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T-2133-88
Alan Riddell (requérant) c.
Jean-Marc Hamel et Jean-Robert Gauthier (intimés)
RÉPERTORIÉ: RIDDELL C. HAMEL
Division de première instance, juge Muldoon— Ottawa, 15 et 17 novembre 1988.
Élections La demande sollicite un jugement déclaratoire portant que l'art. 72 de la Loi électorale du Canada est valide, un bref de mandamus ordonnant l'application de l'art. 72 et une ordonnance qui prescrirait le retrait des affiches électora- les désignant erronément un agent officiel, contrairement à l'art. 72 Dans l'arrêt Coalition nationale des citoyens, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a déclaré que l'art. 72 était incompatible avec l'art. 2b) de la Charte Le refus du directeur général des élections d'appliquer l'art. 72 est justifié tant que cet arrêt n'a pas été infirmé par une cour de compé- tence concurrente ou supérieure Aucun élément de preuve n'appuie les conjectures voulant que la démocratie soit mise en danger si l'art. 72 n'est pas appliqué Aucun avis de l'instance en l'espèce n'a été expédié aux procureurs généraux des provinces Aucune urgence n'a été établie Il existe des questions sérieuses à trancher, notamment celle de savoir si l'art. 72 est contraire à la Charte, celle de savoir si le fonctionnaire chargé d'assurer l'application de la Loi est le directeur général des élections ou le commissaire aux élections fédérales et celle de savoir si ces fonctionnaires échappent à la surveillance judiciaire La requête est rejetée sous réserve du droit du requérant d'intenter une action dans un délai déterminé.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance La demande sollicite un jugement déclaratoire, un bref de mandamus et une ordonnance enjoignant à un candidat d'une élection fédérale de retirer les affiches électorales qui ne sont pas conformes à l'art. 72 de la Loi électorale du Canada La Cour n'a pas la compétence voulue en ce qui concerne le candidat puisque celui-ci ne constitue pas un office, une commission ou un autre tribunal fédéral.
Pratique Frais et dépens La demande concernant la validité et l'application de la Loi électorale du Canada est rejetée pour défaut de compétence dans la mesure elle vise le candidat Les dépens sont réduits en raison des alléga- tions non fondées imputant de la malice, de la mauvaise foi, de la malhonnêteté ainsi qu'une conduite déloyale.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1l (R.-U.), art. 2b).
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 14, art. 2, 3(7), 4(l)a),b),c), 23(2)a) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 3, art. 21), 26(1), 62(1) (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 164, art. 10), (1.2) (édicté, idem), (2) (mod., idem), 70(3) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 3, art. 45), 70.1 (ajouté par S.C. 1973-74, chap. 51, art. 12), 72(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 15), (2) (mod., idem), 77(1), 78(1), 99(2),(3),(4) (mod. par S.C. 1973-74, chap. 51, art. 13).
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Nat. Citizens' Coalition Inc. Coalition Nat. des Citoyens Inc. v. A.G. of Can., [1984] 5 W.W.R. 436 (B.R. Alb.); Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 98 (1« inst.); Hamel c. Union Populaire, [1980] 2 C.F. 599; 118 D.L.R. (3d) 484 (C.A.).
A COMPARU:
Alan Riddell pour son propre compte.
AVOCATS:
Yvon Tarte pour l'intimé Jean-Marc Hamel. Gérard Lévesque pour l'intimé Jean-Robert Gauthier.
LE REQUÉRANT, POUR SON PROPRE COMPTE:
Alan Riddell, Ottawa.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé Jean-Marc Hamel.
Lévesque & Terrien, Ottawa, pour l'intimé Jean-Robert Gauthier.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Le requérant sollicite:
[TRADUCTION]
1. un jugement déclaratoire portant que l'article 72 de la Loi électorale du Canada S.R.C., (1°' Supp.) chap. 14 est valide;
2. une ordonnance enjoignant par voie de mandamus à l'intimé Jean-Marc Hamel d'exiger l'observation de l'article 72 de la Loi électorale du Canada conformément à l'alinéa 4(1)a) de ladite Loi; et
3. une ordonnance enjoignant à l'intimé Jean-Robert Gauthier de retirer toute les affiches électorales pour les remplacer par du matériel conforme à la Loi électorale du Canada.
Le fondement sur lequel le requérant fait repo- ser sa requête est que M. Hamel, le directeur général des élections, a refusé d'appliquer l'article 72 de la Loi électorale du Canada [S.R.C. 1970 (ler Supp.), chap. 14 (mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 164, art. 15)] en procédant de la prémisse juridique erronée selon laquelle cet arti cle est contraire à l'alinéa 2b) de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Le requérant a comparu personnelle- ment et, même s'il a eu tendance à prendre trop de temps et à se répéter assez souvent, ce qui n'est pas inhabituel chez les non-avocats, il a soulevé de façon intéressante un bon nombre de points de droit présentant des difficultés. La Cour a accordé une très grande latitude au requérant lors de sa présentation. Ce dernier a faire face dès le départ aux objections préliminaires présentées par les avocats respectifs des intimés.
Avant de traiter des arguments présentés, la Cour croit qu'il est opportun d'exposer certains faits et certaines données propres à la présente affaire.
Les dispositions législatives citées par le requé- rant sont les suivantes. L'alinéa 4(1)a) de la Loi est ainsi libellé:
4. (1) Le directeur général des élections doit
a) diriger et surveiller d'une façon générale les opérations électorales et exiger de tous les officiers d'élection l'équité, l'impartialité et l'observation des dispositions de la présente loi;
En fait, il ressortirait à la lumière d'un argu ment particulier présenté au sujet du statut de l'intimé Gauthier et de son agent officiel que le requérant aurait également besoin d'invoquer l'ali- néa b) de ce même article, qui est ainsi rédigé:
4....
b) transmettre, à l'occasion, aux officiers d'élection les ins tructions qu'il juge nécessaires à l'application efficace des dispositions de la présente loi; ...
L'article 72 de la Loi comporte deux paragra- phes :
72. (1) Tout imprimé de la nature d'une annonce, d'un placard, d'une affiche ou d'une circulaire qui indique un soutien ou une opposition à l'élection d'un parti enregistré ou d'un candidat et qui est mis en évidence ou distribué pendant une
élection doit porter les nom et l'autorisation de l'agent enregis- tré du parti ou de l'agent officiel du candidat, selon le cas.
(2) Est coupable d'une infraction à la présente loi, quiconque imprime, publie, distribue ou affiche, ou fait imprimer, publier, distribuer ou afficher un imprimé visé au paragraphe (1) sans indiquer les nom etautorisation des personnes y indiquées.
Si le requérant sollicite un jugement déclara- toire de cette Cour portant que l'article 72 précité est valide, c'est qu'en 1984, le juge Medhurst de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a déclaré que l'article 72, notamment, était incompatible avec l'alinéa 2b) de la Charte et était inopérant dans la mesure de cette incompatibilité. La déci- sion du juge Medhurst est rapportée sous le titre Nat. Citizen' Coalition Inc. Coalition Nat. des Citoyens Inc. v. A.G. of Can., [1984] 5 W.W.R. 436 (B.R. Alb.), ci-après désignée sous le nom Coalition nationale des citoyens.
Le requérant, un électeur dûment qualifié du district électoral fédéral d'Ottawa -Vanier, agit comme président de campagne au sein de l'organi- sation électorale d'un des candidats en l'espèce, Gilles Guénette. Le requérant présente à l'appui du bien-fondé de sa requête deux affidavits sous- crits par un dénommé Bruce McIntosh, un homme d'affaire qui agit comme directeur adjoint de la campagne dudit candidat. Ces affidavits allèguent que des feuillets, des affiches et du matériel électo- ral imprimés faisant valoir la candidature d'un autre candidat dans Ottawa -Vanier, l'intimé Jean- Robert Gauthier, portent la déclaration [TRADUC- TION] «autorisé[e] par Robert Cusson, agent offi- ciel» alors que l'agent officiel de ce candidat est en fait Vincent Gauthier. Un échantillon a été pré- senté en preuve. Malgré le fait que les imprimés de M. Gauthier ne portent pas le nom de son véritable agent officiel, le directeur général des élections intimé refuse de tenter d'appliquer l'article 72 de la Loi. Le déposant McIntosh s'appuie sur l'avis d'un scrutin délivré par le président d'élection conformément au paragraphe 62(1.2) [édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 10] de la Loi, mais il ne prétend pas nier l'applicabilité du para- graphe 62(2) [mod., idem] qui prévoit la nomina tion d'un nouvel agent officiel dans certaines cir- constances. Quoi qu'il en soit, l'avocat de l'intimé Gauthier n'a fait valoir aucune allégation affir- mant le contraire et a à peine eu le temps de même donner un avis de son intention, le, cas échéant, de
contre-interroger M. McIntosh relativement à son affidavit.
L'avocat de l'intimé Gauthier a d'autre part mis de l'avant certaines objections préliminaires, dont une était valable et dont un bon nombre étaient tout simplement répréhensibles. Parmi ces derniè- res figurent les objections qui, sans un soupçon de preuve, ont imputé au requérant de la malice, de la mauvaise foi, de la malhonnêteté ainsi qu'une con- duite déloyale. Bien que M. Gauthier ait été importuné de façon imprévue et ait reçu peu d'avertissement, il ne peut s'attendre à ce que la Cour lui accorde la totalité de ses frais lorsque son avocat adopte une telle approche. Celui qui recher- che l'application de la loi ne doit pas être insulté.
L'avocat de l'intimé Gauthier a soutenu qu'il est abusif de demander l'application d'une disposition légale non existante. Cet aspect de son argumenta tion aurait de meilleures chances de réussir, mais il ne tient pas compte du fait que la première demande du requérant sollicite une déclaration portant que l'article 72 revit et est pleinement valide. L'objection de cet avocat selon laquelle cette Cour n'est pas compétente en ce qui concerne l'intimé Gauthier était suffisante par elle-même. Le requérant a astucieusement prétendu que chaque candidat, y compris M. Gauthier, constitue avec son agent officiel un(e) «office, commission ou autre tribunal fédéral» parce qu'il exerce des fonctions en vertu de dispositions comme, par exemple, l'alinéa 23(2)a) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 3, art. 21] et les paragraphes 26(1) et 62(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 10] de la Loi électorale du Canada. Les actions permi- ses à un candidat dans son propre intérêt ou exigées d'un candidat dans l'intérêt public ne suffi- sent pas à en faire un office ou un autre tribunal fédéral. La Cour aurait autorisé M. Gauthier à intervenir à titre de personne intéressée dans l'ins- tance s'il avait demandé qu'une telle qualité lui soit reconnue, mais elle ne cherchera pas à lui imposer sa compétence. La requête du requérant est donc radiée dans la mesure elle vise à associer à la procédure Jean-Robert Gauthier dans la présente instance, et M. Gauthier ne se verra accorder que les deux-tiers de ses frais taxés entre parties (considérant les allégations extravagantes et non prouvées de son avocat) contre le requérant, à qui il sera ordonné de les payer.
Le directeur général des élections, conjointe- ment avec l'intimé Gauthier, a présenté une objec tion soulevant la brièveté excessive de l'avis relatif à la présente instance, qui n'a été signifié qu'un jour avant son commencement. En fait, la Cour n'est pas bien outillée pour trancher de façon urgente—sauf peut-être en ce qui concerne l'in- jonction provisoire assortie d'un engagement à payer des dommages-intérêts ou à fournir un cau- tionnement—des affaires fugitives comme l'affaire en l'espèce. Lorsqu'on recherche un recours extraordinaire à l'égard de telles questions, plutôt qu'une mesure de police, la Cour devrait avoir les moyens nécessaires pour faire face aux urgences très pressantes.
La présente espèce ne présente pas un caractère de grande urgence. Certes, la Cour doit faire observer la loi, mais il reste que la violation du paragraphe 72(1) n'est pas l'une des infractions dénoncées par la législation sur les élections aux- quelles le Parlement lui-même a attribué le plus de gravité. Elle est sanctionnée par les pénalités géné- rales prévues à l'article 78. A titre d'exemple, le fait d'enlever ou de modifier les avis officiels sans autorisation est punissable, en vertu du paragraphe 77(1) et sur déclaration sommaire de culpabilité, d'un emprisonnement d'une durée deux fois plus longue que celle prévue à l'article 78 tandis que le paragraphe 99(4) [mod. par S.C. 1973-74, chap. 51, art. 13] prévoit une amende cinq fois plus importante sur déclaration sommaire de culpabi- lité pour la violation des paragraphes 99(2) et (3). La présente infraction ne concerne pas le fait de tromper ou d'intimider les électeurs ou d'entraver l'exercice de leur droit de vote. En fait, le Parle- ment ne prévoit pas à cet égard d'autres mesures dissuasives, ou des mesures plus draconiennes, que la poursuite fondée sur le paragraphe 72(2), qui est elle-même régie par le paragraphe 78(1).
Le requérant a conjecturé à cet égard que le mal si délibérément minimisé par le juge Medhurst dans l'arrêt Coalition nationale des citoyens se réalisera: des associations, syndicats ou coalitions possédant de grands moyens financiers intervien- dront pour exercer une influence sans commune mesure avec le droit de vote des particuliers qui les ont mandatés, parce qu'ils ont les moyens de tou- cher le grand public par les médias ou, à tout le moins, d'imprimer à tour de bras; et une telle
richesse sera brutalement déployée pour étouffer cette plante de serre qu'est la démocratie (voilà bien ce qu'elle est, car il n'est pas dans l'ordre des choses d'accorder aux faibles un pouvoir politique égal—par le bulletin de vote individuel—à celui des forts lorsqu'il s'agit de forger les politiques et de déterminer les lignes de conduite du gouverne- ment). Le requérant n'a présenté aucune preuve établissant le bien-fondé de ses conjectures.
La Cour ne serait pas sans réagir devant la preuve convaincante que l'on cherche, par des apports d'argent occulte, à déséquilibrer la capa- cité des partis politiques de se battre dans l'arène publique pour emporter la faveur de l'électorat. La Cour a indiqué qu'elle était habilitée à prendre des mesures correctives relativement à des circons- tances analogues dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 98 (ire inst.), à la page 108. La démonstration convaincante d'un danger réel et imminent pour ce pays, ses habi- tants ou leurs institutions démocratiques amène- rait certainement la Cour à exercer ses pouvoirs. Le requérant ne présente aucun élément de preuve établissant un tel péril mais se contente de suggé- rer mollement qu'il peut en obtenir. Une cour de justice et d'equity, au contraire d'une unité anti - sabotage, n'est pas justifiée d'agir précipitamment en se fondant sur de simples soupçons, quelque convaincants qu'ils puissent être. Si le requérant possède réellement une telle preuve, celle-ci est précisément de celles qui pourraient étayer la vali- dité des articles 70.1 [ajouté par S.C. 1973-74, chap. 51, art. 12] et 72 de la Loi au regard de l'article 1 de la Charte.
La demande que le requérant dit qu'il aurait pu présenter pourrait bien être suffisamment sérieuse pour amener la Cour à exercer ses pouvoirs dans l'intérêt public. En comparaison, la demande que le requérant a effectivement présentée—la dési- gnation de la mauvaise personne comme agent officiel sur des imprimés faisant de la propagande partisane—est relativement peu importante et ne présente certainement pas un caractère d'urgence. L'arrêt Coalition nationale des citoyens, tant qu'il n'est pas infirmé par une cour de compétence concurrente ou supérieure, justifie le refus du directeur général des élections d'appliquer l'article 72 de la Loi électorale du Canada durant la campagne électorale en cours. Se prévalant de
l'immunité offerte dans la salle d'audience, son avocat a indiqué que le directeur général des élec- tions considère que l'arrêt Coalition nationale des citoyens a eu des conséquences absolument néfas- tes et qu'il serait content de le voir infirmé. Le procureur général du Canada, qui était défendeur dans cette affaire qui s'est déroulée en 1984, n'a pas interjeté appel de la décision rendue et le directeur général des élections n'a pas été associé à l'instance.
L'avocat du directeur général des élections a également prétendu qu'en tout état de cause, le directeur général ne devrait pas agir comme intimé dans la présente affaire puisque le fonctionnaire chargé d'assurer l'application et le respect de la Loi, aux termes du paragraphe 70(3) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 3, art. 45] de la Loi, n'est pas le directeur lui-même mais le commissaire aux élections fédérales (que nous dénommerons le C.E.F.). Il soutient que le fait que le paragraphe 70(3) attribue directement au C.E.F. le rôle de «veiller à ce que les dispositions de la présente loi soient respectées et appliquées» est beaucoup plus représentatif de l'intention du Parlement que les dispositions en quelque sorte plus diluées figurant à l'alinéa 4(1)a) [ou même à l'alinéa c)], qui auraient été conçues principalement pour les fins de l'administration organisationnelle interne.
L'argument résumé ci-dessus semble plus plausi ble que celui qui lui fait suite, selon lequel, quoi qu'il en soit, le directeur général des élections et le C.E.F., nommés par la Chambre des communes ou par son intermédiaire, échappent tous deux à la surveillance judiciaire de cette Cour. C'est comme si, dans le fédéralisme canadien d'aujourd'hui, la Cour d'appel ultime était un comité de la Cham- bre des lords qui serait ainsi appelé à statuer sur les droits et privilèges des Communes, une perspec tive considérée depuis longtemps comme un malaise potentiel du corps politique de la Grande- Bretagne unitaire. Cet argument procède d'un esprit de déférence coloniale voulant imposer des normes de la mère patrie qui ne s'appliquent pas dans notre pays. L'article 3 de la Loi fait du directeur général des élections un haut-fonction- naire de l'Etat et lui confère une grande indépen- dance; les dispositions de cet article, et en particu- lier le paragraphe 3(7) selon lequel le directeur général des élections n'est amovible «que pour
cause, par le gouverneur général sur une adresse la fois] du Sénat et de la Chambre des communes» ne suffisent pas à le hisser au-dessus de la loi. L'avocat du directeur général des élections dit que dans l'hypothèse le directeur général des élec- tions ou le C.E.F., ou l'un et l'autre, pourraient être assujettis à la surveillance de cette Cour, c'est le second qui devrait être considéré comme la personne responsable. Cela revient à dire que le requérant a engagé des procédures contre le mau- vais officier et qu'en conséquence, sa demande devrait être rejetée.
L'avocat de l'autre intimé fait état des fonctions assignées au C.E.F. par l'article 70 de la Loi, à savoir:
70....
(3) Le directeur général des élections doit nommer un com- missaire aux élections fédérales (appelé le «commissaire» dans la présente loi) qui a pour fonctions, sous la surveillance générale du directeur général des élections, de veiller à ce que les dispositions de la présente loi soient respectées et appliquées.
La question reste ouverte, puisque le C.E.F., étant un «officier d'élection» au sens de l'article 2 de la Loi, demeure assujetti dans l'exercice de ses fonc- tions aux directives du directeur général des élec- tions qui, selon les termes précités de l'alinéa 4(1)b), doit transmettre aux officiers d'élection, y compris le C.E.F., les instructions qu'il juge néces- saires «à l'application efficace des dispositions de la présente loi». Il est possible qu'une argumenta tion plus poussée, plus complète et supérieure con- vainque un tribunal de conclure qu'il incombe également à l'un de ces deux officiers, ou aux deux, de faire respecter l'article 72 de la Loi, dans l'hypothèse cette disposition législative serait valide.
Quoi qu'il en soit, l'avocat de l'intimé prétend en fin de compte que ni l'un ni l'autre n'est assujetti au pouvoir de surveillance de la Cour mais que tous deux jouissent d'une immunité parce que l'intimé ne relève que du Parlement. Il s'agit, encore, d'une question litigieuse, qui a été soulevée sans être tranchée dans l'arrêt Hamel c. Union Populaire, [ 1980] 2 C.F. 599, la page 604; 118 D.L.R. (3d) 484, à la page 489. Examinant un bref de mandamus délivré par la Division de pre- mière instance, la Division d'appel de cette Cour a simplement tenu pour acquis que «le directeur général des élections est assujetti au contrôle des tribunaux» sans . trancher cette question. Celle-ci
mérite certes d'être débattue et étudiée de façon plus approfondie qu'elle ne peut l'être dans le cadre de procédures sommaires comme celles en l'espèce. Toutefois, il n'est aucunement certain que
l'intimé, qui détient d'office une autorité étatique et un pouvoir conféré par une loi—une caractéris- tique essentielle d'«un office . .. ou ... autre tribu nal fédéral»—ait raison de prétendre qu'il jouit d'une immunité à l'égard des brefs de prérogative, en particulier à une époque où, comme c'est le cas actuellement, le Parlement et le gouvernement en place sont eux-mêmes assujettis aux règles de droit énoncées par la Constitution.
Quoi qu'il en soit, la position de l'intimé en l'espèce nécessite une décision sur la constitution- nalité de l'article 72 de la Loi. Aucun avis de la présente instance n'a été signifié aux procureurs généraux du Canada afin de découvrir si certains de ceux-ci seraient intéressés à y intervenir. Cette possibilité devrait leur être accordée. En ; consé- quence, comme il n'est pas établi que la présente affaire est très urgente, comme il existe au moins une question constitutionnelle à trancher et comme le requérant sollicite non seulement un redresse- ment par voie de mandamus et d'injonction man- datoire mais également une déclaration sur la validité de l'article 72 contesté, la Cour suivra la directive donnée par la Division d'appel dans l'ar- rêt Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586, la page 589:
Il me semble que deux partis s'offrent au juge saisi d'une requête en jugement déclaratoire: il peut soit rejeter la demande pour des motifs d'ordre procédural tout en réservant au requérant le droit d'intenter son action dans un délai qu'il fixe, soit, avec le consentement des parties et non simplement en l'absence d'objection, ordonner que l'on considère que l'ins- tance a été régulièrement introduite, à condition que les parties versent au dossier un exposé conjoint de tous les faits sur lesquels les questions en litige devront être tranchées. L'omis- sion de délimiter les faits peut amener une situation semblable à celle que nous avons en l'espèce. On ne peut avoir la certitude qu'en appel, les questions en litige seront abordées de la même façon que lors du procès.
Comme l'intimé n'a pas donné le consentement requis et qu'il n'existe aucune possibilité qu'un exposé conjoint des faits soit versé au dossier, la requête du requérant sera rejetée, et ce dernier paiera les frais entre parties si l'affaire prend fin avec la présente décision. Toutefois, les frais sui- vront l'issue du litige si le requérant engage une action comme il a la possibilité de le faire, sous toute réserve que de droit. Ainsi que l'a prescrit
M. le juge Mahoney dans l'arrêt Wilson, le rejet de la présente requête ne préjudicie pas au droit du requérant d'intenter une action contre le directeur général des élections et/ou le commissaire aux élections fédérales et/ou le procureur général du Canada s'il juge à propos de le faire, pour obtenir le redressement à caractère déclaratoire et les autres redressements sollicités en l'espèce, avant la fin des heures d'affaires du greffe d'Ottawa de la Cour le vendredi 9 décembre 1988, à défaut de quoi le directeur général des élections intimé pourra taxer ses frais et obtenir un jugement à leur sujet contre le requérant.
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