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A-140-89
Richard Quan (requérant) c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada représen- tée par le Conseil du Trésor (intimée)
A-293-89
Procureur général du Canada (requérant)
c.
J. Bodkin et 26 autres fonctionnaires (intimés)
RÉPERTORIÉ: QUAN C. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR) (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Maho- ney et MacGuigan, J.C.A.—Ottawa, 1 et 5 février 1990.
Fonction publique Relations du travail Demandes de révision de décisions de la C.R.T.F.P. visant des griefs Les surveillants ont demandé aux fonctionnaires de retirer leurs macarons sur lesquels il était écrit «Je suis en état d'alerte à la grève» Sens de l'expression «activité dans [le syndicat au sens de la Convention cadre La convention collective ne saurait porter atteinte aux droits prévus par la Loi Il s'agit de savoir si le message exprimé par les macarons portait atteinte aux opérations de l'employeur ou nuisait à sa réputation.
Ces demandes visent la révision et l'annulation de décisions contradictoires de la Commission des relations de travail dans la fonction publique portant sur les griefs de fonctionnaires à qui l'on a demandé de retirer leurs macarons sur lesquels il était écrit «Je suis en état d'alerte à la grève». Les griefs faisaient état de la violation des droits accordés aux fonction- naires par la convention collective, qui interdit toute discrimi nation en raison d'une «activité [dans le syndicat]». L'article 6 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique accorde aux fonctionnaires le droit d'adhérer à un syndicat et de participer à ses activités légitimes. Le port du macaron visait à promouvoir la solidarité syndicale en raison de ce que l'on considérait être des lenteurs à la table de négociation relative- ment au renouvellement d'une convention collective. Dans l'af- faire Quan, la Commission a rejeté les griefs, concluant que le port des macarons ne constituait pas une «activité dans [le syndicat]». Elle a aussi conclu que le port des macarons risquait de porter atteinte aux relations de l'employeur avec ses clients et de nuire à l'image de celui-ci auprès du public. Dans la décision Bodkin, la Commission a conclu que le port des macarons constituait une activité légitime dans le syndicat.
Arrêt: la demande dans l'affaire Quan devrait être accueillie alors que celle dans l'affaire Bodkin devrait être rejetée.
Dans l'affaire Quan, la Commission a commis une erreur en accordant à la Convention cadre une interprétation plus étroite qu'à l'article 6 de la Loi. Une convention collective ne saurait porter atteinte aux droits fondamentaux conférés par la Loi. Aussi bien l'article 6 que la Convention cadre traitent des droits des fonctionnaires de participer aux activités syndicales. Les
parties ont vouloir accorder aux fonctionnaires la même protection que celle qui leur est garantie en vertu de l'article 6. Le port des macarons pendant les heures de travail constituait une «activité dans [le syndicat]» qui était légitime, ne devant être restreinte que lorsque l'employeur peut démontrer qu'elle nuit à sa capacité de gérer ou qu'elle porte atteinte à sa réputation. La phrase «Je suis en état d'alerte à la grève» n'attaque nullement l'autorité de l'employeur, ni ne porte atteinte à sa réputation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que, L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 6, 91.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour le requérant Richard Quan et les intimés J. Bodkin et 26 autres fonctionnaires.
Harvey A. Newman pour l'intimée Sa Majesté la Reine représentée par le Conseil du Trésor et le requérant le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour le requérant Richard Quan et les intimés J. Bodkin et 26 autres fonctionnaires.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée Sa Majesté la Reine représentée par le Conseil du Trésor et le requérant le procu- reur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Ces demandes fondées sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], qui ont été plaidées ensemble, visent la révision et l'annulation de déci- sions contradictoires de la Commission des rela tions de travail dans la fonction publique (la «Commission»), que je désignerai pour plus de commodité comme étant la «décision Quan»' et la «décision Bodkin» 2 . Parce que les deux décisions mettent en cause pratiquement les mêmes faits et
' Quan c. La Reine, de greffe A-140-89.
2 Procureur général du Canada c. Bodkin, de greffe
A-293-89.
les mêmes questions, ces motifs s'appliquent aux deux affaires.
Les faits importants s'exposent brièvement. Les fonctionnaires qui ont déposé les griefs dont il est question plus bas (les «fonctionnaires») étaient au service d'Emploi et Immigration Canada et ils étaient membres du Syndicat de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, un élément de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (1'«Alliance»). L'Alliance est l'agent négociateur des fonctionnai- res concernés en matière de négociation collective et de relations du travail. A certaines dates, les fonctionnaires ont porté un macaron de l'Alliance, mesurant 2 3 / 4 " sur 1 3 / 4 " sur lequel il était écrit «Je suis en état d'alerte à la grève». On a témoigné que le port du macaron visait à promouvoir la solida- rité syndicale relativement à ce que l'on considé- rait être des lenteurs à la table de négociation relativement au renouvellement d'une convention collective. Les surveillants des fonctionnaires leur ont demandé de retirer leurs macarons, qu'ils ont fait. Les fonctionnaires ont déposé des griefs conformément à l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique [L.R.C. (1985), chap. P-35] (la «Loi»). Dans leurs griefs, les fonctionnaires soutenaient que l'ordre de retirer leurs macarons violait les droits que leur confère l'article M-16.01 de la Convention cadre qui est libellé comme suit:
M-16.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restric tion, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d'exercée ou d'appliquée [sic] à l'égard d'un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, ou son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.
Dans la décision Quan, la Commission a rejeté le grief, alors qu'elle a accueilli les griefs, dans la décision Bodkin. Dans la décision Quan, la Com mission a conclu que le port du macaron ne consti- tuait pas une «activité dans [le syndicat]» au sens de cette expression à l'article M-16.01 de la Con vention cadre. À cet égard, la Commission a dit ce qui suit:
L'article M-16, sur lequel le grief qui nous occupe est fondé, vise à assurer qu'il n'y aura pas de discrimination, d'ingérence, de restriction, de coercition, de harcèlement, d'intimidation ni de mesure disciplinaire exercés ou appliqués à l'égard d'un employé pour les motifs indiqués, à savoir l'âge, la race, les croyances, la couleur, l'origine ethnique, la confession reli- gieuse, l'orientation sexuelle ou l'adhésion au syndicat ou l'acti- vité dans celui-ci. L'article garantit un traitement équitable de
tous les employés sans égard à l'une ou l'autre des caractéristi- ques mentionnées qui pourrait autrement distinguer un employé d'un autre.
Les mots clés à interpréter ici sont «son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci». Le sens qu'on a voulu donner au terme «adhésion» au syndicat à l'article M-16 ne fait pas problème; par contre, l'interprétation de l'expression «activité dans celui-ci» n'est pas aussi évidente. Je ne crois pas, pour ma part, que cette dernière expression a le même sens que «l'acti- vité légitime [d'une] association d'employés»—c'est-à-dire un syndicat—dont il est question à l'article 6 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. J'estime plutôt que la première expression a un sens plus restreint que la seconde. À mon avis, par «adhésion au syndicat ou [...] activité dans celui-ci», il faut entendre assumer des fonctions officielles, participer aux négociations, planifier et s'occuper de ce qu'il est convenu d'appeler les affaires du syndicat. Il m'apparaît impor tant de noter que la protection accordée par l'article M-16 concerne l'activité exercée au sein du syndicat; ce qui est visé, ce n'est pas l'activité exercée au nom du syndicat, ni celle exercée par ou pour celui-ci. Seule l'activité pratiquée dans le syndicat est protégée, c'est-à-dire qu'elle ne peut être l'objet d'un traitement discriminatoire entre les employés. Le libellé de la version française de cette disposition de la convention con- firme d'ailleurs cette interprétation «[...] ou son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.»
Au nom de l'employé s'estimant lésé, M' Dagger maintient que M. Quan, en portant le macaron «Je suis en état d'alerte à la grève», se trouvait à participer à une activité dans le syndicat. Je ne crois pas que c'est le genre d'activité qu'on a voulu protéger par l'article M-16. On ne saurait, à mon avis donner une telle interprétation à cette disposition 3 .
Après avoir interprété l'article M-16.01 de cette façon, que j'estime erronée, la Commission dans la décision Quan a statué que le port du macaron risquait de porter atteinte aux relations de l'em- ployeur avec ses clients et de nuire à l'image de celui-ci auprès du public et vu les faits en cause, elle a ajouté qu'il «risquait d'inquiéter la clientèle et de rendre difficiles les relations qu'entretient l'employeur avec le public» 4 . Je crois aussi que c'est une erreur, particulièrement en regard de l'approche adoptée dans la décision Bodkin.
À mon avis, la Commission a mal interprété l'article M-16 en accordant une interprétation plus étroite à cette disposition qu'à l'article 6 de la Loi, dont voici le libellé:
6. Un fonctionnaire peut adhérer à une organisation syndi- cale et participer à l'activité légitime de celle-ci.
Bien que la Commission ait mentionné l'article 6 de la Loi, elle a dit qu'elle traitait d'une question
3 Dossier, p. 127 et 128.
4 Dossier, p. 130 et 131.
différente, à savoir, l'interprétation de l'article M-16.01 de la Convention cadres. Cependant, les avocats des parties ont concédé qu'une convention collective ne saurait porter atteinte aux droits fon- damentaux conférés aux fonctionnaires par l'arti- cle 6 de la Loi, et que cette disposition et l'article M-16.01 traitent du même objet en ce qui con- cerne les droits d'un fonctionnaire de participer aux activités syndicales. Convenant que la question qui nous est soumise porte sur l'interprétation de l'article M-16.01, je crois que cette interprétation implique la recherche de l'intention des parties dans le contexte dans lequel se pose la question d'interprétation. Cette approche conduit nécessai- rement à la considération de l'effet du libellé de l'article 6.
À cet égard, je souscris entièrement au raisonne- ment que la Commission a suivi dans l'arrêt Bodkin:
Tel que le dit l'article M-16, il est interdit à l'employeur d'appliquer ou d'exercer de la discrimination, de l'ingérence, de la restriction, de la coercition, du harcèlement, de l'intimidation ou toute autre mesure disciplinaire à l'égard d'un fonctionnaire en raison de sa participation à une «activité dans [le syndicat]». Cette dernière expression n'est pas définie dans la convention. En vue de préciser l'intention des parties sur ce point, j'ai tenu compte du contexte des relations du travail dans lequel cette convention a été signée ainsi que du cadre législatif. Je tiens pour acquis que les parties voulaient, tout au moins, accorder aux fonctionnaires la même protection que celle qui leur est garantie en vertu de l'article 6 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dont voici la teneur ..
Une interprétation stricte et étroite de l'expression «activité dans [le syndicat]»—qui restreindrait la protection accordée aux affaires administratives internes du syndicat—ne tiendrait aucunement compte du contexte dans lequel les conventions collectives sont signées et, au bout du compte, serait tout à fait contraire à l'esprit de l'article M-16 6 .
Après avoir interprété de la sorte l'article M-16.01 dans l'arrêt Bodkin, la Commission s'est alors demandé si l'employeur pouvait interdire l'activité contestée au cours des heures de travail, et, dans l'affirmative, dans quelles circonstances et dans quelle mesure. Après avoir passé en revue certains aspects de l'affaire dont elle était saisie, le membre de la Commission a dit dans l'arrêt Bodkin:
5 Dossier, p. 135 et 136.
6 Dossier, page 290 a. Dans la décision Bodkin, le représen- tant de l'employeur a reconnu que le port du macaron consti- tuait une «activité» dans le syndicat qui était légitime et légale.
J'estime, pour ma part, que porter un insigne syndical pen dant les heures de travail constitue, à l'intérieur de certaines limites, une activité légitime dans le syndicat aux termes de l'article M-16. Il serait à la fois peu sage de ma part et inutile de chercher à établir ces limites, qui dépendent somme toute des faits particuliers à chaque affaire. Je dirai simplement ceci: selon moi, le port d'un «macaron ou d'un insigne syndical» pendant les heures de travail constitue un moyen légitime par lequel chacun peut faire connaître ses vues sur des questions syndicales et, bien que ce ne soit pas un droit absolu, ne devrait être restreint que lorsque l'employeur est en mesure de démon- trer que cette activité nuit à sa capacité de gérer et qu'elle porte atteinte à sa réputation 7 .
Cette approche est évidemment correcte. Le membre de la Commission a ensuite exprimé l'opi- nion suivante, à laquelle je souscris également:
Il reste qu'une conclusion est inévitable. Pour décider si un macaron syndical est acceptable ou pas, on doit forcément considérer le message qu'il contient. En fait, les deux parties m'ont invitée à faire précisément cela. Au départ, l'employeur ne devrait pas être obligé de tolérer pendant les heures de travail des affirmations qui sont dénigrantes à son égard, portent atteinte à sa réputation ou nuisent à ses opérations. Il s'ensuit qu'on pose un jugement en partie subjectif lorsqu'on doit décider si un macaron syndical excède les limites permises. En l'occurrence, le message «Je suis en état d'alerte à la grève», à mon avis, n'attaque nullement l'autorité de l'employeur, ni ne porte atteinte à la réputation de celui-ci. D'autre part, je ne vois pas comment il pourrait nuire aux opérations de l'employeur. Il s'agit, selon moi, d'un message neutre qui n'insulte ni ne flatte l'employeur, ni n'est critique à son endroit. C'est l'énoncé d'une réalité, rien de plus. Ce macaron, d'après moi, dit simplement que les fonctionnaires envisagent de faire la grève. Je conçois difficilement qu'un fonctionnaire, en communiquant cette pos- sibilité au public, puisse nuire aux opérations de l'employeur. En fait, il n'y a aucune preuve que l'activité en question a effectivement eu pareilles conséquences. Quant à savoir si le contenu du macaron risquait d'avoir les effets craints par l'employeur, il aurait fallu que les événements qui nous occu- pent, la possibilité—voire l'imminence—d'une grève, ce que laisse croire si l'on interprète le message du macaron en ce sens, était une réalité que les Canadiens avaient apprivoisée. Je doute sérieusement qu'un membre du public ait été empêché de vaquer à ses affaires dans un ministère donné en raison du fait que les fonctionnaires y travaillant songeant [sic] simplement à faire la grèves.
Pour conclure, dans la décision Quan, la Com mission a interprété l'article M-16.01 sans tenir suffisamment compte de l'article 6 de la Loi, et elle n'a pas adopté le critère ni le point de vue qui ont été correctement appliqués dans la décision Bodkin tel qu'il est mentionné plus haut. Comme c'était une erreur, la décision Quan devrait être annulée et renvoyée à la Commission aux fins d'un
7 Dossier, p. 291 a.
8 Dossier, p. 292 et 292 a.
réexamen selon un fondement qui soit compatible avec ces motifs. La demande visant la décision Bodkin sera rejetée.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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