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T-1217-86
Conseil de la bande Ermineskin (requérant) c.
L. G. Smith, registraire, Affaires indiennes et du Nord Canada, Raymond John Quinn, Laura Rowan Quinn, Nadine Rae Quinn, Raymond Quinn, Virgel Shawn Quinn et Bonita Cheryl Quinn (intimés)
RÉPERTORIÉ: CONSEIL DE LA BANDE ERMINESKIN c. CANADA (REGISTRAIRE, AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD)
Division de première instance, juge Strayer—Van- couver, 2 et 5 juin 1986.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Mandamus
Demande de mandamus visant à obliger le registraire à rendre une décision à l'égard de deux protestations formulées par le Conseil de bande contre des additions à la liste de bande
Le registraire ne s'est pas prononcé sur la première protes tation formulée le 21 septembre 1984, puisqu'il était d'avis que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens empê- chaient la protestation d'aboutir, laissant entendre que le Conseil de la bande pouvait se prévaloir des nouvelles disposi tions relatives à la protestation, ni sur la deuxième protesta tion qui a été élevée le 21 janvier 1986 en vertu du nouvel art. 14.2 Aucune décision n'a encore été rendue Il ressort de la preuve une demande claire visant l'exercice d'un pouvoir non discrétionnaire Le retard dans la prise d'une décision équivaut à un refus de décider L'art. 14.2(5) exige du registraire qu'il rende une décision La décision du regis- traire peut faire l'objet d'un appel devant une cour En omettant de rendre une décision, le registraire empêche qu'on interjette appel devant une cour de son interprétation de la loi
Un droit d'appel ne disparaît pas parce qu'on ne peut l'invoquer avec succès Il est ordonné au registraire de rendre sur-le-champ une décision à l'égard de la deuxième protestation Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. 1-6, art. 9(2) (mod. par S.C. 1985, chap. 27, art. 4), 11(1)a) (mod., idem), c), 14.2 (édicté, idem), 14.3 (mod., idem).
Peuples autochtones Inscription Le registraire a décidé que les intimés avaient le droit d'être inscrits comme membres de la bande Ermineskin Le conseil de la bande a adopté une résolution pour contester cette décision La protestation a été envoyée au registraire Aucune décision n'a été rendue Le registraire a fait savoir que les modifica tions apportées à la Loi sur les Indiens écartaient tout recours
Il a laissé entendre que le conseil de la bande pouvait se prévaloir des dispositions du nouvel art. 14.2 relatives àla protestation Une nouvelle protestation a été formulée Toujours aucune décision de la part du registraire Le retard équivaut à un refus de décider La décision du registraire peut faire l'objet d'un appel devant une cour En omettant de rendre une décision, le registraire empêche une décision judiciaire à l'égard de son interprétation de la loi Le registraire est tenu de se prononcer sur la deuxième protes tation Il lui est ordonné de rendre une décision sur-le- champ Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 9(2)
(mod. par S.C. 1985, chap. 27, art. 4), 11(1)a) (mod., idem), c), 14.2 (édicté, idem), 14.3 (mod., idem).
AVOCATS:
I. S. Nossal pour le requérant.
A. D. Louie pour l'intimé L. G. Smith, regis-
traire, Affaires indiennes et du Nord Canada.
Personne n'a comparu pour les intimés Ray- mond John Quinn, Laura Rowan Quinn, Nadine Rae Quinn, Raymond Quinn, Virgel Shawn Quinn et Bonita Cheryl Quinn.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé L. G. Smith, registraire, Affaires indiennes et du Nord Canada.
Roddick & Peck, Edmonton, pour les intimés Raymond John Quinn, Laura Rowan Quinn, Nadine Rae Quinn, Raymond Quinn, Virgel Shawn Quinn et Bonita Cheryl Quinn.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Il s'agit d'une demande de bref de mandamus visant à obliger le registraire intimé à rendre une décision à l'égard de deux protestations formulées par le conseil de bande requérant les 21 septembre 1984 et 21 janvier 1986 contre l'addition à la liste de la bande Ermi- neskin des noms des intimés membres de la famille Quinn. Les Quinn n'ont pas comparu à l'audition de la présente requête, mais, au dire de l'avocat du requérant, celle-ci a été signifiée à leur avocat qui a fait savoir que ses clients l'appuyaient.
Les faits ne sont pas contestés. Le 31 juillet 1984, le registraire a décidé que les intimés avaient, en vertu de l'alinéa 11(1)c) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, le droit d'être inscrits comme membres de la bande Ermineskin. La première protestation a été formulée lors d'une résolution adoptée par le conseil de la bande Ermi- neskin le 21 septembre 1984, et a été adressée au registraire. Celui-ci n'a rendu aucune décision à l'égard de cette protestation.
Les articles pertinents de la Loi sur les Indiens alors en vigueur ont été modifiés par S.C. 1985, chap. 27, art. 4 qui était réputé entrer en vigueur le 17 avril 1985 (apparemment pour coïncider avec l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]). Les articles 5 à 14 de la Loi sur les Indiens ont été ainsi remplacés, ce qui a fait que le droit à l'inscription et la procédure d'inscription pour les Indiens et les membres d'une bande ont connu des modifications importantes.
L'avocat du requérant a continué à presser le registraire de se prononcer sur la protestation contre l'inscription des Quinn comme membres de la bande. Par lettre en date du 20 décembre 1985, le registraire intimé a informé l'avocat du requé- rant que, à son avis, en raison des modifications apportées à la Loi sur les Indiens, une personne dont le nom figurait sur une liste d'une bande avant le 17 avril 1985 était en droit d'être membre de cette bande et que, par conséquent, en ce qui concerne les protestations adressées avant le 17 avril 1985, [TRADUCTION] «il n'y a plus de recours» puisque le nom de cette personne ne pouvait en être retranché. Le registraire a ajouté que, même s'il faisait droit à la protestation du 21 septembre 1984, il ne pourrait retrancher les noms des intimés de la liste de la bande. Il a précisé dans sa lettre qu'il ne statuait pas sur la protestation déposée avant l'entrée en vigueur de la modifica tion. Il a toutefois laissé entendre que le conseil de la bande pouvait se prévaloir des dispositions du nouvel article 14.2 relatives à la protestation, qui font partie des modifications. A part quelques petits changements, ces dispositions sont fonda- mentalement semblables aux dispositions antérieu- res du paragraphe 9(2) de S.R.C. 1970, chap. 1-6.
Le conseil de la bande requérant a donné suite à cette proposition en adoptant, le 21 janvier 1986, une nouvelle résolution pour protester contre l'ad- dition, en juillet 1984, des noms des intimés à la liste de la bande. Jusqu'ici, le registraire ne s'est pas prononcé sur cette protestation bien que l'avo- cat du requérant lui ait demandé de le faire dans les lettres qu'il lui a adressées en date du 7 février et du 18 mars 1986.
Pour décider s'il y a lieu de décerner un bref de mandamus, je dois trancher deux questions fonda- mentales: la première est de savoir si le registraire est tenu de rendre une décision sur l'une ou l'autre des protestations ou sur les deux sans qu'il puisse exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de le faire et, dans l'affirmative, il faut déterminer si on lui a clairement demandé d'exécuter cette obli gation, demande à laquelle il a refusé d'obtempé- rer. J'examinerai tout d'abord la deuxième question.
À mon avis, l'avocat du requérant ne demande pas clairement au registraire, dans la lettre qu'il lui a adressée en date du 20 décembre 1985, de statuer simplement sur la première protestation. Voici le passage clé de cette lettre:
[TRADUCTION] La bande nous a chargés de vous dire que, à moins qu'il ne soit décidé au plus tard le 10 janvier de retran- cher les noms de M. Quinn, de sa femme et des membres de sa famille de la liste de bande et de lui rembourser tous les paiements effectués à ceux-ci à même le fonds de la bande, elle intenterait une action pour obtenir une ordonnance à cette fin.
Il ne s'agit pas simplement d'une demande de décision, mais plutôt d'une demande visant à faire en sorte que le registraire exerce ses pouvoirs d'une manière particulière. Le requérant ne soutient même pas qu'il est en droit de demander une décision particulière: il prétend seulement qu'il a droit à une quelconque décision. Qui plus est, il ressort de la lettre adressée le 18 mars 1986 par l'avocat de la bande que cette demande a été retirée:
[TRADUCTION] À la suite de notre lettre en date du 7 février contenant une nouvelle protestation, nous vous informons que, à moins que vous ne vous prononciez sur cette protestation au plus tard à la fin de ce mois, la bande se verra dans l'obligation de s'adresser à la cour pour obtenir qu'une décision soit rendue.
Il s'agit d'une demande claire et non équivoque visant l'exercice d'un pouvoir non discrétionnaire. Bien que cette demande n'ait pas expressément été rejetée, il s'est écoulé un laps de temps plus que suffisant pour qu'on y réponde, et pourtant on ne l'a pas fait, ce qui équivaut à un refus de décider. Je vais donc statuer sur cette demande de bref de mandamus, laquelle demande se rapporte vérita- blement à la deuxième protestation formulée le 21 janvier 1986.
Il reste la question de savoir s'il incombe au registraire de rendre une décision à l'égard de la
deuxième protestation. J'ai conclu par l'affirma- tive. Le registraire a, selon moi, dans la position qu'il a fait valoir à l'égard du requérant, confondu deux questions: l'une consiste à savoir s'il est tenu de statuer sur la protestation, l'autre à se deman- der quelle devrait être cette décision. En refusant, aux termes de sa lettre du 20 décembre 1985, de rendre une décision à l'égard de la première pro testation, il semble vouloir dire par qu'aucune décision n'était nécessaire parce que l'issue était inévitable. La Loi, telle qu'elle a été modifiée, prévoit notamment:
14.2 (1) Une protestation peut être formulée, par avis écrit au registraire renfermant un bref exposé des motifs invoqués, contre l'inclusion ou l'addition du nom d'une personne dans le registre des Indiens ou une liste de bande tenue au ministère ou contre l'omission ou le retranchement de son nom de ce registre ou d'une telle liste dans les trois ans suivant soit l'inclusion ou l'addition, soit l'omission ou le retranchement.
(2) Une protestation peut être formulée en vertu du présent article à l'égard d'une liste de bande par le conseil de cette bande, un membre de celle-ci ou la personne dont le nom fait l'objet de la protestation ou son représentant.
(5) Lorsqu'une protestation lui est adressée en vertu du présent article, le registraire fait tenir une enquête sur la question et rend une décision.
La protestation élevée par le conseil de bande requérant le 21 janvier 1986 tombe clairement sous le coup de cet article. Elle a été formulée par le conseil et se rapporte à une décision prise moins de trois ans avant cette protestation, soit le 31 juillet 1984. Le paragraphe 14.2(5) exige du regis- traire qu'il rende une décision à l'égard d'une telle protestation. De toute évidence, il peut fonder cette décision sur des conclusions de fait ou de droit ou sur les deux à la fois.
Il se peut que les modifications adoptées en 1985 aient invariablement confirmé le droit d'apparte- nance d'une personne dont le nom figurait sur une liste de bande juste avant le 17 avril 1985, quelles qu'aient pu être les circonstances de l'inclusion de son nom sur la liste. Ce n'est pas à moi mais plutôt au registraire de tenter de trancher cette question. Si on lit l'ensemble des modifications, on constate que cette conclusion est certainement loin d'être évidente, et il faut espérer que la décision du registraire, quelle qu'elle soit, sera motivée. Une fois qu'il a rendu une décision, celle-ci peut faire l'objet d'un appel devant une cour en vertu de l'article 14.3, tout comme ses décisions sur ces
protestations pouvaient être révisées (de la nature d'un appel) par un juge en vertu de l'article 9 de la Loi sur les Indiens tel qu'il était formulé avant les récentes modifications.
En refusant ou en omettant de rendre une déci- sion sur l'une ou l'autre de ces protestations, le registraire empêche qu'on interjette appel devant une cour de son interprétation de la loi. Je ne peux conclure que le législateur voulait un tel résultat. Il semble que, suivant le raisonnement du registraire, si une protestation est irrecevable du point de vue du droit, il n'y a donc pas lieu de rendre une décision à son égard. Ce point de vue qu'une protestation est irrecevable semble reposer, dans une large mesure, sur la version modifiée du para- graphe 9(2) de la Loi qui est ainsi rédigé:
9....
(2) Les noms figurant à une liste d'une bande immédiate- ment avant le 17 avril 1985 constituent la liste de cette bande au 17 avril 1985.
L'alinéa 11(1)a) prévoit en outre:
11. (1) À compter du 17 avril 1985, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère si elle remplit une des conditions suivantes:
a) son nom a été consigné dans cette liste, ou elle avait droit A ce qu'il le soit immédiatement avant le 17 avril 1985;
Mais rien ici n'indique qu'on ne puisse protester contre l'inscription du nom d'une personne sur une liste de bande avant le 17 avril 1985. Vu la nature générale du droit de protester prévu à l'article 14.2 et l'obligation particulière du registraire de tran- cher ces protestations, je ne vois pas pourquoi je devrais interpréter ces exigences comme une exception à l'égard des protestations relatives à l'inclusion d'un nom sur une liste de bande avant le 17 avril 1985. Si l'intimé a raison, ces protesta tions sont vouées à l'échec. Mais un droit d'appel ne disparaît pas uniquement parce qu'on ne peut l'invoquer avec succès.
J'ordonne donc au registraire de rendre sur-le- champ une décision à l'égard de la protestation formulée par le requérant dans sa résolution du 21 janvier 1986.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE:
1) Que le registraire intimé rende une décision à l'égard de la protestation formulée par le requé- rant le 21 janvier 1986 contre l'addition à la liste de la bande Ermineskin des noms des intimés Raymond John Quinn, Laura Rowan Quinn, Nadine Rae Quinn, Raymond Quinn, Virgel Shawn Quinn et Bonita Cheryl Quinn;
2) Que le registraire intimé paie les dépens du requérant. Aucuns dépens ne sont adjugés aux autres intimés ni ne peuvent leur être réclamés.
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