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A-329-85
La Reine (appelante) (défenderesse) c.
Canamerican Auto Lease and Rental Limited (exerçant ses activités sous la dénomination sociale de «Hertz») et Hertz Canada Limited (exerçant ses activités sous la dénomination sociale de «Hertz») (intimées) (demanderesses)
RÉPERTORIÉ: CANAMERICAN AUTO LEASE AND RENTAL LTD. C. CANADA
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone— Ottawa, 21, 22 et 23 janvier; 17 mars 1987.
Couronne Contrats Responsabilité Appel interjeté d'un jugement de la Division de première instance concluant que l'appelante devait payer aux intimées des dommages-inté- rêts pour bris de contrat Transports Canada a effectué un appel d'offres relativement à la fourniture de services de location d'automobiles dans les aéroports Tilden avait la qualité requise pour présenter des soumissions dans deux catégories différentes Hertz a préparé sa soumission en se fondant sur des déclarations et sur une clause relative à l'adjudication figurant dans les Conditions selon lesquelles la soumission présentée dans la catégorie ouverte devait être acceptée si elle était supérieure à la soumission présentée dans la catégorie domestique La soumission moins élevée a été acceptée Une action alléguant bris de contrat a été entamée Le juge de première instance a eu raison de conclure que l'appel d'offres avait créé un contrat préliminaire ayant con duit à la conclusion du contrat définitif L'arrêt R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [19811 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267 a été correctement appliqué La disposition de la procédure d'ad- judication prévoyant expressément que l'adjudication se ferait en fonction de l'offre la plus élevée d'un soumissionnaire n'est pas subordonnée à la clause générale selon laquelle le minis- tère «n'est tenu de retenir aucune soumission» L'exposé de principe et les conditions présentées par écrit ne faisaient pas qu'énoncer des politiques Le processus d'appel d'offres a été conçu de façon que les aspirants concessionnaires partici- pent à un concours en échange d'un engagement de l'appelante à apprécier les soumissions d'une manière conforme aux con ditions de l'appel d'offres et à offrir aux adjudicataires la possibilité de conclure un contrat de location.
Couronne Contrats Dommages-intérêts Caractère éloigné et montant Appel interjeté d'un jugement de la Division de première instance accordant aux intimées des dommages-intérêts équivalant au montant supplémentaire qu'elles ont offert Le critère relatif au préjudice trop éloigné est le même pour une réclamation fondée sur la responsabilité délictuelle que pour une réclamation fondée sur la responsabilité contractuelle Le juge de première instance a eu raison de s'appuyer sur l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.) Le contrat ne garantissait
pas à l'intimée qu'elle pourrait exploiter son commerce à l'aéroport libre de toute concurrence mais prévoyait simple- ment l'observation de certaines règles relatives à la sélection des soumissions Le montant de la réparation ne doit tenir compte que des dommages-intérêts raisonnablement prévisi- bles.• Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341 L'offre d'un montant supplémentaire était raisonnablement prévisible La perte de profits n'était pas raisonnablement prévisible puisqu'aucune garantie que la concurrente de l'intimée serait exclue de l'aéroport n'avait été donnée.
Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance concluant que l'appelante devait payer des dommages- intérêts aux intimées pour bris de contrat. Transports Canada a lancé un appel d'offres relativement à la fourniture de services de location d'automobiles dans les aéroports. Les soumissions pouvaient être présentées dans trois catégories différentes. Tilden avait la qualité requise pour présenter des soumissions à la fois dans la catégorie domestique et dans la catégorie ouverte. Lors de la préparation de son offre financière, Hertz s'est fondée sur les déclarations de Transports Canada selon lesquelles, dans l'hypothèse un soumissionnaire présenterait des offres dans deux catégories différentes, sa soumission la plus élevée présentée dans la catégorie ouverte serait acceptée, et la procédure d'adjudication des Conditions prévoyait expres- sément que telle serait la règle suivie. Toutefois, dans un mémoire subséquent, il a été dit que, si l'application des seules considérations d'ordre financier risquait d'avantager indûment une société donnée, le comité d'évaluation se fonderait sur la stipulation de l'appel d'offres qui porte: «Le Ministère ne retiendra pas nécessairement l'offre la plus élevée et il n'est tenu de retenir aucune soumission». Hertz a préparé sa soumis- sion en tenant pour acquis qu'elle ne pouvait pas se permettre d'être exclue des aéroports. Elle devait présenter une offre supérieure à celle d'Avis. Transports Canada a accepté la plus basse des soumissions de Tilden (c'est-à-dire celle présentée dans la catégorie domestique). Hertz a entamé une action fondée sur la rupture de contrat et le délit civil. Le juge de première instance a conclu à une rupture de contrat et lui a adjugé des dommages-intérêts. Les questions en litige sont celles de savoir 1) s'il y a eu rupture de contrat; 2) si les dommages subis étaient trop éloignés; et 3) si le juge de première instance s'est trompé dans son appréciation du mon- tant des dommages-intérêts.
Arrêt: l'appel et l'appel incident devraient être rejetés.
Le juge de première instance a eu raison de suivre l'arrêt Ron Engineering pour conclure que l'appel d'offres en l'espèce avait créé un contrat préliminaire conduisant à la conclusion d'un contrat définitif. L'industrie a été invitée à présenter des sou- missions en fonction de conditions très précises. Le contrat de soumission est intervenu au moment la demanderesse a présenté sa soumission et son acompte, la présentation de la soumission et d'un acompte non remboursable constituant la contrepartie. Elle a alors conclu à une rupture de contrat en se fondant sur la clause relative à la procédure d'adjudication des conditions de l'offre ainsi que sur les déclarations faites par les représentants de la Couronne lors des réunions d'information. Le juge de première instance a rejeté l'argument de l'appelante fondé sur la clause stipulant que le ministère «n'est tenu de retenir aucune soumission». Le fait d'accorder la prépondérance à cette clause des Conditions annulerait la clause relative à la procédure d'adjudication, qui prévoit qu'un soumissionnaire
réussissant dans plus d'une catégorie ne se verra attribuer qu'un seul comptoir et que «l'adjudication se fera en fonction de l'offre la plus élevée dudit soumissionnaire.» Le document de l'appel d'offres prévoit également une règle régissant de façon expresse et précise le sort des diverses soumissions d'un même soumissionnaire. Il ne devrait pas être présumé qu'une règle précise comme celle-là est subordonnée à une règle générale dont l'applicabilité est incertaine et qui la contredit. Il existe un contrat tenant du contrat A de l'arrêt Ron Engineering. Les conditions de ce contrat se trouvent énoncées dans les Politiques et Conditions.
Le juge de première instance a correctement appliqué les principes de la responsabilité contractuelle en rejetant la pré- tention que les Conditions constituaient de simples énoncés de politique. Elle a conclu que tout le processus de l'appel d'offres avait pour but d'obliger les aspirants concessionnaires à concou- rir pour des comptoirs dans les aéroports. Les obligations de l'appelante consistaient en un engagement à apprécier les sou- missions d'une manière conforme aux conditions de l'appel d'offres et, conformément à ces mêmes conditions, à offrir aux adjudicataires la possibilité de conclure un contrat de location.
Les observations du juge de première instance concernant des déclarations inexactes faites par négligence semblent constituer une remarque incidente. Toutefois, le montant des dommages- intérêts alloué, comme le critère relatif à l'éloignement des dommages, seront les mêmes si la présente affaire est considé- rée comme une rupture de contrat que si elle est considérée comme mettant en jeu la responsabilité délictuelle.
Le juge de première instance ne s'est pas trompé en se fondant sur l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.) pour adjuger des dommages-intérêts équiva- lents au montant supplémentaire offert par les intimées. La perte de profits n'aurait été recouvrable que si le contrat avait comporté une garantie que le commerce pourrait être exploité libre de toute concurrence sur les lieux de l'aéroport. Le contrat prévoyait simplement l'observation de certaines règles relatives à la sélection des soumissions qui seraient retenues et, comme Hertz a subi un préjudice à la suite du non respect de cette condition, le quantum de ce préjudice devrait se limiter au montant excédentaire proposé à la suite de la rupture du contrat.
Le juge de première instance a eu raison de conclure que les dommages subis n'étaient pas trop éloignés. Le montant des dommages-intérêts subis doit être limité aux dommages-intérêts raisonnablement prévisibles. Si le critère énoncé dans l'affaire Hadley v. Baxendale est appliqué, il était raisonnablement prévisible que les intimés, voulant s'assurer qu'elles ne seraient pas exclues des aéroports, augmenteraient leur offre pour parer à une telle éventualité. Transports Canada aurait prévoir que le montant supplémentaire de loyer payé par les intimées afin de «se protéger», convaincues qu'elles étaient que Trans ports Canada respecterait les conditions du contrat, constitue- rait une conséquence vraisemblable ou probable de leur défaut d'observer ces conditions.
La perte de profits due au fait qu'Avis n'a pas été exclue de l'aéroport n'était pas raisonnablement prévisible. Il n'a pas été promis aux intimées qu'Avis serait exclue de l'aéroport. En conséquence, les demanderesses ne devraient pas avoir le droit d'être indemnisées pour la perte des profits auxquels elles s'attendaient dans l'éventualité de l'exclusion d'Avis de l'aéro-
port. La preuve présentée lors du procès appuie la conclusion que Transports Canada ne pouvait raisonnablement prévoir l'exclusion d'Avis de l'aéroport à l'époque les offres ont été soumises. Ce ministère ne savait pas quel montant serait offert. Il n'a été satisfait ni au critère objectif ni au critère subjectif énoncés dans l'affaire Hadley v. Baxendale. Ni l'arrêt Heron II ni l'arrêt Parsons n'ont modifié le critère classique formulé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale.
Le juge Stone: Le juge de première instance a établi une analogie entre le fondement des dommages-intérêts adjugés dans l'affaire Esso Petroleum et sa propre décision d'accorder à la demanderesse le montant qu'elle avait offert en trop. L'on peut atteindre le même résultat en se fondant sur les principes juridiques reconnus qui régissent le recouvrement des domma- ges-intérêts consécutifs à la rupture d'un contrat. Étant donné qu'il était possible de présenter des soumissions dans deux catégories et que, dans l'hypothèse chacune des deux offres présentées par un même soumissionnaire dans deux catégories différentes seraient retenues, l'offre la plus élevée serait choisie, il était raisonnable de prévoir que Tilden présenterait une offre plus élevée dans la catégorie ouverte, la concurrence était plus forte. Certaines décisions récentes indiquent qu'un deman- deur peut réclamer soit une indemnité proportionnelle à son expectative (les profits perdus), soit une indemnité proportion- nelle à l'influence des stipulations non respectées (le montant offert en trop). L'influence des stipulations non respectées ouvre droit à indemnisation car la perte visée découle de la rupture du contrat. Ce montant a été payé en sus de celui qu'il en aurait réellement coûté pour obtenir un comptoir de location d'automobiles de la catégorie ouverte, sur la foi de la clause relative à l'adjudication. Le préjudice subi par Hertz peut être redressé en indemnisant celle-ci de sa perte dans le cadre des principes reconnus régissant des contrats. Le préjudice lié à l'expectative n'est pas compensable. Hertz ne prétend pas que la rupture de ce contrat lui a fait perdre certains des profits qu'elle aurait réaliser grâce au contrat définitif mais que, dans la conjoncture résultant de cette rupture, elle se trouve empêchée de réaliser les profits additionnels qui lui viendraient d'une partie de l'achalandage d'Avis. Une telle perte de profits, si l'on applique le critère énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxen- dale, est trop éloignée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267; H. Parsons (Livestock) Ltd. v. Uttley Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791; [1978] 1 All ER 525 (C.A.); Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.); R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (C.A.); Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341.
DÉCISION EXAMINÉE:
C. Czarnikow Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350 (H.L.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
V.K. Mason Construction Ltd. c. Banque de Nouvelle- Écosse et autres, [1985] 1 R.C.S. 271; 16 D.L.R. (4th) 598; Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General
Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633; Sunshine Vacation Villas Ltd. v. Governor and Company of Adventurers of England Trading into Hudson's Bay (1984), 13 D.L.R. (4th) 93 (C.A.C.-B.); Cullinane v. British .Rema. Manufacturing Co. Ld., [1954] 1 Q.B. 292 (C.A.); Anglia Television Ltd. v. Reed, [1972] 1 Q.B. 60 (C.A.); Bowlay Logging Ltd. v. Domtar Ltd., [1978] 4 W.W.R. 105 (C.S.C.-B.); Orvold, Orvold, Orvold and R.E.G. Holdings Ltd. v. Turbo Resources Ltd. (1984), 33 Sask. R. 96 (B.R.); C.C.C. Films (London) Ltd. v. Impact Quadrant Films Ltd., [1985] Q.B. 16; Victoria Laundry (Windsor), Ld. v. Newman Industries, Ld. Coulson & Co., Ld. (Third Parties), [1949] 2 K.B. 528 (C.A.).
AVOCATS:
Derek Aylen, c.r. et D. J. Rennie pour l'appe- lante (défenderesse).
Raymond D. LeMoyne et Georges R. Thibo- deau pour les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Doheny, Mackenzie, Montréal, pour les inti- mées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté d'un juge- ment de la Division de première instance [juge- ment en date du 4 mars 1985, T-4780-76, non publié] concluant que l'appelante devait payer aux intimées des dommages-intérêts d'un montant de 232 500 $ relativement à l'attribution, en 1976, de concessions de location d'automobiles dans les neuf principaux aéroports du Canada'. Un appel inci dent est ' également interjeté par les intimées (demanderesses) à l'encontre des conclusions tirées par le juge de première instance concernant la question des dommages-intérêts. Les deux intimées étaient, à tous les moments pertinents, des filiales canadiennes de Hertz Corporation of New York City (que nous appellerons Hertz). Au cours des années 1976 1979, Hertz exerçait des activités de location de voitures dans les aéroports canadiens. Elle agissait par l'intermédiaire de franchisés aux aéroports de Halifax, d'Ottawa, de Winnipeg ainsi
Halifax, Montréal-Dorval, Montréal-Mirabel, Ottawa, Toronto, Winnipeg, Edmonton, Calgary et Vancouver.
que d'Edmonton et par l'entremise de ses propres employés aux aéroports de Montréal—Dorval et de Montréal—Mirabel ainsi qu'aux aéroports de Toronto, Calgary et Vancouver. À l'occasion, les comptoirs exploités par des franchisés, lorsqu'ils changeaient de mains, étaient temporairement exploités par les employés de Hertz. L'action en dommages-intérêts intentée par Hertz se fondait essentiellement sur la prétention que, si le minis- tère des Transports (que nous appellerons Trans ports Canada) avait attribué les neuf concessions en cause de la manière dont Hertz affirme qu'il avait promis de le faire, Avis, le concurrent princi pal de Hertz, ne se serait vu attribuer une conces sion de location d'automobiles à aucun des neuf aéroports internationaux principaux du Canada pendant trois ans, ce qui aurait permis à Hertz d'accroître ses revenus de façon importante.
LES FAITS
Le 13 juillet 1976, Transports Canada a publié un document s'intitulant Politique sur la location d'automobiles aux aéroports (la Politique) (dossier
d'appel, vol. 1, pages 85 96 inclusivement), un document invitant à la présentation de soumissions dans le cadre d'appels d'offres visant la fourniture de services de location d'automobiles aux neuf aéroports internationaux principaux du Canada; il y était stipulé que de telles soumissions devaient être présentées «par groupes», conformément à des normes prévoyant trois groupements distincts de comptoirs. Ces groupements étaient les suivants:
1. Les comptoirs locaux (ouverts à toute per- sonne non associée avec un genre d'exploitation dit réseau, étant incapable d'entrer en compétition avec le réseau global. Les conditions mentionnées plus loin définissent les exploitations appartenant au genre réseau comme étant celles qui compor- tent des sites d'exploitation dans 5 villes ou plus dotées d'aéroports internationaux).
2. Les comptoirs domestiques (ouverts à tout canadien ou immigrant reçu exploitant une entre- prise de location d'automobiles dont le volume d'affaire était canadien à plus de 50 %).
3. Les comptoirs ouverts (disponibles à tous, y compris ceux qui n'avaient pu obtenir un comptoir domestique ou local).
Le 21 juillet 1976, Transports Canada a publié un document intitulé [TRADUCTION] «Conditions du bail relatif aux concessions d'exploitation de comp- toirs de location d'automobiles» (les Conditions), (dossier d'appel, vol. 1, pages 95 à 106 inclusive- ment). Conformément à la procédure énoncée dans les Conditions, les appels d'offres relatifs à l'attri- bution des concessions se sont déroulés en deux étapes: en premier lieu, les intéressés devaient soumettre certains renseignements concernant leur société, présenter une offre ayant trait à l'exploita- tion de la concession, établir leur capacité d'obte- nir la couverture nécessaire en matière d'assurance et fournir tous les autres documents nécessaires pour démontrer qu'ils pouvaient remplir les exi- gences d'admissibilité; ensuite, les personnes ayant présenté une soumission et satisfait aux critères d'admissibilité dans le cadre de la première étape étaient invitées à faire des offres financières. Les soumissionnaires retenus lors de la seconde étape concluaient alors une entente avec Transports Canada relativement à la période s'étendant du 1" novembre 1976 au 31 décembre 1979.
Aux fins de l'appel et de l'appel incident en l'espèce, seules les offres de cinq sociétés doivent être examinées: Budget, Tilden, Avis, l'intimée Canamerican (qui a été vendue à Hertz en 1977) et Host. Il a été reconnu que, à tous les moments pertinents, ces cinq sociétés détenaient les pourcen- tages suivants du marché canadien de la location d'automobiles: Budget-29 %; Tilden -25 %; Avis-20 %; Canamerican-20 %; et Host, un très faible pourcentage. Il semble avoir été de connais- sance générale dans cette industrie que, de ces cinq soumissionnaires, seules Tilden et Host avaient la qualité requise pour présenter des soumissions aussi bien à l'égard de la catégorie domestique que de la catégorie ouverte. Afin de parfaire l'offre financière qu'elles présenteraient dans le cadre de la seconde étape, les intimées, se prévalant de l'invitation écrite faite par M. Russell O'Neill, Directeur de la commercialisation des aéroports pour Transports Canada, ont convenu d'une ren- contre avec des fonctionnaires de Transports Canada. Cette rencontre a eu lieu à Ottawa le 22 juillet 1976. Ainsi que l'a noté le juge de première instance, il était connu de Hertz ainsi que du reste des locuteurs d'automobiles que Tilden pouvait concourir à la fois dans la catégorie domestique et dans la catégorie ouverte tandis que les trois autres
concurrents exploitant traditionnellement des con cessions dans les aéroports (Hertz, Avis et Budget) ne pouvaient concourir que dans la catégorie ouverte. Compte tenu de la position respective de ces quatre sociétés sur le marché des aéroports, on savait également que Tilden pouvait se permettre d'offrir davantage que Hertz et Avis dans la caté- gorie ouverte. En conséquence, il était important pour Hertz d'apprendre de Transports Canada ce qui arriverait si Tilden soumissionnait à la fois dans la catégorie ouverte et dans la catégorie domestique. Plus particulièrement, Hertz avait besoin de savoir ce qui arriverait si Tilden présen- tait une soumission plus élevée dans la catégorie ouverte que dans la catégorie domestique. Il sem- blait évident que Hertz ou Avis se verrait écartée des aéroports si on décidait de retenir la soumis- sion de Tilden dans la catégorie ouverte. La veille de la réunion prévue pour le 22 juillet 1976, Trans ports Canada a publié les conditions susmention- nées.
J'estime nécessaire de citer, à ce point, les passa ges des Politiques et des Conditions qui concernent directement les questions en l'espèce:
[TRADUCTION] I. LES POLITIQUES
But (dossier d'appel, vol. 1, page 86)
Ces politiques permettront la compétition à l'industrie d'une façon équitable en ce qui touche les exploitations de location d'automobiles dans les aéroports, tout en procurant un revenu optimum à Transports Canada.
Politiques (dossier d'appel, vol. 1, page 86)
Toute personne (propriétaire, association, corporation) peut chercher à obtenir l'accès aux marchés de la location d'automo- biles dans les aéroports après avoir rencontré les exigences d'admissibilité. L'accès aux aéroports sera accordé par voie de soumissions publiques pour une durée d'occupation définie, aux personnes ayant fait les offres financières les plus élevées, le tout sujet à une offre minimum de base ...
Offres financières les plus élevées (dossier d'appel, vol. 1, page 89)
Les soumissionnaires seront requis d'offrir un pourcentage de leurs ventes brutes et une garantie annuelle minimale pour le droit et le privilège d'accès aux marchés de la location d'auto- mobiles dans les aéroports. L'adjudication se fera sur la base des offres les plus élevées faites à Transports Canada par les soumissionnaires qualifiés.
Commodités (dossier d'appel, vol. 1, page 94)
L'espace à comptoir dans l'aérogare sera loué aux conces- sionnaires de location d'automobiles pour la durée de leur contrat d'accès avec choix d'emplacement d'après le classement de leur offre, i.e. le mieux offrant pour l'accès aura le premier choix, le second aura le second choix et ainsi de suite ...
H. LES CONDITIONS
Introduction (dossier d'appel, vol. 1, page 97)
Toute personne (propriétaire, association, corporation) peut rechercher l'accès aux marchés de la location d'automobiles dans les aéroports après avoir satisfait aux exigences d'admissi- bilité. L'accès aux aéroports pour une durée de trois ans sera accordé par voie d'adjudication aux soumissionnaires qui font les offres les plus élevées, une offre minimale de base étant toutefois prévue ...
Offres financières les plus élevées (dossier d'appel, vol. 1, page 98)
Les soumissionnaires devront offrir un pourcentage de leurs ventes brutes et une garantie annuelle minimale pour le droit et le privilège d'accès aux marchés de la location d'automobiles dans les aéroports. Le soumissionnaire retenu devra verser le pourcentage offert ou la garantie minimale, selon le plus élevé de ces montants.
Il y aura une offre minimum de base relativement à l'offre de pourcentage sur le revenu brut:
(a) principaux aéroports internationaux 10 %
(b) tous les autres aéroports 5 %
Adjudication (dossier d'appel, vol. 1, page 98)
Lorsqu'un soumissionnaire réussit dans plus d'une catégorie, un seul comptoir sera attribué et l'adjudication se fera en fonction de l'offre la plus élevée dudit soumissionnaire ...
Administration—Principaux aéroports internationaux (dossier d'appel, vol. 1, page 100)
Les exploitants ayant la qualité requise pour soumissionner relativement aux «comptoirs domestiques» peuvent soumettre des offres soit pour l'ensemble des principaux aéroports interna- tionaux, soit aéroport par aéroport, ou les deux. Ils peuvent également soumettre des offres pour les comptoirs ouverts ...
Commodités (dossier d'appel, vol. 1, page 100)
Les comptoirs dans les aérogares seront loués aux concession- naires de location d'automobiles pour la durée de leur contrat, le choix des emplacements étant fonction des offres reçues, i.e. le premier choix allant au mieux offrant et ainsi de suite ...
Dépôt de garantie (dossier d'appel, vol. 1, page 102)
Les offres présentées dans le cadre de la seconde étape seront rejetées à moins qu'elles ne soient accompagnées d'un dépôt de garantie d'un montant équivalent aux droits des trois (3) premiers mois, établi en fonction de la garantie minimale applicable la plus élevée ... Le dépôt de garantie du soumis- sionnaire retenu sera conservé par le Ministère et imputé aux droits afférents à la première année d'exploitation de la concession.
Ce dépôt correspondra soit à l'offre la plus élevée pour un réseau, soit à la somme des offres visant les aéroports séparé- ment, selon le montant le plus élevé. Ce dépôt doit être calculé à partir des garanties minimales et représenter les droits de trois (3) mois pour chaque offre soumise ...
Soumissions (dossier d'appel, vol. 1, page 102)
Un seul comptoir par dénomination sociale sera accordé dans chaque aéroport. Dans son examen des soumissions le Ministère s'arrêtera à la capacité du soumissionnaire d'exploiter la con cession de location d'automobiles conformément aux exigences
des présentes. Le Ministère ne retiendra pas nécessairement l'offre la plus élevée et il n'est tenu de retenir aucune soumis- sion ...
Je reviens maintenant à l'exposé des faits de l'espèce et plus particulièrement à la réunion qui s'est tenue à Ottawa le 22 juillet 1976 entre six représentants de Hertz et trois fonctionnaires de Transports Canada; le juge de première instance a résumé avec soin les dépositions de témoins des deux parties faisant état de ce qui était ressorti de cette rencontre (dossier d'appel, vol. 1, pages 29 à 32). Elle s'est expressément référée aux déposi- tions de Richard et Kennedy, qui y assistaient en qualité de représentants de Hertz. Ils ont tous deux soulevé la question susmentionnée de savoir quel sort serait réservé à une offre de Tilden si celle-ci soumettait des offres à la fois dans la catégorie ouverte et dans la catégorie domestique, et, de plus, quelle décision serait prise si l'offre présentée par Tilden dans la catégorie ouverte était plus élevée que son offre dans la catégorie domestique. Tous deux ont déclaré que les fonc- tionnaires de Transports Canada et, en particulier, O'Neill, avaient répondu que l'offre plus élevée présentée dans la catégorie ouverte serait acceptée puisque les stipulations relatives à l'Adjudication (dossier d'appel, vol. 1, page 98) précitées le pré- voient expressément. Le juge de première instance, après avoir résumé les dépositions de Kennedy et Richard, a déclaré (dossier d'appel, vol. 1, page 31):
Je n'ai aucune raison de douter de la véracité du témoignage de Kennedy ou de Richard.
Elle a poursuivi en faisant état des dépositions des fonctionnaires de Transports Canada ayant assisté aux réunions. Selon moi, le mieux qu'on puisse dire de ces témoignages est qu'ils sont équivoques et peu utiles. Les témoins ne semblent pas se rappeler que cette question précise ait été soulevée. Quoi qu'il en soit, le juge de première instance a accepté les dépositions de Kennedy et Richard relativement à cette question. J'estime qu'elle avait clairement le droit de le faire et qu'une Cour d'appel ne devrait pas modifier cette conclusion.
Le 3 août 1976, une réunion finale d'informa- tion a été tenue pour les locateurs d'automobiles dans les bureaux de Transports Canada à Ottawa. Le procès-verbal de cette réunion révèle, entre autres, que:
[TRADUCTION] 1. Les fonctionnaires de Transports Canada ont dit qu'un soumissionnaire qualifié pour présenter une offre dans les catégories ouverte et domestique qui soumettrait des offres égales dans ces deux catégories se verrait accorder le comptoir domestique; et
2. la soumission la plus élevée pour chaque comptoir serait retenue.
Entre le 7 et le 10 août 1976, Transports Canada a remis à tous les soumissionnaires intéressés un mémoire qui se voulait un résumé des questions et des réponses formulées lors des diverses réunions d'information. Une de ces questions était la ques tion fondamentale en l'espèce: lorsqu'un soumis- sionnaire est admissible à exploiter plus d'un groupe de comptoirs, comment décidera-t-on quel groupe lui attribuer? La réponse figurant dans le mémoire de Transports Canada est la suivante:
[TRADUCTION] On tiendra compte surtout de considérations d'ordre financier. Toutefois, si l'application de ce seul critère risquait d'avantager indûment une société donnée, le comité d'évaluation se fonderait sur la stipulation de l'appel d'offres qui porte: «Le Ministère ne retiendra pas nécessairement l'offre la plus élevée et il n'est tenu de retenir aucune soumission.»
Les dirigeants de Hertz ont alors rédigé leur soumission en partant du postulat selon lequel leur société ne pouvait se permettre d'être exclue des aéroports. Hertz ne croyant pas qu'Avis tenterait de renchérir sur Tilden, elle devrait présenter une offre supérieure à celle de Tilden pour être sûre de l'emporter sur Avis. Pour ces motifs, et sachant que Tilden présenterait une soumission plus élevée dans la catégorie ouverte que dans la catégorie domestique (la compétition étant plus forte dans la catégorie ouverte), Hertz a soumis une offre légè- rement supérieure à 2.8 millons de dollars.
Les soumissions ont été ouvertes à Ottawa le 1 °r octobre 1976. Celles-ci comprenaient les offres suivantes:
MINIMUM PERCENTAGE OFFERS
COUNTERS BIDDERS GUARANTEE YEAR 1 % YEAR 2 % YEAR 3 %
Open 1. BUDGET $3,097,200.00 10.54 10.54 10.54
Open 2. HERTZ $2,809,002.00 11.00 11.00 11.00
Open 3. TILDEN $2,523,000.00 10.00 10.00 10.00
Open 4. HOST $2,496,000.00 14.57 14.71 15.05
Open 5. AVIS $2,433,200.00 10.00 10.00 10.00
(others bidding in the open category of an airport by airport basis were companies such as Holiday, Amleco, Compact Rent-A-Car, Nashu-U Drive.)
Domestic 1. HOST $2,496,000.00 14.57 14.71 15.15
Domestic 2. TILDEN $2,305,300.00 10.00 10.00 10.00
(others bidding in the domestic category on an airport-by-airport basis were companies such as Holiday, Rent Rite, Pacific Atlantic Rentals, Compact Rent-A-Car, Ottawa-Ford.)
SOUMIS- MINIMUM POURCENTAGE OFFERT
COMPTOIRS SIONNAIRES GARANTI I" ANNÉE 2` ANNÉE 3` ANNÉE
Ouvert 1. BUDGET 3 097 200 $ 10,54 10,54 10,54
Ouvert 2. HERTZ 2 809 002 $ 11,00 11,00 11,00
Ouvert 3. TILDEN 2 523 000 $ 10,00 10,00 10,00
Ouvert 4. HOST 2 496 000 $ 14,57 14,71 15,05
Ouvert 5. AVIS 2 433 200 $ 10,00 10,00 10,00
(Parmi les sociétés qui, dans la catégorie ouverte, ont fait une soumission distincte pour chaque aéroport figurent: Holiday, Amleco, Compact Rent-A-Car et Nashu-U Drive.)
Domestique 1. HOST 2 496 000 $ 14,57 14,71 15,15
Domestique 2. TILDEN 2 305 300 $ 10,00 10,00 10,00
(Parmi les sociétés qui, dans la catégorie domestique, ont fait une soumission distincte pour chaque aéroport figurent: Holiday, Rent Rite, Pacific Atlantic Rentals, Compact Rent-A-Car, Ottawa Ford.)
Le ministère des Transports a alors . accepté la plus basse des offres de Tilden (c'est-à-dire celle présentée dans la catégorie domestique) afin de maximiser ses revenus. La logique sous-tendant cette décision était la suivante: l'acceptation de l'offre présentée par Tilden dans la catégorie ouverte aurait exclu Avis des aéroports et entraîné l'adjudication à Holiday du second comptoir domestique. Toutefois, les revenus perdus en raison de l'exclusion de Avis des aéroports ne pourraient pas être compensés par la différence entre l'offre présentée par Tilden dans la catégorie ouverte et son offre, moins importante, visant les comptoirs domestiques ainsi que par l'offre plutôt basse de Holiday. Hertz a entamé la présente action devant la Division de première instance le 6 décembre 1976 pour réclamer des dommages-intérêts pour rupture de contrat et délit civil. Elle a également signé le contrat de location prescrit le 7 février 1977 et effectué tous les paiements stipulés par ce contrat. Hertz a toutefois effectué ces paiements en se réservant le droit de poursuivre son action en dommages-intérêts.
LES CONCLUSIONS TIRÉES PAR LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE SUR LA QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ
Le juge de première instance a conclu que l'ap- pel d'offres en l'espèce comportait les éléments
nécessaires à la création d'un contrat préliminaire ou initial conduisant à la conclusion du contrat définitif. À cet égard, elle a suivi la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267. Elle a cité avec approbation le passage des motifs du juge Estey dans lequel, énonçant l'opinion de la Cour, il a appelé ce premier contrat le contrat A pour le distinguer du contrat d'entreprise qui, dans cette espèce, était avec l'acceptation de l'offre. Le juge Estey a appelé le contrat d'entreprise en question le contrat B. Selon lui, le contrat A était un «... contrat unilatéral qui découle de la présen- tation d'une soumission en réponse à l'appel d'of- fres aux conditions susmentionnées ...» (aux pages 119 R.C.S.; 272 D.L.R.). Le juge Estey a pour- suivi en déclarant (aux pages 122 et 123 R.C.S.; 275 D.L.R.):
La condition principale du contrat A est l'irrévocabilité de l'offre, et la condition qui en découle est l'obligation pour les deux parties de former un autre contrat (le contrat B) dès l'acceptation de la soumission.
Après avoir observé que ce n'est pas tout appel d'offres qui crée un contrat préliminaire ou initial, le juge de première instance a examiné les circons- tances de l'espèce afin de déterminer si l'appel d'offres visé était simplement une invitation à négocier ou constituait une offre de contrat préli- minaire. Elle a conclu que l'appel d'offres en l'es- pèce appartenait à cette dernière catégorie pour les motifs suivants (dossier d'appel, vol. 1, pages 40 et 41):
Cet appel d'offres lancé aux loueurs d'automobiles assujettissait les soumissions à des conditions très précises; en fait, la quasi- totalité des termes du contrat définitif de location ont été repris des conditions de l'appel d'offres. Chaque soumission était accompagnée d'un acompte correspondant au montant que le soumissionnaire s'attendait à payer pour les trois premiers mois, soit 204 928 $ dans le cas des demanderesses. Si leur soumission était retenue, cette somme ne leur serait pas rem- boursée. Le contrat de soumission (en les mots du juge Estey, le contrat «A») est intervenu au moment les demanderesses ont présenté leur soumission et leur acompte de 204 928 $, la présentation de la soumission et de l'acompte constituant la contrepartie. En retenant la soumission, la défenderesse a fait aux demanderesses une offre irrévocable de conclure le contrat «B» (ce qui peut être comparé à une option d'acheter). Le contrat définitif de location (le contrat «B») naît sur l'accepta- tion de l'offre irrévocable.
Elle a alors conclu à une rupture du contrat A en se basant non seulement sur la clause relative à
l'adjudication figurant dans les conditions de l'ap- pel d'offres précitée, mais encore sur les réponses données à Tilden par les représentants de Trans ports Canada lors de la réunion finale d'informa- tion du 3 août 1976, dont nous avons déjà parlé.
L'avocat de l'appelante prétend que le juge de première instance a mal appliqué les principes énoncés dans l'arrêt Ron Engineering, précité, et n'aurait pas conclure que l'appelante était obli gée par contrat à l'adjudication d'une concession à Tilden dans la catégorie ouverte. En conséquence, il prétend que le juge de première instance s'est trompé en concluant qu'il y avait eu rupture de contrat de la part de l'appelante. L'appelante pré- tend que l'appel d'offres n'obligeait pas Transports Canada à accepter l'offre de Tilden dans la catégo- rie ouverte parce qu'il n'obligeait Transports Canada à accepter aucune offre à moins d'une déclaration expresse. À l'appui de cette prétention, l'appelante invoque certaines des dispositions des Conditions figurant sous le sous-titre «Soumis- sions» (dossier d'appel, vol. 1, page 102) précité, dispositions selon lesquelles: «Le Ministère ne retiendra pas nécessairement l'offre la plus élevée et n'est tenu de retenir aucune soumission ...» L'appelante s'appuie également sur le mémoire final remis aux soumissionnaires intéressés entre le 7 et le 10 août 1976, mémoire dont nous avons déjà parlé. Elle soutient que cette disposition, telle qu'elle est libellée dans les Conditions et confirmée par le mémoire remis aux soumissionnaires entre le 7 et le 10 août, devrait lier les parties puisqu'elle n'a jamais été modifiée soit oralement, soit par écrit, et qu'elle constitue une clause importante du contrat conclu entre les parties. En conséquence, l'appelante prétend qu'aucune rupture de contrat n'a eu lieu.
Le juge de première instance a rejeté l'argument de l'appelante fondé sur la clause stipulant que le Ministère «n'est tenu de retenir aucune soumis- sion». Après avoir observé que cette clause était une «clause de style», elle a énoncé l'opinion sui- vante (dossier d'appel, vol. 1, page 43):
Si l'argument de la défenderesse est bien fondé, la présence de cette clause aurait pour effet de vicier tout contrat de soumis- sion. De plus, le Ministère pourrait s'en autoriser pour choisir d'une manière complètement arbitraire entre les soumissionnai- res.
Je partage cette opinion. J'ajouterais que le fait d'accorder la prépondérance à cette clause des
Conditions annulerait et rendrait complètement dépourvue de sens la clause précitée des Condi tions relative à l'adjudication (dossier d'appel, vol. 1, page 98). Cette clause prévoit expressément qu'un soumissionnaire réussissant dans plus d'une catégorie ne se verra attribuer qu'un seul comptoir et que, dans une telle éventualité, K... l'adjudica- tion se fera en fonction de l'offre la plus élevée dudit soumissionnaire ...» (les soulignements sont ajoutés). Ainsi que l'a noté le juge de première instance (dossier d'appel, vol. 1, page 44):
... on n'a pas allégué la moindre ambiguïté dans la clause relative à l'adjudication figurant dans les conditions de l'appel d'offres. L'une et l'autre parties ont tenu pour acquis que l'offre la plus élevée d'un soumissionnaire serait retenue.
Je suis d'accord avec le juge de première instance. Je suis également d'accord avec l'avocat des inti- mées pour dire que, en l'espèce, l'appel d'offres établit trois catégories de soumissionnaires et donne aux exploitants canadiens la possibilité de soumettre des offres dans plus d'une catégorie. Ce document prévoit également une règle régissant de façon expresse et précise le sort des diverses sou- missions d'un même soumissionnaire. En consé- quence, il ne devrait pas être présumé qu'une règle précise sur l'adjudication est subordonnée à une règle générale dont l'applicabilité est incertaine et qui la contredit. Je rejette donc cette prétention de l'avocat de l'appelante.
À mon avis, pour les motifs énoncés plus haut, il existe en l'espèce un contrat tenant du contrat A de l'arrêt Ron Engineering, précité. Les conditions de ce contrat doivent être tirées des Politiques et des Conditions dont nous avons fait état plus haut. Pour ce qui est des déclarations verbales et des discussions du 22 juillet et du 3 août 1976, qu'elles aient été dûment prises en considération ou qu'el- les aient été exclues en vertu de la règle d'exclu- sion de la preuve extrinsèque ne modifie en rien l'issue du présent litige. Dans l'hypothèse de tels éléments de preuve seraient recevables, j'es- time comme le juge de première instance qu'ils appuient l'interprétation donnée par les intimées au contrat. D'autre part, si de tels éléments de preuve doivent être exclus, j'estime qu'il existe encore un contrat exécutoire liant les parties.
Le dernier argument soumis par l'appelante au sujet de la question de la responsabilité contrac- tuelle est forcément présenté à défaut par la Cour
d'accepter sa prétention précédente. Cette préten- tion est résumée de la façon suivante dans le mémoire de l'appelante (page 29):
[TRADUCTION] L'exposé de principe ainsi que les conditions présentées par écrit énonçaient des politiques et ne consti- tuaient pas des promesses ou garanties ouvrant droit à une action et liant l'appelante.
À mon avis, l'extrait précité des motifs du juge de première instance qui figure aux pages 40 et 41 du volume 1 du dossier d'appel répond à cet argu ment. À la page 41, elle ajoute l'observation suivante:
Tout le processus de l'appel d'offres avait pour but d'obliger les aspirants concessionnaires à concourir pour des comptoirs de location d'automobiles dans les aéroports.
Elle a également résumé les obligations de l'appe- lante de la manière suivante (dossier d'appel, vol. 1, page 41):
... s'est engagée à apprécier les soumissions d'une manière conforme aux conditions de l'appel d'offres et, conformément à ces mêmes conditions, à offrir aux adjudicataires la possibilité de conclure un contrat de location.
À mon avis, elle a appliqué correctement les prin- cipes de la responsabilité contractuelle à la situa tion de fait en l'espèce; je rejetterais donc cet argument subsidiaire de l'appelante.
Outre des dommages-intérêts pour rupture de contrat, les intimées demandent des dommages- intérêts en alléguant des [TRADUCTION] «... déclarations inexactes faites par négligence ou insouciance». Le juge de première instance a dit de ce moyen (dossier d'appel, vol. 1, page 46):
Quant au moyen fondé sur l'allégation de déclarations inexactes faites par négligence, l'existence de telles déclarations n'aurait été pertinente que dans l'hypothèse il n'y avait pas eu violation d'une condition du contrat.
Elle a poursuivi en concluant, après «... beaucoup d'hésitation», que, «... même dans cette hypo- thèse», ce moyen de l'intimée justifierait une déci- sion en sa faveur. Subséquemment, aux pages 46 à 49 du volume 1 du dossier d'appel, elle s'étend sur les motifs pour lesquels elle tire cette conclusion.
Puisque le juge de première instance a conclu qu'il y avait eu rupture de contrat en l'espèce, je suis d'avis que ses motifs portant sur les déclara- tions inexactes faites par négligence constituent une remarque incidente. Lorsque j'étudie l'ensem-
ble de ses motifs portant sur les dommages-intérêts accordés, j'en conclus qu'elle a calculé ces domma- ges-intérêts en fonction d'une rupture de contrat.
Quoi qu'il en soit, malgré que les dommages- intérêts fondés sur un contrat et ceux qui sont fondés sur un délit diffèrent sur le plan conceptuel, le montant alloué est le même dans nombre de cas bien que les règles auxquelles il doit être fait appel soient différentes 2 . En matière de responsabilité contractuelle, le but visé de prime abord est de placer le demandeur dans la situation dans laquelle il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté de façon satisfaisante. En matière délictuelle, il s'agit de placer le demandeur dans la situation dans laquelle il se serait trouvé si le délit n'avait pas été commis.
Le critère relatif au préjudice trop éloigné, que la réclamation soit fondée sur la responsabilité délictuelle ou sur la responsabilité contractuelle, est, en principe, le même'. Le lord juge Scarman, dans l'arrêt H Parsons (Livestock) Ltd v Uttley Ingham Et Co Ltd 4 , a clairement souscrit à cette idée en déclarant: [TRADUCTION] «Je pense, comme lui, qu'il serait absurde que le critère appli cable au préjudice trop éloigné doive procéder d'un principe différent selon la classification juridique de la cause d'action ... le droit n'a pas l'absurde prétention de distinguer entre les contrats et les délits, sauf dans les cas l'entente ou les rapports de fait entre les parties l'exigent dans l'intérêt de la justice.» Selon moi, aucun des faits et des cir- constances de l'espèce ne justifie l'application d'un critère ou d'une norme différent en ce qui regarde le caractère éloigné du préjudice subi selon que la cause d'action est considérée comme fondée sur la responsabilité contractuelle ou délictuelle.
2 Le lecteur trouvera une opinion similaire dans les motifs prononcés par le juge Wilson au nom de la Cour suprême du Canada dans l'affaire V.K. Mason Construction Ltd. c. Banque de Nouvelle-Écosse et autre, [1985] 1 R.C.S. 271, la p. 285; 16 D.L.R. (4th) 598, la p. 607.
3 Comparer à l'arrêt Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633, la p. 673, motifs du juge Estey.
4 [1978] 1 All ER 525 (C.A.), à la p. 535.
LES CONCLUSIONS TIRÉES PAR LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE SUR LA QUESTION DES DOMMAGES-INTÉRÊTS
Le juge de première instance a adjugé des dom- mages-intérêts aux intimées au motif qu'elles avaient le droit de recouvrer le montant supplé- mentaire qu'elles ont offert en fonction de ce qu'el- les croyaient être les conditions du contrat régis- sant les soumissions. Ce faisant, elle s'est appuyée sur la décision rendue par la Cour d'appel d'Angle- terre dans l'affaire Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801. Le contrat visé dans cette affaire, qui prévoyait l'acquisition et l'exploi- tation d'une station service, avait été conclu sur la foi d'une évalutation du représentant du vendeur selon laquelle les ventes annuelles d'essence attein- draient 200 000 gallons au cours de la troisième année d'exploitation. Comme le chiffre des ventes s'est révélé de beaucoup inférieur à celui qu'on avait prévu, l'acheteur de la station service a intenté une action en remboursement des profits perdus. Traitant de la question des dommages- intérêts, lord Denning, maître des rôles, a décidé que le demandeur ne pouvait être dédommagé pour la rupture du marché parce qu'on ne lui avait pas promis que les ventes s'élèveraient à 200 000 gallons par année. Selon lui, il ne pouvait être indemnisé que pour avoir été incité à passer un contrat qui s'était révélé désastreux pour lui. Cette indemnité serait évaluée en fonction de la perte qu'il avait subie. Le juge de première instance a appliqué le raisonnement tenu dans cette affaire à l'espèce, pour conclure que les intimées devaient recouvrer la fraction excédentaire de leur offre. A mon avis, considérant les faits en l'espèce, elle ne s'est pas trompée en raisonnant de la sorte. Le contrat A ne promettait nullement à Hertz qu'elle pourrait exploiter son commerce à l'aéroport libre de toute concurrence de la part d'Avis. Cette situation de fait est analogue à celle de l'affaire Mardon, dans laquelle le contrat ne contenait aucune garantie précise relativement au chiffre de vente. A mon avis, les intimées n'auraient pu être indemnisées de leurs pertes de profits en l'espèce que si le contrat A avait prévu que Hertz échappe- rait à une telle concurrence sur les lieux mêmes de l'aéroport. Toutefois, comme le contrat A pré- voyait simplement l'observation de certaines règles relatives à la sélection des soumissions qui seraient retenues, et comme Hertz a subi un préjudice à la suite du non respect de cette condition, le quantum de ce préjudice devrait se limiter au montant excédentaire proposé à la suite de la rupture du contrat A.
La somme de 232 500 $ a été adjugée aux inti- mées pour compenser le surplus payé pour la con cession. Le juge de première instance a tiré ce montant d'un rapport préparé pour les intimées par M. A. MacKenzie, un vérificateur comptable et conseiller de la firme de comptables agréés Clarkson Gordon & Co. Dans son rapport, Mac- Kenzie a évalué à 232 500 $ la demande des inti- mées en recouvrement de la remise excédentaire (dossier d'appel, vol. 10, page 1349). Un énoncé détaillé de cette demande figure à l'annexe T du rapport (dossier d'appel, vol. 10, page 1376). M. MacKenzie n'a pas été contre-interrogé lors du procès relativement à l'annexe T. Ni ses conclu sions ni sa méthodologie n'ont été contestées. 1l semble évident que le juge de première instance a accepté sa déposition concernant cette question. Puisque ce témoin est hautement qualifié et que sa déposition à cet égard n'a été attaquée ou contes- tée d'aucune manière, j'estime que le juge de première instance a eu raison d'accepter ce témoi- gnage et d'apprécier en conséquence les domma- ges-intérêts adjugés.
À l'audition du présent appel, l'avocat de l'appe- lante a présenté à la Cour une série de calculs visant à démontrer que les dommages-intérêts de 232 500 $ adjugés sous ce chapitre étaient exces- sifs et que, en fait, le montant alloué aurait se situer aux environs de 145 000 $. Selon moi, c'est par voie de contre-interrogatoire, lors du procès, que la validité de l'évaluation de M. MacKenzie aurait être contestée. Il serait irrégulier qu'une Cour d'appel reçoive des [TRADUCTION] «correc- tions» apportées à la déposition faite par un témoin expert crédible lors du procès, en particulier lors- que la partie de cette déposition traitant de la question en litige n'a été aucunement contestée. Ainsi que l'a observé le juge Stone dans l'affaire R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (C.A.), à la page 173:
Il n'appartient évidemment pas à cette Cour siégeant en appel d'évaluer les dommages-intérêts car si elle agissait ainsi, elle enlèverait au juge de première instance cette fonction qui lui revient de plein droit. Il a déjà été statué à plusieurs reprises qu'une cour d'appel ne devrait pas infirmer la décision d'un juge de première instance quant au montant des dommages- intérêts pour la simple raison qu'elle estime que, si elle avait été saisie de l'affaire en première instance, elle aurait accordé une somme inférieure ou supérieure. Pour que la cour soit justifiée d'infirmer la décision du juge de première instance quant à son évaluation des dommages-intérêts, il faut démontrer qu'il s'est fondé sur un principe erroné.
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le juge de première instance a fondé son appréciation du montant des dommages-intérêts adjugés sur une déposition non contestée et parfaitement crédi- ble que le dossier ne permet pas de rejeter.
La seule question qu'il reste à trancher est celle de savoir si le préjudice que les dommages-intérêts accordés aux intimées visaient à compenser était trop éloigné. Je me range sans hésitation à l'opi- nion du juge de première instance que les domma- ges-intérêts qu'elle a accordés aux intimés à ce poste ne visaient pas un préjudice trop éloigné. De plus, l'avocat des appelants ne m'a pas semblé soulever sérieusement cette question. Ainsi qu'il a déjà été noté, les arguments présentés par les appelants relativement à cet aspect de l'appel prin cipal visaient essentiellement le montant des dom- mages-intérêts adjugés. Le montant de cette répa- ration ne doit évidemment tenir compte que des dommages-intérêts raisonnablement prévisibles. Le critère classique, énoncé dans l'affaire Hadley v. Baxendale 5 , est le suivant:
[TRADUCTION] Nous croyons que la règle équitable dans un cas tel que celui en cause est la suivante: lorsque deux parties ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme celle qui découle naturellement, c'est-à-dire selon le cours normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle que les deux parties pouvaient raisonnablement et probable- ment envisager, lors de la passation du contrat, comme consé- quence probable de sa rupture.
Ainsi que l'a noté Fridman dans son ouvrage inti- tulé The Law of Contract in Canada, (2' édition) 1986, à la page 656, le premier volet du critère énoncé dans l'affaire Hadley Baxendale est objec- tif [TRADUCTION] «à savoir, la conséquence dont un homme raisonnable aurait prévu ou prévoir qu'elle découlerait vraisemblablement ou proba- blement de cette rupture». Fridman poursuit en observant: [TRADUCTION] «Ce critère a été conçu pour servir de critère ordinaire ou habituel et joue effectivement ce rôle. Il est toutefois reconnu que, exceptionnellement, dans certains cas, les domma- ges-intérêts recouvrables peuvent dépasser la con- séquence qu'une personne ordinaire et raisonnable considérerait vraisemblable pour s'étendre à des conséquences non ordinairement prévisibles, pourvu que ces conséquences particulières aient été prévisibles à la lumière de leur contrat particulier
5 (1854), 9 Ex. 341, la p. 354.
ainsi que des circonstances propres à ce contrat. Le critère, dans de tels cas, est subjectif.»
À mon avis, si nous appliquons le critère énoncé dans l'affaire Hadley v. Baxendale, le montant de 232 500 $ a été accordé à bon droit. Bien que les intimées n'aient pas pu savoir de façon certaine que Tilden soumissionnerait dans les deux catégo- ries, ce qui les excluerait peut-être des aéroports, celles-ci, en tant que personnes raisonnables, devaient savoir que Tilden possédait les qualités et la capacité requises pour présenter des offres rela- tivement aux deux catégories. J'estime donc qu'il était raisonnablement prévisible que les intimées, voulant et devant s'assurer qu'elles ne seraient pas exclues des aéroports—situation fort possible puis- que Tilden pouvait présenter des offres dans deux catégories différentes—augmenteraient leur offre pour parer à une telle éventualité. De la même manière, je conclus que, dans ces circonstances, Transports Canada aurait prévu ou aurait pré- voir que le montant supplémentaire de loyer payé par les intimées afin de [TRADUCTION] «se proté- ger», convaincus qu'elles étaient que Transports Canada respecterait les conditions du contrat A, constituait une conséquence vraisemblable ou pro bable de leur défaut d'observer ces conditions.
L'APPEL INCIDENT
Les intimées (dans le cadre de l'appel principal) ont formé un appel incident à l'encontre de la décision du juge de première instance de ne pas leur adjuger de dommages-intérêts en compensa tion de leur perte de profits. Les intimées préten- dent que cette perte de profits était prévisible. Elles prétendent également que leur perte de pro fits s'élevait à 930 000 $ et non à 725 000 $, mon- tant auquel le juge de première instance a évalué ces pertes (mais qu'il n'a pas accordé).
Si nous appliquons le premier des critères énon- cés dans l'affaire Hadley v. Baxendale aux faits de l'espèce, la question qui se pose est celle de savoir si une personne raisonnable aurait su ou aurait savoir, au moment le contrat a été conclu, que les intimées subiraient une perte de profits en raison du fait qu'Avis n'a pas été exclue des aéro- ports lorsque Transports Canada a retenu l'offre la plus basse de Tilden, présentée dans la catégorie domestique, plutôt que son offre la plus élevée, au chef de la catégorie ouverte, et, de la sorte,
enfreint les dispositions relatives à l'adjudication figurant aux Conditions. Selon le second critère, la question consiste à savoir si Transports Canada, outre ce qu'une personne raisonnable connaîtrait ordinairement, selon le cours normal des choses, était au courant, au moment de la conclusion du contrat, de circonstances particulières, étrangères au cours normal des choses et de nature à rendre prévisibles les conséquences d'une telle rupture.
Appliquant ces critères, je ne puis conclure qu'une personne raisonnable ou les intimées ou même Transports Canada aurait prévu ou aurait prévoir que les intimées subiraient une perte de profits en raison de la non-exclusion d'Avis de l'aéroport. Ainsi que l'a conclu le juge de première instance dans un passage déjà cité: «On n'a pas promis aux demanderesses qu'Avis serait exclue de l'aéroport.»
En conséquence, elles ne devraient pas avoir le droit d'être indemnisées pour la perte des profits auxquels elles s'attendaient dans l'éventualité de l'exclusion d'Avis de l'aéroport. Selon moi, une telle perte de profits ne serait pas raisonnablement prévisible. La preuve présentée lors du procès appuie cette manière de voir. M. Gerrie, le Direc- teur de la commercialisation des aéroports de Transports Canada, a déposé qu'il ne s'est pas demandé ce qui se produirait si un exploitant se qualifiant, comme Tilden, dans deux catégories, soumettait des offres relativement à chacune de ces catégories. Il a dit: [TRADUCTION] «cette éven- tualité ne nous semblait pas très probable, vu la répartition du marché canadien à l'époque». (Transcription, vol. 6, pages 717 et 718). M. Gerrie s'est également vu demander s'il estimait que les intimées s'étaient faites une idée précise sur le mode d'adjudication des comptoirs dans l'éven- tualité Tilden présenterait des offres à la fois dans la catégorie domestique et dans la catégorie ouverte, son offre la plus élevée concernant cette dernière catégorie. Sa réponse est la suivante (Transcription, vol. 6, page 721):
[TRADUCTION] À ma connaissance, la manière dont le sort des offres pourrait être déterminé n'a été discutée ni verbalement ni par écrit. En fait, à l'époque, je crois qu'il nous aurait été très difficile d'arrêter une décision en l'absence des données financières.
À mon sens, il ressort clairement de cette déposi- tion que Transports Canada ne pouvait «raisonna- blement prévoir» l'exclusion d'Avis de l'aéroport, à
l'époque les offres ont été soumises. À ce moment, ce ministère ne savait pas quels montants seraient offerts; il ne pouvait faire que des conjec tures. J'estime donc que, en l'espèce, il n'est satis- fait ni au critère objectif ni au critère subjectif énoncés dans l'affaire Hadley v. Baxendale.
Lors de l'audition de l'appel, l'avocat des inti- mées s'est appuyé sur certains passages des juge- ments rendus par la Chambre des lords dans l'af- faire C. Czarnikow Ltd. v. Koufos [ci-après appelée «Heron 11»], [1969] 1 A.C. 350 ainsi que d'une décision rendue par la Cour d'appel d'Angle- terre dans l'affaire H Parsons (Livestock) Ltd v Uttley Ingham Et Co Ltd, [1978] 1 All ER 525. Il s'est particulièrement appuyé sur les remarques du lord juge Scarman aux pages 539 à 541 des motifs qu'il a prononcés dans l'arrêt Parsons et dans lesquels il semble élargir le critère relatif au carac- tère prévisible du préjudice causé. À la page 541, il a dit:
[TRADUCTION] Compte tenu de l'état des parties au moment du contrat, la perte d'un profit, ou d'une part du marché, constituait-elle une possibilité sérieuse, une considération qu'ils auraient eu à l'esprit s'ils avaient envisagé la rupture du contrat? (Les soulignements sont ajoutés.)
Toutefois, dans un passage précédent de ses motifs (page 535), le lord juge Scarman a dit:
[TRADUCTION] ... le genre de conséquence, la perte de profit ou d'une part du marché ou le préjudice corporel, constituera toujours une question de fait importante lorsqu'il s'agira de déterminer si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, la perte ou le préjudice corporel étaient de ceux que les parties pouvaient raisonnablement être présumées avoir envisagés. (Les soulignements sont ajoutés.)
Après les avoir examinés attentivement, je con- clus que les arrêts Heron II et Parsons n'ont pas modifié le critère classique formulé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale, précité. Mon opinion se trouve renforcée par l'opinion similaire exprimée par Fridman dans l'examen de la jurisprudence pertinente qu'il fait aux pages 655 à 660 de son ouvrage (que nous avons déjà cité). Il conclut à la page 660:
[TRADUCTION] Ce qui semble clair, c'est que, en matière de responsabilité contractuelle, le critère applicable est le critère classique énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale ... Le critère d'application générale approprié est celui des «consé- quences raisonnablement prévisibles» par les parties lors de la conclusion du contrat, que ces conséquences soient ou non plus importantes que celles que l'on aurait raisonnablement envisagé.
Considérant ma conclusion voulant que les dom- mages-intérêts réclamés pour perte de profits n'étaient pas raisonnablement prévisibles ou ne pouvaient être raisonnablement envisagés, l'appel incident interjeté par les intimées ne peut donc être accueilli. En conséquence, je n'ai pas à statuer sur leurs prétentions selon lesquelles le montant de leur perte de profits devrait être accru.
CONCLUSION
Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais l'appel principal avec dépens. Je rejetterais égale- ment l'appel incident avec dépens.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: M. le juge Heald ayant déjà fait un exposé complet des faits de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de les répéter. Je souscris à ses, motifs et j'ai peu à y ajouter. Je me contenterai de faire quelques observations sur l'ad- judication, par le juge de première instance, des frais de concession payés en trop à la suite de l'appel d'offres et sur la perte de profits dont il a été fait état à la suite de la rupture de ce que M. le juge Heald qualifie de contrat préliminaire ou initial conduisant à la formation du contrat définitif.
Pour déterminer le montant des dommages-inté- rêts à adjuger, le juge de première instance s'est appuyée sur la décision rendue par la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801. Dans cette affaire, il a été statué que le débit annuel possible d'une de ses stations-service cité par la défende- resse avait incité le demandeur à la louer. Cette déclaration était totalement inexacte. La Cour d'appel a conclu que la défenderesse était respon- sable à la fois sur le plan contractuel et sur le plan délictuel du préjudice subi par le demandeur puis- que la déclaration visée constituait à la fois une garantie et une déclaration inexacte faite par négligence. On a évité d'établir une distinction entre les dommages-intérêts accordés sous les dif- férents postes en interprétant la garantie en ques tion non comme une promesse que le débit d'es- sence annuel atteindrait un certain nombre de gallons mais comme une garantie que le calcul
avait été effectué avec diligence. Ainsi, l'étendue de la garantie et celle de la responsabilité délic- tuelle de la défenderesse étant corrélatives, le demandeur avait le droit de recouvrer des domma- ges-intérêts qui l'établiraient dans la situation dans laquelle il se serait trouvé n'eût-il pas participé au contrat (motifs de lord Denning, maître des rôles, à la page 821). Il s'est vu adjuger le montant de sa perte de capital ainsi que le montant du découvert qui lui avait été consenti dans l'exploitation de son commerce. Sa demande concernant un manque à gagner n'a pas été accueillie parce qu'on a consi- déré ce manque pratiquement impossible à établir (motifs de lord juge Ormrod, à la page 829). Si je comprends bien, le manque à gagner désigne l'ar- gent que le demandeur aurait gagné s'il n'avait pas participé au contrat plutôt que la perte, due à la rupture du contrat, des profits qu'il aurait réalisés dans l'exploitation du commerce visé (voir Sun shine Vacation Villas Ltd. v. Governor and Com pany of Adventurers of England Trading into Hudson's Bay (1984), 13 D.L.R. (4th) 93 (C.A.C.-B.), aux pages 99 à 102). Dans la pré- sente affaire, le juge de première instance a établi une analogie entre le fondement des dommages- intérêts adjugés dans l'affaire Esso Petroleum et sa propre décision d'accorder à la demanderesse le montant qu'elle a offert en trop. Bien que je ne sois pas en désaccord avec elle à cet égard, je crois que nous pouvons atteindre le même résultat en nous fondant sur les principes juridiques reconnus qui régissent le recouvrement des dommages-intérêts consécutifs à la rupture d'un contrat.
Je tiens à souligner deux caractéristiques impor- tantes des règles fondamentales qui s'appliquaient à l'adjudication des comptoirs en vertu des condi tions de l'appel d'offres. Tout d'abord, ces règles permettaient à Tilden de soumissionner à la fois dans la catégorie ouverte et dans la catégorie domestique et, en second lieu, elles prévoyaient que, dans l'hypothèse chacune des deux offres présentées par un même soumissionnaire dans deux catégories différentes seraient retenues, l'of- fre la plus élevée serait choisie. Comme les quatre grands locateurs d'automobile, savoir Budget, Hertz, Tilden et Avis, se disputeraient les trois comptoirs disponibles dans la catégorie ouverte, il était évident que la concurrence serait plus forte dans cette catégorie. Cela étant, je crois qu'il était
raisonnable de prévoir (ainsi que Hertz l'a fait) que Tilden présenterait une offre plus élevée dans cette dernière catégorie que dans la catégorie domestique. Afin de s'assurer qu'elle aurait un comptoir dans les aéroports, Hertz s'est efforcée de renchérir sur Tilden afin de ne pas risquer d'être exclue des aéroports en voyant son offre surpassée par celle d'Avis.
Hertz demande à la Cour de lui accorder soit une indemnité proportionnelle à son expectative (les profits perdus), soit une indemnité proportion- nelle à l'influence des stipulations non respectées (le montant offert en trop). Certaines décisions récentes indiquent que le demandeur peut, selon les circonstances, demander à la Cour de lui accor- der l'une ou l'autre de ces indemnités. (Voir les arrêts: Cullinane v. British «Rema» Manufactu ring Co. Ld., [1954] 1 Q.B. 292 (C.A.), à la page 303; Anglia Television Ltd. v. Reed, [1972] 1 Q.B. 60 (C.A.), à la page 64; Bowlay Logging Ltd. v. Domtar Ltd., [1978] 4 W.W.R. 105 (C.S.C.-B.), aux pages 113 et 114; Sunshine Vacation Villas Ltd. v. Governor and Company of Adventurers of England Trading into Hudson's Bay, précité; Orvold, Orvold, Orvold and R.E.G. Holdings Ltd. v. Turbo Resources Ltd. (1984), 33 Sask. R. 96 (B.R.), à la page 102; C.C.C. Films (London) Ltd. v. Impact Quadrant Films Ltd., [1985] Q.B. 16, à la page 32.) Selon moi, l'influence des stipulations non respectées ouvre droit à indemnisation car le montant offert en trop me semble constituer une perte découlant de la rupture du contrat. Ce mon- tant, en sus de celui qu'il en aurait réellement coûté pour obtenir un comptoir de location d'auto- mobiles de la catégorie ouverte, a été payé sur la foi de la clause relative à l'adjudication. Le préju- dice subi par Hertz peut être redressé en indemni- sant celle-ci de sa perte, un redressement qui peut s'effectuer dans le cadre des principes reconnus régissant les contrats (Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341; Victoria Laundry (Windsor), Ld. v. Newman Industries Ld. Coulson & Co., Ld. (Third Parties), [1949] 2 K.B. 528 (C.A.); C. Czarnikow Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350 (H.L.); voir également H. Parsons (Livestock) Ltd. v. Uttley Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791 (C.A.) et Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633.)
Je suis d'accord pour dire que le préjudice lié à l'expectative n'est pas compensable. Le contrat préliminaire ou initial est lorsque Hertz a pré- senté son offre conformément aux conditions de l'appel d'offres. L'appelante a violé son contrat en ne se conformant pas à la clause relative à l'adju- dication figurant dans l'appel d'offres. Je ne consi- dère pas que le déroulement des faits de l'espèce correspond au scénario classique de la rupture de contrat, qui met en jeu un unique contrat, deux parties et une perte de profits résultant directe- ment de cette rupture. Certains facteurs sont parti- culiers à la situation actuelle. En l'espèce, nous sommes en présence de nombreux doubles contrats (initiaux et définitifs), de ruptures des contrats initiaux, de nombreuses parties ainsi que de la perte de profits additionnels due au maintien de la présence d'Avis dans les aéroports. Malgré ces ruptures, plusieurs contrats définitifs ont vu le jour. Un de ceux-ci a attribué à Hertz un comptoir dans les aéroports, pour la laisser ensuite se débrouiller et faire, si elle le pouvait, un profit. Hertz ne prétend pas que la rupture de ce contrat lui a fait perdre certains des profits qu'elle aurait réaliser grâce au contrat définitif mais que, dans la conjoncture résultant de cette rupture, Hertz se trouve empêchée de réaliser les profits additionnels qui lui viendraient d'une partie de l'achalandage d'Avis. Je suis d'accord pour dire que la perte de tels profits ne peut être compensée parce que ce préjudice, si nous appliquons le cri- tère énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale, est trop éloigné.
En conclusion, je ne vois aucun motif nous justifiant de modifier l'appréciation des domma- ges-intérêts faite par le juge de première instance. Bien qu'elle se soit fondée sur le principe énoncé dans l'arrêt Esso Petroleum, je suis d'avis que les dommages-intérêts accordés sont également recou- vrables selon les principes juridiques classiques qui régissent l'attribution des dommages-intérêts dans le cadre de la rupture de contrat. Pour les motifs énoncés par M. le juge Heald ainsi que pour les motifs additionnels que je viens de prononcer, je déciderais de l'appel et de l'appel incident ainsi qu'il le propose.
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