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T-743-83
Henri Joseph Lucien Zephrien Fortin (requérant) c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, solliciteur général du Canada, procureur général du Canada (intimés)
Division de première instance, juge Rouleau— Montréal, 6 mai; Ottawa, 13 mai 1985.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative GRC Le certiorari est demandé, par voie de requête en vue de faire amender, pour annuler la décision de licenciement en raison de l'âge Le pouvoir de licenciement du Commissaire est-il ministériel ou administratif? Est-il possible de recourir au certiorari? Utilisation du certiorari pour annuler des déci- sions ministérielles Évolution de la doctrine d'équité Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18 Règlement sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., chap. 1393, art. 26(1)f),(4) Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-11, art. 22 (mod. par S.R.C. 1970 (ler Supp.), chap. 36, art. 3; S.C. 1974-75-76, chap. 81, art. 65) Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., chap. 1391, art. 67, 80.
Pratique Modifications Requête en vertu de la Règle 303 en vue de faire amender de nouveau un avis introductif de requête dans une demande fondée sur l'art. 18 La règle générale veut qu'on accorde les amendements pourvu qu'ils n'introduisent pas une nouvelle cause d'action et ce, même s'ils sont présentés de manière tardive Règles de la Cour fédé- rale, C.R.C., chap. 663, Règles 2, 303, 324, 420(1), 421 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries Requête présentée sur le fondement que le certiorari ne peut être utilisé pour contester les décisions de nature ministérielle Point en litige réel et important en ce qui a trait à la nature réelle du pouvoir en question L'argument selon lequel la demande de certiorari est en réalité une tentative indirecte d'obtenir un jugement déclaratoire est rejeté car il est impossible à ce stade-ci de dire ce que le requérant soutiendra Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419.
Le requérant, un caporal dans la GRC, a été licencié de la Gendarmerie sur le fondement de l'âge en vertu de l'alinéa 26(1)f) et du paragraphe 26(4) du Règlement sur la pension de retraite de la GRC. Son grief contre cette décision ayant été rejeté, le requérant a demandé, par un avis introductif de requête, un bref de prohibition et un jugement déclaratoire portant que les paragraphes 26(1) et (4) du Règlement ne sont pas valides. Les intimés ont présenté une requête en radiation des plaidoiries en vertu de la Règle 419(1)a). Après une substitution de procureur, le requérant a déposé une requête visant à obtenir un nouvel amendement qui entraînerait le désistement du jugement déclaratoire d'invalidité qu'il avait demandé et qui aurait pour effet de demander un bref de certiorari qui annulerait la décision de le licencier, et ce au lieu du bref de prohibition. Les intimés font valoir que le nouvel amendement projeté introduirait une nouvelle cause d'action
qui n'a pas été engagée dans un délai raisonnable après le licenciement du requérant. Ils soutiennent également que même si le nouvel amendement est accordé, l'avis introductif de requête devrait être radié pour le motif qu'on ne peut contester des décisions de nature ministérielle au moyen du certiorari.
Jugement: la requête en vue d'obtenir l'autorisation d'appor- ter un nouvel amendement est accueillie et la requête en radiation est rejetée.
Le nouvel amendement ne soulève pas une cause d'action entièrement nouvelle et les intimés ne sont pas pris par surprise. La règle générale selon laquelle des amendements devraient être accordés dans de telles circonstances s'applique peu importe si l'amendement est demandé de façon tardive ou si la partie a été négligente en ne le demandant pas plus tôt. Bien que le certiorari constitue un recours discrétionnaire et que la conduite du requérant, y compris son retard, constitue un motif pour en refuser la délivrance, l'espèce n'est pas une affaire le refus de la demande de bref est justifié. Premièrement, parce que le nouvel amendement cherche seulement à modifier légè- rement la nature du redressement demandé et que la première demande de bref de prohibition et de jugement déclaratoire a été présentée très rapidement. Et deuxièmement, parce qu'il reviendra au juge qui entendra la demande au fond d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser le certiorari.
En ce qui a trait à la requête en radiation, la Cour n'est pas prête à décider, à ce moment, que le pouvoir exercé par le Commissaire était de nature ministérielle. Il existe un point en litige réel et important en ce qui a trait à ce pouvoir, et il devrait être tranché par le juge du fond.
Compte tenu de l'évolution de la doctrine d'équité (voir Coopers and Lybrand et Martineau (N' 2) et de l'utilisation du certiorari relativement à celle-ci (voir particulièrement Kruger Inc.), on peut au moins soutenir que le certiorari pourrait servir de moyen de redressement même s'il s'agit d'une décision ministérielle.
L'argument des intimés selon lequel la demande en vue d'obtenir un certiorari est en réalité une tentative indirecte d'obtenir un jugement déclaratoire ne peut réussir parce qu'il est impossible, à ce stade-ci, de dire exactement ce que le requérant soutiendra à l'audition sur le fond. En outre, les intimés concèdent que la validité d'un règlement peut être indirectement contestée s'il constitue le fondement d'un acte qui peut faire l'objet d'un certiorari.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; 13 D.L.R. (4th) 706; 84 DTC 6478; (1984), 55 N.R. 255 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Homex Realty and Development Co. Ltd. c. Corporation of the Village of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739; R. v. Senate of the University of Aston, Ex parte Roffey, [1969] 2 All E.R. 964 (Q.B.D.); South
Eastern Regional Shopping Centre Ltd. v. Steinbach, Town of (1983), 20 Man. R. (2d) 54 (C.A.); R. v. Bales et al., Ex parte Meaford General Hospital (1970), 17 D.L.R. (3d) 641 (H.C. Ont.).
DÉCISIONS CITÉES:
Hansen, C.K., v. The King, [1933] R.C.É. 197; The Queen v. Hall, Alice Agnes et al., [1958] R.C.E. 110; Sorbara, Sam v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.E 161; Kayser -Roth Can. Ltd. c. Fascination Linge rie Inc., [1971] C.F. 84 (1" inst.); Vapor Canada Ltd. c. MacDonald et al. (N° 1), [1971] C.F. 452 (1" inst.); Montecatini Edison S.p.A. c. Standard Oil Co. (1974), 14 C.P.R. (2d) 190 (C.F. i re inst.); Brady (W.H.) Co. c. Letraset Canada Ltd. (1982), 14 A.C.W.S. (2d) 383; 82 DRS 53-584 (C.F. 1" inst.); McAlpine of Newfoundland Ltd. c. R. (1984), 9 C.L.R. 276; 28 A.C.W.S. (2d) 364; 84 DRS 55-317 (C.F. 1" inst.); Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602.
AVOCATS:
Robert Donald et James R. K. Duggan pour le requérant.
Normand Lemyre et Claude Joyal pour les intimés.
PROCUREURS:
Donald & Duggan, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Deux affaires plutôt dis- tinctes sont présentées à la Cour: une requête du requérant en vue de faire amender de nouveau son avis introductif de requête dans une demande fondée sur l'article 18 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] (Règle 303 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]) et une requête des intimés en radiation (Règle 419). Les avocats ont été entendus sur ces deux questions à Montréal le 6 mai 1985.
I. LES FAITS ET LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE
Le requérant était caporal dans la GRC. Il s'est engagé dans la Gendarmerie le 31 janvier 1951 et était un contributeur en vertu de la Loi sur la
pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-11 et modifications, à compter de cette date. Il a été informé qu'à compter du 17 mars 1983, il serait licencié de la Gendarmerie pour le motif qu'il avait atteint l'âge de 56 ans, en conformité avec l'alinéa 26(1)f) et le paragraphe 26(4) du Règlement sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., chap. 1393 et modifications, établi en vertu de l'article 22 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada [mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 36, art. 3; S.C. 1974-75-76, chap. 81, art. 65]. I1 a finale- ment quitté la Gendarmerie le 31 mai 1983 ou vers cette date.
Après avoir contesté sans succès la décision de licenciement, le requérant a demandé, le 16 mars 1983, par un avis introductif de requête, un bref de prohibition pour empêcher son licenciement et un jugement déclaratoire portant que les paragraphes 26(1) et (4) du Règlement sur la pension de retraite de la GRC ne sont pas valides. Simple- ment, le principal argument à l'appui du bref de prohibition porte qu'on a appliqué le mauvais Règlement et que la question du licenciement en raison de l'âge ou de la période maximale de service est visée aux articles 67 et 80 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada [C.R.C., chap. 1391] établi en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [S.R.C. 1970, chap. R-9]. Le requérant a allégué que, en vertu de ce dernier Règlement,-il n'avait servi que 32 ans sur un maximum de 35 ans. Il demande le juge- ment déclaratoire portant invalidité, en vertu de certains moyens fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et parce que les paragraphes 26(1) et (4) établissent selon lui des distinctions fondées sur le rang d'une manière qui n'est pas autorisée par l'article 22 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC.
Le 16 septembre 1983, le requérant a amendé son avis de requête (Règle 421(2)) pour abandon- ner les motifs fondés sur la Charte et les distinc tions en raison de l'âge, mais a conservé sa demande en vue d'obtenir un bref de prohibition et un jugement déclaratoire.
Le 27 septembre 1983, les intimés ont présenté des commentaires, de la doctrine et de la jurispru dence en ce qui a trait à leurs exceptions prélimi- naires fondées sur la Règle 419(1)a). Je reviendrai à ces exceptions bientôt.
Le 11 février 1985, le requérant a déposé une substitution de procureur.
Le 22 février 1985, le requérant a déposé une requête en vue d'obtenir la permission d'amender de nouveau, sans comparution en personne, son avis introductif de requête en vertu des Règles 303, 324 et 420(1), apparemment dans le but de parer à certaines exceptions en matière de procédure sou- levées par les intimés. Le requérant a également présenté de brefs commentaires, de la doctrine et de la jurisprudence à l'égard des exceptions préli- minaires, traitant presque entièrement de la ques tion de compétence.
Dans une lettre datée du 27 février 1985, la Couronne a indiqué son opposition au projet de nouvel amendement du requérant pour les motifs qu'il était tardif et introduisait une nouvelle cause d'action.
J'ai refusé d'accorder la requête visant à obtenir un nouvel amendement sans comparution en per- sonne (Règle 324) et les parties ont été averties d'être prêtes à débattre des exceptions préliminai- res et de la recevabilité de la requête en vue d'obtenir un nouvel amendement à Montréal le 6 mai 1985. À proprement parler, les amendements à un avis introductif de requête ne peuvent être obtenus qu'en vertu d'une permission que prévoit la Règle 303 et non en vertu des Règles 420 ou 421 (voir les définitions de «plaidoirie écrite» et «action» à la Règle 2).
H. LA COMPÉTENCE DE LA COUR
Les intimés ont soulevé une opposition relative à la compétence de la Division de première instance en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale d'entendre l'avis introductif de requête. À l'ouverture de l'audience, l'avocat des intimés a admis la compétence de cette Cour.
III. LA REQUÊTE EN VUE D'OBTENIR LA PERMIS SION D'AMENDER DE NOUVEAU
Le nouvel amendement de l'avis introductif de requête proposé par le requérant entraînerait le désistement du jugement déclaratoire d'invalidité qu'il avait originalement demandé et aurait pour effet de demander un bref de certiorari qui annule- rait la décision de le licencier, et ce, au lieu du bref de prohibition demandé depuis le début.
Les intimés font valoir que le nouvel amende- ment projeté introduirait une nouvelle cause d'ac- tion qui n'a pas été engagée dans un délai raison- nable après le licenciement du requérant de la Gendarmerie.
J'accorde la requête du requérant en vue d'obte- nir la permission d'amender de nouveau en vertu de la Règle 303. Le nouvel amendement ne soulève pas une cause d'action entièrement nouvelle. L'abandon de la demande de jugement déclara- toire n'a certainement pas un tel effet. L'addition d'une demande de certiorari est certainement tar- dive, mais elle est le résultat du temps écoulé depuis la première rédaction de l'avis introductif de requête. Des faits et des circonstances identi- ques qui auraient pu auparavant justifier la déli- vrance d'un bref de prohibition pourraient mainte- nant appuyer une demande en vue d'obtenir un redressement substantiellement semblable par voie de certiorari. Les intimés ne sont pas pris par surprise.
La règle générale en matière d'amendements prévoit qu'ils devraient être accordés tant qu'ils n'introduisent pas une nouvelle cause d'action et ne causent à la partie opposée aucun préjudice qui ne peut être rectifié au moyen d'une ordonnance: comme l'interrogatoire des auteurs des affidavits, un délai suffisant pour que les parties préparent leurs réponses aux arguments modifiés, et les dépens. Cette règle s'applique peu importe si l'amendement est demandé de façon tardive ou si la partie a été négligente en ne le demandant pas plus tôt ou, en n'incluant pas le redressement qui est maintenant demandé par amendement dans les plaidoiries initiales.
La position de la Cour de l'Échiquier et de la Cour fédérale a été constante à cet égard: Hansen, C.K., v. The King, [1933] R.C.É. 197; The Queen v. Hall, Alice Agnes et al., [1958] R.C.E. 110; Sorbara, Sam v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.É. 161; Kayser -Roth Can. Ltd. c.
Fascination Lingerie Inc., [1971] C.F. 84 (1re inst.); Vapor Canada Ltd. c. MacDonald (No 1), [1971] C.F. 452 (i re inst.); Montecatini Edison S.p.A. c. Standard Oil Co. (1974), 14 C.P.R. (2d) 190 (C.F. I re inst.); Brady (W.H.) Co. c. Letraset Canada Ltd. (1982), 14 A.C.W.S. (2d) 383; 82 DRS 53-584 (C.F. i' inst.); et McAlpine of New- foundland Ltd. c. R. (1984), 9 C.L.R. 276; 28 A.C.W.S. (2d) 364; 84 DRS 55-317 (C.F. I re inst.).
Les oppositions des intimés sont fondées sur le fait que le certiorari constitue un recours discré- tionnaire et que la conduite du requérant, y com- pris son retard à demander ce redressement, cons tituent des motifs pour refuser la délivrance du bref de prérogative. Les intimés citent un certain nombre d'arrêts, notamment Homex Realty and Development Co. Ltd. c. Corporation of the Vil lage of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011, aux pages 1033 à 1035; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, aux pages 574 577; P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739,à la page 749; R. v. Senate of the University of Aston, Ex parte Roffey, [1969] 2 All E.R. 964 (Q.B.D.) à la page 976; et South Eastern Regional Shopping Centre Ltd. v. Steinbach, Town of (1983), 20 Man. R. (2d) 54 (C.A.), aux pages 58 et 59.
Dans une certaine mesure, cette proposition ne me cause aucune difficulté, mais je considère que l'on peut établir une distinction entre la question préliminaire de l'amendement et la jurisprudence citée par les intimés et que celle-ci n'est peut-être pas pertinente; en réalité elle devrait être examinée par le juge qui sera éventuellement saisi de l'af- faire au fond. On peut établir une distinction avec la jurisprudence qui m'a été citée parce que dans ces affaires, il y a eu un retard dans la demande de redressement. Par opposition, le nouvel amende- ment demandé en l'espèce cherche seulement à modifier légèrement la nature du redressement demandé. Les faits n'ont pas changé; le premier avis introductif de requête qui demande un bref de prohibition et un jugement déclaratoire a en fait été présenté très rapidement.
De plus, je dis que la jurisprudence n'est peut- être pas pertinente. Ce qui est présenté à la Cour aujourd'hui est la question du nouvel amendement en vue d'inclure une demande de certiorari. Il
reviendra au juge qui en fin de compte entendra la demande au fond d'exercer son pouvoir discrétion- naire d'accorder ou de refuser ce redressement, en tenant compte de tous les faits et de toutes les circonstances y compris, sans doute, la question de la présentation tardive.
Étant donné que j'accorde un nouvel amende- ment au requérant, il n'y a plus que deux excep tions préliminaires de nature procédurale qui doi- vent être réglées. Ce sont celles-ci que j'examine maintenant.
IV. AUCUN CERTIORARI NE PEUT ÊTRE INVOQUÉ POUR ANNULER UNE DÉCISION MINISTÉRIELLE
Les intimés soutiennent que même si j'accorde le nouvel amendement, ce que j'ai fait, l'avis intro- ductif de requête devrait être radié en vertu de la Règle 419(1)a) pour le motif qu'on ne peut contes- ter des décisions de nature ministérielle au moyen du certiorari. Je ne crois pas que les intimés peuvent avoir gain de cause sur ce point.
J'insiste sur le fait que je suis seulement saisi d'une requête en vue d'obtenir un nouvel amende- ment et d'une requête en radiation. Je ne suis pas prêt à décider, à ce moment, que le pouvoir exercé par le Commissaire était de nature ministérielle. Il existe un point en litige réel et important en ce qui a trait au caractère approprié du pouvoir en ques tion et qui sera sans doute débattu d'une manière approfondie lorsque l'affaire sera entendue au fond. Je crois qu'il serait tout à fait possible que le juge du fond conclue que la décision du Commis- saire est d'un genre qui peut être attaqué par voie de certiorari.
À mon avis, il n'est pas du tout évident que la décision du Commissaire est en fait analytique- ment de nature ministérielle. Il n'est pas vrai que le Commissaire devait simplement appliquer une norme objective à des faits objectifs sans aucun élément de pouvoir discrétionnaire. Il est vrai que la décision réelle de licenciement dépend essentiel- lement de choses vérifiables objectivement, comme l'âge ou le nombre d'années de service ou de contribution au fonds de pension. Toutefois, si la décision qui a été prise, soit en vertu des paragra- phes 26(1) et (4) du Règlement sur la pension de retraite de la GRC, soit en vertu des articles 67 et 80 du Règlement de la GRC, est considérée d'une
manière globale, on peut constater qu'elle n'était pas purement mécanique. Comme question préli- minaire, le Commissaire devait décider de poser la bonne question: en l'espèce, quel Règlement il devait appliquer. C'est cette décision que le requé- rant cherche à contester. Par la suite, le Commis- saire devait décider si le requérant avait atteint l'âge ou avait accumulé le nombre d'années de service ou de contribution au fonds de pension qui pouvait entraîner le licenciement. Enfin, le Com- missaire devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il s'agissait d'un cas approprié pour autoriser le rengagement.
Vu de cette manière, on peut constater qu'il existe au moins un argument sérieux que la déci- sion du Commissaire n'est pas de nature ministé- rielle. La jurisprudence citée par les intimés leur est peu utile. L'affaire R. v. Bales et al., Ex parte Meaford General Hospital (1970), 17 D.L.R. (3d) 641 (H.C. Ont.) peut être périmée et peut appuyer la proposition opposée de celle pour laquelle elle est citée. Il a été jugé que le pouvoir «ministériel» en question était purement administratif et par conséquent ne pouvait être attaqué par voie de prohibition. Il est maintenant évident que le cer- tiorari pourra être obtenu en cette Cour pour annuler une décision purement administrative sur des motifs de fond comme ceux invoqués dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535, aux pages 543 546; 13 D.L.R. (4th) 706, aux pages 712 714; 84 DTC 6478; (1984), 55 N.R. 255 (C.A.).
Je ne crois pas que la décision du Commissaire soit comme l'a suggéré l'avocat, d'un genre analo gue à celui de l'obligation ministérielle mécanique d'un juge de paix de recevoir toute dénonciation appropriée. Encore une fois, je voudrais faire remarquer que les décisions citées sont antérieures aux arrêts de principe de la Cour suprême qui ont consacré la disparition de la classification rigide des pouvoirs législatifs et l'élaboration de la doc trine d'équité applicable aux décisions qui ne sont pas d'une nature judiciaire quasi judiciaire et antérieures à l'arrêt Ministre du Revenu national c. Kruger Inc. (précité).
Même si on prend pour acquis pour les fins de l'argumentation, que la décision était analytique- ment de nature ministérielle, je ne crois pas que la position des intimés est nécessairement bien fondée en droit.
Il résulte clairement des affaires en matière d'équité devant la Cour suprême que, sauf aux fins d'établir la compétence respective de la Cour d'ap- pel fédérale et de la Division de première instance, la classification rigide des fonctions devrait être évitée comme méthode pour refuser un redresse- ment. L'opinion la plus appropriée est celle selon laquelle il n'existe aucune différence de genre mais seulement une différence de degré entre les pou- voirs administratifs et ministériels. Dans le cas du contrôle judiciaire en matière de vice de procédure, cela signifie qu'il existe un continuum au niveau de la protection procédurale qu'accorde la doctrine d'équité en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, dont le contenu est réduit à néant dans le cas de décisions purement législatives ou de politique: Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [ 1979] 1 R.C.S. 495, la page 505 et Martineau c. Comité de discipline de l'Institu- tion de Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 628 et 629.
Il est vrai qu'un certain doute a été soulevé quant à la possibilité de recourir au certiorari à l'égard de motifs de fond (et non de procédure) lorsque le pouvoir en question, analytiquement, n'est pas judiciaire ou quasi judiciaire (voir Evans et autres, Administrative Law, 2 ° éd., 1984 aux
pages 752 754). En outre, à la page 628 de l'arrêt Martineau (N0 2), précité, le juge Dickson, maintenant juge en chef, déclare de façon inci- dente qu'il n'existe aucune protection en matière de procédure dans le cas d'une décision purement ministérielle.
Toutefois, la Cour d'appel fédérale a maintenant proposé qu'une décision purement administrative peut être contestée par voie de certiorari pour les motifs de fond comme le défaut de compétence ou l'erreur de droit manifeste au dossier «qui ne tien- nent pas compte du caractère judiciaire ou admi- nistratif de la décision contestée ...»: Ministre du Revenu national c. Kruger Inc. (précité), à la page 544 C.F.; 713 D.L.R. La contestation du requérant porte de toute évidence sur le fond, attaquant la compétence du Commissaire de prendre la décision qu'il a rendue en vertu du Règlement qu'il a invoqué.
Dans ces circonstances, et toujours en présu- mant du bien-fondé de l'argument selon lequel il s'agit d'une décision ministérielle, j'estime que le
requérant dispose d'au moins un argument sérieux selon lequel le certiorari peut servir de moyen de redressement. Évidemment, si le pouvoir est consi- déré comme administratif, alors l'arrêt Ministre du Revenu national c. Kruger Inc. (précité) établit qu'une demande de certiorari peut être entendue.
V. AUCUNE CONTESTATION DE LA VALIDITÉ PAR VOIE DE CERTIORARI
Dans le dernier point de procédure soulevé dans leur requête en radiation, les intimés prétendent que la demande du requérant en vue d'obtenir un certiorari est en réalité une tentative indirecte d'obtenir un jugement déclaratoire qui normale- ment ne peut être obtenu que par une action et non au moyen d'une requête introductive. Il est allégué qu'on tente en l'espèce malgré le nouvel amende- ment de faire invalider les paragraphes 26(1) et (4) du Règlement sur la pension de retraite de la GRC.
Je ne crois pas que les intimés peuvent avoir gain de cause sur ce moyen. À ce stade-ci, il est impossible de dire exactement ce que le requérant soutiendra à l'audition sur le fond. En outre, il semblerait que ce qui peut être demandé est une conclusion sur laquelle le Règlement en question a été appliqué à tort à la situation du requérant et que le Commissaire n'avait pas compétence parce qu'il s'est posé la mauvaise question. Il n'est pas du tout évident que ces moyens invoqués pour annuler la décision exigeraient automatiquement un juge- ment déclaratoire selon lequel les paragraphes visés du Règlement sur la pension de retraite de la GRC ne sont pas valides. Enfin, les intimés concè- dent dans leurs commentaires, doctrine et jurispru dence (aux pages 20 et 21) que la validité d'un Règlement peut être indirectement contestée s'il constitue le fondement d'un acte qui peut faire l'objet d'un certiorari.
VI. ORDONNANCE
En conséquence, la requête du requérant en vue d'obtenir l'autorisation d'apporter un nouvel amen- dement est accueillie et la requête en radiation présentée par les intimés est rejetée.
Les dépens du nouvel amendement seront à la charge du requérant et les dépens qui découlent de la requête en radiation seront à la charge des intimés.
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