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T-1246-85
Canadian Pacific Express & Transport Ltd., Direct Transportation Systems Ltd., Kingsway Transports Ltd., T.N.T. Canada Inc., Commercial Truck Co. Ltd. (demanderesses)
c.
Motor Carrier Commission (défenderesse)
et
266936 B.C. Ltd., Custom Couriers Services Ltd., Yellow Freight Systems, Inc. (intervenantes)
Division de première instance, juge Joyal— Vancouver, 9 septembre; Ottawa, 22 octobre 1985.
Compétence Cour fédérale Division de première ins tance L'attribution par le Parlement à une commission établie et constituée en vertu d'une loi provinciale de fonctions fédérales en matière de camionnage interprovincial ne fait pas de celle-ci une commission fédérale au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale et ne donne pas compétence à la Cour fédérale Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 18 Loi sur le transport par véhicule à moteur, S.R.C. 1970, chap. M-14, art. 3 Motor Carrier Act, R.S.B.C. 1979, chap. 286 L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 51 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 101.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Camion- nage interprovincial L'attribution de fonctions fédérales à une commission établie en vertu d'une loi provinciale ne fait pas de celle-ci une commission fédérale Une telle attribu tion ne constitue pas une délégation inconstitutionnelle de pouvoirs mais l'adoption valide par le Parlement d'une légis- lation provinciale à des fins de réglementation du camionnage interprovincial Loi sur le transport par véhicule à moteur, S.R.C. 1970, chap. M-14, art. 3 Motor Carrier Act, R.S.B.C. 1979, chap. 286 L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 101 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 18.
Les demanderesses sont toutes titulaires d'un permis de transport interprovincial délivré par la Motor Carrier Commis sion de la Colombie-Britannique. Elles ont demandé à la pré- sente Cour de leur accorder un jugement déclaratoire, une injonction et des brefs de certiorari et de mandamus à l'encon- tre des conditions de leurs permis qui leur causent un préjudice sérieux.
Les intervenantes demandent que soit radiée ou rejetée l'ac- tion contre la Commission défenderesse pour le motif que la Cour n'a pas compétence pour connaître de la présente affaire.
La principale question en litige consiste à déterminer si la Commission est un «office, commission ou autre tribunal fédé- ral» au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Jugement: la requête des demanderesses doit être radiée.
Plutôt que de créer une commission fédérale pour réglemen- ter le camionnage interprovincial, le Parlement a adopté une disposition qui confère aux commissions de transport dans chaque province le pouvoir de le faire. La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Coughlin qu'il ne s'agit pas d'une délégation du pouvoir de légiférer, mais plutôt de l'adoption constitutionnellement valide par le Parlement d'une législation provinciale. On pourrait croire que cette décision implique que la loi provinciale devient une loi fédérale valide au sens de l'article 101 de l'A.A.N.B. et la commission provinciale, un office fédéral, mais il a été statué à maintes reprises que l'attribution de fonctions fédérales à un organisme de réglemen- tation établi et constitué en vertu d'une loi provinciale n'en fait pas un «office, commission ou autre tribunal fédéral» au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Même si on devait conclure qu'un tel organisme provincial est une sorte de persona designata, un mandataire du Parle- ment appelé à exercer des fonctions fédérales et qu'il est donc une commission dûment constituée en vertu d'une loi du Parle- ment, la réponse à la question de savoir si la Commission est un «office, commission ou autre tribunal fédéral» se trouve à la définition énoncée à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et nulle part ailleurs. Et cette définition exclut expressément les «organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi». Le critère ne consiste pas à déterminer si la commission provinciale exerce des pou- voirs fédéraux, mais plutôt si elle est constituée ou établie conformément à une loi provinciale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Re Bicknell Freighters Ltd. and Highway Transport Board of Manitoba (1977), 77 D.L.R. (3d) 417 (C.A. Man.); C.P. Transport Co. Ltd. v. Highway Traffic Bd., [1976] 5 W.W.R. 541 (C.A. Sask.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al., [1968] R.C.S. 569; Carruthers c. Comités de l'avorte- ment thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581 (C.F. 1" inst.); Attorney- General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 541 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
P.E.I. Potato Marketing Board v. Willis, [1952] 2 R.C.S. 392; Attorney -General for British Columbia v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 377 (P.C.); McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; 75 D.L.R. (3d) 273.
AVOCATS:
T. G. Lewis pour les demanderesses.
C. Donald MacKinnon pour l'intervenante 266936 B.C. Ltd.
F. M. Turco pour l'intervenante Custom Cou riers Services Ltd.
PROCUREURS:
Macdonald, Kwan & Lewis, Vancouver, pour les demanderesses.
Boughton & Company, Vancouver, pour l'in- tervenante 266936 B.C. Ltd.
Turco, Moscovich, Sabatino & Aikenhead, Vancouver, pour l'intervenante Custom Cou riers Services Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: Les intervenantes prient la présente Cour de radier ou de rejeter l'action intentée par les demanderesses contre la défende- resse, la Motor Carrier Commission, pour les motifs que ladite Cour n'a pas compétence pour entendre et trancher les questions soulevées par les demanderesses, et que ces dernières n'ont pas la qualité voulue pour agir.
Avant que la demande ne soit entendue à Van- couver, le 9 septembre 1985, les avocats des demanderesses et des intervenantes ont remis à la Cour un mémoire et des copies des précédents applicables en l'espèce. Ces documents m'ont été très utiles et je remercie les avocats de me les avoir fournis.
La question que la Cour est appelée à trancher tient en quelques lignes. Les demanderesses sont toutes titulaires d'un permis de transport délivré par la Motor Carrier Commission de la Colombie- Britannique pour exploiter une entreprise de trans port à l'intérieur et à l'extérieur de cette province. L'intervenante, Custom Couriers Services Ltd., détient également un permis délivré par ladite Commission. Les demanderesses allèguent que les conditions de leur permis leur causent un préjudice sérieux. Pour ce motif, elles prient donc la présente Cour de leur accorder les redressements suivants: [TRADUCTION]
a) Un jugement déclaratoire portant que la restriction sui- vante est ajoutée aux conditions du permis délivré par la Motor Carrier Commission, conditions qui ont été impri- mées conformément à la demande de la défenderesse, Custom Couriers, en date du 22 octobre 1979:
«Le poids des marchandises qui peuvent être transportées en vertu de la présente clause ne doit pas excéder 50 lb (22.68 kg) par paquet ou 100 lb (45.36 kg) par chargement.»
b) Subsidiairement, un jugement déclaratoire portant que les conditions du permis imprimées conformément à la demande de la défenderesse, Custom Couriers en date du 22 octobre 1979 sont nulles et inopérantes.
c) Une injonction provisoire et une injonction permanente interdisant aux défenderesses, la société Custom Couriers et la société à numéro 266936, d'offrir au public et d'ex- ploiter un service de transport contre rémunération confor- mément à la clause 3 des conditions imprimées du permis de la défenderesse, Custom Couriers.
d) Un bref de certiorari portant annulation de la clause 3 des conditions du permis délivré illégalement par la division du transport par voiture à moteur relativement à la demande de la défenderesse Custom Couriers, qui porte le 942/79.
e) Un bref de mandamus ordonnant à la défenderesse, la division du transport par voiture à moteur, d'intervenir en ce qui concerne la demande 942/79 de la défenderesse Custom Couriers.
f) Des dommages-intérêts;
g) Les dépens;
h) Tout autre redressement que la présente Cour estimera juste et raisonnable d'accorder,
Les requérantes/intervenantes contestent la compétence de la Cour pour le motif que la Motor Carrier Commission de la Colombie-Britannique n'est pas un office, une commission ou un autre tribunal fédéral d'après la définition qui est donnée de ces termes à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, qui est ainsi rédigé:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga- nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
Par conséquent, allèguent les intervenantes, les demanderesses ne peuvent se prévaloir du redresse- ment prévu à l'article 18 de la Loi.
Les demanderesses soutiennent toutefois qu'en exerçant sa compétence dans la présente affaire, la Motor Carrier Commission de la Colombie-Britan- nique agit en fait et en droit comme si elle était un office, une commission ou un autre tribunal. Selon leur avocat, il est admis que la compétence que possède ladite Commission pour statuer à l'égard du permis de Custom Couriers Services Ltd. se
fonde non pas sur une loi provinciale réglementant le transport commercial par véhicule à moteur dans les limites de la province de la Colombie-Bri- tannique, mais sur une loi fédérale, la Loi sur le transport par véhicule à moteur, S.R.C. 1970, chap. M-14, qui est la loi attributive de compé- tence en matière de camionnage interprovincial. La compétence du Parlement fédéral en cette matière a été clairement établie dans la cause célèbre Attorney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 541 (P.C.).
Pour des raisons de politique, le Parlement a toutefois choisi de ne pas créer une commission ou un organisme fédéral distinct pour réglementer le camionnage interprovincial. Il a plutôt adopté une disposition qui confère aux commissions de trans port dans chaque province le pouvoir de le faire. Cette disposition est l'article 3 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur qui prévoit:
3. (1) Lorsque, dans une province, la loi de la province exige un permis pour la mise en service d'une entreprise locale, nulle personne ne doit y exploiter une entreprise extra-provinciale, sauf si elle détient un permis délivré sous l'autorité de la présente loi.
(2) La commission provinciale de transport, dans chaque province, peut, à sa discrétion, délivrer à une personne un permis d'exploiter une entreprise extra-provinciale en pénétrant dans la province ou en passant à travers celle-ci, aux mêmes conditions et de la même manière que si l'entreprise extra-pro- vinciale y exploitée était une entreprise locale.
Voici comment la Cour suprême du Canada a défini ce mode de réglementation du camionnage interprovincial dans l'arrêt Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al., [1968] R.C.S. 569, la page 575:
[TRADUCTION] À mon avis, il ne s'agit pas ici d'une déléga- tion du pouvoir de légiférer, mais plutôt de l'adoption par le Parlement, dans l'exercice de son pouvoir exclusif, de la législa- tion d'un autre corps législatif, telle qu'elle peut exister de temps à autre, et cette façon de procéder a été jugée constitu- tionnellement valide par cette Cour dans Attorney General for Ontario v. Scott ([1956] R.C.S. 137, 114 C.C.C. 224, 1 D.L.R. (2d) 433) et par la Cour d'appel d'Ontario dans Regina v. Glibbery ([1963] 1 O.R. 232, [1963] 1 C.C.C. 101, 38 C.R. 5, 36 D.L.R. (2d) 548).
Les demanderesses soutiennent que cette adop tion d'une loi d'un autre corps législatif, à savoir la Motor Carrier Act, R.S.B.C. 1979, chap. 286, place la Motor Carrier Commission qui est créée en vertu de cette Loi sous l'égide de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Avant de passer en revue les précédents concer- nant l'article précité, je ferais remarquer que la compétence de la Cour fédérale du Canada lui vient d'une loi, la Loi sur la Cour fédérale, qui, de son côté, se fonde sur l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1), qui traite du pouvoir du Parlement fédéral d'établir des tribunaux en vue d'assurer une meilleure exécution des lois du Canada. Dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654; 75 D.L.R. (3d) 273, la page 658 R.C.S.; 277 D.L.R., le juge en chef Laskin, parlant au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré dans les termes les plus nets que les dispositions de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867:
. posent comme condition préalable à l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence, l'existence d'une législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale.
Le juge en chef a ajouté:
... la compétence judiciaire en vertu de l'art. 101 ne recouvre pas le même domaine que la compétence législative fédérale.
Aux pages 659 et 660 R.C.S.; 278 D.L.R. de ses motifs de jugement, il a en outre déclaré:
Il ne s'agit donc pas de décider en l'espèce si la demande de redressement de la Couronne relève d'un domaine de compé- tence législative fédérale, mais de déterminer si elle est fondée sur la législation fédérale applicable. Je ne pense pas que, pris littéralement, le par. 17(4), qui vise à habiliter la Cour fédérale à connaître de tout genre d'action d'ordre civil du seul fait que la Couronne du chef du Canada fait une réclamation à titre de demanderesse, constitue une législation fédérale valide en vertu de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. La règle de common law selon laquelle la Couronne peut poursui- vre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine pertinent, élaborée dans le régime unitaire anglais, ne peut s'appliquer intégralement au Canada, un état fédéral, les pouvoirs législatifs et exécutifs sont répartis entre les législatu- res et gouvernements centraux et provinciaux et où, en outre, le pouvoir du Parlement d'établir des tribunaux est limité par la Constitution.
Afin qu'il soit fait droit à la présente requête, les demanderesses soutiennent qu'en vertu de l'article 3 de la loi fédérale, la Loi sur le transport par véhicule à moteur, la Motor Carrier Act de la Colombie-Britannique est une loi fédérale valide,
de telle sorte que la Motor Carrier Commission devient un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, tel que cette expression est définie à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
La prétention des demanderesses est d'une logi- que incontestable. Puisque la compétence de la Motor Carrier Commission en matière de camion- nage interprovincial en Colombie-Britannique ne découle pas d'un pouvoir provincial dans ce domaine, mais plutôt de l'adoption par le Parle- ment d'une loi de la Colombie-Britannique comme cela peut parfois arriver, une telle loi devient une loi fédérale et la Motor Carrier Commission acquiert, aux fins de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, le statut d'un office, d'une commis sion ou d'un autre tribunal fédéral.
L'argumentation des demanderesses n'a toute- fois pas obtenu la faveur de nos tribunaux. Dans l'arrêt C.P. Transport Co. Ltd. v. Highway Traffic Bd., [1976] 5 W.W.R. 541, la Cour d'appel de la Saskatchewan n'a pas reconnu la compétence de la Cour fédérale dans une affaire portée devant la Cour du Banc de la Reine de la province. Le juge en chef Culliton a déclaré à la page 547:
[TRADUCTION] Il est incontestable que la commission est un organisme constitué et établi en vertu d'une loi de la province de la Saskatchewan, The Vehicles Act. Même si le par. (2) de l'art. 3 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur dispose que la commission provinciale de transport peut, à sa discrétion, délivrer un permis d'exploitation d'une entreprise extra-provin- ciale en pénétrant dans la province ou en passant à travers celle-ci, cela ne modifie en rien la nature principale et le caractère de la commission provinciale; elle demeure un orga- nisme constitué et établi par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi. Il en résulte qu'elle n'est pas, selon les termes précis employés dans la définition donnée à l'article 2, un «office, commission ou autre tribunal fédéral». Par consé- quent, ce n'est pas la Cour fédérale qui, comme le prétend l'appelante, a compétence exclusive en vertu de l'art. 18 pour connaître de la présente action mais plutôt la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan.
La Cour d'appel du Manitoba est arrivée à une conclusion identique dans Re Bicknell Freighters Ltd. and Highway Transport Board of Manitoba (1977), 77 D.L.R. (3d) 417. Après avoir examiné la cause C.P. Transport Co. Ltd. (précitée) et l'arrêt de la Cour suprême du Canada Coughlin (précité), la Cour est venue à la conclusion que la Commission du transport du Manitoba était un organisme établi et constitué par une loi provin- ciale et n'était donc pas, un «office, commission ou autre tribunal fédéral».
Une décision plus récente a été rendue par la présente Cour dans Carruthers c. Comités de l'avortement thérapeutique, [1983] 2 C.F. 581 (C.F. ire inst.) le juge Collier a statué que ces comités de l'avortement thérapeutique, bien qu'ils aient été constitués en vertu de dispositions préci- ses du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] et qu'ils se fondent donc sur une disposition législa- tive fédérale valide, ne constituaient pas des offi ces, commissions ou autres tribunaux fédéraux au sens de la Loi sur la Cour fédérale.
On ne peut sérieusement contester le fait que la loi de la Colombie-Britannique établissant la Motor Carrier Commission est similaire aux lois par lesquelles l'Ontario, la Saskatchewan et le Manitoba ont créé leurs propres organismes de réglementation.
Dans tous ces cas, le mode de réglementation du transport interprovincial par ces organismes pro- vinciaux est le même. La Cour d'appel du Mani- toba et la Cour d'appel de la Saskatchewan ont toutes deux statué que ces fonctions ne faisaient pas de leurs organismes de réglementation respec- tif un «office, commission ou autre tribunal fédé- ral» au sens cette expression est définie à l'arti- cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Toutes les parties admettront que ces décisions ne sont pas seulement convaincantes mais qu'elles permettent presque de trancher péremptoirement le litige.
La situation à laquelle font face les demanderes- ses fait songer au commentaire savoureux de G.K. Chesterton selon lequel [TRADUCTION] «un chien dans un étable n'est pas pour autant un cheval». Ainsi, ce n'est pas parce qu'un organisme provin cial est chargé d'exercer des fonctions fédérales qu'il devient pour autant un organisme fédéral. Néanmoins, par respect pour la solide argumenta tion de l'avocat des demanderesses, je suis disposé à me faire certaines observations concernant la cause Coughlin (précitée) qui sont susceptibles de jeter le doute sur la maxime de Chesterton et de conforter la thèse des demanderesses.
L'affaire Coughlin était une cause type portant sur la constitutionnalité de l'article 3 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur, la Cour suprême du Canada se prononçant dans une pro portion de cinq contre deux sur le sujet, et les juges Martland et Ritchie étant dissidents. Dans ses
motifs, ce dernier a attaqué la constitutionnalité de cet article pour le motif qu'il constituait une délé- gation d'un pouvoir législatif fédéral à la province de l'Ontario, pouvoir que la Constitution ne recon- naît ni à une législature provinciale ni au Parle- ment fédéral. Il a conclu qu'il y avait véritable- ment eu délégation parce que la loi fédérale ne s'était pas contentée de créer un organisme provin cial autorisé à exercer des fonctions de réglementa- tion visant à promouvoir les politiques nationales en matière de camionnage interprovincial, mais qu'elle avait délégué également le pouvoir d'établir et de mettre en oeuvre ces politiques.
La Cour est toutefois arrivée majoritairement à une conclusion contraire, et la constitutionnalité de l'article 3 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur a été maintenue. Parlant au nom de la majorité, le juge Cartwright a déclaré à la page 575:
[TRADUCTION] Dans l'affaire qui nous est soumise, la Com mission intimée ne tient de la législature de l'Ontario aucun pouvoir de réglementer le transport interprovincial de marchan- dises, ni de s'en occuper. C'est le Parlement qui lui a conféré les larges pouvoirs qu'elle possède à cet égard. Le Parlement a jugé opportun de décider que, dans l'exercice de ces pouvoirs, la Commission procéderait de la même manière que celle qui peut être prescrite à l'occasion par la législature pour le transport intraprovincial. Le Parlement peut, à tout moment, mettre fin aux pouvoirs de la Commission en ce qui concerne le transport interprovincial, ou modifier la manière dont elle devra exercer ces pouvoirs. Si les circonstances commandent une action immédiate, le gouverneur général en conseil peut agir en vertu de l'art. 5 de la Loi sur le transport par véhicule à moteur.
Cet extrait du jugement a notamment pour effet d'investir un organisme provincial de fonctions fédérales, comme le fait l'article 2 de la Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles, S.C. 1949, chap. 16 dont la validité a été examinée dans la cause P.E.I. Potato Marketing Board v. Willis, [1952] 2 R.C.S. 392.
L'autre effet de cet extrait est d'ouvrir à nou- veau la voie à l'argument des demanderesses. Cet argument porte essentiellement que quelle que soit le nom qui est donné à un organisme provincial et quelle que soit la loi provinciale qui le crée, un tel organisme, lorsqu'il réglemente le transport inter- provincial par véhicule à moteur, doit nécessaire- ment, si ce n'est par définition, constituer un orga- nisme fédéral. En l'absence d'une loi fédérale qui la crée et qui lui confie la gestion du camionnage interprovincial, la commission est privée de toutes attributions ou de tout fondement législatifs.
Sont particulièrement pertinents les commentai- res du juge Cartwright selon lequel l'article 3 permet simplement à une commission provinciale d'exercer son pouvoir de réglementation, le Parle- ment fédéral se réservant en tout temps le droit de mettre fin à ces pouvoirs ou de modifier la manière dont ils devront être exercés. C'est à l'évidence le type de contrôle que le Parlement ou le gouverneur en conseil exerce sur les commissions et les orga- nismes fédéraux dûment constitués. J'oserais dire que sans ce type de contrôle, l'article 3 pourrait être déclaré inconstitutionnel. On pourrait donc conclure qu'une commission provinciale est une sorte de persona designata, un mandataire ou un agent du Parlement appelé à exercer des fonctions fédérales et qu'elle est donc une commission dûment constituée par une loi du Parlement.
Il ne fait pas de doute que le législateur a agi avec beaucoup de prudence en rédigeant la Loi sur le transport par véhicule à moteur. Il a tenu compte de l'avertissement qu'a donné lord Atkin dans l'arrêt Attorney -General for British Colum- bia v. Attorney -General for Canada, [1937] A.C. 377 (P.C.), à la page 389:
[TRADUCTION] Tant que ne sera pas modifiée la répartition des fonctions législatives du Dominion et des provinces, il se peut bien que seule la coopération leur permette d'obtenir des résul- tats satisfaisants. Mais il faudra élaborer la législation avec prudence, et ce résultat ne saurait être atteint si les parties sortent de leur propre sphère pour empiéter sur celle de l'autre. (C'est moi qui souligne.)
On pourrait donc prétendre que la seule façon pour le Parlement de purger sa Loi de toute trace de délégation serait de convertir ces commissions provinciales en commissions fédérales ou, pour faire mentir. la maxime de Chesterton, de transfor mer son chien en cheval.
J'estime que ce point de vue ne manque pas d'attrait, mais en s'y arrêtant il se peut que l'on se soit déjà trop éloigné du texte de la Loi sur la Cour fédérale qui définit, en son article 2, l'expres- sion «office, commission ou autre tribunal fédéral». Les premiers mots de la définition font état d'un office, d'une commission ou d'un autre tribunal exerçant des pouvoirs conférés par une loi du Parlement. Il ne fait pas de doute que la Motor Carrier Commission, lorsqu'elle réglemente le camionnage interprovincial, exerce des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur le transport par
véhicule à moteur qu'a adoptée le Parlement fédé- ral. La définition ajoute toutefois «à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ... » Si l'on interprète ces mots selon leur sens usuel, ils excluent une commission créée par une législature provinciale, que cette commission exerce ou non «des pouvoirs conférés par une loi du Parlement ... ou sous le régime d'une telle loi...»
La version française de la définition est tout aussi péremptoire et explicite. On y lit:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga- nisme . .. exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada . .. à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ... (C'est moi qui souligne.)
Si je comprends bien la version française de la définition, il me semble évident que le critère ne consiste pas à décider si une commission provin- ciale exerce des pouvoirs fédéraux, mais plutôt si une telle commission est constituée ou établie con- formément à une disposition législative provin- ciale.
Compte tenu des faits qui m'ont été présentés, il ne semble pas faire de doute que la Motor Carrier Commission de la Colombie-Britannique, même si elle exerce une compétence et des pouvoirs confé- rés par une loi fédérale, est néanmoins constituée ou établie sous le régime de la Motor Carrier Act. Dans ces circonstances, elle n'est pas visée (comme l'indique clairement la version française) par la définition.
Il me faut alors conclure comme l'a fait le juge en chef Culliton dans l'arrêt C.P. Transport Co. Ltd. (précité), à la page 546, [TRADUCTION] «qu'on doit déterminer si une commission ou une personne est un "office, commission ou autre tri bunal fédéral" en se fondant sur la définition qu'en donne l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale». Suivant cette définition, la Motor Carrier Com mission n'en fait pas partie.
La demande en l'espèce est donc rejetée. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire, et peut-être inappro- prié, que j'examine l'autre moyen soulevé par les intervenantes, c'est-à-dire la qualité des demande- resses pour agir.
Dépens adjugés aux requérantes/intervenantes.
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