Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-63-89
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe- lant)
c.
Surinder Kaur Narwal (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IM- MIGRATION) c. NARWAL (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Stone et MacGui- gan, J.C.A.—Vancouver, 2 et 6 avril 1990.
Immigration Demande de droit d'établissement Demande parrainée par l'épouse Mise en question de la validité du mariage Choix du droit applicable Validité du mariage régie par le droit du domicile conjugal projeté.
Conflit de lois Choix du droit applicable Immigration Demande de droit d'établissement parrainée L'intimée divorce, puis épouse le frère de son ex-époux La Commis sion a commis une erreur en concluant que la validité du mariage était régie par le droit de l'Inde Capacité de contracter mariage régie par le droit du lieu les parties entendent établir leur domicile conjugal.
L'intimée, qui a obtenu le droit d'établissement et est native de l'Inde, après avoir divorcé d'avec son mari a épousé au cours d'une cérémonie civile célébrée en Angleterre le frère de son ex-mari, qui était citoyen indien. Elle a alors parrainé la demande d'établissement de son nouveau mari. Au cours d'une entrevue avec un agent d'immigration, son mari a nié que son frère ait eu le moindre lien avec l'intimée. L'agent d'immigra- tion a rejeté la demande d'établissement. La Commission a accueilli l'appel interjeté contre cette décision. Elle a conclu que le mariage était valide selon le droit indien, qu'il n'avait pas été contracté dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie de la famille et que le fait que l'époux ait nié l'existence du moindre lien entre l'intimée et son frère constituait la présentation erronée d'un fait important justifiant la décision de l'agent d'immigration de rejeter la demande. La Commission a toutefois accueilli l'appel pour des considérations humanitaires en vertu de l'alinéa 79(2)b) de la Loi.
Il s'agit d'un appel contre la décision de la Commission au motif qu'elle aurait commis une erreur en concluant à la validité du mariage selon le droit indien. Si le mariage n'était pas valide, l'époux de l'intimée n'était pas une personne appar- tenant à la catégorie de la famille de sorte que la Commission n'avait pas la compétence nécessaire pour octroyer une mesure spéciale pour des considérations humanitaires.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Bien que le résultat soit le même, la Commission a commis une erreur en décidant que la validité réelle du mariage devait être établie selon le droit de l'Inde plutôt que selon le droit canadien applicable, lequel ne contient aucun obstacle au mariage de l'intimée avec le frère de son ex-époux. La thèse selon laquelle la capacité en cause est régie par le droit du lieu les deux parties entendent établir leur domicile conjugal, thèse adoptée par Cheshire dans Private International Law,
devrait être adoptée. En l'espèce, il existait suffisamment de preuves pour justifier la conclusion que le couple entendait établir sa résidence permanente au Canada. L'époux de l'inti- mée était par conséquent une personne appartenant à la catégo- rie de la famille et la Commission était donc investie de la compétence nécessaire pour octroyer une mesure spéciale con- formément au paragraphe 79(2) de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Hindu Marriage Act, 1955, 1955, Loi 25 (Inde), art. 5(iv).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 9(3), 79(1),(2) (mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 6).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(1)a) (mod. par DORS/84-140, art. 1), (3) (édicté idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Feiner v. Demkowicz (erronément intitulée Feiner) (1973), 2 O.R. (2d) 121; 42 D.L.R. (3d) 165; 14 R.F.L. 27 (H.C.); Gill, Ravinder Kaur c. M.E.I., C.A.I. 82-6270, 6-5-86.
DÉCISION CITÉE:
Kenward v. Kenward, [1951] P. 124 (C.A.). DOCTRINE
Cheshire G. C. Private International Law, 9e éd. London: Butterworths, 1974.
AVOCATS:
Esta Resnick pour l'appelant. Ujjal Dosanjh pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Dosanjh & Company, Vancouver, pour l'intimée.
Voici la version française des motifs du juge- ment de la Cour prononcés à l'audience par
LE JUGE STONE, J.C.A.: L'intimée a obtenu le droit d'établissement au Canada en 1983 en qua- lité de fiancée de Jagpal Singh Narwal. Ils se sont épousés au mois de septembre de la même année. Le couple s'est séparé un an plus tard et ils ont divorcé le 1 °r avril 1986. Le mari a rompu ses liens avec son père qui résidait au Canada, tout comme sa mère.
Les parents du mari ont accueilli l'intimée dans leur foyer et, plus tard, elle a fait part au père de son désir de se remarier. On lui a montré une photo du frère de son ex-mari, Sukhwantjit Singh Narwal, qui était domicilié en Inde. Peu après, l'intimée a accepté d'épouser le frère de son ancien époux et elle s'est rendue à Londres (Angleterre) le mari qui lui était destiné se trouvait en visite. Ils se sont épousés au cours d'une cérémonie civile le 18 août 1986 et ils ont vécu ensemble en Angle- terre jusqu'au 9 septembre de la même année. Au cours de cette période a été conçu un enfant, au Canada en mai 1987. Le mari est retourné en Inde deux mois après le mariage, il a déposé le 29 décembre 1986 une demande de résidence perma- nente au Canada. L'intimée a parrainé la demande de son mari. Au cours d'une entrevue avec l'agent d'immigration relativement à sa demande, Sukh- wantjit Singh Narwal a nié que son frère Jagpal ait eu le moindre lien avec l'intimée. Dans l'inter- valle, l'intimée a entretenu une correspondance suivie avec Sukhwantjit Singh Narwal et, entre avril et juillet 1988, elle lui a rendu visite en Inde d'où elle est revenue afin d'être présente lors de son appel devant la Commission.
La Commission s'est penchée sur trois questions avant de finalement se prononcer en faveur de l'intimée conformément au paragraphe 79(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52 (mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 6)]. Elle a décidé à la majorité que la validité du mariage était régie par le droit de l'Inde et que, étant donné que la preuve de l'existence dans ce pays d'une coutume permettant à une femme d'épouser le frère de son ex-époux était au moins égale dans un sens comme dans l'autre, la coutume devait être considérée comme établie parce que l'appelant n'avait pas su se décharger de son obli gation de prouver qu'elle n'existait pas. Deuxième- ment, la Commission a conclu que Sukhwantjit Singh Narwal n'avait pas contracté mariage prin- cipalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de personne appartenant à la caté- gorie de la famille, mais plutôt que [TRADUCTION] «l'appelante a contracté mariage avec l'intention
de vivre en permanence avec le demandeur»'. Finalement, la Commission a tiré la conclusion de fait que Sukhwantjit Singh Narwal avait effective- ment nié que son frère Jagpal avait eu le moindre lien avec l'intimée (en dépit de leur mariage anté- rieur) et elle a conclu que cette dénégation consti- tuait la présentation erronée d'un fait important pertinent à l'issue de sa demande de résidence permanente et qu'elle avait incité l'agent d'immi- gration à ne pas pousser son enquête plus loin 2 . La Commission a par conséquent statué que Sukh- wantjit Singh Narwal ne pouvait pas être admis au Canada. La Commission a toutefois estimé qu'il existait suffisamment de considérations humanitai- res ou de compassion, en vertu de l'alinéa 79(2)b) de la Loi, pour justifier l'octroi d'une mesure spéciale, et elle a rendu une ordonnance par laquelle elle accueillait l'appel sur ce fondement, rendant ainsi possible l'admission au Canada de Sukhwantjit Singh Narwal.
L'appelant conteste cette décision au motif que la Commission a commis une erreur en concluant à l'existence d'un mariage valide selon le droit de l'Inde et, deuxièmement, cause de cette erreur) que Sukhwantjit Singh Narwal aurait être con- sidéré comme n'étant pas une «personne apparte- nant à la catégorie de la famille» de sorte que la Commission n'avait pas la compétence nécessaire pour octroyer une mesure spéciale en application du paragraphe 79(2) de la Loi. Le pouvoir d'oc- troyer une telle mesure dépend de l'existence du rejet d'une demande de droit d'établissement con
' Motifs, dossier d'appel, vol. 2 à la p. 133. Le droit conféré par l'alinéa 4(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par DORS/84-140, art. 1)] en vertu duquel certains citoyens canadiens et résidents permanents peuvent parrainer la demande de droit d'établissement de leur conjoint se trouve assorti de la réserve exposée au paragraphe 4(3) [édicté, idem]:
4....
(3) L'alinéa (1)a) ne s'applique pas au conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie de la famille et non avec l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.
2 Le paragraphe 9(3) de la Loi prévoit ce qui suit:
9....
(3) Toute personne doit répondre sincèrement aux ques tions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'il réclame pour établir que son admission ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements.
formément au paragraphe 79(1) lequel, selon ses termes, vise une demande parrainée «présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille» 3 . Conséquemment, si nous devions statuer que la Commission a commis une erreur en con- cluant à l'existence d'un mariage valide, il s'ensui- vrait qu'elle n'était donc pas habilitée à octroyer une mesure spéciale en application du paragraphe 79(2) à moins que nous ne décidions que le mariage en cause est valide pour un motif rejeté par la Commission.
Mon appréciation de cette affaire me dispense de décider si la Commission a commis une erreur en concluant que l'appelant ne s'est pas déchargé de l'obligation de prouver que le mariage célébré le 18 août 1986 était invalide au motif que le droit de l'Inde ne comprenait aucune coutume permettant à l'intimée de contracter un mariage valide avec le frère de son ex-époux. Comme l'a souligné la Commission, selon le droit indien, un mariage peut être célébré entre deux Hindous pourvu que, notamment, les parties n'aient pas entre elles des «liens de parenté prohibés», et le mariage peut même être contracté dans de telles circonstances si la coutume et l'usage régissant chacune des parties le permet 4 . Il est clair aussi que selon le droit indien, le mariage antérieur de l'intimée créait entre elle et Sukhwantjit Singh Narwal des «liens de parenté prohibés».
J'estime que la Commission a commis une erreur en décidant que la validité réelle du mariage devait être établie selon le droit de l'Inde plutôt que selon le droit canadien applicable lequel, les deux parties ont semblé le reconnaître, ne contient aucun obstacle au mariage des intéressés. Le point de vue traditionnel veut que le droit applicable à la capacité de contracter mariage soit celui du domi cile des deux parties au moment du mariage. Cependant, l'intimée a incité la Commission à adopter une autre thèse, à savoir que la capacité en cause est régie par le droit du lieu les deux parties entendent établir leur domicile matrimo nial, thèse adoptée par Cheshire, dans Private
3 Le paragraphe 79(1) dit en partie:
79. (1) Un agent d'immigration ou un agent des visas peut rejeter une demande parrainée de droit d'établissement présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille ...
4 Alinéa 5(iv) de la Hindu Marriage Act, 1955 [1955, Loi 25 (Inde)].
International Law, 9 6 éd., aux pages 335 et 336, et dont a discuté la Haute Cour de justice de l'Onta- rio dans l'arrêt Feiner v. Demkowicz (erronément
intitulée Feiner) (1973), 2 O.R. (2d) 121, la page 126 dans lequel le juge Van Camp a dit:
[TRADUCTION] Selon cette thèse, la présomption fondamen- tale selon laquelle la capacité de contracter mariage est régie par le droit du domicile prénuptial des parties est réfutée si l'on peut inférer que les parties, au moment de leur mariage, entendaient établir leur domicile dans un certain pays et qu'el- les l'ont de fait établi dans une période raisonnable.
La Commission a effectivement appliqué elle- même cette thèse dans l'affaire Gill, Ravinder Kaur c. M.E.I. (C.A.I. 82-6270), 1°' mai 1986, et, puis-je ajouter, lord Denning semble l'avoir adop- tée dans l'arrêt Kenward v. Kenward, [1951] P. 124 (C.A.), aux pages 143 146.
Bien que la Commission ait en l'espèce effective- ment considéré l'approche adoptée dans l'arrêt Feiner comme étant [TRADUCTION] «éminemment raisonnable et équitable pour tous les intéressés» 5 , elle a néanmoins conclu qu'elle ne s'appliquait pas en l'espèce. Elle a déclaré ce qui suit à la page 9 6 de sa décision:
[TRADUCTION] La Commission conclut sans hésiter que le couple a toujours eu l'intention mutuelle à compter de son mariage d'établir son domicile au Canada. Malheureusement, bien que l'appelante soit établie ici, il n'en est pas de même du demandeur. Sa demande de résidence permanente a été rejetée. Il n'a aucun droit de venir au Canada. Il n'est jamais venu au Canada. Par conséquent, la Commission est disposée à conclure que le droit des domiciles prénuptiaux des parties doit s'appli- quer en l'espèce au mariage. Les faits de l'espèce se distinguent de ceux en cause dans l'affaire Gill. Dans cette affaire, le couple avait manifesté plus que l'intention d'établir sa résidence permanente au Canada. Le demandeur principal avait obtenu un permis de travail des autorités de l'Immigration et avait trouvé un emploi ici. Deux enfants étaient issus du mariage, nés tous deux au Canada. Leur père avait quitté le Canada après avoir été avisé de faire une demande dans son pays. Son épouse lui avait aussi rendu visite en Inde. Par conséquent, la Commis sion dans l'arrêt Gill avait pu appliquer la doctrine du domicile conjugal projeté pour en arriver à la conclusion que le Canada était le domicile du couple.
En toute déférence, je trouve ce raisonnement peu convaincant et même quelque peu rigide en ce sens qu'il semble ne pas faire de cas de l'esprit de la thèse du domicile conjugal projeté. Il est vrai que Sukhwantjit Singh Narval n'est pas établi au Canada. D'autre part, comme l'a conclu la majo- rité, lui et l'intimée [TRADUCTION] «ont toujours
5 Motifs, dossier d'appel, vol. 2, à la p. 127.
6 Dossier d'appel, vol. 2, à la p. 128.
eu tous deux, depuis leur mariage, l'intention de s'établir au Canada». Ce n'était pas là, à mon sens, une intention qui n'avait aucune chance de se réaliser. Comme son épouse était déjà résidente du Canada, il existait, je pense, la possibilité raisonna- ble à l'époque du mariage de Sukhawantjit Singh Narwal que ce dernier puisse obtenir le droit de s'établir ici dans un délai raisonnable et partant, qu'il puisse établir avec l'intimée un foyer pour eux et leur enfant au Canada. En outre, comme il est dit plus haut, le dossier montre clairement que le couple s'est employé à réaliser son intention d'établir son foyer dans notre pays. L'intimée est revenue immédiatement au Canada, elle a donné naissance à leur enfant. Après un bref délai, Sukhwantjit Singh Narwal est retourné en Inde il a déposé une demande de résidence permanente au Canada, croyant qu'il lui fallait faire cette démarche dans son pays. L'intimée a parrainé cette demande. J'estime que ces éléments de preuve satisfont à l'élément objectif de la thèse résumée dans l'arrêt Feiner. Si le couple n'a pas encore établi son foyer ici, ce n'est pas par absence d'intérêt ou d'efforts de sa part, mais plutôt parce qu'il n'est pas parvenu à convaincre les autorités canadiennes que la demande concernée méritait d'être accueillie. Je suis donc convaincu qu'il y a respect de l'esprit de la thèse du domicile , conjugal projeté et, conséquemment, que le mariage célébré le 18 août 1986 est valide selon cette théorie. Cette conclusion ne fait que donner une extension logi- que à la décision de la Commission elle-même dans l'affaire Gill.
Bien que la Commission ait conclu à la validité du mariage de l'intimée, elle est parvenue à cette décision par un cheminement différent. Cepen- dant, vu la conclusion que j'ai tirée, Sukhwantjit Singh Narwal était «une personne appartenant à la catégorie de la famille» et, conséquemment, la Commission était investie de la compétence néces- saire pour octroyer une mesure spéciale conformé- ment au paragraphe 79(2) de la Loi. Par consé- quent, je rejetterais cet appel.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.