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T-48-89
Citrus Growers Association Ltd. et Jamaica Export Trading Company Limited (requérantes)
c.
William D. Branson Limited (intimée)
RÉPERTORIÉ: CITRUS GROWERS ASSN. LTD. C. WILLIAM D. BRANSON LTD. (1" INST.)
Section de première instance, juge Rouleau— Toronto, 23 octobre 1989; Ottawa, 9 janvier, 1990.
Marques de commerce Radiation L'importateur-man- dataire n'a pas le droit d'enregistrer une marque de commerce appartenant au mandant étranger sous son propre nom et à son propre avantage Obligation de l'importateur-mandataire d'enregistrer la marque au nom du mandant étranger «L'emploi» de la marque par le mandataire est un «emploi» par le mandant étranger La violation des obligations fidu- ciaires de l'importateur-mandataire envers son mandant étranger constitue un moyen de contestation légitime Absence de compétence de la Cour pour substituer un proprié- taire inscrit à un autre Le délai de prescription de .5 ans de l'art. 17(2) de la Loi ne s'applique pas parce que la marque a été «employée» par le propriétaire par l'intermédiaire du mandataire.
La requérante, Citrus Growers Association Limited (CGA), est une société jamaïquaine formée notamment de fermiers et d'arboriculteurs en Jamaïque. Jamaica Export Trading Com pany (Jetco) est une société d'exportation jamaïquaine qui agit comme mandataire de CGA. L'intimée, Branson, est une société d'importation canadienne. L'«Ortanique» est un fruit développé en Jamaïque dans les années 20 et provient de la combinaison de l'orange et de la tangerine. C'est également une marque de commerce dont CGA est la propriétaire inscrite dans plusieurs pays. De 1978 à 1981, Branson importait des Ortaniques par l'intermédiaire de Jetco. À partir de cette date, Branson a continué à importer des Ortaniques directement de divers producteurs Jamaïquains. Sans le consentement et à l'insu des requérantes, Branson a obtenu l'enregistrement de la marque «Ortanique» au Canada en mars 1980.
Il s'agit d'une demande présentée par CGA et Jetco contre Branson en vue d'obtenir une ordonnance biffant l'enregistre- ment de la marque de commerce «Ortanique» de l'intimée parce que Branson était tenue légalement, en tant que mandataire et fiduciaire, à n'enregistrer la marque qu'au nom de CGA, le véritable propriétaire de la marque et le seul à pouvoir l'enre- gistrer. Elles demandent en outre qu'une modification soit apportée au registre pour que CGA figure comme propriétaire inscrit de la marque de commerce.
Jugement: la demande devrait être accueillie en partie.
Le deuxième redressement demandé ne pouvait être accordé. Il existe un principe bien établi en droit des marques de commerce que cette Cour n'a pas compétence pour substituer un propriétaire inscrit à un autre. Quels que puissent être les droits respectifs des parties, une partie qui demande l'enregis- trement d'une marque de commerce doit se conformer à l'en- semble de la Loi en respectant les procédures appropriées à l'enregistrement d'une marque de commerce.
La jurisprudence sur l'article 57 indique clairement qu'un importateur ou mandataire n'a pas le droit d'enregistrer une marque de commerce appartenant au mandant étranger sous son propre nom et à son propre avantage. L'importateur doit toujours agir à l'égard de la marque à l'avantage du fournisseur et propriétaire étranger de la marque. Compte tenu de la formulation de l'article 57, la violation des obligations fiduciai- res d'un importateur-mandataire envers son mandant étranger constitue un moyen de contestation légitime et le requérant peut avoir gain de cause en invoquant ce seul moyen.
L'emploi au Canada par un grossiste ou un distributeur de marchandises portant la marque du propriétaire de la marque de commerce étrangère constitue un emploi par le propriétaire étranger et non par l'importateur canadien. Par conséquent, il n'y a eu aucun emploi au Canada par l'intimée et elle n'a pas droit à l'enregistrement de la marque de commerce.
L'absence d'un contrat écrit de distribution exclusive ne modifie pas le fait que Branson agissait pour le compte de CGA par l'intermédiaire de Jetco en important les marchandises visées par la marque de commerce. Branson était donc un mandataire-importateur qui avait finalement une obligation de diligence de nature fiduciaire envers son mandant. Cette obli gation a été violée par l'enregistrement de la marque de commerce.
Même si CGA n'a pas vendu d'Ortaniques au Canada après 1981, l'intimée ne pouvait prétendre que la marque avait été abandonnée parce qu'à la date de la demande d'enregistrement présentée par l'intimée, la date pertinente aux fins de la procé- dure en radiation en vertu de l'article 17 de la Loi, la marque était employée régulièrement au Canada.
Branson ne pouvait invoquer non plus le délai de prescription de 5 ans prévu par le paragraphe 17(2) de la Loi parce que l'intimée a employé la marque pour le compte du véritable propriétaire, sans avoir obtenu son consentement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13, art. 4, 16, 17, 18(1), 57.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Friendly Ice Cream Corp. c. Friendly Ice Cream Shops Ltd., [1972] C.F. 712; (1972), 7 C.P.R. (2d) 35 (lrc inst.); Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Ltée, [1986] 1 C.F. 357; (1984), 5 C.I.P.R. 10; 1 C.P.R. (3d) 214 (1' inst.); Labatt (John) Ltd. c. Carling Brewe ries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15 (C.F. inst.); Lin Trading Co. v. CBM Kabushiki Kaisha, [1989] 1 C.F. 620; (1988), 20 C.I.P.R. 1; 25 F.T.R. 80 (C.A.); Wilhelm Layler GmbH c. Anthes Industries Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 187; 1 F.T.R. 82 (C.F. l" inst.); Waxoyl AG c. Waxoyl Can. Ltd. (1984), 4 C.I.P.R. 127; 3 C.P.R. (3d) 105 (C.F. 1fB inst.); Argenti Inc. c. Exode Importations Inc. (1984), 8 C.P.R. (3d) 174 (C.F. 1' inst.); Manhat- tan Industries Inc. c. Princeton Manufacturing Ltd. (1971), 4 C.P.R. (2d) 6 (C.F. inst.); Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (No. I) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.).
DOCTRINE
Fox, Harold G. Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd., Toronto: The Carswell Company Limited, 1972.
AVOCATS:
Robert A. Spence pour les requérantes. Kenneth E. Jull pour l'intimée.
PROCUREURS:
Aird & Berlis, Toronto, pour les requérantes. Beard, Winter, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU: Il s'agit d'une demande présentée par Citrus Growers Association Ltd. («CGA Ltd.») et Jamaica Export Trading Com pany Limited («Jetco») contre William D. Branson Limited («Branson») en vue d'obtenir une ordon- nance biffant l'enregistrement de la marque de commerce «Ortanique» de l'intimée parce que,l'ins- cription dans le registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits de Branson à la date de la demande ou à la date l'enregistrement de la marque de commerce a été accordée (Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13, article 57); elles demandent en outre qu'une modi fication soit apportée au registre pour que CGA Ltd. figure comme propriétaire inscrit de la marque de commerce.
Quant au deuxième redressement demandé, il existe un principe bien établi en droit des marques de commerce que cette Cour n'a pas compétence pour substituer un propriétaire inscrit à un autre. Quelle que puisse être la conclusion de cette Cour quant aux droits respectifs des parties qui compa- raissent devant elle, une partie qui demande l'enre- gistrement d'une marque de commerce doit se conformer à tout le régime de la Loi, en respectant les procédures appropriées à l'enregistrement d'une marque de commerce (Friendly Ice Cream Corp. c. Friendly Ice Cream Shops Ltd., [1972] C.F. 712; (1972), 7 C.P.R. (2d) 35 (i re inst.); Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Ltée, [1986] 1 C.F. 357; (1984), 5 C.I.P.R. 10; 1 C.P.R. (3d) 214 (1r° inst.). Par conséquent, quelle que soit la partie qui, à mon avis, peut avoir droit à la marque de commerce en litige, je ne peux substi- tuer celle que j'estime être la véritable propriétaire de la marque à celle qui est inscrite.
Les faits peuvent être brièvement résumés comme suit: CGA Ltd. est une société jamaïquaine formée notamment de fermiers et d'arboriculteurs en Jamaïque. Jetco est une société d'exportation jamaïquaine qui agit comme mandataire de CGA Ltd. L'intimée Branson est une société d'importa- tion canadienne. À l'audition de cette demande, on a souligné que CGA Ltd. n'existe plus dans les faits. Cependant, on n'a pas contesté sa qualité pour agir en l'instance.
L'«Ortanique» est un fruit développé en Jamaï- que dans les années 20 et provient de la combinai- son de l'orange et de la tangerine. CGA Ltd. est la propriétaire inscrite de la marque de commerce dans plusieurs pays.
En février 1978, Jetco, comme mandataire de CGA Ltd., a conclu une entente verbale avec Branson pour fournir des Ortaniques au Canada. Une cargaison a été expédiée en 1978 selon des modalités prescrites et d'autres cargaisons ont été expédiées en 1979 et en 1981 en consignation. Jetco n'a expédié aucune cargaison du produit par l'intermédiaire de Branson depuis 1981. La preuve indique que cela résultait de la «déréglementation» de la vente des Ortaniques en Jamaïque, ce qui a permis à l'intimée de les acheter directement des producteurs plutôt que par le seul intermédiaire de CGA Ltd. ou de Jetco. M. Hernal Hamilton, directeur et principal gestionnaire de Jetco a témoigné que celle-ci n'a vendu aucune Ortanique au Canada entre 1981 et 1985 parce qu'elle ne pouvait obtenir un prix raisonnable bien que Bran- son ait continué d'en importer par ses propres moyens de divers producteurs.
Il n'existe aucun accord écrit entre Jetco et Branson bien que la requérante affirme que Bran- son ait agi comme mandataire à l'importation pour Jetco et, par celle-ci, pour CGA Ltd. Les produits de promotion destinés aux consommateurs étaient fournis par Jetco à Branson qui a apparemment identifié les Ortaniques et leur point d'origine à la Jamaïque. Les requérantes soutiennent que cela a effectivement eu pour effet d'identifier le fruit à CGA Ltd., qui à l'époque était le seul fournisseur. Le fruit était vendu au Canada en liaison avec la marque «Ortanique», qui, prétendent-elles, lui
accordait une identité distinctive; en outre, elles prétendent que cette marque ne confère aucun caractère distinctif à Branson.
Branson a déposé une demande pour la marque de commerce «Ortanique» le 1" mars 1978 sous son propre nom. L'enregistrement a été accordé le 20 mars 1980, 242077.
CGA Ltd. et Jetco soutiennent qu'elles n'ont pas autorisé l'enregistrement de la marque de com merce par Branson ni consenti à son enregistre- ment et que celui-ci agissait en tout temps comme mandataire de Jetco et, par celle-ci, de CGA Ltd. Elles prétendent donc que Branson avait l'obliga- tion en droit, comme mandataire et fiduciaire, de n'enregistrer la marque de commerce qu'au nom de CGA Ltd., qui, prétendent-elles est la véritable propriétaire de la marque et la seule qui a droit à son enregistrement.
M. Hamilton affirme, et cela n'est pas contesté, qu'il n'a pris connaissance de l'enregistrement de Branson qu'en février 1987, date à laquelle il a tenté de persuader Branson de transférer la marque à CGA Ltd. Branson a refusé à moins d'être remboursé des frais d'enregistrement, d'agir comme agence exclusive de vente au Canada et de récupérer 25 000 $ supplémentaires pour les frais de commercialisation.
L'intimée prétend que les requérantes n'ont jamais eu l'intention d'enregistrer la marque de commerce au Canada mais qu'elles avaient simple- ment besoin d'accéder temporairement au marché de 1978 à 1981 pour se départir des surplus. En outre, Branson importait des Ortaniques depuis plus de 10 ans (depuis 1978), se les procurant auprès de divers producteurs et déboursant des sommes et déployant des efforts pour faire la promotion du fruit au Canada. Elle nie avoir été à un moment quelconque le mandataire ou le fidu- ciaire de CGA Ltd. ou de Jetco et affirme qu'elle a enregistré la marque de commerce dans le but de la protéger d'un emploi non-autorisé et du préju- dice porté au fonds de commerce par suite de cet usage. L'intimée soutient qu'elle a droit à l'enre- gistrement de la marque de commerce et que les requérantes n'ont établi aucun droit à cette marque. Elle affirme qu'elle ne savait pas que la requérante CGA Ltd. était propriétaire de la marque de commerce dans d'autres pays à l'épo- que de la demande.
L'intimée soutient de plus que les requérantes sont empêchées de présenter cette demande de radiation en vertu du paragraphe 17(2) de la Loi sur les marques de commerce parce qu'elles ne se sont pas opposé dans les cinq ans de la date d'enregistrement.
La requérante présente sa demande en vertu du paragraphe 57 (1) de la Loi sur les marques de commerce, qui se lit ainsi:
57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclu sive, sur demande du registraire ou de toute personne intéres- sée, pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.
(2) Personne n'a le droit d'intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d'interjeter appel.
Je suis convaincu que la requérante CGA Ltd., comme propriétaire de la marque de commerce dans plusieurs autres pays, est une «personne inté- ressée» au sens de l'article 57. En outre, je suis prêt à accepter que Jetco, comme son mandataire-ven- deur, est également une «personne intéressée» puis- qu'elle peut être touchée par l'enregistrement de l'intimée, ayant un certain droit à l'emploi de la marque (Labatt (John) Ltd. c. Carling Breweries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15 (C.F. ire inst.)). Il n'est pas nécessaire qu'un requérant fasse la preuve qu'il est la personne qui a droit à l'enregis- trement de la marque.
La jurisprudence rendue en vertu de l'article 57 indique clairement qu'un importateur ou manda- taire n'a pas le droit d'enregistrer une marque de commerce appartenant au mandant étranger sous son propre nom et à son propre avantage (Lin Trading Co. c. CBM Kabushiki Kaisha, [1989] 1 C.F. 620; (1988), 20 C.I.P.R. 1; 25 F.T.R. 80 (C.A.); Wilhelm Layler GmbH c. Anthes Indus tries Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 187; 1 F.T.R. 82 (C.F. 1 r inst.); Waxoyl AG c. Waxoyl Can. Ltd. (1984), 4 C.I.P.R. 127; 3 C.P.R. (3d) 105 (C.F. lre inst.); Argenti Inc. c. Exode Importations Inc. (1984), 8 C.P.R. (3d) 174 (C.F. l re inst.); Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Liée, pré- cité). L'importateur doit toujours agir à l'égard de la marque à l'avantage du fournisseur et proprié- taire étranger de la marque. Les tribunaux sont
parvenus à cette conclusion de diverses façons: l'emploi antérieur par le fournisseur étranger au Canada (alinéa 16(1)a)); aucun «emploi» par l'im- portateur-mandataire au Canada au sens des arti cles 4 et 16 parce que l'emploi était pour le compte du mandant; la marque ne distingue pas les mar- chandises de l'intimé (alinéa 18(1)b)); et, généra- lement, l'intimé n'est pas la personne qui a droit à l'enregistrement de la marque en raison des obliga tions de fiduciaire qui existent entre un manda- taire et son mandant.
Jusqu'ici ce dernier moyen n'a pas justifié à lui seul la radiation, bien qu'on le retrouve partout dans la jurisprudence. Dans chacune des décisions mentionnées auparavant, les requérants ont expressément invoqué les articles 16 ou 18 de la Loi. Ce qui n'a pas été fait en l'espèce. Je suis cependant prêt à accepter, compte tenu de la formulation de l'article 57, que la violation des obligations fiduciaires d'un importateur-manda- taire envers son mandant étranger constitue un moyen de contestation légitime et que le requérant peut avoir gain de cause en invoquant ce seul moyen. Je suis également convaincu que la requé- rante en l'espèce peut invoquer d'autres articles de la Loi, conformément à la jurisprudence déjà mentionnée.
Le paragraphe 18(1) établit les cas d'invalidité de l'enregistrement d'une marque de commerce:
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants:
a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;
b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;
e) la marque de commerce a été abandonnée.
Sous réserve de l'article 17, l'enregistrement est invalide si l'auteur de la demande n'était pas la personne ayant droit de l'obtenir.
L'article 17 prévoit:
17. (1) Aucune demande d'enregistrement d'une marque de commerce qui a été annoncée selon l'article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu'une personne autre que l'auteur de la demande d'enregistrement ou son précédesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d'établir qu'il n'avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l'annonce de la demande du requérant.
(2) Dans des procédures ouvertes après l'expiration de cinq ans à compter de la date d'enregistrement d'une marque de commerce ou à compter du 1°f juillet 1954, en prenant la date qui est postérieure à l'autre, aucun enregistrement ne peut être radié, modifié ou jugé invalide du fait de l'utilisation ou révélation antérieure mentionnée au paragraphe (1), à moins qu'il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l'a fait alors qu'elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.
L'article 16 précise quelles sont les personnes qui peuvent enregistrer une marque de commerce:
16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de com merce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédéces- seur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l'article 38, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n'ait créé de la confusion:
a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;
b) soit avec une marque de commerce à l'égard de laquelle une demande d'enregistrement avait été antérieurement pro- duite au Canada par une autre personne;
c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.
(5) Le droit, pour un requérant, d'obtenir l'enregistrement d'une marque de commerce enregistrable n'est pas atteint par l'emploi antérieur ou la révélation antérieure d'une marque de commerce ou d'un nom commercial créant de la confusion, par une autre personne, si cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion a été abandonné à la date de l'annonce de la demande du requérant selon l'article 37.
L'article 4 définit le terme «emploi»:
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la pro- priété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
(2) Une marque de commerce est réputée employée en liai son avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.
(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.
La requérante répond à la définition d'emploi à l'article 4 puisque le fruit a été mis en vente avec sa marque de commerce «Ortanique». Cette marque figure également sur les produits de pro motion envoyés par les requérantes.
En vertu de l'article 16, un requérant a droit à l'enregistrement de la marque de commerce s'il l'a employée ou révélée au Canada en liaison avec des marchandises et si elle ne crée pas de confusion avec une marque de commerce employée antérieu- rement au Canada. Dans la décision Manhattan Industries Inc. c.' Princeton Manufacturing Ltd. (1971), 4 C.P.R. (2d) 6 (C.F. i re inst.), le tribunal a conclu que l'emploi au Canada par un grossiste ou un distributeur de marchandises portant la marque du propriétaire de la marque de commerce étrangère constituait un «emploi» par le proprié- taire étranger et non par l'importateur canadien. Cette décision a été appliquée dans les affaires Waxoyl AG c. Waxoyl Can. Ltd.; Royal Doulton Tableware c. Cassidy's Liée; Argenti Inc. c. Exode Importations Inc.; et Lin Trading Co. c. CBM Kabushiki Kaisha, précitées. Compte tenu de ce raisonnement, il n'y a eu aucun «emploi» au Canada par l'intimée et par conséquent elle n'a pas droit à l'enregistrement de la marque: de commerce.
L'intimée a également soutenu que CGA Ltd. n'avait pas employé la marque de commerce au Canada antérieurement. L'article 16 accorde au requérant le droit à l'enregistrement d'une marque de commerce si, avant la date il l'a employée ou révélée, personne n'avait employé ou révélé une marque créant de la confusion. La preuve indique clairement que l'intimée a employé la marque de commerce pour la première fois lorsqu'elle a reçu la première cargaison d'Ortaniques de la requé- rante le 7 mars 1978. Compte tenu de la décision Manhattan Industries, précitée, cela constitue un «emploi» par le propriétaire et non par Branson.
À cet égard, je reproduis un extrait du sommaire de la décision Manhattan Industries, précitée, comme le cite le juge Reed dans la décision Waxoyl, précitée, à la page 122:
Un grand nombre de marques de commerce internationalement connues sont vendues par l'entremise de distributeurs au Canada. La marque appartient toujours au fournisseur original et non au distributeur.
La question n'est pas de savoir qui emploie la marque mais plutôt de savoir quelle marque est employée. Tant que les marchandises proviennent du propriétaire, on dit que sa marque est employée même si ce propriétaire n'a pas directement effectué de ventes au Canada. [Je souligne.]
On a prétendu au nom de l'intimée qu'elle n'agissait pas comme mandataire de Jetco ou de CGA Ltd., soulignant l'absence d'un contrat écrit de distribution exclusive. Cet argument ne me convainc pas. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que Branson agissait pour le compte de CGA Ltd., par l'intermédiaire de Jetco, en important les mar- chandises visées par la marque de commerce. Le président de la société intimée, M. William Bran- son, l'a reconnu en contre-interrogatoire. L'ab- sence d'un contrat écrit ou d'un contrat d'exclusi- vité ne modifie pas son statut de mandataire-importateur qui a finalement une obli gation de diligence de nature fiduciaire envers son mandant. Cette obligation est violée par l'enregis- trement de la marque de commerce qui appartient en droit à CGA Ltd.
L'intimée soutient de plus qu'elle ne savait pas que CGA Ltd. avait enregistré la marque de com merce dans d'autres pays antérieurement et qu'elle ne peut donc être tenue responsable de ce qui constitue en réalité un [TRADUCTION] «emploi innocent», voulant protéger son propre fonds de commerce à l'égard du produit. Cet argument n'a aucune pertinence.
L'intimée soutient également que les requéran- tes ont abandonné leur emploi de la marque de commerce au Canada après 1981. Seul, le non- emploi ne constitue pas un abandon (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (No. 1) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). Dans son témoignage, M. Hamilton a affirmé ne pas avoir effectué de ventes au Canada entre 1981 et 1985 pour la seule raison qu'il ne pouvait obtenir un prix raisonnable. Mais surtout, l'article 17 de la Loi exige simplement que celui qui a employé la marque antérieurement n'ait pas abandonné l'em- ploi de la marque à la date de la demande d'enre- gistrement du requérant (en l'espèce l'intimée); c'est-à-dire en 1979, lorsque la marque était employée régulièrement. Les droits d'un requérant à l'enregistrement d'une marque de commerce en vertu de la Loi sont déterminés à la date de la demande et non lorsque des procédures en radia tion sont intentées.
Le dernier argument de l'intimée est que le droit de la requérante à la radiation est prescrit par le paragraphe 17(2) de la Loi; plus de 5 ans se sont écoulés depuis la date d'enregistrement du 20 mars
1980. Bien qu'elle ait été la première à employer la marque et à la révéler, l'intimée l'a fait pour le compte du véritable propriétaire en droit de qui elle n'avait pas obtenu le consentement. Par consé- quent, Branson ne peut invoquer le délai de pres cription de l'article 17.
J'ordonne donc, conformément à la demande de redressement, que le registraire des marques de commerce biffe le nom de William D. Branson Limited comme propriétaire inscrit de la marque de commerce «Ortanique».
Je veux souligner en outre que j'ai de sérieux doutes quant à la possibilité d'enregistrer «Ortani- que» comme marque de commerce; elle semble décrire un fruit dont l'existence découle de la combinaison de l'orange et de la tangerine, dont on dit qu'elles ont une saveur unique. J'en déduis, d'après la preuve, que «Ortanique» est le nom en vertu duquel ce fruit est généralement connu et n'est pas exclusif à un fournisseur ou producteur. Cependant, aucun argument n'a porté directement sur cette question.
Compte tenu des circonstances que j'ai mention- nées, l'obligation de la Cour est établie dans l'ou- vrage de Fox, Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition (3° éd.), à la page 309:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la correction du registre, le tribunal agit dans l'intérêt d'un registre sans erreur et dans l'intérêt public. Ce faisant, le tribunal a la compétence inhé- rente et le devoir d'ordonner la radiation de son propre chef dans les instances appropriées même si le point en vertu duquel la radiation est ordonnée n'a pas été soulevé dans les procédu- res. Mais même si le tribunal peut ainsi agir, bien qu'aucune personne n'apparaisse avoir l'intérêt de demander la radiation, il doit agir seulement dans une instance il paraît clairement que c'est à tort que la marque a été inscrite dans le registre. L'intérêt public est d'importance primordiale, et les droits en equity en faveur ou à l'encontre du requérant de la correction ont peu d'importance car il s'agit d'une affaire entre le public et le propriétaire de la marque. [Les notes sont omises; je souligne.]
En l'absence d'arguments précis et compte tenu de l'insuffisance de la preuve, je ne serais pas justifié d'ordonner cette mesure.
Les requérantes ont droit aux dépens.
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