Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-1808-83
La Reine (appelante)
c.
Albert Manley (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Ryan— Toronto, 13 février; Ottawa, 25 février 1985.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Affaire de caractère commercial Des dommages-intérêts ont été adju- gés à l'intimé pour assertion fautive de la qualité d'agent dans le cadre de son action fondée sur une entente portant que des honoraires de démarcheur lui seraient payés relativement à la vente de certaines actions Rentrée de capital ou revenu Caractère de la transaction sur le fondement de laquelle les dommages-intérêts ont été adjugés Critères de définition de l'affaire de caractère commercial Les dommages-intérêts doivent être traités de la même façon que des honoraires de démarcheur, c.-à-d. comme des bénéfices d'une affaire de caractère commercial Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3, 5(1), 9(1), 248(1) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 324, 337(2)6).
L'intimé, un homme d'affaires, a conclu avec un dénommé Benjamin Levy, qui disait agir pour son propre compte ainsi que pour celui d'autres membres de la famille Levy et de sociétés Levy, une entente portant que Levy paierait à l'intimé des honoraires de démarcheur de 2 % s'il trouvait un acheteur pour les actions appartenant à la famille Levy.
L'intimé, quelques jours plus tard, a trouvé un acheteur qui a payé environ 30 millions de dollars pour les actions en question. Levy et les autres actionnaires de la famille Levy ont refusé de payer les honoraires de démarcheur et l'intimé a intenté une poursuite.
Les tribunaux ont éventuellement accordé à l'intimé des dommages-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent. A la suite d'autres instances, l'intimé a payer à un tiers la moitié de la somme adjugée.
Le ministre du Revenu national, dans la nouvelle cotisation qu'il a fixée relativement à la déclaration d'impôt de l'intimé, a inclus la moitié conservée par l'intimé ainsi que les intérêts adjugés par la Cour sur celle-ci, qualifiant cette somme d'»ho- noraires de démarcheur» reçus et d'.intérêts sur honoraires de démarcheur» reçus.
Le juge de première instance a conclu que ce qui avait été reçu ne constituait pas des honoraires de démarcheur, mais des dommages-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent, que le marché n'aurait pu être considéré comme une affaire de caractère commercial que si un contrat avait été conclu avec tous les membres du groupe Levy et que le marché intervenu entre l'intimé et Benjamin Levy ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Taylor, James A. pour définir les affaires de caractère commercial. Il a conclu que l'entente n'était pas une opération de caractère commercial et ce, parce que l'intimé n'avait ni misé ni employé de l'argent ou des biens et n'avait ni acheté ni vendu quoi que ce soit. En conséquence, le juge a annulé la nouvelle cotisation fixée par le Ministre. C'est de cette décision qu'est interjeté l'appel en l'espèce.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
En l'espèce, le litige porte sur la question de savoir si, suivant les articles 3 et 9 du paragraphe 248(1) de la Loi, les domma- ges-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent devaient être inclus dans le calcul du revenu de l'intimé. Ces dommages- intérêts devraient être ainsi inclus parce qu'ils constituent des bénéfices provenant d'une affaire de caractère commercial.
Le fait que Benjamin Levy n'ait pas reçu mandat pour conclure l'entente au nom des autres actionnaires n'a rien à voir avec la question de savoir si les démarches de l'intimé consti tuent ou non une affaire de caractère commercial. Tout d'abord, il avait l'intention de réaliser un bénéfice et, en second lieu, il a peut-être fait moins que ce qui est demandé de la plupart des démarcheurs mais il a fait le nécessaire et on n'a pas laissé entendre qu'il ait agi différemment. Il est plus difficile d'établir si les dommages-intérêts reçus pour assertion fautive de la qualité d'agent constituaient des «bénéfices» de cette entreprise. L'arrêt Atkins n'établit pas, et ne prétend pas établir, que les dommages-intérêts ou les sommes allouées en règlement d'une réclamation en dommages-intérêts ne peuvent constituer un revenu aux fins de l'impôt. La règle établie dans l'arrêt London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Att- wooll (Inspector of Taxes) doit s'appliquer: une indemnité reçue par un commerçant en vertu d'un droit au lieu d'une somme d'argent qui aurait été comptabilisée dans les profits réalisés dans son commerce au cours de cette année-là doit être traitée de la même manière que cette somme pour fins d'impôt. En l'espèce, les dommages-intérêts constituent l'indemnité et les honoraires de démarcheur, la somme d'argent. Les honorai- res de démarcheur auraient constitué un bénéfice tiré d'une entreprise qui aurait être inclus dans le revenu de l'intimé et les dommages-intérêts doivent être traités de la même façon pour les fins de l'impôt sur le revenu.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Minister of National Revenue v. Taylor, James A., [1956-1960] R.C.E. 3; 56 DTC 1125; London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll (Inspector of Taxes), [1967] 2 All E.R. 124 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
La Reine c. Atkins (1976), 68 D.L.R. (3d) 187; 76 DTC 6258 (C.F. Appel).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, [1980] I R.C.S. 812; 111 D.L.R. (3d) 577; La Reine c. Pollock, B.N. (1984), 84 DTC 6370 (C.F. Appel).
DÉCISIONS CITÉES:
Irrigation Industries Limited v. The Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 346; 62 DTC 1131; La Reine c. Atkins (1975), 59 D.L.R. (3d) 276; 75 DTC 5263 (C.F. 1" inst.); In re National Coffee Palace Company, Ex parte Panmure (1883), 24 Ch. D. 367 (C.A.); Levy et autres c. Manley, [1975] 2 R.C.S. 70.
AVOCATS:
R. E. Taylor et Nancy J. Ross pour l'appelante.
John I. Laskin et Colin Campbell pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Davies, Ward - & Beck, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La Cour statue sur l'appel formé à l'encontre d'un jugement de la Division de première instance [(1983), 83 DTC 5440] qui a annulé la nouvelle cotisation établie à l'égard de la déclaration d'impôt sur le revenu personnel de l'intimé pour 1974. Le ministre du Revenu natio nal a ajouté la somme de 327 190,42 $ au revenu de l'intimé, soit 293 700 $ au titre des dommages- intérêts qui lui avaient été adjugés et qu'il avait reçus pour assertion fautive de la qualité d'agent et 33 490,42 $ à titre d'intérêts sur cette somme.
L'intimé avait poursuivi certains anciens action- naires de la société Levy Industries Limited en paiement d'honoraires de démarcheur de 600 000 $ et avait subsidiairement poursuivi Ben- jamin Levy en dommages-intérêts pour 600 000 $. En effet, Benjamin Levy, agissant pour lui-même et pour d'autres détenteurs d'actions, avait con- venu de payer à l'intimé des honoraires de démar- cheur de 2 % s'il trouvait un acheteur pour les actions majoritaires de la société dont Levy et d'autres membres de sa famille étaient propriétai- res. Le juge de première instance a rejeté l'action que l'intimé avait intentée contre tous les autres défendeurs mais a accueilli sa demande de dom- mages-intérêts dirigée contre Benjamin Levy pour violation de contrat et tromperie, et lui a accordé une somme de 125 000 $ en dommages-intérêts. La Cour d'appel de l'Ontario a statué:
[TRADUCTION] Il découle des conclusions du juge que le demandeur a droit à des dommages-intérêts payables par Ben- jamin Levy à cause de l'assertion fautive de la qualité d'agent et l'avocat de l'appelant n'a pas contredit l'affirmation du demandeur que le montant des dommages à accorder pour cette assertion fautive est égal au montant des honoraires de démar-
cheur fixés selon les termes de l'entente intervenue entre le demandeur et le défendeur Benjamin Levy.
Les dommages-intérêts ont par conséquent été fixés à 587 400 $. La Cour suprême du Canada a confirmé cette décision [dans Levy et autres c. Manley, [1975] 2 R.C.S. 70]. À la suite d'autres instances introduites devant les tribunaux onta- riens, l'intimé a payer la moitié de cette somme à un tiers. L'autre moitié, soit 293 700 $, fait l'objet de la nouvelle cotisation en litige.
Le juge de première instance, dont la décision est publiée à 83 DTC 5440, a cité de larges extraits du jugement de première instance rendu en Cour suprême de l'Ontario. Il en est venu à la conclusion la page 5441] que «le récit des faits est essentiellement tiré des motifs [des cours de l'Ontario et de la Cour suprême du Canada]». Les faits établissent les démarches que l'intimé a faites et qui lui ont permis d'obtenir des dommages-itité- rêts. Non seulement a-t-il conclu une entente avec Benjamin Levy, mais il a exécuté son obligation contractuelle.
En ce qui concerne l'entente, on a statué que Benjamin Levy avait convenu que les membres de sa famille paieraient à l'intimé des honoraires de 2 % s'il trouvait un acheteur disposé à acquérir
pour la somme de 25 30 millions les actions qu'ils détenaient dans Levy Industries. Voici les conclusions du juge Donohue sur la façon dont l'intimé s'est acquitté de son obligation:
[TRADUCTION] Manley déclare être entré en rapport avec un certain Perry Sherman à propos de la vente possible à Seaway de la société faillie qui lui appartenait, Aitrim Lumber. Il avait présent à l'esprit la possibilité d'intéresser Seaway à l'achat des actions de la famille Levy, par l'entremise de Sherman. A cette fin, Manley a appelé Sherman et l'a rencontré le 17 octobre 1968. Par suite de cette rencontre, Norton Cooper, le président de Seaway, a contacté Ben Levy et, comme je viens de le dire, en un rien de temps il était convenu que Seaway achèterait les actions de la famille Levy pour environ trente millions de dollars.
Dans un passage antérieur dont il est fait mention dans ce qui précède, le juge Donohue avait déclaré:
[TRADUCTION] Il est certain que le demandeur et le défen- deur, Benjamin Levy, ont discuté ensemble de la prospection d'un acheteur pour les actions de la famille Levy et que, chose étonnante, dans les quelques jours qui ont suivi cette conversa tion, Seaway Corporation a signé un contrat en vue d'acheter les actions de Levy pour près de trente millions de dollars. Il ne fait aucun doute que le demandeur a joué un rôle dans la mise en relation de la famille Levy avec Seaway.
Dans la défense qu'elle a déposée dans l'action qui fait l'objet du présent appel, l'appelante a allégué:
[TRADUCTION] ... que les dommages-intérêts de 293 700 $ et les intérêts y afférents de 33 490,42 $ ont été reçus à l'égard d'une entreprise ou d'une affaire de caractère commercial exploitée par le demandeur; que le droit du demandeur de recevoir ces sommes s'est ouvert au cours de l'année d'imposi- tion 1974 et que, par conséquent, c'est à bon droit que le ministre du Revenu national avait inclus ces sommes, s'élevant à 327 190,42 $, dans le calcul du revenu du demandeur pour l'année d'imposition 1974, conformément aux articles 3 et 9 et au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Dans son avis de nouvelle cotisation, le Ministre a respectivement qualifié les sommes en question d'«honoraires de démarcheur» reçus et d'«intérêts sur honoraires de démarcheur» reçus. Le juge de première instance semble avoir accordé une grande importance à cette qualification. À la page 5443, il déclare, en effet:
L'avocat du demandeur a soutenu que la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national ne correspond pas aux faits. Je suis d'accord. Le ministre a qualifié la somme reçue de [TRADUCTION] «honoraires de démarcheur reçus». Ce qui a été reçu ce ne sont pas des honoraires de démarcheur, mais des dommages-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent.
Les plaidoiries écrites constituent l'aspect le plus remarquable des procédures de la présente ins tance. En l'espèce, le litige porte sur la question de savoir si, suivant les articles 3 et 9 et le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1], les dommages-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent devaient être inclus dans le calcul du revenu de l'intimé pour 1974. Voici le libellé des passages essentiels des articles qui nous intéressent:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année, déterminé selon les règles suivantes:
a) en calculant le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien), dont la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui pré- cède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;
9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.
248. (1) Dans la présente loi,
«entreprise ou affaire» comprend une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit, y compris un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ni un emploi;
Il me semble que, compte tenu des circons- tances, la somme en litige ne doit être incluse dans le revenu de l'intimé que si elle constitue un béné- fice tiré d'une affaire de caractère commercial. Les activités de l'intimé constituent-elles une affaire de caractère commercial et, dans l'affirmative, les dommages-intérêts qu'il a obtenus sont-ils un bénéfice tiré de cette affaire?
Le juge de première instance a statué que l'in- timé n'avait pas participé à une affaire de carac- tère commercial. A la page 5444, il a déclaré:
La caractérisation du marché intervenu entre Ben Levy et le demandeur comme affaire de caractère commercial se fonde sur ce que le marché aurait été si Manley avait effectivement reçu mandat de tous les actionnaires du groupe Levy et avait eu droit au paiement d'honoraires s'il avait trouvé un acquéreur pour les actions. Cette hypothèse comporte des spéculations. Il n'est pas certain que les autres actionnaires du groupe Levy auraient accepté la proposition du demandeur à propos des honoraires. Ils auraient pu refuser ou insister pour que Manley cherche à obtenir auprès d'un acheteur éventuel les honoraires ou une partie des honoraires.
En réalité, il n'est jamais intervenu de contrat entre tous les membres du groupe Levy et Manley. S'il y en avait eu un, selon les circonstances particulières du cas, le marché, qui est hypo- thétique, aurait pu être ou ne pas être considéré comme une affaire de caractère commercial.
En toute déférence, je ne suis pas du même avis. Si Benjamin Levy avait effectivement été mandaté par les autres actionnaires de Levy, son mandat les aurait liés sans que chacun d'eux ait à exprimer son assentiment par un accord distinct. Il ne fait pas de doute que le marché en question est hypo- thétique. En revanche, nous disposons de tous les faits nous permettant d'établir s'il aurait pu être qualifié d'affaire de caractère commercial. Quoi qu'il en soit, ce sont les faits qui se sont réellement produits qui nous intéressent. Le fait que Benjamin Levy n'ait pas reçu mandat pour conclure l'entente au nom des autres actionnaires n'a rien à voir avec la question de savoir si les démarches de l'intimé constituent ou non une affaire de caractère commercial.
Le juge de première instance en est venu à la conclusion que le marché intervenu entre l'intimé et Benjamin Levy ne satisfaisait pas aux critères énoncés par le président Thorson dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Taylor, James A., [1956-1960] R.C.É. 3; 56 DTC 1125, pour définir les affaires de caractère commercial. Le président Thorson avait examiné le sens que la jurisprudence écossaise et anglaise avait donné à l'expression «affaire de caractère commercial» et en était venu à la conclusion, aux pages 22 et s. R.C.É.; 1136 et s. DTC, qu'elle élargissait de façon importante la portée du genre de marchés dont les bénéfices étaient assujettis à l'impôt sur le revenu, tout en précisant qu'il
[page 24 R.C.É.; 1137 DTC]
[TRADUCTION] ... est impossible de fixer les limites de la portée de cette expression ou d'établir aucun critère unique pour décider si une transaction en particulier est une initiative commerciale, parce que la réponse dans chaque cas dépend des faits et des circonstances de l'affaire. En revanche, on peut
énoncer avec certitude quelques critères négatifs. -
Le président résume les critères négatifs dans le passage suivant la page 27 R.C.É.; 1138 DTC]:
En conséquence, l'intimé ne peut, en l'espèce, nier sa respon- sabilité par la simple allégation qu'il a effectué une transaction unique ou isolée, qu'il n'avait à mettre sur pied aucune organi sation ni ne devait effectuer aucune opération pour l'exécution de la transaction, que celle-ci était différente de ses activités habituelles et n'avait avec elles aucune relation, qu'il n'avait jamais conclu de transactions semblables auparavant et n'en a pas conclu depuis, et qu'il n'avait pas acheté le plomb dans l'intention de le revendre à la Compagnie avec profit.
Le juge a ensuite énoncé quelques critères positifs la page 29 R.C.É.; 1139 DTC]:
Il y a, en premier lieu, la règle générale qui veut que la question de savoir si une opération particulière est une initiative d'un caractère commercial dépend de sa nature et des circonstances qui l'entourent, un critère unique ne pouvant être formulé.
puis [ibid.]:
... si l'opération est de la même nature et conduite de la même façon qu'une transaction effectuée par un commerçant ou un négociant ordinaire de biens du même genre que l'objet de l'opération, elle peut à juste titre être qualifiée d'initiative d'un caractère commercial.
et finalement [ibid.]:
... en raison de la nature et de la quantité de l'objet de l'opération il faille exclure la possibilité que sa vente soit la réalisation d'un investissement, qu'elle soit imputable au capital d'autre façon ou encore que l'on ait pu en disposer autrement qu'en effectuant une opération commerciale.
Le président devait statuer, dans cette affaire, sur une opération portant sur des biens matériels, savoir, 1 500 tonnes de plomb. Le fait qu'il ait énoncé les critères en question en fonction de ce fait ne doit pas, à mon avis, nous empêcher de les appliquer, avec les adaptations de circonstance, à une opération portant sur un service. La Cour suprême du Canada a cité et approuvé cette déci- sion dans l'arrêt Irrigation Industries Limited v. The Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 346; 62 DTC 1131.
En toute déférence, j'estime que le juge de pre- mière instance a commis une erreur en statuant que l'opération qui, si je comprends bien, vise l'entente conclue avec Benjamin Levy aussi bien que les démarches entreprises par l'intimé pour trouver un acquéreur, n'était pas une opération de caractère commercial, et ce, de toute évidence, parce que l'intimé n'avait ni misé ni employé de l'argent ou des biens et n'avait ni acheté ni vendu quoi que ce soit. Pour ce qui est des critères négatifs, on n'a même pas avancé l'idée que l'in- timé aurait conclu un marché avec Benjamin Levy autrement que pour réaliser un bénéfice. En ce qui a trait au deuxième critère positif, il a peut-être fait moins que ce qui est demandé de la plupart des démarcheurs mais il a fait le nécessaire et on n'a pas laissé entendre qu'il ait agi différemment. Quant au troisième critère positif, comme le marché en question a pour objet la prestation d'un service par l'intimé en contrepartie d'honoraires, il a été écarté qu'il puisse s'agir d'une opération en capiiai.
L'intimé a effectivement participé à une affaire de caractère commercial. Il s'agissait d'une entre- prise, conformément à la définition élargie que la Loi de l'impôt sur le revenu donne à ce terme. Il est plus difficile d'établir si les dommages-intérêts reçus pour assertion fautive de la qualité d'agent constituent des «bénéfices» tirés de cette entreprise.
L'intimé a invoqué la décision rendue par la présente Cour dans l'affaire La Reine c. Atkins (1976), 68 D.L.R. (3d) 187; 76 DTC 6258, tout en reconnaissant que, dans cette affaire, la somme en litige concernait un renvoi injustifié. Les opinions incidentes défavorables exprimées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, [1980] 1 R.C.S. 812; 111 D.L.R. (3d) 577, laissent planer un doute sur le bien-fondé de
cette décision. En Cour suprême, il s'agissait de déterminer si les dommages-intérêts accordés à la suite d'un renvoi injustifié devaient être considérés comme une rémunération assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-chômage de 1971 [S.C. 1970- 71-72, chap. 48], alors que dans l'arrêt Atkins, il s'agissait de savoir si les dommages-intérêts obte- nus devaient être considérés comme un revenu imposable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans un arrêt très récent, La Reine c. Pollock, B.N. (1984), 84 DTC 6370, notre Cour a déclaré qu'elle n'était pas convaincue que la déci- sion Atkins était mal fondée.
Ceci étant dit, l'arrêt Atkins doit être interprété à la lumière de ses faits particuliers. La Cour d'appel fédérale la page 188 D.L.R.; 6258 DTC] a rejeté l'appel interjeté à l'encontre de la décision de première instance pour les «motifs énoncés par le savant juge de première instance». Il est nécessaire de lire le jugement de première instance, (1975), 59 D.L.R. (3d) 276; 75 DTC 5263, dans lequel le juge de première instance a affirmé dans les termes les plus nets, à la page 290 D.L.R.; 5271 DTC, que le Ministre prétendait «que le paiement en question ne représente que le salaire perdu à la suite de la résiliation prématurée du contrat de travail, et rien de plus». Voilà qui explique sans doute l'anomalie signalée par la Cour suprême dans l'arrêt Cewe [aux pages 815 et 816 R.C.S.; 579 D.L.R.]. La Cour suprême a dit que, dans l'arrêt Atkins,
... seule semble avoir été étudiée la question de savoir si les dommages-intérêts accordés pour renvoi injustifié constituaient un revenu tiré «d'une charge ou d'un emploi» au sens des art. 5 et 25 de la Loi de l'impôt sur le revenu (S.R.C. 1952). La question plus large de savoir s'ils peuvent être considérés comme un revenu en provenance non spécifiée au sens de la disposition générale de l'art. 3 n'a pas été examinée.
Dans la décision Pollock, le jugement de première instance [[1982] 1 C.F. 710; (1981), 81 DTC 5293] précise la page 711 C.F.; 5293 DTC] que les parties s'entendaient pour dire que «les faits de l'espèce sont, en grande partie, identiques, aux fins d'impôt sur le revenu, à ceux de l'affaire Atkins».
À mon sens, l'arrêt Atkins, que je dois respecter, confirme la proposition selon laquelle le montant payé en règlement d'une demande de dommages- intérêts à la suite d'un renvoi injustifié ne constitue pas un traitement imposable en tant que revenu tiré d'une charge ou d'un emploi en vertu du
paragraphe 5(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agit simplement d'une application du principe bien connu voulant que le contribuable ait droit au bénéfice du doute quant à l'intention du législateur de taxer. En l'occurence, il s'agit de l'application du principe dans un cas ou le fisc a, de toute évidence, choisi d'invoquer l'intention du législa- teur sur un fondement unique, qui s'est révélé erroné. Les appels interjetés devant la présente Cour en matière d'impôt sur le revenu constituent évidemment des actions ordinaires dont les ques tions en litige sont circonscrites par les plaidoiries écrites. La Cour ne se prononce pas sur ce qui aurait pu être plaidé, mais ne l'a pas été. L'arrêt Atkins n'établit pas, et ne prétend pas établir, que les dommages-intérêts ou les sommes allouées en règlement d'une réclamation en dommages-inté- rêts ne peuvent constituer un revenu aux fins de l'impôt.
Le montant des dommages-intérêts pouvant être accordés pour assertion fautive de la qualité d'agent est celui qui aura pour effet de mettre la personne à qui on a fait croire à l'existence d'un mandat dans l'état elle aurait été si le mandat avait existé. Le principe a été énoncé par le Maître des rôles Brett dans la décision In re National Coffee Palace Company, Ex parte Panmure (1883), 24 Ch. D. 367 (C.A.), aux pages 371 et s. Après avoir examiné un certain nombre de déci- sions, il en est venu à la conclusion que:
[TRADUCTION] ... dans toutes ces affaires, on a statué que les dommages-intérêts à accorder devaient correspondre à la perte effectivement subie par le demandeur en n'obtenant pas le contrat qu'il aurait conclure avec le supposé commettant si le défendeur avait eu le mandat qu'il prétendait avoir; en d'autres mots, les dommages-intérêts correspondent à ce que le demandeur aurait obtenu en vertu du contrat dont le défendeur se faisait fort d'obtenir la conclusion.
Cela correspond effectivement aux dommages- intérêts que la Cour d'appel de l'Ontario a accor dés en l'espèce.
L'intimé a reçu, à titre de dommages-intérêts, la somme exacte qu'il aurait tirée, sous forme de bénéfice, de l'affaire de caractère commercial qu'il avait traitée. Quant à savoir si l'adjudication des dommages-intérêts doit être considérée comme un bénéfice tiré d'une entreprise, aux fins de l'applica- tion de l'article 3 et du paragraphe 9(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, je suis d'avis que la règle établie par le lord juge Diplock (tel était alors son
titre) dans l'arrêt London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll (Inspector of Taxes), [1967] 2 All E.R. 124 (C.A.), aux pages 134 et s., doit être appliquée. J'estime, à cet égard, être en accord avec le juge de première instance qui semble convenir, que cette règle se serait appliquée s'il avait conclu que l'intimé avait participé à une affaire de caractère commercial.
Dans cette affaire, le contribuable avait reçu, en règlement d'une action en dommages-intérêts pour négligence, la somme de 21 404 £ pour la perte de l'usage d'un bien générateur de revenus pour la durée de sa réparation. Le litige dont la Cour était saisie portait sur l'imposition de cette somme. La règle elle-même est énoncée à la deuxième phrase du deuxième paragraphe du passage cité ci-des- sous. Je crois toutefois souhaitable de citer assez longuement l'opinion exprimée par le lord juge Diplock [aux pages 134 et 135], car le contexte dans lequel la règle est énoncée constitue, à mon avis, un argument convainquant de son bien-fondé.
[TRADUCTION] La question de savoir si la somme d'argent qu'a reçu un commerçant doit être prise en compte dans le calcul des bénéfices qu'il a tirés de son commerce dans une année donnée est une question qui devrait pouvoir être réglée en appliquant un critère rationnel. À mon avis, c'est tout à fait possible. Je ne crois pas que la jurisprudence soit figée au point de nous empêcher de faire appel à la logique pour régler cette question de droit, et ce, même s'il s'agit d'une question de droit fiscal. Voilà précisément, non sans une certaine témérité, ce que je vais tenter de faire.
Je commence par formuler ce que je crois être la règle applicable. Chaque fois qu'un commerçant reçoit, en vertu d'un droit, de quelqu'un d'autre, une indemnité au lieu d'une somme d'argent qui aurait été comptabilisée dans les profits réalisés au cours d'une année, dans le commerce qu'il exploitait à l'époque il a reçu l'indemnité, il y a lieu de traiter cette indemnité pour fin d'impôt de la même manière que la somme d'argent l'aurait été si l'indemnité ne l'avait pas remplacée. La règle s'applique quelle que soit l'origine du droit du commerçant de recevoir l'indemnité. Elle peut résulter d'une obligation directe en vertu du contrat, comme dans un contrat d'assurance; d'une obligation incidente à cause de l'inexécution d'un contrat, comme le droit à des dommages-intérêts liquidés comme dans la clause de surestarie dans une charte-partie, ou de dommages non liquidés; d'une obligation d'indemniser pour délit ou, comme en l'espèce; d'une obligation légale ou encore de toute autre façon dont l'obligation peut naître.
L'origine d'un droit se rapporte toutefois à la première question que soulève l'application de la règle à un cas particu- lier, c'est-à-dire la détermination de l'objet de l'indemnité. Si l'on conclut que l'indemnité a été payée au commerçant parce qu'il n'a pas reçu une certaine somme d'argent, la deuxième question qui se pose est de savoir si cette somme, eut-elle été versée au commerçant, aurait été comptabilisée dans les profits
réalisés, au cours d'une année, dans le commerce qu'il exploitait au moment du versement, c'est-à-dire, pour être bref, aurait- elle constitué ce que j'appellerais un produit de ce commerce. L'origine du droit à l'indemnité n'est pas pertinente à la solution du deuxième problème. La méthode utilisée pour éta- blir l'indemnité dans ce cas particulier n'indique pas ce qu'elle a servi à payer; ce n'est rien de plus qu'un facteur qui aide à la solution d'un problème d'identification.
En l'espèce, l'intimé était un commerçant. Il a participé à une affaire de caractère commercial. Les dommages-intérêts pour assertion fautive de la qualité d'agent qu'il a reçus de Benjamin Levy en vertu d'un droit visaient à l'indemniser de n'avoir pas reçu des honoraires de démarcheur des action- naires de la famille Levy. Si l'intimé avait reçu ces honoraires de démarcheur, ceux-ci auraient consti- tué un bénéfice tiré d'une entreprise et, aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, ils auraient être inclus dans le revenu du contribuable dans l'année de leur réception. Les dommages-intérêts alloués pour assertion fautive de la qualité d'agent doivent être traités de la même façon pour les fins de l'impôt sur le revenu.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens, tant en la présente espèce que devant la Division de première instance, et de rétablir la nouvelle cotisation.
Il reste une question à résoudre. Le juge de première instance n'a pas jugé nécessaire de l'étu- dier et elle n'a pas été soulevée en appel. À titre de moyen de défense subsidiaire, l'intimé a demandé que, dans le cas la Cour statuerait que les dommages-intérêts constituaient un revenu, les frais judiciaires engagés dans l'action à l'issue de laquelle il a été condamné à payer la moitié de la somme obtenue à un tiers soient soustraits du montant des dommages-intérêts. Afin de permettre que cette question soit tranchée, j'invite l'appe- lante, conformément à la Règle 337(2)b) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] préparer un projet de jugement approprié et à demander que ce jugement soit prononcé en vertu de la Règle 324.
LE JUGE HEALD: Je suis du même avis. LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.