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T-2335-86
Secrétaire d'État (appelant)
c.
Ali-Yullah Nakhjavani (intimé)
T-2336-86
Secrétaire d'État (appelant)
c.
Violette Nakhjavani (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (SECRÉTAIRE D'ÉTAT) c. NAKHJAVANI
Division de première instance, juge Joyal— Toronto, 26 juin; Ottawa, 14 août 1987.
Citoyenneté Conditions de résidence Le requérant réside en Israël en raison du poste qu'il occupe au sein d'un organisme religieux L'établissement d'une résidence au Canada combiné à l'intention d'y revenir ne suffit pas lorsque les intimés sont demeurés dans ce pays tout au plus deux mois sur une période de quatre ans Ils n'ont pas démontré leur aptitude à s'intégrer à la société.
Les intimés, tous les deux apatrides, sont adeptes du baha'isme; les devoirs qu'imposaient au mari son rôle de membre de l'organe dirigeant suprême de cette religion et à l'épouse son rôle de compagne de voyage les obligeaient à vivre à Haifa (Israël) et à voyager fréquemment à l'étranger. Ils ont obtenu leur admission permanente au Canada en 1982. Depuis ce temps, le mari n'a totalisé que vingt-deux jours de résidence au Canada et son épouse soixante jours. Malgré cela, la Cour de la citoyenneté a décidé qu'il fallait leur accorder la citoyen- neté canadienne parce qu'ils avaient établi leur résidence per- manente dans un appartement situé dans la maison du frère de l'épouse à Toronto, et que s'ils devaient demeurer à Haïfa, c'était en raison des responsabilités que leur imposait la foi baha'ie.
Il s'agit en l'espèce d'un appel formé contre cette dernière décision.
Jugement: l'appel doit être accueilli.
Même si la jurisprudence a élargi la portée des dispositions relatives à la résidence figurant à l'alinéa 5(1)b) de la Loi, les intimés ne satisfont pas au nouveau critère double: l'intention de demeurer au Canada de manière permanente et l'existence de faits constituant une expression concrète de cette intention.
La citoyenneté canadienne ne doit être accordée qu'aux personnes qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer à notre société. La possession d'une résidence avec l'intention d'y reve- nir ne suffit pas lorsque les personnes qui demandent la citoyen- neté canadienne ne se sont pas mêlées de quelque manière que ce soit à la société canadienne ou n'ont pas établi avec les Canadiens ou les institutions canadiennes le genre de lien envisagé par la Loi sur la citoyenneté.
Avant même d'avoir obtenu le droit d'établissement au Canada, le mari s'était déjà engagé dans des activités religieu- ses qui nécessitaient sa présence continue à Haïfa. Pour ce qui
est de l'épouse, même si son premier séjour au Canada a duré quatre semaines, ses séjours subséquents découlaient principale- ment de son rôle de compagne de voyage lors d'assemblées religieuses tenues à Ottawa et Montréal. Les intimés n'ont jamais résidé ensemble au Canada.
Un immigrant admis ne peut simplement adopter le Canada à titre de pavillon de complaisance aux fins de la Loi sur la citoyenneté. Le Canada a déjà fait tout ce qu'il pouvait pour les intimés en leur octroyant le statut d'immigrants admis, en leur délivrant des documents leur permettant de voyager à l'étran- ger et en leur fournissant un asile sûr chaque fois qu'ils désirent revenir au pays.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108, art. 5(1)b) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128), (4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Loi sur la citoyenneté (In re la) et in re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1" inst.); Re Anquist (1984), 34 Alta. L.R. (2d) 241; [1985] 1 W.W.R. 562 (C.F. inst.); Blaha c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1971] C.F. 521 (C.A.C.).
AVOCATS:
V. Bell pour l'appelant.
Sheldon M. Robins pour l'intimée.
Peter K. Large, amicus curiae.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Sheldon M. Robins, Toronto, pour l'intimée. Peter K. Large, Toronto, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAU Le Secrétaire d'État appelle d'une décision de la Cour de la citoyenneté accor- dant la citoyenneté aux deux intimés en l'espèce.
La Cour est saisie de deux appels distincts, les intimés étant mari et femme. Les faits étant essen- tiellement les mêmes dans les deux cas et les deux appels ayant été entendus en même temps, il est normal que les présents motifs du jugement s'ap- pliquent à chacun des époux.
Les intimés sont adeptes du baha'isme. Le mari est l'un des neuf membres de l'organe dirigeant
suprême, la Maison universelle de la justice, située à Haïfa (Israël). Il fait partie de cet organisme depuis 1963, ayant été élu pour des mandats suc- cessifs de cinq ans dont le dernier se termine en 1988. Son épouse Violette participe également aux activités de l'institution comme compagne de voya ges pour les nombreux déplacements découlant de la promotion et du maintien de la foi baha'ie. Les deux époux doivent voyager fréquemment pour remplir leurs diverses obligations.
Le mari est maintenant apatride. Il est d'origine iranienne à Haïfa (Israël) en 1919. Il s'est établi en Iran en 1936 il a demeuré pendant douze ans. Il a ensuite passé onze ans en Ouganda avant de retourner à Haïfa, en 1961, il s'ac- quitte depuis ce temps de ses obligations religieu- ses et de ses fonctions administratives.
L'épouse était également iranienne. Elle est née à Téhéran, elle a vécu pendant quelque temps en Ouganda et elle a par la suite rejoint son mari à Haïfa où, comme elle l'a déclaré dans son témoi- gnage, elle habite depuis ce temps.
La révolution de 1979 en Iran a tout bouleversé. Le couple a demandé l'admission permanente au Canada, demande qui a été acceptée. L'épouse a obtenu le droit d'établissement au Canada le 5 août 1982 et son mari le 17 septembre 1982. Leur demande de citoyenneté canadienne a été entendue par la Cour de la citoyenneté le 26 août 1986.
Le dossier de citoyenneté indique que, pendant les années qui se sont écoulées dans l'intervalle, le mari a totalisé quelque vingt-deux jours de rési- dence au Canada et son épouse environ soixante jours.
À leur arrivée au Canada en 1982, les intimés ont occupé l'étage inférieur d'une maison à paliers située au 200, Green Lane, Thornhill (Ontario). Cette maison appartient au frère de l'épouse, M. A. H. Banani. Les intimés n'ont pas apporté leurs biens avec eux, mais ils ont graduellement meublé les pièces qui leur étaient réservées dans la maison, soit une salle de séjour, une chambre à coucher, une cuisine et une salle de bain. Les intimés et M. Banani ont déclaré dans leurs témoignages que ces pièces, pendant toute cette période, étaient réser- vées à l'usage exclusif des intimés.
La preuve indique également que le mari est resté pendant quinze jours au Canada après avoir obtenu le droit d'établissement le 17 septembre 1982. Il est revenu au Canada le 24 août 1983 et y est demeuré sept jours. L'épouse de son côté a demeuré au Canada pendant un mois après l'ob- tention du droit d'établissement le 5 août 1982. Elle est revenue au Canada pour deux semaines en 1984 et pour deux autres semaines en 1985.
L'appel dont je suis saisi consiste à déterminer si les intimés satisfont aux conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyen- neté [S.C. 1974-75-76, chap. 108 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128)], dont voici le texte:
5. (1) Le Ministre doit accorder la citoyenneté à toute personne qui, n'étant pas citoyen, en fait la demande et qui
b) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre conformément à l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, totalisé au moins trois ans de résidence au Canada calculés de la manière suivante:
(i) elle est censée avoir acquis un demi-jour de résidence pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada avant son admission légale au Canada à titre de résident permanent, .. .
Après avoir examiné la demande de citoyenneté des intimés, madame le juge Maria Sgro de la Cour de la citoyenneté canadienne a statué que lesdits intimés avaient satisfait aux conditions de résidence prévues à l'article 5 de la Loi. Elle a dit dans son jugement prononcé le 26 août 1986:
[TRADUCTION] Ces requérants ont établi et maintenu leur domicile au Canada. J'estime qu'ils ont fourni la preuve de leur résidence et je recommande, par conséquent, qu'on leur octroie la citoyenneté conformément à l'article 5(1)b).
M. et M"' NAKHJAVANI sont adeptes de la foi BAHA'IE. M. NAKHJAVANI est l'un des neuf membres de l'organe dirigeant suprême, la Maison universelle de la justice, située à Haïfa (Israël). Il a été réélu à cette fonction à quatre reprises depuis 1968, la durée de chaque mandat étant de cinq ans. Son dernier mandat prendra fin le 21 avril 1988.
Les deux requérants ont retourner à Haïfa peu de temps après avoir reçu le statut d'immigrants admis en raison des responsabilités religieuses et administratives qui leur incom- bent; ils ont cependant centralisé leur mode de vie habituel en conservant un appartement indépendant leur servant de domi cile. Ils gardent à cet endroit leurs meubles, leurs ustensiles de cuisine, leurs livres et leurs articles ménagers ...
Ils retournent à cet appartement lorsque leurs responsabilités au centre mondial BAHA'I le leur permettent.
Agissant à titre de fiduciaire, M. A. H. Banani, beau-frère des requérants [sic]. a acheté, le 3 juillet 1973, une maison sise au 64, Castlefield Avenue, Toronto (Ontario), pour M. et M'' NAKHJAVANI. Les requérants louent cette propriété pour l'ins- tant, mais ils ont l'intention d'y vivre lorsqu'ils reviendront au Canada ...
En raison de leur obligation sacrée de servir leur religion au sein de cet organe administratif, il a été impossible pour les requérants d'être plus souvent «présents effectivement» au Canada, mais ils considèrent ce pays comme leur pays ils reviendront dès que possible.
Le Secrétaire d'État interjette appel pour le motif que la Cour de la citoyenneté a commis une erreur de droit et une erreur de fait en approuvant la demande de citoyenneté des requérants avant qu'ils aient totalisé au moins trois ans de résidence au Canada comme le prévoit l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté et que, par conséquent, le juge de la Cour de la citoyenneté a outrepassé sa compétence en approuvant ladite demande.
Il ressort des commentaires du juge de la Cour de la citoyenneté que deux faits principaux l'ont amenée à conclure que les requérants avaient satis- fait aux conditions de résidence, c'est-à-dire que lesdits requérants avaient établi une résidence per- manente au Canada dans la demeure de M. Banani et que les devoirs imposés au mari par la foi baha'ie l'obligeaient à demeurer à Haïfa de façon permanente.
L'appelant reconnaît que la jurisprudence a élargi la portée des dispositions relatives à la rési- dence figurant à l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Dans l'affaire Loi sur la citoyenneté (In re la) et in re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (P ° inst.), le juge en chef adjoint Thurlow, tel était alors son titre, a conclu, après avoir analysé en détail les exigences de la loi et l'interprétation du mot «résidence» faite par les tribunaux, que ce concept ne se limite pas à la présence effective dans un lieu déterminé. Il peut comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence pour prou- ver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Le juge a dit à la page 214:
Une personne ayant son propre foyer établi, elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à
cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] «essentiellement du point jusqu'auquel une per- sonne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question».
L'affaire Papadogiorgakis n'a pas nécessaire- ment court-circuité les conditions de résidence pré- vues dans la Loi sur la citoyenneté du Canada, mais elle a fait disparaître la difficulté que cette Loi soulève lorsqu'il s'agit de calculer si un requé- rant a effectivement résidé ou non au Canada pendant les trois quarts d'une période de quatre ans. Elle a imposé aux cours l'obligation d'exami- ner à la fois l'intention et les faits, aucun de ces éléments n'étant déterminant lorsqu'il est pris indi- viduellement. Une déclaration d'intention à carac- tère subjectif n'aurait donc que peu de poids à moins d'être étayée par des faits objectifs consti- tuant une expression concrète de cette intention, c.-à-d. la possession d'une résidence, l'immatricu- lation d'une voiture, des comptes en banque, l'ad- hésion à un club ou à une association et, en particulier, la présence continuelle au Canada des membres de la famille d'une personne qui vient les y rejoindre à l'occasion, même si ce n'est que pour de brèves périodes.
Dans le même ordre d'idées, il est possible que des faits objectifs ne soient pas concluants lors- qu'ils indiquent simplement une forme de présence au Canada, mais qu'il devient évident que la per- sonne n'a pas l'intention de s'y établir. Ce serait le cas, par exemple, d'un requérant qui a obtenu le droit d'établissement au Canada, loue un local et y installe un lit, ouvre une agence, engage quelqu'un pour s'occuper de celle-ci et retourne dans son pays d'origine pour y vivre avec sa famille et ses amis et vaquer à ses affaires habituelles. Si de tels faits devaient ressortir d'une enquête, il serait logique de conclure que le requérant n'a même pas satis- fait au critère principal de résidence que la Loi impose. Une telle personne pourrait constituer un très bon immigrant admis, mais cela ne lui donne- rait pas le droit d'obtenir la citoyenneté quatre ans plus tard.
Je voudrais souligner que, dans les cas l'on soulève la question d'absences prolongées du Canada, il faut toujours tenir compte de la distinc-
tion qui existe entre le statut conféré à un immi grant admis en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] et l'octroi de la citoyenneté conformément à la Loi sur la citoyen- neté. Un immigrant admis conserve le droit d'être réadmis au Canada tant qu'il respecte les disposi tions de l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976. L'octroi de la citoyenneté est tout autre chose. La citoyenneté confère un statut spécial à une personne, statut qui est reconnu et respecté partout dans le monde. Elle est attribuée non seulement à la personne mais également à ses descendants. Elle confère une identité particulière, qui est perpétuelle et incontestable.
Le juge Muldoon fait allusion à cette question dans l'analyse approfondie de la loi qu'il a faite dans la cause Re Anquist (1984), 34 Alta. L.R. (2d) 241; [1985] 1 W.W.R. 562 (C.F. Ire inst.), il cite un extrait du jugement prononcé par le juge Pratte dans l'affaire Blaha c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1971] C.F. 521 (C.A.C.), à la page 525:
Ainsi, le législateur veut-il s'assurer que la citoyenneté canadienne ne soit accordée qu'à ceux-là qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer dans notre société.
Ces propos ont été tenus avant que les modifica tions apportées en 1976 aient permis d'appliquer des règles plus libérales en matière de résidence. Le juge Muldoon pouvait néanmoins affirmer [aux pages 249 Alta. L.R.; 571 et 572 W.W.R.]:
Le législateur n'a pas modifié l'esprit de la Loi par son amende- ment subséquent, même s'il a élargi les critères servant à établir la résidence par l'envoi à l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976. Comme l'affirme le juge Pratte, le législateur a voulu que le requérant démontre qu'il a effectivement résidé parmi les Canadiens et qu'il partage volontairement notre sort au sein d'une collectivité canadienne.
L'argument principal des intimés consiste à dire que l'établissement d'une résidence permanente dans une partie de la maison de M. Banani à Thornhill constitue le genre de résidence visée par l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Combi- nés à l'intention de revenir au pays, comme en fait foi la délivrance de permis de retour pour résidents permanents, les faits et l'intention satisfont au critère prévu à cet article. Je dois, à cet égard, citer encore une fois le juge Muldoon qui dit à la
page 13 de l'affaire Anquist (précitée) [aux pages 249 Alta. L.R.; 572 W.W.R.]:
Si les dispositions de l'alinéa 5(l)b) de la Loi sur la citoyen- neté n'exigeaient que le respect de l'exception prévue au para- graphe 24(2) de la Loi sur l'immigration, je devrais manifeste- ment accueillir le présent appel. Toutefois, ces dispositions sont plus exigeantes. Comme le souligne le juge Addy dans l'affaire Stafford ((1980), 97 D.L.R. (3d) 499, aux pages 500 et 501), elles exigent plus qu'une «simple intention de retour».
Il est facile d'établir l'intention des intimés de revenir au Canada étant donné qu'ils devront effectivement le faire tôt ou tard. En effet, le seul document de voyage qu'ils possèdent est un certifi- cat d'identité canadien qu'ils doivent renouveler chaque année. Ils possèdent également des permis de résidence en Israël lorsque le mari vaque à ses obligations religieuses et administratives dans ce pays, mais la permanence de leur statut n'est assurée que par la possibilité qu'ils ont de rentrer au Canada.
Je ne suis pas d'accord pour dire que le simple fait pour les requérants de posséder une résidence au Canada et d'avoir l'intention d'y retourner permet de conclure que leur cas est visé par l'ali- néa 5(1)b) de la Loi, même si on devait interpréter cette disposition avec la plus grande flexibilité. Je ne peux pas voir à quel moment pendant les années 1982 à 1986, les intimés se sont mêlés de quelque manière que ce soit à la société canadienne ou ont établi avec les Canadiens ou leurs institutions le genre de liens envisagés par le législateur dans sa Loi. Fait important à cet égard, le mari s'était déjà engagé dans les activités que lui impose la foi baha'ie avant même d'avoir obtenu le droit d'éta- blissement, activités qui nécessitaient de toute évi- dence sa présence continue à Haïfa. On ne peut donc pas affirmer que lorsqu'il est arrivé au Canada, il avait l'intention d'y établir une nouvelle résidence. La jurisprudence est claire: avant que l'on puisse appliquer à la durée de la résidence le critère applicable à la résidence en vertu de la Loi, le requérant doit tout d'abord prouver qu'il a établi sa résidence au Canada. On pourrait considérer qu'un séjour de deux semaines en septembre 1982 et un autre d'une semaine en août 1983, comme l'indique le dossier, satisfont théoriquement à cette règle particulière, mais j'estime que cela ne répond pas aux principales exigences de la Loi.
Pour ce qui est de l'épouse, il est vrai que son premier séjour au Canada a duré quatre semaines.
Son témoignage me permet toutefois de conclure qu'elle a séjourné au Canada deux semaines en 1984 et deux autres semaines en 1985 principale- ment en raison de son rôle de compagne de voya ges lors des assemblées de la communauté baha'ie tenues à Ottawa et Montréal.
La preuve versée au dossier indique également que le mari et son épouse n'ont jamais résidé ensemble au Canada. Cela ne signifie pas que la cohabitation des époux au Canada est, suivant les règles relatives à la citoyenneté, une condition préalable essentielle pour établir leur résidence au Canada, mais cela indique plutôt, à mon avis, qu'on peut difficilement affirmer que les intimés avaient un pied-à-terre fixe à Thornhill (Ontario).
Toute tentative de dresser une liste exhaustive des différents indices qui permettent de déterminer si un requérant satisfait à l'esprit des règles relati ves à la citoyenneté qui ont été adoptées sous le régime de la Loi sur la citoyenneté nécessiterait un effort épuisant. Compte tenu des faits qui m'ont été soumis, j'estime qu'il n'existe aucun indice de ce genre, à part le droit des intimés d'occuper des locaux à Thornhill aussi bien que partout ailleurs au Canada. Un immigrant admis ne peut simple- ment adopter le Canada à titre de pavillon de complaisance aux fins de la Loi sur la citoyenneté et des exigences de son article 5.
En concluant que les appels du Secrétaire d'État doivent être accueillis, je ne dois pas oublier les autres éléments des points litigieux qui m'ont été soumis. Il est vrai que le mari et son épouse, tous deux ressortissants iraniens, sont désormais apatri- des. Ils ne possèdent aucun passeport. Ils sont tenus par les obligations découlant de leurs fonc- tions d'habiter à Haïfa (Israël). Il ressort de leurs témoignages qu'ils sont bien connus là-bas et qu'ils n'ont jamais eu de difficultés à faire renouveler leurs permis de résidence en Israël. Le personnel de la mission canadienne en Israël les connaît également et c'est pourquoi ils ont réussi à faire renouveler leurs certificats d'identité canadiens sans difficulté. Les fonctions du mari et de son épouse exigent qu'ils voyagent énormément et leurs documents de voyage canadiens leur ont permis de se rendre au Royaume-Uni, à Chypre, en France, en Allemagne de l'Ouest, dans les pays du Bénélux, aux États-Unis, en Suisse et probable- ment dans d'autres pays.
Le mari a laissé entendre qu'un certificat d'iden- tité est moins pratique qu'un passeport, étant donné qu'il doit être renouvelé tous les ans alors qu'un passeport l'est tous les cinq ans. L'épouse a également déclaré dans son témoignage qu'elle avait connu de temps à autre des embêtements en entrant dans certains pays, un risque qui, selon elle, serait éliminé si elle détenait un passeport canadien. Il faut reconnaître qu'il s'agit d'incon- vénients, mais la difficulté d'obtenir des visas ou des permis d'admission est chose normale pour des personnes qui, comme les intimés, voyagent beau- coup. Cette difficulté est même normale pour les personnes qui voyagent beaucoup et sont détentri- ces de passeports canadiens valides. Ces incidents de parcours ne constituent pas des motifs pour modifier la loi en faveur des intimés.
Le mari a également déposé au sujet des obliga tions qui lui incombent en vertu de la foi baha'ie. L'élection à la Maison universelle de la justice comporte l'obligation sacrée pour la personne élue de s'acquitter des responsabilités de son poste, ce qui exige donc que le mari réside de manière permanente à Haïfa dans une maison qui lui est fournie par la communauté. En cas de réélection l'année prochaine pour un autre mandat de cinq ans, le mari se sentira obligé de continuer à résider à Haïfa, et son épouse et lui seront incapables de satisfaire aux règles relatives à la résidence au Canada afin d'obtenir la citoyenneté canadienne.
La Cour comprend très bien cette situation diffi- cile et elle exprime sa sympathie aux personnes qui doivent y faire face. Il n'en demeure pas moins, comme l'a souligné brièvement l'amicus curiae lors de l'audience, que le Canada a déjà fait tout ce qu'il peut pour les intimés en leur octroyant le statut d'immigrants admis, en leur délivrant des documents de voyage qui ne constituent pas un obstacle à leurs nombreux voyages à l'étranger et en leur fournissant un asile sûr chaque fois qu'ils désirent revenir au pays.
Il faut reconnaître qu'il est possible que des événements viennent modifier la situation actuelle des intimés et créer la situation particulière et exceptionnelle de détresse dont il est question au paragraphe 5(4) de la Loi et l'on pourrait recommander l'intervention du gouverneur en con- seil. Une telle situation n'existe pas encore et il serait donc prématuré de ma part de faire une
recommandation de ce genre. Cela n'empêche évi- demment pas les intimés de faire valoir devant le gouverneur en conseil d'autres arguments reposant sur des faits ou des preuves qui n'ont pas été soumis à cette Cour.
Les appels formés par le Secrétaire d'État sont accueillis et les ordonnances de la Cour de la citoyenneté sont annulées. Aucuns dépens ne sont adjugés.
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