie des alcools».
L'extrait ci-dessus provient du procès-verbal joint à l'exposé conjoint des faits (pièce 2). À ce stade, le comité consultatif de la direction provin- ciale a recommandé d'accorder, s'ils cessaient de travailler pour appuyer la grève, aux membres du syndicat de la Régie des alcools [TRADUCTION] «une indemnité de grève pendant la durée de leur cessation de travail». La direction provinciale a adopté le procès-verbal du comité consultatif.
Les employés de la division «Régie des alcools» ont voté en faveur d'une grève de solidarité. Les membres savaient qu'on recommanderait le rem- boursement intégral de leur perte de salaire. Voici le texte d'une lettre datée du 23 novembre 1979 qu'a adressée la direction provinciale au défen- deur, en sa qualité de «président», et à tous les membres de la Division «Régie des alcools»:
[TRADUCTION] La présente a pour but de confirmer que le comité consultatif de la direction provinciale, au nom de cette dernière, a accepté, au cas les employés de la Régie des alcools s'engageraient à appuyer les grévistes du Public Ser- vice/Government Employment Agreement, de leur verser inté- gralement la rémunération perdue de façon à ce qu'ils ne subissent aucune perte pécuniaire, y compris une perte de prestations de pension, etc.
Du 26 novembre au 17 décembre 1979, un grand nombre d'employés de la Régie des alcools, dont le défendeur, se sont mis en grève pour
appuyer l'Unité de négociation de la Fonction publique. Voici l'aveu fait dans les plaidoiries:
[TRADUCTION] 7. Le défendeur a cessé de travailler pour son employeur, la Régie des alcools de la Saskatchewan, pendant la période allant du 26 novembre au 17 décembre 1979.
À l'époque, dans la province de la Saskatche- wan, la grève des employés de la Régie des alcools était, dans les circonstances, parfaitement légale, même si leur convention collective n'a expiré qu'en mars 1980.
On a versé au défendeur la somme de 880,80 $ à même le fonds de défense, ou «fonds de grève», établi dans les comptes du S.G.E.U. Ce fonds, ainsi que d'autres, provenaient des cotisations des syndiqués, dont le défendeur.
La «strike stipend» (allocation de grève) habi- tuelle, suivant l'expression utilisée par le syndicat, versée à tout membre en grève, s'élevait ordinaire- ment à 10 $ par semaine.
La décision concernant le paiement d'une allo cation de grève et les sommes à verser relevait uniquement de la direction provinciale. Il ressort de la preuve produite que, dans d'autres cas, elle avait autorisé le paiement d'allocation de grève atteignant quatre-vingts pour cent du salaire brut. En l'espèce, elle a autorisé une allocation de grève équivalant au salaire net total.
La preuve a démontré que dans d'autres cas, le ministre du Revenu national n'avait jamais frappé d'impôt les allocations de grève reçues par des syndiqués.
Le cas de M. Fries est un cas-type. D'autres employés en grève de la Régie des alcools ont reçu des allocations ou «indemnités de grève» et, si j'ai bien compris, le Ministre a établi de semblables cotisations à leur encontre.
J'aborde maintenant le droit et les arguments invoqués par les parties.
Les points litigieux dépendent de l'interprétation des alinéas 3a) et 4(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, modifiée par S.C. 1970-71-72, chap. 63. L'alinéa 3a) prévoit que le revenu d'un contribua- ble pour l'année doit être calculé en déterminant tout d'abord, et je cite:
3....
a) ... le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital
imposable résultant de la disposition d'un bien), dont la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui pré- cède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;
Les passages pertinents de l'alinéa 4(1)a) sont ainsi conçus:
4. (1) ...
a) le revenu ... d'un contribuable pour une année d'imposi- tion, provenant d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise, de biens ou d'une autre source, ou de sources situées dans un endroit déterminé, signifie le revenu ... du contribuable, calculée conformément à la présente loi ...
L'avocat qui a comparu pour le compte du Ministre a fait valoir que l'arrangement entre le défendeur et son syndicat équivalait soit à un contrat de louage de services soit, plus probable- ment, à un contrat d'entreprise et que le paiement reçu en vertu de ce contrat était donc imposable. Subsidiairement, il a soutenu que, quoi qu'il en soit, la somme reçue constituait [TRADUCTION] «un revenu provenant d'une source» et, par consé- quent, était visée par les dispositions précitées des articles 3 et 4 de la Loi.
Quant au premier argument, la demanderesse prétend que le S.G.E.U. s'est adressé au défendeur pour obtenir de l'aide dans la grève qui était déjà en cours. On s'est particulièrement appuyé sur la lettre du 23 novembre dont j'ai fait mention. On l'a qualifiée d'accord aux termes duquel la direc tion provinciale s'est engagée au nom du syndicat à verser au défendeur et à ses camarades de travail une somme en contrepartie de leur cessation de travail pour appuyer la grève de l'Unité de négo- ciation de la Fonction publique. On a invoqué l'arrêt classique Carlill v. Carbolic Smoke Ball Company, [1893] 1 Q.B. 256 (C.A.), qui a établi la règle selon laquelle, dans certains cas, des con- trats obligatoires sur le plan juridique peuvent être créés lorsqu'une offre est faite au public en géné- ral, ou à une catégorie de personnes, et lorsque des personnes appartenant au groupe visé par l'offre agissent conformément aux conditions de l'offre. Dans ces cas, le fait de se conformer aux condi tions de l'offre vaut acceptation; il n'est pas néces- saire de faire connaître cette acceptation avant l'exécution lorsque les faits révèlent que l'auteur de l'offre n'exige pas une acceptation préalable.
De son côté, le défendeur soutient toutefois que ce n'est pas lui qui a décidé de déclencher la grève
mais plutôt le Liquor Board Employees Agree ment Group collectivement, à la suite d'un vote majoritaire de ce groupe, et qu'en vertu des statuts du S.G.E.U., il était tenu de faire grève en tant que membre de ce groupe. Autrement dit, l'offre provenait de la direction provinciale du syndicat; l'acceptation ne serait que le fait du Liquor Board Employees Agreement Group. Le défendeur a en outre fait valoir que comme la direction provin- ciale et le Liquor Board Employees Agreement Group font tous deux partie de la même entité juridique, à savoir le S.G.E.U. et que comme, pour ce qui est de la grève, chacun d'eux ne pouvait s'engager par contrat qu'au nom du même man- dant, aucun contrat ne pouvait exister en droit. Le fait qu'une personne ne puisse contracter avec elle-même est évidemment un principe bien établi en droit et l'expression du bon sens même.
L'affaire Goldman v. Minister of National Revenue, [1953] 1 R.C.S. 211, porte sur la ques tion de savoir si l'existence d'un contrat exécutoire sur le plan juridique est nécessaire pour rendre une somme reçue imposable à titre de revenu du béné- ficiaire pour services rendus. Le juge Kellock (le juge en chef de même que les juges Locke et Fauteux étant concourants) a approuvé en ces termes cet exposé du droit formulé dans l'affaire anglaise Herbert v. McQuade la page 214):
[TRADUCTION] Dans Herbert v. McQuade ([1902] 2 K.B. 631 (C.A.)), la question en litige découlait de l'annexe E de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1842, qui assujettissait à l'impôt «les personnes qui, respectivement, occupent, utilisent ou exer- cent les charges ou emplois rémunérés» figurant à l'annexe E pour «tous ... avantages, quels qu'ils soient, provenant de ces charges (ou) emplois...» Se reportant à une décision anté- rieure, Collins M.R., a dit, à la page 649, que:
un paiement peut être assujetti à l'impôt sur le revenu même s'il a été volontairement effectué par le payeur, et que le critère consiste à déterminer si, du point de vue du bénéfi- ciaire, ce paiement lui a été fait en conséquence de sa charge; dans l'affirmative, il importe peu de savoir si le paiement était volontaire ou obligatoire de la part du payeur.
J'estime que ce raisonnement s'applique également aux paie- ments effectués à une personne «concernant» une charge ou un emploi.
Le juge Rand, qui a souscrit au résultat dans l'affaire Goldman mais rédigé des motifs distincts, s'est exprimé en ces termes (aux pages 217 et 218):
[TRADUCTION] Le fait que les deux parties ont voulu que l'argent soit payé et reçu à titre de rémunération pour les services rendus par Goldman en sa qualité de président du
comité ne prête pas à équivoque. Le procureur a effectivement servi d'intermédiaire entre la société et Goldman. On a insisté pour dire que le paiement était volontaire. Mise à part la question d'une fiducie expresse, on peut présumer que le procu- reur n'était pas juridiquement tenu d'effectuer le paiement; mais le fait qu'il était lié par l'entente commune, peu importe la nature de celle-ci ou le nom qu'on peut lui donner, ne fait également aucun doute. Il a volontairement assumé l'obligation née à tout le moins de la parole qu'il a donnée dans une relation économique; mais on ne doit pas confondre le caractère volon- taire du geste qu'il a posé en conséquence avec celui que revêt une donation.
Même si l'affaire Goldman portait sur la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu [S.R.C. 1927, chap. 97], j'estime néanmoins qu'elle démontre la proposition selon laquelle, pour qu'une somme soit imposable comme revenu pour des services rendus, l'existence d'un contrat exécutoire sur le plan juri- dique entre le payeur et le bénéficiaire n'est pas nécessaire.
Dans l'affaire Campbell, S.M., v. M.N.R. (1958), 21 Tax A.B.C. 145, la Commission d'appel de l'impôt a, en application des décisions Goldman et McQuade, décidé qu'un paiement de 5 000 $ fait à titre gratuit par un journal à une nageuse professionnelle pour sa tentative louable de traver- ser à la nage le lac Ontario constituait pour cette dernière un revenu découlant de services rendus et ce, malgré l'absence de toute obligation légale de la part du journal de verser la somme étant donné que la nageuse n'était pas parvenue à traverser le lac.
Dans l'affaire Ferris (TE) v MNR, [1977] CTC 2034, la Commission de révision de l'impôt a déclaré (bien qu'il s'agisse, semble-t-il, d'une opi nion incidente) que les indemnités de grève de base sont imposables. Dans une décision récente, O'Brien (JC) c La Reine, [1985] 1 CTC 285 (C.F. I re inst.), mon collègue le juge Walsh a contesté le point de vue exprimé dans l'affaire Ferris. Dans l'affaire O'Brien, plusieurs syndicats, dans le but de trouver des fonds pour appuyer une grève à un journal et, de façon générale, pour augmenter le fonds de grève, ont mis sur pied et publié, pendant la durée de la grève, un journal qui a rapporté des bénéfices. Les indemnités de grève habituelles ainsi que des allocations supplémentaires ont été versées aux employés en grève du journal selon une formule déterminée figurant aux statuts du syndi- cat. La formule reposait sur un certain pourcen- tage du salaire que gagnait chaque membre avant
la grève. Les sommes reçues n'avaient absolument aucun rapport avec les heures travaillées au jour nal durant la grève. Seuls ceux qui ont refusé de faire du piquetage ou d'accomplir quelque travail que ce soit pendant la grève n'ont pas eu droit à ces indemnités. Les indemnités de grève du deman- deur ont, dans ces circonstances, été jugées non imposables.
Dans l'affaire O'Brien, on a conclu au fait que les syndicats ont exploité le journal à des fins lucratives de leur propre chef, et non en tant que mandataires des syndiqués.
On a en outre conclu à l'inexistence d'un contrat avec les syndiqués relativement au mode de répar- tition des bénéfices.
On ne peut certes pas en dire autant de l'affaire dont je suis saisi. Il existait, entre le S.G.E.U. et les employés de la Régie des alcools, une entente formelle prévoyant que ces derniers, contrairement aux membres de l'Unité de négociation de la Fonc- tion publique, recevraient l'équivalent de leur salaire net à titre d'allocation de grève.
Quoi qu'il en soit, compte tenu des faits de l'espèce, je suis disposé à conclure qu'il existait un contrat exécutoire, non pas entre le S.G.E.U. et le Liquor Board Employees Agreement Group, qui constituait une composante juridique du S.G.E.U., mais entre ce dernier et chacun de ses membres à l'emploi de la Régie des alcools. Dès que le S.G.E.U. eut offert aux employés de la Régie des alcools de leur verser leur salaire net en contrepar- tie de leur cessation de travail à la Régie et que ceux-ci se furent exécutés, le S.G.E.U. a eu l'obli- gation de payer cette somme à chacun des employés qui, dès lors, pouvait légalement exiger du S.G.E.U. qu'il exécute cette obligation. Ce qui ne constituait au départ qu'un arrangement ou un accord non exécutoire entre le S.G.E.U. et le Liquor Board Employees Agreement Group est devenu, une fois conclu et communiqué aux employés eux-mêmes, une offre de paiement en contrepartie d'un service rendu. Les principes de l'affaire Carbolic Smoke Ball s'appliquent. Même le contrat ne constituait pas ce qu'on appelle com- munément un contrat de louage de services ou un contrat d'entreprise, étant donné qu'aucun travail véritable n'a été accompli, par leur grève, les employés de la Régie des alcools rendaient indubi-
tablement service au S.G.E.U. en donnant plus de poids à la grève menée par les membres de son Unité de négociation de la Fonction publique.
Ceci nous amène à la question de savoir si, pour qu'il y ait revenu, il doit y avoir exécution d'un travail véritable ou prestation de services nécessi- tant un certain labeur, l'exercice d'une quelconque activité ou l'emploi, dans une certaine mesure, d'aptitudes, d'expertise et de réflexion ainsi qu'une certaine dépense d'énergie de la part du bénéfi- ciaire se rapportant d'une façon ou d'une autre à l'argent reçu. En ce sens, il semble que le seul service rendu par le défendeur ait été l'accomplis- sement de ses obligations normales de piquetage pendant la grève. Bien entendu, il s'agit d'un service minime en regard de l'avantage que le S.G.E.U. a tiré de l'arrêt de travail du défendeur à la Régie des alcools ou, autrement dit, de son inaction.
Dans l'arrêt Curran v. Minister of National Revenue, [1959] R.C.S. 850, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la nature du mot «revenu» utilisé dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Les faits de cette affaire ne ressemblent pas du tout à ceux de l'espèce. L'affaire Curran portait sur le versement d'une somme de 250 000 $ à un contribuable pour qu'il démissionne de son poste dans une société et accepte de travailler pour une entreprise dans laquelle le payeur avait des intérêts. La question litigieuse consistait à détermi- ner s'il s'agissait d'un gain de nature capitale ou de revenu. Dans son arrêt, la Cour suprême a statué que, comme le mot «revenu» n'était pas défini de façon détaillée dans la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948, ce mot devait être pris dans son acception courante en ayant à l'esprit la distinction entre capital et revenu et les concepts et usages univer- sellement reconnus. Le juge en chef Kerwin, aux motifs duquel les juges Locke et Judson ont sous- crit, a dit aux pages 854 et 855:
[TRADUCTION] Ainsi qu'il a été souligné dans l'arrêt Banner- man v. Minister of National Revenue rendu récemment par cette Cour, le mot «revenu» n'est pas défini de façon détaillée comme il l'a été dans la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu. Ce mot doit être pris dans son acception courante en ayant à l'esprit la distinction entre capital et revenu et les concepts et usages courants universellement reconnus. D'après la jurispru dence, il est certain que la loi doit utiliser des termes précis pour imposer le revenu du contribuable et que celui-ci a le droit
d'aménager ses affaires de manière à réduire l'incidence de l'impôt. Cependant, sa tentative sera infructueuse si les termes de la loi fiscale visent clairement la transaction.
Le juge Martland, qui est arrivé à la même conclu sion sur le pourvoi, n'a pas traité directement du sens du mot «revenu».
À mon avis, lorsqu'une personne reçoit des sommes, en l'occurrence des sommes d'argent, pour son propre avantage, celles-ci doivent, en général, être considérées soit comme un gain de nature capitale soit comme un revenu. Je ne con- nais aucune autre catégorie; toutes les affaires fiscales semblent classer de tels gains dans l'une ou l'autre de ces catégories, à moins que, peut-être, les sommes en question ne soient qu'une sorte de simple remboursement. Il est possible que les dons appartiennent à une catégorie distincte—a une sorte de zone mal définie.
Compte tenu des faits de l'espèce, si j'applique le concept et l'usage courants du mot «revenu», je ne peux voir dans les sommes reçues autre chose qu'un revenu par opposition à un paiement de nature capitale. Elles ne constituaient ni un don, ni une aubaine, ni un paiement à l'égard d'un bien ou d'un avantage de nature permanente ou semi -per- manente. Au contraire, elles se rapportaient direc- tement et exclusivement à la période au cours de laquelle le bénéficiaire défendeur a agi (ou refusé d'agir) et à la période le payeur a tiré profit de ce que le bénéficiaire a accepté de faire.
Le défendeur et ses compagnons de travail ont reçu des sommes correspondant à celles qu'ils rece- vaient habituellement de leur employeur. Le calcul de la somme était fonction de leur traitement habituel. Durant la période en cause, les sommes versées au titre des allocations provenaient d'une nouvelle source, autre que l'employeur. Les employés de la Régie des alcools ont exercé le droit qu'ils avaient alors de fournir ou non leurs services à leur employeur, pour des fins tactiques, dans le cadre des stratégies syndicales-patronales.
Bien que le critère ne revienne pas à dire: si ce n'est pas un gain de nature capitale, c'est donc inévitablement un revenu, les sommes reçues en l'espèce se rapprochent plus d'un revenu que d'au- tre chose.
Il va de soi que ce n'est pas tout «revenu» qui est imposable sous le régime de la Loi de l'impôt sur
le revenu. Il existe des exceptions visant certaines personnes, corporations ou organisations ainsi que certains types de revenu selon sa source ou sa nature. L'alinéa 3a) de la Loi prévoit que le «revenu ... dont la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada» est imposable. En l'espèce, la source était le S.G.E.U. et plus particulièrement son fonds de grève. Rien dans la Loi ne me permet de conclure que les paiements provenant d'un fonds de grève sont exempts d'impôt. Quant au bénéficiaire du paiement ainsi qu'à la nature du paiement, encore je ne trouve rien dans la Loi ni dans quelque autre texte législatif pertinent qui permette de conclure que le défendeur, du seul fait qu'il était en grève, n'avait pas à payer d'impôt sur les sommes reçues. Il m'est également impossible de conclure que les paiements effectués dans le présent contexte sont d'une façon ou d'une autre exonérés d'impôt.
On a rapporté la preuve de la politique cons- tante du Ministère et des agents de cotisation de ne pas frapper d'impôt quelque indemnité de grève ordinaire reçue par un contribuable et versée par suite d'un conflit de travail. J'accepte cette preuve sans réserve. Toutefois, elle n'a aucune portée réelle sur le présent litige. La manière dont les dispositions d'une loi sont appliquées par les fonc- tionnaires responsables n'a jamais pour effet de modifier le fond ou le sens de ces dispositions. Il est fort possible que la décision administrative de ne pas frapper d'impôt les indemnités de grève ordinaires n'a pas été prise pour d'autre raison que le fait qu'elle était moins controversée sur le plan politique.
Je ne saurais souscrire au raisonnement du membre de la Commission de révision de l'impôt qui a présidé l'audition, ni à sa conclusion.
J'en arrive à la conclusion que les sommes reçues par le défendeur constituaient un revenu et n'étaient pas exemptes d'impôt.
J'ajoute ceci. Ceux d'entre nous qui ont reçu une formation de common law s'appuient générale- ment de façon si importante sur la jurisprudence que l'application d'une pratique administrative au cours d'une période prolongée peut fréquemment créer l'impression que cette pratique est, en fait, conforme au droit positif. Peut-être le Parlement devrait-il prescrire si les indemnités de grève ordi-
paires ainsi que toutes les autres allocations de grève supplémentaires ou extraordinaires doivent ou non être imposées. Il semble que cette question ait effectivement été soulevée lors de la promulga tion des modifications apportées à la Loi de l'im- pôt sur le revenu, mais qu'on n'en ait jamais réellement traité. À ce sujet, je cite l'extrait sui- vant du paragraphe 26,460 de l'ouvrage Income Taxation in Canada, vol. II, publié par Prentice - Hall Canada Inc.:
[TRADUCTION] L'indemnité de grève est une anomalie. Les sommes (cotisations syndicales) à même lesquelles est payée l'indemnité de grève sont entièrement déductibles entre les mains d'employés tout comme le sont, par exemple, les primes d'assurance-chômage. Par contre, les prestations d'assurance- chômage sont assujetties à l'impôt. En présumant qu'une grève est volontaire et que le chômage ne l'est pas, on aurait pu croire que, s'il devait y avoir une exception, ce sont les prestations d'assurance-chômage qui auraient été exonérées d'impôt. Mani- festement, cette anomalie est survenue au cabinet, car le pre mier projet de loi portant réforme de la fiscalité laissait voir l'expression [TRADUCTION] "indemnité de grève" à titre de note marginale visant les sommes à inclure au revenu, mais sans comporter de disposition qui y corresponde.
L'appel est accueilli. La cotisation est confir- mée. La demanderesse a droit aux dépens.
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