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T-1276-87
La Reine (demanderesse)
c.
W.H. Violette Limited (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: W.H. VIOLETTE LTD. c. M.R.N.
Division de première instance, juge McNair— Fredericton, 27 octobre; Ottawa, 27 novembre 1987.
Impôt sur le revenu Pratique Rien n'empêche le ministre, dans différentes procédures, de défendre des cotisa- tions contradictoires établies pour le même contribuable, con- cernant des années d'imposition différentes mais portant sur les mêmes faits et les mêmes sommes La fin visée est d'empêcher qu'un revenu se soustraie complètement à une imposition Action nécessaire pour interrompre la prescrip tion et préserver le droit d'imposer de nouveau les sommes de l'année 1981 La position incompatible provient de ce que la contribuable a refusé de révéler la date exacte de l'opération
La nouvelle cotisation établie pour les années 1980 et 1982 ne remplace pas la cotisation de 1981.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation La
plaidoirie concernant le fondement de la cotisation établie pour l'année d'imposition 1981 est en contradiction avec les faits servant de fondement à la cotisation de 1982 dans l'autre action à l'égard des mêmes sommes Il n'y a pas eu emploi abusif des procédures La Règle 411, qui interdit une déviation dans les plaidoiries, ne s'applique qu'aux plaidoiries d'une même action Aucune règle n'interdit l'incompatibilité dans les plaidoiries de différentes actions.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Les cotisations contradictoires dans différentes procédures établies pour le même contribuable et concernant des années d'imposition différentes, mais portant sur les mêmes faits et les mêmes sommes ne violent pas les principes
de justice fondamentale La question principale porte sur le moment de la réception du produit La conribuable ne saurait exciper de la double incrimination lorsqu'elle a choisi de ne pas révéler la date de l'opération et lorsque l'action s'impose pour empêcher une évasion fiscale complète.
Par suite du règlement d'une action intentée contre sa four- nisseuse, Ford Motor Co. of Canada, relativement à des frais de ramassage et de livraison, la défenderesse à l'instance, une concessionnaire automobile de Ford, a reçu, à la signature d'une renonciation datée formellement de février 1982, les sommes de 51 182,44 $ et de 27 579,16 $ que la demanderesse a imposées à titre de revenu d'entreprise pour l'année d'imposi- tion 1981. Après la mise en branle de la procédure d'appel concernant cette cotisation, le ministre du Revenu national a fixé de nouveau l'impôt à payer par la défenderesse pour ses années d'imposition 1980 et 1982, ajoutant à son année d'impo- sition 1982 un supplément de 78 761,60 $ qui, la défenderesse en a été avisée, serait retirée de l'année d'imposition 1981.
Dans une action intentée devant cette Cour pour interjeter appel de la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt
a rejeté l'appel formé par W.H. Violette contre les cotisations de 1980 et 1982, la Couronne a fait valoir que la somme de 78 761,60 $ avait à juste titre été incluse dans l'année d'imposi- tion 1982.
Dans la présente action, qui est un appel de la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a accueilli l'appel formé par W.H. Violette contre la cotisation de 1981, la Couronne a faire valoir que cette somme avait à juste titre été incluse dans l'année d'imposition 1981.
Il s'agit d'une requête en radiation de la déclaration de la demanderesse au motif qu'elle constitue une déviation de la plaidoirie que la demanderesse a déposée dans l'autre action et un emploi abusif des procédures. La défenderesse s'appuie sur les Règles 419 et 411, faisant valoir que cette plaidoirie la place dans une position de double incrimination. Elle soutient en outre que cette double incrimination viole les principes de justice fondamentale, en contravention de l'article 7 de la Charte. Elle soutient en dernier lieu que les nouvelles cotisa- tions établies pour les années d'imposition 1980 et 1982 avaient eu pour conséquence juridique d'annuler toute cotisation anté- rieure établie pour l'année d'imposition 1981.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Il ressort de l'ouvrage Odgers' Principles of Pleading and Practice et de celui de Williston et Rolls The Law of Civil Procedure que la règle interdisant la déviation d'une plaidoirie ne s'applique qu'aux plaidoiries de la même action. La Règle 411 n'est donc d'aucun secours à la défenderesse. Il n'existe pas non plus de règle interdisant à la demanderesse de plaider, dans la présente action, des allégations de fait incompatibles avec celles faites dans une autre action dans laquelle elle est la partie défenderesse.
L'espèce présente ressemble à une situation le ministre n'avait guère le choix en établissant des cotisations incompati bles et apparemment contradictoires dans des actions distinctes pour des années d'imposition différentes, mais provenant de la même transaction, afin de s'assurer qu'il y aura lieu au moins à une imposition. La présente action s'impose pour préserver le droit d'imposer de nouveau les sommes de l'année d'imposition 1981, qui pourraient autrement être prescrites.
La nouvelle cotisation établie pour les années 1980 et 1982 n'a ni remplacé ni annulé la cotisation de 1981 parce qu'elle n'a pas été faite à l'égard de la même année d'imposition ni à l'égard des mêmes points litigieux.
Comme il n'y a pas double incrimination, il n'y a donc pas violation des principes de justice fondamentale adoptés par l'article 7 de la Charte. Dans l'autre action concernant les années d'imposition 1980 et 1982, la contribuable a subsidiaire- ment prétendu que si les sommes en question constituaient un revenu, elles étaient alors des sommes reçues ou à recevoir dans l'année 1981. Dans la présente action, voulant s'assurer seule- ment que les sommes en question ne se soustraient pas à l'imposition, la demanderesse interjette appel de la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a accueilli l'appel de la défenderesse parce que l'autre appel de celle-ci à l'égard de sommes semblables pour différentes années avait été rejeté.
Puisque la question principale se pose de savoir si les sommes en question ont été reçues en 1981 ou en 1982, et que la défenderesse choisit de ne pas révéler la date réelle du règle- ment, elle ne saurait exciper de la double incrimination et de la
violation des principes de justice fondamentale. La présente action s'impose pour éviter que la contribuable se soustraie à l'imposition en prouvant dans l'autre action que les sommes avaient réellement été reçues en 1981.
Chaque action a sa propre raison d'être et les questions de fond nécessitent une décison satisfaisante au procès.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 152(4).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 411, 419.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re Morgan Owen v. Morgan (1887), 35 Ch.D. 492 (C.A.); Quemet Corp. c. R., [1980] 1 C.F. 431; (1979), 79 DTC 5330 (lte inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Walkem c. M.R.N. (1971), 71 DTC 5288 (C.F. lfe inst.); Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; 3 DTC 1182; Crown Trust Co. c. La Reine, [ 1977] 2 C.F. 673; 77 DTC 5173 (1" inst.).
DOCTRINE
Odgers' Principles of Pleading and Practice in Civil Actions in the High Court of Justice, 22nd ed., D. B. Casson and 1. H. Dennis, London: Stevens & Sons, 1981.
Williston, W. B. and Rolls, R. J., The Law of Civil Procedure, Volume 2, Toronto: Butterworths, 1970.
AVOCATS:
John R. Shipley et Beverly J. Hobby pour la demanderesse.
Eugene J. Mockler, c.r. et Edward L. Derrah pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Mockler, Allen & Dixon, Fredericton, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une requête inter- locutoire par laquelle la défenderesse demande que soit radiée la déclaration de la demanderesse pour les motifs suivants:
[TRADUCTION] I. La déclaration de la demanderesse doit être radiée en application de la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale parce que ladite plaidoirie constitue une dévia- tion de la plaidoirie de la même partie déposée dans une autre action devant cette Cour, et un emploi abusif des procédures de la Cour.
La défenderesse a exploité une entreprise en tant que concessionnaire automobile de Ford dans la ville de Grand Falls (Nouveau-Brunswick). Un contrat liait la défenderesse et le concessionnaire subséquent, Violette Motors Limited, à leur four- nisseuse, Ford Motor Company of Canada (ci- après appelée «Ford»). Aux termes de contrat, la défenderesse et Violette Motors Limited pouvaient passer prendre de nouvelles automobiles directe- ment à l'usine de montage de Ford qui se trouve à Oakville (Ontario). En 1968, Ford a prétendu modifier unilatéralement ce contrat pour faire payer à la défenderesse des frais de ramassage et de livraison, bien qu'aucun de ces services n'ait jamais été effectué. La défenderesse a protesté contre cette action unilatérale de la part de Ford, mais les frais ont été versés par Ford Motor Credit Corporation en vertu du plan de financement des ventes en gros en vigueur à l'époque. Ce supplé- ment de frais a été inclus dans les registres comp- tables de la défenderesse comme frais d'exploita- tion.
Le 29 mars 1977, la défenderesse a saisi la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, Divi sion de première instance [W.H. Violette Ltd. and Violette Motors Ltd. v. Ford Motor Co. of Canada Ltd. (1980), 31 N.B.R. (2d) 394; 75 A.P.R. 394], d'une action en jugement déclaratif des droits de la demanderesse et en recouvrement des frais de ramassage et de livraison plus un intérêt sur ceux-ci. Le 16 septembre 1980, la Cour a rendu un jugement accordant le redressement sollicité et adjugeant des dommages-intérêts à la défenderesse et à Violette Motors Limited, lesquels s'élèvent à la somme de 310 442,50 $ pour la période allant du ler janvier 1972 au 15 décembre 1978 plus un intérêt sur cette somme. Dans son arrêt rendu le 16 avril 1981, la Cour d'appel du
Nouveau-Brunswick [(1981), 34 N.B.R. (2d) 238; 85 A.P.R. 238] a confirmé la décision de première instance. Une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada introduite par Ford a été rejetée le 19 octobre 1981 [[1981] 2 R.C.S. viii; (1981), 39 N.R. 537].
Le 16 juillet 1981, la défenderesse a intenté contre Ford une deuxième action en dommages- intérêts par suite de la rupture continue de contrat à l'égard des frais de ramassage et de livraison pour la période allant du 15 décembre 1978 au 21 mars 1980. Les parties sont en fin de compte parvenues à un accord relativement à cette deuxième action et il y a eu désistement à la signature d'une renonciation. La renonciation est formellement datée de [TRADUCTION] «ce
jour de février 1982». La demanderesse soutient que la défenderesse a reçu, comme sa part de la deuxième action, les sommes de 51 182,44 $ à titre de revenu et de 27 579,16 $ à titre d'intérêt.
Le 16 septembre 1983, le ministre du Revenu national a fixé de nouveau l'impôt payable par la défenderesse pour l'année d'imposition 1981, et il a ajouté la somme de 404 086,50 $ au revenu d'en- treprise exploitée activement, et la somme de 217 738,67 $ au revenu de la défenderesse pour cette année. Par avis d'opposition en date du 12 décembre 1983, la défenderesse a contesté la coti- sation susmentionnée établie pour l'année d'impo- sition 1981. Le 8 janvier 1985, le ministre a rejeté ledit avis d'opposition. Le ministre a toutefois révisé la cotisation pour ajouter un total de 436 759,44 $ au revenu de la défenderesse pour l'année d'imposition 1981.
Le 26 février 1985, la défenderesse a déposé à la Cour canadienne de l'impôt un avis d'appel relatif à l'année d'imposition 1981. Cet appel a reçu le numéro 85-362.
Par lettre en date du 14 mai 1985, Revenu Canada a fait savoir que la somme susmentionnée de 436 759,44 $ serait retirée de l'année d'imposi- tion 1981 pour être imposée en 1980 et 1982. Le 19 juin 1985, le ministre du Revenu national a fixé de nouveau l'impôt payable par la défenderesse à l'égard de l'année d'imposition 1980 en ajoutant la somme de 357 997,84 $ au revenu de la contribua- ble. À la même date, l'année d'imposition 1982 a également fait l'objet d'une nouvelle cotisation
pour ajouter un supplément de 78 761,60 $ au revenu de la contribuable pour cette année. Ces cotisations ont fait l'objet d'un appel en bonne et due forme devant la Cour canadienne de l'impôt; il s'agit des appels portant les numéros 86-8, 86-9.
Le 3 février 1987, la Cour de l'impôt a rejeté ces appels et confirmé les cotisations établies par le ministre pour le motif que la contribuable avait reçu la somme de 435 516,59 $ à titre de revenu d'entreprise, donc à titre de revenu et non à titre de capital.
Le présent appel de la défenderesse dans l'action portant le numéro d'appel 85-362 a été accueilli par la Cour canadienne de l'impôt le 8 juillet 1987, et l'affaire a été renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.
Par la présente action (T-1276-87), la demande- resse interjette appel de cette décision devant la Cour fédérale du Canada. Aux paragraphes 11g), 11i), 13 et 14 de sa déclaration en l'espèce, la demanderesse fait valoir que les sommes de 51 182,44 $ et de 27 579,16 $ doivent être incluses comme revenu tiré d'une entreprise dans l'année d'imposition 1981 de la défenderesse.
Le 17 juin 1987, W.H. Violette Limited a inter- jeté appel de la décision rendue le 3 février 1987 par la Cour canadienne de l'impôt à l'égard des nouvelles cotisations établies pour les années d'im- position 1980 et 1982 (T-1329-87). Dans cette autre action dans laquelle Sa Majesté la Reine est citée comme défenderesse, la demanderesse W.H. Violette Limited fait cette allégation alternative au paragraphe 25 de sa déclaration:
[TRADUCTION] 25. La demanderesse soutient en outre que le ministre a, le 16 septembre 1983 ou vers cette date, établi une cotisation à l'égard de ladite somme pour l'année d'imposition 1981 et que, après qu'elle eut déposé l'avis d'opposition, le ministre a procédé à une nouvelle cotisation à l'égard de ladite somme pour les années 1980 et 1982. Toujours selon la deman- deresse, lesdites nouvelles cotisations étaient contradictoires et incompatibles, et doivent être rejetées parce qu'elles vont à l'encontre de la loi et de la Charte des droits, particulièrement à l'encontre des art. 1 et 7 de celle-ci.
La défenderesse donne la réponse suivante au paragraphe 13 de la défense:
[TRADUCTION] 13. Pour ce qui est du paragraphe 25 de la déclaration, il reconnaît que le ministre du Revenu national a établi une cotisation pour l'année d'imposition 1981 de la demanderesse le 16 septembre 1983, notamment à l'égard des sommes reçues ou à recevoir de Ford Motor Company of
Canada par suite des deux actions. Il reconnaît en outre que, après que la demanderesse eut formé un appel devant la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de son année d'imposition 1981, le ministre du Revenu national a procédé à une nouvelle cotisation à l'égard des années d'imposition 1980 et 1982 de la demanderesse, de manière à inclure dans le calcul du revenu de la demanderesse les sommes reçues ou à recevoir de Ford Motor Company of Canada par suite des deux actions. À d'autres égards, il rejette ledit paragraphe, et il fait valoir en outre que les cotisations reposaient sur les renseignements fournis par la demanderesse et sur les allégations de fait figurant dans l'avis d'appel déposé par la demanderesse à la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de son année d'imposition 1981, que l'avocat de la défenderesse a fait valoir devant la Cour canadienne de l'impôt que l'appel formé par la demande- resse contre la cotisation de son année d'imposition 1981 devrait être accueillie, et que la Cour canadienne de l'impôt a accueilli cet appel le 5 février 1987.
La défenderesse soutient notamment que, selon les présomptions de fait du paragraphe 14 de la défense, les sommes de 51 182,44 $ et de 27 579,16 $ étaient des sommes reçues ou à rece- voir par la demanderesse à titre de revenu dans son année d'imposition 1982.
Le point capital de l'argumentation de la défen- deresse à l'appui de la requête en radiation réside simplement dans ceci: la déclaration dans la pré- sente action constitue un emploi abusif des procé- dures parce que la plaidoirie y figurant et concer- nant le fondement de la cotisation établie pour l'année d'imposition 1981 de la défenderesse est en contradiction avec le fondement réel de la cotisa- tion établie et défendue par le ministre dans l'autre action à l'égard des mêmes sommes qui, selon la demanderesse, constituent un revenu dans l'année d'imposition 1982.
La défenderesse s'appuie principalement sur les Règles 419 et 411 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], dont voici le libellé:
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas,
b) qu'elle n'est pas essentielle ou qu'elle est redondante,
c) qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,
d) qu'elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruc- tion équitable de l'action,
e) qu'elle constitue une déviation d'une plaidoirie antérieure, ou
f) qu'elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procé- dures de la Cour,
et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.
(2) Aucune preuve n'est admissible sur une demande aux termes de l'alinéa (1)a).
(3) Dans la présente Règle, «déviation» signifie ce qui est interdit dans la Règle 411.
Règle 411. (1) Une partie ne doit pas, dans une plaidoirie, faire une allégation de fait incompatible avec une plaidoirie antérieure qu'elle a présentée, ni soulever un nouveau motif ou faire une nouvelle demande comme l'alternative d'un motif ou d'une demande figurant dans une plaidoirie antérieure, ou en remplacement d'un tel motif ou d'une telle demande.
(2) L'alinéa (1) n'exclut pas le droit pour une partie de rectifier ou de demander la permission de rectifier sa plaidoirie antérieure afin de plaider des allégations ou demandes alternatives.
L'avocat de la défenderesse soutient qu'une partie peut plaider des allégations alternatives mais non des allégations contradictoires. Il s'ensuit donc que le ministre ne saurait être autorisé à soutenir dans une affaire que certaines sommes sont imposables à l'égard de l'année d'imposition 1981 du contribuable tout en prétendant, dans une autre affaire il est cité comme défendeur, que les mêmes sommes sont imposables dans l'année d'imposition 1982. L'avocat de la défenderesse soutient qu'une telle plaidoirie contradictoire place la défenderesse à l'instance dans une position de double incrimination, la mettant ainsi dans l'im- possibilité de démolir les conclusions de fait ser vant de fondement à la cotisation du ministre. Il soutient en outre que cette double incrimination va à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] en ce sens qu'elle viole les principes de justice fondamen- tale en imposant à la défenderesse l'obligation injuste d'avoir à réfuter les cotisations incompati bles et contradictoires. Il soutient en dernier lieu que les nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1980 et 1982 ont eu pour conséquence juridique d'annuler toute cotisation antérieure, et il cite, à l'appui de cet argument, l'affaire Walkem c. M.R.N. (1971), 71 DTC 5288 (C.F. P e inst.).
L'avocat de la demanderesse soutient d'autre part que la défenderesse ne saurait se prévaloir de la Règle 419 attendu que la déclaration révèle une cause raisonnable d'action et qu'en outre, la défen- deresse s'est défendue contre cette cause d'action dans sa plaidoirie. Quant à la Règle 411, la règle
interdisant la déviation y énoncée s'applique uni- quement aux plaidoiries d'une même action. Il fait valoir que la déclaration ne plaide que des alléga- tions de fait à l'appui d'une cause d'action qui se distingue de celles plaidées en défense dans une autre action. Toujours selon lui, cela est particuliè- rement nécessaire dans un cas où, comme en l'es- pèce, seule la partie adverse a connaissance des faits litigieux. Bien que reconnaissant le caractère généralement peu souhaitable des cotisations incompatibles et contradictoires, il soutient que les circonstances sont telles que le ministre n'a pu faire autrement, s'appuyant à cet égard sur la décision Quemet Corp. c. R., [1980] 1 C.F. 431; (1979), 79 DTC 5330 (1 reinst.), aux pages 439 à 441 C.F.; 5334 et 5335 DTC. D'après l'avocat, la défenderesse à l'instance a soulevé des allégations de fait par suite des nouvelles cotisations établies pour les années 1980 et 1982 qui jettent le doute sur la date réelle du règlement de la deuxième action, savoir si ce règlement est survenu en 1981 ou 1982. En outre, la défenderesse a refusé de communiquer au ministre des renonciations pour son année d'imposition 1981. Il s'ensuit donc que, pour s'assurer que le revenu reçu par suite du règlement de la deuxième action est imposé, il faut absolument que l'appel concernant la cotisation de 1981 soit confirmé et autorisé à suivre son cours.
Je vais statuer tout d'abord sur les points de procédure.
Le texte de la règle anglaise interdisant la dévia- tion ressemble à celui de notre propre Règle 411. A la page 212 de l'ouvrage Odgers' Principles of Pleading and Practice in Civil Actions in the High Court of Justice, 22e éd., il est donné l'explication suivante de la règle:
[TRADUCTION] C'est au stade de la réponse que la règle interdisant ce qu'on appelle «une déviation dans une plaidoirie» s'applique pour la première fois. «Une partie ne doit pas, dans une plaidoirie, faire une allégation de fait, ni soulever un nouveau motif de réclamation incompatible avec une plaidoirie antérieure qu'elle a présentée.» (Voir Ord. 18, règle 10; Herbert v. Vaughan [1972] 1 W.L.R. 1128.)
Il y a déviation lorsque, dans une plaidoirie, la partie aban- donne le motif qu'elle a invoqué dans sa plaidoirie antérieure pour recourir à un autre motif différent; ou, pour reprendre la définition de sir Edward Coke, «Il y a déviation dans une plaidoirie lorsque le deuxième moyen de défense contient une matière qui n'est pas conforme à son premier moyen et qui ne renforce pas ce dernier; c'est ce qu'on appelle decessus parce que la partie s'écarte de son premier moyen de défense» (Co. Ltt. 304a). C'est, à l'évidence, embarrassant; dans une réponse,
il n'y a pas de place pour de nouvelles demandes; l'autoriser tendrait à prolonger de façon intolérable les plaidoiries. Le demandeur doit modifier sa déclaration en ajoutant la nouvelle question à titre d'allégation supplémentaire ou alternative.
Dans l'ouvrage The Law of Civil Procedure, Volume 2, Toronto: Butterworths (1970) de W. B. Williston et R. J. Rolls, il est dit ceci, à la page 666, au sujet de la règle ontarienne comparable:
[TRADUCTION] Il y a déviation dans une plaidoirie lorsqu'une partie abandonne le moyen de défense qu'elle a invoqué en premier lieu, ou s'en écarte, pour recourir à un autre. Cette règle interdisant la déviation ne s'applique qu'aux plaidoiries de la même action.
Appliquant les principes précédents à l'espèce, je me vois dans l'obligation de conclure que la Règle 411 n'est d'aucune utilité à la défenderesse.
Que penser du point soulevé concernant l'incom- patibilité dans une plaidoirie? Williston et Rolls, op. cit., tiennent ces propos à la page 664:.
[TRADUCTION] Chaque partie peut inclure dans sa plaidoirie des allégations alternatives lors même qu'elles seraient incom patibles: un demandeur peut articuler des ensembles incompati bles de faits essentiels et réclamer, subsidiairement, redresse- ment à cet égard, et un défendeur peut soulever dans sa défense autant de moyens incompatibles qu'il juge approprié de le faire.
Dans l'affaire In re Morgan Owen v. Morgan (1887), 35 Ch.D. 492 (C.A.), le lord juge Lindley s'est prononcé en ces termes à la page 499:
[TRADUCTION] J'estime que, en l'espèce, le juge de l'instance inférieure s'est fait une idée trop stricte de l'Ordonance quant aux plaidoiries. Il a de toute évidence tenu pour acquis que les défenses incompatibles sont gênantes et ne devraient pas être accueillies. Il me semble que ce point de vue ne soit pas justifié par les Ordonnances lorsqu'on les interprète de façon appropriée.
Le juge s'est particulièrement appuyé sur l'Ordonnance XIX, règle 4, dont la partie importante est ainsi conçue: «Chaque plaidoirie doit contenir et doit contenir uniquement un exposé sommaire des faits essentiels sur lesquels la partie plaidante fonde sa demande ou sa défense, selon le cas, mais non la preuve permettant de les prouver.»
Or, je ne saurais interpréter cette ordonnance comme interdi- sant des plaidoiries incompatibles. On voit parfaitement ce qui s'en dégage, savoir que chaque partie doit donner un exposé succinct, concis et sommaire des faits essentiels sur lesquels elle s'appuie. Or, une personne peut invoquer un ensemble de faits si elle peut en rapporter la preuve, et elle peut s'appuyer sur un autre ensemble de faits si elle est en mesure de les prouver; et ce serait, à mon avis, interpréter beaucoup trop strictement cette ordonnance que de dire qu'elle doit opter pour la direction dans laquelle elle va présenter ses moyens, lorsqu'il se peut qu'elle n'en sache encore rien.
Je ne suis donc pas d'accord avec la prétention générale de la défenderesse selon laquelle la demanderesse ne peut plaider dans la présente action des allégations de fait incompatibles avec celles faites dans une autre action dans laquelle la demanderesse est la partie défenderesse.
Toutefois, la défenderesse soutient toujours que la présente action constitue un emploi abusif des procédures, faisant valoir que l'incompatibilité de la plaidoirie a pour conséquence d'imposer à la contribuable l'obligation injuste de réévaluer son propre revenu. À l'appui de cet argument, la défenderesse cite les propos suivants tenus par le juge Rand dans l'arrêt Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; 3 DTC 1182, aux pages 490 R.C.S.; 1183 DTC:
[TRADUCTION] ... Il faut, bien sûr, supposer que la Couronne, comme elle en a le devoir, a divulgué complètement au contri- buable les conclusions de fait et les interprétations juridiques précises qui ont donné lieu à la controverse.
En l'espèce, il existe deux controverses par voie d'appel des allégations de fait incompatibles sont plaidées. Je ne vois aucun lien entre ce type de situation il y a à trancher différents points litigieux dans des actions distinctes et l'idée énon- cée par le juge Rand dans l'affaire Johnston sus- mentionnée. Qui plus est, on ne saurait, à mon avis, s'attendre raisonnablement à ce que la Cou- ronne divulgue les conclusions de fait précises concernant la date réelle de règlement de la deuxième action lorsque c'est la contribuable défenderesse seule qui est au courant de ces faits.
L'espèce présente, à mon avis, ne tombe pas dans le cas le ministre cherche, dans la même action, à faire confirmer par la Cour deux cotisa- tions contradictoires dans la même année d'imposi- tion, à la différence de l'affaire Crown Trust, infra, il a été statué qu'«aucune disposition légale n'empêche le Ministre d'établir deux cotisa- tions différentes pour le même actif et la même année d'imposition, lorsque la valeur à fixer découle de la même transaction», malgré le carac- tère injuste de cette pratique: voir Crown Trust Co. c. La Reine, [1977] 2 C.F. 673; 77 DTC 5173 (i re inst.), le juge Addy, aux pages 677 C.F.; 5175 DTC. J'estime que l'espèce ressemble davantage à une situation le ministre n'avait guère le choix en établissant des cotisations incompatibles et apparemment contradictoires dans des actions dis-
tinctes pour des années d'imposition différentes, mais provenant de la même transaction, afin de s'assurer qu'il y aura lieu au moins à une imposi tion. Voir à cet égard l'affaire Quemet Corp. c. R., susmentionnée, le juge Walsh, aux pages 439 et 440 C.F.; 5335 DTC. Vue sous cet angle, la pré- sente action me semble celle qui s'impose pour préserver le droit d'imposer de nouveau les sommes de l'année d'imposition 1981, lorsque celles-ci pourraient autrement être prescrites en application du paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)] en l'absence d'une renonciation de la part du contribuable.
L'avocat de la défenderesse cite la décision Walkem c. M.R.N. (1971), 71 DTC 5288 (C.F. 1" inst.) comme précédent pour étayer l'idée qu'une nouvelle cotisation remplace une cotisation en appel. Dans cette affaire, la Couronne a eu gain de cause à l'occasion d'une requête en annulation de l'appel formé par le contribuable contre une pre- mière nouvelle cotisation qui avait été annulée et remplacée par une nouvelle cotisaton ultérieure. L'avocat soutient que le présent appel relatif à l'année d'imposition 1981 est nul parce que la première nouvelle cotisation a été remplacée par les nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1980 et 1982. Selon l'avocat de la demanderesse, l'affaire Walkem se distingue de l'espèce en ce qu'elle s'applique seulement aux nouvelles cotisations dans une seule année d'impo- sition et non à diverses années d'imposition relati- vement à divers points litigieux. Je souscris à cet argument. De plus, il ressort du texte de l'article 152 de la Loi que les cotisations et nouvelles cotisations sont établies pour une année d'imposi- tion particulière dans le dessein de déterminer le montant de l'impôt sur le revenu payable pour cette année particulière. Chaque année d'imposi- tion est un cas d'espèce. Il est donc difficile pour ne pas dire impossible de concevoir qu'une nou- velle cotisation établie pour une année d'imposition puisse être considérée comme étant remplacée par une nouvelle cotisation établie pour une autre année d'imposition. En conséquence, je conclus que l'affaire Walkem ne peut venir en aide à la défenderesse.
J'aborde maintenant la dernière prétention de la défenderesse selon laquelle permettre à la présente
action de suivre son cours, c'est mettre la contri- buable dans une position de double incrimination et aller ainsi à l'encontre des principes de justice fondamentale visés à l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés. Cette situation est, dit-on, due au fait qu'on a imposé à la défende- resse la tâche injuste d'avoir à réfuter les nouvelles cotisations incompatibles et contradictoires. Je ne suis pas du même avis.
Le point capital de l'appel de la contribuable dans l'autre action réside dans la question de savoir si les nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1980 et 1982 n'étaient pas les bonnes parce que les sommes ajoutées au revenu de ces années ne constituaient pas un revenu mais plutôt un capital. Subsidiairement, la contribuable a allé- gué dans la même action que si lesdites sommes étaient considérées comme constituant un revenu aux yeux de la demanderesse, elles étaient alors des sommes reçues ou à recevoir dans l'année d'imposition 1981 et ne pouvaient être imposées pour les années d'imposition 1980 et 1982. Dans la présente action, la demanderesse interjette appel de la décision par laquelle la Cour de l'impôt a accueilli l'appel de la défenderesse parce que l'au- tre appel de celle-ci à l'égard de sommes sembla- bles pour différentes années avait été rejeté. À mon avis, cela correspond parfaitement à la posi tion du ministre, qui désire seulement s'assurer que les sommes en question ne se soutraient pas à l'imposition.
Certes, les deux actions sous forme d'appel ont bien des traits communs qui découlent du même ensemble général de faits, mais elles soulèvent dans les faits la très réelle et essentiellement diffé- rente question de savoir si les sommes de 51 182,44 $ et de 27 579,16 $ étaient imposables à titre de revenu d'entreprise, comme l'a prétendu la demanderesse, dans l'année d'imposition 1981 ou dans l'année d'imposition 1982. A mon sens, pour trancher cette question, il faut se demander si la seconde action intentée par la contribuable contre Ford a été réglée en février 1982 ou avant la fin de l'année civile 1981 afin de déterminer le moment le produit du règlement a réellement été reçu. J'estime que seule la contribuable peut répondre en connaissance de cause, et elle ne saurait exciper de la double incrimination et de la violation des principes de justice fondamentale si elle choisit de
ne pas révéler la date du règlement. Je considère que, plutôt que de constituer une menace de double incrimination, la présente action s'impose pour éviter que la contribuable se soustraie à l'imposition en prouvant avec succès dans l'autre action que les sommes avaient réellement été reçues en 1981.
À mon avis, chaque action a sa propre raison d'être, et les questions de fond nécessitent une décision satisfaisante au procès. Je conclus donc que, dans les circonstances, la déclaration de la demanderesse révèle une cause raisonnable d'ac- tion et qu'elle ne constitue pas un emploi abusif des procédures de la Cour.
La requête de la défenderesse sera donc rejetée avec dépens, et une ordonnance sera rendue dans ce sens.
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