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A-363-85
Banque canadienne impériale de commerce (requérante)
c.
Ellen Rifou (intimée)
RÉPERTORIÉ: BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COM MERCE c. RIFOU
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone- Toronto, 12 mai; Ottawa, 9 juillet 1986.
Relations du travail - Demande d'annulation d'une ordon- nance d'un arbitre réintégrant dans son emploi une employée de banque congédiée après avoir été trouvée coupable d'avoir volé, dans un magasin, des marchandises dont la valeur ne dépassait pas 200 $ - La demande est accueillie en vertu de l'art. 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale - La décision est fondée sur une conclusion de fait erronée - L'arbitre a conclu que les fonctions de l'intimée n'impliquaient pas la manuten- tion d'argent; la preuve indique le contraire - Le pouvoir de réintégrer un employé dans ses fonctions prévu à l'art. 61.5(9)b) du Code du travail, n'est pas contraire à la liberté d'association prévue à l'art. 2d) de la Charte puisque les objectifs communs d'un groupe ne sont pas en jeu - L'art. 61.5 du Code est intra vires - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(1)c) - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5J (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 96, 97, 98, 99, 100, 101 - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2d) - Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52 Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 294b) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 25).
Droit constitutionnel - Partage des pouvoirs - L'art. 61.5 du Code canadien du travail est intra vires - L'art. 61.5 confère à un arbitre spécial nommé en vertu du Code du travail la compétence pour décider d'une demande alléguant qu'un congédiement est injuste - La compétence en la matière relèverait d'une cour supérieure, de comté ou de district - Les provinces sont assujetties à certaines restrictions lorsqu'il s'agit de conférer à un organisme provincial certains pouvoirs qui appartiennent dûment à une cour créée en vertu de l'art. 96 - Le Parlement du Canada n'est pas assujetti aux mêmes restrictions que les parlements provinciaux lorsqu'il s'agit de conférer des pouvoirs à des tribunaux administratifs - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 96, 97, 98, 99, 100, 101.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Liberté d'association Un arbitre a réintégré dans ses fonctions une employée congédiée par la Banque après avoir été trouvée coupable d'une infraction criminelle L'art. 61.5(9)b) du Code du travail, qui confère à un arbitre le pouvoir de réintégrer une personne dans son emploi, n'est pas contraire au droit à la liberté d'association prévu à l'art. 2d) de la Charte La liberté d'association signifie la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant En l'espèce, il n'est pas question d'objectifs communs, et encore moins de ceux d'un groupe Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 1, 2d) Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen La demande vise l'annulation d'une ordonnance d'un arbitre portant qu'une employée de banque congédiée après avoir été trouvée coupable d'avoir volé dans un magasin des marchandises d'une valeur ne dépassant pas 200 $ doit être réintégrée dans son emploi La décision est fondée en partie sur une conclusion que les fonc- tions de l'employée n'impliquent pas la manutention d'argent Le rapport d'évaluation de l'employée énumère ses fonc- tions, qui comprennent la vente de chèques de voyage et d'autres documents La demande est accueillie L'arbitre a omis de tenir compte d'un élément de preuve pertinent Il n'est pas nécessaire, pour que s'applique l'art. 28(1)c), que la personne rendant la décision ait refusé de prendre connaissance d'éléments qui lui étaient présentés Loi sur la Cour fédé- rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(1)c).
Juges et tribunaux Indépendance des tribunaux L'in- dépendance des tribunaux serait menacée si le Parlement avait pleine compétence pour transférer les rôles judiciaires des cours supérieures aux tribunaux administratifs Les critères établis dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle s'appliquent à la question de l'usurpation des fonctions des cours supérieures Possibilité d'un contrôle judiciaire Il est important que les tribunaux soient suffi- samment indépendants pour exercer les fonctions qui leur sont attribuées L'art. 61.5 du Code canadien du travail, qui confère à un arbitre le pouvoir d'ordonner qu'un employé congédié soit réintégré dans son emploi, n'est pas ultra vires de la compétence du Parlement Ces pouvoirs sont nécessaire- ment inséparables de la réalisation d'objectifs plus larges Le tribunal ne fonctionne pas comme une cour visée à l'art. 96 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21).
L'intimée, qui était employée par une banque, a été congé- diée après avoir été trouvée coupable d'avoir volé dans un magasin des marchandises dont la valeur ne dépassait pas 200 $. Un arbitre, désigné conformément à l'article 61.5 du Code du travail, l'a réintégrée dans son emploi en tenant compte du fait que son dossier au travail était par ailleurs sans tache, des conséquences graves d'un congédiement ainsi que de l'absence de rapport entre l'acte commis et ses fonctions et possibilités au travail. L'employeur demande à la Cour d'annu- ler l'ordonnance de l'arbitre conformément à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale pour le motif que l'arbitre a tiré une conclusion de fait erronée. Il prétend également que l'alinéa 61.5(9)b) du Code, qui confère à l'arbitre le pouvoir de réinté-
grer l'intimée dans son emploi, enfreint sa «liberté d'associa- tion», une liberté fondamentale prévue à l'alinéa 2d) de la Charte. La requérante prétend enfin que l'article 61.5 du Code est ultra vires dans son ensemble puisque les pouvoirs qu'il vise à conférer à un arbitre en matière de congédiement injuste constituent des «pouvoirs judiciaires» qui ne peuvent être accor dés à un arbitre mais doivent plutôt être laissés à une cour supérieure, une cour de comté ou une cour de district de province ou encore à une cour créée en vertu de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Arrêt: la demande devrait être accueillie et la question devrait être renvoyée devant l'arbitre.
Le juge Stone: L'arbitre a fondé en partie sa décision sur une conclusion que les fonctions de l'intimée n'impliquaient pas la manutention d'argent. Cette conclusion était incompatible avec la preuve puisque les fonctions de l'intimée énumérées dans son rapport d'évaluation comprenaient la vente de chèques de voyage, mandats et autres documents. L'intimée s'est appuyée sur la décision rendue dans l'affaire Re Rohm & Haas Canada Ltd., dans laquelle il a été conclu que les termes «sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance» figurant à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale laissent entendre que le tribunal aurait ignoré certains des éléments de preuve ou aurait refusé d'en prendre connaissance. L'arbitre n'a pas refusé de prendre connaissance du rapport d'évaluation mais a oublié de le faire. En omettant de tenir compte d'un élément de preuve pertinent pour tirer une conclusion de fait et fonder sa décision sur cette conclusion, le tribunal «[fonde] sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée ... sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance».
La plupart des décisions publiées qui traitent de la liberté d'association ont un point en commun, à savoir que la liberté garantie par l'alinéa 2d) de la Charte est celle de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs d'un groupe s'associant. L'alinéa 61.5(9)b) du Code ne contrevient pas à la liberté d'association garantie par l'alinéa 2d) de la Charte. En l'espèce, il n'est même pas question d'objectifs communs, et encore moins de ceux d'un groupe. L'intimée désire gagner sa vie grâce à un emploi; le but ultime de la requérante est de tirer un profit de ses opérations bancaires.
Dans leur champ de compétence, les provinces sont assujet- ties à certaines restrictions lorsqu'il s'agit de conférer à un organisme provincial certains pouvoirs qui appartiennent dûment à une cour créée en vertu de l'article 96. La requérante s'appuie sur l'arrêt McEvoy c. Procureur général du Nouveau- Brunswick et autre pour prétendre que le Parlement du Canada est soumis à ces mêmes restrictions lorsqu'il tente de transférer ces pouvoirs à un organisme fédéral. Elle prétend que le critère énoncé dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle s'applique à l'espèce et que, si ce critère n'est pas respecté, l'article 61.5 du Code est inconstitutionnel. La portée de la question se trouvant réellement tranchée dans l'affaire McEvoy est loin de permettre que l'on invoque cette décision à l'appui de la proposition précitée. La Cour suprême du Canada était saisie d'un projet en vertu duquel une province devait créer un tribunal dont elle nommait les juges, tribunal auquel le Parlement du Canada transférerait la compétence d'une cour supérieure. La Cour suprême a jugé que l'application de ce programme contreviendrait au «principe fondamental» de l'in-
dépendance des cours supérieures visées à l'article 96, principe que garantissent les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur le système judiciaire. Ces articles s'appliquaient et empêchaient le Parlement de transférer cette compétence et la province de nommer ces juges. Ce jugement ne comporte aucune déclaration claire et nette sur la question particulière qui se pose en l'espèce. L'opinion ayant prévalu par le passé veut que le Parlement du Canada, dans l'exercice de sa compé- tence législative, ne soit pas assujetti aux mêmes restrictions que les parlements provinciaux lorsqu'il s'agit de créer des tribunaux administratifs et de leur conférer des pouvoirs. L'ar- ticle 61.5 n'est pas ultra vires des pouvoirs du Parlement du Canada.
Le juge Urie (motifs concordants quant au résultat): L'indé- pendance des tribunaux risque l'érosion si le Parlement a pleine compétence pour conférer les rôles judiciaires joués tradition- nellement par les cours supérieures à d'autres organismes. La possibilité d'un contrôle judiciaire constitue peut-être une con dition sine qua non. Même en reconnaissant que dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle, il s'agissait du pouvoir d'un législateur provincial de conférer les pouvoirs judiciaires traditionnels à un tribunal provincial, les trois critères énoncés dans cette affaire sont tout aussi applica- bles pour déterminer si le Parlement a usurpé les fonctions des cours supérieures en conférant à d'autres tribunaux des pou- voirs originalement exercés par celles-ci. Suivant ces critères, l'article 61.5 du Code canadien du travail n'est pas ultra vires puisque le pouvoir qu'il prévoit, compte tenu du «contexte dans lequel il est exercé», est de ceux qui sont «nécessairement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges». Il ne s'agit pas de «la seule fonction ou la fonction principale du tribunal [de sorte] qu'on puisse dire que le tribunal fonctionne "comme une cour visée à l'article 96"».
Le juge Mahoney (motifs concordants quant au résultat): Les pouvoirs de transfert de compétence du Parlement ne doivent pas être illimités. Le critère applicable devrait peut-être consister à savoir si une personne raisonnable et bien informée considérerait le tribunal cessionnaire comme un organisme assez indépendant pour exercer les pouvoirs qui lui sont attri- bués et si, de fait, il est bel et bien indépendant. L'existence d'un contrôle judiciaire est peut-être une condition sine qua non. Les arbitres spéciaux nommés en vertu du paragraphe 61.5(6) jouissent de l'indépendance voulue et leurs décisions sont assujetties au contrôle judiciaire. L'article 61.5 n'est pas ultra vires.
JURISPRUDENCE
DECISION NON SUIVIE:
Re Rohm & Haas Canada Ltd. et Le Tribunal antidum- ping (1978), 91 D.L.R. (3d) 212 (C.A.F.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889 (C.A.); Collymore v. Attor- ney -General, [1970] A.C. 538 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Black & Company v. Law Society of Alberta (1986), 68 A.R. 259 (C.A.); Young, James and Webster v. United Kingdom (1981), 4 E.H.R.R. 38; McEvoy c. Procureur général du Nouveau-Brunswick et autre, [1983] 1 R.C.S. 704.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714; Papp v. Papp, [1970] 1 O.R. 331 (C.A.); R. v. Canada Labour Relations Board, Ex parte Federal Elec tric Corp. (1964), 44 D.L.R. (2d) 440 (B.R. Man.); Canard v. Attorney-General of Canada et al. (1972), 30 D.L.R. (3d) 9 (C.A. Man.); infirmée par Procureur général du Canada et autre c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170; Valente c. La Reine et autres, [ 1985] 2 R.C.S. 673.
DÉCISIONS CITÉES:
Re United Headwear, Optical and Allied Workers Union of Canada, Local 3 et al. and Biltmore/Stetson (Canada) Inc. et al. (1983), 43 O.R. (2d) 243 (C.A.); Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broad- way Manor Nursing Home et al. and two other applica tions (1983), 44 O.R. (2d) 392 (C. div.); Dolphin Deli very Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580 (1984), 52 B.C.L.R. 1 (C.A.); Re Pruden Building Ltd. and Construction & General Workers' Union Local 92 et al. (1984), 13 D.L.R. (4th) 584 (B.R. Alb.); Chappell v. Times Newspapers Ltd., [1975] 1 W.L.R. 482 (Ch.D.); Reference re Authority to perform functions vested by the Adoption Act, the Children's Protection Act, the Children of Unmarried Parents Act, the Deserted Wives' Act and Children's Maintenance Act, of Ontario, [1938] R.C.S. 398; Labour Relations Board of Saskatchewan v. John-East Iron Works, Ld., [1949] A.C. 134 (P.C.); Dupont and MacLeod v. Inglis, Biron and Mann, [1958] R.C.S. 535; Tomko c. Labour Relations Board (N.-E.) et autres, [1977] 1 R.C.S. 112; Procureur général (Qué.) et autre c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638; Mississauga (ville de) c. Municipalité de Peel et autres, [1979] 2 R.C.S. 244; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Pro- cureur général du Québec et autre c. Grondin et autre, [1983] 2 R.C.S. 364; Family Relations Act (C.-B.), Renvoi:, [1982] 1 R.C.S. 62; R. v. McDonald, [1958] O.R. 373 (C.A.); Valin v. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1.
AVOCATS:
D. J. M. Brown, c.r. pour la requérante. L. T. Roslyn pour l'intimée.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la requérante.
Leighton T. Roslyn, Sudbury (Ontario), pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE (souscrivant au résultat): J'ai eu le privilège de lire l'ébauche des motifs du juge- ment de mes collègues, les juges Mahoney et Stone. Tout comme le juge Mahoney, je souscris tout à fait à l'opinion du juge Stone en ce qui concerne le résultat de la demande, la conclusion de fait erronée et la prétendue violation de la liberté d'association de la requérante, garantie par la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Cependant, j'ai autant de difficulté que le juge Mahoney à concilier le statut constitutionnel d'un tribunal indépendant «avec la notion selon laquelle dans les limites de ses compétences législatives, le Parlement est libre d'attribuer à quiconque les pouvoirs traditionnellement exercés par ce tribu nal»; c'était, en fait, la conclusion de notre collè- gue, le juge Stone, relativement au pouvoir du Parlement d'adopter l'article 61.5 du Code cana- dien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1, édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21]. Sa conclusion représente un prolongement des principes énoncés fréquemment par la Cour suprême du Canada, notamment dans Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714 et McEvoy c. Procureur général du Nouveau-Brunswick et autre, [1983] 1 R.C.S. 704. J'ai de la difficulté à accepter cette interprétation.
Le juge Mahoney a exprimé de façon succincte ses doutes au sujet de l'érosion éventuelle de l'indé- pendance des tribunaux si le Parlement avait pleine compétence pour conférer à d'autres orga- nismes les rôles judiciaires joués traditionnelle- ment par les cours supérieures. À son avis, la possibilité d'un contrôle judiciaire constitue peut- être une condition sine qua non. Je partage ses doutes et son opinion à l'égard de la nécessité, tout au moins, d'un contrôle judiciaire.
J'irais toutefois encore plus loin. Même si je reconnais que dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle, il s'agissait du pouvoir d'un législateur provincial de conférer les pouvoirs judiciaires traditionnels à un tribunal pro vincial, il me semble que les trois critères énoncés
dans cette affaire par le juge Dickson (alors juge puîné) sont tout aussi applicables pour déterminer si le Parlement a usurpé les fonctions des cours supérieures en conférant à d'autres tribunaux les pouvoirs originalement exercés par celles-ci. Sui- vant ces critères, je conclus facilement qu'en l'es- pèce, contrairement à ce que prétend l'avocat de la requérante, l'adoption de l'article 61.5 du Code canadien du travail n'est pas ultra vires des com- pétences du Parlement du Canada parce que notamment, en ce qui concerne le troisième critère, compte tenu du «contexte dans lequel le pouvoir [de l'arbitre] s'exerce», ces pouvoirs sont «nécessai- rement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges». Il ne s'agit pas de «la seule fonction ou la fonction principale du tribunal [de sorte] qu'on puisse dire que le tribunal fonctionne "comme une cour visée à l'art. 96"». Il suffit d'examiner l'éco- nomie de la loi pour conclure qu'il s'agit de l'inter- prétation exacte.
Par conséquent, je souscris à l'opinion de mes collègues selon laquelle l'article 61.5 n'est pas ultra vires des compétences du Parlement du Canada. Je disposerais donc de l'affaire de la même façon que le juge Stone.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (souscrivant au résultat): J'ai eu le privilège de lire l'ébauche des motifs du jugement de mon collègue le juge Stone. Je sous- cris à sa décision ainsi qu'à ses motifs, en ce qui concerne la conclusion de fait erronée de l'arbitre et la prétendue violation de la liberté d'association de la requérante, garantie par la Charte.
Toutefois, je suis sceptique à l'égard d'un aspect de ses motifs portant sur la constitutionnalité. Comme le juge Stone l'a très clairement démontré, de nombreux auteurs et experts de renom estiment que le Parlement n'est assujetti à aucune restric tion constitutionnelle lorsqu'il s'agit de conférer à des fonctionnaires ou à des tribunaux administra- tifs fédéraux des pouvoirs traditionnellement exer- cés par des cours visées à l'article 96. Cette propo sition maladroitement énoncée me semble tout à fait illogique.
Même si dans l'arrêt McEvoy c. Procureur général du Nouveau-Brunswick et autre, [1983] 1 R.C.S. 704, il s'agissait d'un droit garanti par la Charte, contrairement à l'espèce, cette décision portait notamment, à la page 720, ce qui suit:
La Loi constitutionnelle de 1867 érige en principe fondamen- tal de notre régime fédéral l'indépendance traditionnelle des juges des cours supérieures anglaises et cette indépendance ne peut être moins importante et moins vitale dans l'administra- tion du droit criminel qu'elle ne l'est dans les affaires civiles. Aux termes de la Constitution canadienne, les cours supérieures sont indépendantes des deux paliers de gouvernement. Les provinces créent, maintiennent et organisent les cours supérieu- res; le fédéral nomme les juges. Les articles de la Loi constitu- tionnelle de 1867 qui portent sur l'organisation judiciaire garantissent l'indépendance des cours supérieures; ils s'appli- quent aussi bien au Parlement qu'aux législatures provinciales.
En toute déférence, je ne puis concilier le statut constitutionnel d'un tribunal indépendant avec la notion selon laquelle dans les limites de ses compé- tences législatives, le Parlement est libre d'attri- buer à quiconque les pouvoirs traditionnellement exercés par ce tribunal. Pourquoi reconnaître cons- titutionnellement l'indépendance des tribunaux si le Parlement peut à son gré leur retirer leurs pouvoirs?
Il va presque sans dire que les besoins pratiques de l'administration de la justice ne seront pas mieux servis à l'avenir par une division statique des pouvoirs entre les cours visées par l'article 96 et les autres tribunaux. Cependant, cela ne justifie pas que les pouvoirs de transfert de compétence du Parlement soient illimités.
Une bonne partie des arguments portant sur l'indépendance des tribunaux dans l'affaire Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, sont pertinents en l'espèce, même s'il s'agis- sait également d'une question d'application de la Charte. La Cour a peut-être raison d'affirmer, à la page 689, qu'il faudrait déterminer si une personne raisonnable et bien informée considérerait le tribu nal cessionnaire comme un organisme assez indé- pendant pour exercer les fonctions qui lui sont attribuées et si, de fait, il est bel et bien indépen- dant. En outre, l'existence d'un contrôle judiciaire est peut-être une condition sine qua non.
Par conséquent, j'admets facilement que l'article 61.5 du Code canadien du travail n'est pas ultra vires des compétences du Parlement. Les arbitres
spéciaux nommés en vertu du paragraphe 61.5(6) jouissent de l'indépendance voulue et leurs déci- sions sont assujetties au contrôle judiciaire.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Madame Rifou, employée de longue date de la Banque, a perdu son emploi après avoir été reconnue coupable d'une infraction criminelle. Un arbitre nommé en vertu de l'article 61.5 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, modifié, l'a réintégrée dans son emploi, sans indemnité ni autres avantages. La Cour est maintenant saisie de l'annulation de la décision de l'arbitre ainsi que de son ordonnance datée du 27 mars 1985.
La décision et l'ordonnance ont été prononcées dans les circonstances suivantes. Le 18 juin 1984, l'intimée a été informée par écrit de son congédie- ment. Le mois précédent, elle avait été reconnue coupable d'avoir volé, dans un magasin, des mar- chandises dont la valeur ne dépassait pas 200 $, enfreignant ainsi l'alinéa 294b) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 93, art. 25)]. Au moment de sa condamnation, elle était préposée aux prêts ou au crédit chez la requérante. Elle avait occupé diffé- rents postes au sein de la Banque, depuis son arrivée en 1967. Avant cet incident, son dossier au travail était sans tache, ce qui a mené l'arbitre à conclure qu'elle avait [TRADUCTION] «un grand sens de la responsabilité et de la collaboration et un haut niveau de compétence». Voici ce qu'il a affirmé aux pages 7 et 8 de ses décision et ordonnance:
[TRADUCTION] Je conclus que le vol était une véritable aberra tion que la plaignante n'est peut-être pas en mesure d'expliquer et que, compte tenu de la condamnation criminelle et de la suspension de son emploi, lesquels sont peut-être de bien meil- leurs éléments de conditionnement qu'une simple excuse ou expression de remords fabriquée de toute pièce, l'aberration en question est un facteur beaucoup moins plausible pour prédire le comportement futur de la plaignante que son bon dossier au travail, depuis des années. Je remarque également que ses fonctions se limitent à un travail de bureau et n'impliquent pas la manutention d'argent ou de biens semblables. De plus, le vol n'était pas lié à ses fonctions et a eu lieu en dehors de ses heures de travail et des locaux de son employeur. J'accepte l'explica- tion qu'offre la plaignante au sujet des affirmations incorrectes et sibyllines en matière d'assurance-chômage. Ces explications sont tout à fait crédibles et je les accepte.
Je conclus donc que suivant les faits, la réaction intransigeante de l'employeur au comportement coupable de la plaignante est sans fondement. Cette conclusion tient compte des circons- tances atténuantes du cas de la plaignante, principalement son dossier au travail, des conséquences graves d'un congédiement et de la disparité entre l'acte commis et ses fonctions et possibilités au travail.
La requérante conteste la décision et l'ordon- nance pour trois motifs distincts. Elle prétend que l'arbitre a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance et que par conséquent, sa décision et son ordonnance devraient être annulées conformément à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10. De plus, elle affirme que les dispositions de l'alinéa 61.5(9)b) du Code, habilitant l'arbitre à réintégrer l'intimée dans son emploi, est contraire à la «liberté d'association» fondamentale de la requé- rante, prévue à l'alinéa 2d) de la Charte cana- dienne des droits et libertés et que cet alinéa n'est pas exempté par l'article 1 de la Charte. Enfin, la requérante allègue que tout l'article 61.5 du Code est ultra vires de la compétence du Parlement du Canada puisque les pouvoirs qu'il confère à l'arbi- tre, en matière de congédiements injustes, consti tuent des «pouvoirs judiciaires» qui ne peuvent être accordés à un arbitre mais doivent plutôt être laissés à une cour supérieure, une cour de comté ou une cour de district de province ou encore à une cour créée en vertu de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)]. Je vais examiner ces questions tour à tour.
CONCLUSION DE FAIT ERRONÉE
Cette allégation est fondée sur la conclusion susmentionnée selon laquelle les «fonctions [de l'in- timée] se limitent à un travail de bureau et n'im- pliquent pas la manutention d'argent ou de biens semblables». L'avocat prétend que cette conclusion est tout simplement incompatible avec la preuve et plus particulièrement, avec la preuve contenue dans un rapport d'évaluation daté du 24 avril 1984 qui fait mention des fonctions habituelles de l'inti- mée. Selon ce document, ces fonctions devaient [TRADUCTION] «être énumérées en ordre ou selon l'importance» et les tâches moins importantes
[TRADUCTION] «devaient être regroupées en quel- ques énoncés dont le contenu et l'appréciation n'exigeaient pas d'attention particulière». Parmi les quatorze groupes de fonctions prévus dans ce document, on retrouve notamment les fonctions habituelles décrites au paragraphe 11 que voici:
[TRADUCTION] 11. Faire affaire avec les clients et les autres personnes, vendre des chèques de voyage, traites, mandats, obligations d'épargne du Canada, certificats de placement garanti, dépôts à terme, coffrets de sûreté, virements télégra- phiques, etc. ainsi que d'autres documents.
Cet élément de preuve, impliquant la «vente» par l'intimée de chèques de voyage et d'autres docu ments, indique incontestablement que la manuten- tion d'argent faisait partie de ses fonctions habi- tuelles. Malgré cela, il est allégué que la décision et l'ordonnance n'étaient pas fondées sur cette conclusion mais plutôt sur la conclusion selon laquelle le vol «est un facteur beaucoup moins plausible pour prédire le comportement futur de la plaignante que son bon dossier au travail, depuis des années». Je ne puis accepter cette prétention. À la lecture de toute la décision et de l'ordonnance, je suis convaincu que l'arbitre a bel et bien fondé sa décision de réintégrer l'intimée dans son emploi, du moins en partie, sur la conclusion de fait selon laquelle ses fonctions «n'impliquent pas la manu- tention d'argent ou de biens semblables». C'est l'un des nombreux motifs qu'il avance.
La conclusion en cause a-t-elle été tirée «sans tenir compte des éléments portés à [la] connais- sance» de l'arbitre, au sens de l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale? Voici le texte de cet alinéa:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
La requérante ne prétend pas que la conclusion a été tirée «de façon absurde ou arbitraire». L'inti- mée fonde ses arguments sur certaines opinions exprimées par cette Cour dans Re Rohm & Haas
Canada Ltd. et Le Tribunal antidumping (1978), 91 D.L.R. (3d) 212 (C.A.F.), au sujet du sens des mots «sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance». Ces opinions figurent dans le pas sage suivant de la décision du juge en chef Jackett, aux pages 214 216:
Pour l'étude d'une contestation fondée sur l'al. 28(1)c), il faut garder en tête que, pour avoir gain de cause, il faut, d'après le libellé de l'al. 28(1)c), que trois conditions soient réalisées:
a) le tribunal doit avoir tiré une conclusion de fait «erronée»,
b) cette conclusion erronée doit avoir été tirée:
(i) de façon absurde ou arbitraire, ou
(ii) sans tenir compte des éléments portés à la connais- sance du tribunal et,
c) la décision contestée doit avoir été «fondée» sur la con clusion erronée.
À mon avis, on ne saurait considérer, après une lecture honnête des «motifs» du tribunal, que ses conclusions prétendu- ment «erronées» satisfont à la deuxième de ces exigences. Il n'a pas été soutenu que le tribunal s'était rendu coupable d'absurdi- tés (c.-à-d. d'avoir statué sciemment à l'opposé de la preuve) ni d'arbitraire. Quant à l'expression «sans tenir compte des élé- ments portés à sa connaissance», à mon avis, elle laisse entendre que le tribunal les aurait ignorés (c.-à-d. aurait refusé d'en prendre connaissance) ou aurait ignoré ceux qui sont impor- tants, et non pas simplement que la juridiction judiciaire aurait pu les évaluer différemment que ne l'a fait le tribunal. [Les renvois ont été omis.]
L'avocat de l'intimée prétend que pour prendre sa décision, l'arbitre n'a pas refusé de prendre connaissance du rapport d'évaluation puisqu'il en fait mention expressément, aux pages 1 et 2 de ses décision et ordonnance, et tacitement, en tenant compte du «dossier au travail» ailleurs dans la décision. Par contre, il semble que l'arbitre n'ait pas remarqué le paragraphe 11 de ce rapport. S'il l'avait fait, il n'aurait pas conclu que les «fonctions [de l'intimée] ... n'impliquent pas la manutenta- tion d'argent ou de biens semblables». La requé- rante ne suggère pas qu'il a refusé de prendre connaissance de cet élément de preuve mais bien qu'il l'a oublié. J'en conviens. A mon avis, en omettant de tenir compte d'un élément de preuve pertinent pour tirer une conclusion de fait et fonder sa décision sur cette conclusion, le tribunal «[fonde] sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée . .. sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance». C'est cer- tainement le cas en l'espèce. J'estime que la requé- rante a démontré le fondement de ses arguments
sur cette question et par conséquent, que la déci- sion et l'ordonnance devraient être annulées et le tout renvoyé à l'arbitre avec des directives en conséquence.
Avant d'étudier cet aspect de l'affaire, j'aime- rais toutefois aborder la deuxième question en litige car si la requérante a raison, les pouvoirs de l'arbitre nommé en vertu de l'article 61.5 du Code seraient nécessairement restreints, de sorte qu'il ne pourrait ordonner la réintégration de l'employée, même si sa conclusion quant au fond demeure la même. Il serait alors tenu de choisir une autre solution prévue au paragraphe 61.5(9). La troi- sième question doit aussi être évaluée à cette éta- pe-ci car si la requérante a raison de prétendre que l'article 61.5 est ultra vires des pouvoirs du Parle- ment du Canada, l'arbitre ne pourra alors prendre aucune décision.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
La requérante prétend que l'alinéa 61.5(9)b) du Code contrevient à la liberté d'association qui lui est garantie par l'alinéa 2d) de la Charte dont voici le texte:
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes: d) liberté d'association.
Aux fins de cet argument, les parties ont reconnu que «chacun» comprend la requérante même si en l'espèce il s'agit d'une personne morale. La requé- rante ajoute que l'alinéa 61.5(9)b) du Code n'est pas exempté de l'application de cette règle par l'article 1 de la Charte:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
L'alinéa 61.5(9)b) fait partie de la Division V.7 du Code, sous la rubrique «CONGÉDIEMENT INJUSTE». C'est en vertu du paragraphe (1) que l'intimée a pu formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur parce qu'elle estimait avoir été congédiée de façon injuste. Dès qu'il a reçu le rapport de l'inspecteur, le Ministre peut, en vertu du paragraphe (6), nommer un arbitre «pour entendre l'affaire en question et en décider» et pour «renvoyer la plainte à l'arbitre». Les pouvoirs de décision de l'arbitre sont prévus au paragraphe 61.5(9) dont voici le texte:
61.5...
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe (8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut, par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma- lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier.
Si l'on admettait la prétention de la requérante selon laquelle l'alinéa 61.5(9)b) est incompatible avec la Charte, le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] serait applicable. En voici le texte:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
La requérante prétend ce qui suit: elle ne devrait pas être obligée par la loi de faire appel aux services d'une personne en qui elle n'a plus con- fiance, par suite de la reconnaissance de la culpa- bilité de celle-ci au criminel; l'alinéa 2d) de la Charte la libère de cette obligation en garantissant à chacun la liberté d'association avec les personnes de son choix, dans quelque contexte que ce soit; cette liberté inclut le choix des personnes avec qui l'on désire s'associer et, sans ce choix, [TRADUC- TION] «la liberté d'association ne signifierait pas grand chose»; et l'alinéa 61.5(9)b) contrevient à sa «liberté d'association», garantie par l'alinéa 2d), parce qu'elle est tenue de réengager l'intimée. L'autre partie prétend que l'alinéa 2d) n'est pas applicable parce qu'il garantit la liberté de con- clure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant plutôt que les liens bilatéraux résultant d'un contrat de travail.
À ce que je sache, cette question en particulier n'a été soumise à un tribunal canadien dans aucune affaire publiée. Cependant, un certain nombre de décisions ont été rendues sur l'applica- tion de l'alinéa 2d) (voir notamment Re United Headwear, Optical and Allied Workers Union of Canada, Local 3 et al. and Biltmore/Stetson (Canada) Inc. et al. (1983), 43 O.R. (2d) 243 (C.A.); Re Service Employees' International Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing
Home et al. and two other applications (1983), 44 O.R. (2d) 392 (C. div.); Dolphin Delivery Ltd. v. Retail, Wholesale and Dept. Store Union, Loc. 580 (1984), 52 B.C.L.R. 1 (C.A.); Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F. 889 (C.A.)). Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'analyser toutes ces décisions puisqu'en général, elles tendent à déterminer si les activités d'une association sont visées par l'alinéa 2d) plutôt qu'à établir le sens de la liberté d'association.
Je pense que la plupart des décisions publiées ont un point en commun, à savoir que la «liberté d'association» garantie par l'alinéa 2d) est la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs d'un groupe s'associant. La décision rendue par le Conseil privé dans Colly- more v. Attorney -General, [1970] A.C. 538, en appel de la Cour d'appel de Trinidad et Tobago, est un arrêt fondamental en ce domaine. Il s'agis- sait de déterminer si une loi publique, prévoyant un régime de règlement obligatoire des conflits de travail et interdisant grève et lock-out, contreve- nait à la «liberté d'association» reconnue et décla- rée à l'article 1j) de la Constitution de Trinidad et Tobago [Trinidad and Tobago (Constitution), décret de 1962, S.I. 1962/1875]. Voici l'article 1 de ce document [tel que cité aux pages 543 et 544]:
[TRADUCTION] 1. Les présentes reconnaissent et affirment qu'à Trinidad et Tobago, ont existé et existeront toujours, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l'origine, la couleur, la religion ou le sexe, les droits et les libertés fondamentales qui suivent, savoir, a) le droit de la personne à la vie, à la liberté, à la sécurité de sa personne, à la jouissance de ses biens et le droit de ne pas en être privé, sous réserve de la primauté du droit; b) le droit de la personne à l'égalité devant la loi et à la protection des lois; c) le droit de la personne au respect de sa vie privée et familiale; d) le droit de la personne à l'égalité de traitement par toute autorité publique dans l'exercice de ses fonctions; e) le droit d'adhérer à des partis politiques et d'exprimer des opinions politiques; J) le droit d'un parent ou d'un tuteur d'offrir à son enfant ou à son pupille l'enseignement de l'école de son choix; g) la liberté de mouvement; h) la liberté de conscience ainsi que de croyance et de pratique religieuse; i) la liberté de pensée et d'expression; j) la liberté d'association et de réunion; et k) la liberté de la presse.
Lord Donovan a ainsi résumé les arguments des deux parties, à la page 546:
[TRADUCTION] Les appelants prétendent maintenant que la Loi est nulle puisqu'elle contrevient à leur liberté d'association qui, selon l'article 1 de la Constitution, a toujours existé «et exister[a] toujours», et ne peut être abrogée, modifiée ou violée,
en vertu de l'article 2, sauf dans des circonstances qui de toute évidence n'existent pas en l'espèce.
L'argument porte que la «liberté d'association» doit être interprétée de façon à comprendre de véritables droits et non une simple phrase dénuée de sens. Dans le cas des syndicats, la liberté signifie bien plus que le simple droit des personnes de se syndiquer; elle comprend le droit de poursuivre l'objectif qui est la raison d'être des syndicats, c'est-à-dire la négociation collec tive, au nom de ses membres, du salaire et des conditions de travail. Par ailleurs, la négociation collective est inefficace si elle n'est pas assortie du droit de grève en dernier ressort. C'est ce qui donne son sens à la négociation collective. Par consé- quent, l'annulation ou la restriction du droit de grève constitue en fait l'abrogation ou la restriction de la liberté d'association garantie par la Constitution.
L'intimé prétend que la «liberté d'association» prévue à l'ali- néa 1j) de la Constitution ne signifie rien d'autre, savoir que les personnes sont libres de s'associer entre elles. Elle ne signifie pas que les objectifs qu'elles visent en s'associant et les buts de leur association seront sacro-saints en vertu de la Constitution, mais ils ne peuvent être modifiés ou restreints, sous réserve de la procédure particulière prévue à l'article 5.
Dans cette affaire, comme dans certaines déci- sions rendues dans ce pays, il s'agissait de détermi- ner si les activités de l'association étaient protégées par la «liberté d'association». Néanmoins, il semble qu'en confirmant la décision de la Cour d'appel de Trinidad et Tobago, le Conseil privé ait adopté la position selon laquelle la «liberté d'association», du moins dans le contexte de l'article 1 de cette Constitution, signifie la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant. Lord Donovan a cité l'opi- nion du tribunal de première instance, à la page 547:
[TRADUCTION] À mon avis, la liberté d'association ne signifie donc rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'associant. Ces objectifs peuvent être de toutes sortes. Ils peuvent être religieux ou sociaux, politiques ou philosophiques, économiques ou pro- fessionnels, éducatifs ou culturels, sportifs ou charitables. Tou- tefois, la liberté d'association ne confère ni le droit ni l'autorisa- tion d'adopter une ligne de conduite ou de commettre des actes qui, de l'avis du Parlement, sont contraires à la paix, l'ordre et la bonne administration du pays.
Parmi la jurisprudence portant sur le sens de l'alinéa 2d) de la Charte, notons la décision rendue par cette Cour dans Alliance de la Fonction publi- que du Canada c. La Reine (précitée). La Cour d'appel y confirmait la décision de la Division de première instance suivant laquelle l'alinéa 2d) ne protégeait pas le droit des employés de négocier collectivement par l'entremise de leur syndicat. Au
nom de la majorité, le juge Mahoney a notamment cité l'affaire Collymore, à la page 894 de la décision:
Dans l'arrêt Collymore v. Attorney -General of Trinidad and Tobago ([1969] 2 All E.R. 1207 (P.C.)), le comité judiciaire du Conseil privé a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel de Trinidad et Tobago qui avait jugé que la loi restreignant le droit de négocier collectivement et de faire la grève ne violait pas le droit à la liberté d'association garanti par la constitution de ce pays. Ainsi, le jugement de la Cour d'appel a été cité tout en l'approuvant la page 1211]:
[TRADUCTION] À mon avis donc, la liberté d'association ne signifie rien de plus que la liberté de conclure des ententes pour promouvoir les objectifs communs du groupe s'asso- ciant.
Je souscris à cette définition.
La décision récente de la Cour d'appel de l'Al- berta dans Black & Company v. Law Society of Alberta (1986), 68 A.R. 259, diffère des affaires déjà mentionnées. Un groupe d'avocats de l'Al- berta contestait certaines Règles de la Law Society of Alberta, alléguant notamment qu'elles contreve- naient à la «liberté d'association» garantie par l'alinéa 2d) de la Charte. Les Règles interdisaient à un membre actif résidant et pratiquant habituel- lement dans la province d'adhérer ou de continuer à adhérer à [TRADUCTION] «toute société de per- sonnes, association ou autre entente en vue de la pratique en commun du droit avec une personne qui n'est pas membre actif, résidant ordinairement en Alberta» et interdisaient à tout membre d'être associé à plus d'une étude d'avocats. La Cour d'appel a jugé que les Règles étaient invalides parce qu'elles contrevenaient à la liberté des avo- cats de l'Alberta, garantie par l'alinéa 2d), de s'associer à un groupe d'avocats résidant et prati- quant leur profession en Ontario. L'opinion de la Cour sur cette question est exprimée par le juge Kerans et par le juge Stevenson, dans un jugement distinct auquel a souscrit le juge Lieberman. Voici ce qu'affirmait le juge Kerans au sujet de la «liberté d'association», à la page 274:
[TRADUCTION] ... les avocats ont le droit de s'associer entre eux, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Alberta, en vue d'assurer leur subsistance dans le cadre de la profession qu'ils peuvent exercer.
Le juge Stevenson a tiré la même conclusion, à la page 302:
[TRADUCTION] Je conviens que les deux règles contreviennent également à l'al. 2d) qui protège la création d'une association visant à assurer des moyens de subsistance. Le juge de première
instance a suggéré que l'al. 2d) avait pour but de protéger le droit d'association en vue de promouvoir les libertés reconnues par les al. 2a) et b). Son interprétation ne protègerait la formation de syndicats qu'à des fins politiques, mais elle recon- naît tout de même que l'expression «liberté d'association» devait comprendre la formation de pareilles associations. J'admets que la création d'associations semblables est protégée par la Charte et qu'une fois ces associations formées, les objectifs prévus aux al. 2a) et b) sont également protégés par la Charte. Puisque la création d'associations visant l'amélioration des conditions de travail est protégée, j'en conclus que la «liberté d'association» s'applique également aux associations créées en vue de permet- tre à leurs membres de trouver des moyens de subsistance. Il n'est pas nécessaire de déterminer dans quelle mesure, le cas échéant, la Charte protège les objectifs visés puisque les règles en question visent la création d'associations.
Contrairement à l'espèce, cette affaire portait sur la liberté de conclure des ententes pour pro- mouvoir les objectifs communs des deux groupes d'avocats en cause. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, la requérante a fondé ses arguments sur l'arrêt Young, James et Webster v. United Kingdom (1981), 4 E.H.R.R. 38, rendu par la Cour européenne des droits de l'homme. Cette affaire portait sur l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales européenne [Conventions et accords européens, Conseil de l'Europe, Stras- bourg, 1971, vol. 1, p. 21; STE 5]:
Article 11
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécu- rité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État.
En vertu d'une entente [TRADUCTION] d'«atelier fermé» conclue par l'employeur, British Rail, en 1975, trois employés non syndiqués embauchés antérieurement devaient être congédiés. Les employés ont prétendu que l'obligation d'apparte- nir à un syndicat prévue dans cette entente contre- venait à leur «liberté d'association», au sens négatif de ne pas être obligé d'adhérer à un syndicat. La Cour a souscrit à cette opinion, en ces termes à la page 54:
55. Pareille situation va sans nul doute à l'encontre du concept de liberté d'association au sens négatif.
À supposer que l'article 11 ne garantisse pas l'élément négatif de cette liberté à l'égal de l'élément positif, contraindre quelqu'un à s'inscrire à un syndicat déterminé peut ne pas se heurter toujours à la Convention.
Cependant, une menace de renvoi impliquant la perte de ses moyens d'existence constitue une forme très grave de con- trainte; en l'espèce, elle pesait sur des personnes engagées par British Rail avant l'introduction de toute obligation de s'affilier à un syndicat donné.
La Cour estime que dans les circonstances de la cause pareil type de contrainte touche à la substance même de la liberté d'association telle que la consacre l'article 11. Pour cette raison déjà, il y a eu atteinte à cette liberté dans le chef de chacun des trois intéressés.
Un juriste canadien a remarqué que cette décision [TRADUCTION] «a fait l'objet de nombreuses dis cussions, sinon de controverse» (d'après le juge Sinclair dans Re Pruden Building Ltd. and Cons truction & General Workers' Union Local 92 et al. (1984), 13 D.L.R. (4th) 584 (B.R. Alb.), à la page 597). De toute façon, elle portait sur la liberté de conclure des ententes (adhésion à un syndicat), au sens négatif abordé par la Cour européenne des droits de l'homme. Il ne s'agissait pas de contre- carrer la volonté de l'employeur de mettre fin à l'emploi d'une personne parce qu'il avait perdu confiance en celle-ci. Je ne vois pas comment cette affaire pourrait être utile en l'espèce.
Nous devons déterminer si l'alinéa 61.5(9)b) du Code contrevient à la «liberté d'association» que l'alinéa 2d) de la Charte confère à la requérante. Je conclus que ce n'est pas le cas. En l'espèce, il n'est même pas question d'objectifs communs, et encore moins de ceux d'un groupe. L'intimée désire fondamentalement gagner sa vie grâce à un emploi qu'elle a occupé pendant de nombreuses années et dont elle a toujours bien exécuté les fonctions; en revanche, le but ultime de la requé- rante est de tirer un profit de ses opérations ban- caires. J'estime que l'alinéa 61.5(9)b) du Code n'est pas contraire à la liberté garantie par l'alinéa 2d) de la Charte et qu'en conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument relatif à l'article 1.
L'ARGUMENT RELATIF À L'ULTRA VIRES
J'aborde finalement le troisième motif de con- testation. La requérante prétend que tout l'article
61.5 du Code (ou du moins l'alinéa 9b) de celui-ci) est ultra vires des compétences du Parlement du Canada puisqu'il tend à transférer à un arbitre spécial nommé en vertu du Code la compétence d'entendre une plainte portant que le congédie- ment de l'intimée était «injuste» au sens du Code et de déterminer les conséquences juridiques de ce congédiement lorsque cette compétence relève d'une cour supérieure, de comté ou de district, en vertu de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, ou d'une cour créée en vertu de l'article 101 de celle-ci. Il est allégué qu'en common law, une cour supérieure ne tente pas de réintégrer un employé congédié (voir, par exemple, Chappell v. Times Newspapers Ltd., [1975] 1 W.L.R. 482 (Ch.D.), à la page 496, confirmée loc. cit., à la page 496 (C.A.)). L'arbitre avait l'intention de le faire en vertu du Code. À l'ouverture de l'au- dience, l'avocat de la requérante a déposé un mémoire supplémentaire sur la question et nous a avisés que celui-ci avait été signifié au procureur général du Canada mais que ce dernier avait choisi de ne pas participer à cette étape des procédures. Cette nouvelle question n'a pas été plaidée devant nous. Les parties ont plutôt été invitées à présenter des plaidoiries écrites, ce qu'elles ont fait.
Les articles 96 et 101 figurent dans la section de la Loi constitutionnelle de 1867 qui porte sur LE SYSTÈME JUDICIAIRE et regroupe les articles 96 à 101 que voici:
96. Le gouverneur général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification en Nouvelle-Ecosse et au Nouveau-Brunswick.
97. Jusqu'à ce qu'on rende uniformes les lois relatives à la propriété et aux droits civils en Ontario, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, et à la procédure devant les tribunaux de ces provinces, les juges des cours de ces provinces qui seront nommés par le gouverneur général devront être choisis parmi les membres des barreaux respectifs de ces provinces.
98. Les juges des cours du Québec seront choisis parmi les membres du barreau de cette province.
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonctions à titre inamo- vible, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat ou de la Chambre des communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, cessera de détenir sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à la date d'entrée en vigueur du présent article si, à cette date, il a déjà atteint cet âge.
100. Les traitements, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de
vérification en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque Ces juges reçoivent actuelle- ment un traitement, seront fixés et assurés par le Parlement du Canada.
101. Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Parlement du Canada pourra, de temps à autre, prévoir la constitution, le maintien et l'organisation d'une cour générale d'appel pour le Canada, ainsi que l'établissement d'autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada.
Il semble maintenant reconnu que dans leur champ de compétence, les provinces sont assujet- ties à certaines restrictions lorsqu'il s'agit de confé- rer à un organisme provincial certains pouvoirs qui appartiennent dûment à une cour créée en vertu de l'article 96 (Reference re Authority to perform functions vested by the Adoption Act, the Chil- dren's Protection Act, the Children of Unmarried Parents Act, the Deserted Wives' Act and Chil- dren's Maintenance Act, of Ontario, [1938] R.C.S. 398; Labour Relations Board of Saska- tchewan v. John-East Iron Works, Ld., [ 1949] A.C. 134 (P.C.); Dupont and MacLeod v. Inglis, Biron and Mann, [1958] R.C.S. 535; Tomko c. Labour Relations Board (N.-E.) et autres, [1977] 1 R.C.S. 112; Procureur général (Qué.) et autre c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638; Mississauga (ville de) c. Municipalité de Peel et autres, [1979] 2 R.C.S. 244; Loi de 1979 sur la location résiden- tielle, [1981] 1 R.C.S. 714; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Procureur général du Québec et autre c. Grondin et autre, [1983] 2 R.C.S. 364). Cela ne signifie pas qu'une province ne puisse absolument pas le faire; mais lorsqu'elle agit ainsi, elle doit le faire d'une façon jugée constitutionnellement acceptable par la jurisprudence (Family Relations Act (C.-B.) Renvoi:, [1982] 1 R.C.S. 62, aux pages 112 et 113). De façon plus précise, la compétence ou le pouvoir ainsi accordé doit répondre aux critères établis dans cette jurisprudence et plus particulièrement, au critère en trois étapes énoncé par la Cour suprême du Canada dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résiden- tielle, le juge Dickson [alors juge puîné] a affirmé aux pages 734 736:
Depuis l'arrêt John East, la jurisprudence nous amène à conclure que le critère doit maintenant être formulé en trois étapes. La première porte sur l'examen dans le contexte des conditions qui prévalaient en 1867, de la compétence ou du pouvoir particuliers attribués au tribunal. Il s'agit ici de savoir si le pouvoir ou la compétence correspondent au pouvoir ou à la
compétence qu'exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération. Cette distinction ou cet isolement dans le temps du pouvoir attaqué n'a pas pour objet de faire un retour en arrière et d'appliquer l'arrêt Toronto v. York; l'arrêt Mississauga a rejeté cette façon de procéder. Il s'agit plutôt de la première étape d'un processus qui en compte trois.
Si la recherche historique mène à la conclusion que le pouvoir ou la compétence ne correspondent pas à la compétence qu'exerçaient auparavant les cours visées à l'art. 96, la question s'en trouve réglée. Comme l'a souligné le juge Rand dans l'arrêt Dupont et autre c. Inglis et autres ([1958] R.C.S. 535), [TRADUCTION] «Un pouvoir judiciaire autre que celui-là, [c: à-d. celui qu'exerçaient les cours visées à l'art. 96 à la Confédération] comme par exemple celui qu'exercent les tribu- naux inférieurs, peut être attribué à un tribunal provincial quel que soit son caractère premier» la p. 542). Si, cependant, l'histoire indique que le pouvoir attaqué est identique ou analo gue à un pouvoir que les cours visées à l'art. 96 exerçaient au moment de la Confédération, il faut alors passer à la deuxième étape de l'enquête.
La deuxième étape porte sur l'examen de la fonction dans son cadre institutionnel pour établir si la fonction elle-même est différente lorsqu'elle est envisagée dans ce cadre. En particu- lier, la fonction peut-elle encore être considérée comme une fonction «judiciaire»? Face à cette question il importe de se rappeler une autre déclaration du juge Rand dans l'arrêt Dupont c. Inglis portant que [TRADUCTION] «... ce qui est déterminant c'est l'objet de la décision plutôt que le mode d'adjudication». Ainsi, on ne peut répondre à la question de savoir si une fonction donnée est «judiciaire» en se fondant uniquement sur les façades de la procédure. Il faut d'abord établir la nature de la question que le tribunal doit trancher. Lorsque le tribunal fait face à un litige privé entre des parties et qu'il est appelé à décider en appliquant un ensemble reconnu de règles d'une manière conforme à l'équité et à l'impartialité, il agit alors normalement en qualité d'«organisme judiciaire». Pour emprunter les termes du professeur Ronald Dworkin, la fonction judiciaire soulève des questions de «principe», c'est-à- dire l'examen des droits opposés de personnes ou de groupes de personnes. On peut les mettre en opposition avec les questions de «politique» qui soulèvent des opinions divergeantes quant au bien-être de l'ensemble de la collectivité. (Voir l'ouvrage de Dworkin, Taking Rights Seriously (Duckworth, 1977) aux pp. 82à90.)
Si, après avoir examiné le contexte institutionnel, il devient évident que le pouvoir n'est pas exercé comme un «pouvoir judiciaire», alors on n'a pas à poursuivre l'enquête, puisque le pouvoir, dans son contexte institutionnel, ne correspond plus à un pouvoir ou à une compétence qui peuvent être exercés par un tribunal visé à l'art. 96 et l'initiative provinciale est valide. D'autre part, si le pouvoir ou la compétence s'exercent d'une manière judiciaire, il devient alors nécessaire de passer à la troisième et dernière étape de l'analyse et d'examiner la fonc- tion globale du tribunal afin d'évaluer dans tout son contexte institutionnel la fonction attaquée. La proposition «il ne faut pas considérer la juridiction dans l'abstrait ou les pouvoirs en dehors du contexte, mais plutôt la façon dont ils s'imbriquent dans l'ensemble des institutions ils se situent» est le point essentiel de l'arrêt Tomko. Il ne suffit plus simplement d'exa- miner le pouvoir ou la fonction précise d'un tribunal et de se
demander si ce pouvoir ou cette fonction a déjà été exercé par un tribunal visé à l'art. 96. Ce serait examiner le pouvoir ou la fonction «dans l'abstrait», contrairement au raisonnement de l'arrêt Tomko. C'est le «contexte» dans lequel le pouvoir s'exerce qu'il faut considérer. L'arrêt Tomko nous mène au résultat suivant: les tribunaux administratifs peuvent exercer les pouvoirs et la compétence que les tribunaux visés à l'art. 96 ont déjà exercés. Tout dépendra du contexte dans lequel le pouvoir est exercé. Les «pouvoirs judiciaires» attaqués peuvent être simplement complémentaires ou accessoires aux fonctions administratives générales attribuées au tribunal (les arrêts John East et Tomko), ou ils peuvent être nécessairement insépara- bles de la réalisation des objectifs plus larges de la législature (l'arrêt Mississauga). Dans ce cas, l'attribution d'un pouvoir judiciaire à des organismes provinciaux est valide. La loi ne sera invalide que si la seule fonction ou la fonction principale du tribunal est de juger (l'arrêt Farrah) et qu'on puisse dire que le tribunal fonctionne «comme une cour visée à l'art. 96».
En l'espèce, il ne s'agit évidemment pas d'un transfert, par la province à un tribunal administra- tif provincial, d'une compétence ou d'un pouvoir conféré à un tribunal visé par l'article 96. Néan- moins, il est allégué que le raisonnement suivi dans les décisions ayant restreint le transfert de pareils pouvoirs au niveau provincial s'applique également au niveau fédéral. En d'autres termes, toute tenta tive de transfert par le Parlement du Canada de pareils pouvoirs à un organisme fédéral doit être traitée exactement comme s'il s'agissait d'un parle- ment provincial et d'un organisme provincial. Il est allégué que le critère énoncé dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle s'applique dans une situation comme l'espèce et que si ce critère n'est pas respecté, l'article 61.5 du Code doit être considéré comme inconstitutionnel.
La requérante fonde ses arguments sur la déci- sion de la Cour suprême du Canada dans McEvoy c. Procureur général du Nouveau-Brunswick et autre, [1983] 1 R.C.S. 704. Il s'agissait de la validité constitutionnelle d'un projet de tribunal criminel unifié au Nouveau-Brunswick. Selon le projet, le nouveau tribunal devait exercer tous les pouvoirs en matière criminelle et remplacer la Cour provinciale;, ses juges devaient être nommés par la province. Aux fins de ce projet, le Parlement du Canada devait modifier le Code criminel et d'autres lois fédérales de façon à conférer la com- pétence en matière criminelle au nouveau tribunal. La décision de la Cour d'appel du Nouveau-Bruns- wick a eu pour effet de reconnaître la validité constitutionnelle du projet. Cependant, la Cour
suprême du Canada n'a pas souscrit à cette opi nion. La Cour suprême a constaté la page 718) que le projet faisait «une distinction entre le nou- veau tribunal et les cours supérieures de la pro vince», et elle a ajouté ce qui suit aux pages 718 et 719:
Mais cela aidera-t-il, s'il faut tenir compte des fonctions? C'est un principe bien établi que bien que l'art. 96 confère expressé- ment un pouvoir de nomination, il doit recevoir une interpréta- tion qui tient compte des fonctions des cours qui y sont visées, de crainte que son champ d'application ne soit rétréci. Quel est donc le rapport entre le nouveau tribunal qu'on se propose de créer et l'art. 96? C'est la question constitutionnelle qui est au cœur de la présente affaire et, d'après nous, la réponse est que ce nouveau tribunal ne pourra être établi parce qu'il sera en réalité une cour au sens de l'art. 96.
La Cour a ensuite cité les articles 96 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui, selon elle, sont «impératifs» et ne reposent pas «uniquement sur des pouvoirs législatifs fédéraux». La Cour donne ensuite son opinion sur la validité constitutionnelle du projet, aux pages 719 à 721:
Ce qu'on envisage ici n'est pas un certain transfert du pouvoir en matière de droit criminel d'une manière comparable à ce qui a déjà été accompli en vertu du Code criminel, mais la suppression totale de la compétence des cours supérieures en matière de droit criminel. Les articles 96 à 100 ne font pas de distinction entre les cours de juridiction civile et celles de juridiction criminelle. Ces articles ne doivent pas être interpré- tés de manière à autoriser le Parlement du Canada à se servir de son pouvoir en matière de droit criminel pour détruire les cours supérieures, pour priver le gouverneur général de son pouvoir de nomination et pour empêcher que les membres du barreau bénéficient d'une préférence en ce qui a trait aux nominations aux cours supérieures.
Il n'est pas plus loisible au Parlement de se départir des pouvoirs conférés au fédéral par la Constitution qu'il ne l'est à une province de les usurper. L'article 96 édicte que «le gouver- neur-général nommera les juges des cours supérieures, de dis trict et de comté dans chaque province». On propose en l'espèce que le Parlement transfère à un tribunal provincial la compé- tence qu'ont actuellement les cours supérieures pour juger les actes criminels. Cette proposition aurait pour effet d'enlever au gouverneur général son pouvoir en vertu de l'art. 96 de nommer les juges chargés de juger les actes criminels au Nouveau- Brunswick. Cela est contraire à l'art. 96 qui interdit aussi bien au Parlement qu'aux provinces de modifier le régime envisagé par les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 qui portent sur l'organisation judiciaire.
La Loi constitutionnelle de 1867 érige en principe fondamen- tal de notre régime fédéral l'indépendance traditionnelle des juges des cours supérieures anglaises et cette indépendance ne peut être moins importante et moins vitale dans l'administra- tion du droit criminel qu'elle ne l'est dans les affaires civiles. Aux termes de la Constitution canadienne, les cours supérieures
sont indépendantes des deux paliers de gouvernement. Les provinces créent, maintiennent et organisent les cours supérieu- res; le fédéral nomme les juges. Les articles de la Loi constitu- tionnelle de 1867 qui portent sur l'organisation judiciaire garantissent l'indépendance des cours supérieures; ils s'appli- quent aussi bien au Parlement qu'aux législatures provinciales.
La proposition en cause est doublement viciée. Le Parlement ne peut, par une loi qui attribuerait à un tribunal provincial compétence pour juger tous les actes criminels, faire ce qui équivaudrait à enlever au gouverneur général le pouvoir de nomination que lui confère l'art. 96. Le Nouveau-Brunswick pour sa part ne peut, par une loi portant sur la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de juridiction crimi- nelle, exercer un pouvoir de nomination à l'égard des cours visées à l'art. 96.
Suivant cette décision, la requérante allègue que le Parlement du Canada, dans son propre champ de compétence législative, ne peut retirer ou res- treindre les pouvoirs essentiels garantis à une «cour
supérieure» par les articles 96 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, pas plus que ne le peut un parlement provincial dans son champ de com- pétence. Les auteurs ont beaucoup discuté de cette question, tant en sa faveur (le doyen W. R. Leder- man, «The Independence of the Judiciary», (1956) 34 R. du B. Can. 769, 1139, et le professeur R. Elliot, «New Brunswick Unified Criminal Court Reference», (1984) 18 U.B.C. L. Rev. 127), qu'à son encontre (les professeurs A. Abel, Laskin's Canadian Constitutional Law, 1975 (4e éd. révi- sée) et P. Hogg, Constitutional Law of Canada, 1985 (2e éd.)), aussi bien avant qu'après la déci- sion McEvoy. Je ne pense pas qu'il nous soit utile de discuter de ces différentes opinions puisqu'il me semble qu'il faut surtout s'attarder aux conséquen- ces de la décision de la Cour suprême dans McEvoy sur l'espèce. Si cette affaire a le sens que lui donne la requérante, nous ne pourrions que l'appliquer, pour ensuite déterminer si l'article 61.5 du Code répond au critère établi dans le renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle.
À mon avis, le fait de voir dans l'affaire McEvoy le fondement de cette proposition irait bien plus loin que la question qui y a été réellement tran- chée. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada était saisie d'un projet en vertu duquel une province devait créer un tribunal dont elle nom- mait les juges, et auquel le Parlement du Canada transférait la compétence d'une cour supérieure. La Cour suprême a jugé que l'application de ce programme contreviendrait au «principe fonda-
mental» de l'indépendance des cours supérieures visées à l'article 96, garanti par les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur le sys- tème judiciaire. Ces articles s'appliquaient et empêchaient donc le Parlement de transférer cette compétence et la province de nommer ces juges. J'estime qu'il faudrait une déclaration claire et nette sur la question dont nous sommes saisis pour me convaincre que l'affaire a été réglée de la façon alléguée par la requérante. Je ne trouve aucune déclaration semblable dans l'affaire McEvoy.
Il semble que par le passé, l'opinion opposée à celle de la requérante ait été retenue. C'est-à-dire que dans l'exercice de sa compétence législative, le Parlement du Canada n'est pas assujetti aux mêmes restrictions que les parlements provinciaux lorsqu'il s'agit de créer des tribunaux administra- tifs et de leur conférer des pouvoirs. Certains auteurs sont de cet avis; voir notamment Laskin's Canadian Constitutional Law (4® éd.), à la page 762, le doyen R. A. Macdonald, «The proposed section 96B: An Ill -Conceived Reform Destined to Failure», (1985) 26 C. de D. 251, à la page 263, et Hogg, Constitutional Law of Canada (2® éd.). Le professeur Hogg affirme ce qui suit à la page 149:
[TRADUCTION] Cependant, il demeure important de souligner que les articles 96, 97, 98 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s'appliquent pas, parce que cela signifie que le Parle- ment fédéral, contrairement aux législateurs provinciaux, n'est soumis à aucune restriction constitutionnelle lorsqu'il s'agit d'attribuer des pouvoirs à des fonctionnaires ou à des tribunaux administratifs fédéraux (ou à des cours inférieures fédérales, le cas échéant). Ces organismes peuvent être investis de fonctions habituellement exercées par une cour supérieure, de district ou de comté, si le Parlement en décide ainsi.
Je pense qu'une partie de la jurisprudence sous- crit à cette opinion. Le juge Laskin l'a fermement exprimé, au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, dans Papp v. Papp, [1970] 1 O.R. 331, la page
339:
[TRADUCTION] L'appelante prétend aussi que même s'il est légal que la Loi sur le divorce traite de la garde des enfants, il est contraire à l'art. 96 de l'A.A.N.B. de conférer au protono- taire compétence en matière de garde provisoire. Cette préten- tion ne peut être fondée que si les pouvoirs du protonotaire tirent leur source de lois provinciales. L'article 96 ne restreint pas les pouvoirs du Parlement fédéral: voir R. v. Canada Labour Relations Board, ex p. Federal Electric Corp. (1964), 44 D.L.R. (2d) 440, 47 W.W.R. 391 sub nom. Federal Electric Corp. v. Int'l Brotherhood of Electrical Workers Local Union 2085 and Canada Labour Relations Bd. La Cour suprême du Canada reconnaît depuis longtemps qu'en droit, le Parlement fédéral peut conférer des pouvoirs à des fonctionnaires nommés
par les provinces, à l'égard de toute question relevant de ses compétences: voir Re Vancini (1904), 34 R.C.S. 621; Couglin v. Ontario Highway Transport Board, [1968] R.C.S. 569, 68 D.L.R. (2d) 384.
Voir également R. v. McDonald, [1958] O.R. 373 (C.A.). Dans R. v. Canada Labour Relations Board, Ex parte Federal Electric Corp. (1964), 44 D.L.R. (2d) 440, le juge Smith de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, a affirmé ce qui suit (aux pages 462 et 463), au sujet du Conseil intimé:
[TRADUCTION] Enfin, il s'agit d'une commission fédérale et, à ce titre, elle n'est pas assujettie aux restrictions qui visent apparemment ... les organismes provinciaux, puisque ces der- niers sont créés par des législatures provinciales qui n'ont pas compétence pour créer des cours supérieures, de comté ou de district, en vertu de l'art. 96 de l'A.A.N.B.
Huit ans plus tard, la question a été soulevée de nouveau au Manitoba, cette fois dans l'affaire Canard v. Attorney -General of Canada et al. (1972), 30 D.L.R. (3d) 9 (C.A. Man.). Il s'agissait notamment de déterminer si le Parlement du Canada pouvait, en vertu de sa compétence sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens», prévue au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, retirer à un tribunal provincial, pour le confier à un ministre fédéral, le pouvoir de nommer un administrateur de la succession d'un Indien, conformément aux articles 42 et suivants de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6. Le juge Dickson a prononcé l'opinion de la Cour d'appel du Manitoba, confirmant les pouvoirs du Parlement fédéral. En voici un extrait figurant aux pages 17 et 18:
[TRADUCTION] L'avocat de M me Canard prétend que si les art. 42 sq. tombent sous la rubrique 24 de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, ils sont toutefois nuls pour le motif qu'ils ont pour effet de retirer sa juridiction au tribunal provincial. Il y a effectivement retrait de juridiction mais une jurisprudence abondante reconnaît le pouvoir du Parlement d'établir des tribunaux ayant juridiction exclusive sur une matière qui est de sa compétence et d'exclure cette matière de la juridiction des tribunaux provinciaux. La seule question est de savoir si le texte employé pour ce faire est de nature à produire cet effet. Déjà en 1879, dans l'arrêt Valin v. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1, le juge Taschereau déclarait à la p. 75:
... le Parlement ne peut-il pas, en vertu de l'art. 101 de l'Acte, créer des nouveaux tribunaux de juridiction criminelle et décréter que tous les crimes et toutes les infractions seront jugés exclusivement par ces nouveaux tribunaux? Je consi- dère qu'il n'y a aucun doute à ce sujet.
Et à la p. 76:
Je crois aussi qu'il est évident que le Parlement peut déclarer,
par exemple, que toutes les procédures judiciaires relatives
aux billets à ordre et aux lettres de change devront être intentées devant la Cour de l'Échiquier ou devant toute autre cour fédérale. Ceci constituerait certainement un empiéte- ment sur la juridiction des tribunaux provinciaux, mais je conclus qu'il a ce pouvoir à l'égard de toutes les matières relevant de sa compétence.
L'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, prévoit que le Parlement du Canada pourra, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet d'établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada et le Parlement a, dans le passé, agi en vertu de ce pouvoir pour établir la Commission d'appel de l'impôt, des cours d'amirauté, des cours ayant juridiction en matière de faillite, le Conseil des relations du travail, la Commission d'appel de l'immigration et autres tribunaux semblables. Voici quelques exemples de décisions portant sur le retrait de compé- tence à une cour provinciale: Delorimier v. Cross (précitée) (retrait à la Cour supérieure du Québec en faveur de la Cour de l'Échiquier, en vertu de la Loi sur les Indiens); Nanaimo Community Hotel v. Board of Referees, [1945] 3 D.L.R. 225, [1945] 2 W.W.R. 145, [1945] C.T.C. 125 (retrait à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, en faveur de la Cour de l'Echiquier, en vertu de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu); Pringle et al. v. Fraser, jugement de la Cour suprême du Canada prononcé le 30 mars 1972, non encore publié [publié depuis à 26 D.L.R. (3d) 28]; infirmant 19 D.L.R. (3d) 129, [1971] 2 O.R. 749; R. v. Beattie, Ex p. Edery (1969), 7 D.L.R. (3d) 654, 70 W.W.R. 553, et R. v. Department of Manpower & Immigration, Ex p. Hosin (1970), 12 D.L.R. (3d) 704, [1970] 3 O.R. 268 (retrait aux tribunaux ordinaires en faveur de la Commission d'appel de l'immigration en vertu de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration); Klingbell v. Treasury Board, [1972] 2 W.W.R. 389 (retrait à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en faveur de la Cour fédérale, en vertu de la Loi sur la Cour fédérale).
L'avocat a alors soutenu que, si le retrait de juridiction est possible, il existe néanmoins une distinction entre le transfert de juridiction d'un tribunal à un autre ou à une commission et le transfert d'un tribunal à un ministre de la Couronne, et que le premier pouvait être du ressort du pouvoir fédéral mais non pas le dernier. Je ne puis admettre cet argument. Lorsque le Parlement demeure dans les limites de sa compétence législa- tive, il peut restreindre ou supprimer la juridiction d'un tribunal provincial et conférer cette juridiction soit à un tribunal ou une commission fédérale ou, si telle est la volonté du Parlement, à un ministre de la Couronne. [C'est moi qui souligne.]
Je note que la suggestion faite par le juge Tasche- reau dans l'affaire Valin [Valin v. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1], au sujet du transfert de tous les pouvoirs en matière criminelle à un nouveau tribunal créé par le Parlement, a été rejetée par la Cour suprême du Canada, à la page 722 de l'arrêt McEvoy.
La décision rendue dans Canard a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada: Procu- reur général du Canada et autre c. Canard, [ 1976] 1 R.C.S. 170. L'appel a été accueilli pour
d'autres motifs, mais j'estime que certains juges se sont prononcés généralement en faveur de l'opinion du juge Dickson sur cette question constitution- nelle. C'est particulièrement le cas du jugement prononcé par le juge en chef du Canada auquel a souscrit le juge Spence. Tout en inscrivant sa dissidence à l'égard du fondement de la décision en appel, il a émis l'opinion suivante, à la page 176:
Je suis aussi complètement d'accord avec la Cour d'appel du Manitoba que le Parlement, en légiférant dans l'exercice de son pouvoir exclusif en vertu de l'art. 91(24) de l'Acte de l'Améri- que du Nord britannique, peut incorporer dans ses textes législatifs des dispositions testamentaires qui selon leur portée régiraient la question des lettres d'administration de la succes sion de l'Indien mort intestat. De plus, je ne vois pas d'anomalie constitutionnelle dans le fait de conférer la juridiction en semblables matières à un fonctionnaire fédéral. La seule res triction constitutionnelle dont pourrait faire l'objet l'art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique s'il s'agissait d'une loi provinciale, ne s'applique pas à une loi du Parlement par ailleurs valide. (C'est moi qui souligne.]
Le juge Beetz s'est aussi prononcé à ce sujet et même s'il le fait en termes plus restreints que le juge en chef, il semble accepter avec réserve l'opi- nion de celui-ci. Après avoir cité en détail la décision du juge Dickson, il a affirmé ce qui suit aux pages 202 et 203:
Nous n'avons pas à décider de la constitutionnalité des art. 42 sq. dans toutes leurs conséquences sur les questions de fond et de juridiction. Cependant, aux fins de la présente affaire, je suis d'accord avec les propositions générales suivantes: les affaires testamentaires et les matières relatives aux Indiens décédés relèvent de la catégorie de sujets «les Indiens et les terres réservées pour les Indiens»; de plus la Constitution permet au Parlement d'exclure ces matières comme les autres matières fédérales de la juridiction des tribunaux provinciaux et de les confier à un organisme fédéral, sous réserve peut-être d'une exception évidente: bien que le Parlement ait le pouvoir d'établir des tribunaux pour l'administration des lois du Canada, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il peut revêtir un ministre, un fonctionnaire ou une commission de caractère non judiciaire de toutes les attributions d'une cour supérieure; les pouvoirs du Parlement sont limités par le texte de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, aussi bien que par le caractère fédéral et fondamental de la Constitution selon laquelle les tribunaux ont une juridiction inhérente leur permet- tant de trancher les questions constitutionnelles. (C'est moi qui souligne.]
Et il a ensuite ajouté, à la page 203:
Dans une matière de compétence exclusivement fédérale telle «les Indiens et les terres réservées pour les Indiens», il n'y a rien d'inconstitutionnel dans le fait que le Parlement retire aux tribunaux provinciaux leur juridiction sur ce sujet et la confère à un ministre, particulièrement s'il la subordonne à une forme de surveillance judiciaire comme l'art. 47 de la Loi sur les Indiens le prévoit.
Le juge Ritchie souscrivait dans une certaine mesure à l'opinion du juge Beetz lorsque celui-ci affirme à la page 192 que «le pouvoir de nommer un administrateur de la succession d'une personne morte intestat n'en est pas un qui doit être néces- sairement assigné à un tribunal et que le Parle- ment n'agit pas à l'encontre de la constitution en enlevant aux tribunaux provinciaux la compétence en cette matière et en la conférant à un ministre».
Il faut reconnaître que les opinions exprimées à ce sujet par les juges de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canard ne représentaient pas l'opinion de la Cour dans son ensemble. Tant dans l'appel intermédiaire que final, il s'agissait évidemment d'obiter dicta; mais, si l'on considère également ceux de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, dans l'affaire Federal Electric, et de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Papp, ils représentent un ensemble considérable d'opinions juridiques contraires à la prétention de la requé- rante. J'ai l'intention de souscrire à ces opinions. Après l'étude de la décision de la Cour suprême dans l'affaire McEvoy, je ne crois pas que ces opinions contradictoires aient été soumises ou envi sagées. Je ne suis donc pas prêt à conclure que cette question a été tranchée, dans cette affaire, de façon à lier la Cour. Comme je l'ai déjà indiqué, cela signifie tout simplement que les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur le sys- tème judiciaire n'autorisaient aucunement le Par- lement du Canada à conférer à un tribunal nommé par la province le pouvoir d'entendre des accusa tions d'acte criminel, ni la province à nommer les juges de ce tribunal. J'ai donc conclu que l'article 61.5 du Code n'est pas ultra vires de la compé- tence du Parlement du Canada.
CONCLUSION
Compte tenu de mes conclusions relatives à la deuxième et à la troisième question en litige, rien ne m'empêche en droit de renvoyer la question à l'arbitre pour nouvel examen, au motif qu'il ne peut fonder sa décision et son ordonnance sur la conclusion selon laquelle les «fonctions [de l'inti- mée] ... n'impliquent pas la manutention d'argent ou de biens semblables» puisque la preuve est à l'effet contraire. J'annulerais donc la décision et l'ordonnance de l'arbitre et lui renverrais la ques tion pour qu'il l'examine de nouveau en fonction des conclusions susmentionnées.
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