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A-891-88
Commission canadienne des droits de la personne (appelante)
c.
Sun Life du Canada, Compagnie d'assurance-Vie (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (COMMISSION DES DROITS DE IA PER- SONNE) C. SUN LIFE DU CANADA, CIE D'ASSURANCE-VIE
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Stone, J.C.A.— Toronto, 21 février; Ottawa, 2 mars 1990.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Refus de l'assureur de verser des prestations d'invalidité à une ancienne employée d'une banque Banque accusée de discrimination fondée sur une déficience Appel d'une ordonnance annulant un mandat autorisant un enquêteur de la Commission cana- dienne des droits de la personne à perquisitionner dans les locaux de l'assureur pour y rechercher le dossier d'assurance- invalidité de longue durée de l'employée Le juge de pre- mière instance a conclu que l'affaire relevait de la compétence provinciale parce qu'elle concernait l'assurance Les presta- tions en question sont des avantages découlant d'un emploi Les banques relèvent de la compétence législative fédérale aux termes de l'art. 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867 Les termes d'un contrat de travail font partie de la compétence législative principale Appel accueilli.
Droits de la personne L'enquêteur de la Commission s'est vu refuser l'accès aux dossiers de l'assureur concernant une ancienne employée de banque qui avait déposé une plainte dans laquelle elle alléguait qu'on avait exercé contre elle une discri mination fondée sur sa déficience en refusant de lui verser des prestations d'invalidité et en refusant de continuer à l'em- ployer Le juge de première instance a annulé le mandat de perquisition après avoir conclu que la Commission n'avait pas compétence pour rendre une décision au sujet de la demande de prestations, étant donné que l'assurance relève de la compé- tence provinciale Appel accueilli Acte discriminatoire concernant une question sur laquelle le Parlement possède une autorité législative (les banques) Les termes d'un contrat de travail font partie intégrante de la compétence principale du Parlement.
Institutions financières Refus de l'assureur de faire droit à la demande de prestations d'invalidité de longue durée présentée par une ancienne employée de banque Plainte d'acte discriminatoire déposée auprès de la CCDP La Commission a-t-elle compétence pour réviser la décision de l'assureur? La plainte est dirigée contre la banque et non contre l'assureur Les banques relèvent de la compétence législative fédérale Le contrat de travail conclu avec la banque fait partie intégrante de la compétence principale L'enquéte menée sur une plainte sur le fondement de l'admi- nistration d'une police d'assurance relève de la compétence fédérale.
Assurance Refus de l'assureur de faire droit à une demande de prestations d'invalidité de longue durée présentée
par une ancienne employée de banque Compétence de la CCDP pour enquêter sur une allégation d'acte discriminatoire
Refus de l'assureur de laisser la Commission consulter le dossier de la plaignante Plainte dirigée contre la banque La plaignante n'attaque pas la conduite de l'assureur Même si l'assurance relève de la compétence législative provinciale, l'acte discriminatoire reproché concerne une question (les ban- ques) sur laquelle le Parlement a compétence Annulation de l'ordonnance annulant le mandat de perquisition.
Relations du travail Le droit aux prestations d'invalidité de longue durée constitue un avantage découlant d'un emploi
Même si les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas normalement de la compétence fédérale, le Parlement peut exercer sa compétence dans ce domaine si cette compétence fait partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet, en l'occurrence les banques.
Il s'agit d'un appel d'une ordonnance annulant un mandat autorisant un enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne à pénétrer dans les locaux de la Sun Life pour y rechercher le dossier de demande de prestations d'invali- dité de longue durée d'une ancienne employée de la Banque de Montréal, qui avait déposé une plainte dans laquelle elle accu- sait la Banque d'avoir exercé contre elle une discrimination sur le fondement de sa déficience en refusant lui verser des prestations d'invalidité et en refusant de continuer à l'employer. Sun Life, qui avait établi la police d'assurance collective et qui l'administrait, avait refusé à ce titre la demande de prestations d'invalidité de longue durée. L'intimée a refusé l'accès à ses dossiers au motif que la Commission n'avait pas compétence pour réviser la décision prise au sujet d'une demande d'indem- nité donnée. Le mandat a été annulé pour défaut de compé- tence, car la décision de refuser la demande de prestations d'invalidité était une: décision prise dans le cadre de l'exploita- tion d'une entreprise d'assurance-vie, qui est une question qui relève de la compétence provinciale. La Commission fait valoir que la plainte était dirigée contre la banque, qui relève de la compétence fédérale. Sun Life prétend que les pouvoirs d'en- quête de la Commission se limitent à vérifier si la Banque a commis un acte discriminatoire en souscrivant une police d'as- surance collective dont les dispositions d'indemnisation sont discriminatoires.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Les sommes exigibles en vertu de la police d'assurance collective pour une invalidité de longue durée sont des avanta- ges découlant d'un emploi malgré le fait qu'elles peuvent être versées en vertu des modalités d'un contrat conclu entre la Banque et une entreprise d'assurance tierce.
La thèse de la Sun Life ne tient pas compte de la véritable nature de la plainte, dans laquelle la conduite de la Sun Life n'est nullement attaquée. Il serait anormalement artificiel d'établir une distinction entre une discrimination causée par la conclusion d'un contrat conférant des avantages découlant d'un emploi et une discrimination découlant de l'administration du contrat. Ce qui importe, c'est que l'acte discriminatoire repro- ché concerne une question sur laquelle le Parlement possède une autorité législative. Même si les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de sa compétence, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines lorsque cette compétence fait partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet
(paragraphe 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867), et les termes d'un contrat de travail conclu avec une banque font intégralement partie de cette compétence principale. L'enquête menée sur une plainte d'acte discriminatoire commis dans le cadre d'un tel emploi sur le fondement de l'administration d'une police d'assurance signée par une banque relève parfaite- ment de l'autorité législative fédérale et ce, même si la police qui crée des avantages liés à un emploi a pu être souscrite et peut être administrée par une compagnie d'assurance dont les activités sont régies par la province.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte pour incorporer la Compagnie d'Assurance de Montréal dite du Soleil, S.C. 1865, chap. 43.
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3(1) (mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 143, art. 2), 7b) (mod. idem art. 3), 35(2.2) (édicté par S.C. 1985, chap. 26, art. 68), (2.3) (édicté, idem), (2.4) (édicté, idem).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), Appendice II, n' 5], art. 91(15).
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
Northern Telecom Liée c. Travailleurs en communica tion du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 98 D.L.R. (3d) 1; 79 C.L.L.C. 14,211; 28 N.R. 107.
DECISION CITÉE:
Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749; (1988), 51 D.L.R. (4th) 161; 85 N.R. 295; 15 Q.A.C. 217.
AVOCATES:
Anne Trotier pour l'appelante.
Mary Eberts et Wendy M. Matheson pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Commission canadienne des droits de la per- sonne, Ottawa, pour l'appelante.
Tory, Tory, Deslauriers & Binnington, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: La Cour statue sur l'appel interjeté de l'ordonnance prononcée le 27 juin 1989 par laquelle le juge McNair de la Sec-
tion de première instance a accueilli une demande de bref de certiorari annulant le mandat signé le 1°` juin 1988 par le juge Teitelbaum en vertu du paragraphe 35(2.2)' de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, mod. par S.C. 1985, chap. 26, art. 68 («la Loi»). Le mandat autorisait l'enquêteur qui y était nommé à pénétrer dans les locaux de l'intimée et à y rechercher les [TRADUCTION] «dossiers de demande de règlement d'assurance-invalidité de longue durée de Betty Abraham» et de [TRADUC- TION] «obliger toute personne se trouvant sur les lieux à produire les documents susmentionnés pour examen ou reproduction».
GENÈSE DE L'INSTANCE
Betty Abraham est une ancienne employée de la Banque de Montréal, pour laquelle elle a travaillé comme sténographe à Toronto pendant une dizaine d'années. En mai de 1986, elle a donné par écrit à l'intimée un avis de règlement de prestations d'as- surance-invalidité de longue durée au motif qu'elle souffrait d'une [TRADUCTION] «hypertension causée par l'anxiété» qui la rendait incapable de continuer à travailler. L'intimée a établi la police d'assurance collective 13520-G en faveur de la Banque de Montréal, aux termes de laquelle elle s'est engagée à [TRADUCTION] «verser les presta- tions prévues aux termes de la présente police aux personnes y ayant droit». Les primes sont payées par la Banque et l'intimée verse les indemnités sur
Voici le libellé des paragraphes 35(2.2), (2.3) et (2.4):
35....
(2.2) S'il est convaincu d'après une dénonciation sous serment qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la présence dans des locaux d'éléments de preuve utiles à l'enquête, le juge de la Cour fédérale peut, sur demande ex parte, délivrer sous son seing un mandat autorisant l'enquê- teur qui y est nommé à pénétrer dans ces locaux et à procéder à la perquisition en vue de rechercher de tels éléments de preuve, sous réserve des conditions éventuelle- ment fixées dns le mandat.
(2.3) L' enquêteur nommé dans le mandat prévu au para- graphe (2.2) ne peut recourir à la force dans l'exécution du mandat que si celui-ci en autorise expressément l'usage et que si lui-même est accompagné d'un agent de la paix.
(2.4) L'enquêteur peut obliger toute personne trouvée sur les lieux visées au présent article à produire pour examen, reproduction ou établissement d'extraits les livres et docu ments qui contiennent des renseignements utiles à l'enquête».
ses propres ressources. Aux termes de cette police, les prestations d'invalidité de longue durée sont exigibles lorsqu'un employé souffre d'une [TRA- DUCTION] «incapacité totale» au sens de la défini- tion contenue dans la police. L'intimée a refusé par écrit la demande d'indemnité de Mme Abraham en décembre de 1986.
Peu de temps auparavant, le 13 novembre 1986, Mme Abraham avait déposé auprès de l'appelante une plainte dans laquelle elle alléguait qu'elle avait des motifs raisonnables de croire que la Banque de Montréal commettait ou avait commis un acte discriminatoire en violation de la Loi:
[TRADUCTION] La Banque de Montréal a exercé une discrimi nation contre moi sur le fondement de ma déficience en refu- sant de me verser des prestations d'invalidité de courte et de longue durée et en refusant de continuer à m'employer en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Il semble que les dispositions précises de la Loi qui sont invoquées - soient celles de l'alinéa 7b) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 3]:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
Les motifs de distinction illicite énumérés au para- graphe 3(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2] comprennent notamment «la défi- cience».
Au cours de l'enquête menée au sujet de la plainte, la Banque de Montréal a informé l'appe- lante que:
[TRADUCTION] Le régime d'assurance-invalidité de longue durée de la Banque est administré par la Compagnie d'assu- rance Sun Life du Canada. L'admissibilité aux prestations d'assurance-invalidité de longue durée est déterminée par la Sun Life d'après les dossiers fournis par le salarié et les dossiers transmis par le centre médical de la Banque. On nous informe toutefois que la demande d'indemnité de M"'c Abraham a été rejetée 2 .
L'appelante a ensuite poursuivi son enquête auprès de l'intimée au motif que le régime d'assu- rance-invalidité de longue durée constituait [TRA- DUCTION] «un avantage découlant d'un emploi» et elle a demandé [TRADUCTION] «de consulter le dossier de la plaignante pour examiner la décision
2 Dossier d'appel, à la p. 23.
de la Sun Life du Canada de refuser de lui verser des prestations d'assurance-invalidité de longue durée»'. L'intimée a refusé d'accéder à cette demande au motif qu'elle était [TRADUCTION] «complètement indépendante de la Banque de Montréal», laquelle [TRADUCTION] «ne participe aucunement au processus de prise de décision», et que même si l'appelante [TRADUCTION] «peut exa miner les modalités de la police ... elle n'a pas compétence pour réviser la décision prise par la Sun Life au sujet d'une demande d'indemnité donnée» et, en conséquence, que l'appelante n'avait pas [TRADUCTION] «le pouvoir d'exiger la commu nication du dossier de la Sun Life relatif à la demande d'indemnité de Mme Abraham» 4 .
Par la suite, le conseiller juridique de l'appelante et les procureurs de l'intimée ont échangé de la correspondance, mais les parties sont demeurées dans une impasse. Dans l'affidavit produit à l'ap- pui de la demande de mandat, l'enquêteur nommé en vertu de la Loi pour la tenue de l'enquête s'est dit d'avis que [TRADUCTION] «les pièces versées au dossier seraient pertinentes à mon enquête sur la plainte ... parce qu'elles permettraient d'obtenir des éléments de preuve concernant la façon dont la demande de prestations d'assurance-invalidité de longue durée de Betty Abraham a été traitée par la Sun Life, laquelle administrait le régime d'assu- rance-invalidité de longue durée de la Banque de Montréal». 5
La raison justifiant l'annulation du mandat res- sort à l'évidence de l'ordonnance attaquée. Le juge de première instance a d'abord constaté [TRADUC- TION] «un défaut de compétence ... car la décision de refuser la demande de prestations d'assurance- invalidité de longue durée de Betty Abraham était une décision prise par la Compagnie d'assurance Sun Life du Canada dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance-vie qui, sur le plan constitutionnel, est une question qui relève de la compétence provinciale et non de la compétence du Parlement fédéral». Le juge a ensuite fait observer que l'article 2 de la Loi déclare que la Loi a pour objet «de compléter la législation canadienne actuelle en donnat effet, dans le champ de compé- tence du Parlement du Canada, ...».
3 Ibid., à la p. 27. 4 Ibid., aux p. 28 et 29.
5 Ibid., à la p. 16.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
L'appelante souligne que la plainte n'est pas dirigée contre l'intimée, mais contre la Banque de Montréal, sur laquelle le Parlement du Canada a compétence en vertu du paragraphe 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), Appendix II, 5]] 6 . Elle affirme de plus que le mandat est utile à la tenue de l'enquête et ne sert qu'à cette fin. Les enseignements contenus au dos sier de demande d'indemnité que l'on désire obte- nir constituent des «éléments de preuve utiles à l'enquête» au sens du paragraphe 35(2.2) de la Loi, et pourraient faire l'objet d'un mandat. Sans ces renseignements, prétend-elle, l'appelante serait dans l'impossibilité d'enquêter convenablement sur la plainte déposée par une personne occupant un emploi relevant du gouvernement fédéral.
L'intimée, qui a été constituée en personne morale en 1865 sous le régime d'une loi de l'an- cienne province du Canada', affirme que les activi- tés qu'elle exerce en Ontario à titre de société d'assurance mutuelle constituent une question qui relève exclusivement des pouvoirs législatifs de la législature provinciale. Elle est titulaire d'un permis délivré par le ministère des Institutions financières de la province d'Ontario et du Bureau du Surintendant des assurances de l'Ontario en vertu duquel elle peut [TRADUCTION] «souscrire des contrats d'assurance dans, les catégories sui- vantes: assurance-vie, assurance-accident et assu- rance-maladie» 8 . Dans ces conditions, l'intimée prétend que l'appelante n'a absolument aucun pou- voir de faire enquête sur sa décision de refuser de verser des prestations d'assurance-invalidité de longue durée et que le différend relève des tribu-
' Ce paragraphe déclare que «l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à»
15. Les banques, l'incorporation des banques et l'émission du papier-monnaie.
' [Acte pour incorporer la Compagnie d'Assurance de Mont- réal dite du Soleil] S.C. 1865, chap. 43 (sanctionnée le 18 mars 1865). Cette loi a par la suite été modifiée par le Parlement du Canada.
8 Dossier d'appel, p. 51.
naux civils de l'Ontario ou de la Commission des droits de la personne de cette province et non de l'appelante.
DISCUSSION
J'accepte la prétention que l'indemnité men- suelle et les autres indemnités payables au titre de l'invalidité de longue durée à un .«salarié admissi ble» par un «employeur» dans le cadre d'un «emploi», au sens des définitions de la police d'as- surance collective' sont des avantages découlant de l'emploi de M me Abraham à la Banque de Mont- réal et qu'elle était admissible à ce genre de pro tection du seul fait de son emploi. Je ne vois pas comment on pourrait dire que ces sommes, qui sont assujetties aux modalités de la police d'assu- rance collective, ne sont pas des avantages décou- lant d'un emploi parce qu'il s'avère qu'elles peu- vent être versées en vertu des modalités d'un contrat conclu par la Banque avec une entreprise d'assurance tierce et non directement avec la Banque comme dans le cas des prestations d'invali- dité de courte durée.
L'intimée prétend que le pouvoir de l'appelante d'enquêter sur la plainte de M me Abraham fondée sur un motif de distinction illicite ne s'étend pas à la production des dossiers relatifs à ses demandes d'indemnité mais qu'il se limite plutôt à vérifier si la Banque a commis un acte discriminatoire en souscrivant la police d'assurance collective dont les dispositions d'indemnisation sont discriminatoires, et que le présumé traitement discriminatoire dont la demande d'indemnité de Mme Abraham a fait l'objet est une question qui relève exclusivement de l'autorité législative de la province. La signature du mandat constituait donc un empiétement sur le champ de compétence provincial et excédait tout à fait les pouvoirs que le Parlement pouvait confé- rer—et qu'il a effectivement conféré—en vertu du paragraphe 35(2.2) de la Loi. Confirmer le mandat aurait pour effet de permettre à l'appe- lante de conclure que l'intimée a elle-même commis un acte discriminatoire, ce qui constitue une question relevant de la compétence de la Com mission des droits de la personne de la province.
À mon avis, ces arguments ne tiennent pas compte de la véritable nature de la plainte. En
9 Dossier d'appel, à la p. 56.
premier lieu, la plaignante n'attaque aucunement la conduite de l'intimée. Elle déclare que la Banque [TRADUCTION] «a exercé une discrimina tion contre moi sur le fondement de ma déficience en refusant de me verser des prestations d'invali- dité ... de longue durée». En deuxième lieu, il serait anormalement artificiel dans le cadre de la présente affaire d'établir une distinction entre la discrimination causée par la conclusion d'un con- trat conférant des avantages liés à un emploi et la discrimination découlant de l'administration du contrat. Ce qui importe, dans un cas comme dans l'autre, c'est que l'acte discriminatoire reproché concerne une question sur laquelle le Parlement du Canada possède une autorité législative.
Les principes applicables pour déterminer si une entreprise relève du pouvoir législatif fédéral ont été résumés par le juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, aux pages 132 et 133:,
(1) Les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parle- ment; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.
(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compé- tence principale sur un autre sujet.
(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais unique- ment s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.
(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale.
(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation.
(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considé- rer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'aentreprise active», sans tenir compte de facteurs exception- nels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière.
Une décision récente du Labour Relations Board de la Colom- bie-Britannique, Arrow Transfer Co. Ltd., [[1974] 1 Can. L.R.B.R. 29], expose la méthode retenue par les cours pour déterminer la compétence constitutionnelle en matière de rela tions de travail. Premièrement, il faut examiner l'exploitation principale de l'entreprise fédérale. On étudie ensuite l'exploita-
tion accessoire pour laquelle les employés en question travail- lent. En dernier lieu on parvient à une conclusion sur le lien entre cette exploitation et la principale entreprise fédérale, ce lien nécessaire étant indifféremment qualifié «fondamental», «essentiel, ou «vital». Comme l'a déclaré le président de la Commission, aux pp. 34 et 35:
[TRADUCTION] Dans chaque cas la décision et un jugement à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de l'entreprise active et il ne dépend pas des subtilités juridiques de la structure de la société en cause ou des relations de travail.
Voir également Bell Canada c. Québec (Commis- sion de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749.
Les activités bancaires constituent une question qui, comme je l'ai indiqué, relève de la compétence législative du Parlement fédéral aux termes du paragraphe 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867, et les modalités d'un contrat d'emploi conclu avec une banque fait intégralement partie de cette compétence principale. A mon avis, l'enquête menée sur une plainte d'acte discriminatoire commis dans le cadre d'un tel emploi sur le fonde- ment de l'administration d'une police d'assurance signée par une banque relève parfaitement de l'au- torité législative fédérale et ce, même si la police qui crée des avantages liés à un emploi a pu être souscrite et peut être administrée par une compa- gnie d'assurance dont les activités sont régies par la province. Accepter la distinction avancée par l'intimée ferait échec au pouvoir de l'appelante de mener une enquête et d'établir l'existence d'un acte discriminatoire à l'endroit il est possible que cet acte existe réellement.
Par ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens et je rétablirais le mandat signé par le juge Teitelbaum le 1 er juin 1988.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je suis du même avis. LE JUGE URIE, J.C.A.: Je suis du même avis.
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