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A-33-86
Graham Bruce Cramm (requérant) c.
Le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: CRAMM c. CANADA (COMMISSAIRE DE IA GEN- DARMERIE ROYALE DU CANADA)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Marceau— Vancouver, 9 octobre; Ottawa, 23 octobre 1987.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Principes de justice naturelle Le montant de l'indemnité payable par un caporal de la GRC pour dommages causés à un véhicule de la gendarmerie a été recommandé par une commission d'enquête, confirmé par le Commissaire et maintenu par une commission de révision Le refus de permettre au requérant de se faire représenter par un avocat constitue une erreur L'équité implique le droit d'une personne de se faire représenter par un avocat lorsque les procédures engagées touchent à sa réputa- tion, son gagne-pain et ses possibilités d'avancement Une audition équitable implique le droit du requérant à la présen- tation de tous les éléments de preuve avant la reprise de l'audition et à la production de toute la documentation en la possession des commissions pour permettre au requérant de se défendre.
GRC Conseil non disciplinaire Les principes applica- bles aux conseils disciplinaires s'appliquent 1) lorsqu'une pro- cédure semblable est invoquée 2) lorsque des droits semblables sont visés La décision par laquelle le sous-commissaire a fixé l'indemnité payable par le caporal pour les dommages causés à un véhicule de la gendarmerie était soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire Le refus de permet- tre au requérant de se faire assister d'un avocat, de citer des témoins et de prendre connaissance de tous les éléments de preuve soumis à la commission constitue une violation des principes de justice naturelle La décision du sous-commis- saire est entachée des erreurs de la commission car il n'y a pas eu une audition de novo.
Compétence de la Cour fédérale Division d'appel Demande d'annulation de la décision qui fixait l'indemnité que devait payer un caporal de la GRC pour dommages causés à un véhicule de la gendarmerie L'indemnité avait été recom- mandée par une commission d'enquête et approuvée par le Commissaire, puis maintenue par une commission de révision, et enfin réduite par le sous-commissaire La décision est soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire et elle est susceptible d'examen en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation de la décision du sous-commissaire relativement à l'indemnité que devrait payer un caporal de la GRC à l'égard de dommages causés à un véhicule automobile de la gendarmerie au cours d'un accident impliquant une automobile appartenant à un civil. La décision du sous-commissaire a réduit la responsabilité du requérant à l'égard des dommages causés au véhicule de police sans changer son entière responsabilité relative aux
dommages à tierce personne. Cette décision, prise à l'insu du requérant, modifiait les recommandations de la commission d'enquête qui avaient été approuvées par le Commissaire et confirmées par une commission de révision. La demande du requérant de se faire représenter par un avocat devant la commission d'enquête a été rejetée à plusieurs reprises. Certai- nes parties du rapport d'enquête transmis aux deux commis sions et au Commissaire avaient été raturées ou retirées du rapport avant qu'il ne soit remis au requérant. La commission d'enquête a conclu que le requérant a) n'avait pas été autorisé à utiliser la voiture de police le soir en question, b) qu'il n'agissait pas dans le cadre de ses attributions, c) qu'il conduisait le véhicule de façon négligente, peut-être en raison de la consom- mation de boissons alcooliques, et d) qu'il était le seul responsa- ble de l'accident. Les questions en l'espèce consistent à savoir si la décision du Commissaire était soumise à un processus judi- ciaire ou quasi judiciaire, comme l'exige l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, et si le déni du droit du requérant de se faire représenter par un avocat, de citer des témoins et d'obte- nir la pleine communication des documents soumis à la com mission constitue une violation des principes de justice naturelle.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Selon les quatre critères exposés dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, la décision du Com- missaire était soumise à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire. Lorsqu'on lit de concert le Règlement, les ordres perma nents (ayant valeur de règlements) et les directives, il est clair qu'une audition est envisagée avant qu'une décision soit prise. Le paragraphe 125(2) du Règlement envisage une enquête revêtue d'un caractère assez formel, et l'article 126 parle d'aune enquête entreprise à la demande du Commissaire». C'était certainement l'opinion des autorités policières, puisqu'elles ont invité le requérant à comparaître, à se faire entendre et à présenter des observations écrites et orales. De plus, le président de la commission d'enquête s'est réservé le droit de citer des témoins, et il a exercé ce droit. La sanction pécuniaire considé- rable qui a été imposée prouvait que la décision portait atteinte directement ou indirectement aux droits et obligations de quel- qu'un. La procédure est au moins en partie contradictoire. Le rôle de la commission revêt certaines des caractéristiques d'une procédure de type accusatoire, car la commission peut citer des témoins et la personne dont la conduite est examinée peut non seulement témoigner mais aussi faire des observations écrites et orales. Il existe une obligation d'appliquer les règles de fond. Le Règlement, les ordres permanents et les directives sont des règles de fond applicables à la procédure d'enquête interne de la Gendarmerie. Des principes juridiques de fond ayant trait à la conduite d'un véhicule automobile sur la voie publique, et à l'étendue des attributions du requérant ont aussi été appliqués.
Le fait que la commission d'enquête a commis les violations alléguées des principes de justice naturelle alors que la décision litigieuse était celle du sous-commissaire n'a pas eu d'incidence sur la question de compétence. Bien qu'il s'agissait-là d'une affaire non disciplinaire, le raisonnement suivi dans les affaires disciplinaires s'appliquait parce que les procédures invoquées étaient les mêmes. La décision du Commissaire était entachée des erreurs de la commission puisqu'il n'a pas tenu une audition de novo.
Le tribunal a eu tort de refuser au requérant le droit à l'assistance d'un avocat. Encore une fois, les mêmes principes qui s'appliquent aux audiences visant la discipline s'appliquent aux procédures non disciplinaires qui revêtent quelques-unes des caractéristiques judiciaires des conseils disciplinaires. La question qui se pose est de savoir si la commission a agi équitablement à l'égard du requérant. Les décisions mention- nées dans l'arrêt Joplin, il s'agissait d'une affaire discipli- naire, portaient sur l'équité à laquelle a droit un prévenu relativement à des accusations susceptibles d'avoir des consé- quences sur sa réputation, son gagne-pain et ses possibilités d'avancement. Les mêmes considérations s'appliquaient dans des procédures relatives à un accident relié à l'alcool et concer- nant des civils, nonobstant leur nature non disciplinaire. Les chances d'avancement du requérant et sa réputation risquaient d'être atteintes et la possibilité que les dommages puissent s'élever à des centaines de milliers de dollars nuisait à son gagne-pain. Quant au chaos administratif susceptible de régner si des avocats pouvaient comparaître dans des affaires de cette nature, leur présence pourrait fort bien faciliter les choses et faire en sorte que justice soit faite. Le droit à l'assistance d'un avocat n'est pas une question de discrétion lorsque les circons- tances sont telles que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu exige la représentation d'un avocat.
Il se peut que la réplique arrogante du président de la commission, qui a affirmé «Je déciderai qui va comparaître comme témoin», n'ait pas lésé le requérant, ce dernier ayant déclaré son intention de ne pas citer de témoins. Néanmoins, pour jouir d'une audition équitable et pour faire en sorte que les éléments de preuve seront tous produits, le requérant doit avoir la faculté de produire des éléments de preuve à la reprise des auditions, que cette preuve soit testimoniale ou documentaire.
Le défaut de fournir au requérant tous les éléments de preuve dont disposaient les commissions et le Commissaire l'ont privé d'une audition équitable. Le requérant ne peut se défendre sans ces éléments de preuve.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 5, 21(1),(2).
Police Act, R.S.B.C. 1979, chap. 331.
Police (Discipline) Regulations, O.C. 1402/75, Reg. 330/75.
Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., chap. 1391, art. 125, 126.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92 D.L.R. (3d) 1; Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.); Lutes c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326 (C.A.); Joplin v. Chief Constable of Vancouver Police Dept., [1983] 2 W.W.R. 52 (C.S.C: B.); confirmée par (1985), 10 Admin.L.R. 204 (C.A.C.-B.); Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 45 C.R. (3d) 242 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (No. 2), [1980] 1 R.C.S. 602.
DÉCISION EXAMINÉE:
Husted (In re) et in re la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, [1981] 2 C.F. 719 (1`e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Re Bachinsky et al. and Sawyer (1973), 43 D.L.R. (3d) 96 (C.S. Alb.).
AVOCATS:
James W. Williams pour le requérant. Alan D. Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Doust & Smith, Vancouver, pour le requé- rant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Par sa demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], modifiée par ordonnance de la Cour lors de l'audition de la demande le 13 octobre 1987, le requérant sollicite l'examen et l'annulation de la décision par laquelle l'intimé réclamait au requérant la somme de 1 012,50 $, à être versée à la Couronne, pour des dommages causés à un véhicule automobile de la Couronne au cours d'un accident de la circulation survenu le 10 septembre 1982, ou vers cette date.
Voici un bref exposé des faits. Le requérant, qui a le grade de caporal dans la Gendarmerie Royale du Canada («GRC») conduisait une voiture de la GRC à la date susmentionnée lorsque celle-ci s'est trouvée impliquée dans une collision avec une autre voiture automobile à Nelson (Colombie-Bri- tannique), était cantonné le requérant. Une commission d'enquête convoquée conformément au Manuel d'administration de la Gendarmerie a pro- cédé à une enquête interne et a fait des recomman-
dations au Commissaire intimé. Après avoir conclu que le caporal Cramm a) n'avait pas été autorisé à utiliser la voiture de police le soir en question, b) qu'il n'était pas de service et n'agissait pas dans le cadre de ses attributions au moment de l'accident, c) qu'il conduisait le véhicule en question de façon négligente en ce sens qu'il circulait à la gauche de la ligne médiane de la route, peut-être en raison de boissons alcooliques consommées plus tôt, de sorte que son véhicule est entré en collision avec un véhicule qui se dirigeait vers lui, conduit par un civil accompagné de son épouse, et qu'il a causé des dommages aux deux véhicules d) qu'il était de ce fait le seul responsable des dommages causés aux deux véhicules, la commission d'enquête a recommandé que le requérant soit sommé de payer la somme de 4 150,00 $ pour les dommages causés à la voiture de police, et une somme de 3 616,73 $ pour les dommages causés à l'autre véhicule.
Le Commissaire a approuvé ces recommanda- tions le 18 juillet 1984. Le requérant a alors interjeté appel auprès d'une commission de révi- sion uniquement en ce qui concerne la somme afférente au véhicule de la Couronne. Le Règle- ment de la GRC ne prévoit aucun appel à l'égard de la mise en demeure relative aux dommages causés à un tiers. La commission a confirmé la décision du Commissaire. Le 21 mars 1985, l'offi- cier commandant de la Division «E» à Nelson a avisé l'intimé de la recommandation de la commis sion d'enquête, qu'il a appuyée. La personne dési- gnée par le Commissaire, le commissaire adjoint N. D. Inkster, en accusant réception de l'avis susmentionné le 9 juillet 1985, a confirmé la déci- sion du Commissaire en date du 18 juillet 1984 et il a ordonné que des versements bimensuels de 75 $ soient recouvrés du requérant.
C'est cette décision qui a fait l'objet de la demande originale fondée sur l'article 28. Toute- fois, avant l'audition de la demande, le requérant a été avisé de l'existence d'une autre décision prise à son insu et sans demande de sa part, selon laquelle le 14 janvier 1987, le sous-commissaire Jensen réduisait sa responsabilité à l'égard des dommages causés au véhicule de police dans une proportion de 75 %, pour lui réclamer désormais 1 012,50 $. Les dommages à tierce personne restaient son entière responsabilité.
Sur demande du requérant, à l'audition de la demande fondée sur l'article 28, l'autorisation a été accordée de modifier l'avis introductif d'ins- tance de façon à demander à la Cour d'examiner et d'annuler la décision la plus récente, dont il a été ordonné de verser des copies au dossier.
L'avocat du requérant a fondé sa contestation de la décision incriminée uniquement sur ce qui serait des violations des principes de justice naturelle à trois égards:
(1) il n'a pas été permis au requérant de se faire représenter par un avocat de son choix auprès de la commission d'enquête et du Commissaire;
(2) il n'a pas été permis au requérant de citer des témoins;
(3) les éléments de preuve soumis à l'apprécia- tion du tribunal n'ont pas tous été révélés au requérant.
Tous ces griefs se fondent sur la proposition voulant que la décision du Commissaire, lequel est sans aucun doute une commission ou un tribunal au sens de l'article 28, était légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Nous examinerons tou t d'abord la première question que soulève cette proposition.
Le juge Dickson [alors juge puîné], de la Cour suprême du Canada, a dit ce qui suit aux pages 503 R.C.S.; 6 D.L.R. de l'arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand':
La question de savoir si une décision ou ordonnance de nature administrative est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire dépend dans une large mesure de l'intention du législateur. Si le Parlement énonce clairement que la personne ou l'organisme est tenu d'agir judiciairement, c'est-à-dire de fournir une occasion d'être entendu, les tribu- naux doivent donner effet à cette intention. Mais le silence sur ce point n'est pas concluant.
Le juge Dickson a ensuite formulé plusieurs critères [aux pages 504 R.C.S.; 7 D.L.R.] pour déterminer si une décision ou ordonnance est léga- lement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Il a pris soin de préciser que la liste qui suit n'est pas exhaustive.
(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le con- texte général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils à entendre que l'on envisage la tenue d'une audience avant qu'une décision soit prise?
' [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92 D.L.R. (3d) 1.
(2) La décision ou l'ordonnance porte-t-elle directement ou indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu'un?
(3) S'agit-il d'une procédure contradictoire?
(4) S'agit-il d'une obligation d'appliquer les règles de fond à plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l'obligation d'appliquer une politique sociale et économique au sens large?
Dans les circonstances de l'espèce, je crois que l'on peut dire sans risque d'erreur que chacune des quatre questions recevrait une réponse affirmative. Je vais les examiner brièvement, l'une après l'autre.
1. En vertu de l'article 5 de la Loi sur la Gendar- merie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9 et ses modifications («la Loi»), le Commissaire, nommé par le gouverneur en conseil et relevant du solliciteur général, est investi de l'autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de cette dernière. Le paragraphe 21(1) autorise le gouverneur en conseil à édicter des règlements. En vertu du paragraphe 21(2), le Commissaire peut édicter des règles, appelées «ordres permanents», visant «l'organisa- tion, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'ad- ministration et le bon gouvernement de la Gendarmerie».
Voici le libellé des articles 125 et 126 du Règle- ment de la Gendarmerie royale du Canada [C.R.C., chap. 1391], édicté en vertu du paragra- phe 21(1) de la Loi:
125. (1) Tout membre est responsable des biens publics ou privés qui lui sont confiés.
(2) Toute perte ou dommage aux biens décrits au paragra- phe (1) doit faire l'objet d'une enquête sujette aux instructions du Commissaire.
126. Lorsqu'une enquête entreprise à la demande du Com- missaire au sujet de quelque perte ou dommage aux biens publics ou privés démontre que la perte ou le dommage n'est pas attribuable à l'utilisation normale des biens ou à un acci dent inévitable, le membre responsable peut être tenu de payer la part des frais de remplacement ou de réparation qui corres pondent, selon le Commissaire ou son représentant, à sa négli- gence, et le montant ainsi fixé peut être prélevé sur la solde du membre comme l'indique le Commissaire ou son représentant.
Parmi les ordres permanents qui émanent du Commissaire et font partie du Manuel d'adminis- tration de la Gendarmerie, se trouvent les paragra- phes suivants au chapitre VIII.2:
C.1. Le membre responsable de la perte, du vol ou de l'en- dommagement de biens publics en sa possession ou confiés à ses soins peut être tenu de rembourser, en tout ou en partie, les frais de réparation ou de remplacement de ces biens, conformément à l'art. 126 du Règlement de la GRC.
C.2. Aux fins de l'article 126 du Règlement de la GRC, les personnes suivantes sont autorisées à percevoir ces frais dans les limites financières prescrites et selon le degré de négligence du membre pour la perte, le vol ou l'endom- magement de biens publics.
a. Direction générale
Commissaire Plein montant
Sous-commissaire (A.G.) 3 500 $
Directeur de l'Org. et du Pers. 2 000 $
Sous-directeur principal
chargé du personnel 2 000 $
S.-d. c. des affaires internes 1 000 $
b. Divisions (exceptions: dommages aux véhicules auto mobiles de police, aux aéronefs et aux navires.)
Commandant divisionnaire 500 $
Officier de l'administration
et du personnel 500 $
C.3. Les personnes autorisées à percevoir ces paiements peu- vent, après avoir établi le degré de négligence (responsa- bilité) du membre, réduire le montant du rembourse- ment si des circonstances atténuantes existent.
Au même chapitre, mais n'ayant apparemment pas qualité d'ordres permanents, figurent les direc tives suivantes au paragraphe J:
J. RÉCLAMATION CONTRE UN MEMBRE (Art. 126 du Règle-
ment de la GRC)
J. 1. Généralités
J. 1. a. Les critères qui servent à déterminer si une réclama- tion doit être faite en vertu de l'art. 126 du Règlement de la G.R.C. sont les suivants:
1. si le bien était un véhicule automobile de police, un aéronef ou un navire loué ou appartenant à la GRC, la négligence du membre, alors qu'il n'agis- sait pas dans le cadre de ses attributions, doit avoir contribué directement à l'accident. La Direction générale établira alors la catégorie d'accident et fixera le montant à réclamer au membre;
2. dans tous les autres cas de perte, de vol ou d'en- dommagement de biens publics ou de biens loués par la Gendarmerie ou confiés à ses soins, le membre doit avoir fait preuve d'une négligence telle que ses actes irréfléchis justifient une réclamation.
J. 2. a. Cdt div. ou agent A.P.
1. Voyez l'Ann. VIII-2-2 pour les conditions et les modalités de réclamation.
2. Si les conditions données au s.-al. J.1.a.1. s'appli- quent, avisez le membre que l'on pourra lui récla- mer le remboursement de la perte proportionnelle- ment à la négligence dont il a fait preuve et, s'il s'agit d'un accident de véhicule automobile de police, informez-le de la catégorie d'accident dont il s'agit, selon l'Ann. VIII-1-1. Le barème de récla- mation retrouvé à l'Ann. VIII-2-1 ne s'applique pas dans ces cas.
3. Si les dispositions du s.-al. J.1.a.2. s'appliquent et que le membre agissait dans le cadre de ses attribu tions, avisez-le que l'on pourra lui réclamer un remboursement proportionnel à son degré de négli- gence. Dans ces cas, le barème de l'Ann. VIII-2-1 s'applique.
4. Si les dispositions du s.-al. J.1.a.2 s'appliquent et que le membre n'agissait pas dans le cadre de ses attributions, avisez-le que l'on pourra lui réclamer le remboursement de la perte proportionnellement à son degré de négligence. Ici, le barème de l'Ann. VIII-2-1 ne s'applique pas.
5. Demandez au membre de signifier par écrit s'il exige une commission d'enquête. Permettez-lui de lire tous les documents pertinents.
6. Si le membre ou le commandant div. ou l'agent A.P. désire la réunion d'une commission, suivez les démarches du chapitre VIII.3., «Commissions d'enquête».
7. S'il s'agit d'une réclamation contre la Couronne et que les dispositions de l'al. F.1.c. ne s'appliquent pas, transmettez une copie de tous les documents relatifs à l'enquête au ministère de la Justice. Si une demande peut être faite contre le membre, suivez les modalités données en VIII.2.L.
8. Étudiez les résultats et les recommandations de la Commission d'enquête.
9. S'il s'agit d'un accident impliquant un véhicule automobile de police, un aéronef ou un navire loué ou appartenant à la GRC, et que le membre qui a manifesté de la négligence n'agissait pas dans le cadre de ses attributions, transmettez toutes les données à la D.G., à l'att. du s.-d. c. des affaires internes.
1. Donnez le degré de responsabilité du membre à l'égard de la perte ou de l'endommagement.
2. Expliquez les circonstances atténuantes qui doi- vent être étudiées.
3. Recommandez le montant de la réclamation.
4. Recommandez la catégorie d'accident de voitu- res de police.
Le chapitre VIII.3 traite de façon assez détaillée de la nomination et des responsabilités des com missions d'enquête.
Je me reporte maintenant à la première question posée par le juge Dickson [alors juge puîné] et je me demande si tous les règlements, ordres perma nents (ayant valeur de règlements) et directives susmentionnés donnent à entendre que l'on envi sage la tenue d'une audience avant qu'une décision soit prise, bien que la question en litige soit claire- ment administrative. Je crois que la réponse est un «oui» non équivoque, et cela se comprend aisément.
Le paragraphe 125(2) du Règlement, lorsqu'il dit que toute perte ou tout dommage aux biens publics «doit faire l'objet d'une enquête sujette aux instructions du Commisaire», envisage une enquête revêtue d'un caractère assez formel. L'article 126 appuie ce point de vue, car il parle d'aune enquête entreprise à la demande du Commissaire» dont on s'attend qu'elle démontre si «la perte ou le dom- mage n'est pas attribuable à l'utilisation normale des biens ou à un accident inévitable ...» de sorte que «le membre responsable [puisse] être tenu de payer la part des frais ... de réparation qui corres pondent ... à sa négligence ...»
Lorsqu'on lit ces dispositions de concert avec les ordres permanents du Commissaire et les directi ves (qu'elles aient valeur ou non d'ordres perma nents) cités plus haut, il me semble évident qu'une audience est envisagée. C'était certainement l'opi- nion de la Gendarmerie, puisqu'elle a invité le requérant à comparaître, à se faire entendre et, s'il le souhaitait, à présenter des observations écrites et orales. De plus, le président de la commission d'enquête s'est réservé le droit de citer des témoins, et a exercé ce droit.
En réponse à la première question, je n'hésite donc aucunement à conclure que l'on envisageait la tenue d'une enquête avant qu'une décision soit prise.
2. La décision ou ordonnance porte-t-elle directe- ment ou indirectement atteinte aux droits et obli gations de quelqu'un? La réponse est évidemment un «oui» sans équivoque. La somme considérable que le requérant est tenu de payer démontre la validité de cette conclusion.
3. S'agit-il d'une procédure contradictoire? La réponse à cette question ne peut être aussi nette que les réponses aux deux premières questions. Toutefois, je puis difficilement concevoir comment une procédure pourrait être considérée comme totalement dénuée de tout caractère contradictoire lorsque le membre de la Gendarmerie en cause a nié être tenu aux dommages-intérêts réclamés, a demandé la permission de citer des témoins à l'appui de sa dénégation, a demandé et obtenu une commission d'enquête pour enquêter sur l'accident, vraisemblablement dans l'intention d'étayer sa défense, et a demandé d'être représenté par un avocat à l'enquête, ce qui lui a été refusé. S'il
n'avait pas réclamé une commission d'enquête, le Commissaire ou une personne par lui désignée aurait pu déterminer la responsabilité du requé- rant, établir l'étendue de sa faute et fixer les dommages-intérêts de façon unilatérale. Mais le requérant a réclamé une commission d'enquête, et les ordres permanents et les directives ont révélé que bien que le rôle de la commission soit large- ment inquisitorial, il n'en revêt pas moins certaines des caractéristiques d'une procédure de type accu- satoire, car la commission peut citer des témoins et la personne dont la conduite est examinée peut non seulement témoigner mais aussi faire des observa tions orales et écrites. Tout bien pesé, je considère donc la procédure en cause comme étant au moins partiellement accusatoire. Je réponds par consé- quent à la question par un «oui» assorti d'une réserve.
4. S'agit-il d'une obligation d'appliquer les règles de fond? Selon moi, les règlements, les ordres permanents et les directives sont des règles de fond applicables à la procédure investigatrice interne de la Gendarmerie. En outre, la conclusion à laquelle mène la procédure suivie implique l'application de principes juridiques de fond ayant trait à la direc tion et à la maîtrise d'un véhicule automobile sur la voie publique, à l'étendue des attributions du policier en question et à l'interprétation des règles internes de la Gendarmerie sur l'usage des véhicu- les de police, par exemple. La réponse à cette question doit donc elle aussi être affirmative.
Toutefois, cela ne règle pas définitivement cet aspect de la question. La décision litigieuse est celle du sous-commissaire Jensen. Il n'a pas été contesté qu'il était le mandataire légitime du Com- missaire de l'époque. Toute violation alléguée des principes de justice naturelle dans l'élaboration de la décision se serait produite au niveau de la commission d'enquête. Ce fait a-t-il une incidence sur la question primordiale? À mon avis, ce n'est pas le cas.
La procédure invoquée dans cette affaire non disciplinaire ressemble de près à celle qui est pres-
crite pour les enquêtes disciplinaires. Dans les arrêts Willette 2 et Lutes 3 , et peut-être dans d'au- tres décisions, il a été statué que ces enquêtes étaient quasi judiciaires et par conséquent suscep- tibles de l'examen visé à l'article 28, en dépit du fait que, comme en l'espèce, les commissions d'en- quête et les commissions de révision n'étaient habi- litées qu'à faire des recommandations au Commis- saire, auquel incombe l'entière responsabilité de rendre la décision disciplinaire ou non disciplinaire qui s'impose. Dans les deux affaires susmention- nées, les erreurs de droit étaient imputables à l'une ou l'autre des commissions, ou aux deux. Le juge Stone, qui s'exprimait au nom de la Cour unanime dans l'arrêt Willette, a traité avec clarté de cet aspect de la question juridictionnelle dans le pas sage suivant de ses motifs aux pages 428 C.F.; 170 N.R.:
Le Commissaire n'a pas lui-même présidé l'audition tenue devant la Commission. Comme ce fut le cas devant la Commis sion de révision, l'appel dont il a été saisi reposait sur le dossier produit par la commission de licenciement et de rétrogradation. Il n'a pas tenu une audition de novo. Il a cependant pu conclure que [TRADUCTION] aces procédures ont été conduites de la manière appropriée tout au long de l'enquête et à tous les niveaux de l'action administrative interne». Si, par conséquent, la commission de licenciement et de rétrogradation a commis une erreur de droit en privant le requérant de l'exercice d'un droit enchâssé dans la Charte, dans la Déclaration canadienne des droits ou prévu par la common law en ce qui concerne un des aspects de l'audition, il est évident que la décision du Commissaire est entachée par cette erreur et qu'elle est suscep tible d'examen et d'annulation par cette Cour. [C'est moi qui souligne.]
À mon sens, ce raisonnement s'applique égale- ment à l'espèce, bien qu'il s'agisse d'une question non disciplinaire. En conséquence, j'estime que la présente demande vise une décision de nature administrative légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, et qu'elle est donc susceptible d'examen conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
J'en arrive maintenant aux trois moyens d'appel.
1. Le tribunal a commis une erreur en refusant à l'appelant le droit de se faire représenter par un avocat.
2 Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.).
3 Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326 (C.A.).
De prime abord, j'ai douté du bien-fondé de ce moyen. Toutefois, après avoir lu attentivement la jurisprudence à laquelle l'avocat du requérant a fait référence, et après avoir étudié davantage la question, je suis d'avis que compte tenu des faits de l'espèce, le refus de permettre au requérant de se faire représenter par un avocat constitue une erreur.
Le dossier révèle que le 25 février 1983, le requérant a avisé son officier commandant qu'il réclamait la tenue d'une commission d'enquête en vertu du chaptire VIII.2 J.2.a.5 et du chapitre VIII.3 E (susmentionnés) du Manuel d'adminis- tration. En même temps, il demandait à se faire représenter par un avocat devant la commission. Cette demande du requérant a été rejetée à plu- sieurs reprises, tout comme les demandes ultérieu- res de son avocat de comparaître pour lui. Le requérant a demandé par la suite à se faire repré- senter par un membre de la Gendarmerie, demande qui a aussi été rejetée.
La constitution d'avocat s'offrait-elle au requé- rant dans cette procédure non disciplinaire? Son avocat a affirmé devant nous que même si l'on dépeint l'affaire comme étant administrative et interne, elle était sérieuse, ses dimensions étaient formelles et ses conséquences, considérables. Cela étant, le requérant avait droit de retenir les servi ces d'un avocat. À l'appui de cet argument, quatre arrêts ont été invoqués: Husted (In re) et in re la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada'; Re Bachinsky et al. and Sawyers; Joplin v. Chief Constable of Vancouver Police Dept. 6 (en pre- mière instance et en appel); et Howard c. Etablis- sement Stony Mountain'.
Toutes ces affaires portent sur le droit d'être représenté par un avocat devant les conseils de discipline carcérale ou de police.
Les plus récentes de ces décisions sont les arrêts rendus dans l'affaire Joplin, de sorte que je ne ferai référence principalement qu'à eux. Cette affaire visait le droit des agents de police de se faire représenter par un avocat devant des conseils disciplinaires convoqués conformément à la Police
° [1981] 2 C.F. 791 (1te inst.).
(1973), 43 D.L.R. (3d) 96 (C.S. de l'Alb.).
6 [1983] 2 W.W.R. 52 (C.S.C.-B.); confirmé par (1985), 10 Admin.L.R. 204 (C.A.C.-B.).
7 [1984] 2 C.F. 642; (1985), 45 C.R. (3d) 242 (C.A.).
Act [R.S.B.C. 1979, chap. 331] de la Colombie- Britannique et à son règlement d'application [Police (Discipline) Regulations, O.C. 1402/75, Reg. 330/75]. Le paragraphe 18(2) du règlement prétendait apparemment interdire aux agents qui faisaient l'objet d'une accusation le droit d'être représentés par un avocat devant un conseil disci- plinaire lorsque la peine maximale imposable n'était ni le renvoi, ni la démission ni la rétrogra- dation. Il a été allégué que ce règlement dépassait les pouvoirs du lieutenant gouverneur en conseil parce qu'il était contraire aux principes de justice.
Le juge en chef McEachern, dans une prudente analyse de la jurisprudence pertinente, a souligné que les distinctions entre l'obligation d'agir selon les règles de justice et d'équité ont été (autrement qu'en vertu de l'article 28) passablement réglées par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (No. 2) 8 , lorsque le juge Dickson (aujourd'hui juge en chef) a dit la
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... En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée?
Le juge en chef McEachern a ensuite étudié les motifs fondamentaux de plusieurs jugements anglais et canadiens et finalement, ceux de la Division de première instance de cette Cour dans l'affaire Husted, décision rendue par le juge Addy. Dans cette affaire, deux agents de la Gendarmerie royale étaient accusés d'ainfractions majeures res- sortissant au service» sous le régime de la Loi sur la GRC, et ils avaient été traduits devant un surintendant qui leur avait refusé la permission de se faire représenter par un avocat. Le juge en chef McEachern a cité en l'approuvant le passage sui- vant de l'arrêt Husted aux pages 65 et 66:
[TRADUCTION] Le juge Addy rationalise de la façon suivante aux pages 159 et 160 les nombreux points de vue exprimés sur cette importante question:
«La common law ne reconnaît nullement le droit absolu de se faire représenter par un avocat à la personne susceptible de quelque sanction. Les tribunaux ont toujours refusé d'intervenir dans les affaires de discipline interne la représentation par conseil est refusée, lorsque, en raison de son objet ou de la nature de l'infraction reprochée, l'audition relève de l'adminis- tration interne et porte sur une question de discipline au sein d'un corps spécial comme une arme des forces armées ou une
8 [1980] 1 R.C.S. 602.
force de police. Dans ces cas, les pouvoirs de l'officier qui juge l'infraction sont généralement très limités et susceptibles de contrôle administratif par une autorité supérieure. En pareils cas, la faute disciplinaire reprochée est d'ordinaire instruite sans formalités, sans la présence d'un sténographe judiciaire pour la transcription des procès-verbaux, sans qu'interviennent des règles de preuve strictes et, comme un juge l'a dit, [TRA- DUCTION] «d'homme à homme» entre l'officier supérieur et le présumé contrevenant. Dans la plupart de ces cas, la coutume bien établie veut que les questions de discipline se règlent au sein du corps ou de l'organisme, sans formalités et sans inter vention extérieure. Dans d'autres cas, la loi interdit expressé- ment de recourir à des représentants ou avocats de l'extérieur. Le service exige une telle absence de formalités sans laquelle le fonctionnement quotidien du corps considéré et le maintien de la discipline interne seraient si lourds et prendraient tellement de temps que l'efficacité du service en souffrirait. En revanche, la common law reconnaît que lorsque la liberté d'une personne ou ses moyens d'existence sont en jeu dans un procès, celle-ci devrait avoir droit aux services d'un avocat compétent de son choix, à moins que le recours aux services d'un avocat donné ne retarde ou n'entrave indûment l'administration de la justice. C'est un corollaire du principe qu'un accusé a droit à une défense pleine et juste.»
Le juge en chef a alors tiré les conclusions suivantes sur l'affaire dont il était saisi [aux pages 67 et 68]:
[TRADUCTION] Je ne crois pas que l'on puisse considérer autrement que comme sérieuses les procédures disciplinaires relevant de ce code de discipline (sauf celles qui se déroulent formellement «d'homme à homme», aucune inscription n'étant faite au dossier de l'agent). Dans notre société contemporaine, les décisions engageant la carrière d'un individu doivent être prises quand il est jeune, plusieurs de nos citoyens ne jouissant pas d'une seconde chance, et tous les policiers sont présumés être des agents de carrière, la bonne conduite compte évidemment pour beaucoup en ce qui concerne l'avancement et donc les salaires, et la pension et d'autres avantages dépen- dent en partie du salaire gagné en fin de carrière, on ne saurait évidemment prétendre qu'une condamnation portée au dossier d'un policier pour faute disciplinaire, ne fut-ce que pour l'usage d'un gros mot, n'est pas une chose sérieuse. Puisqu'un officier supérieur de ce corps de police estime la plainte suffisamment grave pour engager cette procédure conduisant à une audition formelle, avec toute sa panoplie de règles à suivre, c'est alors que c'est sérieux en soi, et il en est ainsi peu importe la nature de l'infraction reprochée ou la peine maximale recommandée. Je crois que toute personne sensée en conviendra.
Il s'ensuit à mon avis qu'il n'est pas nécessaire d'établir une classification pour déterminer ce qui est sérieux et ce qui ne l'est pas. Une sorte de classification existait commodément dans le cas de l'affaire dont était saisi le juge Addy, et il s'en est tenu aux questions qu'il avait à décider, et qui étaient qualifiées d'«infractions majeures ressortissant au service». Les paragra- phes 18(1) et (2) fournissent également une telle classification en l'espèce, mais j'estime de telles distinctions artificielles, et je préfère, pour décider ce qui est grave, adopter une optique large et considérer la nature de la procédure et ses conséquences, certaines ou virtuelles, plutôt que m'en tenir à la forme du règlement. [C'est moi qui souligne.]
Je suis respectueusement d'accord avec le juge Addy pour dire qu'on ne peut s'attendre à ce qu'un profane, même un policier, en vienne à connaître parfaitement les règles en matière de preuve et de procédure criminelle pour assurer sa propre défense. Il est très sage de dire que l'avocat qui agit pour son propre compte a pour avocat et pour client une personne insensée.
Lorsque le lieutenant-gouverneur en conseil a établi une procédure formelle de règlement des litiges, il n'a pu, en toute justice, laisser de côté la plus importante garantie du processus judiciaire, c'est-à-dire le droit aux services d'un avocat. Je suis convaincu que la justice et l'équité ne sauraient tolérer une procédure selon laquelle un profane serait censé se débrouiller avec des concepts juridiques qui lui sont étrangers, et en même temps se conseiller objectivement.
La Cour d'appel a confirmé la décision du juge en chef et adopté ses motifs. Plus particulièrement, la Cour a approuvé la directive du juge, par laquelle il accordait à l'agent de police la faculté de se faire représenter par un avocat, plutôt que de reconnaître le droit de constitution d'avocat.
L'affaire Howard touchait aussi aux questions de discipline, mais elle visait des prisonniers. Bien qu'elle ait porté sur l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], qui n'a pas été invoqué en l'espèce, une partie du raisonnement auquel elle a donné lieu est pertinent en l'espèce. Aux pages 662 et 663 C.F.; 262 et 263 du recueil [C.R.], le juge en chef Thurlow a dit ce qui suit:
Je suis d'avis que l'adoption de l'article 7 n'a créé aucun droit absolu d'être représenté par avocat dans toute procédure de ce genre. Il est sans aucun doute de la plus grande importance que la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont en jeu ait l'occasion d'exposer sa cause aussi pleinement et adéquatement que possible. Les avantages de l'assistance d'un avocat à cette fin ne sont pas contestés. Cependant, ce qui est exigé c'est l'occasion d'exposer la cause adéquatement et je ne crois pas qu'on puisse affirmer qu'il n'existe pas de cas une telle occasion ne peut être fournie sans qu'il faille également accor- der le droit d'être représenté par avocat à l'audition.
Une fois qu'on a adopté cette position, il me semble que la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne peut être considérée comme une question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu exige la représentation par avocat. Il se peut que lorsque les circonstances ne mènent pas à cette conclusion, le fonctionnaire
responsable dispose néanmoins d'un pouvoir résiduaire lui per- mettant d'autoriser la présence d'un avocat, mais ce point n'entre pas selon moi dans le champ d'application de l'article 7. [C'est moi qui souligne.]
Une fois accepté tout ce qui précède sur les conseils disciplinaires, y a-t-il lieu d'établir une distinction entre les principes applicables aux matières visant la discipline et ceux qui concernent les procédures non disciplinaires revêtant quelques-unes des caractéristiques judiciaires des conseils disciplinaires, sans nécessairement les pos- séder toutes? Je ne le crois pas. Les décisions mentionnées dans l'arrêt Joplin reposaient sur la justice manifestée à un prévenu relativement à des accusations susceptibles d'avoir des conséquences sur sa réputation, son gagne-pain et ses possibilités d'avancement. Ces trois conséquences se retrou- vent dans une affaire comme celle en l'espèce, de nature non disciplinaire. Bien qu'aucun élément de preuve direct ne le prouve, je crois qu'on peut inférer sans risque d'erreur que le dossier du capo- ral Cramm mentionnera désormais qu'il a été impliqué dans un accident relié à l'alcool et con- cernant des civils. Cela est susceptible de nuire à ses chances d'avancement, et sûrement à sa réputation.
Pour ce qui est de son aptitude à gagner sa vie, le caporal Cramm a été tenu responsable de verser une somme supérieure à 7 700 $, montant qui aurait été considérablement plus élevé si, par exemple, il avait démoli un poids lourd de grande valeur ou causé des blessures aux passagers du second véhicule. Dans une telle éventualité, des dommages-intérêts de centaines de milliers de dol lars auraient pu entrer en jeu. Le requérant aurait pu être exposé à ces graves conséquences en raison des recommandations d'une commission qui n'a pas été mise au courant du droit en matière de négligence, que ce soit par son propre avocat, ou encore à la suite du contre-interrogatoire auquel se serait livré l'avocat de l'intéressé, ou des observa tions qu'il aurait faites, en faisant appel à ses connaissances juridiques. De telles conséquences ne sont tout simplement pas justes.
Quant au chaos administratif susceptible de régner si des avocats pouvaient comparaître dans des affaires de cette nature, tout d'abord, j'imagine que le nombre de celles-ci est plutôt restreint et, en outre, la présence d'un avocat compétent pourrait
fort bien faciliter les choses et, plus important encore, faire en sorte que justice soit faite en permettant à une personne dans la situation du requérant d'exposer son affaire avec compétence. Deuxièmement, je souscris à ce qu'a dit le juge en chef Thurlow dans l'arrêt Howard [aux pages 663 C.F.; 262-263 C.R.], dans l'extrait de ses motifs que j'ai déjà cité et que je répète partiellement pour des raisons de convenance:
Une fois qu'on a adopté cette position, il me semble que la question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce, de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne peut être considérée comme une question de discrétion, car il s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu exige la représentation par avocat. [C'est moi qui souligne.]
2. Le tribunal a commis une erreur en refusant au requérant le droit de citer des témoins.
Le dossier révèle, notamment, que le requérant a avisé le président de la commission d'enquête qu'il n'avait pas l'intention de citer des témoins à l'au- dience de la commission, et que le président a répliqué, non sans une certaine arrogance [TRA- DUCTION] «En qualité de président de la commis sion d'enquête, je déciderai qui va comparaître comme témoin» (voir l'annexe du dossier d'appel, aux pages 14 et 15).
Si cette affaire ne devait pas, en tout état de cause, faire l'objet d'un renvoi pour qu'il en soit décidé régulièrement, après que le requérant ait eu la faculté de se faire représenter par un avocat, j'estimerais que les paroles du président ne pour- raient être considérées comme préjudiciables au requérant en raison de leur manque d'équité, puis- que ce dernier a déclaré ne pas entendre citer des témoins. Toutefois, dans les circonstances, je suis d'avis que pour jouir d'une audition équitable et pour que les éléments de preuve dont la commis sion a ou pourra avoir connaissance ne soient pas les seuls présentés, le requérant doit avoir la faculté de produire des éléments de preuve à la reprise des auditions, que cette preuve soit testimo- niale ou documentaire. Le poids à accorder à ces éléments de preuve est, naturellement, l'entière responsabilité de la commission et, en fin de
compte, du Commissaire. Seule, cette façon d'agir pourra conduire à une décision bien informée sur toutes les circonstances entourant l'incident en question.
3. Le tribunal n'a pas révélé tous les éléments de preuve soumis à son appréciation.
Le requérant allègue, et le dossier confirme ses dires, que certaines parties de la documentation afférente au rapport d'enquête qui lui a été trans- mis avaient été raturées ou ne lui avaient pas été remises du tout. Les deux commissions et le Com- missaire avaient tous la documentation intégrale, y compris les versions non épurées. Il me semble que le requérant, pour être en mesure de se défendre convenablement, doit essentiellement disposer de toute la documentation que possède le tribunal. Le défaut de la lui transmettre le prive d'une audition équitable.
RÉSUMÉ
En résumé, les trois contestations mettent en cause le concept de l'équité. L'équité est «une notion souple et son contenu varie selon la nature de l'enquête et les conséquences qu'elle peut avoir pour les individus en cause 9 ». Selon cette opinion, il est évident, pour les motifs donnés plus haut, que le requérant devrait obtenir gain de cause à l'égard de chacun des points sur lesquels il se fonde pour contester la décision litigieuse du Commissaire.
CONCLUSION
En conséquence, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision contestée, soit celle du Commissaire intimé, rendue le 18 juillet 1984, telle qu'elle a été modifiée par la décision du sous-commissaire Jensen le 14 juillet 1987. L'affaire devrait être renvoyée au Commis- saire en tenant pour acquis qu'une nouvelle com mission d'enquête, constituée différemment de la précédente, devrait être convoquée pour procéder à l'enquête appropriée conformément aux principes de justice naturelle et de façon compatible avec les présents motifs.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MARCEAU: Je souscris à ces motifs.
9 Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, les motifs du juge Estey, à la p. 231.
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