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A-1190-88
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Patrick Francis Ward (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. WARD (C.A.)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et MacGuigan, J.C.A.—Toronto, 8 février; Ottawa, 5 mars 1990.
Immigration Statut de réfugié L'intimé, originaire de l'Irlande du Nord et ancien membre de la Irish National Liberation Army (INLA) réclame le statut de réfugié au sens de la Convention La INLA a prononcé contre lui une sentence de mort pour avoir aidé des otages à s'échapper La INLA est-elle un «groupe social» au sens de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» dans la Loi? La crainte d'être persécuté doit-elle être inspirée par l'État? Le demandeur de statut est-il citoyen du Royaume-Uni? Obligation d'établir la nationalité Le demandeur de statut a-t-il établi qu'il ne pouvait se réclamer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationalité?
L'intimé, natif de l'Irlande du Nord (et conséquemment considéré citoyen du Royaume-Uni et de la république d'Ir- lande) s'est joint à la Irish National Liberation Army (INLA), un organisme paramilitaire illégal qui s'était séparé de la IRA. Désigné par la INLA pour surveiller deux otages, l'intimé, tracassé par sa conscience, les a aidés à s'échapper. Il est rentré en Irlande du Nord puis il est retourné dans la république d'Irlande pour assister à un mariage, et il a été enlevé par la INLA. Après avoir été torturé et condamné à mort, l'intimé s'est évadé et a demandé protection à la police. Celle-ci a fait hospitaliser l'intimé pour traitement de ses blessures consécuti- ves à la torture, mais elle l'a arrêté pour complicité dans la séquestration des otages. Après avoir purgé la plus grande partie d'une peine d'emprisonnement de trois ans, l'intimé a été relâché et la police l'a aidé à se rendre au Canada. Le ministre a déterminé que l'intimé n'était pas un réfugié au sens de la Convention, mais la Commission a accueilli la demande de réexamen. Le procureur général a demandé l'annulation de cette décision.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Urie, J.C.A. (le juge Marceau, J.C.A., souscrit à ces motifs): (1) C'est à tort que la Commission a conclu que l'intimé appartenait à un «groupe social» auquel s'appliquait la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. L'appartenance à la INLA ne justifie pas la revendica- tion du statut de réfugié fondée sur la crainte provoquée par les actions d'un membre du groupe contraires aux intérêts du groupe, ces intérêts étant eux-mêmes opposés au bien de l'État. Une crainte suscitée par le groupe lui-même et non par l'État ne peut servir de fondement à la prétention qu'il y a persécution.
(2) Bien que la Commission n'ait pas commis d'erreur en concluant que l'incapacité du demandeur de statut à se récla- mer de la protection de son pays et l'incapacité de l'État à lui fournir une protection efficace étaient étroitement liées, c'est à
tort que la Commission a conclu que la preuve du manque de protection créait la présomption de la vraisemblance de la persécution et du bien-fondé de la crainte ressentie. Une telle détermination ne pouvait se faire qu'après avoir apprécié et soupesé les éléments de preuve. Le demandeur de statut doit établir que l'État ne peut le protéger contre la persécution qu'il redoute.
(3) La Commission a commis une erreur en ne se penchant pas sur la question de la citoyenneté du Royaume-Uni et en concluant que l'intimé n'était citoyen que de l'Irlande du Nord et de la république d'Irlande. Le demandeur du statut de réfugié doit établir qu'il ne peut ou ne veut se réclamer d'aucun des pays dont il a la nationalité, et ce défaut est fatal à la conclusion de la Commission que l'intimé a statut de réfugié au sens de la Convention. La nationalité de l'intimé était d'une extrême importance. Le droit de l'intimé de vivre dans le pays dont il a la nationalité n'est devenu important que lorsqu'il s'est agi pour lui de prouver, comme il y était tenu, son incapacité à se réclamer du pays dont il a la nationalité. La Commission a commis une erreur en imposant à la Couronne l'obligation d'établir le droit de l'intimé à la nationalité du Royaume-Uni ou son droit d'y vivre. Le paragraphe 8(1) impose le fardeau de la preuve à la personne désireuse d'entrer au Canada.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (motifs dissidents mais concor- dants en partie quant au résultat): (1) La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que l'intimé appartenait à un groupe social au sens de la définition de la Loi. L'argument du requérant voulant que l'expression «groupe social» soit présu- mée exclure les groupements terroristes afin que le Canada ne devienne pas un refuge pour les terroristes était trop absolu. Le point de départ de la définition est son élément personnel. C'est le rapport entre la personne concernée et le groupe qui est en jeu, et non un concept abstrait du groupe pris de façon absolue. Les décisions de la Commission sur lesquelles le requérant s'est appuyé ont été rendues dans des affaires le demandeur de statut n'était pas évidemment repentant. L'intimé s'était tourné contre le terrorisme et il ne devrait pas se voir automatique- ment refuser le statut de réfugié au sens de la Convention parce que l'organisme auquel il a appartenu était un groupement terroriste. Le groupe social visé en l'espèce devrait être consi- déré comme comprenant ceux qui se sont détournés de la INLA.
(2) La Commission n'a pas commis d'erreur dans son inter- prétation de la définition de la persécution, tenant compte du libellé de la loi, de l'absence de décisions canadiennes décisives faisant jurisprudence et du poids des sources doctrinales inter- nationales. La définition de «réfugié au sens de la Convention» au paragraphe 2(1) n'implique pas nécessairement la compli- cité de l'État. L'interprétation de la Commission n'était pas contraire à l'alinéa 3g) de la Loi visant les obligations légales du Canada sur le plan international et sa traditionnelle attitude humanitaire.
(3) La Commission a commis une erreur de droit en ne se demandant pas si l'intimé avait établi qu'il ne pouvait pas se réclamer de la protection d'aucun des pays dont il avait la nationalité. Il ressort clairement de la définition de «réfugié au sens de la Convention» au paragraphe 2(1) que celui qui revendique le statut de réfugié doit ne pouvoir ni vouloir se réclamer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationa- lité. Le paragraphe 8(1) impose au demandeur de statut l'obli-
gation de prouver son droit d'entrer au Canada. La conclusion qu'un État démocratique est incapable de protéger ses citoyens contre les éléments subversifs ne saurait être tirée à la légère, et on ne doit y parvenir qu'en attribuant correctement le fardeau de la preuve.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, Genève, 189 R.T.N.U. 137, Article 1.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21, art. 33(2).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(1)c).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2(1), 3g), 4(2) (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 3), 8(1), 19(1)c),d),e),f),g), 46(1) (mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 14), (3) (mod., idem).
Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1974, 1974, chap. 56 (R.-U.).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Re Naredo et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1981), 130 D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.); Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ward c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48 (C.A.I.); Lazo -Cruz, 80-6004, 16-1-80 (C.A.I.) non publiée; Naredo, 80-9159, 20-11-80 (C.A.I.) non publiée; inf. par (1981), 130 D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.); St. Gardien Giraud, 81-9669, 20-3-86 (C.A.I.), non publiée.
DOCTRINE
Shorter Oxford English Dictionary, 3 0 éd., Oxford: Cla- rendon Press, 1968, asocial».
Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève, septem- bre 1979).
AVOCATS:
Roslyn J. Levine pour le requérant. Peter Rekai pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Rekai & Johnson, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE, J.C.A.: Le procureur général du Canada recherche, par cette demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], l'annulation de la décision en date du 2 décembre 1988 [Ward c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48] par laquelle la Commission d'appel de l'immigration («la Commission») a conclu que l'intimé était un réfugié au sens de la Convention.
Les parties sont en grande partie d'accord sur les faits importants et pertinents à l'espèce, mais vu leur importance pour la décision rendue, il y a lieu de les exposer de façon assez détaillée.
L'intimé est et a résidé à' Londonderry (Irlande du Nord). Vu cela, il semblerait qu'il soit considéré comme ayant la nationalité aussi bien du Royaume-Uni, dont fait indiscutablement partie l'Irlande du Nord, et de la république d'Irlande. Il a témoigné qu'il peut être détenteur d'un passeport délivré par l'un ou l'autre ou l'un et l'autre des deux pays, bien que le passeport en sa possession lors de son admission au Canada eût été délivré par la république d'Irlande.
Les rapports entre la Irish National Liberation Army («INLA») et l'intimé ont pris naissance en janvier 1982, mais il n'en est devenu officiellement membre qu'en 1983. Selon la déposition de l'in- timé, la INLA est un organisme paramilitaire assujetti à une stricte discipline, qui veut notam- ment que [TRADUCTION] «une fois membre, vous l'êtes pour la vie»'. Le membre qui ne «suit pas les diktats» sera «descendu parce qu'il constitue un danger pour la sécurité de l'organisme» 2 . L'intimé a décrit la INLA de la façon suivante 3 .
1 Dossier, vol. 2, p. 123.
2 Ibid. 3 Ibid.
[TRADUCTION] Q. Vous avez qualifié la INLA d'organisme
paramilitaire.
R. Oui.
Q. Comment est-elle constituée?
R. Sa constitution est celle d'un groupe qui s'est détaché de la IRA provisoire.
Q. Ça n'est pas ce que je veux dire, je veux dire comment était-elle structurée? Quelle était sa structure? Vous devez avoir une hiérarchie quelconque.
R. Sa structure a pour point de départ un conseil militaire.
Q. Un conseil militaire.
R. Au sommet. Puis, en descendant, se trouvent les sections, les bataillons, il y a des centaines de membres qui font tous partie de cet organisme. Il y a des grades, comme dans l'armée: des colonels, des sergents, des lieutenants et tout le reste parce que c'est un organisme militaire.
Q. Une discipline y est-elle associée?
R. Une stricte discipline.
Q. Quel genre de discipline?
R. La discipline veut qu'une fois membre, vous l'êtes pour la vie. Et si quelqu'un s'écarte de ces lignes de démarcation, la seule solution est de l'assasiner, de s'en débarasser.
Q. Ainsi donc, qu'arrive-t-il au membre qui rompt les rangs?
R. Il sera descendu. Parce qu'il constitue un danger pour la sécurité de l'organisme. Ils ont leur propre service de renseignement, leurs sympathisants de l'extérieur qui recueillent et fournissent continuellement des renseigne- ments.
La preuve révèle aussi qu'avant d'être membre de la INLA, l'intimé avait été reconnu coupable en 1982 de possession d'armes à feu, de complot visant à transporter illégalement des objets en Irlande du Nord, et aussi d'avoir contribué à des actes de terrorisme.
Peu après son adhésion à la INLA, l'intimé a reçu la tâche de garder deux otages de la INLA, qui étaient le beau-père et la soeur âgée de sept ou huit ans d'un membre emprisonné de la INLA dont celle-ci redoutait qu'il ne devienne mouchard, c'est-à-dire un indicateur et un témoin du minis- tère public en échange d'une nouvelle identité et de son départ du pays. Il se fait que le membre de la INLA emprisonné ne s'est pas rétracté et que les otages ont été condamnés à mort par la INLA. Puisque l'intimé [TRADUCTION] «ne pourrait faire taire sa conscience s'il permettait que cela se pro- duise» 4 , il a aidé les otages à s'enfuir au milieu de
4 Dossier, vol. 2, p. 126 et 127.
la nuit pendant son quart. Il les a conduits à un poste de police voisin, il les a laissés, puis il a repris son quart. Peu après son retour, la police est arrivée, elle a cerné l'endroit mais au cours de la fusillade qui a suivi tous les membres de la INLA se sont échappés, y compris l'intimé.
Deux jours plus tard, l'intimé a été arrêté par la police dans la république d'Irlande. Il a été détenu pendant deux jours, questionné sur la prise des otages, puis libéré, après quoi il est retourné en Irlande du Nord.
Un mois plus tard, il a été enlevé par la INLA lorsqu'il assistait à un mariage en république d'Ir- lande et il a été accusé d'avoir délibérément relâ- ché les otages. Il a été détenu pendant deux jours et trois nuits pendant lesquels il a été torturé, traduit devant une cour martiale et condamné à mort. Il a réussi à s'enfuir et il a demandé protec tion à la police de la république d'Irlande, qui a pris des mesures en vue de son hospitalisation pour traitement de ses blessures attribuables à la tor ture. Il a alors été arrêté pour complicité dans la détention des deux otages susmentionnés. Peu après, son épouse et ses deux enfants ont été kidnappés par la INLA et détenus pendant dix jours jusqu'à ce que l'intimé puisse assurer à cette dernière qu'il n'allait pas «moucharder» au sujet de l'enlèvement des autres otages.
Il s'est reconnu coupable de séquestration et il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans, dont il a purgé deux ans et neuf mois, à sa demande et pour sa protection, en cellule d'iso- lement dans une prison non politique. Juste avant d'être relâché, il a demandé au chapelain de la prison de l'aider à assurer sa protection contre les membres de la INLA au moment de sa libération. Le chapelain, avec l'assistance d'un policier au courant de son affaire, a obtenu un passeport de la république d'Irlande pour l'intimé, aussi bien que des billets d'avion pour le Canada et un peu d'ar- gent. L'intimé et sa famille ont été gardés par la police irlandaise au cours des deux jours qui ont précédé le départ de l'intimé pour Toronto, il a cherché à entrer en qualité de visiteur le 19 décem- bre 1985. Il y est encore, a un emploi et sa famille, qui réside encore en Irlande, lui rend visite chaque année.
L'intimé a fait l'objet d'une enquête en mai 1986, qui a été ajournée pour lui permettre de présenter sa revendication du statut de réfugié. Après que le ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion eut conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, l'intimé a déposé auprès de la Commission une demande de réexamen de sa revendication. La Commission, dans une décision unanime, a accueilli la demande de réexamen et a conclu que l'intimé était un réfugié au sens de la Convention. C'est de cette décision qu'interjette appel le requérant, le procureur général du Canada, par voie de demande fondée sur l'article 28.
Je vais traiter des questions comme elles sont exposées dans l'exposé des faits et du droit du requérant, suivant l'ordre qui leur est donné dans ce document.
QUESTION I
La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de se demander si la INLA était un «groupe social» au sens de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] ?
Voici le libellé de cette définition, comme il se lisait à l'époque concernée:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention« désigne toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques
a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou
b) qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner;
À l'audience tenue devant un agent d'immigra- tion supérieur relativement à sa revendication, l'in- timé a déclaré qu'il craignait d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir, la INLA. La première question à élucider est donc celle de savoir si la INLA, en qualité d'organisme paramilitaire illégal, qui selon la preuves, a pour but l'unification de l'Irlande et la
5 Dossier, vol. 2, p. 18.
cessation de l'immixtion de la Grande-Bretagne dans les affaires de l'Irlande du Nord, peut être considérée comme étant un «groupe social» aux fins de déterminer si une personne est un réfugié au sens de la Convention au sens de la Loi.
La Commission n'a pas étudié précisément cette question, acceptant, semble-t-il, que c'était «du fait de son appartenance» à la INLA, en tant que groupe social, que l'intimé craignait avec raison d'être persécuté, d'où son incapacité ou sa répu- gnance à se prévaloir de la protection du pays dont il avait la nationalité. Conséquemment, convenant que la INLA était «un groupe social», la Commis sion s'est lancée à la recherche de la nationalité de l'intimé, pour arriver à déterminer de quel ou quels pays ce dernier pouvait réclamer la protection, et elle a conclu que, bien qu'il fût clairement citoyen de l'Irlande du Nord et de la république d'Irlande, «aucune preuve n'a été produite devant la Commis sion pour établir que le demandeur est également un citoyen du Royaume-Uni» 6 . Je traiterai plus loin dans mes motifs de cette conclusion claire- ment erronée.
J'en arrive maintenant à la signification des mots «groupe social». L'avocate du requérant a soutenu que la définition de cette expression ne peut être déterminée que par le contexte et l'objet de la Loi, en fonction des obligations internationa- les du Canada. L'avocate du requérant a souligné que l'alinéa 3g) 7 de la Loi reconnaît la nécessité pour le Canada «de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan interna tional et de maintenir sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées». Pour qu'il y ait conformité avec l'ob- jectif humanitaire de la Loi, les groupes qui cher- chent par des actes de terrorisme à promouvoir leur fin, en l'espèce le renversement de l'autorité dûment constituée, devraient être exclus des grou- pes sociaux qui répondent à la définition de réfugié
6 Dossier, vol. 4, p. 446.
3. Il est, par les présentes, déclaré que la politique d'immi- gration du Canada, ainsi que les règles et règlements établis en vertu de la présente loi, sont conçus et mis en oeuvre en vue de promouvoir ses intérêts sur le plan interne et international, en reconnaissant la nécessité
g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan international et de maintenir sa tradi- tionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées;
au sens de la Convention. Agir autrement, a sou- tenu l'avocate du requérant, ce serait faire du Canada un havre pour ceux qui ont admis avoir commis des actes de terrorisme, y avoir participé ou apporté leur sympathie dans d'autres pays, qu'ils désavouent ou non leur appui aux terroristes. En tout état de cause, a-t-on fait valoir, ce sont les actions de l'intimé lorsqu'il faisait partie du groupe visé et les conséquences de ces actions qui étaient à la source de sa crainte d'être persécuté, et non son appartenance, au groupe en question.
Pour ce qui est du dernier argument, comme je l'ai dit dans des motifs concourants dans l'arrêt Re Naredo et Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tions au sujet d'un argument semblable mais non identique, dont découlent deux questions:
a) une telle crainte est-elle fondée, et
b) si elle l'est, existe-t-elle du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l'appartenance à un groupe social ou des opinions politiques de celui qui éprouve cette crainte?
Pour répondre à ces questions, la Commission est 'tenue de prendre des conclusions de fait et d'en arriver à des inférences à partir des faits établis en preuve. En l'espèce, la Commission a conclu que subjectivement, l'intimé craint pour sa sécurité s'il devait retourner en république d'Irlande ou au Royaume-Uni. (On traitera plus tard de la ques tion de savoir s'il existait des preuves à l'appui de la conclusion relative à la crainte du requérant d'être renvoyé au Royaume-Uni.) Il se peut qu'ob- jectivement parlant, il existe quelque motif justi- fiant ces craintes tout au moins en ce qu'elles ont trait soit à la république d'Irlande, soit à l'Irlande du Nord.
La prochaine question que propose l'arrêt Naredo, précité, consiste à savoir si la crainte du requérant procède de son appartenance à un groupe social, la INLA? Il ressort clairement de la preuve que sa crainte directe et immédiate ne provient pas de son appartenance au groupe mais de l'arrêt de mort prononcé contre lui par la cour martiale de la INLA. Bien que le geste qu'il a posé en relâchant les otages ait conduit à sa comparu- tion devant une cour martiale, c'est son apparte-
8 (1981), 130 D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.), à la p. 754.
nance à la INLA qui est à la source de la convoca tion de la cour martiale. Bien que l'avocate du requérant ait certainement en partie raison dans son dernier argument, les actes dictés par la cons cience de l'intimé auraient été inutiles n'était-ce de son appartenance à la INLA. Ce qui nous amène évidemment à la question de savoir si la INLA est un des groupes sociaux visés dans la définition que donne la Loi de l'expression réfugié au sens de la Convention, question restée sans réponse.
L'avocat de l'intimé s'est montré d'avis que tout organisme raisonnablement définissable engagé dans des activités politiques peut être inclus dans la définition visée. Si tel est le cas, je comprends difficilement pourquoi il était nécessaire d'inclure dans la définition la mention «un groupe social» alors que les mots «opinions politiques» font partie de la définition. Être engagé dans des activités politiques semble supposer l'existence d'«opinions politiques» à moins qu'une personne au service de ceux qui ont des opinions politiques n'en ait pas elle-même, aucune preuve en ce sens existant en l'espèce. En outre, les sources citées par l'avocat de l'intimé à l'appui de sa proposition n'étaient pas convaincantes. Plus utile était le commentaire figurant au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en 1979, («le Guide»). Le Guide définit de la façon suivante l'appartenance à un certain groupe social la page 20]:
77. Par «un certain groupe social», on entend normalement des personnes appartenant à un groupe ayant la même origine et le même mode de vie ou le même statut social. La crainte d'être persécuté du fait de cette appartenance se confondra souvent en partie avec une crainte d'être persécuté pour d'au- tres motifs, tels que la race, la religion ou la nationalité.
78. L'appartenance à un certain groupe social peut être à l'origine de persécutions parce que les prises de position politi- que, les antécédents ou l'activité économique de ses membres, voire l'existence même du groupe social en tant que tel, sont considérés comme un obstacle à la mise en oeuvre des politiques gouvernementales.
79. Normalement, la simple appartenance à un certain groupe social ne suffira pas à établir le bien-fondé d'une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Il peut cepen- dant y avoir des circonstances particulières cette simple appartenance suffit pour craindre des persécutions. [C'est moi qui souligne.]
Il découle implicitement de ce qui précède que la persécution imputable à l'appartenance à un groupe doit procéder de ses activités considérées comme un danger possible pour le gouvernement. Les activités de la INLA sont clairement contrai- res aux intérêts du gouvernement de l'Irlande du Nord et du Royaume-Uni. Mais la simple apparte- nance à un groupe ne justifie pas, en elle-même, la revendication du statut de réfugié. A plus forte raison, l'appartenance ne justifie pas la revendica- tion du statut de réfugié fondée sur la crainte découlant d'actes commis par un membre du groupe qui sont contraires aux intérêts du groupe, les intérêts de ce dernier étant eux-mêmes contrai- res au salut public. Ces intérêts s'excluent l'un l'autre.
Le Shorter Oxford English Dictionary donne notamment du mot «social» cette définition:
[TRADUCTION] 1. Capable de s'associer ou de s'unir à d'autres;
2. Associé, allié, réuni.
Bien que, si l'on se fonde sur cette définition, il ne fasse aucun doute que la INLA, composée comme elle l'est de personnes qui sont «associées, alliées, réunies», est un groupe social, s'agit-il du genre de groupe social dont l'appartenance justifie la conclusion qu'une personne craint avec raison d'être persécutée?
À mon sens, si la crainte procède du groupe lui-même et ne vient pas de l'État, qu'il s'agisse de la police ou d'une autre branche du gouvernement, elle ne peut servir de fondement à la prétention d'être persécuté. Autrement, par exemple, celui ou celle qui fuit une faction parmi d'autres engagées dans des activités terroristes visant à renverser le gouvernement, par exemple, pourrait prétendre être un réfugié, qu'il ou qu'elle ait ou non renoncé à son opposition au gouvernement au pouvoir ou aux activités dans lesquelles sont engagées les fac tions ennemies. Permettre cela, ce serait, à mon sens, aller à l'encontre des obligations du Canada exposées dans la Loi et ne saurait se ranger dans la catégorie des obligations humanitaires.
Je n'ai donc pas été persuadé que l'intimé, en sa qualité de membre de la INLA, redoutant comme il le fait d'être persécuté par cet organisme, a droit à la protection accordée aux réfugiés véritables qui répondent à tous les éléments de la définition de
réfugié au sens de la Convention figurant dans la Loi. Il n'acquiert pas non plus ce droit pour avoir agi, comme plusieurs autres anciens membres, d'une façon que la INLA juge contraire à ses intérêts. S'il fallait adopter un tel point de vue, quiconque est en désaccord sur quelque sujet pour- rait être considéré comme membre d'un groupe social. Le simple fait d'énoncer cette proposition en démontre l'absurdité.
QUESTION II
Même si le requérant appartient à un groupe social, la Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'appliquant pas le bon critère pour établir si la crainte de l'intimé constitue la persé- cution visée par la définition de «réfugié au sens de la Convention» dans la Loi?
Deux récentes décisions de cette Cour ont traité des facteurs appropriés dont il faut tenir compte.
Dans l'arrêt Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration 9 , la Cour a statué que bien que la preuve eût établi que les mauvais traitements subis par le requérant lui avaient été infligés par des brutes de la majorité ceylanaise et non par les autorités gouvernementales ni par la police, cette dernière n'a pris aucune mesure concrète pour
mettre fin aux brutalités. Le requérant avait donc . largement justifié sa répugnance à se réclamer de la protection du Sri Lanka, de sorte qu'il avait satisfait à la définition de réfugié au sens de la Convention. Dans ses motifs concordants dans l'ar- rêt Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration (1984), 55 N.R. 129 la page 135 le juge Stone, de la Cour d'appel, a dit ce qui suit:
De toute évidence, une personne ne peut être considérée comme un «réfugié au sens de la Convention» seulement parce qu'elle a subi des mauvais traitements de la part de ses concitoyens dans son pays. Selon moi, il faut, pour satisfaire à la définition, que la, persécution dont on se plaint ait été commise ou tolérée par l'Etat lui-même, et qu'elle se traduise par des actes commis par l'État contre un particulier ou par la tolérance dont l'État fait preuve sciemment à l'égard de la conduite de certains de ses citoyens, ou par son refus de protéger un particulier contre cette conduite, ou son incapacité à le faire.
L'intimé prétend qu'il n'y a eu aucune persécution en l'espèce parce que les auteurs des actes de violence dont se plaint le requérant sont des bandes de brutes hors-la-loi et non pas l'État lui-même. Selon lui, certains éléments de preuve démontrent que l'État a effectivement désapprouvé ce genre de comporte- ment et a fourni des mesures de redressement devant les tribunaux du Sri Lanka. Cependant, je crois que nous devons
9 (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).
examiner ce qui s'est réellement produit. Il est vrai que les actes reprochés n'ont pas été commis par l'État ni ses représentants. Par ailleurs, l'examen de l'ensemble de la preuve me convainc que la police ne pouvait ou, pis encore, ne voulait pas protéger de façon efficace le requérant contre les agressions dont il faisait l'objet. Par conséquent, en raison de sa race et de sa religion, le requérant ne pouvait raisonnablement s'attendre à être protégé par une importante institution étatique contre des agressions illégales. A mon avis, il avait des bons motifs d'éprouver des craintes et, objectivement, ces craintes étaient bien fondées.
Dans l'affaire Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration" ) , un époux et une épouse étrangers avaient réclamé le statut de réfugiés au sens de la Convention après s'être enfuis de leur Guyane natale. La Commission avait conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés parce que la persécution dont ils alléguaient avoir été victimes n'était pas imputable à l'État ni à des «organes du gouverne- ment» mais plutôt à des militants trop zélés d'un parti politique. Le juge MacGuigan, J.C.A., qui s'exprimait pour la Cour, a dit ce qui suit à. la page 75:
À notre avis, il n'est pas important de savoir si les forces de l'ordre ont participé directement aux actes de violence ou non. Ce qu'il importe de savoir, c'est si, au sens large, il y avait complicité de la part de la police.
S'appuyant sur les deux opinions prononcées dans l'arrêt Rajudeen, il a alors dit à la page 76:
... la complicité de l'État à l'égard de la persécution ressort plus clairement en l'espèce, puisque les requérants et leurs familles ont demandé l'aide de la police sans obtenir justice. Il n'est pas nécessaire que le rôle de l'État dans la persécution soit direct; il suffit qu'il soit indirect, dès lors que la complicité de l'État est établie. [C'est moi qui souligne.]
La Cour a alors conclu que la décision de la Commission était erronée en droit, et que les requérants avaient satisfait à la définition de réfu- gié au sens de la Convention.
Dans cette affaire, la Commission a dit ce qui suit":
Il est évident qu'il n'y a pas de complicité de l'État dans la persécution que craint le demandeur. La police irlandaise lui a offert sa protection et, selon lui, la lui offrirait encore dans l'avenir. Toutefois, la Commission est convaincue qu'étant donné la nature de la INLA, la police et les autres autorités gouvernementales ne pourraient assurer au demandeur une protection efficace.
10 (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.). ' 1 Dossier, vol. 4, p. 447.
L'avocate du requérant n'a pas contesté cette conclusion. Toutefois, en se fondant sur les arrêts Rajudeen et Surujpal, elle a soutenu qu'il devait y avoir pour le moins complicité de l'État pour que la crainte entretenue soit considérée comme une persécution justifiant la revendication du statut de réfugié. À son sens, bien que la persécution et l'incapacité de se réclamer de la protection de l'État soient des éléments reliés dans la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, il faut traiter de ces deux concepts et y satisfaire de façon indépendante. La Commission, a-t-elle affirmé, a confondu la détermination de la persé- cution et la protection inefficace.
Je suis d'accord avec elle. Si le demandeur de statut «ne veut» pas se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, il en ressort implicite- ment que sa répugnance tient à son sentiment que l'État et ses représentants sont incapables de le protéger contre ceux par qui il craint d'être persé- cuté. Cette répugnance peut provenir du fait que l'État et ses représentants sont les propres respon- sables de la persécution redoutée, qu'ils assistent ses auteurs de façon concrète ou qu'ils se conten- tent de ne pas faire de cas des actes.. redoutés par le demandeur de statut. Bien que ces exemples ne soient pas exhaustifs, ils démontrent clairement que si la répugnance du demandeur de statut à se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité doit justifier sa revendication du statut de réfugié, il doit établir que l'État ne peut le protéger contre la persécution qu'il redoute en raison, dans les présentes circonstances, de son ancienne appartenance à la INLA, c'est-à-dire qu'il doit établir que ce qu'il craint est bien la persécution au sens la loi et la jurisprudence entendent ce terme. Sur ce fondement, la partici pation de l'État est une condition préalable lorsque le demandeur de statut ne veut pas se réclamer de la protection du pays visé.
D'autre part, le fait que le demandeur de statut «ne peut» pas se réclamer de cette protection impli- que littéralement, à mon sens, qu'il ne peut pas, en raison de son incapacité matérielle à le faire, même rechercher la protection de son État. Cela implique des circonstances qui échappent à sa volonté et n'est pas une notion applicable à l'espèce.
Le dossier montre clairement chue l'intimé ne prétend pas que la complicité de l'Etat contribue à sa crainte de demander la protection de la police dans l'une ou l'autre partie de l'Irlande. Il redoute plutôt qu'en raison de la nature même de la INLA et de, sa façon de procéder, la police soit incapable de le protéger. Conséquemment, la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant la conclusion précitée et en statuant que:
. l'incapacité de la personne de se réclamer de la protection de son pays, et l'incapacité de l'État d'assurer une protection efficace sont inextricablement reliées 12 .
Je ne saurais toutefois partager son avis que:
La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont également des éléments interreliés. Les personnes persécutées ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, et la preuve de l'absence de protection peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au caractère bien fondé de la crainte 13 .
Cette présomption ne se soulève pas. La conclu sion ne peut se prendre qu'après l'appréciation de la preuve en vue de constater si le demandeur de statut craint avec raison, de l'avis du tribunal compétent, selon un fondement subjectif et objec- tif, d'être persécuté pour l'un des motifs exposés dans la définition en cause. Il faut traiter ensuite des autres aspects de l'incapacité ou de la répu- gnance du demandeur de statut à se réclamer de la protection de l'État.
QUESTION III
La Commission a fondé sa décision sur une conclu sion de fait erronée, tirée de la façon prévue à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, en concluant que le seul pays dont l'intimé avait la nationalité était l'Irlande du Nord et la république d'Irlande.
Bien que je l'aie désignée comme étant la Ques tion III, mes propos à son égard s'étendront aussi aux Questions IV et V du requérant puisqu'elles procèdent de la même erreur qu'aurait commise la Commission. La conclusion contestée prise dans son contexte se lit comme suit 14 :
Le demandeur soutient qu'il a une crainte bien fondée d'être persécuté du fait qu'il a déjà été membre de la INLA. Selon son témoignage, même s'il croit qu'il sera en sécurité aussi longtemps qu'il demeurera au Canada, il craint pour sa vie s'il
12 (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, à la p. 59.
13 Ibid.
14 Idem, aux p. 53 et 54.
devait retourner en Irlande ou au Royaume-Uni. Ce point soulève la question de la nationalité du demandeur. La preuve a clairement établi que le demandeur est un citoyen d'Irlande, à la fois de l'Irlande du Nord et de la république d'Irlande. Toutefois, aucune preuve n'a été produite devant la Commis sion pour établir que le demandeur est également un citoyen du Royaume-Uni. En réponse aux questions qui lui ont été posées en contre-interrogatoire, le demandeur a témoigné qu'à titre de citoyen de l'Irlande du Nord, il a le droit de vivre en Grande- Bretagne à moins d'être exclu en vertu de la Protection of Terrorism Act du Royaume-Uni, selon laquelle toute personne ayant des liens avec des organisations terroristes peut se voir refuser l'entrée sur le continent britannique. L'intimé a mis en doute le caractère raisonnable de la crainte qu'éprouvait le demandeur face à la INLA s'il devait retourner en Grande-Bre- tagne, mais il n'a pas établi le droit du demandeur de vivre en Grande-Bretagne, ni son droit à la citoyenneté au Royaume- Uni. Par conséquent, la Commission conclut que le pays d'ori- gine du demandeur est l'Irlande du Nord et la république d'Irlande. [C'est moi qui souligne.]
L'avocate du requérant a soutenu que la pre- mière erreur de la Commission a été d'affirmer qu'«aucune preuve n'a été produite devant la Com mission pour établir que le demandeur est égale- ment un citoyen du Royaume-Uni». [C'est moi qui souligne.] De fait, l'intimé lui-même a témoigné qu'il l'était, comme on le constatera à la lecture du passage suivant de sa déposition 15 :
[TRADUCTION] Q. Vous avez déclaré au début être citoyen de la république d'Irlande et je crois que vous avez voyagé grâce à un passeport irlandais.
R. Non, je suis citoyen de l'Irlande. Je possède un passeport de la république d'Irlande. Voilà ce que j'ai dit.
Q. Vous êtes détenteur d'un passeport de la république d'Ir- lande. Avez-vous le droit de vivre en république d'Irlande?
R. Oui.
Q. Avez-vous le droit de vivre dans cette partie du globe appelée Irlande du Nord?
R. Oui.
Q Êtes-vous citoyen du Royaume-Uni? R. Je le suis de fait, oui.
Q. Avez-vous le droit de vivre au Royaume-Uni, c'est-à-dire en Écosse, en Irlande, au pays de Galles, en Angleterre, dans l'île de Man et l'île de Guernsey. Pourriez-vous vivre à ces endroits si vous le souhaitiez?
R. C'est douteux.
Q. Qu'est-ce qui est douteux?
R. C'est douteux, parce qu'au milieu des années 70 le gou- vernement britannique a adopté une loi appelée la PTA, la Prevention of Terrorism Act.
M. WARRINGTON: Je regrette, je ne puis vous entendre.
LE TÉMOIN: Au milieu des années 70, le gouvernement
britannique a adopté une loi en Angleterre par l'entremise du
15 Dossier, vol. 2, p. 166.
Parlement connue sous le titre de Prevention of Terrorism Act, PTA, qui disait que quiconque était lié ou mêlé aux groupements antisociaux en Irlande du Nord ne serait pas admis en métropole britannique. Et il est arrivé de nombreu- ses fois que des Irlandais qualifiés de Britanniques en Irlande du Nord se soient fait dire, lorsqu'ils cherchaient du travail en Angleterre, qu'ils étaient Irlandais, et de retourner chez eux.
m. STONG: Q. Par les autorités britanniques?
R. Par les autorités britanniques en vertu de la PTA, la
Prevention of Terrorism Act.
Q. Des personnes qui sont membres de groupes terroristes reconnus?
R. Pas nécessairement.
Q. Avez-vous déjà cherché en qualité de citoyen britannique à vivre ailleurs au Royaume-Uni, à part l'Irlande du Nord?
R. Non.
Q. Pourquoi pensez-vous que cette Loi s'appliquerait à vous?
R. En raison de mes condamnations antérieures.
Q. Est-il interdit à tous les Irlandais de vivre ailleurs en Angleterre?
R. Je ne peux pas généraliser.
Q. Est-il interdit à tous les Irlandais qui ont purgé une peine dans une prison non politique de vivre ailleurs?
R. C'est un processus de sélection qui échappe au contrôle des citoyens irlandais. Il appartient au ministère britanni- que concerné lorsqu'ils sont détenus à un aéroport ou un port maritime de décider pourquoi ils devraient ou non rester.
Q. Ainsi, il n'y a aucun moyen pour vous de savoir si vous pouvez vivre ailleurs, et vous n'avez jamais tenté de le faire et jamais cherché à savoir?
R. Je n'ai jamais tenté de le faire parce que le bon sens dit que ce serait ridicule de ma part de demander à vivre en Angleterre après avoir fait partie d'un organisme opposé à l'autorité britannique. Ce serait comme demander à Hitler de vivre à Jérusalem. [C'est moi qui souligne.]
Selon l'avocate du requérant, il s'agit d'une conclusion abusive tirée sans tenir compte de la preuve, qui se trouve par conséquent visée par l'alinéa c) de l'article 28 de la Loi constitutive de cette Cour. Selon l'avocate, la conclusion est d'im- portance majeure parce que l'établissement de la nationalité du demandeur de statut est la première démarche nécessaire à la détermination de toutes les autres questions afférentes à sa revendication du statut de réfugié.
Ainsi, si l'on conclut qu'il a la nationalité de plus d'un pays, le demandeur de statut est tenu d'établir qu'il ne veut se réclamer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationalité avant de pouvoir être considéré comme un réfugié au sens de la Convention. En fait, l'Article premier de la
Convention relative au statut des réfugiés, de 1951 [28 juillet 1951, Genève, 189 N.U.R.T. 137], sous- alinéa 2, prévoit expressément ce qui suit:
Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considé- rée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité.
La position de l'avocat de l'intimé sur cet aspect de l'affaire était que bien que son client ait con- cédé que l'Irlande du Nord faisait partie du Royaume-Uni, il ne jouissait pas du droit sans restriction d'y vivre. Il avait un droit restreint en ce sens que la Prevention of Terrorism (Tempo- rary Provisions) Act 1974 [(R.-U.), 1974, chap. 56] fournissait le fondement permettant d'interdire à un terroriste d'établir sa résidence, au Royaume- Uni. Puisqu'en 1982 l'intimé avait été condamné en Irlande du Nord pour avoir notamment contri- bué à des actes de terrorisme, il pourrait bien se voir refuser l'admission en vertu de cette Loi. Rien au dossier ne prouve que l'intimé ait fait des recherches ou des demandes pour découvrir s'il lui était possible de se réclamer de la protection du second pays dont il a la nationalité ou que, eut-il fait ces démarches, on lui aurait refusé d'entrer. S'il avait fait ces démarches et essuyé un refus, il n'aurait pas pu obtenir la protection du Royaume- Uni.
L'avocate du requérant ne nous a cité aucune jurisprudence provenant d'un tribunal de notre pays ayant trait à l'obligation d'un demandeur de statut qui possède une double nationalité de se réclamer de la protection de chacun des deux pays en cause lorsqu'il redoute d'être persécuté dans l'un de ces pays. Toutefois, l'avocate du requérant a mentionné à l'appui de sa thèse non seulement le traité de 1951, dont l'Article premier a été cité plus haut, mais aussi le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié; à la rubrique «Nationalité double ou mul tiple», aux pages 25 et 26, après avoir cité l'alinéa 2 de l'article 1A(2) de la Convention de 1951, elle a renvoyé au paragraphe 107 qui est libellé comme suit:
107. Lorsqu'on examine le cas d'un demandeur ayant deux ou plusieurs nationalités, il convient cependant de distinguer entre la possession d'une nationalité du point de vue juridique et le bénéfice de la protection du pays correspondant. Le cas
peut se présenter le demandeur a la nationalité d'un pays à l'égard duquel il n'éprouve aucune crainte mais cette natio- nalité peut être considérée comme étant inefficace dans la mesure elle n'emporte pas la protection qu'implique norma- lement la possession de la nationalité. En pareil cas, la posses sion d'une deuxième nationalité ne sera pas incompatible avec le statut de réfugié. En règle générale, il doit y avoir eu une demande et un refus de protection pour pouvoir établir qu'une nationalité est inefficace. S'il n'y a pas eu refus exprès de protection, l'absence de réponse dans un délai raisonnable peut être considérée comme un refus.
Bien que nous ne soyons pas liés par ce point de vue parce qu'il n'a pas été incorporé au droit canadien, il est convaincant parce qu'il donne une interprétation logique de la définition de réfugié au sens de la Convention à l'article 2 de la Loi sur l'immigration de 1976. Comme l'avocat l'a aussi souligné, le paragraphe 33(2) de la Loi d'interprétation 16 prévoit que «le singulier s'appli- que [...], le cas échéant, ... à la pluralité». Pour ces motifs, j'estime que le demandeur de statut doit établir qu'il ne veut ou ne peut se réclamer d'aucun des pays dont il a la nationalité. C'est la nationalité du demandeur de statut qui est de prime importance. Son droit de vivre dans le pays dont il a la nationalité devient pertinent seulement quand il s'agit pour lui de s'acquitter de l'obliga- tion qui lui est faite de prouver qu'il ne peut pas se réclamer du pays dont il a établi avoir la nationalité.
La prochaine question à laquelle il faut répondre est la suivante: puisque l'intimé ne s'est pas acquitté de son obligation, cette omission et celle de la Commission portent-t-elles un coup fatal à la conclusion de cette dernière que l'intimé avait établi être un réfugié au sens de la Convention?
À mon avis, non seulement la Commission n'a- t-elle pas traité de la question, mais elle a aggravé son erreur en croyant qu'il appartenait à la Cou- ronne d'établir «le droit du demandeur de vivre en Grande-Bretagne, [ou] son droit à la citoyenneté au Royaume-Uni». Il ressort du paragraphe 8(1) de la Loi que la Couronne n'a pas ce fardeau, car il y est dit qu'il appartient à la personne désireuse d'entrer au Canada de prouver qu'elle a le droit d'y entrer.
En conséquence, pour ces motifs aussi bien que pour l'erreur commise par la Commission lors- qu'elle a conclu que l'intimé était membre d'un
16 L.R.C. (1985), chap. I-21.
groupe social visé par la définition de réfugié au sens de la Convention dans la Loi, la demande fondée sur l'article 28 devrait être accueillie. La décision de la Commission contestée en l'espèce devrait être annulée et l'affaire devrait lui être renvoyée pour qu'elle l'examine de nouveau d'une façon compatible avec les présents motifs.
Avant de terminer, j'aurais tort de ne pas conve- nir que les ennuis de l'intimé sont de nature à attirer la sympathie, bien qu'il en soit l'auteur, à l'origine tout au moins. Cependant, cette Cour est tenue, comme toute autre, d'appliquer la loi au meilleur de sa connaissance. Je ne saurais conce- voir que le Parlement, en adoptant la définition de réfugié au sens de la Convention, entendait l'éten- dre aux membres d'organismes dont la seule raison d'être est de renverser par la violence le pouvoir dûment et démocratiquement constitué dans des pays tels que le Royaume-Uni et la république d'Irlande continue indubitablement de s'impo- ser la suprématie du droit. Si tel est le cas, l'intimé ne peut être un réfugié. De simples assurances de remords ne suffisent pas à effacer l'appartenance passée. S'il existe quelque voie légale par laquelle l'intimé peut être admis dans ce pays, il ne s'agit pas à mon sens de la revendication du statut du réfugié.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A. (dissident): Cette demande fondée sur l'article 28 vise la révi- sion et l'annulation de la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration («la Com mission»), le 2 décembre 1988, a déterminé que l'intimé était un réfugié au sens de la Convention parce qu'il craignait avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social.
En résumé, les faits sont les suivants. L'intimé est devenu membre en 1983 de la Irish National Liberation Army («INLA»), un groupe paramili- taire antibritannique en Irlande du Nord. La INLA a été constituée au milieu des années 70 à la suite du fractionnement de la Irish Republican Army. Un article de journal la décrit comme étant
[TRADUCTION] «le groupement nationaliste de guérilleros le plus secret et le plus extrémiste de l'Irlande du Nord». (Dossier, vol. 4, page 437.)
L'intimé a reçu sa première mission importante quelques mois après avoir adhéré à la INLA lors- que cette dernière lui a demandé, ainsi qu'à d'au- tres, de garder deux otages dans une maison de villégiature à Donegal en république d'Irlande («Irlande») non loin de la frontière de l'Irlande du Nord. Lorsque la INLA a par la suite décidé de tuer les otages, l'intimé a eu une crise de cons cience qui l'a amené à faciliter leur évasion au cours de son quart la nuit, et de fait à les conduire à un poste de police dans les environs.
Il s'est par conséquent attiré les soupçons de la INLA et lorsqu'il assistait à un mariage en répu- blique d'Irlande il a été enlevé par la INLA, torturé pendant deux jours et plus tard condamné à mort pour avoir aidé à la libération des otages. Il a toutefois réussi à fuir et s'est présenté aux autori- tés de la république d'Irlande.
Parce que ses empreintes digitales avaient été relevées dans la maison de Donegal, il a été arrêté par la Garda (la police irlandaise), a passé six mois sous garde, a été reconnu coupable 'et con- damné à trois ans d'emprisonnement pour avoir détenu les otages contre leur volonté.
Dans l'intervalle, son épouse et ses deux enfants ont été enlevés et détenus par la INLA pendant environ deux semaines comme mesure de précau- tion afin de le dissuader de se faire «mouchard» ou de donner des renseignements contre la INLA.
Avant d'être libéré de la prison en Irlande, le 17 décembre 1985, l'intimé a pris contact avec le chapelain de la prison pour lui demander assis tance. Celui-ci a obtenu pour lui la délivrance d'un passeport irlandais" et il lui a acquis la protection de la Garda jusqu'à ce qu'il puisse s'envoler pour le Canada deux jours plus tard.
La principale conclusion de fait de la Commis sion est la suivante ((1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, aux pages 54 et 55):
La Commission a jugé que le demandeur était un témoin tout à fait digne de foi. Son témoignage nous a convaincus que s'il
'l Il a déposé qu'en qualité de résidant de l'Irlande du Nord, il avait droit de détenir des passeports britannique et irlandais. (Dossier, vol. 2, p. 110.)
devait être renvoyé en Irlande, il représenterait, pour la sécurité de la INLA, une menace tellement sérieuse qu'il risquerait fort d'être capturé, torturé et mis à mort par la INLA. Même si la INLA ne considérait pas le demandeur comme une menace pour sa sécurité, la vie du demandeur serait gravement mena cée en raison de l'arrêt de mort prononcé contre lui par la INLA. L'intimé a soutenu que la INLA ne constitue pas une menace pour le demandeur, car elle est en proie à un désarroi interne. Toutefois, il n'a produit absolument aucune preuve pour appuyer cette prétention. En fait, la preuve dont est saisie la Commission indique que la INLA est une organisation qui met toujours ses menaces à exécution.
La Commission a reconnu ensuite «qu'il n'y a pas de complicité de l'État dans la persécution que craint le demandeur» la page 55), mais elle a conclu ce qui suit (aux pages 59 et 60):
La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont également des éléments interreliés. Les personnes persécutées ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, et la preuve de l'absence de protection peut créer une présomption quant à la probabiblité de la persécution et au caractère bien fondé de la crainte.
[TRADUCTION] Le rapport de cause à effet est encore plus indirect lorsqu'on ne peut impliquer directement le gouverne- ment du pays d'origine. Par exemple, des réfugiés ont fui des émeutes ou les activités des soi-disant «escouades de la mort». Les gouvernements ne sont peut-être pas capables de mettre fin à ce genre d'activités, ils ne sont peut-être pas disposés ou ils hésitent en collusion avec les responsables. Dans ces cas, s'il n'y a vraiment aucune protection, on peut juger qu'il y a persécution au sens de la Convention, car il ne s'ensuit pas que le concept est limité aux actes des gouvernements ou de leurs agents. (G.S. Goodwin-Gill, The Refugee in Internatio nal Law, Clarendon Press: Oxford, 1983) p. 42 (souligne- ments ajoutés; renvois supprimés).
Les principales autorités en la matière reconnaissent que la définition de réfugié au sens de la Convention sous-entend un examen de la capacité de l'État de protéger le demandeur, mais sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait complicité de l'État dans la persécution subie par le demandeur:
[TRADUCTION] «Il y a effectivement des motifs valables de soutenir que même si un gouvernement désire ardemment prévenir des atrocités de la part du public (ou certains éléments de la population), mais qu'il ne peut le faire pour une raison ou une autre, de sorte que les personnes menacées doivent quitter le pays pour échapper à des blessures, ces personnes doivent être considérées comme de véritables réfu- giés. En fait, elles peuvent être aussi indigentes et avoir autant besoin d'aide et de secours que tout autre groupe de réfugiés.» (A. Grahl-Madsen, The Status of Refugees in International Law, vol. 1 (A.W. Sijthoff-Leyden: 1966) p. 191; Voir également la citation du Guide, p. 58, précité)
Le requérant a allégué que la Commission a commis des erreurs à trois égards: dans sa défini- tion de l'expression groupe social, dans son inter- prétation de la persécution, et dans ses conclusions de fait combinées à d'autres erreurs de droit.
Pour ce qui est de la définition de l'appartenance à un groupe social, je ne crois pas que l'on puisse prétendre sérieusement que la INLA n'est pas littéralement un groupe social, puisque ses mem- bres sont unis par des objectifs communs dans une association stable. Je crois que le groupe pourrait être qualifié de groupe social non naturel, c'est-à- dire un groupe qui n'est pas défini par la race ou la nationalité. Cependant, le requérant a soutenu que le sens du concept de groupe social doit s'entendre compte tenu de l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immi- gration de 1976 («La Loi»), qui donne comme l'un des objectifs de la Loi la nécessité de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan international et de maintenir sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées. On a donc affirmé que conformément à cet objectif, il doit être présumé que l'expression «groupe social» exclut les groupes de terroristes. Pour reprendre les termes de l'exposé des faits et du droit du requé- rant, «agir autrement, ce serait faire du Canada un havre pour ceux qui ont admis avoir commis des actes de terrorisme, y avoir participé ou apporté leur sympathie, qu'ils désavouent ou non leur appui aux terroristes». Néanmoins, étant donné l'ampleur de 1 'objectif exposé dans la Loi, je ne puis concevoir que la définition soit correctement interprétée d'une façon aussi absolue.
Le point de départ de la définition, me semble- t-il, est son élément personnel: réfugié au sens de la Convention désigne «toute personne qui, crai- gnant avec raison d'être persécutée du fait de .. . son appartenance à un groupe social». (C'est moi qui souligne.) C'est le rapport entre la personne et le groupe qui est en jeu, et non le concept abstrait du mot groupe pris de façon absolue. En l'espèce nous partons du fait (comme en a conclu la Com mission) que l'intimé est une personne qui, après avoir appartenu à un groupe social prima facie craint maintenant d'être persécutée par lui. Est-il raisonnable d'interpréter le terme «groupe social» de façon si absolue qu'elle retire toute pertinence à ce fait? À mon sens, commencer avec une défini- tion absolue dans l'abstrait, c'est prendre la défini- tion de la Loi par le mauvais sens.
Les groupes sociaux n'ont de fait rien d'absolu, particulièrement les groupes sociaux non naturels. Ils peuvent posséder des idéologies, mais certains
membres peuvent ne pas les partager, leur adhé- sion étant plutôt motivée par le prestige, la peur, ou d'autres motifs non idéologiques. Ces groupes peuvent avoir des rites d'initiation, des droits d'ad- hésion ou des listes d'adhérents, mais plusieurs participants peuvent être attirés dans leur camp et le monde peut les considérer membres, sans qu'ils le soient cependant de la même façon que d'autres. Ces groupes peuvent avoir un objectif terroriste mais compter néanmoins parmi leurs rangs des personnes moins portées à la violence et même des adhérents voués à la non-violence et au pacifisme universel. Peut-être, avant tout, l'adhésion peut- elle être considérée comme indélébile et indissolu ble, mais certains membres peuvent s'éloigner, ou même rompre soudainement pour des raisons de principe. Ceux qui ont brièvement oeuvré au sein du Parti communiste dans les années trente, à une époque de dépression et de désespoir, devraient-ils être qualifiés en permanence de membres d'un groupe subversif? A mon avis, il ne faut pas brandir comme un glaive, le concept de groupe social pour élaguer toutes les circonstances parti- culières dans une circonférence désignée de façon arbitraire. Dans un monde divisé par le racisme et la religion, la politique et la pauvreté, la réalité est trop complexe pour être restreinte de la sorte par des absolus conceptuels.
Les décisions antérieures de la Commission citées par le requérant'$, même si elles ne sont pas erronées, traitent toutes d'affaires dans lesquelles les demandeurs qui tentaient de s'appuyer sur leur adhésion à un groupe social étaient impénitents ou tout au moins n'étaient pas repentants de façon évidente, alors qu'en l'espèce l'intimé, dans ses premières armes comme terroriste, ne s'est pas seulement tourné contre le terrorisme dans un sursaut d'humanité et de bon sens, mais il a de plus rendu la liberté à ses captifs. En l'absence de disposition disant clairement le contraire, je ne puis concevoir que le Parlement ait voulu qu'un «Samaritain» aussi repenti soit automatiquement exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention parce que le groupe qu'il a quitté en
IB Lazo -Cruz, 80-6004, le 16 janvier 1980 (C.A.I.), non publiée; Naredo, 80-9159, le 20 novembre 1980 (C.A.I.), non publiée; infirmée par cette Cour pour d'autres motifs (1981), 130 D.L.R. (3d) 752; et St. Gardien Giraud, 81-9669, le 20 mars 1986 (C.A.I.), non publiée.
raison de son terrorisme ne peut, à cause de ce terrorisme, être considéré comme un groupe social. La vocation terroriste générale de son groupe ne devrait certes pas signifier que l'intimé, en tant qu'individu, est incapable de le quitter.
Évidemment, le groupe auquel l'intimé dit avoir appartenu est la INLA elle-même (dossier, vol. 1 à la page 5; vol. 2, à la page 158) 19 , mais dans son cas il faut entendre appartenance passée, comme l'a souligné son avocat dans sa plaidoirie devant la Commission (dossier, vol. 3, page 357). En d'au- tres termes, le groupe social en question se com pose de membres et d'anciens membres de la INLA. A mon sens, c'est parce que le groupe social visé en l'espèce doit être considéré comme comprenant ceux qui ont renoncé à la INLA et à ses objectifs et ses méthodes que ces faits ne donnent pas lieu à la question de savoir si le groupe est un orgamisme terroriste ou non.
Il est nécessaire de se souvenir que l'admissibi- lité au statut de réfugié au sens de la Convention ne permet pas automatiquement à celui qui obtient ce statut de rester au Canada: voir les paragraphes 4(2) [mod. par L.C. 1988, chap. 35, art. 3], 46(1) [mod., idem, art. 14] et 46(3) [mod., idem] de la Loi. Le droit d'un réfugié reconnu tel de rester au Canada est assujetti aux exceptions exposées aux alinéas 19(1 )c),d),e),f) ou g) ou 19(2)a) qui ont trait aux condamnations antérieures ou aux actes d'espionnage ou de subversion. C'est un obstacle que l'intimé devra surmonter, même s'il parvenait à établir son statut de réfugié au sens de la Con vention, étant donné sa condamnation pour avoir détenu des personnes contre leur volonté en Irlande et vu son casier judiciaire en Irlande du Nord (dossier, vol. 4, page 443), bien qu'il faille noter qu'aucune de ses condamnations en Irlande du Nord a donné lieu à des peines d'emprisonne- ment. L'intimé aura à faire face à ce problème même s'il devait obtenir gain de cause en l'espèce, mais cela n'a rien à voir avec les questions litigieu- ses en l'espèce, sauf dans la mesure on devrait y voir une autre défense possible pour le gouverne- ment.
19 Je ne puis admettre l'argument subsidiaire de l'intimé voulant que son groupe social puisse se définir comme étant celui des personnes qui ont commis des actes contre la INLA et qui l'ont défiée. C'est un groupe bien trop vague pour être un «particular group» au sens de la version anglaise de la Loi.
L'aspect le plus subtil de l'argument du requé- rant veut que la Commission ait commis une erreur de droit en présumant que l'intimé craignait avec raison d'être persécuté du fait de son apparte- nance à un groupe social, alors qu'il ressortait de la preuve que ce sont les actes de l'intimé lorsqu'il était membre du groupe et non son appartenance à celui-ci qui étaient à la source de sa crainte d'être persécuté.
L'intimé a apporté un appui superficiel à. cette thèse en reconnaissant parfois au cours des débats qu'il était menacé d'être persécuté en raison de la peine de mort prononcée contre lui par le tribunal bidon de la INLA parce qu'il avait aidé les otages à s'enfuir. Par exemple, dans son affidavit initial, il a déclaré que la INLA était [TRADUCTION] «connue pour se venger de tous ceux dont elle croit qu'ils ont contrecarré ses activités» (dossier, vol. 1, page 5). Néanmoins, il ressort clairement de l'en- semble de sa déposition que l'intimé prétendait que la menace qui pesait sur lui venait plus précisé- ment de sa connaissance des membres de la INLA, de leurs crimes et de leur constitution, de leurs habitudes et de leur façon de procéder. La vérita- ble crainte de la INLA semble donc découler non de ce qu'a fait l'intimé, mais de la possibilité qu'il puisse «moucharder», un concept qu'il a exposé comme suit (dossier, vol. 4, à la page.117):
[TRADUCTION] Q. C'est comme un indicateur dans la mesure celui qui donne des renseignements a accès à de nombreux renseignements sur les activités paramilitai- res en Irlande du Nord. Cela fait de lui un «supergrass» par opposition au terme «grass».
Il s'est expliqué davantage en ces termes (dos- sier, vol. 1, à la page 18):
[TRADUCTION] Q. Alors, vous avez laissé entendre qu'ac- tuellement, étant donné l'organisme et ses activités, cet organisme paramilitaire, vous représentez encore pour lui un danger?
R. En effet.
Q. De quelle façon seriez-vous un danger pour lui si vous retourniez, comme vous l'avez dit, en Irlande du Nord, ou en république d'Irlande, ou n'importe ailleurs en Grande-Bretagne?
R. Eh bien!, comme je connais la structure de l'organisme, ses politiques, et la façon dont il mène sa campagne paramilitaire, il estimerait que si je devais retourner soit, comme je l'ai dit, en ,république d'Irlande ou en Irlande du Nord ou en Grande-Bretagne, que l'on pourrait me convaincre de le «moucharder» si le gouvernement britan- nique exerçait sur moi des pressions ou d'autre façon; et c'est alors que je représenterais un danger, car la INLA estimerait que je connais certains incidents qui se sont
peut-être en Irlande, pendant une certaine période, et que je pourrais témoigner à cet égard. Et comme il s'est produit dans le «système de mouchardage» («supergrass system») des deux derniers procès en Irlande du Nord, de nombreuses dépositions faites contre des gens qui y étaient ont été déclarées mensongères au cours de nou- veaux procès, et ainsi de suite. Ainsi donc, la INLA craint que je puisse fabriquer des preuves, que je sache quelque chose ou non.
La INLA, a-t-il dit, redouterait particulièrement qu'il puisse [TRADUCTION] «subir des pressions visant à l'amener à témoigner côntre elle» (dossier, vol. 1, à la page 22 et vol. 2, à la page 214). A mon avis, le véritable fondement de sa crainte découle de son appartenance à la INLA et non de son mauvais comportement en qualité de membre; en d'autres termes, l'intention de la INLA n'est pas principalement de venger des fautes passées (bien qu'il puisse aussi s'agir de cela) mais d'en prévenir de nouvelles.
Même si la preuve n'était pas aussi claire, je dois admettre que je répugnerais à donner à l'ap- partenance une définition si restreinte qu'elle exclut toutes ses circonstances accessoires. La sen tence de mort prononcée contre l'intimé était, après tout, reliée à son appartenance au groupe: elle a été rendue contre lui parce qu'en sa qualité de membre, il a contremandé et activement contre- carré les ordres de la INLA. Dans un organisme paramilitaire, l'«appartenance» doit s'interpréter de façon plus large que dans un groupe «social» plus commun.
Je ne puis donc accueillir la première objection du requérant à la décision de la Commission.
La seconde erreur que voit le requérant dans la décision de la Commission vise sa définition de la persécution. Il a affirmé plus particulièrement que les principes de droit que cette Cour a dégagés dans les arrêts Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129; et Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion (1985), 60 N.R. 73 ont une moins grande portée que celle que propose la jurisprudence inter- nationale suivie par la Commission.
L'intimé a reconnu n'avoir aucune plainte à formuler contre le bon vouloir des gouvernements du Royaume-Uni et de l'Irlande à le protéger. Le danger qui le menaçait ne venait pas d'eux, mais
de la puissance de la INLA, (dossier, vol. 2, à la page 216):
[TRADUCTION] Q. Pour que ce point soit bien clair, vous revendiquez le statut de réfugié parce que vous estimez que les gouvernements des deux nations dont vous avez la nationalité ou la citoyenneté ne peuvent ou ne veulent vous protéger?
R. C'est exact.
Q. Contre des terroristes, plus particulièrement la INLA?
R. Je ne dis pas qu'ils ne m'offriraient pas leur protection. Je dis que tôt ou tard, même s'ils se tenaient à mes côtés constamment—
Q. Vous dites que les deux pays vous protégeraient?
R. Ils essaieraient, mais ils n'y réussiraient pas.
L'intimé a exposé comme suit son problème en ce qui concerne les autorités de l'une et l'autre Irlande (dossier, vol. 2, aux pages 161 et 162):
[TRADUCTION] Q. Je comprends cela, avant d'en arriver à ce point, quelle est votre expérience relativement à la sécurité des autorités de l'Irlande du Nord et du Sud et à leur capacité de protéger leurs citoyens contre les enlève- ments ou contre les tentatives d'assasinat?
R. Eh bien!, il est évident qu'il n'existe aucun gouvernement au monde qui s'avouerait incapable de protéger ses citoyens. Il se trouve que dans bien des cas, l'Irlande du Nord et la république d'Irlande sont incapables de proté- ger leurs gens. Elles ont perdu des milliers de policiers, de soldats et de civils. Elles sont incapables de les protéger, elles ne peuvent protéger tout le monde et surtout pas une personne qui a sympathisé avec un organisme comme la INLA.
Pourquoi les protégeraient-elles? Des gens se font tuer chaque jour de la semaine. Alors elles ne peuvent se permettre leurs propres services de sécurité, dont inci- demment les membres sont armés. Ils vont se coucher armés, ils vont à l'église armés, ils sont aussi armés quand ils sortent se distraire le soir avec leur épouse et leurs enfants. Malheureusement, certains se font tuer de la sorte, alors ils ne peuvent se permettre leur propre protec tion. Pourquoi pas? Parce que ce à quoi ils font face dans la INLA est un mouvement clandestin. Vous ignorez qui est votre cible. Vous pouvez être assis dans un bar à siroter une bière, quelqu'un vous adresse la parole et la première chose que vous savez, vous dites ce qu'il ne faudrait pas et vous savez que vous avez été repéré.
Vous ne connaissez pas votre ennemi. Comment peuvent- ils arrêter quelqu'un qu'ils ne connaissent pas? Comment peuvent-ils me protéger contre une personne qu'ils ne connaissent pas? C'est ainsi que fonctionne un mouve- ment clandestin. La majorité de ses membres est inconnue.
Je voudrais bien qu'ils puissent me protéger mais j'ai l'intime conviction, et n'importe qui raisonnablement intelligent qui a lu les journaux au cours des 16 dernières années sait que c'est impossible.
L'agent de la Garda qui a esté en justice contre lui l'a prévenu qu'il ne pouvait être protégé ni dans
le Nord ni dans le Sud, et qu'il lui fallait vivre ailleurs (dossier, vol. 1, à la page 22—voir aussi vol. 2, à la page 159):
[TRADUCTION] Q. Comment avez-vous obtenu votre passe- port?
R. Je l'ai obtenu par l'entremise par l'agent chargé de présenter les cas pour la police, c'est l'agent qui s'occu- pait directement de l'affaire, Kevin Carty.
Q. Et comment savez-vous qu'il a obtenu le passeport pour vous?
R. Parce qu'il avait arrangé l'affaire. Il est venu un jour à la prison avant ma libération, le 16 décembre '85, il a pris les mesures pour les photographies; il s'est rendu au bureau des passeports et m'a obtenu un passeport de l'Eire, et il m'a conseillé de ne pas demeurer en Irlande, parce qu'ils ont évidemment leurs propres services de renseignements; les informations qu'on leur passe vou- laient que je sois—qu'il m'arriverait malheur après avoir quitté la prison, vous savez.
La Commission a accueilli ce témoignage et elle a conclu que la complicité de l'État n'était pas essentielle pour qu'il y ait persécution. Il suffisait à la Commission que l'État soit de fait incapable d'assurer une protection.
La Commission a prétendu faire une distinction entre les propos du juge Stone dans l'arrêt Raju- deen et ce que j'ai écrit dans l'arrêt Surujpal. De fait, ces deux affaires faisaient état de situations plutôt différentes de celles en l'espèce car dans l'un et l'autre cas, la police était indifférente à la persécution contre les demandeurs de statut; la seule distinction entre les deux affaires tenait à ce que l'on avait demandé l'aide de la police dans l'affaire Surujpal. mon avis, les remarques inci- dentes dans ces affaires devraient s'interpréter selon la situation de fait qui leur est propre.
En l'espèce, il est reconnu que les gouverne- ments britanniques et irlandais étaient bien dispo- sés, et la question de fait sur laquelle s'est penchée la Commission consistait à savoir s'ils étaient capables de protéger l'intimé.
La pierre de touche du sens du mot persécution est, naturellement, la définition de réfugié au sens de la Convention au paragraphe 2(1) de la Loi:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention» désigne toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ...
a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ..
Ces mots n'impliquent pas nécessairement la com- plicité de l'État. Il suffit que le demandeur de statut «ne veu[ille] se réclamer de la protection» de son pays «craignant avec raison d'être persécuté». Naturellement, la raison fréquente pour laquelle le demandeur de statut ne veut pas se réclamer de la protection de son pays, c'est qu'il est persécuté par son gouvernement.
Le requérant soutient que seules deux situations se prêtent à l'interprétation de l'alinéa a): l'incapa- cité du demandeur de prendre contact avec son gouvernement en raison par exemple de l'endroit il se trouve, et son incapacité à obtenir satisfac tion de son gouvernement. On a dit que la pre- mière de ces situations illustrait les mots ne peut, et que la seconde illustrait les mots ne veut. Consé- quemment, comme aucune catégorie n'est applica ble au demandeur de statut en l'espèce, il n'est pas visé par la définition en cause.
Il me semble que le requérant a probablement raison quand il dit que les mots ne peut signifient littéralement est incapable, c'est-à-dire incapable même de prendre contact. Mais je ne puis voir aucun motif de restreindre le sens de l'expression ne veut à une seule interprétation. Il peut exister plusieurs raisons pour lesquelles un demandeur de statut ne veut pas se réclamer de la protection de son pays. Le fait que l'alinéa ne contient que deux dispositions n'est pas une raison suffisante pour affirmer qu'il n'existe que deux significations pos sibles, une pour chaque disposition. A mon sens, la conclusion logique est qu'il y a au moins deux significations, sans qu'il faille nécessairement se limiter à ce chiffre. La première disposition peut donner lieu à une seule interprétation, alors que la seconde peut en recevoir plusieurs. Le libellé ne justifie pas une forte dichotomie, pas plus qu'il ne permet de voir dans la seconde disposition la nécessité de la complicité de l'État.
Le requérant a en outre fait valoir que les mots «du fait de cette crainte» se rattachent clairement à l'expression «craignant avec raison d'être persé- cuté» que l'on trouve plus haut. Je suis d'accord avec lui. Mais cela me semble être une pétition de principe que de dire que la crainte bien-fondée d'être persécuté doit provenir de l'État ou tout au moins impliquer sa complicité. C'est la question, et je ne trouve pas que les mots s'expliquent d'eux-mêmes.
L'interprétation donnée par la Commission à la définition trouve un appui dans le Guide des pro- cédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève 1979. Voici ce que dit le Guide au sujet des mots «ne peut» et «ne veut» (aux pages 24 et 25):
98. Lorsqu'il ne peut se réclamer de cette protection, cela tient à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il peut y avoir, par exemple, un état de guerre, une guerre civile ou d'autres troubles graves qui empêchent le pays dont l'intéressé a la nationalité de lui accorder sa protection ou qui rendent cette protection inefficace. La protection du pays dont l'intéressé a la nationalité peut également lui avoir été refusée. Ce refus de protection peut confirmer ou accroître la crainte qu'a l'intéressé d'être persécuté et peut même constituer en soi un élément de persécution.
100. Les mots «ne veut» s'appliquent au réfugié qui refuse d'accepter la protection du gouvernement du pays dont il a la nationalité. Ils sont explicités par les mots «du fait de cette crainte». Lorsqu'une personne accepte de se réclamer de la protection de son pays, cette acceptation est normalement incompatible avec le fait de se trouver hors de son pays par crainte d'être persécuté. Chaque fois qu'il est admis à bénéfi- cier de la protection du pays dont il a la nationalité, et qu'il n'a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l'intéressé n'a pas besoin de la protection internatio- nale et n'est pas un réfugié.
Le commentaire sur l'expression «ne veut» est trop vague pour trancher son sens, mais de fait le Guide a directement traité de la question lorsqu'il s'est penché sur le sujet des "agents de persécution" (aux pages 17 et 18):
65. On entend normalement par persécution une action qui est le fait des autorités d'un pays. Cette action peut également être le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays. A titre d'exemple, on peut citer l'intolérance religieuse, allant jusqu'à la persécution, dans un pays par ailleurs laïc mais d'importantes fractions de la population ne respectent pas les convictions religieuses d'autrui. Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être considérés comme des persécutions s'ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d'offrir une protection efficace. [C'est moi qui souligne.]
La Commission a cité ce passage ((1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, aux pages 58 et 59).
Bref, j'estime que compte tenu (1) du libellé de la loi, (2) de l'absence de décisions canadiennes décisives faisant jurisprudence, et (3) du poids des sources doctrinales internationales, l'interprétation
donnée par la Commission à la définition de la loi est celle qui est préférable. Sans aucun doute cette interprétation rendra-t-elle admissibles à entrer au Canada les demandeurs de statut venant de pays déchirés par les conflits, dont les problèmes procè- dent non pas de leur gouvernement nominal, mais de diverses factions ennemies, mais je ne puis croire que cela soit contraire aux «obligations léga- les du Canada sur le plan international et ... [à] sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées».
Le requérant a aussi soutenu qu'il était néces- saire d'exclure ceux qui avaient eux-mêmes été complices des actes du groupe qui sont maintenant considérés comme les persécuteurs. Dans la mesure il n'a pas encore été traité de ce point, je me contenterai de dire qu'au mieux il soulève une question de fait que la Commission doit déci- der. Il peut fort bien y avoir des demandeurs de statut qui ne peuvent prétendre être persécutés parce qu'ils sont eux-mêmes réputés être les persé- cuteurs. C'est de fait une autre défense qui s'offre au gouvernement, et à mon sens c'est le genre de considération sur laquelle on devrait lais- ser la Commission se prononcer en fonction des faits.
Je dois donc conclure que la seconde objection du requérant n'est pas fondée.
Ce que j'ai catégorisé comme étant la troisième objection à la décision de la Commission est, de fait, un ensemble de plusieurs points.
Tout d'abord, on soutient que la Commission a pris une conclusion de fait erronée contraire à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'elle a affirmé qu'«aucune preuve n'a été produite devant la Commission pour établir que le demandeur est également un citoyen du Royaume- Uni» (dossier, vol. 4, à la page 446). L'intimé a tenté de justifier sa prétention en soutenant que ce que la Commission voulait réellement dire, c'est que l'intimé n'avait pas un droit non équivoque de vivre n'importe au Royaume-Uni. C'est peut- être en effet ce que voulait dire la Commission, mais j'estime qu'elle a commis une erreur en disant qu'il n'y avait «aucune preuve» que l'intimé était citoyen du Royaume-Uni. La preuve était peut-être ambiguë, mais elle n'en existait pas moins (voir par exemple le dossier, vol. 2, à la page 166).
Comprise correctement, je crois que l'ambiguité de la preuve avait trait à un accessoire normal de la citoyenneté, c'est-à-dire le droit d'entrer n'im- porte quand dans le pays dont on est citoyen. On a présenté des éléments de_ preuve voulant qu'une loi britannique intitulée Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1974, qui remonte au milieu des années soixante-dix, ait habilité le gou- vernement britannique à refuser d'admettre en Grande-Bretagne (c'est-à-dire le Royaume-Uni sans l'Irlande du Nord) ou à en expulser tout citoyen qui, de l'avis subjectif de ce gouvernement, trempait dans des activités illégales en Irlande du Nord. Aucun de ces éléments de preuve n'a été produit par des témoins experts, mais on les a présentés tant et plus (voir par exemple le dossier,
vol. 2, aux pages 166 168, 203 et 205), et la Commission s'est appuyée sur eux dans sa décision (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, la page 54.
La Commission aurait fort bien pu considérer (mais elle ne l'a pas fait) que cette restriction apparente apportée à la citoyenneté par la loi britannique dénotait par elle-même un manque de protection équivalant à la persécution («ne peut .. . se réclamer de la protection de ce pays»). Le Guide précité appuierait un tel point de vue la page 24):
99. Ce qu'il faut entendre par refus de protection doit être déterminé selon les circonstances de l'affaire. S'il apparaît que l'intéressé s'est vu refuser le bénéfice de certains droits ou prestations (par exemple la délivrance d'un passeport national ou la prorogation de ce passeport ou l'admission sur le territoire national) qui sont normalement accordés à ses compatriotes, cela peut constituer un refus de protection au sens de la définition. [C'est moi qui souligne.]
Toutefois, étant donné sa conclusion que les seuls pays dont le demandeur de statut a la nationalité sont l'Irlande et l'Irlande du Nord, la Commission n'a répondu qu'à la question de savoir si l'intimé craignait avec raison d'être persécuté dans ces endroits et non sur le territoire métropolitain de la Grande-Bretagne.
L'intimé a soutenu que la crainte d'être persé- cuté n'a pas nécessairement à s'étendre à l'ensem- ble du territoire du pays dont le demandeur de statut a la nationalité. Cette prétention trouve un appui dans une citation du Guide (précité, à la page 23):
91. La crainte d'être persécuté ne doit pas nécessairement s'étendre à l'ensemble du territoire du pays dont l'intéressé a la nationalité. En cas de conflit entre des ethnies ou en cas de
troubles graves équivalant à une situation de guerre civile, les persécutions dirigées contre un groupe ethnique ou national particulier peuvent être limitées à une partie du pays. En pareil cas, une personne ne se verra pas refuser le statut de réfugié pour la seule raison qu'elle aurait pu chercher un refuge dans une autre partie du même pays si, compte tenu de toutes les circonstances, on ne pouvait raisonnablement attendre d'elle qu'elle agisse ainsi.
Cependant, le critère établi par le Guide consiste à savoir si «compte tenu de toutes les circonstances, on ne pouvait raisonnablement attendre d'elle qu'elle agisse ainsi». Étant donné la nécessité de porter un jugement dans les circonstances, le défaut d'un tel jugement de la part de la Commis sion parce qu'elle n'a pas traité de toute la ques tion ne peut à mon sens aider l'intimé. J'estime que le requérant a eu raison de dire que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de considérer si l'intimé avait établi qu'il ne pouvait se réclamer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationalité.
Le requérant a appuyé ses dires en renvoyant à une disposition de la Convention de 1951, relative au statut des réfugiés et à un extrait du Guide libellé comme suit (précité, aux pages 25 et 26):
7) Nationalité double ou multiple
La section A 2°, deuxième alinéa, de l'article premier de la convention de 1951 prévoit ce qui suit:
«Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protec tion de l'un des pays dont elle a la nationalité.»
106. Cette disposition, qui n'appelle pas d'explications particu- lières, a pour but d'exclure du statut de réfugié toutes les personnes ayant plusieurs nationalités qui peuvent se réclamer de la protection d'au moins un des pays dont elles ont la nationalité. Chaque fois qu'elle peut être réclamée, la protec tion nationale l'emporte sur la protection internationale.
Bien que cette partie de la Convention de 1951 n'ait pas été incorporée au droit canadien, je suis néanmoins disposé à dire que la définition de réfugié au sens de la Convention au paragraphe 2(1) de la Loi signifie clairement qu'un deman- deur de statut doit ne pouvoir ni vouloir se récla- mer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationalité. À l'appui de cette prétention, il suffit de se référer au paragraphe 33(2) de la Loi d'in- terprétation: «le singulier s'applique [...], le cas
échéant, ... à la pluralité». J'estime que la ques tion n'est pas de savoir si la Commission a commis une erreur, car elle l'a fait, mais plutôt de détermi- ner si cette erreur était importante.
L'intimé a soutenu que la conclusion qu'il avait la nationalité du Royaume-Uni et de l'Irlande n'aurait pas modifié la décision de la Commission quant au statut de réfugié au sens de la Conven tion. Il est vrai que la preuve est à peu près égale en ce qui concerne le danger auquel il serait exposé aussi bien en Grande-Bretagne que dans les deux parties de l'Irlande: dossier, vol. 1, à la page 22; vol. 2, aux pages 162, 166 168, 186, 203, 205 et 214; vol. 3, aux pages 272, 274, 302 304. S'en- suit-il par conséquent que l'on doit présumer que la Commission a pris la même décision au sujet de la persécution de l'intimé en Grande-Bretagne que celle qu'elle a prise à l'égard des deux parties de l'Irlande?
Malheureusement, la Commission a commis également une autre erreur quand elle a déclaré que le requérant «n'a pas établi le droit du deman- deur de vivre en Grande-Bretagne, ni son droit à la citoyenneté au Royaume-Uni» (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, la page 54. Cette charge n'incombe pas au requérant puisque selon le paragraphe 8(1) de la Loi, il appartient au demandeur de statut de prouver qu'il a le droit d'entrer au Canada. Bien que cette erreur ait trait expressément à la Grande-Bretagne, et pourrait donc être considérée comme aggravant simplement l'erreur antérieure de la Commission, les erreurs qui portent sur la charge de la preuve sont particulièrement trou- blantes et ne sauraient passer inaperçues au cours d'une révision.
La conclusion qu'un État stable, démocratique et respectueux des lois est incapable de protéger ses citoyens contre les éléments criminels ou sub- versifs ne saurait être prise à la légère, et on doit y parvenir qu'en attribuant correctement le fardeau de la preuve.
J'estime donc nécessaire que la question de savoir si l'intimé peut se réclamer de la protection du Royaume-Uni doit être renvoyée à la Commis sion pour qu'elle statue à cet égard.
En conséquence, la demande fondée sur l'article 28 doit être accueillie, la décision de la Commission
d'appel de l'Immigration en date du 2 décembre 1988 doit être annulée, et l'affaire doit être retour- née à la Commission pour qu'elle décide si l'intimé ne peut ou, craignant avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, ne veut se réclamer de la protection du Royaume- Uni.
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