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T-7060-82
Michael Bishop et Agence canadienne des droits de reproduction musicale limitée (demandeurs)
c.
Martin Stevens, P.B.I. Records, Manacord Pub., François Pilon, Son Soleil Inc., Downstairs Records Ltd., Unidisc Productions Ltd., Télé- Métropole inc., CRC Records Ltd. et Enregistre- ments Audiobec Canada Inc.—Audiobec Recor ding Canada Inc. (défendeurs)
Division de première instance, juge Strayer— Toronto, 15, 16, 17, 18 et 19 octobre 1984; Ottawa, 15 avril 1985.
Droit d'auteur Préenregistrement d'une chanson pour fin de diffusion Le processus de délivrance des licences prévu aux art. 48 à 50 de la Loi autorise-t-il le préenregistrement pour des fins de diffusion? Il faut interpréter l'art. 48 en tenant compte des autres dispositions de la Loi La défini- tion du terme «exécution» contenue à l'art. 2 est muette en ce qui concerne l'enregistrement, c'est-à-dire la conservation de l'exécution à l'aide de moyens mécaniques ou électroniques pour une représentation future La Loi établit une distinc tion entre l'enregistrement et l'exécution Le processus de délivrance des licences se limite aux «droits d'exécution» et n'est pas destiné à couvrir les droits d'enregistrement Il n'est d'aucune utilité de recourir à la pratique qui est suivie dans le domaine de la télévision Il est inutile d'invoquer les règles d'interprétation des contrats car la Loi n'est pas ambi- guë Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2, 3(1)a),d), 12(4), 17(1), 19, 21, 22, 48, 49, 50 Code civil du Bas-Canada, art. 1016 Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. 2, chap. 74, art. 6(7) (R.-U.) Copyrights, 17 U.S.C. § 112 (1976) Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(23).
Les faits de l'espèce, ainsi qu'un bon nombre des points qui y étaient en litige, ont été résumés dans la Note de l'arrêtiste infra. Le présent sommaire se limite donc à la question de l'application de la Loi sur le droit d'auteur au préenregistre- ment pour fin de diffusion.
Jugement: les portions des bandes magnétoscopiques conte- nant l'enregistrement en cause doivent être effacées sans qu'au- cune autre copie en soit faite.
La défenderesse Télé-Métropole fonde son autorité pour préenregistrer la chanson sur l'interprétation large de l'expres- sion «exécution publique», faite par le juge Archambault dans l'affaire Rochat. Celui-ci a statué dans l'affaire Rochas que le droit d'exécution publique comprenait le droit d'enregistrer les paroles et la musique de la chanson sur bandes magnétoscopi- ques pour fin de diffusion publique à la radio ou à la télévision. La défenderesse prétend que cette interprétation est permise par le système de délivrance des licences prévu aux articles 48 à 50 de la Loi. Le paragraphe 48(1) décrit cette question comme des «licences pour l'exécution ... d'oeuvres musicales». Il parle
des sociétés qui acquièrent des droits d'exécution et qui possè- dent l'autorité «d'émettre ou d'accorder des licences d'exécution ... pour ... l'exécution de ses oeuvres». Il faut interpréter ces dispositions législatives en tenant compte des autres parties de la Loi. L'article 2 de la Loi définit le terme «exécution» mais ne parle pas de l'enregistrement, c'est-à-dire la préservation de l'exécution à l'aide de moyens mécaniques ou électroniques pour une représentation future. L'article 3 énonce dans deux alinéas distincts les droits d'exécution et les droits d'enregistre- ment. L'article 19 prévoit un régime différent pour ce qui constitue en fait une licence obligatoire relative à l'enregistre- ment. La Loi établit donc une distinction claire entre la simple exécution et l'enregistrement. Le processus de délivrance des
licences prévu aux articles 48 50 de la Loi, et qui se limite comme tel aux «droits d'exécution», ne visait pas à inclure les droits d'enregistrement.
Il n'appartient pas à la Cour d'affirmer que les droits d'exé- cution incluent les droits d'enregistrement, sauf dans certains cas. C'est ce que la Cour a voulu faire dans la décision Rochat elle a dit que le droit d'exécution incluait le droit d'enregis- trement «pour fin de diffusion publique à la radio ou à la télévision» mais non «pour fins commerciales». Le législateur seul devrait être autorisé à faire une telle distinction. En l'absence d'une intervention du pouvoir législatif au Canada, les titulaires et les utilisateurs des droits mécaniques peuvent régir ces arrangements par contrat, d'une manière qui reconnaît adéquatement leurs intérêts respectifs.
Il n'est pas utile de recourir à la pratique suivie dans le domaine de la télévision et on ne peut certes pas y recourir en invoquant les règles d'interprétation des contrats comme ce fut le cas dans l'affaire Rochat. La Loi ne contient aucune ambi- guïté qui justifie une telle pratique.
JURISPRUDENCE DÉCISION ÉCARTÉE:
Rochat et Lefort c. Société Radio-Canada, jugement en date du 27 septembre 1974, Cour supérieure du Québec, résumé à [1974] C.S. 638.
DÉCISION EXAMINÉE:
Blue Crest Music Inc. et autres c. Canusa Records Inc. et autres (1974), 17 C.P.R. (2nd) 149 (C.F. 1"» inst.).
AVOCATS:
R. T. Hugues, c.r. et J. N. Allport pour les
demandeurs.
J. A. Léger et L. Carrière pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Sim, Hugues, Toronto, pour les demandeurs. Léger, Robic & Richard, Montréal, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé que le présent jugement de 28 pages devrait être publié en version abré- gée. Un point en litige en l'espèce revêtait un intérêt particulier. Il s'agissait de savoir si les dispositions de la Loi sur le droit d'auteur (S.R.C. 1970, chap. C-30) s'appliquent au préenregistre- ment pour fins de diffusion. La défenderesse, Télé-Métropole Inc., a invoqué la décision Rochat et Lefort c. Société Radio-Canada, rendue par le juge Archambault de la Cour supérieure du Québec le 27 septembre 1974, et résumée à [1974] C.S. 638, mais le juge Strayer a été inca pable de souscrire à la conclusion formulée dans cette affaire. Les motifs de jugement portant sur cette question (qui correspond à la rubrique d) de la partie des motifs du jugement intitulée Conclu sions) sont repris ici dans leur intégralité. Les parties dudit jugement qui ont été laissées de côté ont été résumées.
Le demandeur Bishop est un compositeur et est membre associé de la Performing Right Society Ltd. qui est une association anglaise dont le rôle est de protéger et de faire respecter les droits d'auteur sur des oeuvres musicales dont ses membres sont titulaires. Il est citoyen de la Barbade.
En 1978, alors qu'il travaillait comme chef d'un orchestre de variétés à Toronto, il a composé la musique et les paroles d'une chanson intitulée Stay. La musique a été envoyée à la Société avec un «relevé des travaux» signé. Le groupe de Bishop a interprété la chanson Stay et des «bandes d'essai» en ont été faites.
En 1980, le défendeur Stevens était présent parmi les spectateurs dans un bar de la ville de Québec lorsque le groupe de Bishop a interprété la chanson Stay. Stevens est un interprète de chansons populaires. La chanson l'a favorable- ment impressionné et il en a discuté avec Bishop. Même si les parties ont gardé un souvenir diffé- rent de cette conversation, aucun accord écrit autorisant Stevens à enregistrer la chanson n'a été conclu.
Stevens a néanmoins modifié un peu la chan- son, l'a intitulée Please Stay et en a rédigé une version française intitulée Ne t'en vas (sic) pas. Son enregistrement a été mis en vente en 1981. Les paroles françaises étaient très différentes du texte original et ne constituaient pas une simple traduction. L'affidavit d'un expert a été déposé. Il portait que la «chanson de Stevens» était une copie réelle de la «chanson de Bishop». Cette preuve n'a pas été contestée.
Même si Bishop savait que Stevens préparait un enregistrement, il ignorait qu'on avait en fait produit un disque jusqu'à ce qu'un ami l'informe qu'il avait entendu la chanson française à la radio. L'étiquette du disque indiquait que Stevens était à la fois le compositeur et l'interprète de la chan- son. Il s'agissait d'un disque 45 tours portant la chanson anglaise d'un côté et la version française de l'autre. Bishop s'est plaint à Stevens qui a fait porter le blâme à l'éditeur.
Stevens a également participé en 1981 au préenregistrement d'une émission de télévision au cours duquel on a fait jouer la chanson fran- çaise et Stevens a fait semblant de chanter. Stevens a aussi participé au préenregistrement d'une autre émission de télévision, mais cette fois, il a réellement interprété la version française de la chanson.
A la suite de ces deux diffusions, Bishop a signé un «contrat d'affiliation> avec l'Agence canadienne des droits de reproduction musicale limitée (cMRRA) qui représente les compositeurs au sujet des droits d'enregistrement. Suivant les termes de ce contrat, la CMRRA se voyait conférer le droit de faire respecter les droits de Bishop et d'intenter les actions en justice nécessaires. C'est sur le fondement de ce contrat que la CMRRA était codemanderesse en l'espèce. En 1982, Bishop a obtenu au Bureau du droit d'auteur l'enregistre- ment du droit d'auteur sur la chanson Stay.
Au moment de l'instruction, il était clair que les demandeurs n'avaient aucun argument pour justi- fier leur plainte au sujet de la télédiffusion des émissions parce que /e télédiffuseur avait dûment rapporté à l'Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada, Limitée (cAPAc) l'utilisation de la chanson et avait payé les droits
exigés. La CAPAC a porté au compte de Bishop les tantièmes auxquels il avait droit. La question à trancher concernait le pré enregistrement de la chanson sur bande magnétoscopique pour les deux émissions.
Les demandeurs fondent essentiellement leur demande sur l'alinéa 3(1)d) de la Loi sur le droit d'auteur qui porte:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'oeuvre n'est pas publiée, de publier l'ceuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels ]'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;
Ils affirment ainsi que la personne qui est titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre musicale a seule le droit de «confectionner ... tout ... film cinémato- graphique ... à l'aide d[u]quel l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécanique- ment». À leur avis, l'enregistrement d'une bande magnétoscopique en vue de sa diffusion constitue la confection d'un tel film. Ils invoquent en outre le paragraphe 17(1) de la Loi qui prévoit:
17. (1) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur sur une œuvre, quiconque, sans le consentement du titulaire de ce droit, exécute un acte qu'en vertu de la présente loi seul ledit titulaire a la faculté d'exécuter.
Ils nient que Bishop qui, à leur avis, est le titulaire du droit d'auteur, a consenti à la confection d'un tel enregistrement. Ils ont établi en preuve que la défenderesse Télé-Métropole a conservé les bandes magnétoscopiques de ces émissions et qu'il lui est possible de les réutiliser, d'en faire des copies ou de les vendre à d'autres personnes pour qu'elles en fassent un usage très différent de celui qui en a déjà été fait. Ils prétendent par conséquent que, avant de faire les enregistrements vidéo de la chanson au cours de la réalisation de ces deux émissions, Télé-Métropole aurait obtenir le consentement de Bishop et aurait verser des honoraires négociés. Les demandeurs ont présenté une preuve montrant que des honoraires adéquats dans un tel cas se situeraient probablement entre 50 $ et 100 $ (U.S.).
La défenderesse prétend plutôt que Bishop avait consenti à l'enregistrement du disque et que les présences à la télévision (y compris les préenregis- trements) n'étaient que des activités publicitaires accessoires audit enregistrement. Elle soutient en outre que la Loi sur le droit d'auteur n'interdit pas l'enregistrement à des fins de diffusion, ou que, en vertu de la licence prévue par la loi qu'elle a obtenue par l'intermédiaire de la CAPAC pour utili- ser la musique aux fins de son exécution publique, c'est-à-dire la diffusion, elle était, selon toute apparence, implicitement habilitée à l'employer pour le préenregistrement de l'émission.
a) Propriété du droit d'auteur
Le juge Strayer a conclu que Bishop possédait le droit d'auteur sur la chanson Stay et que, à titre de citoyen d'un pays du Commonwealth, il avait droit à la protection accordée par la Loi sur le droit d'auteur. ll a aussi conclu qu'il n'y avait pas eu de cession écrite du droit d'auteur comme le prévoit le paragraphe 12(4) de la Loi. La date de l'enregistrement n'était pertinente qu'en ce qui avait trait à l'application de l'article 22 de la Loi. Même lorsqu'il n'existait pas d'enregistrement au moment de la violation, un demandeur pourrait encore exercer d'autres recours que l'injonction si le défendeur ne peut prouver qu'au moment de la violation, il n'avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l'oeuvre faisait encore l'objet d'un droit d'auteur.
b) Qualité de la demanderesse CMRRA
On a allégué que la CMRRA n'avait pas qualité pour participer à l'action parce que le «contrat d'affiliation» avait été conclu par elle et Bishop quelques mois après les événements en cause. On a en outre soutenu que ledit contrat était contraire à l'ordre public parce qu'il était de la nature d'une convention de soutien ou d'un pacte de quota litis. L'Agence ne pouvait réclamer des dommages-intérêts au sujet des préenregistre- ments. Conclure que le contrat autorisait l'Agence à intenter des poursuites judiciaires pour recou- vrer les sommes payables avant la signature dudit contrat ferait en réalité du contrat un pacte de quota litis. L'Agence avait cependant intérêt à empêcher les violations futures des droits. A compter de la date de la conclusion du contrat, elle avait un intérêt commercial direct sur le droit
d'auteur en raison des droits qu'elle percevrait sur les dispositions qu'elle autoriserait.
c) Consentement
La Cour a accepté le témoignage de Bishop voulant qu'il n'avait consenti à l'enregistrement de la chanson par Stevens qu'à la condition que tout soit fait selon la «procédure appropriée». Même s'il savait que Stevens préparait l'enregistrement, Bishop croyait que des arrangements formels devaient être conclus quant au partage des pro fits avant la distribution de l'enregistrement. Il n'était pas raisonnable de la part de Stevens de présumer que Bishop consentait à la distribution du disque. Il ne pouvait donc pas y avoir de consentement implicite aux apparitions de Ste- vens à la télévision pour faire la publicité du disque.
On pourrait invoquer la décision du juge Collier dans l'arrêt Blue Crest Music Inc. et autres c. Canusa Records Inc. et autres (1974), 17 C.P.R. (2nd) 149 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le juge a statué qu'une lettre un consentement sous réserve d'une condition était accordé et était indiqué le nom du bureau il était possible d'obtenir les licences de reproduction par moyens mécaniques, ne constituait pas un con- sentement au sens du paragraphe 17(1) de la Loi. Le prétendu «consentement» dont il est question en l'espèce était encore moins formel puisqu'il s'agissait d'une conversation dans un bar.
d) Application de la Loi sur le droit d'auteur au préenregistrement pour fins de diffusion
Toutes les parties ont considéré cette question comme la plus importante du litige. La défende- resse Télé-Métropole allègue pour l'essentiel soit que la Loi sur le droit d'auteur ne réglemente pas de tels préenregistrements, soit que, en vertu des articles 48 50 de la Loi, elle détenait en fait une licence lui permettant de faire exécuter en public la chanson Ne t'en vas pas parce que Bishop, par l'intermédiaire de la PRS [Performing Right Society Ltd.], était représenté par la CAPAC. Télé- Métropole a prouvé, sans conteste, qu'elle avait dûment fait savoir que la chanson Ne t'en vas pas serait exécutée au cours des deux émissions en question et qu'elle avait versé les tantièmes requis qui ont été crédités en temps utile à Bishop par l'intermédiaire de la PRS et de la CAPAC. Télé-
Métropole soutient que les droits d'exécution incluaient le droit de préenregistrer la chanson pour chacune des deux émissions. Elle a présenté en preuve les témoignages de quelques-uns des principaux télédiffuseurs qui ont clairement établi que la plus grande partie de leurs émissions était préenregistrée. Elle allègue par conséquent que, étant donné qu'il s'agit de la manière la plus pratique de produire des émissions aux points de vue coût, commodité et qualité, il faut considérer que les droits d'exécution d'oeuvres musicales incluent le droit de les préenregistrer à des fins de diffusion seulement.
La défenderesse Télé-Métropole a invoqué prin- cipalement la décision non publiée rendue le 27 septembre 1974 par le juge Archambault de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Rochat et Lefort c. Société Radio-Canada, résumée à [1974] C.S. 638. Dans cette affaire, la défende- resse a utilisé la musique sur laquelle le deman- deur avait un droit d'auteur comme thème musical pour une émission hebdomadaire devant durer treize semaines. Bien que dans cette affaire la CAPAC ait accordé une licence écrite à la SR-C relativement à toutes les oeuvres pour lesquelles l'Association était habilitée à délivrer une licence d'exécution, il semble que le litige n'ait pas porté sur ce point. Comme c'est le cas en l'espèce, la CAPAC représentait les titulaires du droit d'auteur relativement aux droits d'exécution. Ceux-ci ont prétendu qu'une licence relative aux droits d'exé- cution n'incluait pas le droit de préenregistrer leur chanson à des fins de diffusion. Il semble que le juge Archambault ait conclu qu'il fallait détermi- ner la portée des «droits d'exécution» non pas en fonction de la Loi sur le droit d'auteur, mais plutôt en tenant compte de l'entente par laquelle les titulaires du droit d'auteur ont cédé leurs droits d'exécution à la CAPAC. Le paragraphe 1c) de cette entente porte que:
(Texte français)
le mot «exécution» désignera la reproduction ou l'interpréta- tion par quelque moyen que ce soit et les mots «exécution publique» auront le sens correspondant.
(Texte anglais)
the expression 'performing" shall mean performing by any means and in any manner and the expression 'performance" shall have a corresponding meaning.
Le juge a apparemment considéré que ce libellé était un peu ambigu et il a appliqué l'article 1016 du Code civil qui prévoit que lorsqu'un contrat contient des ambiguïtés, on peut l'interpréter par ce qui est d'usage. Il a ensuite invoqué la preuve voulant que dans le domaine de la télévision, la plupart des émissions sont préenregistrées. Il a apparemment jugé que cela constituait un «usage» qui pouvait l'aider à interpréter l'expression «droits d'exécution» dont il est fait mention dans le con- trat. Il a conclu que:
le droit d'exécution publique ... comprend le droit d'enregistrer les paroles et la musique de la chanson sur bandes magnétosco- piques pour fin de diffusion publique à la radio ou à la télévision.
Je ne peux, en toute déférence, souscrire à cette conclusion. La défenderesse fonde son autorité pour préenregistrer la chanson sur cette interpréta- tion large de l'expression «exécution publique» qui, selon elle, est permise par le système de délivrance des licences prévu aux articles 48 50 de la Loi sur le droit d'auteur. Le paragraphe 48(1) décrit cette question comme des «licences pour l'exécu- tion ... d'oeuvres musicales» ou «licences for the performance ... of ... musical works». Il parle des sociétés qui acquièrent des droits d'exécution et qui «possède[nt] l'autorité d'émettre ou d'accor- der des licences d'exécution, ou de percevoir des
honoraires . .. pour . l'exécution de ses oeuvres» ou «[toi grant performing licences or to collect fees ... in respect of the performance of its works». Il faut interpréter ces dispositions législati- ves en tenant compte d'abord des autres parties de la Loi sur le droit d'auteur et non des règles du Code civil de la province de Québec relativement à l'interprétation des contrats conclus entre les titu- laires d'un droit d'auteur et la CAPAC. Ces disposi tions sont définies comme suit à l'article 2 de la Loi:
2. In this Act
'performance" means any acoustic representation of a work or any visual representation of any dramatic action in a work, including a representation made by means of any mechani cal instrument or by radio communication;
2. Dans la présente loi
«représentation» ou «exécution» ou «audition» désigne toute reproduction sonore d'une oeuvre, ou toute représentation visuelle de l'action dramatique qui est tracée dans une oeuvre, y compris la représentation à l'aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique;
Bien qu'il soit possible qu'une séance d'enregistre- ment comporte une «exécution» ou «performance», elle comprend manifestement plus que cela. Ces définitions ne prévoient pas la conservation de l'exécution à l'aide de moyens mécaniques ou élec- troniques pour une représentation future. C'est ce que comporte l'enregistrement. C'est sans aucun doute pour cette raison qu'à l'article 3 de la Loi, qui décrit expressément les divers droits visés par le droit d'auteur, les droits d'exécution sont énon- cés à l'alinéa 3(1)a) et les droits d'enregistrement, à l'alinéa 3(1)d). L'enregistrement a manifeste- ment un but additionnel ou différent qui le distin- gue de la simple exécution. Je n'admets donc pas que le processus de délivrance des licences prévu aux articles 48 50 de la Loi, qui se limite comme tel aux «droits d'exécution», visait à inclure les droits d'enregistrement. Cette conclusion est, à mon avis, renforcée par le fait que l'article 19 de la Loi prévoit un régime différent pour ce qui consti- tue en fait une licence obligatoire relative à l'enre- gistrement. Bien que l'avocat de la défenderesse insiste pour dire que tout usage qui n'est pas interdit par la Loi sur le droit d'auteur est permis, je conclus que ce genre de préenregistrement est prohibé par l'alinéa 3(1)d).
Je ne crois pas qu'il soit utile de recourir à la pratique qui est suivie dans le domaine de la télévision. On ne peut certes pas y recourir en invoquant les règles d'interprétation des contrats. Bien qu'il puisse être approprié dans le domaine de l'interprétation des lois, lorsqu'une loi est ambiguë, d'examiner d'autres interprétations afin de déter- miner laquelle causera le moins de problèmes ou d'inconvénients, laquelle sera la plus raisonnable ou la plus compatible avec le but de la Loi, à mon avis, la Loi ne contient aucune ambiguïté qui justifierait une telle pratique.
Il est possible que, en raison de la technologie moderne, la Loi telle qu'elle existe actuellement ait des conséquences fâcheuses pour certaines person- nes. Mais à mon avis, la Loi établit une distinction entre les simples droits d'exécution et les droits d'enregistrement, et il n'appartient pas à la Cour d'affirmer que les premiers incluent les derniers, sauf dans certains cas. C'est ce que le juge Archambault a voulu faire dans Rochat lorsqu'il a dit que les droits d'exécution incluaient les droits d'enregistrement «pour fin de diffusion publique à
la radio ou à la télévision», mais non «pour fins commerciales». Sauf erreur, la Loi ne contient aucune disposition à cet effet. Il me semble qu'il s'agit d'une caractérisation ou d'une distinction qui, le cas échéant, devrait être faite par le législa- teur et non par les tribunaux. Il est significatif qu'on ait adopté aux États-Unis et au Royaume- Uni des lois permettant l'enregistrement pour fins de diffusion sans qu'il soit nécessaire de détenir une licence de droit d'auteur distincte, mais sous réserve de certaines restrictions quant aux fins pour lesquelles l'enregistrement peut être utilisé et quant à la durée ou au but pour lequel il peut être conservé: voir la loi intitulée Copyrights, 1976, U.S. Code, 1909, Titre 17, § 112 (E.-U.); et le Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. 2, chap. 74, art. 6(7) (R.-U.). Ce sont des restrictions arbitraires qui, si raisonnables qu'elles puissent être au point de vue de l'intérêt public, ne peuvent pas être définies par les tribunaux. En l'absence d'une intervention du pouvoir législatif au Canada, les titulaires et les utilisateurs des droits mécaniques peuvent régir ces arrangements par contrat, d'une manière qui reconnaît adéquatement leurs intérêts respectifs.
Je conclus, par conséquent, que la licence confé- rée par la loi dont jouissait la défenderesse Télé- Métropole relativement aux droits d'exécution de la chanson Stay ne comportait pas l'autorité de préenregistrer ladite chanson. En l'absence d'une licence permettant d'utiliser la musique à des fins d'enregistrement, le préenregistrement de celle-ci par la défenderesse équivalait dans les deux occa sions à la violation du droit d'auteur de Bishop.
e) Redressements
Les dommages-intérêts compensatoires de- vraient être fixés à 150 $.
Pour ce qui est des dommages-intérêts exem- plaires, ils sont accordés dans les cas l'on peut qualifier la conduite reprochée au défendeur d'insouciante ou de délibérée. En l'espèce, la station de télévision a agi de bonne foi en suppo- sant que Stevens avait le droit d'enregistrer la chanson dans son studio.
Il n'y avait pas lieu non plus d'accorder une injonction car aucune preuve ne montrait que la défenderesse continuerait à violer le droit d'au- teur des demandeurs.
Quant à l'argument de la défenderesse voulant que l'article 21 de la Loi sur le droit d'auteur (qui prévoit la remise des exemplaires contrefaits et des planches qui ont servi à leur confection) soit ultra vires parce qu'il définit ou modifie le droit de propriété, question qui relève de la compétence des législatures provinciales, il ne pouvait être accepté. Dans l'exercice de sa compétence en matière de «droits d'auteur» prévue à la rubrique 91(23), le Parlement pouvait modifier accessoire- ment des droits de propriété qui, par ailleurs, relèvent de la compétence des provinces. La Cour ordonne donc que les portions des bandes magnétoscopiques contenant l'enregistrement de la chanson Ne t'en vas pas soient effacées sans qu'aucune autre copie en soit faite.
Aucun des arguments avancés n'a convaincu la Cour qu'il y avait lieu d'accorder des frais extraju- diciaires; c'est pourquoi les demandeurs n'auront droit qu'aux frais entre parties.
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