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T-1818-87
Procureur général du Canada, pour le compte du ministre de l'Emploi et de l'Immigration (requé- rant)
c.
Jonas Kwane Oti Nkrumah (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. NKRUMAH
Division de première instance, juge Teitelbaum— Montréal, 21 septembre; Ottawa, 8 octobre 1987.
Immigration Expulsion Délivrance d'une ordonnance d'expulsion La Commission d'appel de l'immigration ordonne au ministre de ne pas expulser l'intimé avant qu'il ne soit statué sur la requête visant à obtenir une nouvelle audition de la demande de réexamen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention La compétence de la Commission est limitée aux pouvoirs qui lui ont été attribués par la loi constitutive Aucune compétence implicite ou inhérente La compétence permanente de la Commission pour autoriser la réouverture d'une enquête dans des circons- tances très particulières ne s'étend pas au pouvoir de surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion Demande en vue d'annuler l'ordonnance de la Commission accueillie.
Le requérant sollicite une ordonnance de la nature d'un certiorari visant à annuler la décision de la Commission d'appel de l'immigration ordonnant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de surseoir à l'ordonnance d'expulsion de l'intimé jusqu'à ce que ladite Commission ait statué sur la requête visant à obtenir une nouvelle audition de la demande de réexa- men de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Il s'agit de déterminer si la Commission a compé- tence pour rendre une ordonnance de surseoir à l'ordonnance d'expulsion.
Jugement: la demande est accueillie.
La Commission d'appel de l'immigration n'a aucune compé- tence inhérente ou implicite. Elle n'a que les pouvoirs qui lui ont été spécifiquement attribués par la loi constitutive, savoir la Loi sur l'immigration de 1976.
La Commission a compétence pour rouvrir l'audition d'un appel interjeté conformément aux articles 72 et 73 et d'une demande de réexamen présentée conformément à l'article 70. Il en est ainsi non pas en raison d'une compétence inhérente mais plutôt d'une compétence permanente pour autoriser la réouver- ture d'une enquête dans des circonstances très particulières. Il ne s'ensuit toutefois pas que, parce que la Commission peut être autorisée à réviser ses décisions dans certains cas particuliers, elle a le pouvoir d'ordonner la suspension d'une ordonnance d'expulsion valide lorsqu'il s'agit du réexamen d'une revendica- tion du statut de réfugié. La Loi accorde au ministre le pouvoir de rendre une ordonnance d'expulsion. La Commission peut seulement surseoir à l'exécution d'une telle ordonnance en vertu de l'alinéa 75(1)c) lorsqu'il y a un appel devant elle fondé sur les alinéas 72(1)b) ou 72(2)d).
Le paragraphe 65(2) de la Loi n'attribue pas à la Commis sion la compétence pour rendre une ordonnance provisoire pour
empêcher l'expulsion de l'intimé. Cette disposition n'accorde à la Commission que les pouvoirs dans les domaines qui y sont mentionnés. En l'espèce, la Commission n'a qu'à décider si elle autorisera ou non la réouverture de l'enquête. Elle ne peut pas présumer qu'elle a compétence pour empêcher l'exécution de l'ordonnance d'expulsion.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(2)d), 20(1), 45(1), 59 (mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 1), 65(2), 70(1), 72(1)b) (mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 81), (2)d), 73, 75(1)c).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1972] R.C.S. 577; Société Radio-Canada et autre c. Commission de police du Québec, [ 1979] 2 R.C.S. 618; Tremblay c. Séguin, [1980] C.A. 15; Flores-Medina c. Commission d'appel de l'Immigration (1986), 1 Imm. L.R. (2d) 293 (C.F. 1"° inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Areti Tsantili (Iliopoulos) (1968), 6 A.I.A. 95 (C.A.I.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gill c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1987] 2 C.F. 425 (C.A.); Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.); Banque Nationale du Canada c. Granda (1985), 60 N.R. 201 (C.A.F.).
AVOCATS:
J. Levasseur, pour le requérant. M.-J. Beaudry, pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Flynn, Rivard & Associés, Montréal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE TEITELBAUM: Le requérant en l'es- pèce, le procureur général du Canada, présente une demande «afin d'obtenir une ordonnance accordant l'émission d'un bref de certiorari annu- lant la décision de la Commission d'appel de l'im-
migration, datée du 19 août 1987, au motif que ladite décision est erronée, mal fondée et entachée d'une erreur de droit en ce que la Commission d'appel de l'immigration n'a pas le pouvoir d'or- donner le sursis de l'exécution de l'ordonnance de renvoi».
À cette requête sont joints l'affidavit de Harry Langston, un employé de la section des appels d'Emploi et Immigration et la pièce A, qui est une décision rendue par la Commission d'appel de l'immigration en date du 18 août 1987.
L'intimé a déposé un affidavit en guise de répli- que en date du 17 septembre 1987.
Les faits ne semblent pas contestés. L'intimé est arrivé au Canada le 30 juin 1986. Dans un rapport présenté en vertu du paragraphe 20(1) (de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52]), il est allégué que l'intimé a contrevenu à l'alinéa 19(2)d) de ladite Loi.
Le paragraphe 20(1) de la Loi prévoit:
20. (1) L'agent d'immigration qui, après examen d'une per- sonne, estime que lui accorder l'admission ou la permission d'entrer au Canada irait ou pourrait aller à l'encontre de la présente loi ou des règlements, peut mettre ou, par ordonnance, faire mettre ladite personne en détention et doit
a) sous réserve du paragraphe (2), signaler dans un rapport écrit, cette personne à un agent d'immigration supérieur; ou
b) autoriser ladite personne à quitter le Canada immédiate- ment.
L'alinéa 19(2)d) de la Loi énonce:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
d) ne remplissent pas les conditions prévues à la présente loi ou aux règlements ainsi qu'aux instructions et directives établis sous leur empire.
En conformité avec le rapport prévu au paragra- phe 20(1), une enquête sur le statut de l'intimé a débuté le 21 juillet 1986, et elle a ensuite été ajournée lorsque l'intimé a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention (paragraphe 45(1) de la Loi).
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi- cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un
agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
Le 16 septembre 1986, l'intimé a été interrogé sous serment comme l'exige le paragraphe 45(1) de la Loi. Le 15 janvier 1987, il recevait la déci- sion du ministre de l'Emploi et de l'Immigration disant qu'il n'était pas considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Vu cette décision défavo- rable, l'intimé a déposé devant la Commission d'appel de l'immigration (CAI), en date du 21 janvier 1987, une demande de réexamen de son statut de réfugié, conformément au paragraphe 70(1) de la Loi.
Vers le 18 mars 1987, l'intimé a reçu de la CAI un avis l'informant que l'audition de sa demande de réexamen était fixée au 21 avril 1987 au Com- plexe Guy-Favreau, à Montréal (Québec).
L'intimé soutient qu'après avoir reçu l'avis de la CAI le 18 mars 1987, il a appelé son «ancien» avocat pour l'informer de la date de l'audience. Ce dernier lui a dit qu'il demanderait à la CAI une remise de l'audience, étant donné la possibilité d'une révision administrative (paragraphe 5 de l'affidavit de l'intimé). L'avis d'audience a été donné au bureau de l'«ancien» avocat de l'intimé le 19 mars 1987. Le 16 avril 1987, l'intimé a été informé par son «ancien» avocat que la cause serait entendue en juin, en juin 1987 je présume (para- graphe 7 de l'affidavit de l'intimé). Comme l'in- timé avait été prévenu que sa cause avait été ajournée et qu'une nouvelle date d'audience avait été fixée (juin), il ne s'est pas présenté devant la CAI le 21 avril 1987.
Je suis convaincu que toute personne raisonna- ble devrait pouvoir se fier dans les circonstances aux dires de son avocat et qu'il était dès lors normal que l'intimé ne se présente pas devant la CAI le 21 avril 1987. L'intimé pouvait légitime- ment croire que son avocat veillerait à ce que l'audience soit reportée. À sa grande surprise, il a reçu de la CAI une lettre en date du 24 avril 1987 disant que sa demande avait été entendue le 21 avril 1987 et que la CAI avait décidé qu'il n'était pas considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Cette décision a été rendue le 21 avril
1987, date originalement fixée pour l'audience et que l'intimé croyait avoir été reportée (paragraphe 10 de l'affidavit de Langston; paragraphe 9 de l'affidavit de l'intimé).
Du 24 avril au 15 mai 1987, l'intimé a vaine- ment tenté de rencontrer son «ancien» avocat. Le 15 mai 1987, ce dernier lui a dit qu'il allait vérifier son registre des remises pour comprendre ce qui s'était passé. Le 27 mai 1987, l'intimé a été informé par téléphone, par un représentant du ministère de l'Immigration que l'enquête qui avait débuté le 21 juillet 1986 reprendrait. De fait, celle-ci s'est poursuivie le 4 juin 1987 pour être immédiatement interrompue, étant donné l'ab- sence du nouvel avocat de l'intimé. Elle a été reportée au 2 juillet 1987, date qui convenait au nouvel avocat de l'intimé.
Il semble que l'«ancien» avocat de l'intimé n'ait pu fournir à ce dernier [TRADUCTION] «une quel- conque réponse valable» expliquant pourquoi l'au- dience du 21 avril 1987 n'avait pas été reportée et le 1" juin 1987, un membre de l'étude de l'«ancien» avocat de l'intimé lui a fait part que son dossier avait été confié à un autre avocat (l'avocat actuel de l'intimé).
Le 30 juin 1987, l'intimé a déposé devant la Commission d'appel de l'immigration, une [TRA- DUCTION] «requête pour réexamen» de son dossier. Il demande une nouvelle audience devant porter sur une «requête pour demander une nouvelle audi tion pour le réexamen de la demande du requé- rant» (paragraphe 13 de l'affidavit de Langston, paragraphe 18 de l'affidavit de l'intimé). Le 2 juillet 1987, l'enquête a de nouveau été ajournée mais cette fois péremptoirement jusqu'au 14 juillet 1987. Alors que l'enquête était ainsi reportée, l'in- timé a déposé devant la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, en date du 9 juillet 1987, une «requête pour suspendre la reprise de l'enquête et pour abréger le délai de présentation».
L'audition de la requête a eu lieu le 13 juillet 1987 devant le juge Pinard qui, après avoir entendu les parties, a refusé d'accorder un bref de prohibition. L'enquête de l'intimé s'est donc pour- suivie et elle a abouti à une ordonnance d'expulsion.
Peu après la délivrance de l'ordonnance d'expul- sion, l'intimé a reçu une lettre l'enjoignant de se présenter à l'aéroport de Mirabel le 21 août 1987 afin de quitter le Canada.
Le 15 juillet 1987, l'intimé a déposé une requête en prorogation du délai pour présenter une requête fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], en vue de faire annuler la décision rendue en date du 21 avril 1987 par la Commission d'appel de l'im- migration. À ma connaissance, cette requête en prorogation de délai n'a pas encore été entendue par la Cour d'appel fédérale.
La CAI a entendu, en date du 18 août 1987, la «requête pour demander une nouvelle audition pour le réexamen de la demande du requérant» déposée par l'intimé le 30 juin 1987 et a rendu la décision suivante:
[TRADUCTION] Le 18 août 1987.
J.P. Cardinal
Président
D. Angé
Commissaire
E.A. Brown
Commissaire
JONAS KWANE OTI NKRUMAH REQUÉRANT
LE MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION INTIMÉ
Vu la requête déposée le 30 juin 1987 et entendue le 18 août 1987;
LA COMMISSION ORDONNE que ladite requête soit renvoyée au comité initialement saisi de la requête en réexamen et ajournée jusqu'à la date qui sera fixée par le greffier;
ELLE ORDONNE DE PLUS à l'intimé de ne pas expulser le requérant avant qu'il ne soit statué sur ladite requête.
le 19 août 1987
(signé) «G. Palasse» greffier
L'intimé attendait toujours (le 21 septembre 1987) l'audition de sa requête devant le comité initial de la CAI.
En l'espèce, la requête du procureur général du Canada ne vise que l'ordonnance de la Commis sion d'appel de l'immigration «de ne pas expulser le requérant avant qu'il ne soit statué sur ladite requête».
Il s'agit de déterminer si la CAI a compétence pour rendre une ordonnance provisoire interdisant d'expulser un individu frappé d'une ordonnance
d'expulsion jusqu'à ce que ladite Commission ait entendu et tranché la requête visant à obtenir une nouvelle audition de la demande de réexamen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par l'intimé.
Le procureur général du Canada ne prétend pas que la CAI ne peut pas décider de rouvrir l'en- quête à cet égard.
Je suis convaincu que l'ordonnance d'expulsion prononcée par un agent d'immigration supérieur après la fin de l'enquête sur le statut de l'intimé le 14 juillet 1987 est valide. Au paragraphe 22 de son affidavit, l'intimé parle de l'ordonnance délivrée le 14 juillet 1986. Je présume qu'il s'agit d'une erreur de frappe.
Ainsi que je l'ai dit, l'enquête s'est poursuivie le 14 juillet 1987. L'intimé a tenté d'obtenir un bref de prohibition pour faire obstacle à la reprise de l'enquête. Le juge Pinard a refusé de délivrer le bref de prohibition en date du 13 juillet 1987, en ces termes:
Considérant les affidavits et les autres documents au dossier; considérant les arguments présentés par les procureurs des parties; considérant la nature particulière du présent cas; consi- dérant que le requérant a fait défaut d'établir un traitement inéquitable; considérant en outre que le requérant a fait défaut d'établir que quelque droit ou liberté garanti par la Charte en sa faveur a été indûment affecté;
La requête est rejetée, sans frais.
La Commission d'appel de l'immigration (CAI) a été créée par une loi du Parlement du Canada, savoir l'article 59 de la Loi sur l'immigration de 1976 [mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 1].
59. (1) Est instituée la Commission d'appel de l'immigra- tion ayant compétence exclusive, en matière d'appels visés aux articles 72, 73 et 79 et en matière de demande de réexamen visée à l'article 70, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence, relati ves à la confection d'une ordonnance de renvoi ou au rejet d'une demande de droit d'établissement présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille.
(2) La Commission est composée de sept à cinquante com- missaires nommés par le gouverneur en conseil.
(3) Par dérogation aux paragraphes 60(1) et (2) et sous réserve du paragraphe (4), les mandats supérieurs à deux ans sont limités à dix-huit et tout mandat maximal de deux ans n'est renouvelable qu'une fois.
(4) Un commissaire nommé pour un mandat maximal de deux ans peut être nommé pour un ou plusieurs autres mandats supérieurs à deux ans s'il y a moins de dix-huit commissaires ayant des mandats de cette dernière durée.
En l'espèce, l'intimé a présenté une demande conformément à l'article 70 de la Loi, ladite demande a été rejetée et une requête pour rouvrir l'enquête est en instance devant la Commission.
70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission une demande de réexamen de sa revendication.
(2) Toute demande présentée à la Commission en vertu du paragraphe (1) doit être accompagnée d'une copie de l'interro- gatoire sous serment visé au paragraphe 45(1) et contenir ou être accompagnée d'une déclaration sous serment du deman- deur contenant
a) le fondement de la demande;
b) un exposé suffisamment détaillé des faits sur lesquels repose la demande;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et des preuves que le demandeur se propose de fournir à l'audi- tion; et
d) toutes observations que le demandeur estime pertinentes.
Ayant été créée par une loi, la CAI n'a pas de compétence inhérente. Elle n'a que les pouvoirs qui lui ont été spécifiquement attribués par la loi constitutive, savoir la Loi sur l'immigration de 1976.
L'arrêt de la Cour suprême du Canada Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1972] R.C.S. 577 s'applique quoiqu'il ait été rendu sous le régime de l'ancienne loi sur l'immi- gration. Le juge Pigeon déclare à la page 592:
La première question que soulève le pourvoi est de savoir si, après avoir délivré une ordonnance écrite de rejet d'appel et d'expulsion, la Commission avait le pouvoir de reprendre l'audi- tion de l'appel de l'appelant.
A mon avis, il ne faut pas aborder cette question en se fondant sur les principes applicables aux tribunaux qui ont des pouvoirs inhérents. La Commission d'appel de l'immigration n'a qu'une compétence statutaire limitée. Une partie bien défi- nie des pouvoirs administratifs du gouvernement lui a été confiée, mais non pas l'ensemble de ces pouvoirs en matière d'immigration. On ne saurait donc prétendre qu'il devrait y avoir un remède possible quand la loi n'en prévoit aucun de façon explicite. Si telle était la situation, il faudrait conclure que la question reste du domaine du pouvoir discrétionnaire de l'autorité ministérielle compétente. [C'est moi qui souligne.]
Le même principe a été repris dans les causes Société Radio-Canada et autre c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, a la page 639 et Tremblay c. Séguin, [1980] C.A. 15. Ces deux décisions mettaient en cause des commissions de police dans la province de Québec et les pou- voirs de ces tribunaux administratifs.
Dans les affaires Flores-Medina c. Commission d'appel de l'Immigration et Das c. Commission d'appel de l'Immigration (1986), 1 Imm. L.R. (2d) 293 (C.F. 1" inst.), le juge Dubé, en parlant de la Commission d'appel de l'immigration, dit aux pages 295 et 296:
Il faut retenir que la Commission est un organisme statutaire qui ne peut exercer que les compétences spécifiquement déter- minées dans sa loi constitutive. La Commission n'a aucune juridiction pour proroger le délai du dépôt d'une demande de réexamen (Holocek c. Min. de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration, C.A.F., de greffe A-382-75, 9 juin 1975; Ali c. Min. de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 277, 82 D.L.R. (3d) 401, 20 N.R. 337 (C.A.F.); Re Bashir et Commis sion d'appel de l'Immigration, [1982] 1 C.F. 704, 126 D.L.R. (3d) 379 (C.F. 1`e inst.). Même la Charte canadienne des droits et libertés invoquée par le procureur ne saurait avoir pour effet de donner cette compétence à la Commission. [C'est moi qui souligne.]
Même si l'intimé ne prétend pas que la CAI a d'autres pouvoirs que ceux qui lui sont attribués par la loi constitutive, il estime que ladite Commis sion a les pouvoirs d'une cour supérieure en vertu du paragraphe 65(2) de la Loi et qu'elle peut en conséquence rendre une ordonnance provisoire pour empêcher son expulsion.
Le paragraphe 65(2) prévoit:
65....
(2) La Commission a, en ce qui concerne la présence, la prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, la produc tion et l'examen des documents, l'exécution de ses ordonnances, et toute autre question relevant de sa compétence, tous les pouvoirs, droits et privilèges d'une cour supérieure d'archives et peut notamment
a) adresser à toute personne une citation l'enjoignant à comparaître aux date et lieu indiqués pour témoigner sur toutes questions pertinentes à la contestation et dont elle a connaissance, et à apporter et produire tout document, livre ou écrit en sa possession ou sous sa responsabilité et se rapportant à cette contestation;
b) faire prêter serment et interroger toute personne sous serment; et
e) recevoir, au cours d'une audition, toute preuve supplémen- taire qu'elle considère digne de foi et pertinente.
En ce qui concerne le paragraphe 65(2) de la Loi, je suis convaincu qu'il ne s'applique qu'à la procédure devant être suivie par la CAI. Celle-ci a tous les pouvoirs, droits et privilèges qui sont con- férés à une cour supérieure d'archives pour accom- plir ce qui est prévu audit paragraphe, par exemple pour assigner une personne, mais ce paragraphe n'accorde à la CAI aucun autre pouvoir, droit ou privilège dans des domaines qui n'y sont pas mentionnés.
L'intimé cite la cause de Areti Tsantili (Ilio- poulos) (1968), 6 A.I.A. 95 (C.A.I.) à l'appui du principe selon lequel la CAI a compétence de rouvrir une enquête. Il faut d'abord distinguer l'affaire Tsantili de l'espèce car cette cause con- cerne une requête visant à obtenir la réouverture de l'audition d'un appel d'une ordonnance d'expul- sion alors qu'en l'espèce, il s'agit d'une requête en réexamen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Il n'est nullement ques tion d'appel en l'espèce.
Je suis convaincu que la CAI a compétence pour rouvrir l'audition soit d'un appel conformément à l'article 72 ou 73 de la Loi soit d'une question prévue à l'article 70, de ladite Loi. Il en est ainsi non pas en raison d'une compétence inhérente mais plutôt d'une compétence permanente pour autori- ser la réouverture d'une enquête dans des circons- tances très particulières.
Il ne s'ensuit pas que, parce que la CAI peut être autorisée à réviser ses décisions dans certains cas particuliers, elle a le pouvoir d'ordonner la suspension d'une ordonnance d'expulsion valide lorsqu'il s'agit du réexamen d'une revendication du statut de réfugié.
C'est au ministre et non à la CAI que la Loi accorde le pouvoir de rendre une ordonnance d'ex- pulsion. La CAI n'a aucun pouvoir en ce domaine. Elle peut seulement surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion en vertu de l'alinéa 75(1)c) de la Loi lorsqu'il y a un appel devant la Commission fondé sur les alinéas 72(1)b) [mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 81] ou 72(2)d).
75. (1) La Commission statuant sur un appel visé à l'article 72, peut
e) ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance de renvoi en cas d'appel fondé sur les alinéas 72(1)b) ou 72(2)d).
72. (1) Sous réserve du paragraphe (3), toute personne frap- pée d'une ordonnance de renvoi qui est soit un résident perma nent, soit un titulaire de permis de retour valable et délivré conformément aux règlements, peut interjeter appel devant la Commission en invoquant l'un des deux motifs suivants, ou les deux:
b) le fait que, compte tenu des circonstances de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
(2) Toute personne, frappée par une ordonnance de renvoi, qui
d) le fait que, compte tenu de considérations humanitaires ou de compassion, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
L'arrêt Gill c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 2 C.F. 425 (C.A.), ne fait qu'en conclure le principe selon lequel la CAI peut, lorsqu'il s'agit d'une question de justice natu- relle, autoriser la réouverture d'une enquête pour permettre au requérant de se faire entendre. Il ne va pas plus loin. On ne peut pas en déduire que, parce qu'elle possède une compétence permanente dans une affaire après qu'une décision a été rendue, elle peut également ordonner la suspension d'une ordonnance d'expulsion valide, car c'est une question qui ne lui a jamais été soumise.
Le juge MacGuigan écrit à la page 430:
Il est clair que dans de telles circonstances, le pouvoir du tribunal de tenir une nouvelle audition doit être considéré comme implicite. Il nous apparaît donc que la Loi sur l'immi- gration de 1976 doit s'interpréter comme permettant à la Commission de réexaminer ses décisions, à tout le moins lors- qu'elle reconnaît qu'elles ont été rendues sans égard à la justice naturelle.
L'avocat de l'intimé cite l'arrêt dans Commis sion d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.), à l'appui du principe suivant: si la Cour d'appel fédérale est le seul tribunal devant lequel une demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] peut être faite et que, par conséquent, elle a compétence dans certains domaines de façon implicite, c'est-à-dire qu'elle a le pouvoir de sur- seoir à l'exécution des décisions qu'on lui demande de réviser, la CAI peut alors, implicitement, sus- pendre l'exécution d'une ordonnance d'expulsion jusqu'à ce qu'elle tranche de la demande soumise par l'intimé puisqu'elle est le seul organisme pou- vant statuer sur ladite requête.
À la page 27 de son jugement, le juge Stone cite le juge Pratte dans la cause Banque Nationale du Canada c. Granda (1985), 60 N.R. 201 (C.A.F.), à la page 202:
Il ne faudrait pas que l'on déduise de ce que je viens de dire que la Cour d'appel possède, à l'égard des décisions de tribu- naux fédéraux qui font l'objet de demandes d'annulation en vertu de l'article 28, le même pouvoir d'ordonner des sursis d'exécution que la Division de première instance à l'égard des décisions de la Cour.
Les seuls pouvoirs que possède la Cour à l'égard de décisions qui font l'objet de demandes d'annulation en vertu de l'article 28 sont ceux que lui confèrent l'article 28 et l'alinéa 52d) de la Loi sur la Cour fédérale. Il est clair que ces textes n'accordent pas expressément à la Cour le pouvoir de suspendre l'exécution des décisions qu'on lui demande de réviser. On peut prétendre, cependant, que le Parlement a conféré ce pouvoir à la Cour de façon implicite dans la mesure l'existence et l'exercice de ce pouvoir sont nécessaires pour que la Cour puisse pleinement exercer la compétence que l'article 28 lui confère de façon expresse. Telle est, à mon sens, la seule source possible de pouvoir qu'aurait la Cour d'appel d'ordonner que l'on sursoie à l'exécution d'une décision faisant l'objet d'un pourvoi en vertu de l'article 28. Il s'ensuit logiquement que si la Cour peut ordonner que l'on sursoie à l'exécution de pareilles décisions, elle ne peut le faire que dans les rares cas l'exercice de ce pouvoir est nécessaire pour lui permettre d'exercer la compé- tence que lui confère l'article 28.
En toute déférence, je ne peux admettre que la CAI a compétence, de façon implicite, pour sur- seoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion valide pendant qu'elle décide si elle doit ou non rouvrir l'enquête à la suite d'une requête déposée par l'intimé. Je suis convaincu que la CAI ne peut pas acquérir de compétence de façon implicite. Elle ne peut avoir compétence que dans les domai- nes qui lui ont été attribués par la loi constitutive.
Aucun tribunal administratif du gouvernement fédéral tel la CAI n'a de compétence implicite ou inhérente. Les pouvoirs de ces tribunaux se limi- tent à ceux qui leur ont été attribués.
La CAI n'a qu'à décider en l'espèce si elle autorisera ou non la réouverture de l'enquête por- tant sur l'intimé. Elle n'a pas été saisie de la question de l'expulsion et n'a pas à en décider. Elle ne peut donc pas présumer qu'elle a compétence pour empêcher l'exécution de l'ordonnance d'ex- pulsion.
La présente requête est accueillie et l'ordon- nance de la Commission d'appel de l'immigration en date du 18 août 1987 interdisant l'expulsion de Jonas Kwane Oti Nkrumah est annulée sans dépens.
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