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A-2-86
La Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor (requérante)
c.
Peter Wilson, représenté par l'Alliance de la Fonction publique (intimé)
et
Commission des relations de travail dans la Fonc- tion publique (mise-en-cause)
RÉPERTORIÉ: CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR) C. WILSON
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et Stone— Ottawa, 18 septembre et 23 octobre 1986.
Fonction publique Relations du travail La fumée du tabac dans le lieu de travail Grief La Norme de sécurité sur les substances dangereuses a été incorporée dans la con vention collective Si on applique la règle d'interprétation selon laquelle l'objet véritable d'une disposition contractuelle doit s'interpréter en fonction de l'ensemble de la convention, il est évident que la fumée secondaire du tabac ne constitue pas une substance dangereuse au sens de la Norme, car celle-ci ne s'applique qu'aux substances dangereuses fabriquées, manu- tentionnées, emmagasinées, traitées ou utilisées dans le lieu de travail Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7(1)g) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28 Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, S.R.C. 1970, chap. A-19 Loi des rela tions du travail dans l'industrie de la construction, S.Q. 1968, chap. 45 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 91, Partie I, Annexe I.
En janvier 1984, l'intimé, qui était commis aux écritures au bureau régional de l'Ontario du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social à Toronto, a déposé un grief selon lequel son employeur avait violé la Norme de sécurité sur les sub stances dangereuses, qui avait été incorporée dans la convention collective concernée, en permettant l'usage du tabac dans son lieu de travail. L'intimé a également demandé qu'il ne soit permis de fumer que dans un endroit bien ventilé et séparé du lieu de travail. En confirmant le grief, l'arbitre a jugé que la fumée du tabac «secondaire», «ambiante», «émise par d'autres» ou «latérale» constituait une substance dangereuse au sens de la Norme, que l'employeur contrevenait aux dispositions de la Norme (paragraphe 12) prévoyant que les substances dange- reuses doivent être circonscrites aussi près que possible de leur source et qu'il contrevenait également à son obligation (para- graphe 15 de la Norme) de prélever et d'analyser des échantil- lons d'air du lieu de travail afin de s'assurer qu'on ne dépassait pas les seuils admissibles prescrits en matière de pollution.
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 en vue de la révision et de l'annulation de la décision de l'arbitre pour le motif qu'il aurait commis une erreur de droit en concluant que la fumée secondaire du tabac constituait une substance dange- reuse au sens de la Norme. Il a été soutenu principalement que
l'arbitre avait commis une erreur en appliquant les paragraphes 12 et 15 de la Norme parce qu'il n'a pas tenu compte de nombreuses autres parties de la Norme qui mènent à une conclusion contraire.
Arrêt (le juge Mahoney dissident): la demande devrait être accueillie.
Le juge Stone (motifs concourants du juge Pratte): La question n'est pas de savoir si la fumée secondaire de la cigarette dans le lieu de travail est dangereuse pour la santé de l'intimé ni s'il est souhaitable de l'en protéger. Il s'agit de savoir si une erreur de droit a été commise dans l'interprétation du paragraphe 12 de la Norme.
L'objet véritable d'une disposition contractuelle doit s'inter- préter en fonction de toutes les différentes parties du document. L'arbitre a commis une erreur en n'examinant pas le paragra- phe 12 compte tenu de la Norme dans son ensemble.
Bien qu'on ne puisse pas dire que la Norme était censée s'appliquer seulement aux substances dangereuses dans le cadre d'un usage industriel de ces substances, l'interprétation de la Norme dans son ensemble amène à la conclusion que le para- graphe 12 se rapporte aux substances dangereuses dont la source est indiquée dans la Norme, et non à la fumée secon- daire du tabac.
Le juge Mahoney (dissident): La question est de savoir si, dans le cadre d'une interprétation juste de l'ensemble de la Norme, une substance dangereuse est celle avec laquelle il faut travailler ou qui est produite dans le cours des opérations mais non celle qui est introduite d'une autre manière dans le lieu de travail. De nombreuses dispositions ont été prévues, soit expres- sément soit implicitement, en ce qui concerne l'exposition à des substances dangereuses qui doivent être utilisées dans le lieu de travail ou qui s'y trouvent nécessairement. D'autres dispositions toutefois ne s'appliqueraient pas intégralement si elles étaient soumises à une telle particularité. La fumée latérale ne consti- tue évidemment pas une substance dangereuse à laquelle s'ap- pliquent toutes les dispositions de la Norme, mais ce n'est pas une raison convaincante pour l'exclure de l'application des dispositions qui effectivement s'appliquent à juste titre. La Norme vise à minimiser le danger que les conditions existant dans le lieu de travail représentent pour la santé des employés. Ce n'est pas servir cette fin que d'interpréter la Norme de façon à exclure une substance dangereuse introduite dans le lieu de travail par des collègues pour le motif qu'elle s'y trouve pour des raisons étrangères au travail plutôt que pour le compte et à l'avantage de l'employeur. La Norme s'applique donc à toute substance dangereuse transportée dans l'air du lieu de travail sans tenir compte de sa source. Il n'est ni déraisonnable ni injuste d'exiger de l'employeur qu'il respecte les prescriptions de la Norme en ce qui concerne la fumée ambiante du tabac dans le lieu de travail.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maunsell v. Olins, [1975] A.C. 373 (H.L.); Hillis Oil and Sales Ltd. c. Wynn's Canada, Ltd., [1986] I R.C.S. 57.
DÉCISIONS CITÉES:
Québec (Commission de l'industrie de la construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327, qui infirme (1983), D.T.E. 83T-685 (C.A. Qué.) et jugement en date du 12 février 1979, Cour supérieure du Québec, Montréal, n°` 500-05-006212-755,500-05-012615-744,500-05-018290- 740, non publié; The King v. Dubois, [ 1935] R.C.S. 378.
AVOCATS:
Robert Cousineau, c.r., pour la requérante. Andrew J. Raven et Derek Dagger pour l'intimé.
Aucun avocat n'a comparu au nom de la mise-en-cause.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimé. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour la mise-en- cause.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (dissident): La présente demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] repose entièrement sur la prémisse selon laquelle le vice-président de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique a commis une erreur de droit en concluant que la fumée «ambiante», «secondaire» ou «latérale» du tabac constitue une substance dangereuse au sens des Normes relatives à l'hygiène et à la sécurité pro- fessionnelles et plus particulièrement de la Norme de sécurité sur les substances dangereuses, ci-après appelée «la Norme». On ne conteste pas la conclu sion selon laquelle cela constitue de fait une sub stance dangereuse au sens du texte même de la définition figurant dans la Norme.
Cette norme a été édictée par le Conseil du Trésor le 1e` septembre 1982 en application de l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
7. (1) ... le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel ...
g) établir des normes régissant les conditions physiques de travail, d'hygiène et de sécurité, en ce qui concerne les personnes employées dans la fonction publique, et en prévoir l'application;
La convention collective régissant l'emploi de l'in- timé, conclue le 9 février 1982, prévoyait, à l'arti- cle 43, qu'elle pouvait être modifiée par consente- ment mutuel. La modification suivante a été adoptée:
[TRADUCTION] Les parties aux présentes donnent leur adhésion aux normes d'hygiène et de sécurité professionnelles énumérées ci-dessous, lesquelles entreront en vigueur le 1" avril 1983, et reconnaissent que ces normes font partie des conventions collec tives conclues entre elles.
Substance dangereuse NCT 3-2
La Norme était au nombre des dix-sept ainsi reconnues par le même document, auquel ont donné leur adhésion au nom de toutes leurs unités de négociation cinq agents de négociation, dont celui de l'intimé, aussi bien que le Conseil du Trésor.
Dans son grief, l'intimé a invoqué les disposi tions suivantes de la Norme:
Application
1. La présente norme s'applique à tous les ministères et les organismes de la Fonction publique, tels que définis dans la partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Définitions (par ordre alphabétique)
5. Dans la présente norme, l'expression
(6) «substances dangereuses» désigne toute substance qui, à cause de l'une de ses propriétés, peut présenter un danger pour la santé ou la sécurité d'une personne qui y est exposée;
Contrôle des contaminants en suspension dans l'air
12. Toute substance dangereuse susceptible d'être transpor- tée dans l'air doit être circonscrite aussi près que possible de la source de cette substance.
13. Sous réserve du paragraphe 14, chaque ministère doit s'assurer que la concentration d'une substance dangereuse qui peut être transportée dans l'air dans le secteur de travail d'un employé
(1) ne dépasse pas l'intensité du seuil de danger recomman- dée par l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists dans la brochure intitulée «Threshold Limit Values for Air Borne Contaminants 1976» et dans les modifi cations qui s'y rattachent; ou
(2) est conforme à toute norme qui est en accord avec les bonnes pratiques de la sécurité au travail et qui est recom- mandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada.
14. Sauf en ce qui concerne les substances dangereuses que l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists a classées dans la catégorie ««CO 3 la concentration des substances dangereuses qui peuvent être transportées dans l'air peut dépas- ser, dans le secteur travaille un employé l'intensité du seuil de danger dont il est fait mention dans le paragraphe 13 durant une période calculée selon une formule qui est
(1) prescrite par l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists, ou
(2) recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada.
15. Lorsque l'air d'un secteur de travail d'un employé est susceptible d'être pollué par une substance dangereuse, un échantillon doit en être prélevé et analysé par une personne qualifiée aussi souvent
(1) qu'il est nécessaire pour garantir que le degré de pollu tion ne dépasse pas les seuils admissibles, prescrits par les paragraphes 13 et 14; ou
(2) que le recommande Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada.
Les paragraphes 16, 17, 18 et 19 complètent la section intitulée «Contrôle des contaminants en suspension dans l'air». Ils traitent de la façon d'effectuer l'analyse requise par le paragraphe 15, d'établir et de conserver les dossiers de ces analyses, ainsi que de l'équipement de protection. Le paragraphe 34 est la seule disposition de la Norme qui fait mention des fumeurs de façon précise.
Secteurs de danger
34. Les mesures et les précautions à l'intention des fumeurs, ou toute procédure ou tout équipement dont l'usage dans un secteur de danger peut causer l'inflammation ou l'explosion d'une substance dangereuse doivent être conformes aux pres criptions du Commissaire fédéral des incendies.
Comme je l'ai déjà mentionné, on ne conteste pas la conclusion tirée par le vice-président et selon laquelle la fumée latérale constitue de fait une substance dangereuse selon la définition de cette expression. On ne conteste pas non plus que la Norme s'appliquait au lieu de travail de l'intimé.
Dans sa décision, le vice-président n'a pas traité de l'allégation présentée à la Cour, à savoir que, selon une interprétation juste de l'ensemble de la Norme, une substance dangereuse est celle avec laquelle on doit travailler ou qui est produite au cours d'opérations et que, en droit, la Norme ne s'applique pas à une substance dangereuse qui est introduite autrement dans le lieu de travail. S'il en est ainsi, ce n'est sûrement pas mentionné dans la Norme et l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'adminis-
tration financière ne limite pas ainsi la portée d'une norme qui peut être établie. J'estime possible de traiter équitablement de l'allégation de la requérante sans exposer tout le texte de la Norme.
Les paragraphes 2, 3 et 4 de la Norme limitent effectivement son application à des cas précis. Elle ne s'applique pas au transport de substances dan- gereuses sur les voies publiques. Les règlements applicables pris sous le régime de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, S.R.C. 1970, chap. A-19, ont priorité sur la Norme, et on reconnaît la responsabilité préemptive du Commissaire fédéral des incendies en ce qui concerne la protection des substances dangereuses contre les dangers de feu et d'explosion. Cette dernière restriction est réité- rée au paragraphe 34. Aucune de ces restrictions ne vient en aide à la requérante. L'intimé a sou- tenu que les paragraphes 2, 3 et 4 étaient censés énoncer toutes les exclusions en ce domaine, mais je ne crois pas que ce soit une façon très juste de voir la question étant donné que l'on vise l'exclu- sion de dangers faisant déjà l'objet d'un règlement et non l'exclusion de substances dangereuses en particulier. Je rejette également l'allégation de la requérante selon laquelle le paragraphe 34 est exhaustif en ce qui concerne l'application de la Norme aux fumeurs. La maxime selon laquelle «la mention de l'un implique l'exclusion de l'autre» ne convient bien à aucun des deux cas.
Les paragraphes 6 et 7 exigent que, si le choix est possible, il faut utiliser la substance la moins dangereuse ou une substance non dangereuse. Les paragraphes 8 à 11 traitent de l'isolement et du confinement des substances dangereuses. Les para- graphes 12 à 19 traitent des contaminants en suspension dans l'air et ont déjà été exposés ou examinés. Les paragraphes 20 à 23 visent la mise en garde et la formation du personnel susceptible d'être exposé à une substance dangereuse ou d'uti- liser ou de manipuler une telle substance. Le para- graphe 24 exige que des écriteaux préviennent du danger auquel s'exposent ceux qui pénètrent dans un secteur on manipule, entrepose ou utilise une substance dangereuse. Les paragraphes 25 et 26 traitent des contenants et de leur étiquetage; les paragraphes 27 et 28, de la ventilation; le paragra- phe 29, de l'ordre et de la propreté; les paragraphes 30 et 31, du matériel d'urgence; les
paragraphes 32 et 33, des poussières combustibles; les paragraphes 35 et 36, de l'utilisation de l'air comprimé; les paragraphes 37 41 et 43, des plans généraux des lieux de travail et des systèmes de tuyauterie et d'électricité; le paragraphe 42, des dispositifs émettant des radiations; le paragraphe 44, de l'électricité statique; et les paragraphes 45 à 47, de l'utilisation des explosifs. En dernier lieu, les paragraphes 48 et 49 traitent des examens médicaux des employés exposés à des substances dangereuses ainsi que de leurs dossiers médicaux.
La plupart de ces dispositions sont rédigées, soit expressément soit par déduction, en fonction de l'exposition à des substances dangereuses qui doi- vent être utilisées ou qui se trouvent nécessaire- ment dans le lieu de travail. Cela découle naturel- lement de leur objet. Par exemple, il ne serait pas logique de parler des plans d'un lieu de travail, de ses installations de plomberie et d'électricité, dans le contexte de l'exposition des employés à des substances dangereuses, si ces plans n'étaient pas censés réduire les dangers que présentent les sub stances dangereuses à utiliser ou à produire à cet endroit. Une observation du même genre serait pertinente en ce qui concerne l'isolement, la for mation, les écriteaux de mise en garde et ainsi de suite.
Par ailleurs, d'autres dispositions ne seraient pas, en raison de leur objet, pleinement efficaces si elles étaient soumises à une telle particularité. À titre d'exemple:
28. Les conduites d'aspiration et d'admission des systèmes de ventilation doivent être placées et disposées de telle façon que l'air pollué par des substances dangereuses ne puisse pas péné- trer dans des secteurs se trouvent des employés.
Il n'est pas rare que le lieu de travail des employés du gouvernement soit situé dans des locaux loués. Les fonctionnaires partagent fréquemment des édi- fices avec d'autres locataires qui ne relèvent pas de la fonction publique. Tel était le cas, de fait, du lieu de travail de l'intimé. Je crois qu'il ne serait pas raisonnable d'interpréter la Norme de façon à exclure de l'application du paragraphe 28 les sub stances dangereuses qui pourraient provenir des locaux d'un autre locataire et atteindre les bureaux de la fonction publique en passant par le système de ventilation.
Selon l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'administra- tion financière, la Norme vise à régir «l'hygiène et
la sécurité» des employés ainsi que leurs conditions physiques de travail. La fumée latérale constitue une substance dangereuse pour la santé humaine. Le Conseil du Trésor aurait pu l'exclure expressé- ment de l'application de la Norme, mais il ne l'a pas fait. La fumée latérale n'est évidemment pas une substance dangereuse à laquelle s'appliquent toutes les dispositions de la Norme, mais ce n'est pas une raison convaincante pour l'exclure de l'ap- plication des dispositions qui effectivement s'appli- quent à juste titre. Les dispositions relatives aux contaminants en suspension dans l'air s'appliquent tant de façon littérale que selon une interprétation téléologique de la Norme. L'un des buts évidents de la Norme est de réduire, par des moyens raison- nables, le danger que représentent pour la santé des employés les conditions existant dans leurs lieux de travail. Ce n'est pas servir cette fin que de limiter la Norme de façon à exclure une substance dangereuse introduite dans le lieu de travail par des collègues simplement parce qu'elle s'y trouve pour des raisons étrangères au travail plutôt que pour le compte et dans l'intérêt de l'employeur.
Dans l'arrêt Québec (Commission de l'industrie de la construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327, rendu le 9 octobre 1986, la Cour suprême du Canada a renversé les décisions des tribunaux inférieurs en statuant que le décret de la construc tion adopté en vertu de la Loi des relations du travail dans l'industrie de la construction, S.Q. 1968, chap. 45 et ses modifications, s'appliquait aux travaux de construction fait pour l'intimée par sa propre main-d'œuvre. Il en était ainsi malgré le fait que ni l'intimée ni ses employés ne s'occu- paient habituellement de construction et que la convention collective conclue entre eux accordait aux employés un ensemble d'avantages supérieurs à ceux du décret. La Cour. supérieure [jugement en date du 12 février 1979, Cour supérieure, Mont- réal, n°' 500-05-006212-755, 500-05-012615-744, 500-05-018290-740, non publié] et une majorité de juges de la Cour d'appel du Québec [(1983), D.T.E. 83T-685] avaient interprété le décret selon leur conception que celui-ci visait à remédier à des abus existant dans l'industrie de la construction. La Cour suprême a cité, relativement à la règle fondamentale d'interprétation, un certain nombre de décisions judiciaires que le juge en chef Duff a résumées ainsi au nom de la Cour dans l'arrêt The King v. Dubois, [ 1935] R.C.S. 378, la page 381:
[TRADUCTION] Dans tous les cas, la cour doit s'efforcer loyale- ment de déterminer l'intention de la Législature, et de le faire en lisant et en interprétant les termes que la Législature elle-même a choisis pour exprimer cette intention.
Présumer de l'intention général[e] au départ, cela revient, comme lord Haldane le déclarait dans Vacher & Sons Ltd. v. London Society of Compositors ([1913] A.C. 107, la p. 113) à pénétrer dans un labyrinthe pour l'exploration duquel le juge ne dispose d'aucun fil conducteur.
C'est également, en y apportant les changements nécessaires, la règle fondamentale de l'interpréta- tion des contrats. Que l'on considère la Norme en l'espèce comme étant une législation déléguée adoptée en septembre 1982 ou comme une disposi tion contractuelle convenue en avril 1983, la règle fondamentale qui régit son interprétation demeure la même.
Dans sa décision qu'on vient de résumer, la Cour suprême a adopté la conclusion suivante du juge d'appel McCarthy, qui a formulé des motifs dissi dents dans le jugement rendu par la Cour d'appel du Québec:
À mon avis, la position prise par l'appelante est appuyée par les textes législatifs et n'est ni absurde ni manifestement injuste. Nous devons donc appliquer les textes tels quels.
Rien dans la Norme ne me semble empêcher son application aux contaminants en suspension dans l'air qui proviennent d'une source particulière. Je serais plutôt d'avis qu'elle s'applique à toute sub stance dangereuse transportée dans l'air dans le lieu de travail, sans égard à sa source. Je ne vois aucun fondement rationnel qui puisse, en raison de la source du contaminant en suspension dans l'air, excuser l'employeur de l'obligation de procéder aux analyses prévues par les paragraphes 13 et suivants de la Norme, et la mention que la sub stance dangereuse doit être circonscrite aussi près que possible de sa source écarte toute objection légitime qui pourrait être soulevée relativement à
l'application du paragraphe 12 une substance dangereuse en raison de sa source. Il n'est ni déraisonnable ni injuste d'exiger que l'employeur observe les prescriptions de la Norme à l'égard de la fumée ambiante du tabac dans le lieu de travail.
À mon avis, le vice-président n'a pas commis d'erreur de droit dans sa conclusion. Je rejetterais la présente demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: La présente demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale découle du grief présenté par l'intimé en janvier 1984 et selon lequel son employeur avait contre- venu à la Norme de sécurité sur les substances dangereuses («la Norme») [TRADUCTION] «en per- mettant l'usage du tabac dans son lieu de travail,. L'intimé y demandait également de ne permettre l'usage du tabac que dans [TRADUCTION] «un endroit bien ventilé et séparé du lieu de travail. Le 20 décembre 1985, un arbitre qui agissait en vertu de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35 et ses modifications, a maintenu le grief. La requérante cherche à faire annuler la décision de l'arbitre pour le motif que celui-ci a commis une erreur de droit. J'ai eu l'avantage de lire l'ébauche des motifs du jugement du juge Mahoney, qui propose le rejet de la présente demande. Comme j'en suis venu à la conclusion contraire, il est souhaitable que j'expose les raisons qui m'incitent à ne pas partager l'opinion de mon collègue.
Le mandat prévu par la Loi' et en vertu duquel la Norme a été établie est très large. Il ne se limite pas à l'élaboration de normes dans le domaine des substances dangereuses, car les normes peuvent régir «les conditions physiques de travail» ou «l'hy- giène et la sécurité» des fonctionnaires. Il ne s'agit ici que de l'une des normes de ce genre. Elle porte sur les substances dangereuses, mais il ne faut pas en déduire qu'elle est censée traiter de ce domaine de façon exhaustive. Ce mandat me semble per
' Le fondement juridique de la Norme se trouve à l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10 et ses modifications:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publi- que, et sans limiter la généralité des articles 5 et 6,
g) établir des normes régissant les conditions physiques de travail, d'hygiène et de sécurité, en ce qui concerne les personnes employées dans la fonction publique, et en pré- voir l'application;
mettre l'établissement d'autant de normes diffé- rentes régissant diverses substances dangereuses qu'on peut l'estimer nécessaire ou souhaitable. L'article 42 de la convention collective concernée prévoyait l'incorporation de cette norme dans la convention et, une fois cela fait, ses mesures de protection s'étendaient au groupe des commis aux écritures et aux règlements. La Norme est ainsi devenue partie intégrante de la convention collec tive conclue entre les parties et doit être interpré- tée comme telle plutôt que comme un texte législatif.
L'intimé est commis aux écritures. À l'époque le grief a pris naissance, il travaillait au bureau régional de l'Ontario du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, dans la région métropolitaine de Toronto. Sa plainte mentionne principalement qu'il a été exposé à la fumée secon- daire de la cigarette dans son lieu de travail et que celle-ci représentait un danger pour sa santé. L'ar- bitre est arrivé aux conclusions de fait suivantes en ce qui concerne la présence de la fumée de ciga rette dans les secteurs de travail de l'intimé (Dos- sier d'appel, vol. III, pages 719b et 720):
4. Dix-sept personnes (y compris M. Wilson) travaillaient dans le lieu aménagé au 789, chemin Don Mills. Le nombre d'employés en poste est resté le même du 1r avril 1983 jusqu'à l'audition de la présente cause même si, entre-temps, plusieurs employés sont partis ou se sont ajoutés au groupe. Durant cette même période, il y avait de six à huit fumeurs dans le lieu de travail de Peter Wilson. Deux fumeurs étaient postés à six pieds ou moins de son bureau, et chacun d'eux fumait un demi- paquet de cigarettes par jour. De plus, deux fumeurs travail- laient dans la section des ordinateurs, une autre section de la Direction générale qui était aménagée non loin du poste de Peter Wilson. Ce sont surtout des bureaux ouverts qui occu- paient le sixième étage de l'immeuble situé au 789, chemin Don Mills. Certains des employés mais pas tous étaient séparés des autres par des cloisons de cinq pieds de hauteur; Peter Wilson était l'un d'eux. Dans l'immeuble du chemin Don Mills, la section de M. Wilson couvrait une superficie d'environ 1 500 à 1 700 pieds carrés.
5. En novembre 1984, le lieu de travail de Peter Wilson a été déménagé dans la partie nord du 11e étage du 200, Town Centre Court, à Scarborough. M. Wilson n'a pas mesuré l'espace qu'il y occupait, mais il a obtenu du ministère des Travaux publics un plan d'étage sur lequel il a indiqué les limites de son lieu de travail (pièce G-5). Celui-ci s'étendait sur une superficie de 1 400 à 1 500 pieds carrés. Un couloir orienté en direction nord communique avec une salle d'accueil aména- gée dans le coin sud-ouest de l'immeuble, qui donne sur le lieu de travail de M. Wilson. Ce couloir est séparé du mur ouest de l'édifice par des bureaux et il longe une grande salle de conférences. Le nombre précis de fumeurs qui travaillent dans cette partie de l'immeuble est inconnu.
6. En février 1985, le nombre d'employés travaillant dans la section de Peter Wilson a été porté à 19. Six d'entre eux fumaient. Avec le temps, le nombre de fumeurs a diminué au point où, pendant trois mois, il ne restait que quatre fumeurs, mais ce nombre a été porté de nouveau à six. Les six fumeurs n'étaient pas censés demeurer en poste. Deux d'entre eux étaient des employés nommés pour une période déterminée et devaient cesser de travailler à la fin de septembre, et un troisième devait quitter son poste à la suite d'une promotion.
La preuve présentée à l'audience par l'intimé a porté principalement sur le danger que présentait pour sa santé la fumée de cigarette produite par ses compagnons de travail, c'est-à-dire la fumée «secondaire» ou «latérale». La preuve définit cette sorte de fumée comme la partie de la fumée du tabac qui émane de l'extrémité incandescente d'une cigarette et se propage directement dans l'air. Elle se distingue de la fumée «primaire», qui est la fumée inhalée directement dans les poumons par le fumeur, et de la fumée «primaire exhalée», qui est la partie de la fumée primaire qui n'est pas retenue dans les poumons du fumeur.
L'audience a duré longtemps, soit plus de huit jours. La preuve produite est venue en grande partie de témoins experts cités par les deux parties. Elle est analysée de façon très approfondie par l'arbitre. À la fin, il est arrivé aux conclusions suivantes (Dossier d'appel, vol. III, pages 805b et 806):
137. J'ai procédé à une analyse attentive de tous les témoi- gnages d'expert et j'en suis venu à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, les preuves présentées au nom de l'employé s'estimant lésé démontrent l'existence d'une corré- lation statistique importante entre l'exposition à la fumée rési- duelle et l'augmentation de l'incidence des cancers du poumon. Par conséquent, je conclus que la fumée résiduelle du tabac est une «substance dangereuse» au sens de la Norme.
138. Comme la fumée résiduelle de tabac peut être transpor- tée dans l'air, elle doit être circonscrite aussi près que possible de sa source, en conformité avec le paragraphe 12 de la Norme. L'employeur a contrevenu à cette disposition, car il n'a pas tenté de circonscrire la fumée résiduelle circulant dans le lieu de travail de l'employé s'estimant lésé aussi près que possible de sa source. Le seul moyen possible par lequel il pourrait satis- faire à cette obligation consiste à aménager des locaux dotés d'un système de ventilation distinct pour les fumeurs qui doi- vent travailler dans les mêmes lieux que M. Wilson.
139. Les locaux travaillait l'employé s'estimant lésé étaient contaminés par la fumée résiduelle de tabac. Ainsi, l'employeur avait l'obligation, aux termes du paragraphe 15 de la Norme, d'échantillonner et d'analyser l'air des locaux aussi souvent que nécessaire pour s'assurer que le degré de pollution ne dépassait en aucun cas les seuils admissibles prescrits par les paragraphes 13 et 14, ou aussi souvent que le recommande Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada. Il ressort
de la preuve que l'employeur n'a procédé qu'à des analyses sommaires de la qualité de l'air dans le lieu de travail de l'employé s'estimant lésé et, en particulier, qu'il n'a effectué aucune analyse pour déceler la présence de 4-aminobiphényle et de bêta-naphtylamine, deux substances pour lesquelles aucune
forme d'exposition ne doit être permise [TRADUCTION] « par quelque voie que ce soit—respiratoire, cutanée ou orale, pouvant être détectée à l'aide des méthodes les plus pous-
sées », d'après les valeurs limites d'exposition publiées par l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists, qui ont été incorporées dans la Norme par voie de référence (pièce G-14, page 41). Pour ces motifs, je conclus que l'em- ployeur a violé le paragraphe 15 de la Norme.
Si je comprends bien, l'arbitre a procédé en deux étapes dans ses conclusions. Il a jugé première- ment que la fumée secondaire de la cigarette cons- titue une «substance dangereuse» au sens de l'ali- néa 5(1) de la Norme et deuxièmement qu'il y a eu violation des paragraphes 12 et 15. La définition de «substance dangereuse» énoncée à l'alinéa 5(1) est libellée ainsi:
5. Dans la présente norme, l'expression
(6) «substance dangereuse» désigne toute substance qui, à cause de l'une de ses propriétés, peut présenter un danger pour la santé ou la sécurité d'une personne qui y est exposée;
Quant aux paragraphes 12 à 15, ils sont rédigés ainsi:
12. Toute substance dangereuse susceptible d'être transpor- tée dans l'air doit être circonscrite aussi près que possible de la source de cette substance.
13. Sous réserve du paragraphe 14, chaque ministère doit s'assurer que la concentration d'une substance dangereuse qui peut être transportée dans l'air dans le secteur de travail d'un employé
(1) ne dépasse pas l'intensité du seuil de danger recomman- dée par l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists dans la brochure intitulée «Threshold Limit Values for Air Borne Contaminants 1976» et dans les modifi cations qui s'y rattachent; ou
(2) est conforme à toute norme qui est en accord avec les bonnes pratiques de la sécurité au travail et qui est recom- mandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada.
14. Sauf en ce qui concerne les substances dangereuses que l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists a classées dans la catégorie «C», la concentration des substances dangereuses qui peuvent être transportées dans l'air peut dépas- ser, dans le secteur travaille un employé l'intensité du seuil de danger dont il est fait mention dans le paragraphe 13 durant une période calculée selon une formule qui est
(1) prescrite par l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists, ou
(2) recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada.
15. Lorsque l'air d'un secteur de travail d'un employé est susceptible d'être pollué par une substance dangereuse, un échantillon doit en être prélevé et analysé par une personne qualifiée aussi souvent
(1) qu'il est nécessaire pour garantir que le degré de pollu tion ne dépasse pas les seuils admissibles, prescrits par les paragraphes 13 et 14; ou
(2) que le recommande Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada.
La question que nous devons trancher n'est pas de savoir si la fumée secondaire de la cigarette circulant dans le lieu de travail est dangereuse pour la santé de l'intimé. L'arbitre était nettement d'avis qu'elle l'était, et le bien-fondé de cette con clusion n'est pas contesté. Par ailleurs, la requé- rante soutient que, en appliquant les paragraphes 12 et 15, l'arbitre a commis une erreur parce qu'il n'a pas tenu compte de nombreuses autres parties de la Norme qui mènent à une conclusion con- traire. Il n'est pas ici question de déterminer s'il est souhaitable ou non de protéger l'intimé de la fumée secondaire de la cigarette. Notre mandat se limite à celui qui est énoncé à l'alinéa 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire à détermi- ner si l'arbitre «a rendu une décision ou une ordon- nance entachée d'une erreur de droit» 2 . Nous ne pouvons faire ni plus ni moins. Comme l'existence d'une violation du paragraphe 15 dépend de la conclusion selon laquelle le paragraphe 12 s'appli- que, il nous suffit de déterminer si une erreur de droit a été commise dans l'interprétation de ce dernier paragraphe.
Je voudrais d'abord exposer ma conception de la façon correcte en droit d'aborder l'interprétation de la Norme. Cette dernière fait partie d'une convention collective à laquelle s'appliquent les règles ordinaires d'interprétation. J'ai tenu compte du conseil de lord Reed selon lequel les règles
2 28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
d'interprétation ne doivent pas être appliquées ser- vilement. Ce sont, disait-il, [TRADUCTION] «des supports de l'interprétation, des présomptions ou des indices»; ce sont [TRADUCTION] «nos serviteurs et non pas nos maîtres» (Maunsell v. Olins, [1975] A.C. 373 (H.L.), à la page 382). L'objet véritable d'une disposition contractuelle doit être interprété en tenant compte des différentes parties du docu ment. C'est, me semble-t-il, l'approche qui a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'interprétation d'un contrat dans Hillis Oil and Sales Ltd. c. Wynn's Canada, Ltd., [ 1986] 1 R.C.S. 57, le juge Le Dain a dit au nom de la Cour la page 66):
Si l'article 23 était le seul article relatif à la résiliation dans les contrats de distribution, il devrait, je crois, s'interpréter comme autorisant la résiliation avec ou sans motif par l'une ou l'autre des parties avec effet immédiat. Mais l'article 23 ne peut être considéré isolément; il faut l'interpréter dans le contexte de l'ensemble du contrat et, en particulier, des autres dispositions relatives à la résiliation à l'article 20. Le juge Estey a énoncé le principe général dans l'arrêt Exportations Consoli dated Bathurst Export Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888, la p. 901, il dit que «les règles normales d'interprétation amènent une cour à rechercher une interprétation qui, vu l'ensemble du contrat, tend à traduire et à présenter l'intention véritable des parties au moment elles ont contracté». L'énoncé du juge Dickson (alors juge puîné) dans l'arrêt McClelland and Stewart Ltd. c. Mutual Life Assurance Co. of Canada, [1981] 2 R.C.S. 6, à la p. 19, est particulièrement approprié:
Pris seuls et sans tenir compte de l'ensemble de la police, les termes analogues employés dans la clause de suicide et dans la déclaration constituent certainement un argument puissant en faveur de la thèse de la compagnie d'assurances. Il est cependant évident qu'on ne peut prendre ces mots isolément et séparément. La question en jeu ne doit pas être tranchée par un examen mécanique de deux expressions séparées, mais plutôt par un examen de l'ensemble de la police et de la déclaration.
Conscient de cette indication, je passe mainte- nant à l'examen de l'approche adoptée par l'arbitre dans son interprétation du paragraphe 12. Si je comprends bien, il n'a pas vu la nécessité d'analy- ser ce paragraphe en tenant compte de la Norme dans son ensemble. L'alinéa 5(1) et les paragra-
phes 12 16, 20, 27, 28, 29, 34 et 49 étaient, estimait-il, les seuls [TRADUCTION] «qui se rappor- taient au grief» (Dossier d'appel, vol. III, page 800). A-t-il commis une erreur de droit en adop- tant ce point de vue? Je serais d'avis qu'il n'a pas commis d'erreur si une interprétation du document dans son ensemble ne l'avait pas aidé à interpréter le paragraphe 12.
La requérante soutient que la Norme visait à protéger la santé et la sécurité des employés seule- ment s'ils sont tenus de travailler ou viennent en contact avec des substances dangereuses [TRADUC- TION] «dans l'usage industriel de ces substances». En toute déférence, je considère cette allégation comme mal fondée car je ne puis trouver de raison valable d'en limiter ainsi la portée. L'expression «substance dangereuse» est définie de façon large. Il est vrai que le dossier et plus particulièrement la brochure (pièce G-4) mentionnée à l'alinéa 13(1) de la Norme renvoient souvent aux notions suivan- tes: [TRADUCTION] «expériences industrielles» (industrial experience), «usage industriel» (indus- trial use), «procédés industriels» (industrial pro cesses), et même «substances industrielles» (indus- trial substances). De plus, aux alinéas 11(1), 13(2), 16(2) et 22(2) de la Norme, il est question de «bonnes pratiques de la sécurité au travail» («good industrial safety practice»). Mais cette expression ne révèle pas nécessairement une inten tion de limiter la protection aux substances dange- reuses dont l'employeur fait un usage industriel. La Norme a été élaborée en tenant compte de nombreux groupes d'employés et d'une foule d'ac- tivités différentes de l'employeur. En vertu du paragraphe 1, elle s'applique à «tous les ministères et les organismes de la Fonction publique» énumé- rés dans la partie 1 de l'annexe 1 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Soixante-huit d'entre eux figurent sur cette liste. Je ne doute pas que la Norme visait à protéger la santé des employés contre l'utilisation industrielle de substances dangereuses si, en effet, il se fait une telle utilisation dans un lieu de travail particulier. Mais la protection est plus large, à mon avis. On visait à protéger la santé des employés contre la présence dans le lieu de travail de toute substance dangereuse à laquelle la Norme s'appliquerait par ailleurs. La seule véritable question est de savoir si, selon la Norme, la fumée secondaire de la ciga rette est considérée comme une substance dange- reuse.
Pour répondre à cette question, je prends d'abord en considération le libellé du paragraphe 12. Il exige que toute substance dangereuse sus ceptible d'être transportée dans l'air soit «circons- crite aussi près que possible de la source de cette substance» (c'est moi qui souligne). L'obligation en incombe à l'employeur. Quelle en est alors l'éten-
due? Ce paragraphe l'oblige-t-il à circonscrire à leurs sources toutes les substances dangereuses susceptibles d'être transportées dans l'air dans le lieu de travail? Doit-il, par exemple, protéger l'air du lieu de travail des substances dangereuses pro- duites par son voisin? J'ai de la peine à le croire. À mon avis, le document considère que l'employeur sera en mesure de faire tout ce qu'on attend de lui. Lorsqu'une substance dangereuse requise dans le lieu de travail est susceptible d'être transportée dans l'air, l'employeur doit la circonscrire aussi près que possible de l'endroit elle est requise ou gardée.
L'application de la Norme à une substance dan- gereuse qui n'est pas requise dans le lieu de travail est loin d'être une chose si évidente. Il en est sûrement ainsi dans le cas de la fumée secondaire de la cigarette. Le paragraphe 12 était-il censé s'étendre également à celle-ci? L'employeur ne peut pas s'en occuper tout à fait de la même façon que dans le cas d'une substance qui lui appartient, car il lui faut tenir compte des préoccupations de tous les employés concernés—les fumeurs et égale- ment les non-fumeurs. Un certain nombre de ques tions viennent à l'esprit. Devrait-il, par exemple, interdire de fumer dans le lieu de travail? Sinon, devrait-il être permis de fumer seulement dans un secteur prévu à cette fin? À quels moments, durant les heures de travail, devrait-il être permis de fumer à cet endroit et pendant combien de temps? Les fumeurs devraient-ils subir une perte de rému- nération pour le temps ainsi perdu? De plus, si les locaux de travail comprennent des secteurs com- muns à tous les employés (par exemple des salles à manger, des toilettes, etc.), doivent-ils être inter- dits aux fumeurs? Dans le cadre d'une convention collective, ces questions seraient normalement con- sidérées comme relevant de la négociation. Cepen- dant, je ne puis trouver aucune mention les concer- nant dans la convention collective. S'agit-il d'une omission accidentelle? J'en doute. L'intimé sou- tient (et l'arbitre en a convenu) que l'employeur ne peut pas faire moins que d'appliquer à la fumée secondaire de la cigarette le libellé plutôt vague du paragraphe 12 compte tenu de la définition quel- que peu tautologique de l'expression «substance dangereuse». Je me demande si cela peut se faire en toute sécurité sans prendre d'abord en considé- ration le contexte plus large dans lequel s'inscrit ce paragraphe parmi quarante-neuf autres en vue de
découvrir, dans la mesure du possible, si les parties ont envisagé la fumée secondaire de la cigarette. Je ne crois pas que nous puissions faire une telle abstraction.
Je pense que c'est à ce point-ci que l'arbitre a commis une erreur de droit car, en interprétant le paragraphe 12, il lui aurait été très utile, à mon avis, d'analyser d'autres parties de la Norme qui désignent nettement et manifestement des sources de substances dangereuses dans le lieu de travail. Aucune d'entre elles n'a été considérée comme pertinente par l'arbitre. Je songe aux sources indi- quées dans les paragraphes suivants:
6. Il est interdit d'utiliser une substance dangereuse ou un dispositif émettant des radiations s'il est raisonnablement possi ble d'utiliser plutôt une substance ou un dispositif non dangereux.
7. Lorsqu'il est nécessaire d'utiliser une substance dangereuse ou un dispositif émettant des radiations et qu'il est possible d'en obtenir plusieurs sortes, il faut, dans la mesure du possible, utiliser la substance dangereuse ou le dispositif qui présente le moins de danger.
8. Lorsque les opérations comportent l'utilisation, dans un secteur quelconque, d'une substance dangereuse ou d'un dispo- sitif émettant des radiations, il faut, dans la mesure du possible, restreindre à ce secteur l'usage de cette substance ou de ce dispositif de même que tout danger que présente un tel usage.
9. Lorsque les opérations nécessitent l'emmagasinage de substances dangereuses dans un secteur quelconque, il faut, dans la mesure du possible, emmagasiner ces substances de façon à empêcher qu'une explosion, qu'un incendie ou que tout autre accident dans ce secteur puisse avoir des répercussions dans un secteur adjacent.
10. Il est interdit d'emmagasiner une substance dangereuse près d'une autre substance lorsque le danger que présente la substance dangereuse pourrait être, de ce fait, augmenté.
11. Dans la mesure du possible, la quantité de toute sub stance dangereuse qui se trouve dans un secteur elle est utilisée, traitée ou fabriquée ne doit pas dépasser
(1) la quantité dictée par les bonnes pratiques de la sécurité au travail, ou
(2) la quantité requise, dans ce secteur, pour une journée de travail, la moindre de ces deux quantités étant retenue.
21. Il est interdit à un employé d'utiliser ou de manipuler, ou d'être autorisé d'utiliser ou de manipuler une substance dange- reuse ou un dispositif émettant des radiations lorsque l'utilisa- tion ou la manipulation d'une telle substance ou d'un tel dispositif expose l'employé à un danger, à moins que l'employé n'ait été renseigné et initié quant
24. Lorsque le mode de manipulation, d'entreposage ou d'utilisation, dans un secteur quelconque, d'une substance dan- gereuse ou d'un dispositif émettant des radiations présente un
danger pour la sécurité ou la santé d'un employé qui pourrait se trouver dans ce secteur, des écriteaux doivent être placés pour prévenir du danger les personnes qui pénètrent dans le secteur.
25. Les ministères doivent s'assurer que
(1) les contenants mobiles servant à contenir une substance dangereuse utilisée dans leur propriété sont conformes à la prescription pertinente du Règlement sur le transport des marchandises dangereuses par chemin de fer, établi par la Commission canadienne des Transports, ou à une norme applicable à un contenant mobile recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada;
(2) les contenants fixes pour l'emmagasinage d'une substance dangereuse utilisée dans leur propriété sont conformes à la prescription pertinente établie en vertu d'une loi de la pro vince ou du territoire se trouve le contenant ou à une norme applicable à un contenant fixe pour l'emmagasinage recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada;
(3) les contenants servant à contenir un dispositif émettant des radiations qui est utilisé dans leur propriété sont confor- mes aux prescriptions pertinentes du Bureau de la radiopro- tection de Santé et Bien-être social Canada.
26. Tous les contenants qui servent à contenir une substance dangereuse doivent être étiquetés ou marqués pour en indiquer le contenu conformément
(1) aux prescriptions du Règlement sur le transport des marchandises dangereuses par chemin de fer établi par la Commission canadienne des Transports;
(2) aux recommandations contenues dans le Manufacturing Chemists Association Guide to Precautionary Labelling of Hazardous Chemicals;
(3) aux exigences du Règlement sur les produits dangereux (substances dangereuses) du Canada ou à toute autre norme d'étiquetage qui identifie par son nom populaire la substance dangereuse qui se trouve dans le contenant et indique le ou les principaux dangers que comporte cette substance. [C'est moi qui souligne.]
Le début du paragraphe 37 mentionne toutes ces différentes sources:
37. Dans la mesure du possible, les plans et la construction d'un lieu une substance dangereuse est fabriquée, manuten- tionnée, emmagasinée, traitée ou utilisée doivent être tels que ... [C'est moi qui souligne.]
J'en ai conclu que le paragraphe 12 renvoie aux substances dangereuses dont la source est indiquée dans ces paragraphes et non à la fumée secondaire de la cigarette. C'est-à-dire qu'il exige que l'em- ployeur circonscrive toute substance dangereuse susceptible d'être transportée dans l'air aussi près que possible de l'endroit elle est utilisée, emma- gasinée ou traitée et, le cas échéant, de l'endroit elle est fabriquée ou manutentionnée par lui. Bien que l'intimé recherche une interprétation plus large, il a admis devant nous dans sa plaidoirie que le paragraphe 12 s'applique à une substance dan-
gereuse se propageant dans l'air et provenant d'une source de ce genre. En l'espèce, le danger pour la santé de l'intimé vient non pas d'une substance dangereuse provenant de l'une quelconque de ces sources mais plutôt des habitudes personnelles de ses collègues. Ce danger, ainsi que je le perçois, n'est pas traité par la Norme, et l'arbitre a commis une erreur de droit en jugeant que s'appliquent les paragraphes 12 et 15.
J'accueillerais la présente demande, j'annulerais la décision de l'arbitre en date du 20 décembre 1985 et je renverrais l'affaire devant lui pour le motif que la fumée secondaire de la cigarette ne constitue pas une substance dangereuse à laquelle s'applique la Norme.
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux présents motifs.
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