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A-596-87
Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée, Nor- dair Inc., Eastern Provincial Airways Ltd. et Pacific Western Airlines Ltd. et Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée faisant affaires sous le nom Lignes Aériennes Canadien International
(requérantes) c.
Association canadienne des pilotes de lignes aériennes, Association du personnel navigant des lignes aériennes canadiennes (maintenant le Syn- dicat canadien de la Fonction publique (Transport aérien)), Association internationale des machinis- tes et des travailleurs de l'aéroastronautique, sec tion locale 1999 du Syndicat des Teamsters, Lignes Aériennes A+ (Nordair Métro), Propair Inc., Québecair, Québecair Inter, Québec Aviation Ltée, Conifair Inc., Gestion Conifair Inc., Nolisair International Inc., (Nationair), Avitair Inc., Pla cements CMI Inc., Association canadienne des régulateurs de vols, CPAL-MEC, EPA -MEC, PWA-MEC, Nordair-MEC, La Fraternité des commis de chemins de fer, des lignes aériennes et de navigation, manutentionnaires de fret, employés de messageries et de gares, R. M. Sparks, G. A. Moore, D. R. Windealt, C. O. Ferguson, R. N. Clark, J. Bateman et le procureur général du Canada (intimés)
A-598-87
Québecair—Air Québec faisant affaires sous le nom Québecair, Québec Aviation Ltée faisant affaires sous le nom de Québecair Inter, Conifair Inc., Gestion Conifair Inc., Lignes Aériennes A+ Inc. faisant affaires sous le nom Nordair Métro
(appelantes) c.
Association canadienne des pilotes de lignes aériennes, Association du personnel navigant des lignes aériennes canadiennes (maintenant le Syn- dicat canadien de la Fonction publique (Transport aérien)), Association internationale des machinis- tes et des travailleurs de l'aéroastronautique, sec tion locale 1999 du Syndicat des Teamsters
(intimées)
et
Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée, Lignes Aériennes Canadien International, Nordair Inc., Propair Inc., Eastern Provincial Airways Ltd., Nolisair International Inc. faisant affaires sous le nom Nationair, Association canadienne des régulateurs de vols, CPAL-MEC, Fraternité des commis de chemins de fer, des lignes aériennes et de navigation, manutentionnaires de fret, employés de messageries et de gares, Nordair- MEC, EPA -MEC, PWA-MEC, R. M. Sparks, G. H. Moore, D. R. Windeatt, C. G. Ferguson, R. N. Clark, J. Bateman, Avitair Inc., Placements C.M.I. Inc. et procureur général du Canada (mis-en-cause)
A-608-87
Nolisair International Inc. faisant affaires sous le nom de Nationair (requérante)
c.
Association canadienne des pilotes de lignes aériennes, Association du personnel navigant des lignes aériennes canadiennes (maintenant le Syn- dicat canadien de la Fonction publique (Transport aérien)), Association internationale des machinis- tes et des travailleurs de l'aéroastronautique, sec tion locale 1999 du Syndicat des Teamsters (intimées)
et
Québecair—Air Québec faisant affaires sous le nom Québecair, Québec Aviation Ltée faisant affaires sous le nom de Québecair Inter, Conifair Inc., Gestion Conifair Inc., Lignes Aériennes A+ Inc. faisant affaires sous le nom Nordair Métro, Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée, Lignes Aériennes Canadien International, Nordair Inc., Propair Inc., Eastern Provincial Airways Ltd., Association canadienne des régulateurs de vols, CPAL-MEC, Fraternité des commis de che- mins de fer, des lignes aériennes et de navigation, manutentionnaires de fret, employés de message- ries et de gares, Nordair-MEC, EPA -MEC, PWA-MEC, R. M. Sparks, G. H. Moore, D. R. Windeatt, C. G. Ferguson, R. N. Clark, J. Bate- man, Avitair Inc., Placements C.M.I. Inc. et pro- cureur général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: LIGNES AÉRIENNES CANADIEN PACIFIQUE LTÉE C. A.C.P.L.A.
Cour d'appel, juges Hugessen, Lacombe et Desjar- dins—Montréal, 22 janvier; Ottawa, 28 janvier 1988.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Ordonnance du Conseil canadien des relations du travail visant le dépôt de documents avant l'audition de la demande de modification de certaines accréditations Rejet des requêtes en annulation des demandes fondées sur l'art. 28 L'ordonnance visant la production de documents est un acte judiciaire L'ordon- nance est expressément visée par l'art. 28 car elle a été rendue à l'occasion de procédures Distinction établie entre «déci- sions» et «ordonnances» Signification du mot «ordonnance» à l'art. 28 L'ordonnance a été rendue en vertu des pouvoirs conférés au Conseil à l'art. 118a) et f) du Code Des droits et obligations juridiques découlent de l'ordonnance.
Compétence de la Cour fédérale Division d'appel Demande d'examen de l'ordonnance par laquelle le Conseil canadien des relations du travail exigeait le dépôt de docu ments avant l'audition de la demande de modification des accréditations La compétence visée à l'art. 28 ne se limite pas à l'examen des actes qu'un tribunal a faits à un stade particulier des procédures.
Pratique Parties Qualité pour agir Le Conseil canadien des relations du travail n'a pas qualité pour agir dans le cadre de l'audition de la requête en annulation de son ordonnance Il est contraire à l'intérêt public de permettre à un tribunal de prendre partie dans une action en justice entre des parties à une procédure dont il est saisi.
Il s'agit d'une requête en annulation des demandes d'annula- tion de l'ordonnance par laquelle le Conseil canadien des relations du travail exigeait le dépôt de renseignements concer- nant les compagnies employeuses qui lui étaient nécessaire pour établir s'il y avait lieu de modifier certaines accréditations. Il a été soutenu que l'ordonnance contestée était une ordonnance purement administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Ce moyen repose sur la suggestion, dans une décision de la Division de première ins tance de la Cour fédérale, qu'une ordonnance visant la produc tion de documents est une question purement administrative. Il a été soutenu, en second lieu, qu'il ne s'agit pas d'une décision ou ordonnance au sens accordé à ces termes au paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Cet argument repose sur la jurisprudence selon laquelle on ne peut invoquer l'article 28 pour demander l'examen de «décisions» préliminaires ou inci- dentes qu'un tribunal n'est pas expressément autorisé à rendre par la loi, mais qui peuvent s'imposer à lui au cours de procédures menant à la décision finale. Il fallait aussi régler la question préliminaire de savoir si le Conseil avait qualité pour agir relativement à la requête en annulation.
Arrêt: les requêtes devraient être rejetées.
Le Conseil n'a pas qualité pour agir puisqu'il n'a pas d'inté- rêt relativement à des questions qui ont trait strictement à la compétence de la Cour fédérale pour examiner les ordonnances du Conseil. Il serait contraire à l'intérêt public de permettre à un tribunal de prendre partie dans une action en justice entre des parties à une procédure dont il est saisi.
Depuis qu'a été rendue la décision de la Division de première instance sur laquelle se sont appuyées les requérantes, la Cour suprême du Canada a statué que l'exercice du pouvoir légal de
contraindre des personnes à témoigner et à produire des docu ments, même exercé par des organismes administratifs, est un acte judiciaire.
L'ordonnance en question a été rendue «à l'occasion de procédures» et elle peut donc expressément faire l'objet de l'examen visé au paragraphe 28(I). Presque toute la jurispru dence mentionnée à l'appui du second moyen visait des «déci- sions» plutôt que des «ordonnances». La Cour a souvent pris soin de souligner la distinction et de bien dire que des considé- rations tout à fait différentes s'appliqueraient aux demandes d'annulation d'une ordonnance. Le mot «ordonnance», à l'arti- cle 28, se rapporte aux affirmations que la loi autorise expressé- ment un tribunal à prononcer et qui prennent effet immédiate- ment pour contraindre une personne à faire ou ne pas faire quelque chose. Normalement, une ordonnance ne peut être annulée ni rectifiée par la décision finale du tribunal qui l'a rendue. En outre, la Cour suprême du Canada a souligné récemment que la compétence conférée à la Cour d'appel fédérale par l'article 28 ne se limite pas à l'examen des actes qu'un tribunal a faits à un stade particulier de l'étude de la question dont il est saisi: Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres.
Si l'on applique le critère à deux volets énoncé dans l'arrêt Anheuser-Busch, il appert que l'ordonnance était 1) clairement de celles que le Conseil avait le pouvoir de rendre en vertu des alinéas 118a) et f) du Code du travail, et 2) il s'agissait d'une ordonnance d'où découlaient des droits ou obligations juridi- ques. Il fallait s'y conformer sur-le-champ. Quelle que soit l'issue finale des procédures, les requérantes étaient tenues de faire quelque chose qui, dans l'éventualité l'ordonnance aurait été rendue en l'absence de la compétence nécessaire, ne saurait jamais être corrigé. En outre, l'ordonnance, si elle est déposée à la Cour, acquiert la même force et le même effet que les jugements de la Cour, le refus de se conformer à une ordonnance fondée sur l'alinéa 118a) pouvant donner lieu à des procédures pénales selon l'article 192 du Code.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 118 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 119 (mod., idem), 123 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43), 133 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. I ), 144 (mod., idem), 192 (édicté, idem).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Vancouver Wharves Ltd. c. Section locale 514 du Syndicat international des débardeurs et magasiniers (1985), 60 N.R. 118 (C.A.F.); Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.) et autre, [1979] 1 R.C.S. 218; Commission des droits de la personne c. Procureur général du Canada et autre, [ 1982] I R.C.S. 215; Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71
(C.A.); Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412.
DÉCISIONS CITÉES:
Transportaide Inc. c. Conseil canadien des relations du travail, [1978] 2 C.F. 660 (1« inst.); National Indian Brotherhood c. Juneau (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); Procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); B.C. Packers Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail, [1973] C.F. 1194 (C.A.); Loi anti- dumping (In re) et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
AVOCATS:
R. Bruce Pollock et Frederick R. von Veh, c.r. pour les requérantes Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée, Nordair Inc., Eas tern Provincial Airways Ltd. et Pacific Wes tern Airlines Ltd. et Lignes Aériennes Cana- dien Pacifique Ltée faisant affaires sous le nom Lignes Aériennes Canadien Internatio nal.
John T. Keenan et Linda Thayer pour l'inti- mée Association canadienne des pilotes de lignes aériennes.
Luc Beaulieu et Manon Savard pour les inti- mées Québecair—Air Québec, Québec Avia tion Ltée, Conifair Inc., Gestion Conifair Inc., Lignes Aériennes A+ Inc.
Théodore Goloff pour l'intimée Nolisair International Inc. (Nationair).
Louis Crête pour le Conseil canadien des relations du travail.
Personne n'a comparu pour CPAL-MEC.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les requé- rantes Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée, Nordair Inc., Eastern Provincial Air ways Ltd. et Pacific Western Airlines Ltd. et Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée faisant affaires sous le nom Lignes Aériennes Canadien International.
Gravenor, Keenan, Montréal, pour l'intimée Association canadienne des pilotes de lignes aériennes.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les intimées Québecair—Air Québec, Québec Aviation
Ltée, Conifair Inc., Gestion Conifair Inc., Lignes Aériennes A+ Inc.
Goloff & Boucher, Montréal, pour l'intimée Nolisair International Inc. (Nationair). Clarkson, Tétrault, Montréal pour le Conseil canadien des relations du travail.
Jordan & Gall, Vancouver, pour l'intimée CPAL-MEC.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: L'intimée l'Association canadienne des pilotes de lignes aériennes (ACPLA) requiert l'annulation des demandes fondées sur l'article 28 déposées par les requérantes à l'encon- tre d'une ordonnance du Conseil canadien des relations du travail en date du 13 juillet 1987. L'affaire trouve son origine dans les procédures que ACPLA a engagées devant le Conseil conformé- ment aux articles 119 [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1], 133 [mod., idem] et 144 [mod., idem] du Code canadien du travail'. ACPLA a tenté de porter à la connaissance du Conseil diverses réor- ganisations internes et d'autres arrangements et de déclarer que ces mesures constituaient une «vente» de l'entreprise ou, subsidiairement, que les sociétés touchées constituaient un «employeur unique»; le Conseil a été prié de modifier en conséquence certaines accréditations en vigueur. Le Conseil n'a encore tenu aucune audience relativement à la demande de ACPLA. Au cours de l'enquête à laquelle il a procédé préalablement à la tenue d'une audience, le Conseil a cherché certains ren- seignements au sujet des sociétés employeuses. L'ordonnance du 13 juillet 1987 ordonne que les requérantes
... déposent auprès du Conseil d'ici le 31 juillet 1987 les renseignements et les documents énumérés en regard de leur nom respectif à l'Annexe «A» ...
C'est l'ordonnance qui fait l'objet des procédures fondées sur l'article 28 lesquelles, à leur tour, font l'objet des requêtes en annulation.
À l'audition des requêtes en annulation, l'avocat du Conseil a demandé à faire des observations. Nous avons indiqué qu'à notre avis, il n'y avait pas lieu dans une affaire comme la présente de donner qualité pour agir au tribunal dont l'ordonnance est contestée. Après avoir entendu l'avocat du Conseil
' S.R.C. 1970, chap. L-1.
sur la question de son droit d'être entendu, nous avons confirmé notre opinion préliminaire et nous lui avons refusé qualité pour agir. Si l'on veut se référer à la jurisprudence, on peut consulter la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, et la décision de notre Cour dans l'affaire Vancouver Wharves Ltd. c. Section locale 514 du Syndicat international des débardeurs et magasiniers (1985), 60 N.R. 118. Bien que l'on puisse recon- naître l'intérêt, et par conséquent la qualité pour agir, d'un tribunal lorsqu'il s'agit de faire des observations sur la question de sa propre compé- tence dans un sens restreint, il ne peut posséder un tel intérêt relativement à des questions qui ont trait strictement à la compétence de cette Cour pour examiner les ordonnances qu'il a rendues. Il y va tout à fait de l'intérêt public de refuser à un tribunal le droit de prendre partie dans une action en justice entre des parties à une procédure dont il est saisi.
À l'appui des requêtes en annulation, l'avocat de ACPLA a fait valoir deux moyens. Tout d'abord, il affirme que l'ordonnance du 13 juillet 1987 est une ordonnance purement administrative «qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire».
Deuxièmement, il soutient qu'il ne s'agit pas, en tout état de cause, d'une décision ou ordonnance au sens accordé à ces termes au paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale 2 .
Il peut être statué rapidement sur le premier moyen. Il repose largement sur la suggestion, dans une décision de la Division de première instance, qu'une ordonnance visant la production de docu ments est une question purement administrative (voir Transportaide Inc. c. Conseil canadien des relations du travail, [1978] 2 C.F. 660, la page 670). Depuis cette décision, toutefois, il a été statué par l'instance suprême que l'exercice du pouvoir légal de contraindre des personnes à témoigner et à produire des documents, même exercé par des organismes administratifs, est un acte judiciaire. (Voir Procureur général (Qué.) et Keable c. Procureur général (Can.) et autre,
2 S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10.
[1979] 1 R.C.S. 218, la page 225, et Commis sion des droits de la personne c. Procureur général
du Canada et autre, [1982] 1 R.C.S. 215, la page 221).
Le deuxième moyen de l'avocat de ACPLA repose sur la jurisprudence bien connue de cette Cour selon laquelle on ne peut invoquer l'article 28 pour demander l'examen de «décisions» préliminaires ou incidentes qu'un tribunal n'est pas expressément autorisé à rendre par la loi mais qui peuvent s'imposer à lui au cours de procédures menant à la décision finale. (Voir les arrêts National Indian Brotherhood c. Juneau (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); Procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F. 1166 (C.A.); B.C. Packers Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail, [1973] C.F. 1194 (C.A.); Loi antidumping (In re) et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.)). On peut trouver un résumé fréquemment cité de cette jurisprudence dans les motifs que mon collè- gue le juge Heald a donnés dans l'affaire Anheu- ser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71 (C.A.), à la page 75:
D'après cette jurisprudence, la Cour d'appel fédérale a compé- tence pour examiner, en vertu de l'article 28, seulement les ordonnances ou décisions finales, finales en ce sens que la décision ou ordonnance en question est celle que le tribunal a le pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou obligations juridiques. Cette jurisprudence précise que la Cour n'examinera pas la myriade de décisions ou ordonnances habituellement rendues à l'égard de questions normalement soulevées au cours d'une période antérieure à cette décision finale.
Bien que je n'entende nullement amoindrir l'ef- fet et l'autorité de ces décisions, je suis d'avis qu'elles ne régissent pas l'issue de ces procédures de façon à nous forcer à annuler les demandes fondées sur l'article 28. Au contraire, j'estime que l'espèce constitue un exemple classique du genre d'ordonnances rendues «à l'occasion de procédures» dont le paragraphe 28(1) dit expressément qu'elles peuvent faire l'objet d'un examen.
En premier lieu, je constate que presque toute l'ancienne jurisprudence mentionnée plus haut visait des «décisions» (qui pouvaient être des décla- rations ou des affirmations) plutôt que des «ordon- nances». Dans la plupart des cas, la Cour a pris soin de souligner la distinction et de bien dire que «des considérations tout à fait différentes s'appli-
queraient» aux demandes d'annulation d'une ordonnance'.
Si je ne me trompe, le mot «ordonnance», inter- prété dans le contexte de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, se rapporte aux affirmations que la loi autorise expressément un tribunal à pronon- cer et qui prennent effet immédiatement pour contraindre une personne à faire ou ne pas faire quelque chose. Normalement, une ordonnance ne peut être annulée ni rectifiée par la décision finale du tribunal qui l'a rendue. A cet égard, elle se distingue nettement des types de «décisions» en cause dans les arrêts cités.
Deuxièmement, il me semble que la Cour suprême du Canada a souligné récemment que la compétence conférée à notre Cour par l'article 28 ne se limite pas, en principe, à l'examen des actes qu'un tribunal a faits à un stade particulier de l'étude de la question dont il est saisi. Avec défé- rence, je trouve particulièrement significatifs les propos du juge Beetz lorsqu'il s'est exprimé au nom de la Cour dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412, aux pages 438 et 439:
Il me paraît que si l'erreur juridictionnelle comprend celle qui porte sur la compétence initiale d'un tribunal administratif qui ouvre une enquête et sur son pouvoir de trancher par voie de déclaration la question qui lui est soumise, à fortiori s'étend- elle aux dispositions qui lui attribuent le pouvoir d'ajouter à sa décision finale des ordonnances destinées à donner suite à son enquête et à rendre des déclarations efficaces par des injonc- tions et autres mesures de redressement comme celles des al. a) à d) de l'art. 182. Je ne vois pas en vertu de quelle logique on limiterait à l'étape initiale la possibilité d'erreur juridictionnelle d'un tribunal administratif si ce dernier pouvait errer et excéder impunément sa compétence à l'étape de la conclusion qui constitue l'aboutissement de son enquête et son but ultime.
Il en va généralement de même à mon avis pour les erreurs portant sur les pouvoirs exécutoires sinon déclaratoires que le Conseil exerce en cours d'enquête comme celui d'interroger des témoins, d'exiger la production de documents, de pénétrer dans les locaux d'un employeur, etc., que lui confère l'art. 118 du Code. Si étendus que soient ces pouvoirs, ils ne vont pas jusqu'à donner par exemple au Conseil la faculté de punir pour outrage. Ce pouvoir continue à relever de la Cour fédérale comme le prescrit l'art. 123 relatif à l'enregistrement du dispo- sitif des ordonnances et décisions du Conseil en Cour fédérale. Cet article renvoie expressément à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale dont il sauvegarde l'application. L'article 123 suppose donc implicitement qu'une erreur juridictionnelle est susceptible de se commettre à toutes les étapes d'une enquête tenue par le Conseil.
3 Voir notamment l'arrêt Danmor Shoe, susmentionné, note en bas de page numéro 5 à la page 30; voir aussi l'arrêt B.C. Packers, susmentionné, note en bas de page numéro 1, à la p. 1199.
D'ailleurs, comme je l'ai déjà indiqué, ce n'est pas l'erreur comme telle que vise l'al. 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale mais, abstraction faite de toute erreur, l'excès de compétence ou le refus de l'exercer c'est-à-dire, l'exercice par un tribunal administratif d'un pouvoir que la loi lui dénie ou le refus d'exercer un pouvoir que la loi lui impose. Or l'alinéa 28(1)a) ne distingue pas entre les types d'excès de pouvoir, les étapes de l'enquête ils se produisent et les circonstances qui en sont la cause. Il vise tous les excès de pouvoirs. Il n'y a donc pas lieu de distinguer l'al. 28(1)a) ne distingue pas entre, d'une part, l'excès de compétence ratione materiae commis dès l'ouverture d'une enquête, résultant ou non d'une erreur, et, d'autre part, celui qui se produit en cours d'enquête ou lors de la conclusion d'une enquête et des ordonnances de redressement qui sont jointes à la conclusion, et ce, quand même le tribunal administratif est compétent ratione materiae. [Soulignements ajoutés.]
J'en reviens aux propos du juge Heald dans l'arrêt Anheuser-Busch, précité. On y trouve deux questions:
1. L'ordonnance attaquée est-elle de celles «que le tribunal a le pouvoir de rendre»?
2. Est-elle une ordonnance «d'où découlent des droits ou obligations juridiques»?
À mon avis, il faut clairement, en l'espèce, répondre à ces deux questions par l'affirmative.
Selon les termes mêmes de l'ordonnance du Conseil, celle-ci se fonde sur les pouvoirs conférés au Conseil aux alinéas a) et f) de l'article 118 [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1]. Il s'agit de l'exercice allégué d'une compétence prévue par la loi, et donc normalement susceptible d'examen judiciaire par cette Cour.
La réponse à la seconde question ne saurait, elle non plus, faire aucun doute. Par son libellé même, l'ordonnance du Conseil exige que l'on s'y con- forme sur-le-champ. Quelle que soit l'issue finale des procédures devant le Conseil, les personnes visées par l'ordonnance seront tenues de faire quel- que chose qui, dans l'éventualité l'ordonnance aurait été rendue en l'absence de la compétence nécessaire, ne saurait jamais être corrigé. En outre, l'ordonnance, si elle est déposée à la Divi sion de première instance de la Cour conformé- ment à l'article 123 du Code [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43], acquiert la même force et le même effet que les jugements de cette Cour,
le refus de s'y conformer pouvant donner lieu à des procédures pour outrage au tribunal°.
Finalement, on peut à cet égard renvoyer à l'article 192 [édicté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1] du Code, qui sanctionne de peines distinctes le refus de se conformer à certaines ordonnances comme celle en cause dont il est allégué qu'elle a été rendue en vertu de l'alinéa 118a).
Avant de terminer, je souhaite simplement ajou- ter que je suis parfaitement conscient des considé- rations, découlant de principes directeurs, qui ont dicté et dictent toujours à cette Cour une attitude prudente dans l'exercice de son pouvoir de surveil lance aux stades intermédiaires des procédures qui se déroulent devant le tribunal concerné. Les fins de la justice ne sont pas servies lorsque des parties qui ne veulent pas comparaître devant un tribunal disposent de simples moyens dilatoires et frustra- toires. Cette Cour s'est toujours montrée sensible à ce problème et désireuse d'expédier les affaires lorsque cela semble nécessaire. Bien que la Cour puisse agir de sa propre initiative dans certains cas et qu'elle le fasse, les parties directement concer- nées sont normalement beaucoup mieux placées pour indiquer à la Cour les cas une audition expéditive est indiquée. En l'espèce, les procédures fondées sur l'article 28 sont pendantes depuis juil- let 1987. Sans vouloir d'aucune façon préjuger la question, j'aurais cru que la documentation néces- saire pour régler les points litigieux ayant trait au bien-fondé des demandes serait relativement peu volumineuse et facile à réunir. Les avocats auraient mieux fait de s'employer à présenter une requête en vue d'obtenir des directives sur la cons titution de l'affaire, un calendrier relatif à l'échange des mémoires et la date de l'audience, ce qui nous aurait presque certainement permis de rendre un jugement final dans cette affaire depuis longtemps. Bien que le temps perdu ne puisse être récupéré, il me semble que la requête susmention- née serait encore indiquée.
Pour les motifs que j'ai donnés, je rejetterais les requêtes en annulation.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs. LE JUGE DESJARDINS: Je souscris à ces motifs.
° La documentation qui accompagne ces requêtes montre que le Conseil a été prié de déposer son ordonnance à la Cour en application de l'article 123. A l'audience, l'avocat du Conseil a laissé entendre que le dépôt n'avait pas encore été effectué; toutefois, rien ne s'oppose à ce qu'il se fasse à une date future.
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