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A-743-81
Air Canada (appelante) c.
Swiss Bank Corporation, Swissair et Swiss Air Transport Co. Ltd. (intimées)
RÉPERTORIÉ: SWISS BANK CORP. c. AIR CANADA
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Lacom- be* —Montréal, 17 février; Ottawa, 9 juillet 1987.
Droit aérien Appel d'un jugement de la Division de première instance qui accordait des dommages-intérêts à l'in- timée, et appel incident concluant à des intérêts depuis le jour de la perte à un taux plus élevé que le taux légal Perte du colis transporté par l'appelante avant qu'il ne soit livré à son destinataire La dernière personne qui ait eu le colis en main est l'employé de l'appelante, le responsable des objets de valeur Le juge de première instance a conclu que la perte résultait du vol des employés de l'appelante L'appel est rejeté; l'appel incident est accueilli La limite de la respon- sabilité édictée à l'art. 22 de la Convention de Varsovie ne s'applique pas conformément à l'art. 25 Le vol implique l'intention de provoquer un dommage Exercice des fonc- tions Identité des voleurs Étant donné la généralité des termes de l'art. 18, dans les rares cas la responsabilité n'est pas limitée, l'intention est que la victime soit complètement indemnisée du dommage subi, ce qui implique des intérêts à compter de la date de la perte Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en refusant d'accorder des intérêts à un taux plus élevé que le taux légal L'art. 18 autorise le paiement d'intérêts lorsque l'art. 22 ne s'applique pas.
Il s'agit d'un appel du jugement de la Division de première instance qui ordonnait à Air Canada de payer à Swiss Bank Corporation la valeur d'un colis perdu en transit. L'intimée a formé un appel incident, prétendant qu'on aurait lui accor- der des intérêts depuis le jour de la perte, plutôt que celui du jugement, à un taux plus élevé que le taux légal. Le pilote avait confié le colis à un surveillant de piste (ramp supervisor), qui l'a remis à un autre employé d'Air Canada, préposé à la réception et à la garde des objets de valeur. Le colis n'a pas été revu depuis lors. Bien que le juge se soit trouvé incapable de dire que le colis avait été volé par le second employé, il a conclu néanmoins qu'il avait été volé par un ou plusieurs employés d'Air Canada.
Le transport du colis perdu était, suivant la Loi sur le transport aérien, assujetti aux dispositions de la Convention de Varsovie qui prévoit, à l'article 22, une limite de responsabilité en faveur du transporteur. L'article 25 prévoit que les limites de responsabilité prévues à l'article 22 ne s'appliquent pas s'il est prouvé que le dommage résulte d'un acte ou d'une omission du transporteur ou de ses préposés fait avec l'intention de provo- quer un dommage, pour autant que ceux-ci ont agi dans l'exercice de leurs fonctions. Le juge de première instance a
* Monsieur le juge Lacombe n'a pu, pour cause de maladie, participer à ce jugement.
appliqué un critère objectif pour déterminer si la faute du transporteur ou de ses préposés avait un caractère intentionnel ou téméraire. Il a conclu que le dommage subi ayant résulté du vol commis par les préposés de l'appelante, les auteurs du vol avaient nécessairement «l'intention de provoquer un dommage», et qu'ils avaient volé le colis dans l'exercice de leurs fonctions, l'occasion s'étant présentée lorsqu'ils travaillaient. Le juge de première instance a statué que l'appelante ne pouvait bénéficier de la limite de responsabilité.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté, et l'appel incident devrait être accueilli.
Le premier juge a eu raison de dire que le colis a été volé par un ou plusieurs employés de l'appelante. Il a toutefois commis une erreur en ne précisant pas l'identité des voleurs, car il ne pouvait autrement dire que le vol avait été commis dans l'exercice de leurs fonctions. Bien que la preuve ne lui permit pas d'identifier l'auteur du vol avec une certitude absolue, elle suffisait à autoriser la conclusion que, selon toute probabilité, le vol avait été commis par certains employés lorsque, comme préposés de l'appelante, ils avaient la garde du colis.
La Cour d'appel est autorisée à contredire le juge de pre- mière instance sur une question de fait parce que (1) il s'agit d'une inférence à tirer de la preuve plutôt que de l'appréciation de la preuve elle-même, (2) la Cour d'appel est en aussi bonne posture que l'était le juge de première instance pour identifier les auteurs du vol parce que la preuve a consisté dans le témoignage de l'employé de l'appelante ayant fait enquête sur la question, (3) le juge de première instance, par souci d'équité est bien connu, n'a pas voulu identifier les auteurs du vol parce qu'il subsistait encore un doute raisonnable sur leur culpabilité. Le juge de première instance ayant eu raison de conclure que l'appelante ne pouvait bénéficier de la limite de responsabilité, l'appel d'Air Canada devrait être rejeté.
Le juge de première instance a fait un exercice régulier de la discrétion que la loi lui accordait en n'ordonnant pas que son jugement porte intérêt à un taux plus élevé que le taux légal. Toutefois, l'intimée a droit à des intérêts pour la période antérieure au jugement. Comme les limites de responsabilité prévues à l'article 22 ne s'appliquent pas, seuls sont applicables les alinéas 18(1) et 23(1). L'article 18 prévoit que le transpor- teur est responsable du dommage survenu en cas de perte de marchandises. Sauf dans des cas exceptionnels, la Convention limite considérablement la responsabilité du transporteur. Étant donné la généralité des termes de l'article 18, dans les rares cas cette responsabilité n'est pas limitée, les auteurs de la Convention ont voulu que la victime soit complètement indemnisée du dommage subi. Cela suppose qu'elle reçoive une indemnité qui la replace dans la situation qui aurait été la sienne si la perte n'avait pas eu lieu. C'est dire que, en l'espèce, la victime doit recevoir les intérêts qu'elle aurait gagnés à compter de la date de la perte. Les stipulations du contrat de transport ne pouvaient lui faire perdre ce droit car, en vertu de l'article 23, de pareilles stipulations sont nulles et de nul effet.
Dans les décisions étrangères citées à l'appui de la prétention que la Convention ne permet pas d'accorder des intérêts pour une période antérieure au jugement, on a jugé que, dans des cas s'appliquent les limites de responsabilité prévues à l'article 22 de la Convention, cet article interdit aux tribunaux d'accor- der, en sus du montant de la limite, des intérêts pour une période antérieure au jugement. Les limites imposées à l'article
22 sont des limites imposées à la responsabilité créée par l'article 18. Si l'article 22 empêche que l'on accorde des intérêts pour une période antérieure au jugement, c'est nécessairement parce que l'article 18 autorise l'octroi de ces intérêts dans les cas l'article 22 ne s'applique pas.
Le juge Marceau: Pour conclure à l'application de l'article 25, le juge de première instance n'avait qu'à décider que le colis avait été volé, et que le vol avait été commis par un employé ou par un groupe d'employés de l'appelante. Pour ce qui est de l'exigence selon laquelle l'acte en cause doit avoir été causé «avec l'intention de provoquer un dommage» ou «avec cons cience qu'un dommage en résultera probablement», il importe peu d'appliquer un critère subjectif ou objectif dans le cas du vol. En effet, un vol est nécessairement fait avec l'intention de causer un dommage, le voleur cherchant à priver définitivement le propriétaire de sa chose en la détournant à son profit.
Le test à appliquer pour déterminer, dans un cas de vol, si l'employé était dans l'exercice de ses fonctions consiste à regar- der si l'employé, à cause de ses fonctions, avait libre accès à la chose volée. Comme aucune effraction n'a été décelée était conservé le colis, aucune inscription n'a été portée au registre de dépôt des objets de valeur et aucune trace documen- taire n'a été laissée, le juge de première instance était justifié de penser qu'il existait une preuve suffisamment convaincante qu'un employé ayant libre accès au colis avait commis le vol ou y avait participé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur le transport aérien, S.R.C. 1970, chap. C-14, annexe I, art. 18, 22 (mod. par l'annexe III, art. X1), 23 (mod. idem, art. XII), 25 (mod. idem, art. XIV).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Swiss Bank Corporation and Others v. Brink's -Mat Ltd. and Others, [1986] 2 Lloyd's Rep. 99 (Q.B.D.); O'Rourke v. Eastern Air Lines, Inc., 18 Avi 17,763 (2d Cir. 1984); Rustenburg Platinum Mines Ltd., Johnson Matthey (Pty.) Ltd. and Matthey Bishop Inc. v. South African Airways and Pan American World Airways Inc., [ 1979] 1 Lloyd's Rep. 19 (C.A.); C'» Saint Paul Fire and Marine c. C'» Air-France, [1986] Rev. Franc. de Droit Aer. 428.
DÉCISIONS CITÉES:
Domangue v. Eastern Air Lines, Inc., 18 Avi 17,533 (5th Cir. 1984); Société Financière Mirelis v. Koninklyke Luchtvaart Maatscheppi N.V., 1968 (Cour de district de La Haye).
DOCTRINE:
Chehg, Bin «Wilful Misconduct: From Warsaw to The Hague and from Brussels to Paris» (1977) II Ann. Air & Sp. L. 55.
AVOCATS:
J. Vincent O'Donnell, c.r. pour l'appelante. Vincent M. Prager et Laurent Fortier pour Swiss Bank Corporation, intimée.
Peter Richardson pour Swissair et Swiss Air Transport Co. Ltd., intimées.
PROCUREURS:
Lavery, O'Brien, Montréal, pour l'appelante. Stikeman, Elliott, Montréal, pour Swiss Bank Corporation, intimée.
Mackenzie, Gervais, Montréal, pour Swissair
et Swiss Air Transport Co. Ltd., intimées.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Air Canada fait appel du jugement de la Division de première instance [[1982] 1 C.F. 756] qui l'a condamnée à payer à Swiss Bank Corporation («l'intimée») la somme de 60 400 $ représentant la valeur d'un colis que Air Canada avait transporté de Zurich à Montréal et qui fut perdu avant d'être livré à son destinataire. L'intimée a aussi formé un appel incident de ce jugement prétendant que le juge aurait lui accorder les intérêts sur la somme de 60 400 $ depuis le jour de la perte (plutôt que celui du jugement) à un taux plus élevé que le taux légal.
Le colis perdu contenait des billets de banque. Il avait été confié à Air Canada le 5 novembre 1970 pour être expédié sur le vol AC 879 destination de Montréal. En fait, il fut remis en main propre au pilote de l'avion. Celui-ci, peu avant d'atterrir à Montréal, envoya un message radio demandant qu'une personne responsable vienne à sa rencontre pour prendre livraison du colis. À l'arrivée, c'est un «ramp supervisor» [surveillant de piste] que le premier juge identifie par la lettre «X» qui se présenta; le pilote lui remit le colis et se fit délivrer un reçu. X se serait alors dirigé vers un endroit spécialement aménagé pour y garder les objets précieux et aurait donné le colis à un autre employé d'Air Canada, que le premier juge identi- fie par la lettre «Y», qui était préposé à la récep- tion et à la garde de ces objets. Cet employé, suivant les consignes, aurait placer le colis dans une voûte et inscrire dans un registre spécial une
mention de la réception du colis. Il n'en fit rien. Le colis n'a pas été revu depuis ce jour-là. La perte ne fut cependant découverte qu'un mois plus tard parce que tous les documents relatifs à cette expé- dition qui étaient en la possession d'Air Canada disparurent eux aussi.
Tous ces faits sont constants. Ils furent établis au procès par le témoignage de l'employé d'Air Canada qui avait été chargé de faire enquête sur les circonstances de la perte. Ni l'employé X, ni l'employé Y ne furent entendus comme témoins. L'employé X avait bien été assigné par l'intimée, mais celle-ci ne le fit pas entendre. Quant à l'em- ployé Y, il était introuvable. Dès 1970, on l'avait soupçonné d'avoir participé à l'épidémie de vols qui sévissait alors à l'aéroport de Dorval et, en 1976, six ans après l'incident qui nous intéresse, il avait été condamné à l'emprisonnement pour avoir participé à un autre vol à Dorval avec d'autres employés d'Air Canada.
S'interrogeant sur la cause de la perte du colis, le premier juge affirma la page 768] ne pouvoir dire qu'il avait été volé par l'employé Y:
Ce serait pure spéculation, toutefois, que de conclure qu'il l'a volé. Il peut avoir été ... négligent à cet égard [et.] l'avoir laissé quelque part, avec l'intention de l'inscrire sur le registre et le placer dans le casier plus tard. Tout employé et même quicon- que avait accès au hangar aurait pu alors le prendre et Y chercherait à couvrir sa négligence en prétendant ne l'avoir jamais reçu.
Il conclut néanmoins [aux pages 768 et 769] que le colis avait été volé par un ou plusieurs employés d'Air Canada:
L'avocat de la défenderesse Air Canada a laissé entendre que tous ceux qui ont accès aux hangars, tels les employés des autres transporteurs et même les étrangers qui se trouvent dans l'aéroport, bien qu'ils n'aient aucun droit de s'y trouver, auraient pu le prendre; mais c'est une possibilité fort impro bable vu les preuves de vols antérieurs et subséquents de marchandises par des employés d'Air Canada dans les hangars réservés aux marchandises à l'aéroport de Dorval et la dispari- tion inexpliquée des documents d'accompagnement.
Comme l'enquête à l'époque n'a révélé aucune preuve per- mettant de blâmer un individu en particulier, cela certainement ne saurait être fait maintenant; mais je ne doute pas, comme je l'ai déjà dit, que le colis a été volé par un ou des employés d'Air Canada y ayant accès, ainsi qu'aux documents d'accompagne- ment, ce qui a permis de retarder l'enquête sur le vol.
Le transport du colis perdu était, suivant la Loi sur le transport aérien', assujetti aux dispositions de la Convention de Varsovie qui prévoit, à l'arti- cle 22 [mod. par l'annexe III, art. XI], une limite de responsabilité en faveur du transporteur. Le seul problème que soulève l'appel d'Air Canada est celui de savoir si cette société peut, en l'espèce, profiter de cette limite de responsabilité. Plus pré- cisément, il s'agit de savoir si le dommage dont l'intimée réclame réparation lui a été causé dans les circonstances décrites à l'article 25 de la Con vention aux termes duquel
Article 25
Les limites de responsabilité prévues à l'article 22 ne s'appli- quent pas s'il est prouvé que le dommage résulte d'un acte ou d'une omission du transporteur ou de ses préposés fait, soit avec l'intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résultera probablement, pour autant que, dans le cas d'un acte ou d'une omission de préposés, la preuve soit également apportée que ceux-ci ont agi dans l'exercice de leurs fonctions.
Répondant à cette question, le juge de première instance exprima d'abord l'avis que le caractère intentionnel ou téméraire de la faute du transpor- teur aérien ou de ses préposés doit, comme le décide la Cour de cassation française, s'apprécier de façon objective plutôt que subjective. Il poursui- vit en disant que, de toute façon, le dommage subi par l'intimée ayant résulté d'un vol commis par des préposés de l'appelante, les auteurs du vol avaient nécessairement eu «l'intention de provoquer un dommage». Enfin, sur la question de savoir si les préposés de l'appelante qui ont volé le colis ont agi dans l'exercice de leurs fonctions, le juge conclut ainsi la page 785]:
Je conclus donc que le vol présumé du colis en question par un ou des employés de la défenderesse Air Canada peut être considéré comme régi par les dispositions de l'article 25 de la Convention parce qu'il s'est produit dans l'exercice de leurs fonctions ou «within the scope of [theirj employment , la possibilité de le faire étant apparue alors qu'ils travaillaient dans le hangar réservé aux marchandises, à manipuler des marchandises, dont le colis précieux en cause.
Le juge décida donc que l'appelante ne pouvait, en l'occurrence, bénéficier de la limite de responsabilité.
L'appelante fait deux reproches à ce jugement: celui d'avoir épousé la thèse de la Cour de cassa- tion française sur la façon d'apprécier le caractère
' S.R.C. 1970, chap. C-14.
intentionnel ou téméraire de la faute du transpor- teur et, en second lieu, celui d'avoir conclu que les auteurs du vol étaient des préposés de l'appelante agissant dans l'exercice de leurs fonctions.
Il n'est pas nécessaire, à mon avis, de discuter le premier moyen de l'appelante. Car si, comme le juge l'a décidé, le colis a été volé par des préposés de l'appelante, ceux-ci, étant des voleurs, avaient nécessairement l'intention décrite à l'article 25 de la Convention. Le seul problème, c'est donc celui que soulève le second grief de l'appelante: le pre mier juge a-t-il eu raison de décider, d'une part, que le colis avait été volé par des employés de l'appelante et, d'autre part, que ces employés agis- saient alors dans l'exercice de leurs fonctions?
Il me paraît indiscutable que le premier juge a eu raison de dire que le colis a été volé par un ou plusieurs employés de l'appelante. Ce qui fait diffi culté, cependant, c'est la conclusion du juge que les auteurs du vol agissaient alors dans l'exécution de leurs fonctions. Si le juge ignorait l'identité des employés ayant participé au vol, comment pou- vait-il dire que le vol avait été commis dans l'exé- cution de leurs fonctions plutôt qu'à l'occasion de leurs fonctions?
Cette difficulté vient de ce que le premier juge a considéré que la preuve ne lui permettait pas d'identifier l'auteur du vol. Or, sur ce point, à mon avis, il s'est trompé. Même si la preuve ne permet pas d'identifier l'auteur du vol avec une certitude absolue, elle est plus que suffisante pour autoriser la conclusion que, selon toute probabilité, le vol a été commis par les employés X ou Y, alors que, comme préposés de l'appelante, ils avaient la garde du colis. Je sais qu'en disant cela je contredis le premier juge sur une question de fait. Je me crois cependant autorisé à le faire pour plusieurs motifs: d'abord, parce qu'il s'agit d'une inférence à tirer de la preuve plutôt que de l'appréciation de la preuve elle-même; ensuite, parce que l'essentiel de la preuve, en l'espèce, a consisté dans le témoi- gnage de l'employé de l'appelante ayant fait enquête sur les circonstances de la disparition du colis, témoignage au cours duquel il a relaté au tribunal les résultats de ses investigations, de sorte que cette Cour-ci est en aussi bonne posture que l'était le premier juge pour identifier les auteurs du
vol; enfin, parce que je soupçonne que le premier juge, dont le sens de l'équité est bien connu, n'a pas voulu identifier les auteurs du vol parce qu'il subsistait encore un doute raisonnable sur leur culpabilité.
Cela étant, le premier juge me semble avoir eu raison de conclure que l'appelante ne pouvait, en l'espèce, bénéficier de la limite de responsabilité édictée à l'article 22 de la Convention de Varsovie. Je rejetterais donc l'appel d'Air Canada.
Reste l'appel incident de l'intimée qui prétend que le premier juge, au lieu de condamner l'appe- lante à lui payer la somme de 60 400 $ avec inté- rêts au taux légal depuis le jour du jugement, aurait la condamner à payer cette somme avec intérêts, depuis le jour de la perte jusqu'au jour du paiement, calculés au taux bancaire préférentiel moyen pour cette période.
Il faut, comme le premier juge, faire une distinc tion entre les intérêts réclamés pour la période qui a précédé le jugement et ceux qui sont réclamés pour la période qui le suit. L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] édicte que, à moins que la Cour n'en ordonne autrement, un jugement porte intérêt au taux légal depuis le jour il a été prononcé. Le premier juge n'a pas cru opportun d'ordonner que son jugement porte intérêt à un taux plus élevé que le taux légal. Rien dans le dossier ne permet de dire qu'il n'a pas fait un exercice judicieux de la discrétion que la loi lui accordait. Je confirmerais donc sa décision sur ce point.
Le refus du premier juge d'accorder des intérêts sur le montant de l'indemnité pour la période antérieure au jugement pose un problème plus difficile à résoudre.
L'action de l'intimée est fondée sur la Conven tion de Varsovie ou, plus exactement, sur la Loi sur le transport aérien suivant laquelle la Conven tion est applicable au Canada. C'est à cause de cela que la Cour fédérale est compétente en l'es- pèce. C'est donc à la Convention qu'il faut se référer pour déterminer l'indemnité à laquelle l'in- timée a droit.
Comme il s'agit ici d'un cas les limites de responsabilité prévues à l'article 22 ne s'appliquent
pas, les seules dispositions de la Convention qui soient applicables sont les alinéas 18(1) et 23(1):
Article 18
(1) Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de destruction, perte ou avarie de bagages enregistrés ou de marchandises lorsque l'événement qui a causé le dommage s'est produit pendant le transport aérien.
Article 23
(1) Toute clause tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la présente Convention est nulle et de nul effet, mais la nullité de cette clause n'entraîne pas la nullité du contrat qui reste soumis aux dispositions de la présente Convention.
Suivant l'alinéa 18(1), donc, le transporteur est «responsable du dommage survenu en cas de ... perte ... de marchandises». Il s'agit ici de savoir quelles sont les conséquences de cette responsabi- lité. La réponse à cette question, c'est dans la Convention qu'il faut la trouver puisque les règles que nous appliquons habituellement en d'autres domaines sont inapplicables en l'espèce.
La Convention, sauf dans des cas exceptionnels, limite considérablement la responsabilité du trans- porteur. Il me semble qu'il en faut déduire, étant donné la généralité des termes de l'alinéa 18(1), que dans les rares cas cette responsabilité n'est pas limitée, les auteurs de la Convention ont voulu que la victime soit complètement indemnisée du dommage subi. Cela suppose qu'elle reçoive une indemnité qui la replace dans la situation qui aurait été la sienne si la perte n'avait pas eu lieu; c'est dire que, dans un cas comme celui-ci les marchandises perdues consistent en une somme d'argent, la victime doit recevoir, en plus de la somme perdue, les intérêts qu'elle aurait certaine- ment gagnés si la perte n'avait pas eu lieu. Je suis donc d'avis que la Convention donnait à l'intimée le droit de réclamer les intérêts sur la somme d'argent perdue depuis le jour la livraison aurait normalement avoir lieu jusqu'à la date du jugement. Cela étant, les stipulations du con- trat de transport ne pouvaient, contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, lui faire perdre ce droit. En effet, de pareilles stipulations sont, d'après l'alinéa 23(1) de la Convention, nulles et de nul effet.
Au soutien de sa prétention à l'effet que la Convention ne permet pas d'accorder d'intérêts
pour une période antérieure au jugement, l'appe- lante a cité deux décisions, l'une anglaise, l'autre américaine 2 . Dans ces deux affaires on a jugé que, dans des cas s'appliquent les limites de respon- sabilité prévues à l'article 22 de la Convention, cet article interdit aux tribunaux d'accorder, en sus du montant de la limite, des intérêts pour une période antérieure au jugement. Ces décisions, à mon avis, n'appuient pas la thèse de l'appelante. En effet, les limites imposées à l'article 22 sont des limites imposées à la responsabilité créée par l'article 18. Si, en conséquence, l'article 22 empêche que l'on accorde des intérêts pour une période antérieure au jugement, c'est nécessairement parce que l'article 18 autorise l'octroi de ces intérêts dans les cas l'article 22 ne s'applique pas.
L'intimée a donc droit à l'intérêt pour l'indemni- ser de la perte de revenus qu'elle a subie avant le jugement en conséquence de la perte du colis. À quel taux cet intérêt doit-il être calculé? Comme il n'existe aucune preuve qui permette d'établir le quantum véritable de la perte de revenus subie par l'intimée, je calculerais cet intérêt au taux légal.
Je rejetterais donc l'appel avec dépens, je ferais droit à l'appel incident avec dépens et je modifie- rais le jugement attaqué en y insérant, immédiate- ment après les mots «with interest» [avec intérêt] dans la deuxième ligne, la parenthèse suivante:
[au taux légal à compter du 6 novembre 1970].
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Je partage l'avis exprimé par monsieur le juge Pratte tant sur l'appel princi pal que sur l'appel incident. Au sujet de ce dernier relatif au refus du juge de première instance d'ac- corder des intérêts sur le montant de l'indemnité, je n'ai rien à ajouter. Mais au sujet de l'appel principal relatif à l'application aux faits de l'espèce des dispositions de l'article 25 de la Convention de Varsovie, telles que contenues dans la Loi sur le
2 Swiss Bank Corporation and Others v. Brink's -Mat Ltd. and Others, [1986] 2. Lloyd's Rep. 99 (Q.B.D.); O'Rourke v. Eastern Air Lines, Inc., 18 Avi 17,763 (2d Cir. 1984).
Voir, en sens contraire: Domangue v. Eastern Air Lines, Inc., 18 Avi 17,533 (5th Cir. 1984).
transport aérien, S.R.C. 1970, chap. C-14, je vou- drais brièvement exposer une opinion plus person- nelle.
Je n'ai aucune réticence à m'associer à mon collègue pour dire que le juge de première instance avait devant lui ce qu'il lui fallait pour conclure que, selon toute probabilité, le vol avait été commis par les employés X ou Y, ou à tout le moins avec leur connivence et ce, à un moment ils avaient la garde du colis. Mais je persiste à penser néan- moins que, pour conclure à l'application de l'arti- cle 25 de la Convention de Varsovie, telle qu'a- mendée par le Protocole de La Haye, (ci-après «la Convention») et partant à la perte par l'appelante du bénéfice de la limitation de responsabilité qu'elle cherchait à faire valoir aux termes de l'arti- cle 23 de ladite Convention, le juge n'avait pas besoin de dire plus que ce qu'il a dit, soit que le colis avait été volé et que le vol avait été commis par un employé ou par un groupe d'employés de l'appelante. Il me semble en effet qu'une fois dégagées ces deux conclusions de fait, il devenait évident que les deux conditions auxquelles était soumise la mise en opération de cet article 25 de la Convention étaient remplies'.
Je ne pense pas qu'on puisse sérieusement le contester quant à la première condition, soit celle relative à la preuve que l'acte avait été causé «avec l'intention de provoquer un dommage» ou «avec conscience qu'un dommage en résultera probable- ment». Le juge de première instance fait bien référence, dans le cours de son analyse, à la con
' Je me permets, pour faciliter la consultation, de reproduire de nouveau cet article 25 de la Convention dans ses deux versions française et anglaise:
Les limites de responsabilité prévues à l'article 22 ne s'appliquent pas s'il est prouvé que le dommage résulte d'un acte ou d'une omission du transporteur ou de ses préposés fait, soit avec l'intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résul- tera probablement, pour autant que, dans le cas d'un acte ou d'une omission de préposés, la preuve soit également appor- tée que ceux-ci ont agi dans l'exercice de leurs fonctions.
The limits of liability specified in Article 22 shall not apply if it is proved that the damage resulted from an act or omission of the carrier, his servants or agents, done with intent to cause damage or recklessly and with knowledge that damage would probably result; provided that, in the case of such act or omission of a servant or agent, it is also proved that he was acting within the scope of his employment.
troverse qui s'est soulevée sur la question de savoir si l'élément intentionnel dont fait appel la disposi tion doit être apprécié «subjectivement», c'est-à- dire attesté et prouvé comme ayant existé de fait dans l'esprit de l'auteur même de l'acte fautif, ce que pensent presque tous les commentateurs et la plupart des jurisprudences nationales, ou au con- traire «objectivement», soit par inférence, en se référant à un homme prudent et raisonnable, comme l'a décidé la Cour de cassation française (voir au sujet de cette controverse l'excellent arti cle de Bin Cheng, «Wilful Misconduct: From Warsaw to The Hague and from Brussels to Paris», dans les Annales de Droit aérien et spatial, vol. II p. 55, Montréal, Université McGill, 1977). Mais, en réalité, cette controverse ne peut avoir de portée dans le cas de vol, car l'état d'esprit du voleur ne saurait faire difficulté. Un vol est néces- sairement fait avec l'intention de causer un dom- mage, le voleur cherchant par hypothèse à priver définitivement le propriétaire de sa chose en la détournant à son profit.
Et je pense que, dans les circonstances de l'es- pèce, tenant compte de certaines données de fait déjà acquises, on doit finalement l'admettre tout autant de la deuxième condition, soit celle requé- rant la preuve que l'employé qui avait commis le vol, ou l'un au moins des employés qui avaient participé à la commission du vol, était dans l'exer- cice de ses fonctions. Ici, bien sûr, l'affirmation ne va pas de soi. Tout dépend, d'abord, évidemment du sens qu'on donne à l'expression «dans l'exercice de leurs fonctions» («within the scope of his employment» dans la version anglaise). L'affirma- tion n'est évidemment pas valable si on exige, pour que la condition se réalise, que l'employé-voleur soit celui à qui avait été confiée la garde de la chose, comme le fait lord Denning, M.R., dans ses motifs sous l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre Rustenburg Platinum Mines Ltd., Johnson Mat - they (Pty.) Ltd. and Matthey Bishop Inc. v. South African Airways and Pan American World Air ways Inc., [1979] 1 Lloyd's Rep. 19, la page 24, et elle l'est encore moins si on demande la preuve que l'employé-voleur a commis son forfait pendant ses heures de travail, comme l'a décidé la Cour de cassation de France dans son arrêt C"' Saint Paul Fire and Marine c. C'' Air-France, [ 1986] R.F.D.A. 428. Mais, je me permets de penser, avec respect, qu'on ne saurait attribuer un sens aussi
étroit et strict à l'expression sans risquer d'enlever tout effet pratique significatif à cette exception à la limitation de responsabilité qu'entend apporter l'article 25 de la Convention, une exception qui me semble fondamentale en ce qu'elle détermine jus- qu'à quel point, pour encourager le développement de l'industrie du transport, on a fait assumer par le public utilisateur le risque d'imprudence, d'erreur, de négligence ou de malfaçon du transporteur. À mon avis, le test à appliquer pour déterminer, dans un cas de vol, si l'employé était dans l'exercice de ses fonctions est celui qu'une certaine jurispru dence a retenu et qui consiste à regarder si l'em- ployé, à cause de ses fonctions, avait libre accès à la chose volée, (voir notamment la décision de la Cour de district de La Haye dans Société Finan- cière Mirelis v. Koninklyke Luchtvaart Maats- cheppi N.1!, 1968). Tout dépend aussi, je le recon- nais, de la possibilité de prouver que l'employé était dans l'exercice de ses fonctions même si on ne sait pas de quel employé précisément il s'agissait. Mais je pense qu'il est difficile de contester que cette possibilité existe. La preuve d'un fait peut être apportée de façon indirecte et par inférence, à partir d'une analyse des circonstances et d'une étude des possibilités, pourvu qu'on en puisse déga- ger la démonstration d'une probabilité suffisante. A mon avis, tenant compte de ce qu'aucune effrac- tion dans le local le colis devait se trouver n'a été décelée, qu'aucune entrée dans le registre de dépôt des objets de valeur n'a été faite, qu'aucune trace documentaire n'a été laissée, le juge de pre- mière instance était justifié de penser qu'une preuve suffisamment convaincante existait à l'effet qu'un employé ayant libre accès au colis et à la documentation attestant de son déplacement avait commis le vol ou tout au moins y avait participé.
Ainsi, suis-je tout à fait de l'avis de monsieur le juge Pratte que l'appel principal doit être rejeté et je disposerais de l'appel incident comme il le suggère.
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