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A-406-79
Samuel Eidinger (appelant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: EIDINGER C. CANADA
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et MacGui- gan—Montréal, 19 novembre 1986.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Revenu ou gain en capital Le remboursement partiel de créances cédées en faveur de l'appelant dans le cadre du rachat d'une compagnie en mauvaise posture financière constitue-t-il un revenu ou un gain en capital Appel interjeté contre la décision de la Division de première instance selon laquelle l'augmentation de valeur des créances acquises par le défendeur contre la compa- gnie ne constituait pas un gain en capital provenant de circons- tances échappant à la volonté de l'appelant, mais elle était plutôt le résultat des efforts personnels du défendeur et procé- dait par conséquent d'une affaire à caractère commercial Le juge de première instance a mal interprété la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sissons Cet arrêt n'appuie pas la proposition selon laquelle le profit découlant de l'activité personnelle d'un entrepreneur a néces- sairement le caractère d'un revenu plut6t que celui d'un gain en capital En l'espèce, les éléments de preuve vont à l'encontre d'un plan soigneusement mûri en vue de la réalisa- tion de gains spéculatifs Bien que la cession des créances ait fait partie du rachat, par l'appelant, d'une entreprise et ait eu le profit pour mobile, il s'agissait indubitablement d'un place ment de capital Par conséquent, les remboursements par- tiels n'étaient pas des revenus provenant de l'entreprise mais des gains en capital L'appel est accueilli.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Californian Copper Syndicate v. Harris (1904), 5 T.C. 159 (C. de 1'É. Ec.).
DÉCISION EXPLIQUÉE:
Minister of National Revenue v. Sissons, [1969] R.C.S. 507; [ 1969] C.T.C. 184.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Steeves (SS) c. La Reine, [1977] CTC 325 (C.A.F.). AVOCATS:
Michael D. Vineberg pour l'appelant. Daniel Verdon pour l'intimée.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l'audience par
LE JUGE MACGUIGAN: Cette affaire soulève une question classique de droit fiscal. Le Lord Justice Clerk (Macdonald) l'a posée comme suit dans l'arrêt Californian Copper Syndicate v. Harris (1904), 5 T.C. 159 (C. de l'E. te.), à la page 166: [TRADUCTION] «Le profit réalisé n'est-il qu'un simple accroissement de valeur consécutif à la réalisation d'une valeur ou est-ce un gain décou- lant d'une opération commerciale dans le cadre d'une initiative lucrative?»
En l'espèce, le juge de première instance a répondu à cette question de la façon suivante [[1979] CTC 296, la page 303; 79 DTC 5218, aux pages 5223 et 5224]:
Certes, le défendeur justifie très bien les raisons pour lesquel- les il a retiré de la compagnie, les sommes nominales dont il avait besoin pour ses frais de subsistance à titre de rembourse- ment des créances, au lieu d'un salaire; il dit que les affaires de la compagnie étaient si précaires lorsqu'il les avait prises en main que la banque aurait bien pu demander le remboursement de ses prêts et mettre la compagnie en faillite si celle-ci n'avait pas commencé à réaliser des bénéfices. Je suis aussi convaincu que le défendeur n'a pas obéi à des considérations fiscales mais je suis, malgré tout, forcé de conclure, que bien qu'à l'époque de l'acquisition, la cession des créances en sa faveur l'intéressait peu et n'était pas une motivation essentielle de son rachat de l'entreprise, l'acquisition de ces créances en vertu de cette cession ne peut pas être considérée comme un placement en capital (même s'il avait payé une somme nominale pour les acquérir), mais doit être considérée comme une partie de l'achat de l'entreprise. Par conséquent, bien qu'il s'agisse d'une opération isolée et que le défendeur ne fasse pas un commerce de l'acquisition de créances ou de dettes comptables, je ne peux pas considérer que cet achat qu'il a fait était un placement en capital. Quoique le raisonnement dans l'affaire australienne Wills soit persuasif, le poids des précédents canadiens et, en particulier, l'arrêt de la Cour suprême rendu dans l'affaire Sissons (bien que les faits de cette cause étaient quelque peu différents car le contribuable avait délibérément acheté deux compagnies déficitaires et transféré une entreprise profitable à celle d'entre elles qui était en mesure d'amortir ses pertes avec ses bénéfices et, par là, de rembourser un prêt à l'autre compagnie, qui pouvait ainsi racheter les débentures détenues par le contribuable, bref un plan bien réfléchi) m'amène à conclure que si les créances acquises par le défendeur contre la compagnie avaient augmenté de valeur au point que celui-ci puisse être remboursé, il ne s'agissait pas d'un gain en capital provenant de circonstances échappant au contrôle dudit défen- deur. C'était le résultat des efforts personnels du défendeur et, par conséquent, il avait participé à une affaire de caractère commercial.
Nous sommes tous d'avis que le juge de pre- mière instance a mal interprété la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Minister of National Revenue v. Sissons, [ 1969] R.C.S. 507; [1969] C.T.C. 184. Nous ne sommes pas d'avis que l'arrêt Sissons appuie la proposition selon laquelle le profit découlant de l'activité per- sonnelle d'un entrepreneur a, de ce seul fait, le caractère d'un revenu plutôt que celui d'un gain en capital. En fait, le passage des motifs du juge Pigeon aux pages 511 R.C.S.; 187 CTC sur lequel peut s'appuyer une telle interprétation fait simple- ment partie du rejet par la Cour de chacun des cinq motifs sur lesquels le juge de première ins tance dans cette affaire avait fondé sa conclusion. Une considération plus décisive semble plutôt être celle que l'on trouve au passage qui suit immédia- tement, aux pages 511 et 512 R.C.S.; 187 CTC: [TRADUCTION]
e) Finalement, le profit réalisé par l'intimé ne peut à juste titre être considéré comme ayant été réalisé fortuitement. Au contraire, des éléments de preuve non réfutés démon- trent qu'il découle d'un plan soigneusement mûri et exé- cuté comme projeté.
Le juge Pigeon ajoute plus loin, aux pages 512 R.C.S.; 188 CTC:
[TRADUCTION] En l'espèce, la notion de «commerce» se dégage clairement du fait que l'acquisition des valeurs faisait partie d'une entreprise lucrative. L'opération ne visait pas à tirer un revenu des valeurs mais plutôt à faire un profit grâce à leur rapide réalisation. L'opération ne possède donc aucune des caractéristiques essentielles d'un investissement, il s'agit essen- tiellement d'une spéculation.
En l'espèce, les éléments de preuve vont à l'en- contre d'un tel plan soigneusement mûri en vue de la réalisation de gains spéculatifs. À cet égard, le plan en l'espèce diffère aussi de celui qu'a étudié cette Cour dans l'arrêt Steeves (SS) c. La Reine, [1977] CTC 325, la page 327 le juge Urie a souligné que l'«on a modelé l'opération de façon à obtenir l'effet voulu.»
En l'espèce, comme l'indique le passage de ses motifs cité plus haut, le juge de première instance a statué que (1) «le défendeur n'a pas obéi à des considérations fiscales» et (2) «qu'à l'époque de l'acquisition, la cession des créances en sa faveur l'intéressait peu et n'était pas une motivation essentielle de son rachat de l'entreprise».
Le fait que la cession des créances faisait «partie» du rachat par l'appelant d'une entreprise
qu'il avait fondée plusieurs années auparavant et qu'il voulait tirer de sa situation financière pré- caire doit mener à la même conclusion relative- ment aux prêts que celle que l'on tirerait à l'égard de l'entreprise elle-même, c'est-à-dire que même si elle avait le profit pour mobile, il s'agissait indubi- tablement d'un placement de capital. Pour ce motif, nous sommes tous d'avis que les rembourse- ments partiels des prêts que l'entreprise a faits à l'appelant au cours des années d'imposition 1971 et 1972 n'étaient pas des revenus provenant de l'entreprise de l'appelant durant ces années.
L'appel sera par conséquent accueilli, avec dépens aussi bien devant cette Cour qu'en pre- mière instance, le jugement de la Division de première instance sera annulé, et les cotisations d'impôt sur le revenu de l'appelant pour les années d'imposition 1971 et 1972 seront renvoyées au ministre du Revenu national pour qu'il les étudie de nouveau et en établisse de nouvelles qui soient conformes aux présents motifs.
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