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T-417-90
Procureur général du Canada (requérant) c.
Douglas H. Martin, Ronald Mclsaac, Gerald Robicheau, Jacques Lemieux, Roland Lavigne, Raymond Blanchet, David E. Kilmartin, Robert James Slavik, Peter McCullough et E. H. Grossek (intimés)
RÉPERTORIE: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. MARTIN (i" INST.)
Section de première instance, juge Rouleau— Ottawa, 4 avril et 7 mai 1990.
Droits de la personne Retraite obligatoire des Forces armées canadiennes Plaintes de discrimination qui sont fondées sur la Loi canadienne des droits de la personne et qui soulèvent la question de savoir si l'art. 15b) de la Loi, qui autorise les politiques sur la retraite obligatoire, est contraire à l'art. 15 de la Charte et la question de savoir si la retraite obligatoire constitue une exigence professionnelle justifiée au sens de l'art. 15a) de la Loi La Commission canadienne des droits de la personne n'a pas commis d'erreur de droit en renvoyant le cas à un tribunal Pouvoir de la Commission d'entendre et de trancher les questions liées à la Charte et soulevées dans le contexte de l'application ou de l'interpréta- tion de dispositions législatives L'intervention à ce stade-ci est prématurée.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Retraite obligatoire des Forces armées canadiennes
Plaintes de discrimination qui sont fondées sur la Loi canadienne des droits de la personne et qui soulèvent la question de savoir si l'art. 15b) de la Loi, qui autorise les politiques sur la retraite obligatoire, est contraire à l'art. 15 de la Charte La Commission canadienne des droits de la personne a le pouvoir d'examiner les questions liées à la Charte lors de l'interprétation de dispositions législatives Elle doit être convaincue que sa loi d'habilitation ne contre- vient pas à la Charte La Commission n'a pas commis d'erreur de droit en renvoyant le cas à un tribunal.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Retraite obligatoire des Forces armées canadiennes
Plainte fondée sur la Loi canadienne des droits de la personne Le renvoi par la Commission canadienne des droits de la personne d'une question liée à la Charte à un tribunal est une décision administrative qui peut faire l'objet d'une révision suivant l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale
La Commission a le pouvoir d'examiner les questions liées à la Charte lors de l'application ou de l'interprétation de dispositions législatives Le rôle de la Cour consiste à déterminer si la Commission était habilitée à renvoyer le cas et si elle a commis une erreur de droit en faisant ce renvoi Ayant agi de façon raisonnable, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit.
Ayant été libérés des Forces armées canadiennes lorsqu'ils ont atteint l'âge de la retraite obligatoire, les intimés ont déposé
auprès de la Commission canadienne des droits de la personne des plaintes de discrimination fondée sur l'âge. L'enquêteur a relevé deux questions dans son rapport: (1) l'alinéa 15b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui autorise l'adoption de politiques sur la retraite obligatoire, est-il con- traire à l'article 15 de la Charte? et (2) la politique sur la retraite obligatoire qui est prévue dans le règlement adopté sous l'autorité de la Loi sur la défense nationale constitue-t-elle une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 15a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne? La Commission a décidé de renvoyer ces questions à un tribunal des droits de la personne. Il s'agit, en l'espèce, d'une demande par laquelle le procureur général cherche à obtenir un bref de certiorari en vue d'annuler cette décision, pour le motif que la Commission a commis une erreur de droit et outrepassé ses pouvoirs.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Suivant l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance avait la compétence voulue pour revoir la décision de la Commission, puisque celle-ci était une décision de nature administrative.
La Commission est habilitée à entendre et trancher les questions liées à la Charte dans le contexte de l'application ou de l'interprétation de dispositions législatives. La Commission devait appliquer les dispositions de la Loi sur les droits de la personne pour déterminer s'il y avait une preuve de discrimina tion suffisante pour justifier un renvoi à un tribunal. À cette fin, elle devait être convaincue que sa loi d'habilitation n'était pas contraire à la Charte. En rendant sa décision, la Commis sion n'a pas tranché la question finale. Elle a plutôt renvoyé le cas au Tribunal à des fins d'analyse. Cette décision n'était pas assujettie aux règles de la justice naturelle; puisqu'il s'agissait d'une décision purement administrative, la Commission n'était pas tenue d'entendre les parties ou de motiver sa conclusion ou le renvoi qu'elle a ordonné.
La Commission a en venir à la conclusion que l'alinéa 15b) était ou pouvait être contraire à la Charte. Cependant, en l'absence de conclusions de fait et de plaidoiries, il serait prématuré à ce stade-ci de modifier la conclusion de la Com mission et de ne pas permettre l'examen des plaintes. Le rôle de la Cour n'est pas, à ce stade-ci, de statuer sur la question principale à trancher. Son seul rôle consiste à déterminer si la Commission était habilitée à ordonner ce renvoi et si, ce faisant, elle a commis une erreur droit.
D'après l'état actuel du droit, la Commission est habilitée à déclarer qu'un article de sa loi d'habilitation est contraire à la Charte; compte tenu des décisions des dispositions restricti- ves semblables ont été jugées contraires à l'article 15, les actes de la Commission étaient raisonnables.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 1, 15.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 7, 10, 15a),b), 41c), 44(3).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18, 28.
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), chap. N-5.
JURISPRUDENCE DECISIONS APPLIQUÉES:
Tétrault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 33 Admin. L.R. 244; 23 C.C.E.L. 103; 88 C.L.L.C. 14,050; 88 N.R. 6 (C.A.); Cuddy Chicks Ltd. v. Ontario (Labour Relations Board) (1989), 70 O.R. (2d) 179; 35 O.A.C. 94 (C.A.); Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la per- sonne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756; (1971), 18 D.L.R. (3d) I; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Tribu- nal des droits de la personne), [1990] I C.F. 627 (1" inst.); Dywidag Systems International, Canada Ltd. c. Zutphen Brothers Construction Ltd., [1990] 1 R.C.S. 705; Rudolph Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695.
DÉCISION EXAMINÉE:
Re Rosen, [1987] 3 C.F. 238; (1987), 80 N.R. 47 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Re Alberta Human Rights Commission and The Queen et al. (1986), 27 D.L.R. (4th) 735 (C.A. Alb.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115; Harrison v. University of British Columbia (1988), 49 D.L.R. (4th) 687; [1988] 2 W.W.R. 688; 21 B.C.L.R. (2d) 145 (C.A.C.-B.); Sniders v. Nova Scotia (Attorney General) and Camp Hill Hos pital (1988), 88 N.S.R. (2d) 91; 51 D.L.R. (4th) 408; 225 A.P.R. 91; 23 C.C.E.L. 175; 41 C.R.R. 105 (C.A.); McKinney v. University of Guelph (1987), 63 O.R. (2d) 1; 46 D.L.R. (4th) 193; 29 Admin. L.R. 227; 24 O.A.C. 241.
AVOCATS:
Barbara A. Mclsaac, c.r., pour le requérant. René Duval pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne. Personne n'a comparu pour les autres intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Services juridiques de la Commission cana- dienne des droits de la personne, pour la Commission canadienne des droits de la personne.
Personne n'a représenté les autres intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Les intimés, qui ont atteint l'âge maximal applicable à leur rang et ont été libérés des Forces armées canadiennes, ont déposé individuellement auprès de la Commission cana- dienne des droits de la personne des plaintes de discrimination fondée sur l'âge, laquelle discrimi nation est contraire aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6; ces articles portent sur les politiques et pratiques discriminatoires dans le domaine de l'emploi.
Dès que les plaintes ont été reçues, un enquêteur s'est vu confier la tâche d'examiner les plaintes et il a soumis des rapports à la Commission confor- mément à l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans la majorité de ces rapports, deux questions ont été soulevées:
1. En premier lieu, l'alinéa 15b) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]] est-il contraire à l'article 15 de la Charte (selon lequel les personnes ne peuvent faire l'objet de discrimination en raison de leur âge)?
2. En deuxième lieu, dans l'affirmative, l'âge de retraite obligatoire prévu dans le règlement adopté sous l'autorité de la Loi sur la défense nationale [L.R.C. (1985), chap. N-5], qui décrète la retraite obligatoire, constitue-t-il une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 15a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
Voici le texte des alinéas 15a) et b):
15. Ne constituent pas des actes discriminatoires:
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions: conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;
b) le fait de refuser ou de cesser d'employer un individu qui n'a pas atteint l'âge minimal ou qui a atteint l'âge maximal prévu, dans l'un ou l'autre cas, pour l'emploi en question par la loi ou les règlements que peut prendre le gouverneur en conseil pour l'application du présent alinéa;
À la suite de ces rapports, la Commission en est venue à la conclusion, sans motiver sa décision, que ces questions devraient être tranchées par un tribunal des droits de la personne.
Par la présente demande, le procureur général du Canada cherche à obtenir une ordonnance de certiorari annulant la décision par laquelle la Commission a renvoyé le cas devant le tribunal. Le requérant soutient que la Commission a commis une erreur de droit et qu'elle a dépassé les limites de sa compétence. On allègue que, même si la Commission n'a pas donné de motifs précis à l'appui de sa décision de renvoyer les plaintes devant un tribunal, il est évident que, pour ce faire, elle a conclure que l'alinéa 15b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne était contraire à l'article 15 de la Charte. Dans le cas contraire, les actes reprochés ne pourraient consti- tuer des actes de discrimination et il n'y aurait aucune raison de renvoyer les plaintes devant le tribunal.
À l'appui de sa demande d'ordonnance de cer- tiorari annulant la décision de la Commission, le requérant allègue ce qui suit:
1. Le requérant soutient que la Commission cana- dienne des droits de la personne n'a pas le pouvoir de déclarer qu'un article de sa loi d'habilitation est contraire à la Charte; en outre, dit-il, la Commis sion aurait motiver sa décision. Selon lui, les jugements rendus dans Tétrault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigra- tion du Canada), [1989] 2 C.F. 245 (C.A.) et Cuddy Chicks Ltd. v. Ontario (Labour Relations Board) (1989), 70 O.R. (2d) 179 (C.A.) sont erronés. Tant la Cour d'appel fédérale que la Cour d'appel de l'Ontario ont décidé qu'une commission était habilitée à déclarer des dispositions législati- ves contraires à la Charte. Subsidiairement, ajoute le requérant, notre Cour devrait distinguer ces décisions du présent cas, puisque la Commission des droits de la personne est un tribunal adminis- tratif, et non un tribunal quasi judiciaire, et qu'elle
ne possède donc pas le pouvoir nécessaire pour se prononcer sur des questions liées à la Charte.
2. En outre, si j'en viens à la conclusion que la Commission est habilitée à rendre cette décision, le requérant fait valoir que celle-ci a néanmoins commis une erreur de droit en présumant que l'alinéa 15b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne était contraire à l'article 15 de la Charte. Selon lui, la distinction formulée à l'alinéa 15b) ne peut être fondée sur aucun des motifs énumérés à l'article 15 de la Charte ou sur un motif analogue, selon l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143. Le requérant soutient plutôt ce qui suit: [TRADUC- TION] «La distinction figurant à l'alinéa 15b) est la distinction entre les personnes dont l'âge d'emploi minimal ou maximal est prescrit par une loi ou un règlement et les personnes dont l'âge d'emploi minimal ou maximal n'est pas ainsi prescrit. La distinction n'est pas fondée sur l'un des motifs énumérés à l'article 15 de la Charte ou sur un motif analogue dont la Cour suprême du Canada a parlé dans l'arrêt Andrews.»
J'ai du mal à comprendre la subtilité de cet argu ment, mais je présume que, ce que le requérant veut dire, c'est que l'alinéa 15b) s'applique unique- ment dans les cas les conditions d'emploi sont prescrites par une loi ou un règlement et peut alors être invoqué seulement à titre d'exception. En conséquence, l'alinéa 15b) ne s'appliquerait pas en l'absence de règlements adoptés sous l'autorité d'une loi. Je devrais donc conclure que, compte tenu de l'absence d'une loi réglementant l'âge d'emploi maximal, la condition ne fait plus partie de l'exception et peut être contestée comme condi tion discriminatoire. Ce que l'avocate soutient, c'est que l'exception créée par l'alinéa 15b) n'est pas visée par la protection prévue à l'article 15 de la Charte. À mon avis, le fait qu'un règlement existe ne suffit pas à soustraire la condition à la protection de la Charte, puisqu'il est ici question de l'âge dans l'emploi et que ce règlement pourrait à un moment donné être déclaré inconstitutionnel. Il m'apparaît évident qu'il s'agit d'un cas de discrimination fondée sur l'âge, laquelle discrimi nation pourrait être déclarée contraire à l'un des principes fondamentaux de l'article 15 de la Charte.
3. Enfin, le requérant soutient que la Section de première instance de la Cour fédérale est autorisée à revoir la décision de la Commission qui est fondée sur le paragraphe 44(3) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne et devrait le faire, ce qui signifie qu'elle doit se demander s'il y a un motif valable de passer à l'étape suivante (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879). Cet arrêt indique certainement que notre Cour peut intervenir, mais il ne dit pas que la Section de première instance de la Cour fédérale devrait imposer ses opinions ou trancher la question prin- cipale dans la présente demande.
L'avocat des intimés n'a pas contesté le pouvoir de la Section de première instance de la Cour fédérale de se prononcer sur la requête du procu- reur général; toutefois, il a soutenu que la Com mission des droits de la personne pouvait contester la validité constitutionnelle de sa loi d'habilitation et qu'il y avait une question valide dont le tribunal pouvait être saisi. L'avocat a ajouté que la Loi canadienne sur les droits de la personne était la loi prédominante et que tout organisme du gouverne- ment devait se fonder sur une clause «dérogatoire» pour ne pas tenir compte de ses dispositions; les règlements royaux adoptés sous l'autorité de la Loi sur la défense nationale ne renfermaient pas de clause de cette nature et, par conséquent, la ques tion devrait être considérée, à tout le moins, comme une question controversée, compte tenu du libellé de l'alinéa 15b). Cette proposition m'appa- raît difficilement soutenable. A mon avis, le texte de l'alinéa 15b) est clair et concis et le règlement approprié concernant l'âge créerait une exception et pourrait être considéré comme un règlement non discriminatoire; il n'y a pas de mots précis qui m'indiquent qu'une clause «dérogatoire» est requise dans le règlement. La loi elle-même (l'alinéa 15b)) prévoit l'exception sans autre stipulation.
Je suis d'avis que la Section de première ins tance de la Cour fédérale a la compétence voulue pour revoir la décision de la Commission concer- nant l'opportunité de saisir un tribunal de ces questions. Dans l'arrêt Syndicat, précité, la Cour suprême du Canada a dit clairement que la Cour d'appel fédérale ne peut réviser ces décisions en se fondant sur l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] puisque ces décisions ne sont pas soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Toutefois, la Cour a ajouté qu'une décision administrative de cette nature peut faire l'objet d'une révision suivant l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Par ailleurs, à la lumière de la décision rendue dans Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756, on peut dire qu'un tribunal peut intervenir pour empêcher un organisme admi- nistratif de procéder dans les cas il y a absence de compétence, qu'elle soit réelle ou nettement prévisible, pourvu que la question de compétence soit purement une question de droit et que le tribunal ne soit pas tenu de tirer une conclusion de fait au cours de l'exercice de ses fonctions. Dans les autres cas, la Cour doit attendre que la conclu sion de fait nécessaire soit tirée. Dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Tribunal des droits de la personne), [1990] 1 C.F. 627 (1 r° inst.), la requérante cher- chait à obtenir un bref de prohibition pour empê- cher le tribunal de mener une enquête sur une plainte, soutenant que la Commission avait outre- passé son pouvoir en nommant un. tribunal. Le juge Muldoon a rendu les ordonnances demandées, pour le motif que l'enquête serait inutile et abusive à la lumière d'une certaine décision que la Section d'appel de notre Cour a rendue dans des circons- tances identiques. Il est donc indubitable que j'ai la compétence voulue pour prononcer les ordon- nances demandées, si je suis convaincu qu'elles sont justifiées.
En ce qui a trait au premier argument du requé- rant, j'estime que je suis lié par la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans Tétrault- Gadoury et par la décision très persuasive (bien qu'elle n'ait aucun effet obligatoire) de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Cuddy Chicks. Ces deux Cours ont décidé que les tribunaux infé- rieurs avaient le pouvoir de statuer sur des ques tions liées à la Charte qui sont soulevées dans le contexte de l'application ou de l'interprétation de dispositions législatives. Dans les deux cas, les parties concernées ont obtenu l'autorisation de porter ces décisions en appel devant la Cour suprême du Canada, mais, tant que cette dernière ne se sera pas prononcée, je ne puis conclure que ces deux jugements étaient erronés.
Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de l'allé- gation subsidiaire du requérant selon laquelle la situation dans les arrêts Tétrault-Gadoury et Cuddy Chicks est différente du cas dont je suis actuellement saisi. Le requérant s'est fondé sur la décision qu'a rendue la Cour suprême dans l'arrêt Syndicat, précité, pour dire que la décision que la Commission a rendue en application de l'article 44 est une décision administrative; selon le requérant, cette conclusion est restrictive et ne permet pas à la Commission de mettre en doute son pouvoir d'origine législative. À mon avis, tout ce que la Cour a dit dans l'affaire Syndicat, c'est que la décision que la Commission a rendue en se fondant sur l'article 44 est une décision administrative qui n'est pas soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Je ne puis conclure à la lumière de cette décision que la Commission ne peut se demander si un article de sa loi d'habilitation est contraire ou non à la Charte.
À mon sens, ce qui a été décidé dans Tétrault- Gadoury et Cuddy Chicks, c'est que, lorsqu'un tribunal est tenu, dans le cadre de ses fonctions d'origine législative, d'appliquer ou d'interpréter une loi, il est également autorisé à déclarer que cette loi contrevient à la Charte. En l'espèce, la Commission doit appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour déterminer s'il y a une preuve de discrimination suffisante pour justifier un renvoi devant un tribu nal. À cette fin, elle doit être convaincue que sa loi n'est pas contraire à la Charte, selon ce qui a été dit dans les arrêts Tétrault-Gadoury et Cuddy Chicks. Cette conclusion est également renforcée par le fait que l'alinéa 41c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet expressément à la Commission de déterminer sa propre compétence.
Le requérant a fait valoir que la Commission ne possède pas les outils «judiciaires» nécessaires pour trancher une question liée à la Charte. C'est peut être vrai dans le cas de nombreux tribunaux, mais ceux-ci doivent néanmoins appliquer et interpréter la loi de la façon indiquée dans les arrêts Tétrault- Gadoury et Cuddy Chicks. J'ajoute que la décision de la Commission n'avait pas pour effet de tran- cher de façon définitive la question principale, mais plutôt de renvoyer le cas devant le tribunal à des fins d'analyse. À cet égard, il est intéressant de
souligner les conclusions formulées dans Re Rosen, [1987] 3 C.F. 238 (C.A.). La Commission cana- dienne des droits de la personne avait présenté une demande sous forme de renvoi en se fondant sur le paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale pour savoir si certaines dispositions de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne violaient l'article 15 de la Charte. La majorité de la Cour d'appel a refusé de se prononcer sur cette question, pour le motif que sa décision n'aurait pas pour effet de trancher le litige. Le juge Marceau, qui était d'accord avec la majorité, mais pour d'autres motifs, a également décidé que la demande était invalide. Il a ajouté qu'à son avis, un renvoi de cette nature devrait être soumis à un tribunal, qui pourrait présenter devant la Cour les conclusions de fait qui constituaient le fondement de la déci- sion. Il a aussi déclaré, ce qui est très intéressant, que la Commission a outrepassé ses pouvoirs en renvoyant le cas devant la Cour pour que celle-ci se prononce sur la validité constitutionnelle de certaines dispositions de sa Loi. À la lumière de cette décision, je suis encore plus convaincu que la Commission a suivi la bonne voie en laissant à un tribunal le soin de trancher la question.
À l'appui de sa thèse selon laquelle la décision de la Commission était inappropriée, le requérant a invoqué l'absence de débat devant les membres de la Commission et l'absence de motifs à l'appui de leur décision et du renvoi. Je me reporte encore une fois à l'affaire du Syndicat, la Cour suprême du Canada a indiqué bien clairement que, lorsque la Commission décide, en se fondant sur l'article 44, de renvoyer un cas devant un tribunal, cette décision est purement administrative et n'est pas assujettie aux règles de la justice naturelle. Selon moi, cet argument du requérant est inappli cable. La Commission n'est pas tenue de motiver sa décision. Le tribunal devra le faire; à mon avis, compte tenu de ce raisonnement, la présente demande pourrait être jugée inopportune.
En dernier ressort, le requérant a soutenu que la Commission a commis une erreur de droit en décidant que l'alinéa 15b) de sa loi d'habilitation contrevenait à la Charte. Si sa validité était confir- mée, cette disposition empêcherait un renvoi devant un tribunal et exigerait le rejet des plaintes, puisque, selon ce même alinéa 15b), les actes reprochés ne pourraient constituer des actes de
discrimination (voir Re Alberta Human Rights Commission and The Queen et al. (1986), 27 D.L.R (4th) 735 (C.A. Alb.)).
Selon toute vraisemblance, la Commission a en venir à la conclusion que l'alinéa 15b) était contraire à la, Charte ou, à tout le moins, décider que la validité de l'article était douteuse. Cepen- dant, il serait prématuré à ce stade-ci de modifier la conclusion de la Commission et de ne pas per- mettre l'examen des plaintes en l'absence de con clusions de fait et de plaidoiries complètes.
En réalité, le requérant demande à notre Cour de trancher la question principale, soit celle de savoir si l'alinéa 15b) contrevient à l'article 15 de la Charte. Toutefois, à ce stade-ci, cette question n'est pas de mon ressort. La Commission a demandé à son tribunal d'examiner cette question précise. C'est cet organisme-là qui devrait se pro- noncer à cet égard. Ma seule tâche est de détermi- ner si la Commission était habilitée à faire ce renvoi et si, ce faisant, elle a commis une erreur de droit.
Je dois être convaincu que la Commission avait un motif valable de renvoyer les questions devant un tribunal; si tel n'était pas le cas, ce renvoi pourrait constituer une erreur de droit. D'après un examen sommaire des autorités, tout règlement ou loi concernant la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi peut être visé par l'article 15 de la Charte et exige une analyse plus approfondie que celles qui apparaissent dans le rapport de l'enquêteur et la décision non motivée de la Commission.
Le requérant a dit que la distinction énoncée à l'alinéa 15b) n'était pas visée par les motifs de discrimination énumérés à l'article 15 de la Charte ou un motif analogue au sens de l'arrêt Andrews, précité. L'avocate a soutenu que, pour qu'il y ait un «motif analogue», la catégorie qui soutient être traitée différemment doit former une «minorité discrète et isolée». A l'appui de cet argument, elle a invoqué les arrêts Andrews, précité, et R. c. Turpin, [ 1989] 1 R.C.S. 1296. Cette question a également été examinée dans deux autres décisions de la Cour suprême du Canada qui m'ont été signalées subséquemment, soit Dywidag Systems International, Canada Ltd. c. Zutphen. Brothers Construction Ltd., [ 1990] 1 R.C.S. 705 et
Rudolph Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695, décisions rendues toutes deux le 29 mars 1990. À mon avis, il n'est pas nécessaire qu'il y ait une «minorité discrète et isolée» qui fait l'objet d'une discrimination pour que l'on conclue à l'exis- tence de «motifs analogues». Je ne suis pas con- vaincu que le fondement d'un traitement différent selon les termes de l'alinéa 15b) de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne réside dans des conditions d'emploi prescrites par une loi ou un règlement; à mon avis, il est permis de dire que le facteur déterminant est l'âge, qui est l'un des motifs énumérés à l'article 15 de la Charte. L'ali- néa 15b) a pour effet d'exclure des paramètres de la discrimination fondée sur l'âge et interdite les circonstances dans lesquelles l'âge d'emploi mini mal ou maximal est prescrit par une loi ou un règlement. Il est semblable à l'alinéa 15a), qui a pour effet d'exclure des actes discriminatoires les conditions découlant d'exigences professionnelles justifiées.
Il est arrivé à maintes reprises que des program mes de retraite obligatoire semblables soient jugés contraires à l'article 15 de la Charte, bien que ces décisions n'aient pas été prises dans le contexte d'une disposition identique à l'alinéa 15b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dam Harrison v. University of British Columbia (1988), 49 D.L.R. (4th) 687, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a décidé qu'un article du Human Rights Act [S.B.C. 1984, chap. 22] de la Colombie-Britannique prévoyant que la discrimi nation fondée sur l'âge était limitée aux personnes
âgées de 45 65 ans violait l'article 15 de la Charte. La Cour a appliqué la décision qu'a rendue la Cour d'appel de la Colombie-Britanni- que dans l'affaire Andrews et que la Cour suprême du Canada a confirmée en appel.
Dans Sniders v. Nova Scotia (Attorney General) and Camp Hill Hospital (1988), 88 N.S.R. (2d) 91, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a rendu une décision identique au sujet d'une loi semblable concernant les droits de la personne. De nombreux autres tribunaux ont décidé que des programmes de retraite obligatoires violaient certaines lois sur les droits de la personne.
Dans McKinney v. University of Guelph (1987), 63 O.R. (2d) 1, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé, en se fondant sur l'article 1 de la Charte,
la validité d'une disposition du Code des droits de la personne de l'Ontario semblable à celle qui était en litige dans les arrêts Harrison et Sniders, préci- tés. Les décisions rendues dans les arrêts Harrison et McKinney et dans deux autres causes concer- nant des contestations de programmes de retraite obligatoires ont été plaidées devant la Cour suprême du Canada en mai 1989 et cette dernière ne s'est pas encore prononcée.
Je suis convaincu que, selon l'état actuel du droit, la Commission canadienne des droits de la personne est habilitée à déclarer qu'un article de sa loi d'habilitation viole la Charte et, compte tenu des décisions par lesquelles des dispositions restric- tives semblables ont été jugées contraires à l'article 15, les actions de la Commission étaient plus que raisonnables dans les circonstances. Bien qu'il soit possible que l'on puisse encore soutenir que la loi est justifiable selon l'article 1, cette question néces- sitera la présentation d'autres éléments de preuve et d'arguments, lesquels seront disponibles pour le tribunal qui mènera l'enquête.
La décision qu'a rendue la Commission à ce stade-ci n'est que préliminaire; il est essentiel de permettre l'examen des plaintes à l'étape suivante, c'est-à-dire celle de l'enquête complète et de la formulation de conclusions de fait par un tribunal des droits de la personne. La Commission n'a besoin que d'une raison valable pour mettre en doute la validité de la disposition en question sur le plan constitutionnel; le tribunal examinera le cas de plus près et, lorsqu'il rendra sa décision finale, toute partie intéressée pourra porter cette décision en appel. Le tribunal pourra également se deman- der si les dispositions des ordonnances et règle- ments royaux constituent une exigence profession- nelle justifiée au sens de l'alinéa 15a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La demande est rejetée. Les dépens sont adjugés aux intimés.
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