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A-355-88
La Reine, représentée par le Procureur général du Canada (requérante)
c.
Alliance de la Fonction publique du Canada (intimée)
et
Econosult Inc. (mise-en-cause)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. A.F.P.C.
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Hugessen, J.C.A.—Montréal, 25 novembre 1988; Ottawa, 17 janvier 1989.
Fonction publique Compétence Privatisation de l'en- seignement dans un pénitencier fédéral Un contrat conclu entre une firme et le gouvernement précisait les tâches des enseignants Le superviseur immédiat de l'enseignant était employé par la compagnie, et le représentant du Service cor- rectionnel vérifierait la qualité de l'enseignement Les servi ces étaient facturés à l'heure Se fondant sur les art. 33 et 98 de la L.R.T.F.P., le syndicat a demandé une déclaration portant que les enseignants étaient membres du groupe ED de l'unité de négociation Rejetant la forme pour le fond, la
Commission a accepté les prétentions du syndicat La Com mission était-elle compétente à déterminer quels employés font partie de la fonction publique? La Commission a-t-elle commis une erreur en examinant les circonstances entourant l'exécution des fonctions afin de déterminer la nature de la relation envisagée? La législation définissant et régissant la fonction publique empêche-t-elle l'application du critère de la prédominance du fond sur la forme à la fonction publique?
La demande sollicite l'annulation d'une décision de la Com mission des relations de travail dans la fonction publique portant que des enseignants travaillant dans un pénitencier fédéral étaient compris dans l'unité de négociation du groupe de l'enseignement. Les enseignants faisaient partie du personnel du Solliciteur général depuis 1984, l'année au cours de laquelle une nouvelle politique de privatisation de l'enseignement aux détenus a été mise en oeuvre. Le gouvernement a alors conclu avec une firme privée un contrat prévoyant la fourniture de services pédagogiques. Ce contrat précisait les tâches accom- plies par les enseignants, en indiquant qu'ils seraient placés directement sous la direction d'un employé de la firme. Un représentant du Service correctionnel contrôlerait l'enseigne- ment ainsi fourni. Ces services étaient facturés selon un taux horaire. La firme recrutait et embauchait les enseignants. Le syndicat, A.F.P.C., a demandé à la Commission, sur le fonde- ment des articles 33 et 98 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, de déclarer que les enseignants étaient des employés de Sa Majesté et étaient membres de l'unité de négociation du groupe ED. La C.R.T.F.P. a rejeté la forme pour le fond de la relation envisagée, et elle a prononcé les conclusions demandées. Ce faisant, elle a appliqué le critère bien établi utilisé par les tribunaux du travail pour déterminer si une relation employeur-employé existe véritablement. Les
questions soulevées par la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce sont celles de savoir si la Commission a excédé sa compétence ou a commis une erreur de droit.
Arrêt (juge Hugessen, J.C.A., dissident): la demande devrait être accueillie.
Le juge Marceau, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le juge Pratte, J.C.A.): La décision visée est importante parce qu'elle rejoint l'ensemble du processus de mise en oeuvre de la politique du gouvernement en matière de privatisation de servi ces marginaux jusque fournis par les fonctionnaires de l'administration fédérale.
Les enseignants ne sont pas des fonctionnaires au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Trois conclusions préliminaires sont mises de l'avant: (I) Le régime d'emploi et le régime des relations de travail des fonctionnaires sont distincts. Le régime du secteur public se trouve défini dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur la gestion des finances publiques. Ces lois doivent s'interpréter les unes par rapport aux autres, puisqu'elles ont été adoptées en vue d'une application conjointe. (2) Il n'est pas question d'un problème d'employés déguisés sous les apparences d'entrepre- neurs autonomes. Les enseignants sont des employés; la ques tion est de savoir de qui. (3) La méthode de création de la relation employeur-employé est différente selon que le régime des relations de travail envisagé est celui du secteur public ou celui du secteur privé. Sous ce dernier régime, la qualité d'employé s'infère souvent des circonstances entourant la pres- tation du travail. Dans le secteur public, la qualité d'employé est soumise à des règles strictes et rigides, et elle ne saurait être inférée d'une situation de fait. Suivant les lois régissant l'emploi dans la Fonction publique, pour que quelqu'un soit fonction- naire, il est nécessaire qu'un poste ait été créé par le Conseil du Trésor et qu'une nomination ait été faite par la Commission de la fonction publique.
Ceci étant dit, la Commission ne détenait pas la compétence voulue pour déterminer qui est un employé de la fonction publique. Son autorité ne s'étend qu'aux fonctionnaires recon- nus comme tels par les prescriptions d'une loi autre que celle qui la gouverne et sous l'autorité d'une commission autre qu'elle-même. De plus, les enseignants n'ont jamais été nommés par la Commission de la fonction publique à des postes créés par le Conseil du Trésor. Enfin, l'employeur ne cherchait pas à se soustraire à son statut d'employeur en agissant par le truchement artificiel d'un tiers. Il est clair que le Solliciteur général a transféré le recrutement, le contrôle et la direction des enseignants à une firme privée.
Le juge Hugessen, J.C.A. (dissident): La jurisprudence ainsi que le contexte de la Loi établissent que la Commission est habilitée à déterminer qui est un employé au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commis sion n'a pas commis d'erreur en considérant la situation dans sa réalité. En agissant ainsi, elle a simplement appliqué les critères généraux établis par la Commission et par d'autres tribunaux spécialisés en matière de relations de travail.
La corrélation entre la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique n'est peut-être pas aussi étroite que le prétend le procureur de la requérante. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique vise le gouvernement de l'extérieur et
réglemente les rapports collectifs entre le gouvernement et ceux qui travaillent pour lui. La Loi sur l'emploi dans la fonction publique vise la régie interne du gouvernement. Une personne peut être un employé aux fins de ses relations de travail avec le gouvernement sans pour autant avoir nécessairement le statut de membre de la fonction publique. Quoi qu'en dise la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, l'arrêt Doré c. Canada a établi que la création d'un poste et la nomination à celui-ci dépendent de l'évaluation objective des faits.
La perception de la réalité est une question de fait. La Commission a pesé la preuve avec soin et en a tiré ses conclu sions. La Cour ne peut intervenir à moins que le résultat ne soit manifestement absurde, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La liberté d'association, qui est garantie par la loi suprême du Canada, est à la base de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. S'il existe un conflit entre les principes qui sous-tendent la L.R.T.F.P. et la L.E.F.P., ce sont les premiers qui doivent primer.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 6.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (l985), chap. F-11.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32.
Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), S.C. 1987, chap. 48, art. 4.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 2, 34, 99.
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 2, 33, 98 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 67, art. 27).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS DISTINGUÉES:
Canada (Procureur général) c. Brault, [I987] 2 R.C.S. 489; Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Syndicat Général du Cinéma et de la Télévision (S.G.C.T.) c. La Reine, [ 1978] I C.F. 346 (C.A.); Syndi- cat international des marins canadiens c. Kent Line Limited, [1972] C.F. 573 (C.A.).
AVOCATS:
Raymond Piché et Linda Gobeil pour la
requérante.
Diane Nicholas pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimée. André Girouard, Econosult Inc., Montréal, pour la mise-en-cause.
Service du contentieux, Commission des relations de travail dans la fonction publique pour la Commission des relations de travail dans la fonction publique.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: On a eu raison de parler ici d'un pourvoi dont la portée dépasse la solution du litige particulier qui oppose cette fois-ci les parties. La décision mise-en-cause dans les présentes procédures vient de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique. Son effet immédiat a été simplement d'accueillir une requête et un renvoi que l'intimée, l'Alliance de la Fonction publique du Canada, avait soumis à la Commission en invoquant certaines dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35. Mais par delà cet effet pratique immédiat, la décision a rejoint et jeté un doute sur tout le processus de mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière de privatisation de cer- tains services marginaux assumés jusqu'à mainte- nant par des fonctionnaires de l'administration publique fédérale. On comprend sans peine l'im- portance qu'attachent les autorités gouvernemen- tales à cette demande d'examen et d'annulation soumise en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10].
Les faits ne font pas difficulté. La décision attaquée, qui couvre quelques 58 pages, en fait une analyse exhaustive et soignée à laquelle les deux parties n'hésitent pas à se référer. S'il me fallait revoir ces faits dans la même optique que l'a fait Me Bendel au nom de la Commission, il me fau- drait m'y attarder aussi longuement que lui. Je ne crois toutefois pas que ce soit nécessaire. Une fois le contexte de base décrit et le tableau général de la situation dégagé, l'analyse des difficultés juridi- ques à résoudre, telles que je les vois, sera tout de
suite possible. Cela demande toutefois certains développements. Les voici.
En 1971, le Solliciteur général du Canada prit la décision d'offrir aux détenus des institutions péni- tentiaires fédérales des programmes de formation scolaire et universitaire dont la reconnaissance serait assurée grâce au concours de commissions scolaires, de collèges ou d'universités accrédités. Au Québec, le Solliciteur général conclut aussitôt avec le Gouvernement québécois une entente en vertu de laquelle des organismes relevant du minis- tère québécois de l'éducation fourniraient les servi ces pédagogiques requis pour soutenir et encadrer l'enseignement dans les deux secteurs dits acadé- mique et professionnel. Pour ce qui est de l'ensei- gnement lui-même, le Solliciteur général voulut avoir recours à quelques professeurs de l'extérieur, mais, au niveau professionnel surtout, il pensa engager des enseignants et les joindre à son propre personnel.
En 1984, le Solliciteur général crut devoir chan- ger en partie sa politique. Il décida qu'à l'avenir on aurait recours, pour les services pédagogiques et pour l'enseignement, à des agences extérieures du secteur privé, plutôt qu'à des enseignants faisant partie du personnel régulier. Une note interne du Commissaire du Service correctionnel du Canada mérite d'être reproduite in extenso à cause des précisions qu'elle contient quant à la mise en oeuvre de cette politique nouvelle:
Re: Programme de formation par contrat ou «privatisation» Préambule
Depuis 1971, au secteur «académique» principalement, le S.C.C. offre des programmes de formation accréditée aux détenu(e)s à notre charge par moyen de contrat avec une Commission scolaire, un Collège, une Université ou un orga- nisme privé. Au secteur «professionnel» (métier) le S.C.C. n'a eu recours au contrat avec une agence extérieure qu'occasion- nellement ou qu'exceptionnellement. C'est mon intention de poursuivre et d'accélérer le processus de «privatisation» de nos programmes d'éducation, aux deux secteurs de formation, aca- démique et professionnelle (métier).
Tout en assurant en tout temps la haute qualité de nos pro grammes de formation ainsi que la sécurité du personnel et des détenu(e)s à notre charge, il ne doit plus y avoir de doutes quant aux intentions de cette politique voulant que la formation de nos détenu(e)s soit réalisée par des enseignant(e)s de Com missions scolaires, Collèges et Universités à contrats.
Le recours à des contractuels est obligatoire lorsqu'une vacance de professeur se crée au sein des établissements. L'engagement de telles personnes qualifiées pour l'enseignement de nouveaux programmes ou pour la poursuite de programmes existants doit s'appliquer à toutes les sphères d'activités relevant aussi bien du secteur académique que du secteur professionnel (métier).
Chaque SCR devra concevoir un système permettant de prévoir le plus exactement possible la date des vacances qui seraient créées. La conversion des années personnes (A.P.) en dollars d'opération pour le recours à ces personnes contractuelles devra ainsi faire partie de votre processus budgétaire.
Le 16 mai 1985, le Ministère des Approvisionne- ments et Services du Canada (dont c'est l'une des tâches, on le sait, de représenter le Gouvernement fédéral pour l'acquisition de biens et services dont peuvent avoir besoin les diverses unités de l'Admi- nistration fédérale) passait avec une firme privée, Seradep Inc., un contrat pour la fourniture de services professionnels et pédagogiques aux déte- nus de l'institution pénitentiaire de Cowansville, l'une des institutions pénitentiaires fédérales située dans la province de Québec. En vertu de ce con- trat, qui devait prendre effet le ler juillet 1986 et rester en vigueur jusqu'au 30 juin 1987, Seradep Inc. s'engageait à mettre à la disposition de l'insti- tution six enseignants, pour les niveaux élémen- taire et secondaire, ainsi qu'un bibliothécaire. Le contrat définissait avec précision les tâches qu'as- sumeraient les enseignants tout en prévoyant qu'ils seraient placés directement sous la direction d'un superviseur employé par la firme. Il y était stipulé qu'un coordonnateur pédagogique surveillerait l'administration du contrat pour Seradep Inc., pen dant que le Service correctionnel aurait, lui, un représentant qui vérifierait la qualité de l'enseigne- ment. Les services des enseignants et de leur super- viseur devaient être facturés par Seradep Inc. sur une base horaire.
Le contrat fut exécuté tel que convenu. Seradep Inc. remplit ses engagements avec du personnel que la compagnie embaucha elle-même et qui resta sans contredit, aux yeux de tous, à son emploi, bien qu'oeuvrant évidemment dans les bâtiments du pénitentier et sous la surveillance du représentant du Service correctionnel. Quelques jours avant la date d'expiration du contrat à la fin de l'année, comme il n'était pas question de renouvellement, Seradep Inc. informa ses employés que leur emploi prenait fin.
Au cours du mois de juillet 1987, un deuxième contrat pour la fourniture de services pédagogiques aux détenus de Cowansville intervenait entre le Ministère des Approvisionnements et Services du Canada et la firme Econosult Inc., ici mise-en- cause. Ce contrat, prévu pour la période de juillet 1987 au 30 juin 1988, mais avec une possibilité de renouvellement pour deux autres périodes, com-
portait essentiellement les mêmes clauses que celui qu'avait conclu et exécuté Seradep Inc. Il ne sou- leva pas plus de difficultés d'exécution que le premier. La nouvelle firme eut recours aux services des anciens employés de Seradep Inc., qu'elle engagea, d'abord pour une période probatoire mais par la suite de façon permanente (sauf un), et avec une équipe, comprenant non plus 6 mais 8 ensei- gnants et un superviseur pédagogique, elle s'ac- quitta des tâches convenues de façon pleinement satisfaisante.
Le 12 février 1987, alors que le premier contrat (celui avec Seradep Inc.) était en cours, l'intimée, l'Alliance de la Fonction publique du Canada, présentait une requête à la Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique. Invo- quant son statut d'agent négociateur accrédité pour représenter tous les employés du Conseil du Trésor, membres de l'unité de négociation du groupe de l'enseignement, l'Alliance appuyait sa requête sur les articles 33 et 98 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-35 (mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 67, art. 27)] dont voici les termes:
33. Lorsque, à un moment quelconque après que la Commis sion a décidé qu'un groupe d'employés constitue une unité habile à négocier collectivement, se pose la question de savoir si un employé ou une classe d'employés en fait ou n'en fait pas partie ou fait partie d'une autre unité, la Commission doit, sur demande de l'employeur ou de toute association d'employés concernée, trancher la question.
98. (1) Lorsque l'employeur et un agent négociateur ont signé une convention collective ou sont liés par une décision arbitrale et
a) que l'employeur ou l'agent négociateur cherche à faire exécuter une obligation qu'on prétend découler de la conven tion collective ou de la décision arbitrale, et
b) que l'obligation, s'il en est, n'est pas une obligation dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief d'un employé de l'unité de négociation visée par la convention collective ou la décision arbitrale,
l'employeur ou l'agent négociateur peut, de la manière pres- crite, renvoyer l'affaire à la Commission qui doit l'entendre et décider si l'obligation alléguée existe et, dans l'affirmative, s'il y a eu inobservation ou inexécution.
(2) La Commission doit entendre et trancher l'affaire qui lui est ainsi renvoyée en conformité du paragraphe (1) comme s'il s'agissait d'un grief, et le paragraphe 95(2) ainsi que les articles 96 et 97 s'appliquent à son audition et à la décision à rendre en l'espèce'.
' L'entrée en vigueur, le 12 décembre 1988, des Lois révisées du Canada (1985) complique ici quelque peu la situation. Ces
(Suite à la page suivante)
Ce que l'Alliance espérait obtenir de la Commis sion était clairement exprimé dans les conclusions de sa requête:
De plus, par la présente requête, la requérante demande que la Commission:
(a) déclare que tous les employés enseignants à l'Institution de Cowansville sont les employés de l'employeur-intimée (Sa Majesté du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor) y compris ceux prodiguant leurs services par le truchement de Seradep Inc.;
(b) déclare que tous les employés enseignant à l'Institution de Cowansville sont membres de l'unité de négociation du groupe de l'enseignement (ED);
(c) déclare que l'Alliance de la Fonction publique du Canada est l'agent négociateur accrédité de tous les employés enseignant à l'Institution de Cowansville;
(d) déclare que l'employeur-intimée doit se conformer à l'article 10 de la Convention collective, portant sur la retenue syndicale; ...
(Suite de la page précédente)
articles 33 et 98 sont devenus les articles 34 et 99 respective- ment et leur libellé, surtout dans la version française, a été modifié. La Loi sur les Lois révisées du Canada (1985) [S.C. 1987, chap. 48], son article 4, dit bien que «Les lois révisées ne sont pas censées être de droit nouveau; dans leur interpréta- tion et leur application, elles constituent une refonte du droit contenu dans les lois abrogées par l'article 3 et auxquelles elles se substituent». Pour assurer une meilleure concordance, je m'en suis tenu dans mes motifs aux anciens textes, mais voici, de toute façon les nouveaux, en anglais et en français:
34. À la demande de l'employeur ou de l'organisation syndicale concernée, la Commission se prononce sur l'appar- tenance ou non d'un fonctionnaire ou d'une classe de fonc- tionnaires à une unité de négociation qu'elle a préalablement définie, ou sur leur appartenance à une autre unité.
99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé une convention collective ou sont liés par une décision arbi- trale peuvent, dans les cas l'un ou l'autre cherche à faire exécuter une obligation qui, selon lui, découlerait de cette convention ou décision, renvoyer l'affaire à la Commission, dans les formes réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obliga tion dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire de l'unité de négociation visée par la convention ou la décision.
(2) Après avoir entendu l'affaire qui lui est renvoyée au titre du paragraphe (I), la Commission se prononce sur l'existence de l'obligation alléguée et, selon le cas, détermine s'il y a eu ou non manquement.
(3) La Commission entend et juge l'affaire qui lui est renvoyée au titre du paragraphe (1) comme s'il s'agissait d'un grief, et le paragraphe 96(2) ainsi que les articles 97 et 98 s'appliquent à l'audition et à la décision.
Au terme d'une longue audition, qui eut lieu après la prise à effet du contrat d'Econosult Inc. (d'où la participation de cette dernière), MC Bendel, au nom de la Commission, approuva les prétentions de l'intimée. Analysant en détail les relations des nouveaux enseignants de l'extérieur avec le représentant du Service correctionnel et les autres enseignants, membres du personnel du ministère, et appliquant les critères utilisés par les tribunaux du travail pour déceler, derrière les apparences d'un contrat d'entreprise, l'existence d'une véritable relation employeur-employé (con- trôle de l'emploi, contrôle du travail, intégration, risque), le président-suppléant en venait à la con clusion qu'il devait, selon ses termes «rejeter la forme pour le fond» et accepter de faire les décla- rations que l'Alliance souhaitait. Le dispositif de sa décision se lit comme suit:
a) je déclare que les enseignants qui travaillent à l'établisse- ment Cowansville du Service correctionnel du Canada comme «contractuels. au service d'Econosult Inc., y com- pris Madame Lise Côté, le superviseur pédagogique, font partie de l'unité de négociation du groupe de l'enseigne- ment [sic], pour laquelle la requérante est l'agent négocia- teur en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique;
b) je déclare que les mêmes personnes faisaient partie de cette unité de négociation au mois de février 1987;
c) je déclare que le Conseil du Trésor est obligé de se conformer à l'article 10 de la convention cadre, relative à la retenue syndicale, à l'égard de ces employés, et ceci à partir du mois de février 1987;
d) j'ordonne au Conseil du Trésor de payer à la requérante un montant égal au montant que celle-ci aurait touché si le Conseil du Trésor s'était conformé à l'article 10 de ladite convention entre le 1" février et le 30 septembre 1987; ...
La demande de révision dont il faut disposer aujourd'hui était peu après introduite.
Je crois que le procureur général a eu raison de demander l'intervention de la Cour car la décision attaquée me semble clairement dénuée de fonde- ment. Trois observations, dont je voudrais faire état en guise de remarques préliminaires, me per- mettront d'exprimer la base de mes objections à son sujet.
1. On ne saurait confondre le régime d'emploi et de relations de travail des employés du secteur public fédéral avec celui des employés du secteur privé ou semi-public. Le Parlement a voulu un régime autonome et distinct pour les fonctionnai- res de sa Majesté. L'article 6 (autrefois l'article
109) du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), chap. L-2) exclut expressément «les employés qui sont au service de Sa Majesté du chef du Canada», de l'application de sa Partie I, sur les relations du travail. Vouloir résoudre des problèmes soulevés dans le cadre d'un régime par des solutions élabo- rées pour la mise en oeuvre de l'autre peut con- duire à fausser irrémédiablement la volonté du législateur. Le régime du secteur public est défini, on le sait, dans trois lois: la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35 et la Loi sur la gestion des finances publiques (autrefois Loi sur l'administration financière), L.R.C. (1985), chap. F-11, qui doivent nécessairement s'interpré- ter les unes par rapport aux autres, puisqu'elles ont été adoptées en vue d'une application conjointe.
2. II n'était pas question en l'espèce d'un problè- me d'employés déguisés sous les apparences d'en- trepreneurs autonomes, problème pour la solution duquel les cours et les tribunaux, autant civils que du travail, ont dégagé, on le sait, un certain nombre de critères de distinction. Personne ne pouvait contester, il me semble, que les enseignants de l'extérieur étaient des employés et non des entrepreneurs. La question était uniquement de savoir employés de qui.
3. Un des points de distinction les plus frap- pants entre les deux régimes de relations de tra vail, public et privé, se situe justement au niveau de la création de la relation juridique employeur- employé.
Il est constant que, dans le secteur privé, la qualité d'employé d'une personne qui agit au béné- fice d'une autre, bien qu'impliquant un contrat dépendant d'actes de volonté, s'infère souvent en pratique des circonstances entourant, dans la réa- lité, la prestation de travail. C'est que la relation employeur-employé est avant tout une relation juridique que le droit rattache à une situation de fait, le contrat de travail ne comportant aucune forme particulière et pouvant résulter d'un simple comportement des parties en présence. D'où l'éta- blissement de critères permettant de la déceler derrière des apparences qui pourraient la camou- fler.
Dans le secteur public, au contraire, la qualité d'employé de la Reine ne saurait, selon ce que je comprends de la législation, s'inférer ainsi d'une simple situation de fait. On a tout simplement voulu, pourrait-on dire, mettre la Reine-employeur à l'abri des faits et gestes de tous ses représentants munis de pouvoirs exécutifs: autrement, a sans doute pensé le Parlement, la situation deviendrait vite aussi incontrôlable que chaotique. L'emploi dans la fonction publique a été soumis à un ensem ble de règles strictes et rigides.
C'est à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique que l'on trouve d'abord la défi- nition de «fonction publique», soit l'«ensemble des postes qui sont compris dans les ministères ou autres secteurs de l'administration publique fédé- rale spécifiés à l'annexe I, ou qui en relèvent» (article 2). Par la Loi sur la gestion des finances publiques, le Parlement a confié au Conseil du Trésor le soin d'organiser la fonction publique et lui a donné en conséquence le pouvoir exclusif d'approuver la création de postes, de les classifier, et de les répartir entre les diverses unités de l'ad- ministration publique. En vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, enfin, c'est la Commission de la fonction publique, et elle seule, qui a le pouvoir de combler les postes, au moyen de nominations faites selon le principe du mérite. Il n'y a tout simplement pas de place dans cette construction juridique pour un fonctionnaire (i.e. un employé de la Reine, membre de la fonction publique) sans poste créé par le Conseil du Trésor, et sans nomination faite par la Commission de la fonction publique 2 .
Je n'oublie pas que, dans les causes Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489 et Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, la Cour suprême a tiré, de deux situations de faits qui s'étaient développées aux seins d'unités de la fonc- tion publique, des conséquences d'ordre juridique, sans se soucier autrement de l'absence d'actes officiels et formels émanant des autorités. Dans Doré, elle a déduit du contexte factuel la preuve d'une volonté de nommer à un poste dont l'exis- tence n'était pas encore pleinement acquise bien que sa création était depuis longtemps décidée
2 11 est question ici de la relation employeur-employé qui ne correspond pas nécessairement à celle de commettant-préposé en matière de responsabilité civile.
(une employée y avait été assignée et en exerçait les fonctions et responsabilités depuis 9 mois); dans Brault, elle a déduit de même façon la preuve qu'un nouveau poste (inspecteur des douanes avec chien, ou maître-chien) avait été créé et qu'une nomination y avait été faite. Mais elle l'a fait, à chaque fois, en vue de protéger le droit de candi- dats non choisis de contester une affectation qu'ils jugeaient injustifiée, et surtout d'empêcher qu'il ne soit porté atteinte, même indirectement, au prin- cipe du mérite dans la répartition des tâches à l'intérieur de l'administration publique fédérale. Et, dans les deux cas, tous les intéressés étaient, sans conteste, des employés de la fonction publique occupant déjà des postes ils avaient été réguliè- rement nommés. Les principes qui nous concernent ici, ceux qui gouvernent l'entrée dans la fonction publique et président à la création d'un fonction- naire, n'étaient nullement en cause.
Si on accepte ces trois remarques préliminaires, et il me semble difficile de les rejeter puisqu'elles s'appuient directement sur les données de base de la législation, on ne peut que se rendre compte que la décision de la Commission n'est pas légalement défendable.
D'abord, il n'appartient pas à la Commission des relations de travail dans la fonction publique de déterminer qui est un employé de la fonction publi- que. J'ai cité plus haut l'ancien article 33 (ajourd'hui 34) d'où Me Bendel a prétendu tirer le pouvoir de décider que les enseignants engagés par les firmes Seradep Inc. et Econosult Inc. étaient des employés de la fonction publique, des fonction- naires. On aura remarqué que le texte ne définit pas ce qu'il faut entendre par «employé» (ou «fonc- tionnaire», dans le nouveau texte) et l'article inter- prétatif de départ, l'article 2, ne s'en soucie guère puisqu'il se contente de dire laconiquement que «employé» ou «fonctionnaire» désigne: une «per- sonne employée dans la fonction publique». C'est que la Commission des relations de travail dans la fonction publique n'a en aucune façon l'autorité de dire qui est employé dans la fonction publique. Son autorité ne s'exerce que sur les fonctionnaires reconnus comme tels par les prescriptions d'une loi autre que celle qui la gouverne et sous l'autorité d'une commission autre qu'elle-même. C'est sur la détermination, pour fin d'accréditation, des grou-
pes d'occupation et des catégories d'occupation, et sur l'appartenance ou non d'un fonctionnaire à une certaine unité accréditée, que la Commission des relations de travail a complète juridiction, et c'est à ces fins seulement que l'article 33 existe'.
Ensuite, il est certain que les enseignants de Seradep Inc. et Econosult Inc. n'ont jamais été nommés par la Commission de la fonction publi- que à des postes créés par le Conseil du Trésor. Sans doute ont-ils été appelés à succéder à des enseignants qui occupaient des postes, mais il est constant que ces postes ont été abolis et n'existent plus. Déclarer malgré cela que les enseignants de Seradep Inc. et d'Econosult Inc. sont des employés du Conseil du Trésor et des membres de la fonc- tion publique est directement contraire aux don- nées de la Loi sur l'emploi dans la fonction publi- que. C'est dans les circonstances un contre-sens juridique.
Enfin, il ne me semble pas qu'à partir des faits de la cause il soit possible d'assimiler la situation qui se présente à celle d'un employeur qui cherche- rait à se soustraire de son statut d'employeur en agissant par le truchement artificiel d'un tiers. Le but poursuivi par le Solliciteur général et le Ser vice correctionnel du Canada est connu de tous et dès maintenant les prérogatives d'employeur de ces derniers ou du Conseil du Trésor—recrutement, contrôle, direction—ont été clairement, et non pas seulement artificiellement, transférées à la firme privée, sous la seule réserve de la surveillance que requièrent la nature et la localisation des services prodigués. Mais, en fait, même s'il en était autre- ment, je ne crois pas que, dans le secteur public, cela soit de conséquence.
La conclusion, à mon avis, va de soi. Cette demande sous l'article 28 est bien fondée. La Cour devrait casser la décision attaquée, et elle devrait retourner l'affaire à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique pour que celle-ci la décide en prenant pour acquis que les
3 On peut se rendre compte que la nouvelle version française de l'article 33, qui est devenu comme on a vu l'article 34, est beaucoup moins équivoque à cet égard. J'en rappelle le texte: 34. A la demande de l'employeur ou de l'organisation syndicale concernée, la Commission se prononce sur l'appar- tenance ou non d'un fonctionnaire ou d'une classe de fonc- tionnaires à une unité de négociation qu'elle a préalablement définie, ou sur leur appartenance à une autre unité.
enseignants à l'emploi d'Econosult Inc. ne sont pas des fonctionnaires, au sens de la Loi sur les rela tions de travail dans la fonction publique.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A. (dissident): Au sein d'une seule et même prison, deux groupes de professeurs offrent des services pédagogiques aux détenus. Le premier groupe se compose de fonc- tionnaires employés par Sa Majesté sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique 4 . Ils sont représentés par l'intimée, leur agent négo- ciateur, selon la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publiques. Le second groupe, appelé «les contractuels», se compose de personnes dont l'employeur nominal est présentement la mise-en-cause, Econosult Inc.; bien que la compo sition de ce groupe soit demeurée à peu près la même depuis un certain nombre d'années, l'em- ployeur nominal, lui, a changé trois fois durant la même période.
Les conditions de travail, incluant notamment l'embauche, le salaire, la surveillance et l'évalua- tion du rendement, sont, à toutes fins pratiques, identiques pour les deux groupes.
S'autorisant de l'article 33 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique 6 , l'intimée a présenté à la Commission une requête visant à faire déclarer que les membres du second groupe font partie de l'unité de négociation du premier groupe. La Commission a accueilli la requête, d'où la présente demande, faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale'.
Malgré le respect que je dois aux tenants de la thèse contraire, je ne vois pas sur quelle base nous serions justifiés d'intervenir dans la décision attaquée.
4 S.R.C. 1970, chap. P-32.
5 S.R.C. 1970, chap. P-35.
6 33. Lorsque, à un moment quelconque après que la Com mission a décidé qu'un groupe d'employés constitue une unité habile à négocier collectivement, se pose la question de savoir si un employé ou une classe d'employés en fait ou n'en fait pas partie ou fait partie d'une autre unité, la Commission doit, sur demande de l'employeur ou de toute association d'employés concernée, trancher la question.
7 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
Dans un premier temps, il me paraît évident que la Commission a la compétence pour déterminer qui sont les employés au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Cette attribution de compétence découle non seule- ment du contexte général de la Loi elle-même mais aussi de la jurisprudence. Dans Syndicat Général du Cinéma et de la Télévision (S.G.C.T.) c. La Reine 8 , notre cour était saisie d'une demande, faite en vertu de l'article 28, l'encontre d'une décision de la Commission qui avait refusé une demande d'accréditation au motif que les personnes que le syndicat voulait représenter, des pigistes engagés par l'Office national du Film, n'étaient pas des «employés» au sens de la Loi. Le juge Le Dain, au nom de la Cour, a ainsi défini le problème la page 349]:
La question en litige consistant à savoir si les personnes que veut représenter le requérant sont des employées au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique a été tranchée par la Commission des relations de travail dans la Fonction publique.
Et ensuite la page 352]:
La question en litige porte sur le sens et l'étendue du terme «poste» dans la définition de Fonction publique et dans les article 13 et 14 de la Loi nationale sur le filin.
Et de conclure le juge Le Dain la page 353]:
Une personne considérée comme un employé de l'Office selon les critères généraux permettant de distinguer un employé d'un entrepreneur indépendant, doit être réputée, à mon avis, occu- per un poste au sens de l'article 14.
Le résultat de ce raisonnement était la page 354]:
... que la Commission des relations de travail dans la Fonction publique aurait se prononcer sur la question de savoir si les personnes que veut représenter le requérant sont des employées plutôt que des entrepreneurs indépendants ...
La conséquence de cet arrêt me paraît inélucta- ble. La Commission est habilitée, c'est même pour elle une obligation, à déterminer elle-même, selon les critères généraux, qui sont des employés au sens de la Loi. Pour ce faire, elle doit se baser sur la réalité juridique des relations telle qu'elle- même la perçoit.
Dans un second temps, je considère que la déci- sion attaquée n'est entachée d'aucune erreur de droit de nature à permettre notre intervention.
8 [ 1987] 1 C.F. 346 (C.A.).
D'abord, la Commission, à mon avis, a bien saisi la nature de la tâche qu'elle avait à accomplir:
La question essentielle que la Commission doit trancher con- siste à savoir si les enseignants contractuels qui travaillent à l'établissement Cowansville en application du contrat entre le gouvernement du Canada et Econosult Inc., sont les employés du gouvernement du Canada dans la perspective de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Si on se limitait à la forme, il n'y aurait pas de possibilité de doute ou de controverse: ils seraient les employés d'Econosult Inc. avec qui ils ont passé un contrat d'emploi. Les commissions des relations de travail et les arbitres ne se sont cependant pas limités à des questions de forme dans ce genre de litige, parce qu'un respect aveugle de la forme permettrait aux entreprises de faire fi des droits conférés par la législateur (sic) aux employés et aux syndicats. Le principe qui a donc orienté les commissions des relations de travail et les arbitres dans ce domaine veut que si une entreprise reçoit les services d'employés d'un tiers et que sa relation avec ces employés est au fond une relation d'emploi dans la perspective de la législation, elle ne puisse pas se protéger contre les conséquences qui découlent de cette relation en vertu des lois du travail ou en vertu des conventions collecti ves en invoquant des contrats passés avec l'entrepreneur ou les contrats que celui-ci a passés avec les employés. (Aux pages 458 (verso) et 459 du dossier.)
Que la réalité doive primer sur les apparences, le fond sur la forme, me paraît une proposition inat- taquable, surtout en matière de relations de tra vail. D'ailleurs, dans un de ses premiers arrêts, cette Cour, quoique dans un contexte bien diffé- rent, a entériné le principe:
J'estime que l'importance qu'on pouvait attribuer aux apparen- ces était une matière laissée à la discrétion du Conseil; que celui-ci n'était pas obligé de ne considérer que les apparences et de rejeter les faits; et que le Conseil était fondé à tirer une telle conclusion étant donné la preuve qui lui était soumise 9 .
Ensuite la Commission a soigneusement exa- miné la situation des contractuels dans les faits; notamment elle s'est interrogée sur la manière d'embaucher les employés, sur la façon d'établir et de payer leurs salaires, sur la surveillance et l'éva- luation de leur travail par leurs supérieurs hiérar- chiques et l'identité de ceux-ci, et finalement sur le degré de leur intégration au fonctionnement de l'établissement. Cet examen, bien sûr, a été effec- tué à la lumière des critères généraux établis par la Commission elle-même et par d'autres tribunaux spécialisés en matière de relations de travail pour déterminer quand et en quelles circonstances des
9 Syndicat international des marins canadiens c. Kent Line Limited, [1972J C.F. 573 (C.A.), par le juge Thurlow (tel était alors son titre), à la p. 578.
personnes, en apparence des tiers par rapport au contrat de louage de services, sont quand même censées être des employés aux fins des rapports collectifs de travail.
C'est cet examen et ces critères qui permettent à la Commission de tirer sa conclusion générale:
Quoi qu'en dise le contrat entre Econosult Inc. et le gouverne- ment du Canada, Econosult Inc., à mon avis, joue un rôle plutôt marginal dans la vie de travail des contractuels. Il s'agit d'un contrat selon lequel Econosult Inc. doit fournir de la main- d'oeuvre, sous la forme de six (ou huit) enseignants et un superviseur pédagogique. Une fois sur place, cette équipe est largement gérée et coordonnée dans l'exécution de ses tâches par les responsables du Service correctionnel du Canada. ll n'y a pas d'autres obligations contractuelles de la part d'Econosult envers le gouvernement du Canada. Même pour ce qui est de ses deux responsabilités principales, soit le recrutement des contractuels et leur rémunération, je qualifierais le rôle d'Eco- nosult Inc. de marginal. la page 463 (verso) du dossier).
Devant nous, le procureur de la requérante a soutenu avec insistance que les contractuels ne pouvaient pas être des employés au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que parce qu'ils n'avaient pas été engagés selon les formalités prévues par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Pour ma part, je suis loin d'être certain que la corrélation entre les deux lois men- tionnées est aussi étroite que le prétend le procu- reur. Les deux lois n'ont pas exactement le même objet. La première vise le gouvernement de l'exté- rieur et, tout comme le Code canadien du travail 10 le fait pour les employeurs dans le secteur privé, réglemente les rapports collectifs entre le gouver- nement et ceux qui travaillent pour lui. Par contre, la seconde vise la régie interne du gouvernement et s'apparente plutôt aux règlements corporatifs d'un employeur du secteur privé. À mon avis donc et en principe, rien ne s'oppose à ce qu'une personne soit considérée comme employé aux fins de ses rela tions de travail avec le gouvernement sans pour autant avoir nécessairement le statut de membre de la fonction publique". De plus il est maintenant bien établi, il me semble, que, quoi qu'en dise la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, la création d'un poste et la nomination à celui-ci ne dépendent pas de l'intention subjective du gouver- nement mais bien de l'évaluation objective des faits de chaque espèce:
10 S.R.C. 1970, chap. L-I.
" Voir, par exemple, le cas des pigistes à l'Office national du film, mentionné dans l'affaire Syndicat général du Cinéma et de la Télévision, précitée.
... l'application du principe du mérite et le droit d'appel que prévoit l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ne peuvent dépendre de la question de savoir si le Ministère choisit de considérer ce qui a été fait comme la création d'un poste et une nomination à celui-ci au sens de la Loi. En réalité, c'est ce que le Ministère a objectivement fait et non ce qu'il a, en droit, eu l'intention de faire ou l'interprétation qu'il en avait qui doit déterminer l'application du principe du mérite et du droit d'appel 12 .
D'aucuns prétendront que la Commission aurait erré en droit en écartant les contrats existant entre la mise-en-cause Econosult Inc. et les employés concernés, d'une part, et le gouvernement, d'autre part, et en concluant que malgré ces contrats il existait une relation d'employeur à employé entre le gouvernement et les contractuels. Soutenir cette thèse c'est, à mon avis, se méprendre sur la nature de la décision attaquée. J'ai déjà dit que la Com mission avait le droit et l'obligation de chercher la réalité à travers les apparences. Or la perception de la réalité, même en matière de relations juridi- ques, est avant tout une question de faits. La Commission a pesé la preuve avec soin et en a tiré ses conclusions. Notre cour ne peut intervenir à moins, évidemment, que le résultat ne soit mani- festement absurde. Qu'on soit d'accord ou non avec la décision attaquée, elle est fondée sur une jurisprudence et une pratique bien établies des tribunaux spécialisés en la matière; il ne peut être ici question d'absurdité.
En fin de compte, ce qui est en jeu ici c'est la liberté d'association, garantie par la loi suprême du pays. À mon avis, cette liberté est à la base même de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Il serait aberrant de prétendre que le gouvernement puisse se soustraire à ses obligations vis-à-vis des personnes qui sont, en fait, ses employés en invoquant l'ensemble des règles, strictes et techniques, régissant l'embauche dans la fonction publique. Si réellement il existe un conflit entre les principes qui sous-tendent la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et les règles édictées dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, ce sont les premiers qui doivent primer.
Je conclurais au rejet de la demande.
12 Doré e. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, par le juge Le Dain, à la p. 510.
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