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A-223-89
Sa Majesté la Reine et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appelants) (défendeurs)
c.
Conseil canadien des églises (intimé) (deman- deur)
RÉPERTORIÉ: CONSEIL CANADIEN DES ÉGLISES c. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et MacGui- gan, J.C.A.—Toronto, 23, 24 et 25 janvier; Ottawa, 12 mars 1990.
Pratique Parties Qualité pour agir Intérêt public Appel formé contre le refus de radier la déclaration L'intimé comprend diverses Eglises qui aident les réfugiés L'action vise à faire déclarer inconstitutionnelle la législation concernant l'immigration Le fait que l'intimé soit une personne morale ne l'empêche pas d'être revêtu de la qualité pour agir dans l'intérêt public Y a-t-il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour? La Cour étudie la législation afin de déterminer s'il y a un autre groupe directement touché qui puisse la contester lui- même L'intérêt public au sens large qui est défendu est précisément celui que font valoir les demandeurs de statut La Cour admet d'office que des contestations provenant du groupe directement touché (les demandeurs de statut) se pro- duisent chaque jour La déclaration constitue-t-elle une attaque intimement intégrée, qu'aucun des groupes directement touchés ne serait en mesure de monter? Le juge de première instance a commis une erreur en examinant la déclaration dans son ensemble Aucun principe d'intégration Il est fait droit à l'appel excepté quant à certaines allégations relatives aux dispositions de la législation qui fondent la qualité pour agir dans l'intérêt public, qui soulèvent une cause raisonnable d'action.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation la déclaration vise à faire déclarer inconstitutionnelle la législa- tion concernant l'immigration Aucune cause raisonnable d'action n'est révélée dans les allégations dépendant de la promulgation d'un règlement qui n'a pas encore été pris, ni dans les allégations selon lesquelles les sanctions pénales frappant ceux qui aident l'entrée au Canada de personnes non munies des papiers nécessaires priveraient des demandeurs du
droit à l'assistance d'un avocat Les personnes touchées ne seraient pas visées par la Charte, car non titulaires de la citoyenneté et n'ayant pas le droit de demander leur admission.
Droit constitutionnel Charte des droits Association personnalisée, formée d'Églises, demandant que soit déclarée inconstitutionnelle la législation concernant l'immigration Les art. 7 et 15 de la Charte ne s'appliquent pas aux personnes morales Le fait que l'intimé soit une personne morale ne l'empêche pas de satisfaire à deux critères régissant la qualité pour agir dans l'intérêt public: la question sérieuse et l'intérêt véritable quant à la validité de la législation Ceux qui saisissent le tribunal de questions importantes ne devraient pas
être privés des connaissances spécialisées et des ressources des personnes morales dont l'objet est la défense de l'intérêt public.
Immigration Association formée d'Églises, demandant, conformément à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, que soit déclarée inconstitutionnelle la législation concernant l'immigration Appel formé contre le refus de radier la déclaration Question de la qualité pour agir Une cause raisonnable d'action a-t-elle été soulevée? Il est fait droit à l'appel en partie La poursuite de l'action est autorisée au regard de certaines dispositions législatives qui fondent la qualité pour agir dans l'intérêt public, qui soulèvent une cause raisonnable d'action.
Le Conseil canadien des Églises a été fondé pour permettre de coordonner l'action de ses membres relativement aux ques tions qui les concernaient tous. Les Églises membres viennent en aide aux réfugiés. Il a intenté une action visant à faire déclarer inconstitutionnelles, sous le régime du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la plupart des dispositions en vigueur de la nouvelle Loi sur l'immigration, ainsi que plusieurs dispositions de l'ancienne loi, parce qu'elles violeraient la Charte et la Déclaration canadienne des droits. Cet appel a été formé contre le rejet de la demande présentée en vue d'obtenir une ordonnance rejetant l'action. Les questions étaient celle de savoir si l'intimé avait l'intérêt nécessaire pour demander un jugement déclaratoire et celle de savoir si sa déclaration révélait une cause raisonnable d'action. On a sou- tenu qu'en tant qu'association personnalisée, l'intimé ne saurait satisfaire aux deux premiers critères régissant la qualité pour agir dans l'intérêt public, énoncés dans Ministre de la Justice et autre c. Borowski, parce que les dispositions constitutionnelles invoquées par l'intimé pour demander que la législation soit déclarée invalide (articles 7 et 15 de la Charte et alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits) ne s'appliquent pas aux personnes morales. L'intimé a soutenu que sa déclaration cons- tituait une attaque intimement intégrée contre la législation, qu'aucune des parties directement touchées ne serait en mesure de monter, surtout du fait qu'il pouvait procéder par voie d'action, plutôt que par voie de révision administrative.
Arrêt: il devrait être fait droit à l'appel, excepté quant à certaines allégations au regard desquelles il y aurait lieu de permettre la poursuite de l'action, à la condition que, dans un délai de trente jours, une déclaration modifiée de nouveau soit déposée.
La reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public ressortit au pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Pour être investi de la qualité pour agir dans l'intérêt public, le demandeur doit démontrer ce qui suit: (1) il y a une question sérieuse; (2) il a, à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à la validité de la législation; (3) il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.
Quant au fait que l'intimé soit une personne morale, la Cour d'appel de l'Ontario a adopté, dans Energy Probe v. Canada (Attorney General), une position libérale relativement à la participation à un litige d'une association personnalisée dont l'objet est la défense de l'intérêt public. Le juge d'appel Carthy a exprimé l'opinion de la Cour que ceux qui saisissent le tribunal de questions importantes ne doivent pas être privés des connaissances spécialisées et des ressources dont ils ont besoin pour bien faire valoir leur point de vue. Il ne devrait pas y avoir
de règle absolue d'exclusion. Si l'engagement d'une action par une personne morale représente le seul moyen efficace de contrôle judiciaire à l'égard d'une question, déclarer cette question recevable participe de l'exercice raisonnable du pou- voir discrétionnaire. Il a été satisfait aux deux premiers critères car, en raison de son étendue, l'action soulève à première vue une question sérieuse et le mobile de l'action de l'intimé est lié à l'intérêt public, découlant d'un profond souci pour le bien public.
Pour ce qui est du troisième critère, les principes énoncés dans la jurisprudence sont clairs: la qualité pour agir dans l'intérêt public n'est reconnue que dans le cas il n'y aurait aucun groupe directement touché qui puisse contester lui-même la loi ou dans le cas où, bien qu'un tel groupe existe, l'on estimerait qu'aucun membre du groupe n'est susceptible de la contester, ou que le groupe qui est directement touché ne le serait pas quant à la question plus large du bien public. Pour statuer sur l'opportunité de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public, il était nécessaire d'étudier attentivement la législation en cause. Outre les demandeurs de statut, les autres personnes qui sont susceptibles d'être touchées sont les citoyens canadiens et les résidents qui s'exposent à des poursui- tes en prêtant leur assistance à des demandeurs de statut. Pourraient figurer parmi ce groupe des fidèles et des membres du barreau. Toutefois, même ces personnes seraient touchées en raison de leurs liens avec des demandeurs de statut, lesquels forment le groupe qui est essentiellement touché par la législa- tion. Les appelants ont soutenu que la nouvelle Loi est une loi de réglementation qui aura certainement pour effet de susciter des litiges à profusion. Dans McNeil, a été reconnue la qualité pour contester la loi bien que d'autres aient été plus directement touchés par une loi de nature réglementaire, ceux-ci n'étaient pas touchés relativement à l'intérêt public au sens large. En l'espèce, l'intérêt public au sens large que défend l'intimé est précisément celui que fait valoir le groupe directe- ment touché. Certes, Borowski indique que la qualité pour agir dans l'intérêt public peut être reconnue même si quelqu'un d'autre a un intérêt plus direct. Cette proposition ne peut cependant être valable que si la Cour, comme dans Borowski, estime qu'il est peu probable que le groupe touché plus directe- ment conteste la législation. La Cour a reconnaître d'office le fait que de telles contestations se produisaient chaque jour.
Le juge saisi de la requête a commis une erreur en décidant qu'il y a lieu de reconnaître à l'intimé la qualité pour faire valoir les allégations contenues dans la déclaration, prise dans son ensemble. Celle-ci ne devrait être prise dans son ensemble que dans le cas elle ferait valoir des causes d'action étroite- ment reliées. La déclaration ne s'est pas révélée une attaque intégrée contre la législation. Elle ne met en évidence aucun principe véritable d'intégration et nombre des allégations sont sans fondement, parce qu'elles traduisent une méprise au sujet de la législation, qu'elles ne tiennent pas compte de décisions antérieures sur ces questions, qu'elles soulèvent des questions que pourraient faire valoir tous les résidents canadiens qui seront un jour ou l'autre inculpés en vertu de la législation, ou encore qu'elles sont prématurées, puisqu'elles contestent les mesures que le gouvernement peut prendre par règlement, mais qu'il n'a pas encore prises. En outre, l'article 52 prescrit que la violation reprochée procède d'une atteinte à la Constitution. Les allégations fondées sur la Déclaration canadienne des droits ou sur des normes internationales ont être radiées.
Il est ressorti de l'examen de chacune des allégations de la déclaration qu'il y avait lieu de reconnaître la qualité pour agir dans le cas il serait difficile pour les demandeurs de contes- ter une disposition au moment ils quittent le pays, et dans celui les délais impartis dans la législation pourraient être insuffisants pour leur permettre de consulter un avocat en mesure d'agir. Il y avait lieu en pareil cas de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public et l'existence d'une cause raisonnable d'action. Bien que les sanctions pénales prévues pour le fait d'aider ou d'encourager l'entrée au Canada de personnes non munies des papiers nécessaires puissent consti- tuer une violation du droit à l'assistance d'un avocat (en dissuadant les avocats de conseiller les réfugiés non munis des papiers) et puissent fonder la qualité pour agir, elles ne sau- raient constituer une cause raisonnable d'action car les person- nes touchées seraient toutes des personnes non titulaires de la citoyenneté canadienne et n'ayant pas le droit de demander leur admission au Canada, et qui ne seraient donc pas visées par la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 2, 7, 8, 9, 10, 12, 15, 24(1).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen- dice III, art. la).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 52b)(1).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 20(2), 23(5), 30(3) (mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 9), 43(4) (mod. idem, art. 14), 49(1)a) (mod. idem, art. 16), b) (mod. idem), 69(1) (mod. idem, art. 18), (4) (mod. idem), (5) (mod. idem), 70(3) (mod. idem), 85(1)b) (mod. idem, art. 20), 114(1)a),r).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; (1975), 12 N.S.R. (2d) 85; 55 D.L.R. (3d) 632; 32 C.R.N.S. 376; 5 N.R. 43; Minis- tre de la Justice du Canada et autre c. Borowski fBorowski 1], [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Energy Probe v. Canada (Attor- ney General) (1989), 68 O.R. (2d) 449 (C.A.); Moham- mad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 55 D.L.R. (4th) 321; 21 F.T.R. 240; 91 N.R. 121 (C.A.F.); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême
refusée, [1989] 2 R.C.S. xi; Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552; (1988), 52 D.L.R. (4th) 681; 31 Admin. L.R. 123; 22 F.T.R. 80; 87 N.R. 389 (C.A.); Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34; (1987), 41 D.L.R. (4th) 78; 26 Admin. L.R. (2d) 186; 3 Imm. L.R. (2d) 38; 80 N.R. 388 (C.A.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION INFIRMÉE:
Conseil canadien des églises c. Canada, [1989] 3 C.F. 3 (lrc inst.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; R. v. Wholesale Travel Group Inc. (1989), 70 O.R. (2d) 545; 63 D.L.R. (4th) 325 (C.A.); Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu- reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24 D.L.R. (4th) 321; 7 C.P.R. (3d) 145; 19 C.R.R. 233; 12 F.T.R. 81 (1" inst.); confirmé par [1987] 2 C.F. 359; (1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11 C.I.P.R. 181; 12 C.P.R. (3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R. 30 (C.A.); autorisation de pourvoi refusée, [1987] 1 R.C.S. xiv.
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 13 C.R.R. 64; 85 C.L.L.C. 14,023; 58 N.R. 81 (C.A.); Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procu- reur général), [ 1989] 3 C.F. 684; (1989), 60 D.L.R. (4th) 712; 26 C.P.R. (3d) 440; 28 F.T.R. 160; 99 N.R. 181 (C.A.); New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410; 13 D.L.R. (4th) 77; 2 C.P.R. (3d) 433; 12 C.R.R. 249; 55 N.R. 143 (C.A.).
AVOCATS:
Graham R. Garton pour les appelants (défendeurs).
Barbara Jackman, Marlys Edwardh et Nancy Goodman pour l'intimé (demandeur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (défendeurs).
Jackman, Zambelli & Silcoff, Toronto, pour l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Cette affaire porte sur deux questions: celle de savoir si l'intimé a l'intérêt nécessaire pour intenter cette action en vue d'obtenir un jugement déclaratoire et celle de savoir si sa déclaration révèle une cause raisonna- ble d'action.
L'intimé a été fondé en 1945 et a été constitué en vertu d'une loi fédérale en 1956. Son but était de permettre aux diverses Églises canadiennes de débattre les questions qui les concernaient toutes et de coordonner leur action. Parmi les Églises adhérentes, on compte l'Église anglicane du Canada, le diocèse canadien de l'Église armé- nienne orthodoxe, la Convention baptiste de l'On- tario et du Québec, l'Église chrétienne (Disciples du Christ), l'Eglise copte orthodoxe du Canada, l'Église éthiopienne orthodoxe du Canada, l'Église évangélique luthérienne du Canada, le diocèse grec orthodoxe de Toronto (Canada), l'Eglise presbyté- rienne du Canada, l'Eglise catholique nationale polonaise, l'Église réformée—Conseil de l'Église réformée du Canada, la Convention annuelle cana- dienne de la Société des Amis, l'Armée du Salut— Canada et Bermudes et l'Église unie du Canada. La Conférence des évêques catholiques du Canada est un membre associé de l'intimé. Les Églises adhérentes, ainsi que d'autres Églises, désignent des comités inter-Eglises chargés de remplir des tâches communes sous la direction et la surveil lance de l'intimé.
L'un de ces comités, le Comité inter-Églises pour les réfugiés, a pour mission de coordonner les politiques et les actions des Églises en ce qui a trait à la protection et au réétablissement des réfugiés à l'étranger et au Canada. Les Églises adhérentes et associées de l'intimé viennent aussi en aide directe- ment aux réfugiés et aux demandeurs du statut de réfugié, au pays et à l'étranger.
Le 1°" janvier 1989, d'importantes modifications' (des modifications» ou «la nouvelle Loi») ont été
' Loi modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et d'autres lois en conséquence, S.C. 1988, chap. 35 et Loi modifiant la loi sur l'immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.C. 1988, chap. 36, maintenant L.R.C. (1985) (4' suppl.), chap. 28 et 29.
apportées à la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 2 («l'ancienne Loi»), touchant en particulier les dispositions relatives à la reconnais sance du statut de réfugié au sens de la Conven tion. L'intimé, les Églises adhérentes et le Comité inter-Églises pour les réfugiés avaient fait des pres- sions pour que le Parlement repousse les amende- ments proposés et, le 3 janvier 1989, l'intimé a déposé une déclaration 3 devant la Section de pre- mière instance, visant à faire déclarer inconstitu- tionnelles la plupart des dispositions en vigueur de la nouvelle Loi, ainsi que plusieurs dispositions de l'ancienne Loi, parce qu'elles violeraient certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] ] et de la Déclaration cana- dienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. Au total, l'intimé, au moyen de cinquante-trois allégations distinctes, conteste la validité de qua- tre-vingt-onze dispositions de la Loi codifiée et d'une disposition du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172], modifié.
Conformément à la Règle 419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], les appelants ont demandé à la Section de première instance [[1989] 3 C.F. 3] d'ordonner la radiation de la déclaration et de rejeter l'action, pour la raison que l'intimé n'avait pas l'intérêt nécessaire pour solliciter un jugement déclarant invalides des textes de loi et pour la raison que la déclaration ne révélait aucune cause raisonnable d'action. Le 26 avril 1989, le juge saisi de la requête l'a rejetée et c'est cette décision qui fait l'objet du présent appel.
Dans sa déclaration, l'intimé a fondé sa demande de jugement déclaratoire à la fois sur le paragraphe 24(1) de la Charte et sur le paragra- phe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], mais dans sa plaidoirie orale, il a dit ne plus invoquer le paragraphe 24(1). Le paragra- phe 52(1) est ainsi conçu:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
2 L'ancienne Loi se trouve dans L.R.C. (1985), chap. 1-2.
3 Celle-ci a reçu quelques modifications de peu d'importance le 30 mai 1989.
I
Étant donné la portée de l'action visant à l'obten- tion d'un jugement déclaratoire et l'absence de tout fondement factuel en pareil cas, il a toujours été jugé préférable d'en confier l'engagement au procureur général, en tant que gardien de l'intérêt public, plutôt qu'aux particuliers. De fait, les par- ticuliers n'étaient regardés comme revêtus de l'in- térêt ou de la qualité pour contester la constitu- tionnalité d'une loi du Parlement que s'ils étaient directement touchés ou s'ils subissaient un préju- dice exceptionnel. Il n'en est cependant plus ainsi, dans l'état actuel du droit. Dans un certain nombre d'arrêts récents, la Cour suprême du Canada a exposé les critères régissant désormais la qualité pour agir dans l'intérêt public et elle a dit claire- ment que la reconnaissance de cette qualité ressor- tissait au pouvoir discrétionnaire des tribunaux: Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Cénsors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski [Borowski 1], [1981] 2 R.C.S. 575; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607. En particulier, les propos du juge Martland dans Borowski 1, à la page 598, relatifs aux principes énoncés dans les arrêts Thorson et McNeil, sont habituellement tenus pour un exposé complet de l'état actuel du droit:
Selon mon interprétation, ces arrêts décident que pour établir l'intérêt pour agir à titre de demandeur dans une poursuite visant à déclarer qu'une loi est invalide, si cette question se pose sérieusement, il suffit qu'une personne démontre qu'elle est directement- touchée ou qu'elle a, à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à la validité de la loi, et qu'il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.
Selon cette nouvelle règle, le demandeur doit démontrer, soit qu'il a un intérêt personnel, soit qu'il est investi de la qualité pour agir dans l'inté- rêt public. Dans le second cas, trois critères sont applicables: premièrement, il doit y avoir un vrai litige; deuxièmement, le demandeur doit, à titre de citoyen, avoir un intérêt véritable quant à la vali- dité de la loi; troisièmement, il ne doit pas y avoir d'autre manière raisonnable et efficace de soumet- tre la question à la Cour.
Dans Finlay, le juge Le Dain analyse ces trois critères par rapport aux considérations de principe sous-jacentes (aux pages 631 634):
Les préoccupations traditionnelles des juges de ne pas élargir la qualité pour agir dans l'intérêt public peuvent être résumées ainsi: la crainte d'une dissipation de ressources judiciaires limitées et la nécessité d'écarter les troubles-fêtes; la préoccupa- tion des tribunaux, quand ils statuent sur des points litigieux, d'entendre les principaux intéressés faire valoir contradictoire- ment leurs points de vue et la préoccupation relative au rôle propre des tribunaux et à leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gouvernement. Ces préoccupations trouvent leur réponse dans les critères d'exercice du pouvoir discrétion- naire des juges de reconnaître qualité pour demander dans l'intérêt public un jugement déclaratoire, que les arrêts Thor- son, McNeil et Borowski exposent ...
La préoccupation relative au rôle propre des tribunaux et à leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gou- vernement se voit satisfaite par l'exigence de la justiciabilité, que le juge Laskin a, dans l'arrêt Thorson, dit être primordiale pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire de recon- naître ou non qualité pour agir dans l'intérêt public...
La crainte d'une dissipation de ressources judiciaires limitées et la nécessité d'écarter les troubles-fêtes trouvent leur réponse dans les exigences imposées par l'arrêt Borowski, qu'il y ait un vrai litige et qu'un citoyen ait un intérêt véritable dans ce litige. Je pense que l'intimé satisfait à ces deux exigences. Les points de droit soulevés à l'égard du prétendu non-respect provincial des conditions et engagements auxquels les versements fédéraux au titre du partage des frais sont assujettis par le Régime et à l'égard du pouvoir conféré par la loi de procéder à ces verse- ments sont, à mon avis, loin d'être futiles. Ils méritent qu'un tribunal les examinent. Le statut de personne nécessiteuse de l'intimé, aux termes du Régime, quand il se plaint de subir un préjudice à cause de ce prétendu non-respect provincial, démon- tre qu'il est une personne ayant un intérêt véritable dans ces points litigieux et non un simple trouble-fête.
La préoccupation d'un tribunal, lorsqu'il statue sur un point litigieux, d'entendre les principaux intéressés faire valoir con- tradictoirement leurs points de vue—un facteur particulière- ment souligné par le juge en chef Laskin dans l'arrêt Borowski trouve sa réponse dans l'exigence, confirmée dans cet arrêt, qu'il n'y ait pas d'autre moyen raisonnable et efficace de saisir un tribunal de la question. Dans les arrêts Thorson, McNeil et Borowski, il a été jugé que cette exigence se trouvait satisfaite du fait de la nature de la loi contestée et du fait aussi que IF procureur général avait refusé d'intenter un recours malgré que demande en ait été faite. Dans l'arrêt Borowski, les juges de la majorité et de la minorité n'ont différé d'opinions, essentielle- ment, selon mon interprétation de leurs motifs, que sur la question de savoir s'il pouvait exister quelqu'un d'autre, qui ait un intérêt plus direct que le demandeur, vraisemblablement à même de contester la loi. En l'espèce présente, il ressort claire- ment de la nature de la loi en cause qu'il ne peut y avoir personne d'autre qui ait un intérêt plus direct que le demandeur pour contester le pouvoir légal de faire les versements fédéraux au titre du partage des frais.
Je suppose que la préoccupation relative au rôle propre des tribunaux en matière constitutionnelle
est rarement en litige, pour la raison qu'a donnée le juge Laskin (tel était alors son titre) dans Thorson la page 151):
La question de la constitutionnalité des lois a toujours été dans ce pays une question réglable par les voies de justice.
Cette préoccupation était en litige dans Finlay car il ne s'agissait pas d'une affaire traitant de constitutionnalité. La question de fond consistait à décider si les contributions que le Canada conti- nuait de verser au Manitoba conformément au Régime d'assistance publique du Canada [S.R.C. 1970, chap. C-1] étaient illégales, parce que la province aurait enfreint les conditions et engage ments auxquels le Régime assujettissait ces verse- ments. Puisqu'elle touchait d'aussi près le domaine politique, la question a bien sûr été jugée suffi- sante par la Cour et le juge Le Dain l'a tranchée de la manière suivante (aux pages 632 et 633):
Cette Cour a statué sur la justiciabilité dans son arrêt Opera tion Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, l'on s'est référé tant aux aspects institutionnels que constitutionnels de la justiciabilité. Dans cette affaire, la justiciabilité a été examinée dans le cadre d'une contestation, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, de la constitutionnalité d'une décision de l'exécutif du gouvernement du Canada relevant des domaines de la politique étrangère et de la défense nationale. Suivant mon interprétation, les motifs du juge Wilson, auxquels le juge Dickson (maintenant Juge en chef) a souscrit sur la question de la justiciabilité, affirment que lorsqu'est en cause un litige que les tribunaux peuvent trancher, ceux-ci ne devraient pas refuser de statuer au motif qu'à cause de ses incidences ou de son contexte politiques, il vaudrait mieux en laisser l'examen et le règlement au législatif ou à l'exécutif. Cela, bien entendu, fut dit dans le contexte de l'obligation judiciaire de statuer en matière constitutionnelle en vertu de la Charte, mais j'estime que cela s'applique également à un litige non constitutionnel portant sur les limites d'un pouvoir conféré par la loi. Il y aura indubitablement des cas la question du respect provincial des conditions d'un partage des frais avec le fédéral soulèvera des points qui ne relèvent pas de la compé- tence des tribunaux, mais les points litigieux particuliers con- cernant l'inexécution provinciale que soulève la déclaration de l'intimé sont des points de droit dont les tribunaux peuvent manifestement ...
Dans une affaire comme celle qui nous occupe, je pense qu'il n'y a pas lieu de considérer la question de la justiciabilité comme distincte et, en outre, le juge Martland ne la rangé pas parmi les trois critères applicables à la question de la qualité pour agir dans l'intérêt public. À mon avis, il est préfé- rable de regarder la justiciabilité, non pas comme une question distincte, mais comme une question sous-jacente aux trois critères, qu'il ne convient d'examiner explicitement que dans de rares cas;
Les appelants ont allégué qu'en tant qu'associa- tion personnalisée, l'intimé ne saurait satisfaire aux deux premiers critères régissant la qualité pour agir dans l'intérêt public. Je vais étudier cet argument surtout par rapport au deuxième critère.
Les appelants ont fait valoir à bon droit que les dispositions constitutionnelles invoquées par l'in- timé pour demander que la législation soit déclarée invalide ne s'appliquent pas aux personnes mora- les. Ce principe a été reconnu par la Cour suprême au regard du droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de [la] personne» garanti par l'article 7 de la Charte: Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927. La protection prévue au paragraphe 15 (1) de la Charte ne vise que les personnes physiques («La loi ne fait accep- tion de personne et s'applique également à tous»), comme c'est le cas de l'alinéa la) de la Déclara- tion canadienne des droits (de droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne»), et, de toute façon, cette Cour a dit que ces deux dispositions ne visaient pas les personnes morales Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684 (C.A.); pour l'une, et New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410 (C.A.), pour l'autre. Les appelants ont donc soutenu que l'intimé, personne morale, ne pouvait prétendre à la qualité pour agir dans l'intérêt public.
Il est possible de réunir de bons arguments en faveur de ce point de vue. L'affaire Irwin Toy portait sur une action engagée en vue de faire déclarer ultra vires certaines dispositions de la Loi sur la protection du consommateur [L.R.Q. 1977, chap. P-40] québécoise. C'est dans ce contexte que la Cour suprême a décidé que la demanderesse, en tant que personne morale, n'avait pas qualité pour invoquer l'article 7 de la Charte. La Cour n'a reconnu qu'une seule exception à cette règle d'ex- clusion: c'est le cas de la personne morale qui fait elle-même l'objet de poursuites pénales, exemption qu'elle avait déjà admise dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295 (C.A.). À ce sujet, le juge d'appel Tarnopolsky a décidé récemment au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, dans R. v. Wholesale Travel Group Inc. (1989), 70 O.R. (2d) 545, que [TRADUCTION]
«l'on peut, de toute évidence, semble-t-il, inférer du rapprochement des arrêts Irwin Toy et Big M Drug Mart que si une personne morale ne peut pas faire valoir l'article 7 dans une cause il s'agit, par exemple, de faire déclarer une loi invalide, en revanche elle ne peut pas être mise en accusation en vertu d'une loi qui viole cet article» [Non souligné dans le texte original.]
Néanmoins, un doute subsiste. Dans l'arrêt Irwin Toy, la personne morale était touchée direc- tement au point d'être frappée de poursuites péna- les (188 chefs d'accusation pour des infractions prévues par la Loi), d'une demande d'injonction et d'une poursuite pour outrage au tribunal, relative- ment à la même loi. Elle ne sollicitait donc pas la reconnaissance de la qualité pour agir par altruisme, pour défendre les soi-disant droits du public, mais cherchait à protéger ses propres inté- rêts. Il n'est pas du tout certain que la qualité pour faire valoir l'article 7 lui aurait été refusée si elle avait tenté d'arguer de celui-ci au nom du grand public. Son inhabilité à agir en son propre nom ne la rend pas inhabile à prêter son assistance à autrui.
Dans l'arrêt Smith, Kline & French Laborato ries Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (i re inst.), à la page 316; confirmé pour d'autres motifs par [1987] 2 C.F. 359 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, C.S.C., le 9 avril 1987 [[1987] 1 R.C.S. xiv], le juge Strayer, dans une opinion incidente, a semblé disposé à reconnaître la qualité pour agir à des sociétés demanderesses, relativement à l'article 15 de la Charte, «lorsqu'il n'existe aucune autre possi- bilité de contrôle judiciaire».
En outre, la Cour d'appel de l'Ontario, dans Energy Probe v. Canada (Attorney General) (1989), 68 O.R. (2d) 449 (C.A.), a accordé à une association personnalisée dont l'objet est la défense de l'intérêt public la qualité pour demander que soient déclarées inconstitutionnelles certaines dis positions de la Loi sur la responsabilité nucléaire [L.R.C. (1985), chap. N-28], au motif qu'elles étaient incompatibles avec les articles 7 et 15 de la Charte. Il est vrai que le fait qu'onze particuliers et deux personnes morales avaient retenu les servi ces du même avocat pour défendre leur cause a pu influer sur l'issue, et la Cour a dit que ce facteur, du moins quant à la municipalité, avait pesé dans
sa décision. Néanmoins, cette dernière a adopté une position libérale relativement à la participation de l'association personnalisée. Au nom de la cour d'appel, le juge Carthy a dit ce qui suit la page 467):
[TRADUCTION] Il s'agit de décider ... si un intérêt véritable à l'égard de la validité de la loi peut être établi. M. Borowski n'avait pas d'intérêt direct ni d'intérêt éventuel dans la question de l'avortement, autre qu'à titre de citoyen intéressé à la constitutionnalité des lois. Sa qualité aurait-elle été examinée selon d'autres critères s'il s'était appelé «Borowski Inc.», asso ciation à but non lucratif dont le but est la défense d'idées touchant la législation relative à l'avortement? Je ne le crois pas. Au surplus, si la Cour décidait en l'espèce de reconnaître aux particuliers, mais non aux personnes morales, la qualité pour agir, cela ne servirait pas le but de l'exception, qui est de saisir le tribunal des questions importantes, car l'une des parties au litige serait privée des connaissances spécialisées et des ressources dont elle a besoin pour bien faire valoir son point de vue.
Si la municipalité était la seule requérante en l'espèce, il y aurait lieu de prendre d'autres éléments en considération, sur- tout quant à la question de savoir s'il y a une manière plus efficace de soumettre la question à la cour, mais comme toutes les parties sont représentées par le même avocat, aucun préju- dice ne peut être causé aux intimés par son inclusion et il résultera un avantage de la possibilité de recouvrer un montant plus élevé de dépens. Étant donné les circonstances, je n'établi- rais pas de distinction entre la municipalité et Energy Probe et, conformément au principe énoncé dans l'arrêt Borowski pré- cité, je dirais qu'elles ont toutes deux «à titre de citoyen[s], un intérêt véritable quant à la validité de la loi».
À tout prendre, je partage son avis. Car, après tout, la décision relative à l'intérêt pour agir dans l'intérêt public relève du pouvoir discrétionnaire de la cour et il me semble qu'il ne devrait donc pas y avoir de règle absolue d'exclusion. Si l'engagement d'une action par une personne morale représente le seul moyen efficace de contrôle judiciaire à l'égard d'une question, j'estime que déclarer cette action recevable participe de l'exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire. Peut-être y aurait-il lieu, comme il peut que le juge Strayer ait voulu le laisser entendre, de ne tenir compte que du troi- sième critère. Mais il ne faut pas l'exclure de manière absolue.
En l'espèce, l'intimé n'est peut-être pas une «association personnalisée qui a pour objet la défense de l'intérêt public» comme l'association demanderesse dans Energy Probe, mais il ne me semble pas permis de douter que, par rapport à la loi en cause, le mobile de son action était lié à l'intérêt public, découlant d'un profond souci pour le bien public. Comme même les appelants l'ont
reconnu dans leur mémoire (paragraphe 28), [TRADUCTION] «l'intimé a de manière générale manifesté à l'endroit des personnes qui revendi- quent le statut de réfugié le même «intérêt» que le demandeur dans l'affaire Borowski à l'égard des droits du foetus». Selon moi, il faudrait conclure que l'intimé a satisfait au deuxième critère, savoir qu'il a «à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à la validité de la loi».
Pour ce qui est du premier critère, «la question sérieuse», plusieurs des précédents ont indiqué qu'il chevauchait en partie la question plus large de la cause raisonnable d'action. Dans le cas qui nous occupe, il me semble qu'en raison de son étendue, l'action soulève à première vue une question sérieuse, mais il restera à examiner la déclaration sous ce rapport. Pour l'instant du moins, je suis disposé à passer au troisième critère, que j'estime être le point crucial.
Il ressort nettement des quatre arrêts de la Cour suprême relatifs à la qualité pour agir, que la nature et la portée de la loi en cause sont des éléments fondamentaux. Dans Thorson, la Cour a jugé que la Loi sur les langues officielles [S.R.C. 1970, chap. O-2] «n'est pas une loi de réglementa- tion» mais qu'elle est «à la fois déclaratoire et exécutoire» la page 151). Elle ne crée aucune infraction et n'impose aucune peine. Aucun devoir n'est imposé au public, bien qu'on puisse dire que la fonction publique est touchée, indirectement, semble-t-il, car c'est elle qui doit fournir des servi ces dans les deux langues officielles. Ces considé- rations amènent le juge Laskin (tel était alors son titre) à conclure, à la page 161, que:
... lorsque tous ceux qui font partie du public sont visés également, comme dans la présente affaire, et qu'une question réglable par les voies de justice est posée relativement à la validité d'une loi, la Cour doit être capable de dire que, entre le parti d'accueillir une action de contribuables et celui de nier toute qualité lorsque le procureur général refuse d'agir, elle peut choisir d'entendre l'affaire au fond.
Après avoir examiné la loi, les juges ont décidé à la majorité que sa constitutionnalité ne pourrait jamais être contestée si aucun contribuable n'avait qualité pour la contester.
Dans l'affaire McNeil, un groupe, composé des distributeurs de films, des propriétaires de lieux de spectacles, des opérateurs de cinématographes et des apprentis, était directement régi par la Thea-
tres and Amusements Act [R.S.N.S. 1967, chap. 304] de la Nouvelle-Écosse. Mais le public était aussi visé car la loi déterminait ce qu'il pouvait voir dans les salles. Le juge en chef Laskin a ainsi résumé le litige la page 271):
[A]u système de réglementation applicable à un groupe d'ex- ploitants de lieux de spectacles et de distributeurs de films vient s'ajouter, au premier plan, le pouvoir apparemment illimité de la commission de décider ce que le public peut voir dans les lieux de spectacles ou autres divertissements.
Étant donné que la question de la validité n'a pas à être décidée en l'espèce et qu'en fait elle n'a même pas été soulevée à l'égard de la qualité pour agir, je me limiterai donc à conclure qu'aux termes de la loi contestée, les citoyens de la Nouvelle- Ecosse ont des motifs raisonnables de se déclarer directement touchés par ce qu'on peut leur présenter dans un lieu de spectacle dans leur province, bien que les entreprises régies par la loi soient visées plus directement. La loi contestée ne me semble pas viser uniquement les exploitants de salles et les distributeurs de films. Elle touche aussi à l'un des droits les plus fondamentaux du public.
Puisqu'il ne semble y avoir pratiquement aucun autre moyen de soumettre la loi contestée à l'examen judiciaire, cela suffit, à mon avis, à appuyer la demande de l'intimé à savoir que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur et lui reconnaisse la qualité pour agir. [Non souligné dans le texte original.]
Encore une fois, c'est à la suite de l'analyse de l'effet de la Loi sur la société, que la Cour a conclu qu'il n'y avait «pratiquement aucun autre moyen» de réellement contester la Loi.
Dans l'arrêt Borowski, les juges de la majorité et de la minorité sont tombés d'accord sur les principes et n'ont divergé d'opinions qu'en ce qui concerne la question de savoir qui d'autre pourrait réellement contester les dispositions du Code cri- minel relatives à l'avortement. Le juge en chef Laskin, dissident cette fois-ci, a dit ce qui suit (aux pages 584 et 585):
Puisque les arrêts Thorson et McNeil ne sont pas, à strictement parler, applicables en raison de la nature des lois en cause, la seule question qui subsiste est de savoir si la présente affaire autorise la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire et à reconnaître la qualité pour agir. La raison qui m'incite à distinguer le contexte législatif est qu'il y a en l'espèce des personnes que l'application des par. 251(4), (5) et (6) intéresse et qui peuvent les contester en invoquant une violation à la Déclaration canadienne des droits. Je parle des médecins et des hôpitaux, dont l'intérêt à l'application des par. 251(4), (5) et (6) est plus évident que celui du demandeur. L'époux, qui peut s'opposer à ce que sa femme enceinte cherche à obtenir un avortement thérapeutique, a aussi un intérêt plus évident. Dans son cas, il peut se poser un dilemme, étant donné l'avancement inexorable de la grossesse. Bref, même si on satisfait aux
exigences prévues par la loi pour un avortement thérapeutique, il peut être difficile d'entreprendre et de compléter les procédu- res judiciaires en vue d'obtenir une décision sur la compatibilité des par. 251(4), (5) et (6) avec la Déclaration canadienne des droits avant que ne survienne l'avortement ou l'accouchement, selon le cas. En principe, cependant, cela ne devrait pas être un empêchement, la question aura été décidée à la demande d'une personne ayant un intérêt, et non à la demande d'une personne qui n'a aucun autre intérêt que celui de citoyen et de contribuable.
Le juge en chef a tenu compte d'une autre considération la page 587):
En dépit du fait qu'elle soulève une question hautement controversée, la présente affaire n'a pas de caractère concret. En outre, il m'apparaît qu'on viderait difficilement la question en permettant de la porter devant les tribunaux d'une manière abstraite comme ce serait le cas si le demandeur seul affrontait deux ministres de la Couronne, même en l'absence d'interve- nants qui pourraient, avec une hantise égale dans le sens opposé, plaider en faveur de l'application des dispositions con- testées. Même si on accepte, comme cela est probable, qu'en reconnaissant au demandeur la qualité pour agir, d'autres personnes ayant une opinion contraire peuvent chercher à intervenir et seraient autorisées à le faire, cela aurait pour résultat de déclencher une bataille entre des parties qui n'ont pas un intérêt direct, et de livrer cette bataille devant les tribunaux.
Au nom de la majorité, le juge Martland a qualifié la loi différemment (aux pages 596 et 597):
La loi contestée en l'espèce n'est ni déclaratoire ni exécutoire comme l'est la Loi sur les langues officielles, et elle n'est pas non plus une loi de réglementation comme l'est la Theatres and Amusements Act. Elle est de nature justificative. Elle permet, dans certaines circonstances précises, d'accomplir des actes qui seraient par ailleurs de nature criminelle. Elle n'impose pas d'obligations, mais elle prévoit plutôt une exception à la respon- sabilité pénale. De ce fait, il est difficile de trouver une catégorie de personnes directement touchées ou qui subissent un préjudice exceptionnel et qui aient un motif de contester la loi.
Les médecins qui provoquent des avortements thérapeutiques sont protégés par la loi et n'auraient pas de motif de la contester. Les médecins qui n'accomplissent pas d'avortements thérapeutiques n'ont pas d'intérêt direct à protéger en l'atta- quant et, par conséquent, une contestation de la part d'un médecin de ce groupe ne serait pas différente de celle de tout autre citoyen concerné. La même chose s'applique aux hôpi- taux. Un hôpital qui nomme un comité de l'avortement théra- peutique n'a pas de motif de contester la loi. Un hôpital qui ne nomme pas de comité n'a pas de motif de le faire.
Aucun motif ne justifie une femme enceinte désireuse d'obte- nir un avortement de contester la loi qui lui permet de l'obtenir. L'époux qui souhaite empêcher un avortement que sa femme enceinte veut obtenir peut être touché directement par la loi en question en ce sens que, à cause de la loi, elle pourrait obtenir un certificat permettant l'avortement si la continuation de sa grossesse met vraisemblablement sa vie ou sa santé en danger,
et empêcher ainsi que l'avortement soit un crime. Cependant, la possibilité que l'époux intente des procédures pour contester la loi est illusoire. L'avancement de la grossesse ne s'accommode- rait pas des longs délais inévitables qu'exigent les procédures judiciaires jusqu'au jugement définitif. L'avortement aurait été pratiqué ou l'enfant serait longtemps avant que l'instance soit décidée en dernier ressort, peut-être devant cette Cour.
La loi que l'on veut contester vise directement les foetus humains dont la gestation est arrêtée par des avortements légalisés. Il est évident qu'ils ne peuvent être parties aux procédures judiciaires, et pourtant la question, quant à la portée de la Déclaration canadienne des droits sur la protection du droit à la vie, est d'une importance considérable. Il n'y a pas de façon raisonnable de soumettre la question à la cour à moins qu'un citoyen intéressé n'intente des procédures.
Le juge Martland a répété sa conclusion en termes un peu différents la page 598):
En l'espace, il n'y a pas de personnes directement touchées qui puissent réellement contester la loi.
Le critère retenu par la majorité est bien sûr le troisième que le juge Martland a énoncé et qui est reproduit au début de cette section: «il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumet- tre la question à la cour».
Dans l'arrêt Finlay, la question de fond sous-jacente tournait autour des accords fédéro- provinciaux de partage des frais et le deman- deur était une personne nécessiteuse au sens du Régime d'assistance publique du Canada dont la seule source de revenu était la prestation sociale versée par la province (intérêt qui, d'après la cour, ne constituait pas un intérêt personnel), la Cour (s'exprimant par l'entremise du juge Le Dain) a conclu de nouveau (aux pages 633 et 634):
En l'espèce présente, il ressort clairement de la nature de la loi en cause qu'il ne peut y avoir personne d'autre qui ait un intérêt plus direct que le demandeur pour contester le pouvoir légal de faire les versements fédéraux au titre du partage des frais.
Le critère appliqué dans toutes ces décisions est très limité. La qualité pour agir dans l'intérêt public n'est reconnue que dans le cas il n'y aurait aucun groupe directement touché qui puisse contester lui-même la loi (Thorson, Finlay) ou dans le cas où, bien qu'un tel groupe existe, l'on estimerait qu'aucun membre du groupe n'est sus ceptible de la contester (Borowski). L'affaire McNeil s'apparente peut-être davantage aux arrêts Thorson et Finlay: le groupe qui est touché direc- tement ne l'est pas quant à la question plus large du bien public, c'est-à-dire de la censure cinémato- graphique; en matière de censure, il n'y a pas
vraiment de groupe touché, ou plutôt, chacun est également touché.
Dans l'affaire Energy Probe, la décision de la Cour d'appel de l'Ontario va peut-être au-delà de l'arrêt de la Cour suprême. Il y avait un groupe touché, savoir les victimes d'un accident nucléaire dont les demandes seraient limitées par des clauses restrictives, des délais de prescription et des forma- lités procédurales. Mais selon toute probabilité, ce groupe n'aurait d'existence, si tant est qu'il en ait jamais, que dans un avenir indéterminé. En atten dant, un danger existait, celui du recours accru à l'énergie nucléaire et du risque inhérent, et par rapport à ce danger, il n'y avait pas de groupe touché (aux pages 468 et 469):
[TRADUCTION] Dans le cas qui nous intéresse, il y a des allégations de fait très précises et l'on allègue précisément qu'il existe actuellement une menace à la sécurité de chacun. Quoi- que le contexte des allégations, sous les rubriques b), c) et d), concerne des limites relatives au montant des dommages-inté- rêts, ainsi que des délais de prescription, qui ne sauraient être applicables que dans l'avenir, on allègue que ces dispositions ont pour effet de créer un préjudice actuel—plus de centrales nucléaires et plus de risques. Une fois ce fait admis, il est facile de conclure «qu'il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour».
Quand je vois des gens sérieux, comme les appelants en l'es- pèce, nous faire part de sujets d'inquiétude importants pour tous leurs concitoyens, je n'hésite pas à conclure qu'il ne s'agit pas d'un abus de l'exception touchant l'intérêt public, mais que leur action tend à très bien la servir. S'il était fait droit à l'action et qu'une partie de la Loi fût déclarée inopérante, cette déclaration aurait pour avantage immédiat de forcer l'industrie et le Parlement à réévaluer dans le contexte des droits que le tribunal a reconnus les risques et les avantages en matière d'énergie nucléaire, ainsi que les autres solutions possibles sur le plan énergétique.
Si on l'examine de près, la décision Energy Probe se révèle analogue à l'arrêt McNeil: il n'y a pas de groupe spécialement touché au regard de la ques tion principale relative à l'intérêt public.
Les principes semblent donc clairs., pour statuer en l'espèce sur l'opportunité de reconnaître la qua- lité pour agir dans l'intérêt public, il sera néces- saire d'étudier attentivement la loi en cause.
II
La nouvelle Loi renferme une définition légère- ment différente du terme «réfugié au sens de la Convention»; la Loi énonce une nouvelle procédure de détermination des revendications du statut de
réfugié au sens de la Convention; en outre, aux termes de cette Loi, est constituée, pour détermi- ner les revendications, une nouvelle Commission de l'immigration et du statut de réfugié, formée de deux sections: la Section du statut de réfugié et la Section d'appel.
Outre les demandeurs de statut, les autres per- sonnes qui sont susceptibles d'être touchées sont les citoyens canadiens et les résidents qui s'expo- sent à des poursuites en prêtant leur assistance à des demandeurs de statut. Pourraient figurer parmi ce groupe des fidèles ainsi que des membres du barreau. Toutefois, même ces autres personnes seraient touchées en raison de leurs liens avec des demandeurs de statut et, de toute évidence, ces derniers forment le groupe qui est essentiellement touché par la loi.
Les appelants ont soutenu que la nouvelle Loi est à l'évidence une loi de réglementation qui aura certainement pour effet de susciter des litiges à profusion. En réalité, la Cour doit admettre d'of- fice qu'à l'heure actuelle de tels litiges sont déjà soumis à l'examen judiciaire.
L'intimé n'a pas nié que la Loi soit une loi de réglementation, mais il a affirmé que la Cour suprême dans l'arrêt McNeil a reconnu à une personne la qualité pour contester la loi même lorsque d'autres étaient plus directement touchées par une loi de nature réglementaire. Cet argument ne peut cependant pas être retenu, excepté dans le cas particulier dont nous avons déjà discuté, savoir quand les autres personnes directement touchées n'étaient pas touchées relativement à l'intérêt public au sens large. En l'espèce, l'intérêt public au sens large que défend l'intimé, soit l'intérêt des demandeurs de statut, est précisément celui que fait lui-même valoir le groupe directement touché.
Le juge saisi de la requête a appliqué le troi- sième critère régissant la qualité pour agir dans l'intérêt public, de la manière suivante (aux pages 11à13):
Finalement, je suis convaincu qu'il n'existe aucune manière raisonnable, efficace ou pratique pour la catégorie de personnes qui sont plus directement touchées par ... les questions ... soulevées dans la déclaration de la demanderesse. Ces nouvelles mesures législatives ont incontestablement accéléré la procé- dure applicable aux personnes qui revendiquent le statut de réfugié au Canada. Ces revendicateurs sont susceptibles d'être renvoyés dans les soixante-douze heures. Dans cette courte
période de temps, le requérant doit consulter un avocat, ce qui en soi peut prendre passablement de temps en raison des barrières linguistiques et de la difficulté pour l'avocat d'établir une bonne relation professionnelle avec une personne qui, dans certains cas, peut provenir d'un pays les droits de la per- sonne ont été méconnus ou qui, comme on peut s'y attendre, a besoin de beaucoup de temps pour accorder sa confiance à une personne en autorité.
Même en acceptant la prétention des défendeurs suivant laquelle un réfugié qui a fait l'objet d'une mesure de renvoi peut demander une suspension ou une injonction à la Cour fédérale pour contester la mesure de renvoi, cette demande d'injonction ne peut être examinée par la Cour avant qu'au moins dix jours se soient écoulés depuis la date du dépôt des pièces du requérant. Par conséquent, le réfugié aura déjà subi un préjudice et toute réparation qu'accordera la Cour pourra être illusoire, compte tenu du fait que le réfugié relèvera de la compétence d'un autre État.
À mon avis, la présente affaire s'apparente beaucoup à la situation qui existait dans l'arrêt Borowski. Certes, il y avait des personnes qui étaient plus directement touchées par les dispositions législatives relatives à l'avortement que M. Borowski lui-même. Dans sa décision, le juge Martland se sert de l'exemple du mari d'une épouse enceinte qui désire empêcher un avortement. [Le juge saisi de la requête cite alors les propos du juge Martland dans Borowski.]
À mon avis, la demanderesse à l'instance répond à ce critère et la Cour lui reconnaît par les présentes la qualité pour poursuivre son action.
Comme le juge saisi de la requête, l'intimé s'appuie sur l'arrêt Borowski pour soutenir que la qualité pour agir dans l'intérêt public peut être reconnue même si quelqu'un d'autre a un intérêt plus direct. Cette proposition ne peut cependant être valable que si la Cour, comme dans Borowski, estime qu'il est peu probable que le groupe touché plus directement conteste la loi, tandis qu'en l'es- pèce, la Cour doit admettre d'office le fait que de telles contestations se produisent chaque jour.
La solution retenue par le juge saisi de la requête pose un problème fondamental: il a exa- miné la déclaration dans son ensemble au lieu d'étudier chacune des allégations séparément. Cette méthode ne serait justifiée, d'après moi, que dans le cas la déclaration ferait valoir des causes d'action étroitement reliées.
Or en l'espèce, l'intimé a insisté dans la déclara- tion même pour que la loi dans son intégralité soit examinée, parce qu'elle serait [TRADUCTION] «entachée d'un vice fondamental du point de vue constitutionnel». Cet argument, je le répète, ne peut en soi fonder la qualité pour agir, à moins
qu'il ne soit peu probable que les questions puis- sent autrement être soumises à l'examen judiciaire. Mais au cours de sa plaidoirie orale, l'intimé a présenté son argument sous une forme qui le rend plus défendable: sa déclaration constituerait une attaque intimement intégrée contre la loi, qu'au- cune des parties directement touchées ne serait en mesure de monter, surtout du fait qu'il peut procé- der par voie d'action, plutôt que par voie de révi- sion administrative, et qu'il peut ainsi fonder sa contestation intégrée sur des faits.
Cette assertion nécessite l'examen de la déclara- tion elle-même.
III
En fait, il n'est pas nécessaire de faire un examen minutieux de la déclaration pour en conclure qu'elle ne saurait constituer une attaque intégrée contre la loi. Non seulement elle ne met en évi- dence aucun principe véritable d'intégration, mais encore nombre des allégations sont sans fonde- ment.
Tout d'abord, le jugement déclaratoire que cher- che à obtenir l'intimé dans l'intérêt public revêt, et doit revêtir, un caractère général, c'est-à-dire porter qu'une disposition est inconstitutionnelle dans la mesure elle vise tous les demandeurs du statut de réfugié, ou du moins tous ceux à qui elle est susceptible de s'appliquer. Une cause qui ne concerne qu'une situation hypothétique ou des cir- constances particulières pourrait bien être soutena- ble, pour ce qui est du demandeur personnellement touché dans ces circonstances, mais elle ne saurait reposer sur la qualité pour agir dans l'intérêt public. Ensuite, la violation reprochée doit procé- der d'une atteinte à la Constitution elle-même, et non pas à la Déclaration canadienne des droits ou à de soi-disant normes internationales, car c'est ce que prescrit l'article 52. Je radierais donc toutes les allégations fondées sur la Déclaration cana- dienne des droits ou sur des normes internationa- les.
De façon plus précise, l'intimé a fait valoir ce qui suit, à l'alinéa 3d) de la déclaration:
[TRADUCTION] 3. ...
d) L'article 18, savoir les paragraphes 71(4) et (5) de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration, 1988, chap. 35, ne garantit pas à la personne de moins de dix-huit ans ou qui est
incapable de comprendre la nature de la procédure le droit à l'assistance d'un avocat, parce qu'il n'exige pas la désignation d'un tuteur et qu'il autorise la section du statut à désigner une personne, aux frais de la Commission, pour représenter un mineur ou un incapable, au cours de la procédure devant la section, sans que cette personne ait nécessairement reçu la formation juridique et ait l'expérience suffisante en matière d'immigration et de reconnaissance du statut de réfugié.
Toutefois, cette affirmation traduit une méprise totale au sujet des paragraphes 69(4) et (5) de la Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 18]. Ces dispositions garantissent la désigna- tion d'un «tuteur ad litem» dans le cas l'inté- ressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause. La désignation de ce représentant complète le droit à l'assistance d'un avocat qui est prévu au paragra- phe 69(1) [mod. idem] de la Loi, il n'y porte pas atteinte. Cette attaque est donc absolument dénuée de fondement.
Deuxièmement, l'intimé a prétendu ce qui suit, à l'alinéa Sb) de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. ...
b) L'article 14, savoir les paragraphes 47(1), 48(1), 48.01(2) et 48.01(6) et les articles 48.02 et 48.03 de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration, 1988, chap. 35, dispose qu'un arbitre nommé aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et de la Loi sur l'immigration de 1976 rend la décision et préside l'enquête ou l'audience relative à la revendication du statut de réfugié et qu'il est l'une des deux personnes habilitées par la Loi à décider si la demande de protection présentée au Canada par un réfugié est receva- ble par la section du statut de la Commission de l'immigra- tion et du statut de réfugié. L'arbitre n'est pas indépendant et impartial, ce qui prive le réfugié du droit à une audience équitable conformément aux principes de justice fondamen- tale ...
Cet argument a cependant déjà été rejeté par cette Cour dans Mohammad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 55 D.L.R. (4th) 321; autorisation de pourvoi devant la Cour suprême refusée le 27 avril 1989 [[1989] 2 R.C.S. xi]. Cette Cour ne peut pas raisonnablement être priée de réouvrir la question de l'indépendance des arbitres un peu plus d'un an après qu'elle s'est prononcée sur celle-ci.
Troisièmement, l'intimé a avancé l'argument qui suit, à l'alinéa 5c) de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. ...
c) L'article 14, savoir le paragraphe 48(1) et les articles 48.01, 48.02 et 48.03 de la Loi modifiant la Loi sur l'immi-
gration, 1988, chap. 35, porte que le membre de la section du statut nommé aux termes de la Loi sur l'immigration de 1976 est l'une des deux personnes habilitées par la Loi à décider si la demande de protection présentée au Canada par un réfugié est recevable par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le membre de la section du statut n'est pas indépendant et impartial, car il ne jouit pas de l'inamovibilité, aux termes des paragraphes 63(1) et (2) de ladite loi, et la reconduction ou la continuation de son mandat dépendent de la volonté du gouverneur en conseil, ce qui prive le réfugié du droit à une audience équitable conformément aux principes de justice fondamentale. À l'heure actuelle, les membres de la section du statut ont un mandat d'une durée d'un an à cinq ans.
Pour l'essentiel, l'intimé fait valoir le même argu ment à l'alinéa 11a). À mon avis, cette question a déjà été réglée dans la décision Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552 (C.A.).
Quatrièmement, l'intimé affirme ceci, à l'alinéa 5f) de la déclaration:
[TRADUCTION] 5. ...
f) L'article 14, savoir le paragraphe 48.01(7) de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration, 1988, chap. 35, investit le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, qui remplit le rôle de poursuivant au stade de l'audience ou de l'enquête initiale, du droit de déterminer au cours de cette même audience ou enquête si la revendication du demandeur a un minimum de fondement (ce pouvoir est, à l'heure actuelle, délégué à l'agent chargé de présenter le cas, qui exerce la fonction de poursuivant dans la procédure en cause). Le ministre et son représentant sont donc habilités à rendre une décision et ils ne donnent pas au réfugié la possibilité de se faire entendre avant l'exercice de ce pouvoir. Le réfugié est ainsi privé du droit à une audience devant une personne indépendante et impartiale, si le ministre est d'avis que sa revendication n'a pas un minimum de fondement.
La Cour a statué sur une question semblable dans Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.); elle a décidé qu'une disposition qui, essentielle- ment, favorise un immigrant et ne le lèse pas ne saurait porter atteinte à l'équité.
Ces exemples, me semble-t-il, montrent bien que la déclaration, loin de former une argumentation serrée et solide, ne représente qu'un vague ramas- sis d'assertions variées, dont un bon nombre sont dénuées de fondement.
Au surplus, la partie de l'allégation relative aux sanctions pénales frappant les personnes qui appor- tent leur aide à des réfugiés pour des raisons d'ordre humanitaire (le paragraphe 15, en général, sauf peut-être l'alinéa 15b), auquel je reviendrai)
soulève des questions que peuvent, et que feront, valoir tous les résidents au Canada qui seront un jour ou l'autre inculpés des infractions prévues dans ces dispositions de la Loi.
En dernier lieu, d'autres parties de la déclara- tion (notamment les alinéas 6c) et 7a)) sont, au mieux, prématurées, parce qu'elles contestent les mesures que le gouvernement peut prendre par règlement conformément à l'alinéa 114(1)r) de la Loi mais au sujet desquelles aucun règlement n'a encore été pris et aucun contexte n'est donc fourni pour l'examen de questions de constitutionnalité.
À tout prendre, je ne peux que conclure que le juge saisi de la requête a commis une erreur en décidant qu'il y a lieu de reconnaître à l'intimé la qualité pour faire valoir les allégations contenues dans la déclaration, prise dans son ensemble.
Néanmoins, vu l'alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], qui confère à cette Cour le pouvoir de rendre le juge- ment que la Section de première instance aurait rendre, il faut se demander si l'intimé devrait se voir reconnaître la qualité pour agir quant à certai- nes allégations de la déclaration et, dans l'affirma- tive, si celles-ci soulèvent une cause raisonnable d'action.
Relativement à cette dernière question, il est bien établi qu'il ne suffit pas d'invoquer la Charte pour que soit soulevée d'office une question suscep tible d'être réglée par voie de justice. Les principes de droit applicables ont été exposés par la Cour suprême dans plusieurs arrêts récents. Dans Pro- cureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, la page 740, le juge Estey a dit qu'un tribunal doit radier une déclaration «seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas "au- delà de tout doute".» La partie qui demande la radiation a la charge de la preuve. Dans Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 449 et 450, le juge en chef Dickson a souscrit aux propos du juge Wilson dans la même affaire (aux pages 486 et 487):
Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir s'ils révèlent une cause raisonnable d'action, c.-à-d. une cause d'action «qui a quelques chances de succès» (Drummond -Jack- son v. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou, comme dit le juge Le Dain dans l'arrêt Dowson c. Gouverne-
ment du Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138, est-il «évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir»?
Après avoir appliqué ce principe aux allégations de la déclaration à l'égard desquelles la qualité pour agir a été reconnue, je suis d'avis que des allégations qui dépendent d'un règlement qui n'a pas encore été pris, en application de l'alinéa 114(1)r) de la Loi, et qui ne le sera peut-être jamais, sont spéculatives au point de ne pas être raisonnables. Pareilles allégations ne révèlent pas, à mon sens, une cause d'action qui a la moindre chance de succès, mais sont, au mieux, prématu- rées.
IV
Selon l'allégation énoncée au paragraphe 3, certai- nes dispositions de la Loi contreviendraient à l'ar- ticle 7 et à l'alinéa 10b) de la Charte en limitant le droit d'une personne à l'assistance d'un avocat, ou en l'en privant. En règle générale, il se peut qu'il soit difficile pour les personnes touchées de mettre en doute la constitutionnalité de restrictions appor- tées au droit à l'assistance d'un avocat, aussi con- vient-il de reconnaître au demandeur la qualité pour agir dans l'intérêt public. Toutefois, les ali- néas 3b) et 3c) sont fondés sur une interprétation déraisonnable de la loi et l'alinéa 3a) ne soulève pas une question visée par l'article 52.
Il ne reste donc qu'à examiner l'alinéa 3c). L'intimé y conteste la validité du paragraphe 30(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4» suppl.), chap. 28, art. 9] de la Loi relatif à la mise à disposition d'un avocat qui soit en mesure de recevoir des instruc tions dans les vingt-quatre heures suivant la prise d'une mesure de renvoi. Étant donné le peu de temps accordé pour consulter un avocat, un réfugié pourrait avoir de la difficulté à contester efficace- ment le délai qui lui est imparti. Il n'est pas non plus évident que la question ne puisse pas faire l'objet d'un argument défendable. Je permettrais que l'action se poursuive pour ce qui est de la contestation fondée sur l'article 7, mais non quant à celle fondée sur l'alinéa 10b), parce qu'une telle transgression concernerait les personnes placées sous garde, et non pas tous les demandeurs de statut.
Il est allégué au paragraphe 4 que certaines dispositions de la Loi violeraient les articles 7, 9 et 12 de la Charte, parce qu'aux termes de celles-ci,
certaines catégories de personnes seraient l'objet de peines et de traitements cruels et inusités et pourraient être mises en détention obligatoire de façon arbitraire. Ces catégories de personnes pour- raient soumettre elles-mêmes efficacement des questions appropriées à l'appréciation du tribunal. Par surcroît, les personnes touchées par les disposi tions contestées ne sont pas des réfugiés mais sont plutôt des personnes qui ont été déclarées coupa- bles d'actes criminels ou qui prônent la subversion, soit des catégories à l'égard desquelles l'intimé n'a pas, à l'alinéa 2b), invoqué la qualité pour agir dans l'intérêt public.
Au paragraphe 5, l'intimé allègue que certaines dispositions de la Loi contreviennent à l'article 7 de la Charte parce qu'elles ne portent pas que la revendication du statut de réfugié doit faire l'objet d'une audience équitable conformément aux prin- cipes de justice fondamentale. Les demandeurs de statut pourraient facilement faire valoir eux- mêmes ces allégations.
D'après l'allégation formulée au paragraphe 6, certaines dispositions contreviendraient à l'article 7 de la Charte parce qu'elles ne protègent pas véritablement le droit du réfugié à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, en confor- mité avec les principes de justice fondamentale. Ces dispositions excluraient certains demandeurs du processus de détermination des revendications du statut de réfugié, soit temporairement (6a)), soit à titre définitif (6b) - f)).
Justement à cause du fait que ces demandeurs n'auraient pas accès au processus de détermination des revendications du statut et qu'ils pourraient facilement être renvoyés sans avoir véritablement la possibilité de contester la Loi, il me semble qu'il n'y aurait pas «d'autre manière raisonnable et efficace» de soumettre ces questions à l'examen judiciaire que de reconnaître à l'intimé la qualité pour contester les dispositions législatives pertinen- tes dans cette action en jugement déclaratoire.
Toutefois, les allégations exposées aux alinéas 6b) et c) sont tout à fait spéculatives, car elles dépendent de la promulgation, sous le régime de l'alinéa 114(1)a) de la Loi, d'un règlement qui limiterait les revendications du statut de réfugié en fonction de facteurs géographiques.
Les allégations formulées aux alinéas 6d) à J) dépendent toutes de l'existence de circonstances particulières qui ne pourraient être prises en consi- dération dans une action visant à obtenir une déclaration générale conformément à l'article 52.
Au paragraphe 6, il ne reste donc que l'alinéa a). On y fait d'abord mention du paragraphe 43(4) de la Loi [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 14], qui permet d'ordonner au demandeur qui réside ou séjourne aux États-Unis de retourner aux États-Unis en attendant qu'un membre de la Section du statut soit disponible et puisse participer à l'enquête. À mon avis, il serait difficile pour les demandeurs de contester cette disposition au moment ils quittent le pays et il conviendrait de reconnaître à cet égard la qualité pour agir dans l'intérêt public. L'alinéa 6a) com- porte aussi une allégation semblable relativement aux paragraphes 20(2) et 23(5), qui prévoient le cas il n'est pas possible pour l'agent en cause d'en référer soit à l'agent principal, soit à l'arbitre. Ces dispositions ne s'appliquent pas seulement aux demandeurs de statut, mais elles visent tous les demandeurs qui doivent attendre qu'un agent prin cipal examine leur cas ou qu'un arbitre puisse mener l'enquête. Encore une fois, il serait opportun de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public à cet égard. Il y aurait lieu, de permettre également la poursuite de la contestation de l'ali- néa 85(1)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 20] de la Loi, puisqu'elle se rattache aux paragraphes 43(4), 20(2) et 23(5). Je conclus en outre à l'existence de causes d'action défenda- bles.
Au paragraphe 7, l'intimé prétend que certaines dispositions contreviennent à l'article 15 de la Charte, parce qu'elles ne garantissent pas que toutes les personnes qui demandent la reconnais sance du statut de réfugié au sens de la Convention et qui se réclament de la protection du Canada jouissent du droit à l'égalité devant la loi et du droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Comme les dispositions contestées ont pour effet de priver certains demandeurs de statut du droit de se prévaloir du processus de détermination des revendications, il serait opportun en l'occurrence de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public. Ces affirmations sont cependant spéculati-
ves, à mon avis, pour la raison que j'ai donnée au regard des alinéas 6b) et c).
Il est allégué au paragraphe 8 que certaines dispositions de la Loi transgressent l'article 7 de la Charte, parce qu'elles ne protègent pas véritable- ment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Puisque les personnes touchées sont celles dont le statut de réfugié a été reconnu à titre définitif, mais qui doivent néanmoins surmonter d'autres obstacles, il n'y a pas lieu d'accorder à leur égard la qualité pour agir dans l'intérêt public car, dans la mesure elles sont déjà au Canada, elles peuvent elles-mêmes ester en justice valable- ment.
Aux termes de l'allégation énoncée au paragra- phe 9, certaines des dispositions déjà mentionnées au paragraphe 8 contreviendraient à l'article 15 de la Charte. Une fois de plus, et pour la même raison, il n'y a pas lieu de reconnaître en l'occur- rence la qualité pour agir dans l'intérêt public.
Au paragraphe 10, l'intimé affirme que cer- taines dispositions touchant les mesures de renvoi contreviennent à l'article 7 de la Charte. Aux termes de l'alinéa 49(1)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 16] de la Loi, qui est contesté à l'alinéa 10a), il est sursis à l'exécu- tion d'une mesure de renvoi à la demande du demandeur qui a le droit de demander la révision de la mesure sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale, seulement durant soixante-douze heures à compter du moment la mesure a été prise. Comme ce délai sera peut-être trop court pour permettre au demandeur de consulter un avocat en mesure d'agir, il me semble que cette allégation peut justifier la qualité pour agir dans l'intérêt public. Je conclus en outre qu'elle énonce une cause raisonnable d'action. Toutefois, à supposer que la question du manque de temps pour consul- ter un avocat ne puisse être soulevée, les deman- deurs de statut pourraient faire valoir eux-mêmes efficacement les autres motifs de contestation rela- tifs aux mesures de renvoi qui sont formulés aux alinéas 106) et c).
Aux termes du paragraphe 11, l'article 7 de la Charte aurait été violé parce que la Loi ne prévoit pas d'audience équitable devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. J'ai déjà étudié l'alinéa 11a). Tout demandeur dont les
droits auraient été violés pourrait faire valoir effi- cacement toute cause raisonnable d'action énoncée au paragraphe 11.
Au paragraphe 12, l'intimé allègue que l'article 7 a été transgressé parce que sous le régime du paragraphe 70(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 18] de la Loi, un réfugié au sens de la Convention serait dans l'impossibilité de faire appel devant la Section d'appel en invoquant des raisons d'ordre humanitaire. Tout demandeur de statut qui serait touché pourrait faire valoir efficacement cette allégation.
Selon le paragraphe 13, certaines dispositions de la Loi contreviendraient à l'article 15 de la Charte. À mon avis, aucune partie de cette allégation ne peut être soutenue plus efficacement par un demandeur ayant qualité pour agir dans l'intérêt public que par des personnes directement touchées.
D'après l'allégation exprimée au paragraphe 14, certaines dispositions de la Loi porteraient atteinte aux articles 7 et 15 de la Charte. Les alinéas 14a) et b) portent sur des restrictions au droit au con- trôle judiciaire par la Cour fédérale du Canada et par la Cour suprême du Canada. Les demandeurs de statut peuvent eux-mêmes soulever efficace- ment ces questions.
L'alinéa 14b) attaque l'absence de révision au fond des décisions portant rejet, que rendent l'une ou l'autre des sections. Encore une fois, les deman- deurs de statut peuvent eux-mêmes soulever effica- cement cette question.
Pour terminer, l'alinéa 14c) conteste la constitu- tionnalité des alinéas 49(1)a) [mod. par L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28, art. 16] et b) de la Loi. Aux termes de l'alinéa 49(1)a) de la Loi, le demandeur de statut qui a un droit d'appel devant la Section d'appel peut faire l'objet d'une mesure de renvoi vingt-quatre heures après qu'il a été avisé de son droit d'appel conformément à l'article 36 de la Loi, si l'avis d'appel n'a pas été déposé dans ce délai de vingt-quatre heures. En applica tion de l'alinéa 49(1)b) de la Loi, le demandeur de statut qui a le droit de produire une demande d'autorisation d'introduire une instance aux termes des articles 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale peut faire l'objet d'une mesure de renvoi soixante- douze heures après que la mesure de renvoi a été prise.
Les délais impartis peuvent sans aucun doute être insuffisants pour permettre aux intéressés de consulter un avocat afin de choisir la ligne de conduite qui s'impose, peut-être même de contester ces délais. Les éléments dont il faut tenir compte sont semblables à ceux qui entrent en jeu dans le cas de l'alinéa 3c). Il y a lieu, à mon sens, de reconnaître en l'occurrence la qualité pour agir dans l'intérêt public et l'existence d'une cause raisonnable d'action.
Au paragraphe 15, l'intimé prétend que certai- nes sanctions pénales violent les articles 2, 7 et 8 et l'alinéa 10b) de la Charte; ce serait notamment le cas des dispositions pénalisant le fait d'aider ou d'encourager l'entrée au Canada d'une personne qui n'est pas munie d'un visa, d'un passeport ou d'un titre de voyage requis. À mon point de vue, les demandeurs eux-mêmes—tout comme les autres personnes qui peuvent aussi être inculpées d'infractions—peuvent contester efficacement toutes ces dispositions sauf peut-être quant à .l'allé- gation formulée à l'alinéa 15b), selon laquelle la Loi, en dissuadant par la menace de sanctions les avocats de conseiller les réfugiés non munis des papiers nécessaires, priverait peut-être les intéres- sés du droit à l'assistance d'un avocat. Cette asser tion pourrait fonder la qualité pour agir, mais elle ne saurait constituer une cause raisonnable d'ac- tion car les personnes touchées seraient toutes des personnes non titulaires de la citoyenneté cana- dienne, se trouvant à l'étranger et n'ayant pas le droit de demander leur admission, et qui ne seraient donc pas visées par la Charte.
Au paragraphe 16, l'intimé allègue que les dis positions transitoires de la Loi contreviennent aux articles 7 et 15 de la Charte, parce qu'elles ne permettent pas aux personnes qui avaient revendi- qué le statut de réfugié avant la date de référence de la loi de poursuivre leur demande conformé- ment à l'ancienne loi. Selon cette allégation, ces personnes seraient injustement frappées par la rétroactivité de la nouvelle loi et privées de l'éga- lité de bénéfice de la loi que la Charte accorde aux autres demandeurs qui sont dans la même situa tion et à l'égard desquels une décision avait été rendue avant la date de référence. À mon avis, il n'est pas nécessaire de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public relativement à ce paragraphe.
V
En conséquence, il devrait être fait droit à l'appel, excepté quant aux allégations énoncées à l'alinéa 3c), en partie, et aux alinéas 6a), 10a) et 14c). Il n'y aurait lieu de permettre la poursuite de l'action qu'au regard de ces allégations-là, à la condition que, dans un délai de trente jours, l'intimé dépose une déclaration modifiée de nouveau, limitée aux allégations pertinentes par rapport à la réparation demandée, savoir un jugement déclaratoire portant que les dispositions en cause de la Loi sont incom patibles avec la Constitution et sont inopérantes en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982. Dans cette déclaration modifiée, ces dispositions devraient être désignées seulement selon la numérotation exacte du texte codifié de la Loi sur l'immigration 4 .
Étant donné que les appelants n'ont pas eu totalement gain de cause, ils auraient droit à la moitié de leurs dépens devant cette Cour et devant la Section de première instance.
PRATTE, J.C.A.: J'y souscris. MAHONEY, J.C.A.: J'y souscris.
° L'utilisation par l'intimé de la numérotation des projets de loi est source de confusion et, qui pis est, cette numérotation elle-même n'est pas toujours exacte.
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