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T-634-89
Glaxo Canada Inc. (requérante) c.
Ministre de la Santé nationale et du Bien - être social (intimé)
RÉPERTORIÉ: GLAXO CANADA INC. C. CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL) (1" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon— Toronto, 12 janvier; Ottawa, 15 janvier 1990.
Accès à l'information Demande de révision d'une décision de communiquer en partie les documents demandés S'ap- puyant sur l'art. 20(1)a) et b), Glaxo s'oppose à cette commu nication partielle Moyen préliminaire selon lequel on n'a pas prouvé que la condition préalable énoncée à l'art. 4(1) de la Loi, exigeant que l'auteur de la demande soit citoyen canadien ou résident permanent, a été remplie Gouverneur en conseil prenant en vertu de l'art. 4(2) un décret conférant le droit d'accès à toute personne présente au Canada Contes- tation de Glaxo engagée antérieurement au décret C'est aux personnes chargées de l'administration de la Loi qu'il appar- tient de déterminer si les conditions préalables légales ont été remplies Glaxo jouissant de par l'art. 4(1) d'un droit acquis à ce que la communication des renseignements soit refusée tant que le responsable de l'institution fédérale n'aura pas prouvé que l'auteur de la demande est un citoyen canadien ou un résident permanent Décret ne l'emportant pas sur les droits acquis conférés par l'art. 4(1) et invoqués par la requérante Requérante en droit de soumettre les qualités requises à l'épreuve d'un contre-interrogatoire Demande accueillie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret d'extension 1 (Loi sur l'accès à l'information), DORS/89-207, art. 1, 2.
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1, art. 4(1),(2), 20(1)a),b), 44(1), 48, 75, 76.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939; (1984), 10 D.L.R. (4th) 417; 8 Admin. L.R. 305; 27 B.L.R. 84 (1re inst.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agricul- ture), [1989] 1 C.F. 47; (1988), 53 D.L.R. (4th) 246 (C.A.).
DOCTRINE
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, éd. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
J. Martin Peters pour la requérante. Barbara A. Mclsaac pour l'intimé.
PROCUREURS:
Shibley, Righton & McCutcheon, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française de l'ordon- nance rendus par
LE JUGE MULDOON: La requérante, Glaxo, saisit la Cour, conformément au paragraphe 44(1) de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1, d'une requête en révision de la décision prise le 10 mars 1989 par le coordonna- teur de l'accès à l'information de la Direction générale de la protection de la santé (DGPS) du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Cette décision, dont copie est jointe comme pièce A à l'affidavit de Martin Brian Levy produit en preuve en l'espèce, porte: [TRADUCTION] «Nous avons décidé que les documents ci-joints, dont la communication a été demandée, ne sont pas tous exempts de communication aux termes du para- graphe 20(1) de la ... Loi. Nous avons donc l'intention de communiquer à l'auteur de la demande ceux desdits documents qui ne sont pas exempts de communication.» Dans ce contexte, l'expression «auteur de la demande» signifie la personne qui a demandé les renseignements. Pour éviter la confusion, c'est ainsi que cette expression sera employée dans les présents motifs afin de distinguer entre cette personne et la requérante en l'espèce, qui est Glaxo. La requérante Glaxo a déposé auprès de la Cour son avis de requête en l'espèce le 29 mars 1989. Glaxo fait valoir que les renseignements que ledit coordonnateur au sein de la DGPS était prêt à divulguer sont de ceux que le responsable d'une institution fédérale doit refuser de communiquer en vertu de l'article 20 de la Loi. En particulier, Glaxo fonde son opposition sur l'alinéa (1)a), en alléguant qu'il s'agit de ses secrets industriels, et sur l'alinéa (1)b), en allé- guant qu'il s'agit à tout le moins de renseigne- ments scientifiques ou techniques qui sont des renseignements confidentiels fournis à la DGPS afin d'obtenir un avis d'observation pour le produit de prescription de la requérante visé dans les docu ments en question.
La requête, à laquelle l'avocate de l'intimé s'est opposée, a été entendue à Toronto le 12 janvier
1990. Avec le consentement des parties, le huis clos a été ordonné. L'avocat de la requérante soulevait au paragraphe 4 de la partie B de son exposé des faits et du droit, produit le 28 décembre 1989, un moyen préliminaire, et a soulevé le même moyen tout au début de la séance à huis clos tenue le 12 janvier 1990. Le moyen préliminaire est fondé sur le paragraphe 4(1) de la Loi et il con- vient de le reproduire tel qu'il est formulé à la partie B de l'exposé de la requérante:
[TRADUCTION] 4. Aux termes de la Loi sur l'accès à l'infor- mation, les citoyens canadiens ou les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) [chap.] I-2 (la «Loi sur l'immigration»), ont droit à l'accès aux documents des institutions fédérales et peuvent se les faire communiquer sur demande. En l'espèce, on n'a présenté à la Cour aucun élément de preuve établissant que cette condition préalable a été rem- plie. Par conséquent, la requête devrait être accueillie sur ce seul fondement.
Or, les dispositions du paragraphe 4(1) présentent des «lacunes» évidentes, car si le Parlement a mani- festement voulu que les renseignements ne soient communiqués qu'aux citoyens canadiens et aux résidents permanents, il n'a pas envisagé la grande probabilité que ces citoyens ou résidents contour- nent l'intention du législateur en transmettant les- dits renseignements à des étrangers. Au paragra- phe 4(2), toutefois, le Parlement édicte en outre concernant le droit à l'accès:
4....
(2) Le gouverneur en conseil peut, par décret, étendre, con- ditionnellement ou non, le droit d'accès visé au paragraphe (1) à des personnes autres que celles qui y sont mentionnées.
Le gouverneur en conseil a en fait invoqué le paragraphe 4(2) de la Loi en prenant le décret C.P 1989-619 [DORS/89-207] du 13 avril 1989, dont voici les dispositions essentielles:
Titre abrégé
1. Décret d'extension I (Loi sur l'accès à l'information).
Extension du droit d'accès
2. Le droit d'accès aux documents des institutions fédérales que prévoit le paragraphe 4(1) de la Loi sur l'accès à l'infor- mation est étendu à toute personne physique présente au Canada qui n'est pas un citoyen canadien ou un résident permanent au sens de la Loi sur l'immigration et à toute personne morale qui est présente au Canada.
Là, en exprimant l'intention de n'accorder un droit d'accès qu'aux personnes, physiques ou morales, qui sont «présente[s] au Canada», le gouverneur en conseil a réalisé, à cette époque des télécommuni- cations internationales, un texte tout aussi impossi ble à appliquer que l'est le paragraphe 4(1) adopté par le Parlement. De plus, toute possibilité d'accès limitée par le statut de la personne ou par sa présence au Canada à un certain moment n'en demeure pas moins assujettie à une condition préa- lable qui doit être remplie avant que ne soit com- muniqué un document d'une institution fédérale.
La contestation par la requérante de la décision portant communication des documents en cause date d'avant le décret précité, qui, ayant été enre- gistré comme DORS/89-207, a pris effet le 13 avril 1989. Ce décret, en vigueur depuis environ neuf mois maintenant, détruit-il le moyen prélimi- naire de la requérante qu'elle a formulé par écrit en décembre 1989 et verbalement le 12 janvier 1990?
L'avocate de l'intimé invoque deux décisions de cette Cour: Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939; (1984), 10 D.L.R. (4th) 417; 8 Admin. L.R. 305; 27 B.L.R. 84 (i re inst.); et Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47; (1988), 53 D.L.R. (4th) 246 (C.A.). Selon elle, ces deux décisions établissent que, dans des procé- dures comme celles dont il s'agit en l'espèce, la charge de la preuve incombe à la partie qui s'op- pose à la communication des renseignements. Elle fait remarquer que la Loi elle-même ne contient pas de disposition expresse relative à la charge de la preuve, mais, en conformité avec la jurispru dence sur laquelle elle s'appuie, l'avocate de l'in- timé affirme que la requérante était obligée de soulever cette question au plus tard sur réception de la lettre susmentionnée, en date du 10 mars 1989, du coordonnateur de la DGPS. L'avocate souligne qu'il n'est pas nécessaire d'être avocat ni de s'être familiarisé de quelque autre manière avec la Loi pour se demander en somme: «Qui est-ce qui demande la communication de ces renseigne- ments?»
Peut-on prétendre que la charge de la preuve énoncée dans la jurisprudence l'emporterait ou l'emporte en fait sur le texte législatif, sur l'inter- prétation logique de celui-ci et sur les réalités
inhérentes à une demande de renseignements faite en vertu de la Loi? Telle ne devrait pas être la règle, à moins qu'elle ne s'impose implicitement et d'une manière inévitable.
Quand une personne demande la communication de renseignements, il est évident que l'identité, le statut et le lieu de résidence de cette personne ne peuvent être connus du requérant, et cela vaut tant pour la requérante en l'espèce que pour tout autre requérant. Comment alors peut-on en toute logi- que et en toute justice imposer au requérant dans une autre affaire ou à Glaxo en l'espèce la charge de démontrer que l'auteur de la demande de com munication ne satisfait pas aux critères établis? Au début des exigences plutôt restrictives et, plus tard, des exigences plus larges, ont été solennelle- ment posées par le Parlement et par le gouverneur en conseil respectivement. On ne peut pas—on ne doit pas—dénigrer leurs actes ni les textes mêmes qui en ont résulté. Or, comme le législateur veut que les auteurs de demandes de communication de documents répondent à certaines exigences, ces exigences, si étroites ou si larges soient-elles, cons tituent des conditions préalables légales-édictant solennellement que l'accès aux renseignements de la requérante en l'espèce et de tout autre requérant sera refusé aux personnes qui font des demandes de communication sans avoir satisfait aux critères. C'est de toute évidence à ceux qui sont chargés de l'administration des dispositions législatives en question qu'il appartient de décider si ces critères ont été remplis, car une tierce personne comme la requérante Glaxo est par définition étrangère aux rapports entre l'auteur de la demande de commu nication et les fonctionnaires publics qui adminis- trent la Loi. Le tiers requérant n'a aucun droit, aucune obligation ni aucune responsabilité en ce qui concerne le maintien ou l'administration du régime en matière d'accès à l'information créé par la Loi.
En l'espèce, l'avocat du requérant affirme n'avoir appris le nom de l'auteur de la demande de communicaton que quelques minutes avant le com mencement de l'audience en cette Cour. Il dit en effet que l'avocate de la partie adverse lui a remis un morceau de papier portant la mention que l'auteur de la demande est un citoyen canadien. Ni ce morceau de papier ni le texte y figurant n'a été
présenté à la Cour comme élément de preuve relativement auquel l'avocat de la requérante pou- vait contre-interroger un déposant.
Or, il serait manifestement inéquitable de char ger la requérante en l'espèce ou n'importe quel autre requérant de l'obligation de vérifier si l'au- teur d'une demande de communication possède les qualités requises et satisfait aux exigences légales. Mais on ne saurait faire abstraction de ces exigen- ces ni les escamoter pour le motif qu'elles seraient sans conséquence, car le législateur les a solennel- lement édictées, d'abord au paragraphe 4(1) et ensuite dans le Décret d'extension 1 (Loi sur l'accès à l'information), précité. C'est à l'intimé et non pas à la requérante qu'il incombe en l'espèce de procéder à une vérification.
Comme la Loi interdit à l'intimé de communi- quer les renseignements de la requérante à une personne qui ne satisfait pas aux exigences, il s'ensuit que la requérante jouit d'un droit acquis, accordé par le législateur, à ce que l'institution fédérale refuse de communiquer ces renseigne- ments tant que le responsable, en l'occurrence l'intimé, n'aura pas établi que l'auteur de la demande possède les qualités requises pour rece- voir la communication des renseignements.
Le chapitre 10 de la 2 ° édition de l'ouvrage de Driedger intitulé Construction of Statutes est une véritable mine de jurisprudence portant sur la question de l'atteinte par des lois aux droits acquis. Une lecture attentive dudit chapitre de cet ouvrage faisant autorité conduit à la conclusion que Glaxo jouit d'un droit acquis à ce que ses renseignements ne soient communiqués qu'à un citoyen canadien ou à un résident permanent parce que DORS/89- 207 est entré en vigueur le 13 avril 1989 et ne l'emporte pas en conséquence sur les droits acquis conférés à la requérante par le paragraphe 4(1) de la Loi, droits dont elle se prévaut en l'espèce.
La requérante n'a pas à vérifier si l'auteur de la demande de communication posséde les qualités requises, car cela est de la responsabilité de l'in- timé. Elle a toutefois le droit de soumettre ces qualités à l'épreuve d'un contre-interrogatoire, ce qu'elle n'a pu faire en l'espèce parce que l'intimé n'a rien fait pour vérifier si l'auteur de la demande remplissait la condition préalable relative aux qua- lités requises. Il est malheureux qu'ayant claire-
ment éxigé la vérification des qualités de l'auteur d'une demande de communication, le législateur n'ait pas prévu de moyen ordinaire de permettre au responsable d'une institution fédérale de pro- duire une preuve prima facie quant à l'existence des qualités requises par la loi.
Le moyen préliminaire opposée par la requé- rante à la position prise par l'intimé dans la pré- sente instance est bien fondé et il est accueillie. Donc, comme il n'y a rien au dossier qui établisse que l'auteur de la demande de communication ici en cause possède les qualités requises pour recevoir la communication des documents de la DGPS contenant les renseignements de la requérante et que rien au dossier ne démontre qu'il est loisible, et non pas interdit, à l'intimé d'accéder à ladite demande, la demande de révision présentée par la requérante est accueillie sur-le-champ avec dépens entre parties, à payer par l'intimé à la requérante immédiatement après que le montant en aura été fixé par taxation ou par accord entre les parties. Les questions soulevées en l'espèce pourraient bien retenir l'attention du comité permanent ou des comités permanents du Parlement constitués en vertu de l'article 75 de la Loi. Il y aurait peut-être lieu d'élucider l'article 48 à la lumière des présents motifs, mais cela est du domaine exclusif du pou- voir législatif, et non pas judiciaire, du gouverne- ment au sens large.
Par conséquent, il est par les présentes enjoint à l'intimé de ne communiquer aucun des renseigne- ments ici en cause et de ne pas y donner accès. Puisque, suivant l'article 76 de la Loi, la Couronne est liée par les dispositions solennellement adoptées de celle-ci, il s'ensuit que les employés de la Cou- ronne sont également liés par ces motifs interpré- tant les dispositions de ladite Loi.
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