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T-2963-89
CTV Television Network Ltd. (requérante)
c.
Commission du droit d'auteur, Société de droits d'exécution du Canada Limitée et Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limi- tée (intimées)
RÉPERTORIÉ: CTV TELEVISION NETWORK LTD. C. CANADA (COMMISSION DU DROIT D'AUTEUR) (1 1s INST.)
Section de première instance, juge Cullen — Toronto, 14, 15, 16 février; Ottawa, 12 avril 1990.
Droit d'auteur Demande visant à faire interdire à la Commission du droit d'auteur d'examiner le tarif de droits à payer à l'égard de l'exécution télédiffusée d'oeuvres drama- tico-musicales ou musicales La Commission a-t-elle excédé sa compétence? Un tarif de ce genre a été refusé dans un jugement rendu en 1968 par la C.S.C. Les modifi cations législatives récemment effectuées sont superficielles, et n'ont pas pour effet d'élargir le rôle de la Commission Les intimées ne peuvent pas se prévaloir de l'art. 49 ou 50.1.
Il s'agit d'une demande en vue de l'obtention d'un bref de prohibition visant à faire interdire à la Commission du droit d'auteur de prendre d'autres mesures qui pourraient conduire à l'examen, à l'adoption ou à la publication du tarif 2.A.2 en ce qui concerne les transmissions effectuées par le réseau commer cial de télévision conformément aux projets de tarif des sociétés d'exécution intimées, pour le motif que la Commission n'a pas compétence. Les stations individuelles versent des droits calcu- lés selon les recettes publicitaires, mais il est estimé que des millions de dollars de recettes touchées par le réseau ne sont pas pris en considération en vue du paiement des droits par CTV. En demandant un tarif applicable au réseau leur permettant d'être indemnisées pour l'exécution ou la communication par télécommunication d'oeuvres dramatico-musicales ou musicales sur lesquelles elles ont un droit d'exécution, les sociétés soutien- nent que les modifications législatives ont eu pour effet d'élar- gir la compétence de la Commission du droit d'auteur et que le jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 1968 n'appuie plus le rejet du projet de tarif.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Les modifications récemment apportées à la Loi en ce qui concerne la Commission du droit d'auteur sont superficielles et ne permettraient pas d'en arriver à une conclusion différente de celle qui a été tirée dans l'affaire Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Net work Limited et al., [1968] R.C.S. 676 («CAPACn). Les modifications ne faisaient que rationaliser la procédure, aug- menter le personnel et rendre le processus plus efficace sur le plan administratif pour faire face à une charge de travail de plus en plus lourde.
La Commission a été créée en vertu de la Loi sur le droit d'auteur; il s'agit d'un organisme de réglementation ayant uniquement le pouvoir de fixer les tarifs. Le législateur fédéral n'avait pas l'intention de lui donner un rôle plus étendu.
L'affaire Posen c. Ministre de la Consommation et des Corpo rations du Canada, [1980] 2 C.F. 259 (C.A.) fait encore autorité. L'objet et la fonction de la Commission du droit d'auteur diffèrent de ceux d'organismes comme la Commission canadienne des droits de la personne ou du Conseil canadien des relations du travail, auxquels la loi confère le pouvoir de déterminer leur propre compétence.
Les sociétés intimées ne peuvent pas déposer le projet de tarif en vertu de l'article 49 de la Loi étant donné qu'il n'a pas trait à un droit d'exécution. Dans l'affaire CAPAC, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que ce que le réseau CTV commu- niquait à ses stations affiliées n'était pas une «oeuvre musicale», mais l'exécution d'une oeuvre». Le fait que l'expression «télé- communication» a été insérée dans la Loi n'a rien changé à ce jugement.
Les intimées ne peuvent pas se prévaloir de l'article 50.1, étant donné que les sociétés d'exécution existantes sont expres- sément exclues par la Loi pour le motif qu'il ne s'agit pas de «sociétés de gestion». Même si les intimées étaient de telles sociétés au sens de l'article 50.1, elles ne satisfont pas à toutes les conditions préalables établies par la Loi en vue du dépôt du tarif étant donné qu'elles n'ont pas essayé d'en arriver à une entente négociée au sujet des droits comme l'article 50.2 le sous-entend.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 15, 16.
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 41.
Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, L.C. 1988, chap. 65, art. 61-65.
Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et apportant des modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988, chap. 15.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 3(1)J) (mod. par L.C. 1988, chap. 65, art. 62(1)), 3(1.4) (ajouté, idem, art. 62(2)), 49 (mod. par L.C. 1988, chap. 15, art. 12), 50 (mod., idem, art. 13), 50.1 (ajouté, idem, art. 14), 50.2 (ajouté, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Posen c. Ministre de la Consommation et des Corpora tions du Canada, [1980] 2 C.F. 259 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV, [1968] R.C.S. 676.
DÉCISION CITÉE:
La Ligue canadienne de football c. La Commission cana- dienne des droits de la personne, [1980] 2 C.F. 329 (V' inst.).
AVOCATS:
Gordon J. Zimmerman et Gayle Pinheiro pour la requérante.
T. Gregory Kane et C. Craig Parks pour la Commission du droit d'auteur, intimée.
Y. A. George Hynna, C. Paul Spurgeon et Andrea F. Rush pour la Société de droits d'exécution du Canada Limitée et pour l'As- sociation des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée, intimées.
PROCUREURS:
Borden & Elliott, Toronto, pour la requé- rante.
Stikeman, Elliott, Ottawa, pour la Commis sion du droit d'auteur, intimée.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour la Société de droits d'exécution du Canada Limitée et pour l'Association des composi- teurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée, intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: La Cour est saisie d'une requête en bref de prohibition visant à faire inter- dire à la Commission du droit d'auteur intimée de prendre d'autres mesures qui pourraient conduire à l'examen, à l'adoption ou à la publication du tarif 2.A.2.
Le 21 février 1990, la Cour a prononcé une ordonnance interdisant à la Commission du droit d'auteur d'examiner ou de publier tout projet de tarif de droits ou tantièmes à percevoir par la Société de droits d'exécution du Canada Limitée et l'Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée déposé conformément aux dis positions de l'article 50 (art. 70)' de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30 (mod. par L.C. 1988, chap. 15, art. 13, 14)] jusqu'à ce que la
' Les numéros d'articles qui apparaissent entre parenthèses renvoient à la numérotation utilisée dans les modifications proposées et ont été utilisés par les avocats au cours de l'audi- tion de la requête.
Cour, y compris la Cour d'appel fédérale, ait rendu une décision définitive.
La requérante, CTV Television Network Ltd. (ci-après appelée «cTv») est un réseau de télévision privé qui élabore, distribue et communique des émissions de divertissement à ses stations affiliées situées d'un bout à l'autre du Canada. La Com mission du droit d'auteur intimée (ci-après appelée «la Commission») est un tribunal réglementaire constitué en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42 (ci-après appelée «la Loi»). Les intimées, la Société de droits d'éxécu- tion du Canada Limitée («PRocAN») et l'Associa- tion des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée («cAPAc») (ci-après appelées col- lectivement «les sociétés») sont des sociétés de droits d'éxécution qui sont titulaires des droits d'exécution d'un grand nombre d'oeuvres musicales au Canada. Ces deux organismes sont présente- ment en voie de fusionner et ils se livrent à la gestion collective de droits d'éxécution pour le compte de compositeurs, auteurs et éditeurs d'oeu- vres musicales ou dramatico-musicales.
Le ler septembre 1989, les sociétés ont déposé auprès de la Commission des projets de tarifs de droits à percevoir pour l'exécution ou la communi cation au Canada par télécommunication d'oeuvres musicales ou dramatico-musicales sur lesquelles les sociétés possèdent des droits d'exécution et de représentation. Les projets de tarifs comprenaient le tarif 2.A.1 qui s'applique aux stations de télévi- sion, et le tarif 2.A.2., qui s'applique aux réseaux commerciaux de télévision. C'est le tarif 2.A.2 qui est en cause en l'espèce.
Pour mieux comprendre la question en litige, il est nécessaire d'examiner les rapports qui existent entre les réseaux et les sociétés de droits d'exécu- tion. Le réseau CTV fournit des émissions à des stations de télévision affiliées. Les émissions que CTV fournit à ses stations affiliées sont produites par CTV, achetées à des producteurs canadiens ou étrangers, ou achetées à leurs stations affiliées pour être distribuées sur tout le réseau. CTV les distribue ensuite à ses stations affiliées en se ser vant des installations d'entreprises de télécommu- nication (c.-à-d., Bell Canada ou Telesat Canada) sur des signaux par satellite codés. Les stations
réceptrices diffusent les oeuvres au public par télé- communication par l'entremise de postes émet- teurs.
L'importance de cette séquence de transmission s'explique par le rapport qui existe entre celle-ci et le versement des droits pour l'utilisation d'oeuvres musicales. Les stations individuelles versent aux sociétés de droits d'exécution des droits calculés selon un pourcentage des recettes publicitaires brutes de chaque station. Cependant, une partie importante des recettes publicitaires que touchent les réseaux de télévision sont exemptes de droits. Michael Rock, le directeur général de CAPAC, a évalué à de nombreux millions de dollars par année les recettes publicitaires de CTV, et s'est dit d'avis qu'on ne tient jamais compte d'une grande partie de ces recettes pour les fins des droits à payer.
La situation n'a rien de nouveau. Les mêmes sociétés de droits d'exécution se sont vu refuser un tarif de réseau semblable par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al., [1968] R.C.S. 676 (CAPAC v. CTV).' À la suite des modifica tions récentes apportées à la Loi, les sociétés ont à nouveau présenté une demande de fixation de tarif en vue de percevoir des droits se rapportant aux réseaux (le projet de tarif 2.A.2). Les sociétés ont demandé à la Commission d'homologuer le tarif applicable aux transmissions effectuées dans le cadre d'un réseau. La requérante a contesté cette demande en prétendant que la Commission du droit d'auteur n'a pas compétence en vertu de la Loi pour examiner le tarif 2.A.2.
Dans le cas d'une requête en bref de prohibition, la seule question à trancher est celle de savoir si le tribunal inférieur avait le pouvoir de faire ce qu'il a prétendu faire. D'après les prétentions formulées par toutes les parties en cause, il ne semble pas contesté que notre Cour peut prononcer une ordon- nance de prohibition si la Commission du droit d'auteur a effectivement excédé sa compétence. En conséquence, la Cour doit déterminer si la Com mission a excédé sa compétence.
La requérante soutient que l'on devrait interdire à la Commission de prendre d'autres mesures à l'égard du projet de tarif 2.A.2, étant donné que le
législateur ne lui a pas accordé aux termes de la Loi le pouvoir de déterminer sa propre compé- tence. La Commission a seulement reçu une com- pétence générale pour fixer des droits, des tarifs ou des tantièmes. Lorsque la Commission prétend examiner une question qui n'a qu'un rapport secondaire avec l'exécution de cette fonction et que cette question se situe en dehors de la fonction de fixation de tarifs, les tribunaux doivent interpréter restrictivement les pouvoirs de la Commission.
Parmi les affaires qui portent sur la compétence de la Commission d'appel du droit d'auteur (qui a été remplacée par la Commission du droit d'au- teur), mentionnons en particulier l'arrêt CAPAC v. CTV (précité) et l'arrêt Posen c. Ministre de la Consommation et des Corporations du Canada, [1980] 2 C.F. 259 (C.A.). Dans l'arrêt Posen (précité), la Cour a déclaré qu'en vertu de la Loi [S.R.C. 1970, chap. C-30], la Commission n'a compétence que pour fixer le quantum des tarifs à imposer aux utilisateurs des oeuvres protégées par le droit d'auteur. Je cite le juge Heald qui déclare, à la page 261 de l'arrêt Posen (précité):
À mon avis, la Commission a pour seule fonction de fixer les tarifs que les sociétés de droits d'exécution peuvent imposer. [C'est moi qui souligne.]
Or en citant ces arrêts, je suis bien conscient de la prétention des intimées, qui soutiennent que ces décisions sont d'une utilité limitée compte tenu des modifications récentes apportées à la Loi. Les intimées affirment que la compétence de la Com mission est différente de celle de son prédécesseur, la Commission d'appel du droit d'auteur. On a cité les dispositions législatives récentes de la Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et apportant des modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988, chap. 15 et de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis, L.C. 1988, chap. 65) [art. 61-65], pour démontrer que la Commission actuelle possède une compé- tence beaucoup plus étendue.
J'ai procédé à un examen et à une comparaison très attentifs des modifications apportées à la Loi, et je conclus que les modifications apportées à la Loi ne sont que superficielles en ce qui a trait à la Commission du droit d'auteur. Aucune des disposi tions de la Loi ne va jusqu'à étendre la compétence de la Commission. Les modifications ne font que rationaliser la procédure, augmenter le personnel
et rendre le processus plus efficace sur le plan administratif pour faire face à une charge de travail de plus en plus lourde. La Commission a elle-même déclaré dans son rapport annuel de 1989 qu'elle n'avait pas le pouvoir de se prononcer sur la légalité des tarifs (bien que je reconnaisse que la Commission a rédigé le rapport avant que les modifications ne soient adoptées). L'intimée a convenu que, prises isolément, les modifications peuvent sembler négligeables, mais elle a prétendu que, prises globalement, elles ont pour effet de donner à la Commission un rôle innovateur. Mal- heureusement, les intimées n'ont fait ressortir rien de significatif ou de concret dans les modifications pour prouver que la compétence de la Commission avait été élargie ou étendue. Je conclus que la Loi n'a fait l'objet d'aucune modification de fond qui permettrait de tirer une conclusion différente de celle à laquelle la Cour suprême du Canada en est arrivée dans l'arrêt CAPAC v. CTV (précité).
Le législateur est présumé connaître la loi et légiférer en fonction de l'état du droit tel qu'il existe au moment la mesure législative est adoptée. En rédigeant les modifications à la Loi, le législateur était placé pour être très bien informé sur le sujet. Si le législateur avait voulu élargir la compétence de la Commission, il l'aurait claire- ment déclaré. Il ne nous appartient pas de modifier ce que le législateur a choisi de ne pas changer.
La Commission intimée a prétendu que la Cour devait refuser d'examiner la requête en bref de prohibition de la requérante et laisser à la Com mission le soin d'étudier le tarif 2.A.2 dans le cadre du rôle que lui confie la Loi. La décision définitive serait ensuite susceptible d'être révisée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]. Pour appuyer la non-intervention de la Cour, les intimées ont invoqué des décisions portant sur des organismes comme la Commission canadienne des droits de la personne et le Conseil canadien des relations du travail. Cependant, en citant ces décisions, les intimées ne tiennent pas compte du fait que les pouvoirs et fonctions attribués à chacun de ces organismes sont très, très différents. Ainsi, la Loi canadienne sur les droits de la personne, [L.RC. (1985), chap. H-6] charge explicitement la Com mission canadienne des droits de la personne de se pencher et de se prononcer sur sa propre compé- tence. L'article 41 dispose:
41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:
a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épui- ser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;
b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;
c) la plainte n'est pas de sa compétence;
d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;
e) la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. [C'est moi qui souligne.]
Autrefois, la Commission des droits de la per- sonne n'avait aucun pouvoir exprès en ce qui con- cerne sa compétence. À la suite du jugement La Ligue canadienne de football c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 2 C.F. 329 (lie inst.), la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33] a été modifiée pour corriger cette situation. De même, le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 15 et 16, énumère de façon détaillée les pouvoirs et fonctions du Conseil cana- dien des relations du travail. Dans la Loi sur le droit d'auteur, il n'y a pas de liste équivalente sont détaillés les pouvoirs et fonctions de la Com mission. Une commission ne peut exercer que les pouvoirs que lui confère la loi. Il ressort à l'évi- dence de la Loi que le législateur n'a jamais voulu que la Commission se prononce sur des questions de droit, mais qu'il l'a plutôt constituée comme un organisme réglementaire chargé de fixer des tarifs.
La question de la compétence de la Commission a été tranchée dans l'arrêt CAPAC v. CTV précité et il n'y a eu, en ce qui concerne les pouvoirs conférés par le législateur, aucun changement qui permette de croire que la compétence de la Com mission a été élargie. En conséquence, la Commis sion à l'instance n'a pas compétence pour décider si le tarif 2.A.2 est valide.
Cela nous amène à la requête en bref de prohibi tion de la requérante. Il est loisible à notre Cour de décerner un bref de prohibition contre un tribunal administratif pour l'empêcher d'excéder sa compé- tence. La requérante peut demander un bref de prohibition contre la Commission dès que l'ab-
sence de compétence devient évidente. En l'espèce, la requérante a déposé la présente requête à titre de mesure préventive pour éviter qu'on perde du temps et de l'argent avec une question qui a déjà été tranchée par la Cour suprême du Canada.
Il n'y a pas de raison d'entraîner la requérante dans tout le processus alors que l'affaire peut être réglée dès maintenant en tant que question de droit claire soumise à la Cour. En l'espèce, l'octroi d'un bref de prohibition permettra d'accorder une réparation rapide et efficace et évitera la tenue d'une audience coûteuse qui durerait de longs mois et qui serait suivie par une procédure d'instruction longue et dispendieuse qui reviendrait finalement devant les tribunaux sur la question de la compétence.
Cependant, pour le cas j'aurais tort sur la question de la compétence, il y a deux autres questions à examiner en ce qui concerne le tarif 2.A.2. La première question est celle de savoir si le projet de tarif 2.A.2 relève à juste titre de l'article 49 [mod. par L.C. 1988, chap. 15, art. 12] (art. 67) de la Loi. La seconde question est celle de savoir si les sociétés peuvent essayer de se prévaloir de l'article 50 (art. 70) en vertu de la Loi.
Pour répondre à la première question, il convient d'examiner les modifications apportées à la Loi. Les intimées soulignent que les modifications apportées à l'alinéa 3(1)f) [mod. par L.C. 1988, chap. 65, art. 62(1)] et l'ajout du mot «solidaires» au paragraphe 3(1.4) [ajouté par L.C. 1988, chap. 65, art. 62(2)] constituent des modifications qui leur permettent de fixer des droits pour la trans mission d'émissions par le réseau. Les sociétés intimées allèguent que les transmissions effectuées dans le cadre d'un réseau constituent «une commu nication unique» aux termes du «nouvel» alinéa 3(1)f) et qu'il résulte du rapprochement des mots «transmission . .. par télécommunication» et «com- munication au public» du paragraphe 3(1.4) que la Loi vise maintenant la communication de l'exécu- tion d'une oeuvre par télécommunication.
Lorsqu'il a modifié la Loi, le législateur avait la possibilité de remédier s'il le désirait au résultat de l'arrêt CAPAC v. CTV (précité) en insérant le libellé nécessaire. Il a choisi de ne pas le faire, et maintenant les intimées n'ont d'autre choix que d'essayer de faire dire au libellé existant ce que le
législateur n'a ni déclaré ni voulu dire. Par ailleurs, dans l'arrêt CAPAC v. CTV (précité), la Cour suprême a fait remarquer que ce n'était pas des «oeuvres musicales» au sens de la définition de la Loi que le réseau CTV communiquait à ses stations affiliées, mais «une exécution des oeuvres». Les intimées n'ont pas traité de l'expression «oeuvres musicales». L'insertion du terme «télécommunica- tion» dans la Loi ne change pas la décision suivant laquelle les transmissions effectuées dans le cadre d'un réseau ne constituent pas des «oeuvres musica les» aux fins de la violation du droit d'auteur. En conséquence, les sociétés d'exécution ne peuvent pas légitimement produire le tarif 2.A.2 en vertu de l'article 49, étant donné qu'il ne porte pas sur un droit d'exécution prévu par la Loi.
Pour répondre à la seconde question, celle de savoir si les sociétés peuvent se prévaloir de l'arti- cle 50 (art. 70), je pense qu'il est évident qu'elles ne le peuvent pas. Aux termes de l'article 50.1 [ajouté par L.C. 1988, chap. 15, art. 14] (art. 70.1), la personne qui dépose un tarif doit être une «société de gestion» au sens de la Loi. Mais peut-on considérer les sociétés d'exécution comme des «sociétés de gestion»? L'article 50.1 (art. 70.1) déclare clairement que l'expression «société de ges- tion» vise «l'association, la société ou la personne morale, autre qu'une association, une société ou une personne morale» [soulignements ajoutés]. L'article 50.1 permet à de nouvelles sociétés de gestion de demander la fixation de droits, et les sociétés d'exécution existantes sont expressément exclues de cet article parce qu'elles peuvent se prévaloir de l'article 49 pour leur gestion collective de droits d'exécution.
Même si elles devaient être considérées comme des «sociétés de gestion», les sociétés intimées ne pourraient invoquer cet article, parce qu'elles n'ont pas satisfait à toutes les conditions préalables énoncées par la Loi. La Loi sous-entend que l'on doit essayer d'en arriver à une entente négociée au sujet des droits. L'article 50.2 [ajouté par L.C. 1988, chap. 15, art. 14] (art. 70.2) vise le cas de la société de gestion qui dépose un projet de tarif auprès de la Commission «A défaut d'une entente sur les droits». Cela implique que les deux parties doivent faire certains efforts pour négocier une entente. En l'espèce, on n'a jamais approché la requérante pour discuter du sujet et aucune tenta-
tive n'a été faite en vue de négocier une entente au sujet des droits. De fait, les sociétés d'exécution ont agi unilatéralement à cet égard.
Compte tenu de tous les motifs exposés ci-des- sus, et particulièrement de l'absence de compé- tence de la Commission du droit d'auteur pour se prononcer sur la question, un bref de prohibition sera décerné contre la Commission du droit d'au- teur intimée pour l'empêcher de prendre d'autres mesures à l'égard du tarif 2.A.2.
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