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T-624-87
LA BANDE DE MONTANA, le chef Leo Cattle man, Marvin Buffalo, Lillian Potts, Cody Rabbit et Darrell Strongman, conseillers de la bande de Montana, agissant en leur nom personnel et au nom des membres de la bande indienne de Montana
LA BANDE DE SAMSON, le chef Jim Omeasoo et Arnup Louis, Victor Bruno, Leo Bruno, Frank Buffalo, Robert Swampy, Terry Buffalo, Twain Buffalo, Dolphus Buffalo, Emil Cutknife, Ray- mond Cutknife, Lester B. Nepoose, Jim Simon et Stanley Buffalo, conseillers de la bande de Samson, agissant en leur nom personnel et au nom des membres de la bande indienne de Samson
LA BANDE D'ERMINESKIN, le chef Eddie Littlechild et Ken Cutarm, Arthur Littlechild, Richard Littlechild, Lawrence Wildcat, Emily Minde, Lester Frayne, Maurice Wolfe, Brian Lee, Gordon Lee, John Ermineskin, Lawrence Rattles nake et Gerry Ermineskin, conseillers de la bande d'Ermineskin, agissant en leur nom personnel et au nom des membres de la bande indienne d'Ermineskin
LA BANDE DE LOUIS BULL, le chef Simon Threefingers et John Bull, Theresa Bull, Henry Raine, George Deschamps, Harrison Bull, Winnie Bull, Jerry Moonias, Herman Roasting, conseil- lers de la bande de Louis Bull, agissant en leur nom personnel et au nom des membres de la bande indienne de Louis Bull (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE DE MONTANA C. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Edmonton, 10 octobre 1989; Ottawa, 16 février 1990.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Des bandes indiennes tentent d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le Décret en conseil de 1870 sur la Terre de Rupert constitue un document constitutionnel par lequel le gouverne- ment du Canada est tenu de protéger leurs intérêts en tant qu'entités autonomes et leurs moyens de maintenir leur bien- être matériel et qu'il renferme une obligation de fiduciaire envers elles Les bandes indiennes tentent également d'obte- nir un jugement déclaratoire portant que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques lie le Canada et s'appli-
que aux demandeurs La défenderesse tente d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration modifiée car il n'a été allégué aucun manquement à son obligation L'absence de réclamation doit donner lieu à la radiation de la déclaration Les demandeurs reconnaissent que l'action a été intentée en vue de fixer la prochaine étape: des négociations ou une contestation Les tribunaux doivent éviter ce genre de pro- cessus en deux phases La défenderesse a le droit de prendre connaissance de l'ensemble de la cause à laquelle elle a à faire face et de comprendre tous les aspects du litige Le tribunal ne peut pas assumer son rôle qui est de régler les différends, si le différend n'est pas identifié dans la déclaration Les demandeurs auront 60 jours pour déposer une nouvelle plaidoirie.
Droit constitutionnel Droits ancestraux ou issus de trai tés Des bandes indiennes tentent d'obtenir un jugement déclaratoire portant que des documents constitutionnels, dont la Proclamation royale de 1763, la Loi constitutionnelle de 1867 et le Décret en conseil de 1870 sur la Terre de Rupert (admettant la Terre de Rupert et les Territoires du Nord- Ouest dans le Canada) obligent le gouvernement du Canada à protéger les intérêts des demandeurs en tant qu'entités autono- mes et leurs moyens de maintenir leur bien-être matériel, ainsi qu'un jugement déclaratoire portant que ces documents consti- tutionnels renferment une obligation de fiduciaire envers les demandeurs Les bandes indiennes tentent également d'obte- nir un jugement déclaratoire portant que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques lie le Canada et s'appli- que à elles L'absence de réclamation doit donner lieu à la radiation de la déclaration.
Peuples autochtones Des bandes indiennes tentent d'obte- nir un jugement déclaratoire portant que la Couronne est liée par certains documents constitutionnels, dont le Décret en conseil sur la Terre de Rupert, qui l'oblige à protéger les intérêts des bandes indiennes en tant qu'entités autonomes et leurs moyens de maintenir leur bien-être matériel Une requête en radiation de la déclaration modifiée a été présentée pour le motif que les demandeurs n'ont pas allégué que la défenderesse avait manqué à son obligation Les deman- deurs admettent que l'action visait à fixer la prochaine étape: des négociations ou une contestation Requête accordée mais, vu l'importance de l'affaire pour les peuples autochtones et le gouvernement du Canada, les demandeurs se sont vu accorder un délai de 60 jours pour déposer une nouvelle plaidoirie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest [L.R.C. (1985), appendice II, 9] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 3).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5], art. 146.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
19 déc. 1966, [ 1976] R.T. Can. 47, art. 1 ( 1 ),(2),(3), 27.
Proclamation royale (1763), L.R.C. (1985), appendice II, 1.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 419, 1723.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Operation Dismantle et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION CITÉE:
Solosky c. La Reine, [1980] I R.C.S. 821; (1979), 105 D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16 C.R. (3d) 294; 30 N.R. 380.
AVOCATS:
Thomas R. Berger et Ron Shulman pour les
demandeurs.
Duff F. Friesen, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Thomas R. Berger, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré- sente requête en vue d'obtenir, conformément à la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], une ordonnance radiant la déclaration des demandeurs a été instruite à Edmonton (Alberta) le 10 octobre 1989. À la fin des plaidoi- ries, j'ai indiqué que je prendrais l'affaire en déli- béré et que les présents motifs écrits suivraient.
D'après leur déclaration modifiée, les deman- deurs, à l'exception de la bande de Montana, sont des tribus indiennes, ou les ayants droit de tribus, qui sont des occupants autochtones d'un territoire situé dans les limites de ce qui s'appelait jadis la Terre de Rupert. La bande de Montana s'est éta- blie en tant que bande dans les limites de la Terre de Rupert en vertu de la Loi sur les Indiens après 1870. Tous les demandeurs qui sont des particu- liers descendent d'Indiens qui étaient des occu pants autochtones de la Terre de Rupert en 1870.
La déclaration modifiée décrit toute une série de proclamations, de dispositions législatives, de réso- lutions et de décrets remontant à 1670, date à laquelle la Charte royale du roi Charles II a accordé pour la première fois des privilèges en matière de commerce relativement à un territoire qui s'est appelé par la suite la Terre de Rupert. Les proclamations et les décrets se rapportent en partie à la protection des tribus indiennes vivant dans les limites de la Terre de Rupert et à la protection des terres réservées aux Indiens comme territoires de chasse.
La Proclamation royale (1763) [L.R.C. (1985), appendice II, 1], qui, comme l'indique la décla- ration modifiée, instaurait de nouvelles colonies en Amérique du Nord et prévoyait [TRADUCTION] «que des mesures seraient prises afin d'assurer une protection aux tribus indiennes ... qui sont en relations avec la Couronne britannique» (déclara- tion modifiée, page 3), mentionnait précisément dans son préambule:
... des mesures pour assurer aux nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection, la possession entière et paisible des parties des Nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ... comme territoires de chasse. (Déclaration modifiée, page 3)
Les demandeurs soutiennent que, «en principe, en pratique et en droit», les principes insérés dans la Proclamation royale de 1763 s'appliquaient à la Terre de Rupert.
L'article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), appendice II, 5]] prévoyait l'admission de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest dans l'union. On y envisageait
146... .
... sur la présentation d'adresses de la part des chambres du Parlement du Canada, d'admettre la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest ... dans l'union, aux termes et conditions, dans chaque cas, qui seront exprimés dans les adresses et que la Reine jugera convenable d'approuver, confor- mément à la présente; les dispositions de tous ordres en conseil rendus à cet égard, auront le même effet que si elles avaient été décrétées par le Parlement du Royaume-Uni ...
À la suite de cette disposition a été signé le 23 juin 1870 le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest [[L.R.C. (1985),
appendice II, 9] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 - (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 3)] («Décret en con- seil sur la Terre de Rupert»), qui confirmait l'ad- mission de la Terre de Rupert et du territoire du Nord-Ouest au sein du Canada à compter du 15 juillet 1870. Les demandeurs allèguent que:
[TRADUCTION] Dans le préambule de l'arrêté en conseil, Sa Majesté a approuvé les modalités relatives à l'admission de la Terre de Rupert au sein du Canada et énoncées dans [certai- nes] résolutions et dans la deuxième adresse.
Les demandeurs maintiennent que [TRADUCTION] «Sa Majesté a approuvé [entre autres] l'engage- ment suivant pris par le gouvernement du Canada et figurant dans la deuxième adresse»:
... Que lors de la cession des territoires en question au Gouver- nement Canadien, il sera de notre devoir de prendre des mesures efficaces pour la protection des tribus indiennes, dont les intérêts et le bien-être sont intimement liés à la cession.
Les demandeurs tentent d'obtenir un jugement déclaratoire portant que la défenderesse est liée maintenant par les documents constitutionnels sus- mentionnés, dont le Décret en conseil sur la Terre de Rupert, et soutiennent que:
[TRADUCTION] En vertu de l'article 146 de la Loi constitution- nelle de 1867, les termes et conditions approuvés par Sa Majesté dans le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et les obligations assumées par le gouvernement canadien relative- ment aux tribus indiennes de la Terre de Rupert sont devenus, de ce fait, des documents constitutionnels liant le gouvernement canadien et le Parlement canadien ainsi que les provinces. (Déclaration modifiée, page 10)
Les demandeurs allèguent également que:
[TRADUCTION] Le Décret en conseil sur la Terre de Rupert, vu que, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, il était en vigueur comme s'il avait été adopté par le Parlement impérial, est devenu partie intégrante de la Constitution canadienne, confirmait la place distincte que les tribus habitant la Terre de Rupert occupaient au sein du système fédéral du Canada et affirmait que leurs intérêts en tant que tribus autonomes à l'intérieur du Canada devaient être respectés et qu'il fallait leur fournir le moyen de les obtenir. (Déclaration modifiée, page 10)
En se fondant sur ces arguments, les demandeurs tentent d'obtenir un jugement déclaratoire portant que, par ces documents constitutionnels, le gouver- nement canadien est tenu de protéger leurs intérêts en tant qu'entités autonomes et leurs moyens de maintenir leur bien-être matériel, et un jugement déclaratoire portant que ces documents constitu- tionnels renferment une obligation de fiduciaire envers eux.
Les demandeurs tentent également d'obtenir un jugement déclaratoire portant que les articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [ 19 déc. 1966, [ 1976] R.T. Can. 47] des Nations-Unies lient le Canada et qu'ils s'appliquent aux demandeurs. Les articles 1 et 27 sont libellés ainsi:
ARTICLE PREMIER
1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
3. Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations-Unies.
ARTICLE 27
27. Dans les États il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie cultu- relle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.
Les demandeurs affirment qu'en vertu du droit international coutumier et de sa ratification par le Canada le 16 mai 1976, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques lie le Canada. Quant à l'article 27 du Pacte, les demandeurs soutiennent que:
[TRADUCTION] ... bien que, en tant qu'autochtones, ils ne constituent pas une minorité au sens ordinaire du terme, ils ont néanmoins droit aux avantages que confère l'article 27, car ils constituent une minorité aux fins de cet article.
Dans un avis de requête en date du 8 septembre 1989, la requérante tente d'obtenir conformément à la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale une ordonnance radiant la déclaration modifiée. L'avo- cat de la requérante a déclaré que le fait pour les demandeurs de ne pas avoir allégué que la défen- deresse avait manqué à son obligation signifie qu'on est en train de demander à la Cour de recevoir une action en vue d'un jugement déclara- toire purement consultatif. En se fondant entre
autres sur les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Operation Dismantle et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; et Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, la requérante avance que la Cour ne doit pas recevoir une action en jugement déclara- toire dans laquelle il n'y a pas de litige à propos des droits des demandeurs. La requérante main- tient que la déclaration modifiée ne soulève pas de question qui permettrait à la Cour de déterminer le fondement, la nature, la portée ou le but de l'obligation du Canada de protéger les intérêts des demandeurs, et que par conséquent la déclaration modifiée «ne révèle aucune cause raisonnable d'action».
Les demandeurs aussi s'appuient grandement sur les décisions rendues dans les affaires Opera tion Dismantle et Solosky (précitées) et maintien- nent qu'il ont un intérêt juridique à tenter d'obte- nir ledit jugement déclaratoire et que c'est cet intérêt véritable qui constitue le fondement de leur cause d'action. L'avocat des demandeurs a décrit cet intérêt juridique dans les termes suivants:
[TRADUCTION] ... [L]es demandeurs disent: Nous sommes des bandes ou tribus indiennes de la Terre de Rupert. Nous l'avons toujours été. Nous sommes encore ici. Et nous disons vouloir que la Cour déclare que nous avons le droit de bénéficier de l'engagement par lequel le gouvernement du Canada reconnaît son obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger les intérêts et le bien-être des tribus. Nous voulons obtenir ce jugement déclaratoire. Et si nous réussissons à l'obtenir, nous aurons réussi, dans un certain sens, à obtenir un amendement à la Constitution, car une disposition que le Canada dit ne pas le lier le liera à ce moment-là.
L'avocat des demandeurs a en outre soutenu que l'action dont je suis saisi tombe dans la catégorie des paramètres de la Règle 1723 des Règles de la Cour fédérale. Cette règle se lit ainsi:
Règle 1723. Il ne peut être fait opposition à une action pour le motif que cette action ne vise qu'à l'obtention d'un jugement ou d'une ordonnance purement déclaratoires; et la Cour pourra faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.
La Règle 419(1) des Règles de la Cour fédérale dispose que:
Règle 419 (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action, ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas,
b) qu'elle n'est pas essentielle ou qu'elle est redondante,
c) qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,
d) qu'elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruc- tion équitable de l'action,
e) qu'elle constitue une déviation d'une plaidoirie antérieure, ou
J) qu'elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procé- dures de la Cour,
et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.
Il y a une si grande similarité entre la présente affaire et le litige tranché récemment dans l'affaire Operation Dismantle, précitée, que les deux avo- cats s'en sont inspirés énormément dans leurs plai- doiries. Dans cette affaire-là, les opposants aux essais du missile de croisière au Canada tentaient d'obtenir un jugement déclaratoire par voie d'ac- tion. La requête se fondait sur le fait que les essais contribueraient à une escalade de la guerre nucléaire dans l'avenir et augmenteraient ainsi le risque que les demandeurs en soient victimes. La requête en radiation de la déclaration s'est rendue finalement jusqu'en Cour suprême la décision de radier la déclaration a été confirmée. Il existe une différence importante en l'espèce. Dans l'arrêt Operation Dismantle, le préjudice a été considéré comme une éventualité possible trop éloignée pour servir de fondement à l'action des demandeurs. Dans la présente affaire, on n'a identifié aucune réclamation. En effet, les demandeurs agissent actuellement sur la base d'une déclaration modi- fiée et reconnaissent que la déclaration initiale contenait des allégations très générales de man- quement à une obligation de la part de la défende- resse qui ne figure pas dans le texte modifié. Après un examen minutieux, j'ai abouti à la conclusion que l'absence de réclamation doit donner lieu au même résultat dans la requête en radiation. À la page 456 de l'arrêt Operation Dismantle, le juge Dickson [tel était alors son titre] dit ce qui suit:
Les principes régissant la réparation judiciaire fondée sur des allégations de dommage éventuel sont une illustration du prin- cipe plus général voulant qu'il n'y ait aucune obligation juridi- que de ne pas faire ce qui porte pas préjudice aux garanties juridiques d'autrui. Personne, qu'il s'agisse du gouvernement ou d'une personne privée, ne saurait être tenu responsable en droit d'un acte à moins que ce dernier ne porte atteinte à des garanties juridiques ou ne menace de le faire. Et un acte ne saurait être considéré comme la cause d'une telle atteinte lorsqu'on ne peut prouver que celle-ci résultera de l'acte con testé. Je n'insinue pas que la réparation judiciaire est inadé- quate dans les cas un dommage éventuel est allégué. Le fait est que la réparation n'est pas justifiée lorsqu'il est impossible d'établir le lien entre l'acte et le dommage éventuel.
La répugnance des tribunaux à accorder réparation lorsqu'on ne peut pas faire la preuve du lien de causalité entre l'acte et le dommage éventuel qui, prétend-on, en découlera est illustrée par les principes relatifs au jugement déclaratoire. D'après Eager, The Declaratory Judgment Action (1971), à la p. 5:
[TRADUCTION] 3. Ce redressement [le jugement déclara- toire] ne peut généralement être obtenu lorsque la contro- verse n'existe pas actuellement, n'étant qu'éventuelle ou éloi- gnée; on ne peut intenter l'action pour régler des litiges dont la naissance dépend d'un événement futur qui peut n'avoir jamais lieu.
4. Les questions conjecturales ou hypothétiques, les litiges feints ou les prétentions biaisées ne sauraient faire l'objet d'un jugement déclaratoire.
De même, Sarna a écrit: [TRADUCTION] «Le tribunal ne connaît pas de prétentions qui ne sont pas encore mûres, ni d'instances à seule fin de remédier à des litiges purement éventuels»: (The Law of Declaratory Judgments (1978), à la p. 179).
Il ne s'agit pas par de nier le rôle préventif du jugement déclaratoire. Comme le juge Wilson le fait remarquer dans ses motifs, Borchard dans Declaratory Judgments (2nd ed. 1941), à la p. 27, dit que:
[TRADUCTION] ... il n'est pas nécessaire qu'un «préjudice» ou un «acte dommageable» ait été vraiment commis ou menace de l'être pour que le demandeur puisse demander à la justice d'intervenir; il n'a qu'à démontrer un intérêt juridique quelconque ou que l'un de ses droits est en péril ou est gravement menacé ...
Néanmoins, la fonction préventive du jugement déclaratoire doit être fondée sur autre chose que des conséquences purement hypothétiques; il doit y avoir un intérêt juridique menacé qui soit identifiable avant que les tribunaux n'envisagent d'y avoir recours comme mesure préventive. Comme cette Cour l'a déclaré dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, un jugement déclaratoire peut influer sur des droits éventuels, mais non lorsque le litige en cause est purement hypothétique. Dans l'affaire Solosky, précitée, l'une des questions était de savoir si l'ordre d'un directeur de prison de censurer la corres- pondance échangée entre le détenu appelant et son avocat pouvait être déclaré illégal. Le litige était déjà né, par suite de l'existence de l'ordre de censure, et le jugement déclaratoire recherché constituait une contestation directe et contemporaine de l'ordre. Cette Cour a jugé que le fait que le redressement recherché visait des lettres qui n'avaient pas encore été écrites, et par qu'il influerait sur des droits éventuels, ne l'empêchait pas en soi d'accorder un jugement déclaratoire. La Cour a rappelé clairement cependant, à la p. 832:
... qu'un jugement déclaratoire n'est normalement pas accordé lorsque le litige est passé et est devenu théorique ou lorsque le litige n'est pas encore et ne naîtra probablement
)'as•
(C'est le juge Dickson qui souligne.)
L'avocat reconnaît que, si les demandeurs obtien- nent gain de cause dans la présente demande en jugement déclaratoire, ils ont l'intention de fixer la prochaine étape, peut-être des négociations, peut- être une autre contestation. Mais les tribunaux de
première instance doivent éviter ce genre de pro- cessus en deux phases. La défenderesse a le droit de prendre connaissance de l'ensemble de la cause à laquelle elle a à faire face. En effet, les parties doivent bien comprendre les conséquences qu'en- traînerait le fait de ne pas se défendre ou d'admet- tre la défaite ou tout aspect du litige. Le rôle du tribunal de première instance est de résoudre les différends que les parties ne peuvent pas régler elles-mêmes. Comment est-ce possible si le diffé- rend n'est pas identifié dans la déclaration?
Par conséquent, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il ne peut être donné suite à l'action sous sa forme actuelle, car elle est dénuée de toute récla- mation entre les parties. La requête est, naturelle- ment, tout sauf frivole et revêt une grande impor tance pour les peuples autochtones et le gouvernement du Canada. Il convient donc d'ac- corder aux demandeurs un délai de soixante jours pour leur permettre de déposer une déclaration modifiée. Les dépens suivront l'issue de la cause.
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