Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-52-84
RCP Inc. (requérante) c.
Ministre du Revenu national et sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (intimés)
Division de première instance, juge Rouleau— Toronto, 15 et 21 octobre; Ottawa, 13 décembre 1985.
Pratique Frais et dépens Règlement La Règle 344(1) prévoit que les dépens 'suivent le «sort de l'affaire» Le «sort de l'affaire» est l'issue du litige, qu'il s'agisse d'un jugement ou d'un règlement Il ne dépend pas du fait que la Cour rende un jugement ou une ordonnance L'equity exige qu'on adjuge ses dépens à la requérante, qui a eu gain de cause La Cour a le devoir de prendre en considération l'ensemble des circonstances, y compris la conduite des intimés ayant donné lieu au litige, l'obligation de contre-interroger longue- ment les témoins sur des affidavits ambigus et le long débat sur les dépens Les frais entre procureur et client ne sont adjugés que dans des circonstances exceptionnelles Les dépens ne sont pas accordés à titre de dommages-intérêts En l'espèce, le fait d'adjuger les dépens sur la base procureur et client équivaudrait à accorder des dommages-intérêts Somme globale dépassant ce qui est prévu au Tarif accordée comme dépens Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 344(1),(7), Tarif A, art. 1(4)a), Tarif B, art. 3.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Requête visant à obtenir une ordonnance portant versement des dépens sur la base procureur-client La requérante aurait-elle procéder sur le fondement des art. 46 et 48 de la Loi sur les douanes? L'art. 46 ne résoud pas la question principale, savoir celle de l'utilisation des articles importés La Cour a compétence Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 46, 48 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65).
Jugement: une somme globale dépassant ce qui est prévu au Tarif devrait être accordée comme dépens.
La Règle 344(1) prévoit que les dépens de toutes les procédu- res sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire. Le «sort de l'affaire» est l'issue du litige, qu'il s'agisse d'un jugement ou d'un règlement. Il n'est pas nécessaire que la Cour rende une ordonnance ou un jugement pour qu'il y ait «sort de l'affaire». Un règlement n'empêche nullement de rendre une ordonnance portant adjudi cation des dépens. L'equity exige qu'on adjuge à la requérante ses dépens. Elle a eu gain de cause dans l'action et on ne devrait pas permettre aux intimés d'échapper au paiement des dépens en réglant l'affaire au moment il devient apparent que la requérante aurait gain de cause si un procès avait lieu. Bien que la Cour ait un pouvoir discrétionnaire absolu pour adjuger les dépens, un plaideur qui a eu gain de cause peut raisonnable- ment s'attendre à obtenir une ordonnance portant paiement des dépens.
La Cour a le devoir de prendre en considération l'ensemble des circonstances de l'affaire et ce qui a amené l'action, l'obli- gation de contre-interroger longuement les témoins et le long débat sur les dépens. La conduite des intimés a été répréhensi- ble. Le Ministère a persisté dans sa politique pendant quatre ans et demi. Il a compliqué et prolongé les procédures en déposant quelques jours avant l'audition de l'affaire des affida vits remplis de divergences. Un aspect laisse voir qu'on n'a peut-être pas joué franc-jeu dans la suspension des privilèges de la requérante, alors que les concurrents conservaient les leurs. Bien que la requérante ait convaincu la Cour que les intimés ont fait preuve de mauvaise foi à son égard, qu'elle a été traitée injustement et que le comportement des fonctionnaires du Ministère n'a pas été sans reproches, ce comportement n'a pas persisté après le début des procédures. Orkin affirme, dans son ouvrage The Law of Costs, que la cour possède un pouvoir discrétionnaire général pour adjuger les dépens entre procureur et client, mais pas à titre de dommages-intérêts. En l'espèce, le fait d'adjuger les dépens sur la base procureur-client équivau- drait à accorder des dommages-intérêts. Dans les affaires il y a eu adjudication de dépens sur une base procureur-client, il y avait eu outrage au tribunal, défaut de produire tous les éléments de preuve, chevauchement d'actions, procédures frivo- les et vexatoires, conduite déraisonnable ou inconduite entraî- nant des retards ou des dépenses inutiles.
Le pouvoir discrétionnaire inhérent quant aux dépens appar- tient au juge présidant l'audition. La Règle 344(7) laisse supposer que le juge de première instance a le pouvoir discré- tionnaire de modifier les sommes fixées au Tarif B. L'article 3 du Tarif B autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétion- naire pour modifier les sommes fixées au Tarif. Le pouvoir de la Cour de modifier la somme fixée au Tarif a été reconnu dans Bourque c. Commission de la Capitale nationale, [1972] C.F. 527 (C.A.). Dans Hillsdale Golf & Country Club Inc. c. R., [1979] 1 C.F. 809 (1fe inst.), on a adjugé une somme globale au lieu de frais taxés. Les circonstances de l'espèce justifient amplement d'augmenter la somme au-delà de ce qui est prévu au Tarif.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Creen v Wright (1877), 25 W.R. 502 (C.A.); Field v Great Northern Railway Company (1878), 26 W.R. 817 (Div. Ct.); Copeland v. The Corporation of the Township of Blenheim (1885), 11 P.R. 54 (C.A. Ont.); Coniagas Reduction Co. v. H.E.P. Com'n, [1932] 3 D.L.R. 360 (C.A. Ont.); Hillsdale Golf & Country Club Inc. c. R., [1979] 1 C.F. 809 (1" inst.); The Proprietary Associa tion of Canada, Barnes-Hind/Hydrocurve, Inc., et Alcon Canada Inc. et R. (1983), 5 C.E.R. 496 (C.F. 1 r inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Andrews v. Barnes (1888), 39 Ch.D. 133 (C.A.); Holman v. Knox (1912), 3 D.L.R. 207 (C.D. Ont.); McGrath et al. v. Goldman et al. (1975), 64 D.L.R. (3d) 305 (C.S.C: B.); Food City Ltd. c. Ministre du Revenu natio nal, [1972] C.F. 1437 (1" inst.); IBM Canada Ltée c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Morrison v. Morrison, [1928] 2 D.L.R. 998 (C.A. Ont.); Mildenberger v. Rur. Mun. of Francis No. 127, [1955] 1 D.L.R. 46 (C.A. Sask.); Bourque c. Commission de la Capitale nationale, [1972] C.F. 527 (C.A.); Aladdin Industries Inc. c. Canadian Thermos Products Ltd., [1973] C.F. 942 (1`° inst.).
AVOCATS:
K. C. Cancellara pour la requérante. Lois E. Lehmann pour les intimés.
PROCUREURS:
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé de publier sous une forme abrégée, cette cause en matière de pratique. L'examen des faits par le juge a été omis, mais ses motifs de jugement sur les questions touchant aux dépens sont publiés intégralement.
Le redressement sollicité dans ce litige, intro- duit par voie d'avis introductif de requête, était un bref de certiorari annulant certaines décisions prises par des agents de douane. Ce n'est pas la Cour qui a mis fin à la procédure, mais une lettre dans laquelle les intimés ont consenti au redres- sement demandé. La requérante soutenait que les politiques et pratiques qu'avaient suivies les fonctionnaires étaient injustes et constituaient un abus de la procédure administrative.
La présente requête sollicitait une ordonnance adjugeant des dépens sur la base procureur- client ou, subsidiairement, un jugement déclara- toire portant que la requête en bref de certiorari était une action de la classe Ill aux fins de fixation des frais.
Deux questions se posaient: 1) Est-il possible de rendre une ordonnance quant aux frais en l'absence d'une ordonnance ou d'un jugement formel, autrement dit, s'il n'y a pas «sort de l'affaire, ainsi que le prévoit la Règle 344 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]? 2) S'agit-il d'un cas il convient d'adjuger des frais sur la base procureur-client?
Avant d'aborder les questions principales, le juge a examiné l'argument de la Couronne selon lequel la requérante se trouvait devant la mau- vaise instance. On a laissé entendre que les procédures prévues aux articles 46 et 48 de la Loi sur les douanes (S.R.C. 1970, chap. C-40 (mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 65)] auraient être suivies. Le juge Rouleau a rejeté cet argument, invoquant la décision du juge Cattanach dans l'affaire The Proprietary Associa tion of Canada, Barnes-Hind/Hydrocurve, Inc., et Alcon Canada Inc. et R. (1983), C.E.R. 496 (C.F. l 'e inst.), affaire qui porte sur une disposition semblable de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13. De toute évidence, la Cour fédérale avait compétence et la Couronne a invo- qué cet argument principalement pour tenter d'éviter d'avoir à payer les dépens.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU:
I
Peut-on adjuger les dépens en l'absence d'une ordonnance ou d'une décision sur les points liti- gieux soulevés dans l'avis introductif de requête?
Le paragraphe 344(1) des Règles de la Cour fédérale porte:
Règle 344. (1) Les dépens et autres frais de toutes les procédures devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire. Sans limiter la portée générale, la Cour pourra prescrire le paiement d'une somme fixe ou globale au lieu de frais taxés. [C'est moi qui souligne.]
Au fil des ans, les tribunaux ont eu à examiner le sens du mot «sort» dans diverses circonstances. Dans l'affaire Creen v Wright (1877), 25 W.R. 502 (C.A.), la Cour a statué que, dans les cas où, à l'instruction d'une action, il est rendu une ordon- nance de non-lieu qui est infirmée, qu'un nouveau procès est accordé et que, au terme du second procès, le demandeur obtient verdict et jugement, il a droit aux dépens du premier procès en tant que partie des dépens qui «suivent le sort de l'affaire». Le verdict du jury au second procès constitue le sort de l'affaire.
Dans l'arrêt Field v Great Northern Railway Company (1878), 26 W.R. 817 (Div. Ct.), on a
jugé que le sort de l'affaire était le résultat de toutes les procédures incidentes au litige et que les dépens qui suivent le sort de l'affaire comprennent les dépens à toutes les étapes du litige.
Dans Copeland v. The Corporation of the Township of Blenheim (1885), 11 P.R. 54 (C.A. Ont.), la Cour a déclaré à la page 55:
[TRADUCTION] On a jugé que le »sort de l'affaire» constituait précisément ce qu'il impliquait, savoir ale résultat du procès tout entier»: Field v. Great Northern R.W. Co., 3 Ex. D. 261. Les frais ont certes été engagés par le demandeur dans la poursuite de son action et le libellé de la règle est clair—ces frais doivent se conformer au sort de l'affaire.
Au cours de mes recherches, je n'ai pu trouver aucun arrêt appuyant l'argument suivant lequel lorsqu'une affaire a été réglée entre les parties et que la poursuite du litige devient inutile, il ne peut y avoir d'ordonnance quant aux dépens. Le «sort de l'affaire», que les dépens doivent suivre, n'est rien de plus que l'issue du litige; en l'espèce, le litige a connu son issue lorsque la requérante a obtenu le redressement qu'elle demandait par règlement. En soi, ce fait n'empêche nullement de rendre une ordonnance portant adjudication des dépens en faveur de la requérante.
En l'espèce, l'equity exigerait qu'on adjuge à la requérante ses dépens. Elle a eu gain de cause dans l'action; elle a reçu des intimés les sommes d'ar- gent auxquelles elle avait droit, ainsi que d'autres redressements.
Pour faire respecter son droit, la requérante a dépensé environ 21 000 $ pour lesquelles, en toute justice, l'equity exigerait compensation. On ne devrait pas permettre aux intimés d'échapper au paiement des dépens en réglant l'affaire au moment il devient apparent que la requérante aurait gain de cause si un procès avait lieu. Bien que la Cour ait un pouvoir discrétionnaire absolu et illimité pour adjuger ou non les dépens, un plaideur qui a gain de cause peut, en l'absence de circonstances particulières, raisonnablement s'at- tendre à obtenir une ordonnance portant paiement des dépens (voir Morrison v. Morrison, [1928] 2 D.L.R. 998 (C.A. Ont.)). Dans l'affaire Coniagas Reduction Co. v. H.E.P. Com'n, [1932] 3 D.L.R. 360 (C.A. Ont.), on déclare ceci à la page 363:
[TRADUCTION] La question de l'adjudication de ces dépens [du procès] est une question de discrétion judiciaire; et la discrétion judiciaire en cause est celle du juge de première instance; celui-ci peut et doit exercer ce pouvoir discrétionnaire...
En résumé, compte tenu des faits de l'espèce, je suis disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance quant aux dépens. La question de savoir s'il y a «sort de l'affaire» ne dépend pas du fait que la Cour rende une ordon- nance ou un jugement. Le «sort de l'affaire» est l'issue du litige, qu'il s'agisse d'un jugement ou d'un règlement en faveur de la requérante. Un juge de première instance possède un large pouvoir discrétionnaire lorsqu'il statue sur la question des dépens, et lorsque ce pouvoir discrétionnaire est exercé de façon judiciaire, en tenant compte des faits de l'espèce, de façon générale, les cours d'ap- pel ne modifieront pas l'adjudication (voir Mil- denberger v. Rur. Mun. of Francis No. 127, [1955] 1 D.L.R. 46 (C.A. Sask.)).
II
Suis-je en position d'adjuger les dépens sur la base procureur-client?
Le plus ancien précédent qui a examiné le pou- voir d'adjuger les dépens sur une plus grande échelle semble être l'affaire Andrews v. Barnes (1888), 39 Ch.D. 133 (C.A.). La Cour division- naire de l'Ontario a examiné et commenté ce précédent dans l'affaire Holman v. Knox (1912), 3 D.L.R. 207, ainsi que dans l'affaire McGrath et al. v. Goldman et al. (1975), 64 D.L.R. (3d) 305 (C.S.C.-B.). Ces décisions semblent indiquer que la Cour possède un pouvoir discrétionnaire général d'adjuger les dépens sur la base procureur-client, mais que même en equity, les frais entre procureur et client ne sont adjugés que dans des circons- tances rares et exceptionnelles.
Je dois donc examiner la question de savoir si les faits de l'espèce constituent des circonstances rares et exceptionnelles. Certes, la conduite des intimés a, à certains moments, été répréhensible. Le Ministère a persisté dans sa politique pendant quatre ans et demi. Il a compliqué et prolongé davantage les procédures en signifiant trois affida vits à la requérante trois ou quatre jours avant la date prévue pour l'audition de l'affaire. En raison de l'importance de ces affidavits produits en réponse, un ajournement a été accordé pour fins de contre-interrogatoire.
La transcription des contre-interrogatoires laisse voir un certain nombre de divergences et de con-
tradictions dans le texte des affidavits soumis par les fonctionnaires concernés. Un aspect, parmi bien d'autres, laisse voir qu'on n'a peut-être pas joué franc-jeu dans la suspension des privilèges de la requérante, alors que les concurrents conser-
vaient les leurs.
Tout cela étant dit, ai-je le pouvoir discrétion- naire d'adjuger les dépens sur la base procureur- client? J'en suis venu à la conclusion que non. Bien que la longue énumération des faits de l'espèce pourrait laisser croire que je penche dans cette direction, les faits en question ont été exposés pour d'autres fins: soit pour faire ressortir le comporte- ment équivoque des fonctionnaires et pour signaler les difficultés auxquelles ont fait face la requérante et les fonctionnaires en tentant de mener l'affaire; de plus, l'énumération de ces faits est nécessaire si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder une augmentation du tarif prévu dans les Règles, pour confier ce pouvoir discrétionnaire à l'officier taxateur ou, subsidiairement, pour fixer une somme globale.
Bien que, la requérante m'ait convaincu qu'on a fait preuve de mauvaise foi à son endroit, qu'elle a été traitée injustement et que le comportement des fonctionnaires du Ministère n'a pas été sans repro- ches, ce comportement n'a pas persisté après le début des procédures en janvier 1984. Je dis cela, mais non sans certaines réserves, car il ne fait pas de doute que les affidavits déposés en réponse par les témoins de la Couronne étaient vagues et ambi- gus et auraient pu induire en erreur si un juge de première instance avait trancher les questions en litige sans le bénéfice des contre-interrogatoires. Ces derniers ont été très révélateurs en ce qu'ils ont apporté des précisions sur le long litige et signalé les divergences entre les déclarations conte- nues dans les affidavits et les faits réels. Par contre, entre eux, les deux avocats se sont conduits d'une manière conforme aux normes acceptables dans le domaine du litige.
Comme l'affirme Mark M. Orkin, dans son ouvrage The Law of Costs, (1968), la page 53:
[TRADUCTION] Dans un litige inter partes, la cour possède un pouvoir discrétionnaire général pour adjuger les dépens entre procureur et client, non à titre de dommages-intérêts toutefois.
En l'espèce, le fait d'adjuger les dépens sur la base procureur-client équivaudrait à accorder des dom-
mages-intérêts. À de nombreuses reprises au cours de leur carrière, les avocats vont voir leurs services être retenus par des parties qui négocieront des litiges, se disputeront et discuteront pendant des mois, voire des années, avant d'en arriver à une solution sans recourir aux tribunaux. Dans de tels cas, personne ne demande de dépens et encore moins ne s'attend à ce que la Cour en adjuge. Les dépens ne peuvent être envisagés qu'à partir du moment des procédures sont intentées.
J'ai examiné un certain nombre de causes dont a été saisie la Cour fédérale du Canada, mais très peu d'entre elles portent sur l'adjudication des dépens sur la base procureur-client. Quand ce fut le cas, le juge présidant l'audience disposait d'assez d'éléments de preuve pour conclure qu'il y avait eu outrage au tribunal, défaut par une partie de produire tous les éléments de preuve, chevauche- ment d'actions, procédures frivoles et vexatoires, conduite déraisonnable, ou inconduite entraînant des retards ou des dépenses inutiles.
J'en arrive à la conclusion que le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, aurait se rendre compte, bien avant septembre 1984, qu'il était presque impossible de faire appliquer sa poli- tique adoptée en décembre 1980; que cette politi- que a causé des difficultés à la requérante et de la frustration aux fonctionnaires. L'obstination et la conduite du Ministère ont persisté jusqu'à ce qu'une action soit intentée, et le procureur dont il a retenu les services y est sans doute pour beau- coup dans sa décision d'abandonner ces nouvelles lignes directrices. Environ quatre ans et demi après la proclamation de la politique, le Ministère a finalement admis qu'il était impossible d'appliquer ses règlements et a entièrement consenti au redres- sement sollicité par la requérante.
Il existe des dispositions législatives et suffisam- ment de décisions, tant de la Division de première instance que de la Division d'appel, qui établissent de façon très claire que le pouvoir discrétionnaire inhérent quant aux dépens appartient au juge pré- sidant l'audition. Le paragraphe 344(1) des Règles de la Cour fédérale porte:
Règle 344. ... la Cour pourra prescrire le paiment d'une somme fixe ou globale au lieu de frais taxés.
La Règle 344(7) prévoit qu'une partie peut requé- rir la Cour de donner des directives spéciales au
sujet des dépens, y compris une directive visée au Tarif B. Cette Règle laisse supposer que le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire de modifier les sommes fixées dans le Tarif B. L'ali- néa 1(4)a) du Tarif A prévoit que:
1....
(4) La Cour pourra,
a) donner des instructions pour qu'une démarche ou mesure ou toutes les démarches et mesures d'une procédure fassent partie d'une classe autre que celle dont elles feraient autre- ment partie ...
En outre, l'article 3 du Tarif B autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire pour modifier les sommes fixées au Tarif:
3. Il ne doit pas être accordé, par taxation, entre parties, d'autres sommes que celles indiquées ci-dessus; toutefois, tout ou partie des sommes indiquées ci-dessus peuvent être augmen- tées ou diminuées sur instructions données par la Cour dans le jugement relatif aux dépens ou en vertu de la Règle 344(7). [C'est moi qui souligne.]
Au début, le pouvoir discrétionnaire d'augmen- ter ou de réduire la somme fixée au Tarif apparte- nait à l'officier taxateur. En vertu des Règles de la Cour fédérale, c'est maintenant la Cour qui est investie de ce pouvoir, et ce changement a été reconnu par le juge en chef Jackett dans Bourque c. Commission de la Capitale nationale, [1972] C.F. 527 (C.A.). On a appliqué ce principe dans l'affaire Aladdin Industries Inc. c. Canadian Thermos Products Ltd., [1973] C.F. 942 (1 re inst.), à la page 944.
Dans l'arrêt Hillsdale Golf & Country Club Inc. c. R., [1979] 1 C.F. 809 (1 re inst.), on a adjugé une somme globale au lieu de frais taxés. Abor- dant la question de l'adjudication d'une somme globale, le juge Walsh a déclaré, à la page 810:
Il s'agit en l'espèce d'une requête afin d'obtenir des directives concernant les dépens de l'instance ou une ordonnance qui enjoindrait le paiement d'une somme fixe et globale en lieu et place des frais. La question de l'attribution de sommes appro- priées au lieu de frais taxés et la procédure à suivre pour les attribuer est devenue difficile et controversée; elle induit fré- quemment les avocats des parties en erreur vu l'existence, au moins jusqu'à tout récemment, d'une jurisprudence contradic- toire. Dans l'affaire Aladdin Industries Inc. c. Canadian Ther mos Products Limited ([1973] C.F. 942); le juge Kerr a accordé des sommes substantiellement supérieures au tarif, lequel à mon avis est irréaliste et dépassé par les normes contemporaines, si ce n'est pour quelques espèces relativement rares, dont la présente cour a à connaître, les sommes impliquées et le temps et l'effort dépensés sont minimes; dans le jugement que j'ai rendu dans Crelinsten Fruit Company c. Maritime Fruit Carriers Co. Ltd. [1976] 2 C.F. 316, dans
lequel, quoique j'aie substantiellement réduit les sommes récla- mées, calculées selon un taux horaire, celles accordées furent quand même considérablement supérieures au tarif. J'ai suivi la même ligne directrice dans l'affaire Le Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne au Canada c. La Reine, n°s du greffe T-908-74 [[1977] 2 C.F. 107] et A-404-74, non publiée, datée du 2 décembre 1976, qui, contrairement aux deux autres causes précitées, était une action en expropriation engagée, toutefois, sur le fondement de la nouvelle Loi.
Le juge Kerr a accordé une somme globale dans l'affaire Food City Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1972] C.F. 1437 (1re inst.). La Cour d'appel a reconnu le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance de modifier les sommes fixées au Tarif et c'est ce qu'elle a dit dans IBM Canada Liée c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.), aux pages 184 et 185:
La théorie du droit sur la question de la révision de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un fonctionnaire taxateur pour allouer des montants spécifiques révèle clairement qu'un tribu nal ne devrait intervenir que lorsque les montants accordés sont inappropriés ou que la décision est déraisonnable au point de sembler résulter d'une erreur de principe. (Voir: Rickwood c. Aylmer ([1954] O.W.N. 858); Kaufman c. New York Under writers Insurance Co. ([1955] O.W.N. 496).)
Je suis convaincu que les circonstances de l'es- pèce justifient amplement d'augmenter la somme au-delà de ce qui est prévu au Tarif et ce, pour les raisons suivantes:
Je suis convaincu que RCP Inc. a reçu un traitement différent de celui réservé à ses concurrents.
La requérante n'a pas réussi à obtenir du ministre du Revenu national une déclaration définitive sur la façon de se conformer à la politique.
Il y a preuve, tout au long des négociations, de la volonté de RCP Inc. de satisfaire à toute demande.
Le ministère du Revenu national a recouru à la menace de suspendre les privilèges de stoc- kage afin de contraindre RCP Inc. à payer les droits.
Des fonctionnaires du Ministère ont fait des déclarations sous serment qui confirment qu'il était pratiquement impossible de contrôler l'utilisation.
C'est à tort qu'on a accusé la requérante d'avoir tenu ses dossiers de manière inadé- quate.
Les fonctionnaires du ministère du Revenu national ont convenu que RCP Inc. respectait tous les critères auxquels les importateurs doi- vent se conformer pour avoir droit au statut d'importateur exempt de droits.
Il y a eu mauvaise foi évidente de la part du Ministère.
Il y a eu des retards déraisonnables dans la révision et la modification de la politique avant que ne soient intentées les procédures;
Les affidavits déposés en réponse par les fonc- tionnaires de Douanes et Accise étaient trompeurs.
Je suis convaincu que je peux, en l'espèce, tenir compte de la conduite antérieure des intimés ayant donné lieu au présent litige, et j'ai le devoir de prendre en considération l'ensemble des circons- tances de l'affaire et ce qui a amené l'action, l'obligation de contre-interroger longuement les témoins et le débat inhabituellement long sur les dépens. Pour ces motifs et pour les autres raisons déjà soulignées, je vais exercer mon pouvoir discré- tionnaire pour fixer une somme globale.
Vers la fin du débat sur la présente requête, j'ai délibérément soulevé la question du mémoire de frais à l'avocat du Ministère. Aucun commentaire n'a été formulé sur le mémoire soumis par la requérante. On n'a contesté ni le nombre d'heures de travail ni le taux horaire qui sont mentionnés dans le mémoire de frais. Comme je l'ai déjà dit, je ne peux adjuger les dépens sur la base procureur- client, je ne peux chercher à indemniser entière- ment; car comme l'a laissé entendre l'auteur Orkin, je substituerais alors les dépens aux dom- mages-intérêts. Ce n'est ni mon intention ni mon but.
Le mémoire lui-même ne semble pas inclure quelque somme que ce soit pour des heures travail- lées avant l'introduction de l'action. Si tel était le cas, je les supprimerais. Suivant mon interpréta- tion du mémoire de frais, le temps consigné semble raisonnable eu égard aux services rendus et je conclus au fait que le nombre d'heures réclamées a été calculé à partir du moment le litige a été envisagé. Le montant total du compte pour les services professionnels et pour le temps consacré jusqu'à l'introduction de la présente requête s'élève à 20 000 $. Je fixe et adjuge cette somme à
10 000 $. On réclame des débours de 1 341,17 $ qui semblent justifiables, à l'exception de la récla- mation des frais de photocopies de 422,55 $. Je réduis donc cette somme à 100 $ et accorde à titre de débours la somme de 1 018,62 $.
La présente requête quant aux dépens a duré deux jours entiers. Il ne fait pas de doute qu'elle a imposé un travail de préparation considérable à l'avocat de la requérante. Je fixe et adjuge par la présente une somme globale de 2 500 $ pour la présente requête.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.