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A-472-87
Affaire intéressant la Loi sur l'Office national de l'énergie
Et un renvoi effectué par l'Office national de l'énergie conformément au paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale
RÉPERTORIÉ: OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE (RE)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui- gan—Toronto, 4 et 5 novembre; Ottawa, 27 novembre 1987.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs L'Office national de l'énergie a autorisé la construction d'un pipeline de dérivation proposé qui relierait directement le poste de comp- tage de TransCanada PipeLines à l'usine de l'utilisateur ultime du gaz acheminé L'Office n'a pas la compétence requise pour donner une telle autorisation Il a commis une erreur en dressant une analogie entre les systèmes de radiodif- fusion et les pipelines Le pipeline en cause ne constituerait pas un «ouvrage» interprovincial puisqu'il se situerait entière- ment dans les limites de la province concernée CCPI n'exploiterait pas une entreprise interprovinciale puisque le conduit de dérivation en question n'est pas nécessaire à l'ex- ploitation de l'ensemble du réseau L'art. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle exige des entreprises interprovinciales visées qu'elles relèvent des transports ou des communications Application du critère du lien nécessaire Le pipeline pro- posé n'est pas nécessaire à l'entreprise interprovinciale de TCPL.
Énergie L'Office national de l'énergie a renvoyé devant la Cour fédérale la question de savoir si un pipeline de dérivation proposé relève de la compétence législative fédérale et, de ce fait, de la compétence de l'Office L'Office a autorisé la construction de ce pipeline La Commission de l'énergie de l'Ontario a conclu qu'elle avait compétence sur les canalisa- tions de dérivation situées dans cette province La Cour divisionnaire de l'Ontario a confirmé que la province avait compétence sur de tels pipelines La décision de la Cour constitue un changement de circonstances soulevant un doute sur l'exactitude de la décision de l'Office La question de savoir qui a porté le changement intervenu dans les circons- tances à la connaissance de l'Office n'est pas pertinente puis- que cet organisme est habilité à réviser de sa propre initiative n'importe laquelle de ses décisions L'Office n'avait pas compétence puisque le pipeline proposé ne constituait pas un «ouvrage» ou une entreprise interprovinciale.
Il s'agit d'un renvoi effectué par l'Office national de l'énergie (ONÉ) au sujet de la question de savoir si un pipeline de dérivation proposé relevait de la compétence de l'Office parce que ressortissant à l'autorité législative du Parlement. Avant mars 1986, «Cyanamid» achetait du gaz de «Consumers'», qui elle-même achetait du gaz de TransCanada PipeLines Limited («TCPL»). Subséquemment, «CCPI» a été constituée en société pour construire et exploiter un pipeline de 6,2 km reliant le poste de comptage de TCPL directement à l'usine de Cyanamid pour court-circuiter le pipeline de Consumers'. L'ONÉ a auto- risé les installations proposées mais, peu de temps après, la
Commission de l'énergie de l'Ontario (CEO) a conclu que cette province avait compétence relativement aux pipelines de dériva- tion en Ontario (pipelines par lesquels les utilisateurs ultimes de gaz naturel évitent d'utiliser le pipeline de la compagnie de distribution locale en se raccordant directement au réseau de TCPL). La Cour divisionnaire a maintenu cette décision. Tous les appels interjetés de cette décision de l'ONE devant cette Cour ont alors été retirés, de sorte que CCPI s'est trouvée dans une situation l'exécution d'ordonnances non contestées pro- noncées en sa faveur par l'ONE risquerait de lui faire encourir des pénalités dans la province d'Ontario. CCPI a donc sollicité de l'ONE qu'il révise sa décision et prescrive un renvoi devant cette Cour. L'Office a conclu que le degré d'intégration opéra- tionnelle de ces entreprises n'était pas suffisant pour considérer les deux pipelines comme un réseau pipelinier indivisible. Aucune de ces deux sociétés n'exercerait ses activités sous les soins de l'autre; aucune n'aurait la commande ou la direction des activités de l'autre. Toutefois, s'appuyant sur les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Luscar, Capital Cities et Dionne, l'Office a décidé que le pipeline proposé, bien qu'entièrement situé à l'intérieur de la province, constituerait un maillon d'une chaîne permettant le transport interprovincial du gaz.
Arrêt: le pipeline proposé ne relevait pas de la compétence de l'ONE.
La question préliminaire de la compétence de l'ONÉ à prononcer l'ordonnance de renvoi en l'espèce a été soulevée. Il est bien établi que le jugement de toute question ainsi renvoyée doit être nécessaire pour pouvoir régler l'affaire pendante devant le tribunal qui fait le renvoi et ne vise pas la solution d'une simple question de droit théorique. En ordonnant le renvoi, l'Office a conclu avec raison que la décision de la Cour divisionnaire, qui avait pour conséquence d'annuler les ordon- nances prononcées par l'Office relativement à la demande de CCPI, constituait un changement de circonstances suffisant pour «soulever un doute» quant à l'exactitude de ses ordonnan- ces antérieures. L'Office était également justifié de conclure à la non pertinence du fait que c'était la partie ayant eu gain de cause (CCPI) qui avait porté les circonstances nouvelles à la connaissance de l'Office, puisque cet organisme était habilité à entreprendre la révision de n'importe laquelle de ses décisions de sa propre initiative.
Concernant la question constitutionnelle, l'Office a commis une erreur en s'appuyant aussi fortement qu'il l'a fait sur les arrêts relatifs à la télévision par câble. Alors que l'Office a vu une analogie étroite entre les objets de la transmission par câble et ceux du pipeline proposé, cet organisme aurait comparer la transmission par radiodiffusion et la transmission par pipe line. La Cour suprême du Canada a établi clairement que la transmission par câble relevait de la compétence fédérale parce qu'elle faisait partie d'une entreprise intégrée (la radiodiffu- sion) déjà déclarée de compétence fédérale. La comparaison des systèmes d'acheminement du gaz naturel et des systèmes de radiodiffusion révèle qu'ils ont peu d'aspects communs. Les ondes radio ne sont pas confinées dans un espace clos comme le gaz est confiné dans un pipeline et, en conséquence, de telles ondes ne sont aucunement touchées par les limites territoriales. Leur réception est pratiquement instantanée. De plus, la néces- sité qu'un espace soit alloué dans le spectre des fréquences suggère que le pouvoir de réglementer les radiodiffuseurs inter- provinciaux doit s'accompagner de celui de réglementer aussi
les radiodiffuseurs intraprovinciaux. La radiodiffusion et les pipelines de gaz naturel ne se prêtaient pas à une analogie.
L'Office a également commis une erreur en s'appuyant sur l'arrêt Luscar puisque, dans cette affaire, une ligne de chemin de fer construite et possédée par une société intraprovinciale était exploitée par le C.N., une société interprovinciale. Aucune semblable entente permettant à TCPL d'exploiter le pipeline proposé n'existait en l'espèce.
Un ouvrage ou un entreprise doit, pour relever de la compé- tence fédérale en vertu de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitu- tionnelle de 1867, soit constituer un ouvrage ou une entreprise interprovincial, soit être attaché à un ouvrage ou une entreprise interprovincial entretenant avec lui ou elle un lien nécessaire. Dans l'arrêt Luscar, le lien nécessaire faisant du tronçon un maillon de la chaîne interprovinciale était l'entente sur la mise en service du chemin de fer. Dans les arrêts relatifs à la télévision par câble, ce lien nécessaire tenait à l'indivisibilité du moyen de communication et du message qu'il transmet. La seule décision s'opposant à l'application du critère du lien nécessaire est l'arrêt Winner, dans lequel le Conseil privé a limité sa conclusion aux faits précis de cette espèce. La sugges tion qu'il existait un critère appelé «l'objectif/la nature de l'entreprise», suivant lequel la compétence devait être attribuée selon l'objet global de l'entreprise concernée, s'est limitée aux affaires dans lesquelles une seule entreprise commerciale était visée. En l'absence d'une demande de TCPL visant la construc tion et l'exploitation du pipeline de dérivation pour son propre compte, il doit être satisfait au critère du lien nécessaire pour que la compétence fédérale se trouve établie suivant l'alinéa 92(10)a).
Comme le pipeline proposé serait situé uniquement en Onta- rio, il ne peut constituer un «ouvrage» (défini comme «des choses matérielles et non des services») interprovincial. Le seul fait d'être raccordé à un ouvrage interprovincial ne suffit pas à fonder une compétence fédérale.
Le pipeline de dérivation ne faisait pas partie d'une entre- prise interprovinciale de CCPI parce qu'il n'était pas nécessaire à l'exploitation de l'ensemble envisagé. Même si CCPI pouvait être considérée comme se livrant à une entreprise interprovin- ciale, il ne s'agirait pas d'une entreprise relevant du transport ou des communications conformément aux exigences posées par l'alinéa 92(10)a) pour qu'il y ait compétence fédérale. Même si TCPL exploitait une entreprise interprovinciale, le pipeline proposé ne faisait pas partie intégrante du réseau interprovin- cial de transport de gaz naturel de TCPL et n'était pas nécessaire à ce transport. Le pipeline proposé n'offrait aucun avantage à TCPL mais servait à relier un utilisateur ultime à la canalisation principale.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(2),(29), 92(10)a).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 » Supp.), chap. 10, art. 28(4).
Loi sur l'Office national de l'énergie, S.R.C. 1970, chap. N-6, art. 17(1), 49 (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 116, art. 15), 59(3) (mod., idem, art. 17).
fProjet de) Règles de pratique et de procédure de l'ONE, Règle 41.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
British Columbia Electric Ry. Co. Ltd. et al. v. Canadian National Ry. Co. et al., [1932] R.C.S. 161; Cannet Freight Cartage Ltd. (In re), [1976] 1 C.F. 174; (1976), 11 N.R. 606; (1975), 60 D.L.R. (3d) 473 (C.A.); Mont- real City v. Montreal Street Railway Company, [1912] A.C. 333 (P.C.); In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada, [1932] A.C. 304 (P.C.); Re The Queen and Cottrell Forwarding Co. Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 486; 124 D.L.R. (3d) 674 (C. div.).
DÉCISIONS DISTINGUÉES:
Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.); Attorney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 541 (P.C.); Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; (1978), 18 N.R. 181; (1977), 81 D.L.R. (3d) 609; Régie des services publics et autres c. Dionne et autres, [1978] 2 R.C.S. 191; (1978), 18 N.R. 271.
DÉCISION EXAMINÉE:
Dome Petroleum Ltd. c. Office national de l'énergie (1987), 73 N.R. 135 (C.A.F.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (In re), [1973] C.F. 604 (C.A.); Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1974] C.F. 398 (C.A.); Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1985] 2 C.F. 472; (1984), 17 Admin.L.R. 149 (1" inst.); infirmé par [1986] 2 C.F. 179; (1985), 17 Admin.L.R. 190 (C.A.); Reference re Industrial Relations and Dis putes Act, [1955] R.C.S. 529; Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada et autre, [1975] I R.C.S. 178; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor-MM Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322; Construction Montcalm Inc. c. Commis sion du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, (#1), [1980] 1 R.C.S. 115; (#2), [1983] 1 R.C.S. 733; Toronto Corporation v. Bell Telephone Company of Canada, [1905] A.C. 52 (P.C.).
DOCTRINE
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2e ed. Toronto: The Carswell Company Limited, 1985.
AVOCATS:
H. Soudek et Sandra K. Fraser pour l'Office national de l'énergie.
C. Kemm Yates et D. E. Crowther pour Cya- namid Canada Pipeline Inc.
Barbara A. Mcisaac pour le procureur géné- ral du Canada.
Michael M. Peterson et M. P. Tunley pour C.I.L. Inc.
Martin Sclisizzi et E. M. Roher pour Suncor Inc.
D. O. Sabey, c.r. pour Simplot Chemical
Company Ltd.
Richard Claus van Banning pour Nitrochem
Inc.
J. H. Farrell et M. S. F. Watson pour Consu
mers' Gas.
B. H. Kellock, c.r. pour Union Gas.
D. S. Morritt pour I.C.G. Utilities.
B. Wright et M. Helie pour le procureur
général de l'Ontario.
Barbara C. Howell pour le procureur général
de l'Alberta.
Personne n'a comparu pour le procureur géné-
ral de la Colombie-Britannique.
N. D. Shende, c.r. pour le procureur général
du Manitoba.
Personne n'a comparu pour le procureur géné-
ral de la Saskatchewan.
Louis Crête et Anti M. Bigue pour Gaz
Métropolitain.
T. John Hopwood, c.r. pour Novacorp.
D. M. Masuhara pour Inland Natural Gas.
Stephen T. Goudge, c.r. pour la Commission
de l'énergie de l'Ontario.
PROCUREURS:
Contentieux de l'Office national de l'énergie, Ottawa, pour l'Office national de l'énergie. Fenerty, Robertson, Fraser & Hatch, Cal- gary, pour Cyanamid Canada Pipeline Inc. Le sous -procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour C.I.L. Inc.
Tilley, Carson & Findlay, Toronto, pour Suncor Inc.
Bennett Jones, Calgary, pour Simplot Chemi cal Company Ltd.
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto, pour Nitrochem Inc.
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto, pour Consumers' Gas.
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour Union Gas.
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour I.C.G. Utilities.
Ministère du procureur général, Toronto, pour le procureur général de l'Ontario. Field & Field, Edmonton, pour le procureur général de l'Alberta.
Ministère du procureur général, Legal Servi ces Branch, Victoria, pour le procureur géné- ral de la Colombie-Britannique.
Legal Services, Winnipeg, pour le procureur général du Manitoba.
Legal Services, Regina, pour le procureur général de la Saskatchewan.
Clarkson, Tétrault, Montréal, pour Gaz Métropolitain.
Howard, Mackie, Calgary, pour Novacorp. Contentieux de Inland Natural Gas, Vancou- ver, pour Inland Natural Gas.
Gowling & Henderson, Toronto, pour la Com mission de l'énergie de l'Ontario.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Il s'agit d'un renvoi effectué par l'Office national de l'énergie («l'ONÉ» ou «l'Office») conformément au paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]. La question renvoyée devant la Cour est la suivante:
[TRADUCTION] Les installations pipelinières que Cyanamid Canada Pipeline Inc. propose de construire et d'exploiter relè- vent-elles de la compétence de l'Office national de l'énergie en ce qu'elles ressortiraient à l'autorité législative conférée au Parlement du Canada en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867?
I
Cyanamid Canada Inc. («Cyanamid») exploite près de Welland, en Ontario, une usine de fabrica tion d'engrais azotés utilisant le gaz naturel comme charge d'alimentation et comme combusti ble. Avant mars 1986, Cyanamid achetait tout le gaz dont elle avait besoin de Consumers' Gas Company Ltd. («Consumers'»), qui elle-même achetait du gaz de réseau de TransCanada PipeLi nes Limited («TCPL»).
Toutefois, dans l'«Accord de l'Ouest», en date du 28 mars 1985, les gouvernements du Canada, de
l'Alberta, de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan s'entendaient pour instaurer un régime de fixation des prix intérieurs du gaz natu- rel qui soit davantage axé sur les conditions du marché; une entente en date du 31 octobre 1985 surnommée [TRADUCTION] «Entente de l'Hallo- ween», développait davantage cette initiative.
Afin de profiter de ces nouveaux arrangements, Cyanamid a constitué la société Cyanamid Canada Pipeline Inc. («CCPI») conformément à la loi fédérale en 1985. Dans une demande en date du 3 octobre 1985, CCPI sollicitait entre autres de l'ONE une ordonnance fondée sur l'article 49 de la Loi sur l'Office national de l'énergie [S.R.C. 1970, chap. N-6 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 116, art. 15)] («la Loi») autorisant la cons truction et l'exploitation d'un pipeline de 6,2 km en vue de la transmission du gaz de l'emplacement de l'usine de Welland de Cyanamid à l'emplace- ment du poste de comptage de Black Horse de TCPL ainsi qu'une ordonnance fondée sur le para- graphe 59(3) de la Loi [mod., idem, art. 17] prescrivant à TCPL de construire des installations de raccordement entre le réseau de canalisation de TCPL et la nouvelle canalisation proposée par la requérante au poste de Black Horse. La canalisa- tion proposée par CCPI se trouverait à court-cir- cuiter le pipeline de Consumers' s'étendant du poste de Black Horse à l'usine de Welland et approvisionnant actuellement Cyanamid ainsi qu'une vingtaine d'autres clients, pour permettre à Cyanamid de réaliser des économies. L'Office, après avoir tenu des audiences publiques, a pro- noncé les deux ordonnances sollicitées en décembre 1986 (celles-ci portent respectivement les numéros XG-13-86 et MO-63-86).
Cyanamid avait entre temps conclu une entente d'achat de gaz avec un producteur de l'Alberta, demandé et obtenu un permis d'acheminement d'énergie hors de l'Alberta (Alberta Energy Removal Permit) et obtenu une approbation régle- mentaire provisoire relativement à la transmission de ce gaz par les réseaux de TCPL et de Consu mers', et l'acheminement du gaz avait commencé en mars 1986. L'intention initiale de Cyanamid était de faire conclure tous ces arrangements pour son compte par CCPI, mais Consumers' a main- tenu qu'elle ne traiterait qu'avec Cyanamid elle-
même. Cyanamid entend toujours céder l'entente sur l'achat de gaz à CCPI, le permis d'achemine- ment d'énergie hors de l'Alberta devant alors être délivré au nom de CCPI.
Une procédure de désignation serait observée par CCPI dans l'achat de gaz. CCPI désignerait, à des intervalles pouvant être aussi rapprochés qu'une journée (avant le milieu de l'après-midi pour le matin suivant), le volume de gaz nécessaire à son usine de Welland. Ces désignations seraient communiquées à la fois au producteur de gaz albertain et à TCPL par télécopieur; une fois cette commande acceptée par ces deux sociétés, le gaz serait livré par les producteurs au réseau de TCPL à Empress, en Alberta, ainsi qu'à CCPI au poste de Black Horse. La livraison aurait lieu le jour suivant celui de la commande même si l'achemine- ment du gaz d'Empress à Welland demande en fait plusieurs jours. Le gaz livré par TCPL à CCPI serait mesuré au poste de Black Horse et le serait à nouveau au point de la vente par CCPI à Cyana- mid. Bien que TCPL conserverait le droit d'isoler la canalisation de CCPI de son propre réseau dans des circonstances particulières en fermant manuel- lement les vannes reliant les deux pipelines en cause, CCPI aurait normalement le contrôle de l'acheminement du gaz dans sa canalisation.
Peu après la présentation de la demande initiale de CCPI à l'ONE, la Commission de l'énergie de l'Ontario («la CEO») a convoqué des audiences de son propre chef pour faire enquête sur la question de la dérivation, qu'elle a définie comme le moyen par lequel un utilisateur ultime de gaz naturel en Ontario, tel Cyanamid, évite de faire appel aux services de la compagnie de distribution locale («CDL»), comme Consumers', en se raccordant directement au réseau de TCPL. Le 10 décembre 1986, la CEO a décidé que la province d'Ontario, par son intermédiaire, a compétence sur les canali- sations de dérivation de l'Ontario; elle a présenté un exposé de cause à la Cour divisionnaire de la Cour suprême de l'Ontario en lui demandant de confirmer la compétence de la CEO à l'égard de la dérivation. La Cour divisionnaire, dans une déci- sion en date du 26 mars 1987 (action 1243-86), a confirmé que la province avait compétence à l'égard de la dérivation typique qui, entre autres choses, est située entièrement dans les limites de la province et est possédée, contrôlée, maintenue et
exploitée séparément de l'ouvrage interprovincial auquel elle est reliée.
À la suite de cette décision de la Cour division- naire, toutes les demandes d'autorisation d'interje- ter appel de la décision de l'ONE qui avaient été déposées devant cette Cour par les CDL ont été retirées, de sorte que CCPI s'est trouvée dans une situation l'exécution d'ordonnances non contes- tées prononcées en sa faveur par l'ONÉ risquerait de lui faire encourir des pénalités dans la province d'Ontario. CCPI a donc, conformément au para- graphe 17(1) de la Loi, sollicité de l'ONE qu'il révise sa décision et prescrive un renvoi devant cette Cour conformément au paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Cette ordonnance de renvoi a été accordée par l'Office le 11 juin 1987.
Entre temps, le lieutenant-gouverneur de l'Onta- rio, par le décret O.C. 1079/87, en date du 30 avril 1987, a renvoyé la question de la compétence législative provinciale sur les pipelines de dériva- tion typique devant la Cour d'appel de l'Ontario pour audition et examen. On nous a informés au cours du débat que la question a déjà été plaidée devant cette Cour et que celle-ci l'a prise en délibéré.
II
Plusieurs parties ont soulevé la question prélimi- naire de la compétence de l'ONE à prononcer l'ordonnance de renvoi en l'espèce.
La partie pertinente du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi libellée:
28....
(4) Un office, ... fédéral ... peut, à tout stade de ses procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audition et jugement, toute question de droit, de compétence ou de prati- que et procédure.
Cette Cour a décidé que le jugement de toute question ainsi renvoyée doit être nécessaire «pour pouvoir régler l'affaire pendante devant le tribunal qui fait le renvoi. Il ne vise pas la solution d'une question de droit théorique»: Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (In re), [1973] C.F. 604 (C.A.), à la page 615; Martin Service Station Ltd. c. Ministre du Revenu natio nal, [1974] C.F. 398 (C.A.), à la page 400. Il a été allégué qu'aucune instance ne se trouvant pen- dante devant l'ONÉ au moment de la présentation
de la demande de révision par CCPI, cette der- nière, ayant eu gain de cause, ne pouvait solliciter une révision sans enfreindre la règle ci-haut men- tionnée qui interdit les renvois à caractère général et spéculatif.
Le paragraphe 17(1) de la Loi, sur lequel se sont appuyés CCPI pour solliciter et l'Office pour accorder la révision, est libellé de la façon suivante:
17. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l'Office peut revi- ser, rescinder, changer ou modifier toute ordonnance ou déci- sion par lui rendue, ou peut procéder à une nouvelle audition d'une demande avant d'en décider.
Le paragraphe (2) de cet article ne s'applique point à la présente espèce.
L'article 41 [Projet de] Règles de pratique et de procédure de l'ONÉ est rédigé de la façon suivante:
PARTIE V
DEMANDES DE RÉVISION OU POUR UNE NOUVELLE AUDIENCE
Demandes
41. (1) Toute demande de révision ou pour une nouvelle audience, soumise en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi, doit être déposée par écrit auprès du Secrétaire.
(2) Toute demande déposée en vertu du paragraphe (1) doit contenir un exposé clair et concis des faits, la nature de l'ordonnance ou de la décision recherchée, et les raisons que le demandeur juge suffisantes
a) dans le cas d'une demande de révision, pour soulever un doute quant à l'exactitude de l'ordonnance ou de la décision, y compris
i) toute erreur de droit ou de compétence,
ii) les nouvelles circonstances survenues depuis que l'or- donnance ou la décision a été rendue,
iii) les nouveaux faits survenus depuis que l'ordonnance ou la décision a été rendue, et
iv) les faits qui n'ont pas été mis en preuve à l'instance initiale et qu'on ne pouvait pas découvrir, même en y apportant un soin raisonnable; et
b) dans le cas d'une demande pour une nouvelle audiçm,e, afin de justifier la tenue de celle-ci, y compris
i) toute erreur de droit ou de compétence;
ii) les nouvelles circonstances survenues depuis l'instance initiale,
iii) les nouveaux faits survenus depuis l'instance initiale,
iv) les faits qui n'ont pas été mis en preuve à l'instance initiale et qu'on ne pouvait pas découvrir, même en y apportant un soin raisonnable.
(3) Le demandeur doit signifier un exemplaire de sa demande à toutes les parties à l'instance initiale.
Dans les motifs de décision en date du 29 mai 1987 qu'il a prononcés à l'égard de son ordonnance numéro MO-15-87 du 11 juin 1987, l'Office a résolu cette question de la manière suivante (aux pages 4 et 5):
L'article 17 de la Loi ne limite pas le droit de demander une révision aux seules parties perdantes à une décision et ne prévoit pas non plus qu'une partie qui demande une révision exige que la décision soit changée. En fait, la Loi est muette à ce sujet. L'Office estime que le paragraphe 17(1) de la Loi laisse entièrement libre de réviser, de rescinder, de changer ou de modifier toute ordonnance ou décision qu'il rend. Ce vaste pouvoir de révision n'est assorti d'aucune mise en garde. L'Of- fice ne croit pas qu'une révision qui ne vise pas à modifier une décision soit en fait une nouvelle audience ...
D'après l'Office, CCPI satisfait aux critères mentionnés à la règle 41. Une cour compétente a jugé que les conduites de déviation «typiques» construites en Ontario relèvent exclusive- ment de la CEO. De l'avis de l'Office, cette décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario constitue un changement de circons- tances depuis la décision de l'Office sur la compétence, pour soulever un doute quant à l'exactitude de la décision de l'Office selon laquelle les installations faisant l'objet de la demande relèvent de sa compétence. A cet égard, l'Office souligne la position adoptée par certaines parties qui ont demandé la permission d'appeler de la décision relative à Cyanamid devant la Cour fédérale du Canada, mais qui ont ensuite retiré leur demande. Dans les lettres qui accompagnaient leur avis de retrait et qui étaient adressées à l'Administrateur de la Cour fédérale du Canada, les parties déclaraient qu'à leur avis, la décision portant sur l'exposé de cause s'applique à la question de la compétence qui a été étudiée par l'Office lors de l'au- dience GH -3-86. Si ces parties ont raison, la décision de l'Office en matière de compétence est donc erronée.
Le fait que le[s] changement[s] de circonstances survenus depuis la décision juridictionnelle de l'Office qui mettent en doute l'exactitude de cette décision ont été porté[s] à la con- naissance de l'Office par un tiers qui ne conteste pas la justesse de la décision initiale de l'Office en matière de compétence ne prive pas l'Office, de son avis, de son droit de révision. Il est à noter qu'aux termes du paragraphe 17, l'Office peut, de son propre chef, réviser toute décison qu'il rend.
L'Office a donc décidé, pour les raisons données ci-dessus, d'accéder à la demande présentée par CCPI en vue de faire réviser la décision en matière de compétence qui fait partie de la décision relative à Cyanamid.
À mon avis, l'Office était entièrement habilité à prendre la conclusion qu'il a prise. Il possède la compétence voulue pour effectuer une révision de sa propre initiative, et une telle révision ne se trouve pas soumise aux exigences de l'article 41 de ses Règles. Cependant, même en fonction de telles exigences, la décision de la Cour divisionnaire annulant implicitement les ordonnances pronon- cées par l'Office relativement à la demande de CCPI constituait certainement un changement de
circonstances suffisant pour «soulever un doute» quant à l'exactitude de ses ordonnances antérieu- res.
III
L'ONÉ a conclu qu'il n'était pas nécessaire de trancher la question de la compétence constitution- nelle sur le fondement de la compétence sur les échanges et le commerce (le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R. - U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1)1); aucune des parties n'ayant allégué un tel pouvoir dans sa plaidoirie devant cette Cour, l'aspect constitutionnel ne devra être examiné qu'à la lumière du paragraphe 91(29) et de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867.
L'alinéa 92(10)a) est ainsi libellé:
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusive- ment légiférer relativement aux matières entrant dans les caté- gories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
10. Les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:
a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entrepri- ses reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;
Cet alinéa doit être lu concurremment avec le paragraphe 91(29), qui attribue au Parlement du Canada les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énumération des catégories de sujets assignés aux législatures des provinces à l'article 92:
91. I1 sera loisible à la Reine, sur l'avis et avec le consente- ment du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, ii est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l'autorité légis- lative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci-des- sous, à savoir:
29. les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énu- mération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.
L'Office considérait que les deux principales questions qui lui étaient soumises relativement à la compétence étaient les suivantes (motifs de déci- sion en date de décembre 1986 accompagnant les ordonnances XG-13-86 et MO-63-86 de l'Office, à la page 5):
Les installations proposées relèvent-elles de l'autorité législative du Parlement du Canada en vertu de la Loi constitutionnelle, 1867 (ou de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, comme on l'appelait alors)?
Si les installations relèvent de la compétence du gouvernement du Canada, constituent-elles un «pipe-line» au sens de l'article 2 de la Loi sur l'ONÉ?
Seule la première de ces questions de compétence est de nature constitutionnelle.
En ce qui a trait à la question constitutionnelle, l'Office était d'opinion qu'elle devait être énoncée de la manière suivante (motifs de décision précités, à la page 16):
L'Office est d'avis que, si la compétence à l'égard des installa tions proposées incombe au Parlement et par conséquent, à l'Office, c'est parce que la canalisation de CCPI fait partie intégrante d'une entreprise interprovinciale.
L'Office a envisagé cette question sous l'angle des catégories dites de l'«objectif» et du «maillon de la chaîne», mais a distingué de celles de l'espèce les circonstances d'application du critère du caractère «fondamental, essentiel ou vital de l'entreprise». Il s'est appuyé sur les décisions suivantes: Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925 (P.C.); Attorney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 541 (P.C.); Capital Cities Communi cations Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télé- vision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141; (1978), 18 N.R. 181; (1977), 81 D.L.R. (3d) 609; Régie des services publics et autres c. Dionne et autres, [1978] 2 R.C.S. 191; (1978), 18 N.R. 271; Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications cana- diennes, [1985] 2 C.F. 472; (1984), 17 Admin.L.R. 149 (1" inst.); infirmé par [1986] 2 C.F. 179; (1985), 17 Admin. L.R. 190 (C.A.).
L'Office a décidé que l'intégration opération- nelle des entreprises concernées n'était pas suffi- sante pour fonder une compétence fédérale mais que leur intégration fonctionnelle était à cet égard suffisante (motifs de décision, ibid., aux pages 18 à 21, notes de bas de pages non reproduites):
L'Office n'est pas convaincu que le degré d'intégration opé- rationnelle qui existe entre CCPI et TCPL soit suffisant pour
considérer les deux pipelines comme un réseau pipelinier indivi sible. L'activité de CCPI ne se ferait pas sous les soins de TCPL, qui n'en aurait d'ailleurs ni la commande ni la direction; l'inverse est également vrai. Les installations de CCPI ne toucheraient pas de façon sensible à l'exploitation de la canali- sation de TCPL. L'intégration opérationnelle doit, de l'avis de l'Office, impliquer davantage qu'une simple collaboration et une simple entente en ce qui concerne les livraisons de gaz journalières. A cet égard, l'Office note l'extrait d'un article intitulé «The Federal Case», auquel a fait allusion l'avocat de CCPI pendant sa plaidoirie finale. Cet article signalait qu'il existe des différences essentielles entre les caractéristiques des chemins de fer et des pipelines parce que, dans le cas des pipelines, une fois qu'il y a un lien matériel, il s'ensuit évidem- ment une gestion et une commande coordonnées. Il ne fait aucun doute que l'avocat de CCPI a présenté cet article pour appuyer son argument selon lequel les activités centralisées et coordonnées, communes à n'importe quel réseau de pipeline interconnecté, indiquent, en l'espèce, le degré élevé d'intégra- tion opérationnelle qui sera requis entre TCPL et les installa tions proposées de CCPI. De l'avis de l'Office, la nature même des installations de transport de gaz exige qu'il y ait collabora tion et coordination entre les canalisations interconnectées. Il ne s'agit pas, en soi, d'un facteur déterminant.
5.3.5 Intégration fonctionnelle
L'Office juge que pour déterminer le caractère d'une entre- prise, il faut répondre à une question fondamentale: quelle est l'entreprise qui est effectivement menée; s'agit-il d'une seule entreprise ou de deux? Cette question a été posée, sous une forme ou sous une autre, dans bon nombre d'affaires qui impliquaient la détermination du caractère «local» ou «interpro- vincial» d'une entreprise; le Conseil privé se l'est posée pour la première fois à l'égard d'un service d'autocars dans l'affaire Winner. Dans l'affaire AGT, le juge Reed a noté, à la page 175, que la «caractéristique qui s'avère cruciale donc, c'est la nature de l'entreprise elle-même, non le matériel qu'elle emploie». Dans l'affaire Dionne, la Cour suprême s'en est rapportée à «ce qui est, fonctionnellement, une combinaison de systèmes intimement liés». Lorsque les tribunaux s'en réfèrent à la «nature essentielle» ou au degré de «l'intégration fonction- nelle» d'une entreprise, ce qu'ils considèrent réellement, c'est l'objectif global ou la fonction globale de l'entreprise.
Les parties qui s'étaient déclarées en faveur de la compétence provinciale, en l'espèce, ont fait valoir que l'objectif des instal lations de CCPI consistait simplement à transporter le gaz naturel entre deux points situés en Ontario. Une analogie a été faite entre les installations proposées de CCPI et celles d'autres réseaux de distribution de gaz en Ontario qui achètent du gaz de réseau à TransCanada puis le distribuent à des utilisateurs industriels, commerciaux et résidentiels en Ontario. L'objectif de ces réseaux de distribution de gaz a été mis en opposition à celui du réseau de TCPL qui, a-t-on fait valoir, consiste à transporter du gaz naturel des provinces productrices de l'Ouest jusqu'à l'Est du Canada. On a fait valoir que le fait pour CCPI d'acheter son gaz en Alberta et, au contraire des distributeurs provinciaux de gaz, de ne pas compter sur le gaz de réseau, n'était pas pertinent en ce qui concerne la détermination du caractère des installations de CCPI.
Les parties qui ont avancé l'argument en faveur de la compé- tence fédérale ont laissé entendre que le véritable objectif des installations de CCPI consiste à compléter le transport inter-
provincial direct et continu de gaz naturel, acheté par CCPI en Alberta, jusqu'au terminal proposé du gazoduc de CCPI à Welland, en Ontario.
On a soutenu que la canalisation de CCPI était essentielle pour concrétiser cet objectif et que les réseaux pipeliniers de TCPL et de CCPI formeraient un ensemble unique, indivisible et nécessairement caractérisé par la collaboration, pour l'ache- minement direct et continu du gaz naturel de l'Alberta jusqu'à l'usine de Cyanamid.
Pour examiner quel objectif global les installations proposées serviraient, il faut se reporter à trois affaires importantes: l'affaire Luscar Collieries, l'affaire Capital Cities et l'affaire Dionne. Les faits de ces trois affaires ont été exposés au chapitre 4 et il est inutile de les énoncer ici à nouveau. De l'avis de l'Office, ces affaires sont importantes parce qu'elles ressem- blent étroitement aux faits dont l'Office est saisi en l'espèce.
Les parties d'après qui les installations de CCPI seraient une entreprise ou un ouvrage «local» ont beaucoup insisté sur le fait que ces installations seraient exploitées par CCPI et non par TCPL, exploitant d'une entreprise interprovinciale existante. Ces parties ont soutenu que dans l'affaire Luscar, conformé- ment à l'affaire dont est maintenant saisi l'Office, la ligne en question était, conformément à certaines ententes, exploitée par le CN, qui exploitait aussi un réseau ferroviaire qui s'étendait de la Colombie-Britannique jusqu'au reste du Canada.
De l'avis de l'Office, le simple fait que la ligne de Luscar fût exploitée par le CN n'est pas important en soi. Ce qui importe c'est que, du fait d'une telle exploitation, la ligne de Luscar fut devenue un «maillon d'une chaîne» en amont, laquelle chaîne permettait au trafic de traverser ces parties du Canada qui étaient desservies par le réseau du CN. La ligne de Luscar était essentiellement un ouvrage qui avait pour objectif, entre autres, de faciliter la circulation des marchandises entre les provinces. En l'espèce, les ententes opérationnelles communes, comme celle qui existe entre TCPL et CCPI, ne sont pas nécessaires pour permettre l'acheminement des marchandises par le réseau de TCPL jusqu'au consommateur ultime, en passant par le réseau de CCPI. TCPL est tenue, en vertu d'ordonnances délivrées par l'Office, conformément au paragraphe 59(2) de la Loi sur l'ONE, de transporter et de livrer du gaz offert par CCPI au moyen du réseau de TCPL jusqu'au point de raccor- dement avec la canalisation proposée de CCPI. Il est clair, par conséquent, que même sans l'activité commune qui existe entre CCPI et TCPL, la canalisation de CCPI est, comme l'était la ligne de Luscar, un «maillon de la chaîne», bien qu'il s'agisse d'un maillon en aval, laquelle chaîne facilite le transport inter- provincial direct et continu de gaz, de son point d'origine en Alberta jusqu'à t'usine Welland.
Les arrêts Capital Cities et Dionne se fondaient également sur l'analogie du «maillon de la chaîne». Ces affaires impli- quaient la distribution par câble de signaux transmis dans les airs; ces signaux provenaient de l'extérieur de la province mais étaient captés dans la province puis distribués à un utilisateur ultime. Dans ces deux affaires, la Cour suprême du Canada a souligné le fait que la Cour ne décidait pas quel palier de gouvernement avait compétence sur les «émissions locales». La distinction entre «émissions locales» et émissions de l'extérieur, c'est que les émissions locales ne sont pas captées par la tête de ligne comme les signaux radiodiffusés. En ce qui concerne les «émissions locales», le réseau de câblodistribution ne peut être
qualifié de «conduit pour les signaux provenant d'une émission télévisée» et ne constitue pas un «maillon de la chaîne» de transmission qui existe entre l'émetteur et l'utilisateur ultime, comme c'est le cas avec les signaux provenant de l'extérieur ...
Malgré la reconnaissance des caractéristiques «locales», la Cour suprême a refusé, aussi bien dans l'affaire Capital Cities que dans l'affaire Dionne, de séparer la composante câble des composantes d'émission et de réception du réseau de radiodiffu- sion ...
Pour en arriver à sa décision dans l'affaire Capital Cities, la Cour suprême s'est appuyée, entre autres, sur la décision rendue dans l'affaire Winner. D'après le renvoi à l'affaire Winner, l'Office croit comprendre que la Cour suprême a établi des parallèles entre le critère qui devrait être utilisé pour les affaires associées aux transports et celui qui devrait l'être dans les affaires associées aux communications, lorsque de telles affaires impliquent la détermination du caractère conformé- ment à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle, 1867.
L'Office reconnaît qu'il n'est pas lié par les arrêts Luscar, Capital Cities et Dionne, cependant, étant donné la similitude qui existe entre les faits dont il est saisi en l'espèce et les faits dont avait été saisie la Cour dans les affaires Luscar, Capital Cities et Dionne, l'Office est d'avis qu'il doit se laisser guider par le raisonnement établi dans ces trois décisions ...
Bien que les installations de CCPI doivent être implantées entièrement en Ontario, l'Office ne peut que conclure que ces installations constitueront en fait un «maillon d'une chaîne», en aval, et que cette chaîne facilitera le transport interprovincial de gaz de l'Alberta jusqu'à l'usine Welland. Le fait que les installations de Consumers' aient actuellement le même objectif que les installations proposées par le demandeur n'a, de l'avis de l'Office, aucun rapport avec le fait de déterminer le carac- tère des installations proposées.
5.3.6 Conclusion
L'Office conclut que les installations proposées relèvent de la compétence législative du Parlement conformément au para- graphe 91(29) et à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle, 1867. En tirant cette conclusion, l'Office fait observer que bien qu'aucun des facteurs susmentionnés permettant de déterminer le caractère de l'entreprise ne suffise à lui seul à établir que les installations de CCPI sont de compétence fédérale, leur effet combiné convainc l'Office que la compétence en jeu est bien celle du Parlement.
Finalement, l'Office a décidé que sa compétence non constitutionnelle était tributaire de la décision qu'elle avait déjà prise relativement à la question constitutionnelle (motifs de décision, ibid., aux pages 21 et 22):
5.5. Compétence de l'Office
L'Office juge que les installations proposées de CCPI consti tuent un pipe-line au sens de l'article 2 de la Loi sur l'ONE et relèvent donc de la compétence de l'Office. L'article 2 de la Loi sur l'ONE définit le terme «pipe-line» comme étant:
«une canalisation pour la transmission de gaz ou du pétrole, reliant une province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites d'une province ou d'un endroit au large des côtes, selon la définition donnée à cette expres-
sion à l'article 87, et comprend tous les branchements, exten sions, citernes, réservoirs, installations d'emmagasinage, pompes, rampes de chargement, compresseurs, moyens de chargement, systèmes de communication entre stations par téléphone, télégraphe ou radio, ainsi que les biens immeubles ou meubles et les ouvrages connexes;»
La définition du terme pipeline va dans le même sens que le libellé de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle, 1867. L'Office juge que les installations proposées de CCPI font partie intégrante d'une entreprise interprovinciale reliant une province à une autre ou à d'autres provinces et que l'exception énoncée au même alinéa s'applique à elles. Il en résulte donc que les installations constituent aussi un pipe-line au sens de l'article 2 de la Loi sur PONE.
IV
L'avocat de Union Gas Limited a soutenu qu'en réglant le litige en l'espèce, il fallait tenir pour acquis que le conduit de dérivation en l'espèce ne constitue pas un pipeline au sens de l'article 2 de la Loi puisque celle-ci ne vise que les ouvrages inter- provinciaux et que ce pipeline, à supposer qu'il relève de la compétence fédérale, ne pourrait être qu'une entreprise interprovinciale et ne pourrait constituer un ouvrage. Il n'y aurait en conséquence aucune question constitutionnelle à trancher.
J'estime que cette manière d'aborder le problè- me constitue tout au mieux un escamotage mala droit de celui-ci. En effet, l'une des questions mêmes à trancher consiste à savoir si le pipeline de dérivation en cause peut, sur le plan constitution- nel, être classé comme un ouvrage interprovincial. Qui plus est, il ne ressort certainement pas de toute évidence de la définition de l'article 2 qu'elle com- prend uniquement les ouvrages et non les entrepri- ses. De plus, seule la question constitutionnelle a après tout été soumise à cette Cour. L'Office, s'il interprétait sa Loi incorrectement, commettrait une erreur de droit pouvant être assujettie à l'exa- men de cette Cour dans une autre instance. Je ne considère toutefois pas qu'il soit nécessaire de trancher cette question hypothétique pour régler le litige actuellement soumis à la Cour.
Je procéderai donc à l'examen de la question principale, examen qu'il convient selon moi d'enta- mer par une analyse de l'analogie entre les circons- tances de l'espèce et celles de la télévision par câble, sur laquelle l'Office a beaucoup insisté. Les arrêts Capital Cities et Dionne de la Cour suprême du Canada, cités plus haut, concernaient la distri-
bution par câble de signaux transmis dans les airs, qui provenaient de l'extérieur de la province mais étaient captés dans la province puis distribués à un utilisateur ultime. L'Office a considéré qu'il exis- tait une analogie très étroite entre l'objet des câbles de transmission visés dans ces affaires et les installations projetées CCPI. Selon ses termes mêmes (ibid., à la page 20):
Le réseau de câblodistribution et le gazoduc de CCPI dépen- dent de l'approvisionnement en un produit provenant de l'exté- rieur de la province. Cependant, aucun des deux réseaux de distribution n'est nécessaire pour la réception, par les utilisa- teurs ultimes, de ce produit. Les signaux radiodiffusés peuvent être directement captés par une antenne. De la même façon, le gaz transporté par TCPL jusqu'à la station de Black Horse peut être livré à l'usine de Welland au moyen d'un réseau pipelinier existant. De même, dans les deux cas, les consomma- teurs du produit sont tous situés dans une seule province; le réseau de câblodistribution et le gazoduc proposé de CCPI sont de caractère local.
La comparaison établie par l'Office est superfi- ciellement exacte. Elle devrait cependant mettre en parallèle la transmission par pipeline et la trans mission par radiodiffusion plutôt que la transmis sion par pipeline et la transmission par câble, puisque la Cour suprême a dit clairement, dans l'arrêt Capital Cities, cité plus hast, que la compé- tence fédérale sur cette dernière catégorie de transmission est simplement une conséquence de sa compétence sur la radiodiffusion. Le juge en chef Laskin a rejeté la prétention à une compétence provinciale sur la transmission par câble dans les termes suivants, aux pages 159 (R.C.S.); 198 (N.R.); 621 (D.L.R.):
Les arguments avancés ... sont erronés en ce qu'ils s'ap- puient sur la technique de transmission pour justifier un chan- gement de compétence constitutionnelle, alors que l'ensemble de l'entreprise dépend de signaux provenant de l'extérieur de la province que le STAC reçoit et distribue à ses abonnés ... Pour fonctionner, le système doit recevoir des émissions de télévision et il n'est donc rien de plus qu'un conduit qui permet d'achemi- ner les signaux provenant de ces émissions aux abonnés qui, par son intermédiaire, bénéficient de techniques nouvelles.
Il a donc été décidé que la transmission par câble était de compétence fédérale parce que faisant partie d'une entreprise intégrée déjà déclarée de compétence fédérale. Dans le renvoi en l'espèce, aucune partie n'a soutenu que les canalisations court-circuitées (celles des CDL) relevaient de la compétence fédérale.
Si je prends la comparaison plus large entre les systèmes d'acheminement du gaz naturel et les
systèmes de radiodiffusion, je suis davantage frappé par leurs différences que par leurs aspects communs. L'avocat de Consumers' a prétendu avec raison que les ondes radio ne sont pas confi nées dans un espace clos comme le gaz est confiné dans un pipeline lorsqu'elles sont transmises autre- ment que par câble et que, en conséquence, de telles ondes ne sont aucunement touchées par les limites territoriales. Leur réception, également, est pratiquement instantanée. Le professeur Peter W. Hogg, dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, 2e éd., à la page 501, avance les motifs suivants à l'appui de son assertion que la radiodiffusion ne doit pas être attribuée sur une base territoriale:
[TRADUCTION] La radio diffère de tous ces autres moyens de transport ou de communication en ce que tous les radiodiffu- seurs sont tenus d'utiliser le même type d'ondes radio dans le même spectre des fréquences ... La nécessité qu'un espace soit alloué dans le spectre des fréquences de façon à éviter les interférences suggère que le pouvoir de réglementer les radio- diffuseurs interprovinciaux doit s'accompagner du pouvoir de réglementer aussi les radiodiffuseurs intraprovinciaux.
En conséquence, je considère que la radiodiffusion et les pipelines de gaz naturel se prêtent particuliè- rement mal à une analogie.
L'Office, outre les arrêts Capital Cities et Dionne, s'est appuyé sur l'analogie qu'il a établie entre les circonstances de l'espèce et celles des chemins de fer en se fondant sur la décision rendue dans l'affaire Luscar par le Comité judiciaire du Conseil privé, citée plus haut. La ligne de chemin de fer visée dans l'affaire Luscar, bien qu'elle fût construite et possédée par une société intraprovin- ciale, se trouvait exploitée pour le compte de cel- le-ci par la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada. Le Comité judiciaire a dit, aux pages 932 et 933:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries souscrivent à l'opinion du juge Duff que le chemin de fer Mountain Park et l'embranche- ment Luscar font, dans les circonstances susmentionnées, partie d'un réseau de chemin de fer continu, qu'ils sont exploités ensemble par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et qu'ils relient la province de l'Alberta aux autres provinces du Canada. Il est impossible, à leur avis, de dire d'une section quelconque de ce réseau qui ne s'étend pas jusqu'à la frontière de la province, qu'elle ne relie pas cette province à une autre. Si elle est reliée à une ligne qui est elle-même reliée à une ligne dans une autre province, alors elle constitue un maillon de la chaîne, et on peut dire à bon droit qu'elle relie la province dans laquelle elle est située avec d'autres provinces.
Dans la présente affaire, considérant le mode d'exploitation du chemin de fer, leurs Seigneuries sont d'avis qu'il s'agit en
fait d'un chemin de fer reliant la province de l'Alberta avec d'autres provinces et, par conséquent, visé par l'alinéa 92(10)a) de l'Acte de 1867. Il existe une liaison continue par chemin de fer entre ce point de l'embranchement Luscar qui est le plus éloigné du point de raccordement avec l'embranchement Moun tain Park et les régions du Canada situées à l'extérieur de la province d'Alberta. Si, en vertu des accords susmentionnés, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada devait cesser d'exploiter l'embranchement Luscar, il se peut que, dans cette nouvelle situation, la question de savoir si le chemin de fer n'est plus visé par l'alinéa 92(10)a) doive être décidée, mais cette question ne se pose pas maintenant.
La Cour suprême a interprété l'arrêt Luscar de façon décisive dans l'arrêt British Columbia Elec tric Ry. Co. Ltd. et al. v. Canadian National Ry. Co. et al., [1932] R.C.S. 161, aux pages 169 et 170, dans le cadre du cheminement qui l'a con- duite à décider qu'une ligne de chemin de fer électrique relevait de la compétence provinciale, cette Cour a dit au sujet de l'arrêt Luscar:
[TRADUCTION] Il a été statué que la Commission avait compétence sur les lignes de l'appelante qui étaient construites en vertu de la loi provinciale, parce que la ligne faisait partie d'un réseau de chemins de fer continu exploité en commun par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et reliant une province à une autre.
La décision repose expressément sur la façon dont le chemin de fer était mis en service par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en vertu des traités, et il est signalé que si cette compagnie devait cesser la mise en service de l'embran- chement de l'appelante, alors pourrait devoir être décidée la question de savoir si, dans la nouvelle situation, cet embranche- ment n'est plus visé par l'alinéa 92(10)a). Ainsi la question qui n'a pas été décidée est la question même qui est soulevée dans la présente affaire parce que la ligne Park n'est pas exploitée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et ne l'est pas non plus par l'appelante British Columbia Electric Railway Company, exploitante de Vancouver & Lulu Island Railway pour le compte de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique.
Le simple fait que la ligne Central Park soit physiquement reliée à deux lignes de chemin de fer relevant de la compétence fédérale ne semblerait pas suffire en lui-même à placer la ligne Central Park, ou la partie de celle-ci qui relie les deux lignes fédérales, sous la compétence fédérale.
Pour qu'un pipeline de gaz naturel comme celui en l'espèce se trouve dans une situation analogue à celle décrite ci-haut, il faudrait que TCPL ait conclu une entente semblable lui accordant l'ex- ploitation du pipeline de CCPI. De telles circons- tances seraient très approchantes de celles des installations d'un terminal de pipeline dans l'af- faire Dome Petroleum Ltd. c. Office national de l'énergie (1987), 73 N.R. 135 (C.A.F.), installa tions que cette Cour a déclaré relever de la compé-
tence fédérale. Les circonstances de l'affaire Luscar doivent donc être distinguées de celles de l'espèce.
Je crois qu'il est beaucoup plus valable de tenter de trouver des principes applicables aux circons- tances de l'espèce que de chercher à exercer un choix parmi différentes analogies. Dans un tel contexte, il apparaît immédiatement que, dans la grande majorité des affaires mettant en jeu l'alinéa 92(10)a), les tribunaux ont expressément exigé des parties alléguant l'existence d'une compétence fédérale qu'elles satisfassent au critère que l'ONE a initialement appelé le critère «fondamental, essentiel ou vital de l'entreprise», pour le racourcir par la suite en le qualifiant de critère «essentiel» (plus haut, aux pages 9 et 10). L'Office lui-même a cité les principaux précédents applicables à un tel critère: Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529 (le renvoi des débardeurs); Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada et autre, [1975] 1 R.C.S. 178; Cannet Freight Cartage Ltd. (In re), [1976] 1 C.F. 174; (1976), 11 N.R. 606; (1975), 60 D.L.R. (3d) 473 (C.A.); Compagnie des che- mins de fer nationaux du Canada c. Nor-Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire mini mum, [1979] 1 R.C.S. 754; Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, (#1), [1980] 1 R.C.S. 115; (#2), [1983] 1 R.C.S. 733. Quelque langage qu'ils adoptent, les tribunaux affirment de façon répétée dans ces décisions qu'un ouvrage ou une entreprise, pour relever de la compétence fédérale selon l'alinéa 92(10)a), doit soit constituer un ouvrage ou une entreprise interprovinciale (la catégorie des ouvra- ges et entreprises principales) ou être attaché à un ouvrage ou une entreprise interprovinciale entrete- nant avec lui ou avec elle un lien nécessaire (la catégorie des ouvrages et entreprises accessoires).
En fait, j'estime que même les arrêts qui n'affir- ment pas appliquer ce critère l'acceptent implicite- ment. Dans l'arrêt Luscar, le lien nécessaire est l'entente sur la mise en service du chemin de fer; tel est l'élément faisant de l'embranchement visé un maillon de la chaîne interprovinciale. Dans les arrêts relatifs à la télévision par câble, ce lien nécessaire tient à l'indivisibilité du moyen de com-
munication et du message qu'il transmet. Comme le dit le juge en chef Laskin dans l'arrêt Capital Cities, cité plus haut, aux pages 162 (R.C.S.); 200 (N.R.); 623 (D.L.R.):
La réglementation du contenu des émissions est inséparable de la réglementation de l'entreprise qui les reçoit et transmet, comme partie intégrante d'une opération globale.
La seule décision qui semble s'opposer à l'appli- cation du critère du lien nécessaire est l'arrêt Winner, cité plus haut. Dans cette affaire, un système interprovincial (en fait, international) de transport par autocars établi entre Boston et Glace Bay en plus de véhiculer des passagers extrapro- vinciaux, assurait aussi le transport de personnes prises en charge et déposées au Nouveau-Bruns- wick. En confirmant que l'entreprise dans son entier relevait de la compétence fédérale, le Comité judiciaire du Conseil privé a dit à la page 581:
[TRADUCTION] La question n'est pas de savoir de laquelle de ses parties on peut dépouiller l'entreprise sans affecter l'ensem- ble de ses activités; c'est au contraire de savoir quelle est la nature de l'entreprise que l'on exploite. Y a-t-il une seule entreprise, et une partie de cette entreprise de l'intimé consiste- t-elle à transporter des voyageurs entre deux points qui se trouvent tous deux dans les limites de la province, ou y a-t-il deux entreprises?
Comme le Conseil privé a conclu au sujet de l'entreprise menée dans l'affaire Winner qu'elle appartenait à la catégorie des entreprises principa- les à caractère interprovincial, c'est-à-dire qu'elle constituait une unique entreprise menée par un seul entrepreneur, la question d'un lien ne s'est pas posée et le Conseil a statué que la Cour suprême du Canada avait commis une erreur en tentant de détacher l'accessoire de l'essentiel.
Le Conseil privé a toutefois bien pris soin de limiter sa conclusion aux faits précis de cette espèce, allant jusqu'à dire, à la page 583:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries n'expriment aucune opinion sur le point de savoir si Winner pourrait lancer un service d'autobus purement provincial, sous l'égide de son entreprise actuelle et dans le cadre de celle-ci. Toutefois, cette question ne se pose pas et elle n'a pas été soulevée.
Dans une telle hypothèse, il semblerait que la question d'un lien occuperait le premier plan malgré qu'une seule entreprise serait en cause. La situation du transporteur dont l'activité est exercée essentiellement dans les limites d'une province, qui est encore plus éloignée des faits de l'affaire
Winner, a été envisagée plus négativement par le Comité judiciaire qui, à la page 582, laisse présu- mer que, dans de telles circonstances, la possibilité d'établir un lien serait encore moindre:
[TRADUCTION] [I]l ne faut pas penser que leurs Seigneuries veulent, en arrivant à la présente conclusion, accorder un appui quelconque à la proposition selon laquelle un transporteur dont l'activité est d'une nature essentiellement interne peut se placer en dehors de la compétence provinciale en plaçant le point de départ de son activité à quelques milles au-delà de la frontière. Un tel subterfuge ne servirait à rien. La question est de savoir si réellement et en fait il existe une activité interne qui se prolonge au-delà de la frontière dans le seul but de permettre au propriétaire d'échapper à la compétence provinciale ou si le caractère véritable de l'entreprise est interprovincial.
Dans le renvoi en l'espèce, l'ONÉ a suggéré que l'arrêt Winner ainsi que d'autres arrêts avaient établi un critère appelé «l'objectif/la nature de l'entreprise», critère selon lequel la compétence devait être attribuée suivant l'objet global de l'en- treprise concernée. L'arrêt type concluant à l'exis- tence d'une compétence fédérale par l'application de ce critère concerne toutefois une affaire dans laquelle une unique entreprise commerciale est visée: Toronto Corporation v. Bell Telephone Company of Canada, [1905] A.C. 52 (P.C.).
En fait, pour pouvoir établir une analogie con- vaincante entre le renvoi actuel et l'arrêt Winner, il faudrait que TCPL ait déposé une demande visant la construction et l'exploitation du pipeline de dérivation pour son propre compte. En l'absence d'une telle situation, j'estime que le pipeline de dérivation doit satisfaire au critère du lien néces- saire pour que la compétence fédérale se trouve établie suivant l'alinéa 92(10)a).
V
L'avocat de CCPI a voulu mettre toutes les chan ces de son côté en soutenant subsidiairement que le pipeline de dérivation constituait une entreprise et/ou un ouvrage interprovincial de TCPL ou une entreprise et/ou un ouvrage interprovincial de CCPI.
Dans l'arrêt Montreal City v. Montreal Street Railway Company, [1912] A.C. 333 (P.C.), à la page 342, il a été déclaré que les ouvrages consti- tuaient [TRADUCTION] «des choses matérielles et non des services». D'autre part, dans In re Regula tion and Control of Radio Communication in Canada, [1932] A.C. 304 (P.C.), à la page 315,
l'entreprise a été définie comme n'étant [TRADUC- TION] «pas une chose matérielle, mais ... une organisation dans laquelle, cela va de soi, on utilise des choses matérielles,,. En tant qu'ouvrage, le pipeline proposé existe seulement dans les limites de la province d'Ontario et, ainsi qu'il a été établi dans l'arrêt B.C. Electric Railway, cité plus haut, le seul lien physique entre l'ouvrage reconnu comme interprovincial de TCPL et cet ouvrage-ci ne suffit pas à lui seul à fonder une compétence fédérale. J'estime donc que ce pipeline ne peut être visé par l'alinéa 92(10)a) en sa seule qualité d'ou- vrage et ne peut ressortir à la compétence prévue à cette disposition qu'en tant qu'entreprise.
L'ONÉ a conclu dans un premier temps que le pipeline de dérivation en cause ne faisait pas partie d'une entreprise interprovinciale de CCPI, pour conclure dans un deuxième temps que celui-ci faisait partie intégrante de l'entreprise de TCPL. Il sera nécessaire d'examiner ces possibilités tour à tour.
Il a été dit que l'entreprise interprovinciale de CCPI consistait à acheter du gaz naturel en Alberta, à transporter ce gaz à travers le Canada en utilisant les installations de Nova (en Alberta) et de TCPL en plus de ses propres installations, et de vendre le gaz acheminé à Cyanamid à l'usine de Welland. En fait, actuellement CCPI n'effectue aucun achat de gaz en Alberta et ne vend pas de gaz en Ontario, mais étant donné que Cyanamid aurait présumément cédé les contrats albertains à sa filiale au moment de l'achèvement du pipeline, je suis prêt à juger le présent renvoi en tenant cette dernière possibilité pour avérée. Toutefois, pour paraphraser le juge Jerome Frank, une telle hypo- thèse me fait l'impression d'un petit bout de queue agitant un énorme chien. La situation serait diffé- rente si l'acheminement envisagé avait lieu dans les deux sens—comme, par exemple, dans le trans port de passagers ou la radiodiffusion—de façon que même le plus petit élément de l'entreprise concernée puisse être considéré comme nécessaire à l'ensemble.
De plus, dans l'arrêt Cannet, cité plus haut, la société concernée faisait affaire dans le trans port de marchandises, le juge en chef Jackett a conclu au nom de cette Cour, aux pages 178 (C.F.); 611 (N.R.); 475 (D.L.R.):
A mon sens, la seule entreprise interprovinciale impliquée en l'espèce est le chemin de fer interprovincial du Canadien Natio nal. Indubitablement, l'expéditeur utilisant le chemin de fer pour le transport de marchandises d'une province à une autre ne devient pas, de ce fait, l'exploitant d'une entreprise interprovinciale.
L'entreprise interprovinciale en l'espèce peut tout aussi bien être attribuée à TCPL. Un tribunal de la Cour divisionnaire de l'Ontario a récemment tiré une conclusion de ce genre dans l'affaire Re The Queen and Cottrell Forwarding Co. Ltd. (1981), 33 O.R. (2d) 486; 124 D.L.R. (3d) 674, la société mère de la société visée dans l'affaire Cannet, qui exerçait également des activités d'as- semblage, de regroupement et d'expédition du fret, a été déclarée relever de la compétence provinciale. Le juge Steel a dit au nom de la Cour, aux pages 492 (O.R.); 679 et 680 (D.L.R.):
[TRADUCTION] L'expédition constitue simplement une partie d'un contrat global, et une personne n'ayant le contrôle d'aucun bien matériel pour les fins de l'exploitation d'une entreprise ne peut, par contrat, devenir une personne exerçant une entreprise au sens donné à ce terme à l'alinéa 92(10)a) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (1867). Cottrell n'exerce pas une entreprise mais fournit simplement un service conformé- ment à un contrat.
Même si CCPI pouvait être considérée comme se livrant à une entreprise interprovinciale au sens commercial général, il ne s'agirait pas d'une entre- prise interprovinciale relevant du transport ou des communications conformément aux exigences posées par l'alinéa 92(10)a) pour qu'il y ait com- pétence fédérale. Le professeur Hogg, dans l'ou- vrage cité plus haut, à la page 486, observe que cette disposition n'a jamais été déclarée applicable à un ouvrage ou à une entreprise ne relevant pas du transport ou des communications, et il soutient que le membre de phrase «autres ouvrages et entre- prises» devrait être interprété comme désignant des ouvrages et entreprises de même nature (ejusdem generis) que les exemples qui le précèdent, exem- ples qui tous visent des moyens de transport ou de communication. Je souscris à cette interprétation ainsi qu'à la conclusion prise par l'ONE sur ce point. Telle était également l'opinion de la Cour divisionnaire de l'Ontario concernant l'exposé de cause de l'ONE (voir le document cité plus haut, aux pages 8 et 9).
En ce qui a trait à la question de savoir si le pipeline proposé fait partie intégrante de l'entre- prise de TCPL, pour les motifs qui précèdent, il est
impossible d'éviter l'application du critère du lien nécessaire comme l'a fait l'Office. Appliquant ce critère, je ne puis trouver tel lien. Loin d'être vital, essentiel ou nécessaire à TCPL ou de faire partie intégrante de son entreprise, le conduit de dériva- tion proposé est inutile et superflu.
TCPL possède déjà un réseau qui, fonctionnant effectivement, assure le transport du gaz non seu- lement jusqu'à la province d'Ontario mais encore (avec l'aide d'une CDL) à l'usine de Welland de Cyanamid. TCPL n'a besoin de rien de plus. S'il peut être économiquement profitable pour l'utilisa- teur ultime d'avoir son propre pipeline, celui-ci ne représente aucun avantage pour TCPL, et encore moins lui est-il nécessaire.
Le court pipeline proposé (il s'étendrait sur 6,2 kilomètres) a davantage le caractère d'un embran- chement individuel que d'une entreprise interpro- vinciale. Ce pipeline, qui relierait un utilisateur ultime à la canalisation principale, serait construit pour l'usage propre de cet utilisateur. Il n'est pas plus nécessaire à TCPL dans l'exercice de son rôle de transporteur interprovincial que ne le serait tout autre embranchement reliant un utilisateur ultime à sa canalisation d'approvisionnement.
Il a été soutenu que les relations commerciales que CCPI proposait de nouer avec les producteurs albertains pouvaient être considérés comme accroissant le lien entre CCPI et l'entreprise inter- provinciale de TCPL. Cependant, en supposant que ces deux aspects de l'activité de CCPI (l'achat et le transport) puissent être considérés comme s'intégrant dans une unique entreprise, TCPL devrait elle-même être considérée comme ayant deux aspects distincts: la vente de son propre gaz de réseau (elle vend actuellement ce gaz aux CDL) d'une part, et le transport de gaz ne lui apparte- nant pas d'autre part. Dans cette perspective élar- gie, les activités projetées par CCPI peuvent seule- ment apparaître encore moins nécessaires au bon fonctionnement de TCPL.
Toute prétention allant au-delà de celles qui s'appuient sur le caractère interprovincial de l'en- treprise de TCPL, comme par exemple la préten- tion fondée sur des exigences que dicterait l'intérêt national, devrait procéder de la compétence sur les échanges et le commerce ou du pouvoir général de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouver-
nement, et les tenants de la compétence fédérale se sont expressément abstenus de présenter de tels arguments dans le cadre du présent renvoi.
Il demeure évidemment loisible au Parlement fédéral d'acquérir la compétence sur tout pipeline en déclarant que celui-ci constitue un ouvrage à l'avantage général du Canada conformément à l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais cette autorité n'a pas choisi d'exercer ce pouvoir concernant l'ouvrage en l'espèce.
VI
Je répondrais donc à la question renvoyée devant cette Cour de la manière suivante:
Les installations pipelinières dont la construction et l'exploi- tation sont projetées par Cyanamid Pipeline Inc. ne ressortis- sent pas à la compétence de l'Office national de l'énergie parce qu'elles ne relèvent pas de l'autorité législative conférée au Parlement du Canada en vertu du paragraphe 91(27) ainsi que de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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